PROPHYLAXIEInfos Numéro spécial érosion

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Numéro spécial érosion
PROPHYLAXIEInfos
Informations pratiques sur la prévention en hygiène bucco-dentaire
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Érosion et usure dentaire
Prévalence de l’usure dentaire
Bilan, diagnostic et facteurs de risque
Prévention et traitement
Mentions légales / Sommaire / Éditorial
Éditorial
Éditeur (responsable selon la loi sur la presse):
GABA Laboratoires
Affaires scientifiques: Dr Marianne Le Reste
Marketing: Marie-Agnès Richard
60 avenue de l’Europe
92270 Bois-Colombes · France
Chers lecteurs,
Ce nouveau numéro de PROPHYLAXIE Infos est une édition
spéciale érosion mise à jour. Vous
y trouverez les toutes dernières
informations sur l’érosion dentaire. Au cours de ces dernières
années, on a observé une augmentation spectaculaire de la
prévalence de l’érosion dentaire
due aux acides d’origine non bactérienne. L’érosion
est souvent le résultat d’habitudes nutritionnelles malsaines, comme la consommation fréquente d’aliments
et de boissons acides. Elle peut être également d’origine intrinsèque, par un reflux d’acide gastrique, par
exemple. Quelle que soit la cause de l’attaque acide
sur les dents, les experts sont unanimes: les dommages
de l’érosion sur l’émail dentaire et la dentine dus aux
acides sont irréversibles. Mais il n’y a aucune raison de
désespérer.
Conception:
eye-con Medienagentur
Lechenicher Str. 29 · 50374 Erftstadt · Allemagne
Internet:
www.gaba.com
Les avis des auteurs ne correspondent pas toujours
à ceux de l’éditeur. La réimpression et la publication
d’extrait doivent indiquer la source.
Micrographie par balayage électronique
de la couche riche en étain déposée sur
un échantillon d’émail in situ, résultat
de l’application régulière de la solution
dentaire elmex PROTECTION EROSION.
Sommaire
Nouvelle approche de l’érosion dentaire
3
Érosion et usure dentaire – Une perspective
anthropologique
Dr John A. Kaidonis, Adélaïde, Australie
4
En quoi l’érosion des tissus dentaires durs se
différencie-t-elle des caries?
Pr Dr Thomas Attin, Zurich, Suisse
7
Prévalence de l’usure dentaire
Pr David Bartlett, Londres, Grande-Bretagne
9
13
Facteurs de risque et directives pour l’évaluation
du risque
Dr Annette Wiegand, Zurich, Suisse
17
Coup de projecteur sur une alimentation saine
(pour les dents): les aliments acides!
Dr Gerta van Oost, Dormagen, Allemagne
Les troubles de l’alimentation et l’appareil manducateur
Dr Ulrich Cuntz, Dr Wolfgang Niepmann, Prien,
Allemagne
Prévention et traitement des pertes de tissus dentaires
durs dues aux attaques acides (érosions)
Pr Dr Carolina Ganss, Dr Nadine Schlüter, Gießen,
Allemagne
Je vous souhaite une lecture agréable
et instructive!
Cordialement,
Érosions dentaires: bilan, diagnostic et facteurs
de risque
Pr Dr Adrian Lussi, Berne, Suisse
Méthodologie pour l’examen de l’érosion dentaire
Pr Dr Marie-Charlotte Huysmans, Nimègue, Pays-Bas
GABA est fier de vous présenter son nouveau dentifrice, mis au point spécialement pour cette indication.
Le dentifrice elmex ® PROTECTION EROSION, totalement innovant, contient la technologie brevetée
ChitoActiveTM et procure une protection efficace et
cliniquement prouvée contre l’érosion dentaire. Il vient
compléter la solution dentaire du même nom déjà bien
implantée sur le marché que nous vous avons déjà
présentée dans le premier numéro de cette revue.
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23
Dr Marianne Le Reste
Directeur Affaires Scientifiques
France
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Utilisation des produits elmex ® PROTECTION ÉROSION
en prophylaxie secondaire de l’érosion
33
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Nouveau numéro 2012
PROPHYLAXIEInfos
Numéro spécial érosion
Nouvelle approche de l’érosion dentaire
Étude: la protection contre l’érosion du dentifrice
contenant la technologie ChitoActive™, a fait l’objet
d’un focus lors du 44ème colloque en mer Baltique
Les premiers stades de l’érosion dentaire sont difficiles à percevoir par les patients et à diagnostiquer; une
anamnèse dentaire et un diagnostic complets sont
donc nécessaires.
Un pourcentage croissant de la population est
exposé aux risques de l’érosion dentaire. Cette augmentation est due en partie à des facteurs extrinsèques
et à des facteurs intrinsèques. Parmi les facteurs
extrinsèques, on peut citer la consommation d’aliments, de boissons et de confiseries acides. Certains
médicaments et auxiliaires diététiques peuvent également contenir des acides érosifs. Les effets mécaniques, comme le brossage dentaire, peuvent intensifier
la perte d’émail dentaire. Parmi les facteurs intrinsèques, on peut citer l’acide gastrique, qui atteint la
cavité buccale en cas de reflux et de vomissements
chroniques. De plus, une diminution de la salivation
peut favoriser le développement de l’érosion dentaire.
Attaques acides récurrentes
Les attaques acides récurrentes peuvent ramollir,
voire dissoudre, l’émail dentaire. En résulte une perte
d’émail dentaire et, à un stade avancé, de dentine.
Cette lésion est irréversible. Des produits spéciaux
peuvent permettre d’atténuer le risque de perte
d’émail dentaire. GABA a mis au point un dentifrice qui
forme une couche protectrice à base d’étain sur les
surfaces dentaires. Le nouveau dentifrice elmex ® PROTECTION EROSION repose sur la technologie exclusive ChitoActive™. Outre le chlorure d’étain et le
fluorure d’amines, le dentifrice contient également le
bio-polymère Chitosan. Lors des attaques acides récurrentes il se produit en bouche des composés d’étain
presque insolubles qui se déposent sur l’émail dentaire
ramolli. L’émail devient alors plus résistant aux attaques
acides érosives ultérieures. En outre, le dentifrice offre
également une protection renforcée contre la perte
d’émail dentaire ramolli lors du brossage. Le nouveau
dentifrice peut être utilisé tous les jours avec la solution
dentaire elmex® PROTECTION EROSION.
Une étude in situ confirme l’effet
protecteur
Une étude clinique in situ (randomisée, contrôlée,
en double aveugle) a confirmé l’effet du dentifrice. 27
sujets ont participé à cette étude en groupes croisés.
Les sujets ont porté des échantillons d’émail dentaire
dans la cavité buccale pendant une période de sept
jours; les volontaires ont été soumis à six attaques acides par jour (hors cavité buccale) et traités (dans la
cavité buccale) avec l’un des trois dentifrices testés
deux fois par jour. Résultat: l’utilisation du nouveau
produit donne lieu à une baisse de 47 % de la perte
d’émail dentaire par rapport à l’utilisation d’un dentifrice contenant du fluorure de sodium.
Sujet principal du colloque de la
mer Baltique
La nutrition et l’érosion dentaire ont été les principaux sujets abordés lors du 44ème colloque de la mer
Baltique organisé à Lübeck par l’association libre des
chirurgiens-dentistes allemands.
Les interventions
ont été de grande
qualité et suivies
par 200 participants. GABA sou
tenait deux présentations lors de
ce colloque.
Dans son inter- Dr. Gerta van Oost
vention «Le travail
ininterrompu de sape des acides sur les dents», le Dr
Annette Wiegand (Zurich), docteur en médecine dentaire, a présenté les causes, la prévention et le traitement de l’érosion dentaire non carieuse induite par les
acides. Le Dr Gerta van Oost (Dormagen), diplômée
en écotrophologie, a donné des conseils pratiques lors
du programme réservé au personnel féminin qui s’est
déroulé simultanément. Elle a fait des remarques utiles
sur le conseil diététique en prophylaxie bucco-dentaire
en indiquant, avec cœur et esprit, un but et un plan
d’action aux participants pendant 2 heures et demi; les
présentations sur la récession et les abrasions ont complété le contenu du colloque. Pour plus d’informations,
consultez la page www.gaba-dent.de/ostsee sur Internet (textes en allemand).
Outil de formation en ligne
Pour en savoir plus sur l’indication d’érosion dentaire, GABA a mis au point un outil de formation en
ligne. Il permet aux dentistes et à leurs collaborateurs
d’améliorer leurs connaissances techniques grâce à
un auto-apprentissage. Pour accéder à l’outil, rendezvous sur le site www.elearningerosion.com/fr.
PROPHYLAXIEInfos
Nouveau numéro 2012
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Numéro spécial érosion
Érosion et usure dentaire –
Une perspective anthropologique
Dr John A. Kaidonis, École de dentisterie, Université d’Adélaïde, Australie
Introduction
D’après leurs études sur de nombreuses populations de chasseurs-cueilleurs (aborigènes australiens,
par exemple), les anthropologues attribuent l’usure
dentaire à des processus physiologiques normaux,
inhérents à la fonction des dents. La mastication des aliments était l’activité fonctionnelle la plus fréquente au
cours de laquelle l’action abrasive des aliments était
largement responsable de l’étendue et de l’apparence
de l’usure observée (Kaifu et al. 2003). Par ailleurs, ces
populations se servaient couramment des dents
comme d’outils, ce qui contribuait également à l’usure
dentaire (Molnar 1972). Les anthropologues ont avancé
un autre argument: même si les dents s’usent, non
seulement celles-ci restent fonctionnelles durant toute
la vie, mais c’est aussi tout l’appareil stomatognathique
qui change et s’adapte à l’usure, ce qui renvoie à un
complexe crânio-facial dynamique (Kaifu et al. 2003;
Richards 1985). Cette approche anthropologique va
à l’encontre de la prémisse selon laquelle seules les
dents percées droites présenteraient la forme fonctionnelle idéale.
Dans ce processus dynamique au cours duquel la
hauteur des protubérances de la dent diminue, le schéma de mastication «en goutte» s’élargit (Barrett 1977),
avec un remodelage («remodelling») de la cavité glénoïde (Richards 1984). On observe aussi une éruption
continue, physiologique des dents, pour compenser
l’usure. L’interaction entre le taux d’usure et l’éruption
continue détermine la dimension verticale d’occlusion.
Cette modification de la forme de la dent est décrite
dans la dentisterie moderne comme un continuum,
comprenant le guidage canin, un plan occlusal plat
avec occlusion par les bords antérieurs et la fonction
de groupe.
Par ailleurs, il existe également un lien direct entre
les contraintes occlusales (mastication énergique),
l’usure interproximale et la diminution de la longueur
de l’arcade dentaire, qui s’explique par la migration
mésiale des dents (Fig. 1). Les anthropologues ont
avancé l’argument selon lequel cette diminution de la
hauteur de l’arcade est en partie responsable de l’éruption des dents de sagesse sans inclusion, comme on
peut l’observer sur les squelettes d’aborigènes (Begg
1954). Il est intéressant de constater que l’inclusion des
dents de sagesse chez les aborigènes modernes est
similaire à celle observée dans la population de descendance européenne, ce qui s’explique par les taux
d’usure relativement faibles associés à la consommation d’aliments cuisinés mous.
04
Nouveau numéro 2012
Bien qu’au siècle dernier, les anthropologues utilisaient les termes «attrition», «abrasion» et même «érosion» comme des synonymes pour décrire l’action abrasive des aliments, ces termes renvoient à différents
mécanismes très spécifiques que les chercheurs en
médecine dentaire viennent à peine de définir.
L’attrition et l’abrasion sont dues à des processus mécaniques exercés sur la surface dentaire, tandis que l’érosion est causée par une interaction chimique. Se pose
alors une question déconcertante: comment classer
l’érosion dans le paradigme d’ensemble?
Fig. 1:
Abrasion importante
et usure interproximale sur la première
et la deuxième
molaires temporaires
d’un enfant
aborigène australien
(peuple préhistorique)
Fig. 2:
Facettes avec des
bords prononcés sur
la deuxième molaire
du côté droit de la
mandibule d’un
indigène australien
(peuple préhistorique)
Aperçu des mécanismes d’usure
L’attrition est causée par un contact dent à dent: les
dents sont limées. Ce processus qui n’implique pas
l’alimentation se caractérise par la formation d’une
facette d’abrasion (Fig. 2), généralement une surface
plane dont les bords sont bien délimités (Every 1972).
Chaque facette a son homologue dans l’arcade antagoniste. En cas d’exposition de la dentine, la facette s’use
progressivement sans former de creux ou de cavités
(«scooping») (Kaidonis 2007). La prévalence de l’attrition est très variable dans les articles scientifiques. Les
études qui rapportent de faibles niveaux d’abrasion se
fondent généralement sur des recherches subjectives.
Les études qui se fondent sur la fréquence de l’apparition de facettes, en revanche, rapportent un schéma
comportemental en grande partie identique. Les étuPROPHYLAXIEInfos
Numéro spécial érosion
des sur la fréquence de la formation de facettes
menées sur des squelettes de peuples d’Aborigènes
préhistoriques (Kaidonis et al. 1993), aussi bien que les
études auprès de patients n’appartenant pas au groupe
ethnique des Aborigènes et sélectionnés au hasard
dans un cabinet dentaire général en Australie du sud
(Kaidonis 2007), rapportent une prévalence supérieure
à 90 %. Il est intéressant de constater que des études
comparatives sur des espèces disparues et encore
existantes indiquent la formation de facettes.
L’abrasion survient lorsqu’un matériel extrinsèque
(qui vient de l’extérieur de l’organisme) exerce une
force importante sur la surface dentaire (Every 1972).
Parmi les matériaux extrinsèques, on compte non
seulement les aliments, mais aussi des corps étrangers
(par ex. cure-dents, brosses à dents, pipes à tabac,
etc.); toutes sont responsables d’un même schéma
d’usure caractéristique de la denture. La mastication
des aliments n’entraîne pas l’apparition d’une facette
bien marquée, mais la formation d’une zone d’abrasion
qui n’est pas «anatomiquement spécifique» et dans
laquelle les aliments peuvent exercer leur action en
divers endroits occlusaux et incisifs, en fonction de leur
consistance, jusqu’à l’apparition, après exposition, de
creux ou de cavités dans la dentine ramollie (Fig. 3). La
dentine ainsi pourvue de cavités n’est pas sensible, car
l’action mécanique entraîne la production d’une boue
dentinaire qui obture les tubules. Il est intéressant de
constater que le rapport entre la profondeur des creux
et l’émail dentaire périphérique est relativement peu
significatif et qu’il peut même, en fonction des aliments, rester constant (Bell et al. 1998).
Fig. 3:
Mise en évidence
de l’abrasion et de
la formation de
cavités dans la dentine de la mâchoire
d’un indigène
australien (peuple
préhistorique)
On peut argumenter que l’usure mécanique a commencé au moment où l’évolution a donné naissance à
la première dent, et qu’elle est, depuis, un critère de
sélection qui a influé sur le développement des dents
dans quasiment toutes les espèces. Les dents ont développé des moyens de compenser l’usure (par ex. par
l’éruption continue), tandis que les propriétés physiologiques et la relation anatomique entre l’émail et la
dentine assurent également le traitement efficace des
aliments même lorsque les dents s’usent. Même si cet
article n’a pas pour objet d’aborder en détail ce phénomène, il convient néanmoins de signaler que les
bords d’émail exposés résultant de la formation de
creux dans la dentine, remplissent un rôle fonctionnel
(Smith & Savage 1959; Every 1972; Kaidonis et al. 1992)
PROPHYLAXIEInfos
et ont été observés dans de nombreuses espèces,
notamment chez les herbivores. Cela veut dire que
la fonctionnalité est préservée même lorsque l’usure
augmente.
L’érosion est due à la décomposition des tissus dentaires (par ex. sous l’effet des acides) sans présence de
plaque (Yip et al. 2006). Bien que les acides soient responsables de schémas d’érosion variables en fonction
de leur origine (par ex. intrinsèque ou extrinsèque), la
surface atteinte présente généralement un aspect brillant et a perdu ses détails micro-anatomiques. Comme
dans le cas de l’abrasion, l’exposition entraîne l’apparition de creux dans la dentine. La dentine pourvue de
creux causés par les attaques acides est souvent sensible car les tubules sont ouverts et les creux dans la
dentine deviennent toujours plus profonds sous l’action
des acides. Contrairement à l’usure mécanique, l’érosion semble être une maladie moderne (Fig. 4).
Perspective historique
ATTRITION
ABRASION
EROSION
Aujourd’hui
~ 2 mµ
Chasse-cueillette
Agriculture
Industrie
Fig. 4: Représentation schématique générale des trois
mécanismes d’usure d’un point de vue historique. L’attrition
semble présenter la même prévalence aujourd’hui que chez
nos ancêtres, alors que l’abrasion a considérablement régressé
dans les sociétés de consommation, où les aliments sont
beaucoup plus cuisinés. L’érosion, qui n’était pas significative
par le passé, est devenue un problème majeur dans la population actuelle.
À ce jour, il n’existe aucun indice suggérant la
présence de lésions érosives sur les ossements de
peuples de chasseurs-cueilleurs (par ex. Aborigènes en
Australie, crânes retrouvés en Amérique, peuples
européens historiques et préhistoriques) (Aubry et al.
2003; Aaron 2004). On peut supposer que l’eau était la
boisson la plus couramment consommée chez les chasseurs-cueilleurs. Ces populations étaient très certainement aussi exposées à des acides contenus dans les aliments, mais cette exposition était saisonnière et par
conséquent transitoire. Par ailleurs, l’action reminéralisante naturelle de la salive, ainsi que les biofilms présents sur la surface dentaire, contribuent à atténuer les
effets des acides. Dans les populations humaines, l’exposition aux acides a progressivement augmenté avec
l’apparition de l’agriculture, notamment au Moyen-
Nouveau numéro 2012
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Numéro spécial érosion
Âge, époque à laquelle les techniques de fermentation
des aliments ont été mises au point. Dans les sociétés
modernes actuelles, l’exposition aux acides a néanmoins considérablement augmenté, entraînant un
déséquilibre du milieu buccal.
S’ajoute à cela que les lésions cervicales non carieuses communément décrites dans la littérature scientifique n’ont jamais été rapportées à ce jour chez les premières populations humaines. Des données récentes
montrent que la survenue de ce type de lésions est
imputable à une combinaison d’érosion et d’abrasion
induite par le brossage des dents (Nguyen et al. 2008),
ce qui corrobore une nouvelle fois l’hypothèse selon
laquelle l’érosion ne jouait pas un rôle significatif dans
les peuples préhistoriques (Fig. 5). Par ailleurs, les
fortes contraintes occlusales associées à l’importante
usure abrasive et documentées pour ces sociétés de
chasseurs-cueilleurs remettent en question le concept
de l’abfraction, d’après lequel les lésions cervicales
cunéiformes non carieuses résultent de la flexion des
dents sous contrainte.
Usure physiologique vs usure
pathologique
S’il est vrai que l’usure des dents est décrite comme
un processus physiologique secondaire à une action
mécanique, le praticien se trouve confronté dans
certains cas à des manifestations pathologiques.
Cliniquement, une intervention chirurgicale est une
décision subjective, qui est fonction du caractère plutôt
physiologique ou pathologique de la lésion d’après
l’âge du patient (Richards et al. 2003). Même si, anthropologiquement, certains indices probants suggèrent
que même des dents fortement usées (conséquence
d’une action mécanique) restent fonctionnelles toute la
vie durant, des interventions chirurgicales sont néanmoins parfois pratiquées hâtivement pour des raisons
esthétiques. On peut d’ailleurs s’interroger sur la légitimité d’une telle pratique lorsque la demande émane
du patient. La notion d’esthétique varie d’une culture et
d’une époque à l’autre. Aujourd’hui, ce concept joue
un rôle essentiel, même s’il est considérablement influencé par le sourire «ultra-bright» des couvertures de
magazine.
Le suivi longitudinal des activités à l’origine d’une
usure dentaire est indiqué chez les patients atteints d’usure physiologique (Kaidonis 2007). Il faut toutefois
insister à nouveau sur le fait que, bien qu’une érosion
encore très minime, mais active puisse être traitée correctement par des moyens préventifs par opposition à
des moyens chirurgicaux, ces mesures ne contribuent
pas à transformer l’action érosive sur les dents en une
action physiologique.
Résumé
Fig. 5: Dentine d’une lésion cunéiforme d’un patient observée
au microscope électronique à balayage. Les éraflures horizontales signent la présence de contraintes mécaniques.
L’interaction entre les mécanismes d’usure est variable d’une population et d’un individu à l’autre.
L’interaction entre l’attrition et l’abrasion a été démontrée dans les peuples aborigènes du désert australien
(Kaidonis et al. 1992). Bien que les sociétés de consommation actuelles aient accès à des aliments nettement
plus cuisinés et, par conséquent, moins abrasifs, l’interaction entre l’usure et l’érosion est largement avérée.
Les praticiens doivent toutefois savoir qu’une abrasion,
aussi minime soit-elle, peut favoriser l’usure générale
de la dentition dans un milieu sujet à l’érosion. Par
conséquent, le terme «usure érosive», qui définit une
érosion accompagnée d’une abrasion mécanique, est
tout à fait approprié.
06
Nouveau numéro 2012
Bien avant l’apparition de l’agriculture et la culture
actuelle, la dentition des peuples de chasseurs-cueilleurs subissait déjà l’action de facteurs mécaniques. Au
cours de l’évolution, les dents humaines (tout comme
chez d’autres espèces) ont développé des méthodes
pour tirer profit de l’usure naturelle ou la compenser et,
ainsi, rester fonctionnelles. Par ailleurs, les structures
crânio-faciales évoluent pour s’adapter aux contraintes
fonctionnelles. Par contraste, si les dents sont certes
exposées, depuis des milliers d’années, aux acides des
aliments, les effets protecteurs de la cavité buccale ont
fait que l’érosion était plus rare et par conséquent plus
insignifiante chez nos ancêtres. L’exposition fréquente
aux acides puissants dans nos cultures modernes sollicite excessivement notre milieu buccal, de sorte que
la balance pencherait davantage du côté d’un phénomène pathologique.
Dr John A. Kaidonis
School of Dentistry · University of Adelaide
North TCE · 5000 Adelaide · Australie
PROPHYLAXIEInfos
Numéro spécial érosion
En quoi l’érosion des tissus dentaires
durs se différencie-t-elle des caries?
Pr Dr Thomas Attin, Université de Zurich, Suisse
Étiologie de l’érosion dentaire et
des caries
élevé de calcium et/ou de phosphate ainsi que la présence de fluorure diminuent le potentiel érosif de ce
type de substances nocives (Attin et al. 2003; Caglar et
al. 2006). Les protons libérés par les acides réagissent
avec le carbonate et/ou le phosphate de l’apatite de
l’émail dentaire, déstabilisant ainsi les cristaux d’émail
et entraînant la dissolution de la partie minérale de la
dent (Featherstone & Lussi 2006). Le calcium et le phosphate ainsi dissous sont libérés dans le milieu environnemental et, pour ainsi dire, ingérés.
L’érosion se définit comme la perte superficielle de
tissus dentaires durs, causée par des processus chimiques n’impliquant pas l’action de microorganismes
(Imfeld 1996). Elle se développe sous l’effet d’acides ou
de chélateurs d’origine extrinsèque (par ex. aliments)
ou intrinsèque (par ex. reflux gastro-œsophagien). La
perte de tissus dentaires durs associée à l’érosion se
traduit souvent par une cavité plate, non colorée, en
forme de cupule et dont les limites sont arrondies.
Selon l’étiologie, la lésion est située sur les surfaces
dentaires libres buccales aussi bien que vestibulaires.
Dans de rares cas, ces lésions peuvent aussi être sousgingivales (Balanko & Jordan 1990).
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En outre, il faut savoir que la salive est généralement un milieu hypersaturé en apatites (c.-à-d. en calcium/phosphate). Cette hypersaturation est notamment
fonction de la concentration de calcium, de phosphate
et de fluorure dans la salive, ainsi que de son pH. Le pH
environnant critique en dessous duquel on observe une
hyposaturation de la salive en substance dentaire dure
Schéma étiologique de l’apparition des érosions
et ainsi une tendance à la dissolution de la substance
(d’après Lussi et al. 2005)
minérale dentaire, se situe à environ 5,5 pour l’émail, et
à environ 6,5 pour la dentine. Or, après la consommaÉducation
tion d’acide citrique à 1%, le pH à la surface dentaire
peut chuter jusqu’à une valeur de 3 (Millward et al.
és au p
i
l
S
1997). La baisse du pH sous l’action de substances
s
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érosives entraîne une hyposaturation des dife
c
férentes formes d’apatites de la dent et favoFa Habitudes alimentaires nt
rise ainsi la dissolution du calcium et du phosBrossage des dents Reflux/vomissements
phate. Ainsi, en cas d’attaque érosive par
une boisson rafraîchissante (pH 2,9, sans
Médicaments
Tissus mous
brossage) pendant 90 secondes deux fois
par jour pendant 21 jours, on constate un
Salive
Temps
Pellicule
amincissement de l’émail dentaire de 1 µm
Dent
Dent
(Attin et al. 2001). Outre cette attaque
Type
Adhésion
acide directe, certains acides (comme l’acid‘acide (pK)
de citrique, l’acide lactique, l’acide tartripH
Phosphate
que, l’acide oxalique) ont la capacité de se
lier au calcium pour former un chélate et
Pouvoir tampon
Fluorure
ainsi accentuer l’hyposaturation du milieu
ac
buccal en calcium, mais aussi de précipiter à
Calcium
ti
te
la
surface de l’émail (Hannig et al. 2005). Cette
a
t
urs
s
précipitation peut aussi tout à fait présenter un
n
l i é s à l ‘ a l i me n
effet protecteur provisoire.
Co
La fig. 1
Les caries sont causées par des acides produits par
montre les
Activité
des
bactéries qui adhèrent au biofilm dentaire (la pladifférents facque) à la surface des dents. Les acides produits par des
teurs pouvant influer
polysaccharides à bas poids moléculaire sont surtout
sur la survenue d’une érosion. Ainsi, les aliments acides
des acides faibles, comme l’acide lactique, l’acide
possédant un pouvoir tampon élevé, un pH faible ou un
acétique ou l’acide propionique. Ce métabolisme bactaux élevé d’acides titrables libres favorisent la formatérien entraîne une baisse du pH dans la plaque dentaition des érosions. Le pH de certains aliments, notamre, qui passe par exemple de 7 à 4 après l’exposition à
ment de certaines boissons acides, peut tout à fait se
une solution de saccharose pendant 15 minutes (Imfeld
trouver aux environs de 2,2 (Lussi et al. 2005). Un taux
Nouveau numéro 2012
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Numéro spécial érosion
1983). Les acides déjà dissociés dans la plaque entraînent une dissolution des zones interprismatiques à la
surface de l’émail dentaire (Arends & Christoffersen
1986). Cette lésion initiale précoce est comparable à
l’apparence d’une érosion. Par ailleurs, un gradient de
concentration entraîne la diffusion, puis la dissociation
des acides faibles dans l’émail dentaire (Hellwig et al.
2007). Les ions H+ libérés attaquent les cristaux
d’émail, ce qui dissout les composants minéraux des
tissus dentaires durs. Ces composants diffusent alors
dans l’enveloppe aqueuse interprismatique de l’émail
vers la surface dentaire en fonction de leur gradient de
concentration. Or, la vitesse de diffusion et le gradient
de concentration baissent vers la surface dentaire, c’est
pourquoi on observe une précipitation du calcium et du
phosphate et la formation de nouveaux cristaux.
Cela veut dire que l’ensemble de la lésion due à des
attaques acides se compose de la couche perdue et de
la zone restante ramollie. Sous l’action de l’acide chlorhydrique de pH 2,3, cette zone présente une épaisseur
d’environ 500 nm (Wiegand et al. 2007). La profondeur
de cette déminéralisation dépend de la nature de l’acide et du temps de contact. En cas de contact prolongé
avec un acide, cette zone moins résistante à l’abrasion
ne s’épaissit toutefois pas significativement (Lippert et
al. 2004). Mais l’ensemble de la lésion acide augmente
toutefois en cas de contact prolongé, car l’épaisseur de
la couche entièrement perdue augmente. L’observation
au microscope électronique à balayage révèle la surface de l’érosion de l’émail comme une zone mordancée
dans laquelle les prismes sont bien visibles (Fig. 3).
Fig. 3:
Il se forme alors la couche de surface, d’apparence
intacte, de la lésion carieuse initiale. Mais en réalité,
cette couche est plus poreuse que l’émail sain, et facilite ainsi la pénétration de nouveaux acides dans l’émail
dentaire. Si cette couche d’apparence intacte est
détruite, les microorganismes peuvent migrer jusqu’à la
dentine. Les enzymes protéolytiques des bactéries
détruisent également les composants organiques de
l’émail et de la dentine, entraînant une nécrose de la
dentine. La réaction de défense des odontoblastes
entraîne la formation de nouvelles zones dans la dentine remaniée par la lésion carieuse, comme des «dead
tracts», une dentine sclérotique, etc.
Histomorphologie des lésions
érosives et des caries
En cas d’érosion de l’émail, on observe nettement
la perte de surface sur le spécimen histologique (Fig. 2),
sous lequel se trouve une zone d’émail déminéralisée
et ramollie, qui peut facilement être détruite en cas de
contraintes mécaniques (Attin et al. 1997).
Fig. 2: Spécimen histologique d’une érosion de l’émail
observée au microscope en lumière polarisée
08
Nouveau numéro 2012
Surface de l’émail
dentaire après érosion, observée au
microscope électronique à balayage
En cas d’érosion de la dentine, on observe aussi
une dissolution de la substance minérale et un ramollissement de la surface. Mais le collagène de la dentine
n’est pas attaqué par les acides, dont l’action est
généralement brève (Ganss et al. 2004). Ainsi, en cas
d’attaque par de l’acide chlorhydrique, on observe
deux zones dans la dentine érodée: 1. une zone complètement déminéralisée avec des composés organiques mis à nu et 2. une zone partiellement déminéralisée à laquelle la dentine saine s’accole. Après une
attaque répétée avec de l’acide chlorhydrique (pH 1,6),
ces zones ont environ 50 µm d’épaisseur chacune
(Schlüter et al. 2007b). Les chercheurs se demandent si
le collagène dégagé à la surface protège la dentine qui
se trouve en dessous contre une nouvelle attaque acide
ou contre des contraintes mécaniques (Schlüter et al.
2007a).
Histologiquement, la carie initiale de l’émail (Fig.
4), dans laquelle il n’existe pas encore de cavitation, est
une lésion à plusieurs couches dont la profondeur se
situe autour de 150 à 200 µm (Silverstone 1975). Au
microscope à lumière polarisée, on observe 4 zones, en
fonction du milieu d’imbibition: 1. une couche superficielle, d’apparence intacte, 2. la lésion sous la couche
de surface, 3. une zone sombre et 4. une zone transparente vers la dentine saine. Le volume des pores est
variable dans les différentes couches. Il est d’environ
5 % dans la première et la troisième zones, et d’environ
25 % dans la lésion. L’émail sain présente un volume de
pores d’environ 0,1 %.
PROPHYLAXIEInfos
Numéro spécial érosion
Les études cristallographiques ont montré que la
première et la troisième zones sont produites au cours
de processus de reminéralisation (voir plus haut). C’est
l’inverse qui se produit dans la deuxième et la quatrième zones, puisque l’apparence typique est due à des
processus de déminéralisation. Dans la préparation étudiée, l’augmentation des pores à la surface est nette.
Prévalence de l’usure
dentaire
Pr David Bartlett, BDS, PhD, MRD, FDS,
FDSRCS, Londres, Grande-Bretagne
Introduction
Fig. 4: Spécimen histologique d’une carie de l’émail observée
au microscope en lumière polarisée
La carie de la dentine est, elle aussi, une lésion à
plusieurs couches (Fig. 5). Sa stratification est déterminée, d’une part, par l’activité protéolytique et la production d’acides par les bactéries présentes et, d’autre
part, par les mécanismes de défense du complexe
pulpo-dentinaire. En l’absence de traitement, la lésion
de la dentine progresse et atteint généralement la
pulpe.
Fig. 5:
Surface de l’émail
dentaire atteinte
d’une carie initiale,
observée au microscope électronique à
balayage
L’érosion est donc essentiellement un phénomène
de surface, bien qu’un certain effet soit aussi observé
en profondeur dans l’émail et surtout dans la dentine.
L’attaque acide entraîne une perte de substance centripète. La lésion carieuse est, malgré certains signes en
surface, un phénomène qui se produit avant tout en
profondeur, dans lequel une déminéralisation des composés anorganiques et/ou une dégradation des composés organiques dominent sous une surface en partie
intacte.
Pr Dr Thomas Attin
Clinique de médecine dentaire préventive, de parodontologie
et de cariologie · Université de Zurich
Plattenstrasse 11 · 8032 Zurich · Suisse
PROPHYLAXIEInfos
On dit souvent que la prévalence de l’usure et de
l’érosion dentaires augmente: mais qu’entend t-on
exactement par là? Il importe dans un premier temps
d’éclaircir certaines questions liées aux définitions de
ces termes et à leur interprétation dans les différents
pays. Il est admis que l’érosion acide est causée par la
dissolution d’origine non bactérienne de l’émail et de
la dentine, que l’attrition est l’usure causée par le
contact dent à dent, et que l’abrasion est due au
contact de la dent avec d’autres surfaces (Smith &
Knight 1984a). En revanche, l’évaluation d’une dent
donnée et la différenciation du type d’usure dentaire
d’après l’apparence de la lésion sont moins évidentes,
ce qui n’est pas sans conséquences, notamment pour la
comparaison des données de prévalence entre les différents pays.
En Amérique du Nord, le rôle de l’érosion dans
l’usure dentaire est moins bien compris ou évalué qu’en
Europe (Bartlett et al. 1999). Mais au sein de l’Europe
aussi, l’interprétation de la notion d’érosion dentaire
varie. Dans certains pays, les lésions dues à l’usure de la
zone cervicale sont considérées comme le phénomène
d’érosion de base, tandis que d’autres attribuent un
rôle supérieur à l’abrasion. Cela n’est pas un problème
en soi, dans la mesure où les méthodes d’évaluation de
l’usure dentaire ne se différencient pas en termes
d’étiologie. Malgré tout, il existe une série d’indices
avec lesquels certaines zones ou surfaces dentaires
peuvent être mesurées (par ex. surfaces palatines des
incisives du maxillaire et surfaces occlusales des molaires de la mandibule) et qui permettent de recueillir des
données sur la prévalence.
Les seules méthodes fiables de mesure des changements des dents dans de grandes populations sont les
indices de l’usure dentaire. La plupart des indices se
fondent sur les changements de l’aspect anatomique
des dents pour déterminer l’étendue de l’usure.
Certains indices mesurent l’usure de chaque surface
de chaque dent (Smith & Knight 1984b) et d’autres
s’intéressent plutôt à un site donné (O’Brien 1993) ou à
une surface spécifique (Dahl et al. 1989). D’autres études encore documentent la prévalence de l’érosion
plutôt que celle de l’usure dentaire (Johansson et al.
1993). Le problème réside dans l’établissement d’un
diagnostic étiologique, puis dans l’utilisation d’un indice qui ne néglige pas les autres causes de l’usure dentaire. Il est surtout très délicat cliniquement de poser
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Numéro spécial érosion
un diagnostic étiologique d’après la présentation d’une
lésion sans établir un tableau complet des antécédents
dentaires et alimentaires (Kidd & Smith 1993; Bartlett &
Smith 2000). Dans la plupart des cas, les altérations
anatomiques des dents dues à l’usure sont le résultat
d’une combinaison d’érosion, d’abrasion et d’attrition,
et il est difficile de dire lequel de ces facteurs est le plus
important. Il vaut généralement mieux employer une
démarche non spécifique, dans laquelle un indice est
utilisé pour recenser les changements et les résultats
sont utilisés dans le cadre d’une analyse des facteurs de
risque en vue d’identifier les causes.
Une autre question fondamentale se pose: que
faut-il comprendre exactement par «prévalence»? Le
dictionnaire Oxford définit le mot «prévalence» comme
«largement répandu; de grande ampleur ou qui survient couramment; généralement courant ou accepté».
Mais qu’est-ce que cela signifie par rapport à l’usure
dentaire? La prévalence des caries est habituellement
mesurée à l’aide du paramètre appelé CAO-D: nombre
de dents cariées, absentes et obturées. Elle peut ainsi
être comparée entre différents pays et différentes régions géographiques, si bien sûr les mêmes critères
d’évaluation des caries sont utilisés dans les régions en
question. Bien que la prévalence des dents obturées
dénote l’existence d’une lésion carieuse, les restaurations sont indiquées dans d’autres occasions, par exemple en cas d’usure. Malgré la complexité de l’indice
CAO-D, il n’existe pas de définition courante de l’usure
et de l’érosion dentaires.
Quelle grande évaluation tient compte de la prévalence à la fois de l’usure dentaire et de l’érosion dentaire? S’agit-il du pourcentage de surfaces dentinaires
exposées ou plutôt de la dent / du site dentaire le plus
fréquemment usé? Une option évidente consisterait à
relever le pourcentage de dentine exposée au sein
d’une population. Les prévalences peuvent être comparées si les chercheurs utilisent des indices similaires
ou comparables. L’indice d’usure dentaire TWI («Tooth
Wear Index») de Smith & Knight est très souvent utilisé
par les chercheurs partout dans le monde. Sans doute
l’indice le plus couramment employé, il recense les
changements dans la structure anatomique des dents,
est utilisé sur chaque dent et est indépendant de l’étiologie. Les dents sont réparties en quatre régions: cervicale, buccale, occlusale/incisive et linguale/palatine.
D’autres indices recensent l’étendue et le degré de
sévérité de la dentine exposée. Il devrait donc être possible de décomposer les indices complexes en indices
plus simples et ainsi de faire des comparaisons.
Récemment, un nouvel indice facile à utiliser et pouvant servir à réanalyser des scores d’usure dentaire a
été mis au point. L’indice BEWE («Basic Erosive Wear
Examination»: Examen de l’usure d’érosion de base) a
un grand potentiel d’acceptation dans la communauté
scientifique.
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Nouveau numéro 2012
Il peut être utile de connaître le pourcentage de
dentine exposée au sein d’une population donnée,
mais dans ce cas, l’impact de l’usure dentaire sur l’émail
n’est pas pris en compte. Or, si la dentine est à nu,
l’émail qui la recouvrait a aussi forcément subi une
usure. De nombreux indices rapportent le résultat de
l’évaluation à l’étendue de l’atteinte de la dentine, les
effets sur l’émail étant alors souvent négligés. Or, si l’on
part d’un principe de prévention, l’objectif devrait être
d’empêcher l’usure de l’émail. C’est pourquoi les
lésions de l’émail doivent aussi, d’une façon ou d’une
autre, être prises en compte. Mais il est délicat de différencier d’une présentation normale les changements
de la surface de l’émail dus à l’usure ou à l’érosion
dentaire.
Au cours des 20 dernières années, toute une série
d’études a été menée en vue d’évaluer la prévalence
de l’usure dentaire dans différentes populations. La plupart de ces études de prévalence ont toutefois été
menées auprès d’enfants et d’adolescents, car ces
groupes sont plus faciles à étudier et les sujets plus
faciles à recruter. Les études chez l’adulte sont quant à
elles moins courantes en raison des difficultés de recrutement. Il existe un groupe dans lequel le recrutement
de sujets d’étude adultes est simple: les recrues de
l’armée, auprès desquelles plusieurs études ont déjà
été menées (Johansson et al. 1996). Dans le cadre de
l’une des premières études réalisées chez des adultes,
des patients ont été recrutés dans un cabinet dentaire
général. Mais un ratio particulier a été utilisé pour enregistrer le degré de sévérité de l’usure, et cette technique n’a plus été utilisée dans la plupart des études
qui ont suivi.
Prévalence de l’usure et de l’érosion
dentaires dans la denture temporaire
La plupart des études sur l’usure dentaire chez les
enfants a été menée en Europe (Jones & Nunn 1995;
Al-Malik et al. 2002; Wiegand et al. 2006). Millward et
al. (1994) ont mené une étude auprès de 178 enfants
âgés de 4 ans originaires de Birmingham (GrandeBretagne) et ont montré que la dentine était exposée
chez 17 % des participants. Les résultats de cette étude
représentent les pourcentages les plus élevés jamais
recensés dans les régions étudiées. Les auteurs ont
démontré que près de la moitié des sujets présentaient
des signes manifestes d’usure dentaire, et que les surfaces dentaires les plus fréquemment atteintes étaient
les surfaces palatines/linguales des incisives du maxillaire. Lorsqu’une usure d’une telle ampleur est observée, le résultat peut quasiment être considéré comme
normal.
Une autre étude menée auprès de 987 enfants
d’âge préscolaire en Arabie Saoudite a montré que
31% des sujets présentaient une certaine usure et 13 %
une dénudation de la dentine. Toutefois, les mesures
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Numéro spécial érosion
effectuées dans le cadre de cette étude étaient limitées
aux incisives primaires du maxillaire. Une étude de plus
grande envergure menée en Chine, auprès de 1949
enfants âgés de 3 à 5 ans, a mis à jour des signes
d’usure chez seulement 5,7 % des sujets (Luo et al.
2005). Se pose alors la question critique suivante:
pourquoi observe-t-on de telles différences entre les
régions géographiques? Une réponse possible serait
que celles-ci reflètent la situation socio-économique
des différents pays.
Prévalence de l’usure et de l’érosion
dentaires chez les adolescents
Le nombre d’études menées sur la denture mixte
d’enfants scolarisés est largement plus important.
Comme pour la denture temporaire dans les grandes
études, certaines dents et régions dentaires ont
souvent été utilisées pour évaluer la maladie dans sa
globalité. Un groupe de chercheurs a déterminé l’usure
érosive à l’aide de modèles d’étude de 1000 adolescents âgés de 11 ans, et l’a documentée sur les surfaces
dentaires de 70 % des sujets. Chez 26,4 %, une incidence élevée d’usure érosive accompagnée de lésions
avancées a été constatée (Ganss et al. 2001). Dans un
groupe plus petit comprenant 210 adolescents âgés de
11 à 14 ans, l’ampleur des lésions était moindre, et la
dentine n’était exposée que chez moins de 2 % des
sujets (Bartlett et al. 1998).
Les différences entre ces études reposaient sur le
fait que, dans la deuxième étude, l’atteinte de la dentine était utilisée comme critère de la progression de
l’usure, alors que, dans la première, c’était la forme et
la profondeur de la lésion. Autre différence significative: les surfaces les plus fréquemment usées étaient les
faces palatines dans l’étude de Bartlett et al., et les
faces occlusales et incisives chez Ganss et al. Les causes
de cette différence ne sont pas encore connues, bien
que l’on puisse supposer qu’il s’agit de différences
géographiques entre les populations, néanmoins difficilement compréhensibles au sein de l’Europe. Une
autre explication serait que les indices utilisés par les
chercheurs se focalisent sur des éléments différents.
Lorsqu’un groupe documente l’érosion, les effets de
l’abrasion ou de l’attrition ne sont pas nécessairement
recensés. Les effets des changements sur les surfaces
dentaires d’origine non cariogène doivent être étudiés
pour évaluer de façon exhaustive les effets de l’usure
dentaire au sein d’une population donnée. Une fois ces
effets connus, l’étiologie peut être abordée.
Les grandes études se rapportent la plupart du
temps aux effets de l’usure dentaire en certains endroits donnés. Ainsi, Truin et al. (2005) ont documenté
la prévalence de l’érosion dans un groupe d’enfants
âgés de 12 ans à La Haye (Pays-Bas). L’étude s’est
limitée aux surfaces palatines des incisives et des
canines ainsi qu’aux surfaces occlusales des premières
molaires. Une usure a été observée chez 59,7 % des
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sujets; chez 2,7 %, la dentine était atteinte. Milosevic et
al. (1994) ont rapporté que 30 % des 1035 adolescents
âgés de 14 ans étudiés à Liverpool (Angleterre) présentaient une dentine exposée. Leur étude a tenu compte
du fait que toutes les surfaces dentaires, et les faces les
plus fréquemment atteintes étaient les bords incisifs
des incisives du maxillaire et de la mandibule. Dans une
étude menée par la même équipe, le recrutement et
la sélection ont été effectués avec plusieurs critères
d’évaluation. Cette étude a révélé une prévalence
encore plus élevée de dentine exposée, à près de 50 %
(Bardsley et al. 2004).
Ces résultats ont été confirmés dans d’autres études
en Angleterre. Al Dlaigan et al. (2001) ont observé une
exposition de la dentine chez 51% de leurs sujets, bien
que cette atteinte n’ait été considérée comme grave
que dans 2 % des cas. Dans l’étude de Dugmore et al.
(2004), l’atteinte de la dentine était moindre, à savoir
chez seulement 2 % des 1753 adolescents de 12 ans
étudiés. Il est difficile de comprendre pourquoi des
variations si importantes dans l’atteinte de la dentine
sont observées dans un si grand nombre d’études.
Dans de nombreuses études ultérieures, les surfaces
incisives n’étaient pas prises en compte dans l’analyse
comparative. Le principal résultat est peut-être le fait
que la prévalence de l’exposition grave de la dentine
se situe dans la plupart des études aux environs de 2 %.
Un certain nombre d’études révèle par ailleurs des
différences liées au sexe. Ainsi, l’incidence était plus
grande chez les sujets hommes dans la plupart des études (van Rijkom et al. 2002). Une étude plus récente est
arrivée à la conclusion que la tendance à l’usure augmente avec l’âge (Jaeggi & Lussi 2006). En outre, les
habitudes alimentaires, le reflux gastro-œsophagien
ainsi que la situation socio-économique influent sur la
prévalence de l’usure érosive.
Prévalence de l’usure et de l’érosion
dentaires chez les adultes
Il existe relativement peu d’études chez l’adulte, ce
qui est sans doute dû aux difficultés de recrutement et
de sélection des sujets. Les enfants et les adolescents
doivent obligatoirement être scolarisés et peuvent par
conséquent être facilement recrutés dans une étude.
Par ailleurs, la situation socio-économique peut être
prise en considération en utilisant des critères de sélection spécifiques. Chez les adultes de plus de 18 ans, la
recherche s’avère toutefois plus délicate. Les adultes
travaillant pour certaines institutions (par ex. recrues de
l’armée) se prêtent tout à fait à ces études et sont des
sujets bienvenus. Ainsi, Johansson et al. ont constaté
chez des recrues de l’armée suédoise une usure dans la
région occlusale et incisive ainsi que, chez 28 % des
sujets, une érosion des dents du maxillaire. Lussi et al.
(1991) ont rapporté que 10 % de leurs 391 sujets étudiés présentaient une dentine exposée. Contrairement
à de nombreuses autres études, l’exposition de la
Nouveau numéro 2012
11
Numéro spécial érosion
dentine observée par cette équipe de chercheurs était
plus fréquente sur les surfaces buccales/faciales que sur
les surfaces palatines/linguales.
La plus grande étude à ce jour a été menée sur
10827 dents extraites, dont 13 à 23 % présentaient une
usure. Cette étude n’est toutefois pas assez pertinente
puisqu’elle n’a pas été menée dans le milieu buccal
(Sognnaes et al. 1972). Xhonga & Valdmanis (1986) ont
étudié 527 sujets âgés de 14 à 88 ans sélectionnés au
hasard. La prévalence rapportée par ces auteurs aux
États-Unis était d’environ 25 %. L’atteinte de la dentine
était en revanche relativement rare (4 %). Dans la plus
grande étude clinique pratiquée dans le cadre d’un
cabinet dentaire général auprès de 1007 adultes entre
18 et 88 ans, un niveau d’usure pathologique a été mis
à jour chez quasiment 5% des sujets. Contrairement
à toutes les autres études, cette équipe de recherche
a réuni différentes classes d’âge et s’est fondée sur des
valeurs estimatives subjectives de l’usure attendue pour
étudier les 1007 patients. Les sujets présentant une
usure supérieure ont été considérés comme étant des
cas pathologiques. Les chercheurs ont ainsi trouvé que
5 % des sujets étaient atteints d’une usure dentaire
dépassant le niveau habituel. Ce résultat semble bien
comparable à celui des autres études.
La notion de degré d’usure pathologique est débattue depuis quelques temps. Bien qu’elle fasse appel
à des connotations pratiques et émotionnelles, elle
n’est pas si simple à définir. Chercheurs, organismes
publics et patients interprètent les données chacun à
leur façon, en fonction de leur appréciation subjective
de l’usure dentaire. Les patients considèrent qu’une faible exposition de la dentine est pathologique, à cause
de l’apparence de la dent. Les organismes publics estiment qu’une exposition n’est pathologique que si elle
est importante, en raison des répercussions financières
associées au traitement d’une maladie qui pourrait
toucher 50 % d’une population. La notion d’usure dentaire pathologique n’est par conséquent pas forcément
d’une grande utilité, car elle se fonde généralement sur
une interprétation individuelle subjective. L’impact de
l’usure et de l’érosion dentaires au sein de la population peut sans doute être mieux évalué par le «pourcentage de dentine exposée».
Tous les éléments indiquent nettement que presque
tout le monde est touché par l’usure et l’érosion dentaires, bien qu’heureusement, ce phénomène atteigne
des proportions graves seulement chez une partie de la
population.
La figure 1 montre des lésions érosives sur les surfaces
palatines des incisives du maxillaire, dues à la consommation
fréquente de boissons à base de fruits.
Fig. 2: L’attrition présentée ici s’est développée après de
nombreuses années de bruxisme et de serrage des dents. Les
forces exercées par les muscles de l’appareil manducateur
peuvent provoquer des lésions dentaires très importantes.
Résumé
L’usure et l’érosion dentaires posent problème dans
la médecine dentaire moderne. Les patients prennent
leur apparence plus au sérieux et souhaitent retarder le
processus du vieillissement. Cette préoccupation inclus
aussi la santé bucco-dentaire. Or, les données disponibles indiquent avec une force probante relativement
élevée que l’usure dentaire est un phénomène lié à
l’âge qui est largement répandu. Pour les praticiens,
cela veut dire qu’un diagnostic précoce et la prévention
sont essentiels pour le bien-être des patients.
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Nouveau numéro 2012
La figure 3 montre une lésion d’usure typique du collet dans
le maxillaire. L’étiologie de cette lésion est incertaine; certains
investigateurs pensent qu’il s’agit d’une abrasion, d’autres
d’une érosion. La plupart pensent toutefois qu’il s’agit d’une
combinaison d’érosion et d’abrasion.
Pr David Bartlett
Floor 25, Guy’s Dental Hospital
London Bridge · London SE1 9RT · Grande-Bretagne
PROPHYLAXIEInfos
Numéro spécial érosion
Les érosions dentaires: bilan, diagnostic et facteurs de risque
Pr Dr Adrian Lussi, Clinique de stomatologie, Université de Berne, Suisse
Introduction
Cet article s’intéresse à l’aspect clinique des
érosions dentaires ainsi qu’aux facteurs de risque de
survenue de ces lésions. L’érosion dentaire est définie
comme une perte superficielle de tissus dentaires
durs causée par un processus chimique non bactérien
(Zipkin & McClure 1949). Le processus de l’érosion peut
être divisé en deux stades: la phase initiale se caractérise par un ramollissement de la surface dentaire dû à
une déminéralisation partielle. À ce stade, une reminéralisation reste possible, car l’émail restant sert de
structure pouvant accueillir à nouveau des substances
minérales. Dans un deuxième stade plus avancé, les
structures des couches superficielles de l’émail sont
complètement détruites et dissoutes. La reminéralisation de cet émail n’est alors plus possible. Une reminéralisation des tissus dentaires durs qui se trouvent plus
en profondeur et ne sont pas encore totalement
détruits, bien que déjà ramollis, peut néanmoins se
produire. Il existe généralement un équilibre entre les
processus de reminéralisation et de déminéralisation
dans la cavité buccale. Si l’action des acides prend le
pas sur les processus de réparation, des érosions dentaires se manifestent cliniquement. La perte des tissus
dentaires durs est accélérée en cas de présence également de processus d’abrasion et/ou d’attrition. Cet
article se penchera dans un premier temps sur le diagnostic de l’érosion, avant d’aborder les facteurs de
risque de cette maladie. Enfin, il décrira un indice de
dépistage simple.
Aspect clinique
Dans la phase initiale, on observe une déminéralisation importante de l’émail, dans laquelle aucun ramollissement de la surface n’est détectable cliniquement.
Les érosions avancées peuvent atteindre la dentine. Au
stade initial, les érosions vestibulaires présentent une
surface satinée, qui devient par la suite bosselée et étagée. Un halo d’émail persiste sur le bord marginal de la
couronne. La préservation de cet émail périphérique
s’explique d’une part par l’action des résidus de
plaque, qui servent de barrière de diffusion contre les
attaques acides, et, d’autre part, par celle du fluide gingival, qui neutralise les acides dans la zone gingivale
(Lussi et al. 2004). Les érosions dans la zone occlusale
entraînent l’arrondissement et le bosselage des cuspides, avec parfois une atteinte de la dentine (Fig. 1). Il
arrive couramment que les bords des obturations fassent saillie au dessus des tissus dentaires durs adjacents. Les érosions palatines s’accompagnent généralement d’une décalcification étendue des tissus dentaires
durs. La prise régulière de photographies ou de
modèles est recommandée pour suivre la progression
de l’érosion. Les illustrations 1 à 6 montrent des apparences typiques de l’érosion dentaire.
PROPHYLAXIEInfos
Fig. 1 (gauche): Dent 46 avec des dépressions sur les cuspides
buccales. Mis à part ce signe, la morphologie de la dent est
bien reconnaissable. Les érosions débutantes correspondent
au degré 1 de l’indice BEWE
Fig. 2 (droite): Patient atteint d’érosions généralisées. La dent
37 présente des érosions occlusales de degré 3 du BEWE. La
morphologie est presque complètement perdue. Les fissures
ne sont plus identifiables. Étiologie: reflux gastro-œsophagien.
Fig. 3: Vue latérale des dents 43 à 45, avec des érosions
débutantes de degré 1 du BEWE. La surface paraît satinée.
Légères dépressions sur la dent 44, en vestibulaire.
Fig. 4 (gauche): La dent 21 présente une érosion labiale de
degré 3 du BEWE. La structure de surface est perdue.
La dentine est exposée au niveau du collet, et un halo d’émail
persistant est visible. Étiologie: consommation fréquente de
fruits et de jus de fruits.
Fig. 5 (droite): Dent 43 présentant une dépression vestibulaire,
située au-dessus de la jonction amélo-cémentaire. Un halo
d’émail persistant est visible. Sur la dent 44, l’obturation à
l’amalgame dépasse sur les tissus dentaires adjacents. Comme
moins de la moitié de la surface dentaire est atteinte, cette
lésion correspond au degré 2 de l’indice BEWE. Étiologie:
consommation d’environ 1 kg de pommes par jour.
Nouveau numéro 2012
13
Numéro spécial érosion
Facteurs de risque
Facteurs de risque liés à l’alimentation
(voir page 7)
On sait depuis très longtemps que les aliments et les
boissons acides peuvent ramollir les tissus dentaires
durs. La part de sodas et de jus de fruits dans la
consommation globale de boissons est en hausse régulière en Europe et représente plus de 50 % des boissons
non alcoolisées consommées. Le potentiel érosif d’une
boisson ou d’un aliment est déterminé par plusieurs facteurs, c’est pourquoi deux boissons ou deux aliments de
même pH peuvent posséder un potentiel érosif différent. Plus le pouvoir tampon de la boisson ou de l’aliment est élevé, plus il faudra de temps pour que le pH
augmente à nouveau sous l’effet de la salive. La concentration en calcium et en phosphate d’une boisson ou
d’un aliment est très importante: des échantillons
d’émail trempés dans un jus d’orange du commerce
enrichi en calcium n’ont pas subi de ramollissement de
la surface de l’émail. Ce jus d’orange (pH 4) peut être
recommandé aux patients à risque élevé d’érosion.
Le yaourt est un autre exemple d’aliment qui, malgré son faible pH (environ 4), n’entraîne pas d’érosion.
Ceci est dû à sa concentration élevée en calcium et en
phosphate, entraînant une hypersaturation du yaourt
par rapport à la substance dentaire dure. Des échantillons d’émail déposés dans un yaourt à l’orange ont
présenté un durcissement de la surface de l’émail. En
revanche, le jus d’orange a entraîné un ramollissement
important de la dureté de l’émail (–209 sur l’échelle de
dureté Knoop) (Lussi & Jaeggi 2006). L’absence de
potentiel d’érosion a également été démontrée pour
l’eau minérale dans d’autres études (Parry et al. 2001).
Outre les propriétés des aliments et des boissons
érosifs dont il vient d’être question, d’autres facteurs
influent in vivo sur l’apparition d’érosions dentaires. Par
exemple, les propriétés de chélation des acides peuvent influer sur le processus d’érosion, d’une part par
l’interaction avec la salive, d’autre part par la dissolution directe des tissus dentaires durs. Jusqu’à 32 %
du calcium contenu dans la salive peuvent se lier à
l’acide citrique dans un complexe calcium-chélateurs
(Meurman & Ten Cate 1996).
Facteurs de risque liés au patient (voir page 7)
La façon de consommer les boissons ou les aliments
érosifs (par gorgées, en aspirant, avec ou sans paille)
détermine la durée et l’endroit de l’attaque acide, et
ainsi l’apparence des érosions (Millward et al. 1997;
Edwards et al. 1998; Johansson et al. 2004). La fréquence et la durée du contact avec des acides sont des facteurs très importants dans la destruction des tissus dentaires durs, et par conséquent dans l’instauration de
mesures préventives. Le contact des dents avec les
acides pendant la nuit peut également entraîner des
érosions, car la production de salive est réduite la nuit.
C’est pourquoi la consommation de boissons sucrées
acides, que certains enfants en bas âge boivent au
biberon pendant la nuit, peut entraîner non seulement
14
Nouveau numéro 2012
la formation de caries, mais aussi des destructions érosives massives des tissus dentaires durs. De la même
façon, le port nocturne d’une gouttière est contreindiquée chez les patients souffrant de reflux gastroœsophagien (RGO), car le temps de contact de l’acide
gastrique avec les dents est prolongé du fait que la
gouttière n’est pas étanche en tous points. Les autres
facteurs de risque possibles relevant du patient sont
l’anorexie et la boulimie, du fait des vomissements
répétés, ainsi que les troubles gastro-intestinaux chroniques accompagnés de RGO.
Fig. 6:
Patiente souffrant de reflux
gastro-œsophagien. Les érosions débutent typiquement
dans la région palatine. Sur
les dents 22 et 23, la dentine
est exposée sur toute la
surface palatine (degré 3 du
BEWE).
La prévalence de la boulimie chez les femmes âgées
de 18 à 35 ans dans les pays industrialisés occidentaux
est relativement élevée (5 %), et en hausse constante
(Cooper et al. 1987). La plupart des patients souffrant
d’anorexie mentale ont entre 12 et 20 ans. Dans cette
tranche d’âge, la prévalence de l’anorexie est de 2 %
(Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, DSM-III-R). Le diagnostic n’est généralement pas
difficile à poser chez les anorexiques très maigres. En
revanche, les patients boulimiques conservent généralement un poids normal, ce qui veut dire qu’il faut souvent
plusieurs années avant d’identifier la maladie. Les
vomissements chroniques sont habituellement responsables d’érosions sur les surfaces occlusales et buccales
des dents du maxillaire, notamment au niveau des incisives (Hellström 1977; Scheutzel 1992; Jones & CleatonJones 1989; Milosevic & Slade 1989; Robb et al. 1995).
Les érosions buccales et occlusales des dents du
maxillaire, une hypertrophie parfois douloureuse de la
parotide et parfois des glandes salivaires sous-mandibulaires due aux conséquences métaboliques du trouble
de l’alimentation, une xérostomie, des érythèmes sur les
muqueuses de la gorge et de la gencive, ainsi qu’une
rougeur et un œdème douloureux des lèvres accompagnés d’une desquamation et de l’apparition de rhagades, sont des symptômes fréquents chez les patients
boulimiques (Abrams & Ruff 1986). La présence de
ces signes ainsi que d’antécédents de santé et d’habitudes alimentaires doit éveiller une suspicion de boulimie de la part du dentiste. Le dentiste est souvent
le premier professionnel de santé à pouvoir identifier
la boulimie. Toutefois, le RGO avec des régurgitations
pendant le sommeil peut lui aussi entraîner des lésions
érosives graves. Ces patients ne constatent souvent leur
problème que lorsque leurs dents deviennent sensibles
au chaud et au froid du fait d’érosions déjà avancées.
Les autres symptômes sont des maux d’estomac, des
brûlures dans l’œsophage/la gorge et une sensation
acide dans la bouche.
PROPHYLAXIEInfos
Numéro spécial érosion
La salive est un autre facteur extrêmement important. Celle-ci offre des effets protecteurs contre les
attaques acides, tels que: dilution, décomposition et
neutralisation des acides; réduction de la décomposition de l’émail par la présence d’ions calcium et phosphate dans la salive; reminéralisation et formation
d’une pellicule (Zero & Lussi 2000; Järvinen et al. 1991;
Meurman et al. 1994; Lussi & Schaffner 2000;
Eisenburger et al. 2001; Feagin et al. 1969; Gedalia et
al. 1991; Zero et al. 1994). La formation plus ou moins
importante de cette pellicule au niveau de l’arcade
dentaire pourrait expliquer la distribution variable des
érosions (Amaechi et al. 1999). Au cours d’un essai
(immersion des dents dans du jus d’orange pendant
deux heures), les dents ayant une pellicule épaisse
(dents de la mandibule au niveau lingual) ont présenté
une érosion moindre par rapport aux dents ayant une
pellicule fine (dents antérieures du maxillaire au niveau
palatin), qui ont subi une forte érosion. En outre, la clairance des acides est meilleure dans la mandibule.
Évaluation du risque et prévention
Dès lors que des érosions sont constatées cliniquement ou en présence de signes d’un risque érosif élevé,
une évaluation précise du risque doit être entreprise
chez le patient en question. L’examen rapide de l’usure
érosive (BEWE = Basic Erosive Wear Examination) présenté récemment par Bartlett, Ganss et Lussi (Bartlett
et al. 2008) est bien adapté pour quantifier le risque
d’érosion.
Le BEWE permet d’évaluer rapidement les lésions
dues aux attaques acides dans une mâchoire. Il est facile à apprendre et aide l’examinateur à planifier la
suite de la prise en charge du patient. Toutes les dents,
sauf les dents de sagesse, sont examinées sur leurs
faces vestibulaires, occlusales et palatines, pour identifier des lésions dues aux acides. Les lésions érosives
d’une surface dentaire sont classées dans l’un des
quatre degrés de sévérité (Tab. 1): pas de perte de tissus dentaires durs (0); perte débutante de la structure
superficielle (1); perte prononcée de tissus (2); et perte
grave de tissus dentaires (3). La valeur la plus élevée de
chaque sextant est retenue (Tab. 2).
Degré
0
Pas de perte de tissus dentaires
1
Perte débutante de la structure superficielle
2*
Perte prononcée de tissus dentaires durs;
< 50 % de la surface
3*
Perte grave de tissus dentaires durs;
>
_ 50 % de la surface
Tab. 1: Examen de base des érosions dentaires – Critères d’évaluation
* Dans les degrés 2 et 3, la dentine est souvent exposée.
Évaluation BEWE
Degré le plus élevé
1er sextant (17–14)
Degré le plus élevé Degré le plus élevé
2 éme sextant (13 – 23) 3ème sextant (24 – 27)
Degré le plus élevé Degré le plus élevé Degré le plus élevé Somme
4ème sextant (37– 34) 5ème sextant (33 – 43) 6ème sextant (44 – 47)
Tab. 2: Examen de base des érosions dentaires – Degrés
PROPHYLAXIEInfos
La somme de ces valeurs définit le degré de sévérité des lésions dues aux attaques acides et permet de
formuler des recommandations pour la prise en charge
ultérieure du patient (Tab. 3).
La perte d’émail/l’exposition de la dentine n’est en
principe pas évaluée. D’une part, cette évaluation est
délicate; d’autre part, l’atteinte de la dentine n’est pas
systématiquement corrélée au degré de sévérité de la
lésion, car la couche d’émail n’a pas la même épaisseur
partout. La dentine est beaucoup plus vite exposée au
niveau du collet ou des fissures. En renonçant à cette
évaluation, on élimine une source d’erreur possible et
simplifie la comparaison des données de différents examinateurs. De plus, cet indice peut être utilisé aussi bien
sur le patient que sur des modèles ou des photographies.
La fréquence de l’évaluation BEWE dépend de la
sévérité, des facteurs étiologiques ainsi que des autres
facteurs de risque individuels. Chez les patients exposés
à des acides d’origine intrinsèque ou à des acides d’origine extrinsèque couramment et/ou fortement érosifs, la
mesure doit être répétée tous les 6 mois. Dans les autres
cas, un intervalle de 12 mois ou plus suffit (voir Tab. 3).
Les autres facteurs déjà abordés doivent également
être analysés et évalués. Une discussion détaillée avec
le patient peut apporter des informations utiles sur
l’étiologie des érosions. Mais un interrogatoire n’est
souvent pas suffisant, car le patient n’a pas conscience
des attaques acides subies. Il peut être indiqué d’examiner minutieusement différents paramètres. Il est ainsi
important de demander au patient d’inscrire en détail
dans un journal les aliments qu’il consomme sur
quelques jours. Il importe de connaître quels types
d’aliments et de boissons à potentiel érosif ont été
consommés, en quelles quantités et à quel moment
(repas principaux, grignotage). Une analyse de la salive
(flux salivaire, pouvoir tampon) est toujours indiquée
chez les patients atteints d’érosion. Ces informations
permettront de formuler des conseils de prévention
concrets pour chaque patient (Tab. 4).
Dans le cas d’une exposition à des acides d’origine
extrinsèque, comme dans le cas de l’anorexie, de la
boulimie ou du reflux gastro-œsophagien, il faut instaurer un traitement causal général. Les patients anorexiques ou boulimiques requièrent une prise en charge
par un psychologue ou un psychiatre. Chez ceux
atteints de RGO, un diagnostic étiologique s’impose
pour connaître les causes et les traiter (par des médicaments ou par la chirurgie).
Chez les patients présentant des lésions érosives
actives, une instruction en hygiène bucco-dentaire
paraît judicieuse: il faut leur conseiller de ne pas brosser les dents immédiatement après une exposition à
des acides. Toutefois, il ne faut pas oublier que les
caries restent le problème principal, et leur prévention
impose un brossage immédiatement après les repas. Il
est donc important que des conseils préventifs individualisés soient prodigués par un professionnel. C’est le
seul moyen pour que des mesures préventives adaptées soient instaurées et suivies.
Nouveau numéro 2012
15
Numéro spécial érosion
Degré de sévérité
de l’érosion
Somme de tous
les sextants
Pas d’érosion
<
_2
Prise en charge
• Sensibilisation et suivi
• Répétition du BEWE tous les 3 ans
Peu d’érosions
3–8
• Instructions d’hygiène bucco-dentaire, bilan alimentaire et conseils, sensibilisation
et suivi
• Répétition du BEWE tous les 2 ans
Érosions
prononcées
9 –13
• Instructions d’hygiène bucco-dentaire, bilan alimentaire et conseils, détermination
du facteur étiologique principal et suppression de l’exposition aux acides
• Recommandation de mesures de fluoration ou d’autres stratégies pour
augmenter la résistance des tissus dentaires durs
• Si possible, éviter les mesures de restauration. Enregister ou noter la situation actuelle
avec des modèles d’étude, des prises d’empreinte en silicone et des photographies.
• Répétition du BEWE tous les 6 à 12 mois
Érosions graves
>
_ 14
• Instructions d’hygiène bucco-dentaire, bilan alimentaire et conseils, détermination
du facteur étiologique principal et suppression de l’exposition aux acides
• Recommandation de mesures de fluoration ou d’autres stratégies pour augmenter
la résistance des tissus dentaires durs
• Si possible, éviter les mesures de restauration. Enregister ou noter la situation actuelle
avec des modèles d’étude, des prises d’empreinte en silicone et des photographies.
• Suivi particulier en cas de progression rapide des érosions.
Éventuellement, envisager des mesures de restauration.
• Répétition du BEWE tous les 6 à 12 mois
Tab. 3: Groupes de risque et recommandations de prise en charge. Les recommandations de prise en charge des patients ne sont pas des
directives, car les avis des experts divergent fortement sur ce point.
Locales:
• Contrôle de la consommation d’acides:
– Si possible, réduire la consommation d’aliments
acides, et les limiter à un nombre minimal de
repas
• Contrôle du temps de contact des acides:
– Boire rapidement les boissons en question
– Après la consommation d’une source d’acides,
rincer la bouche à l’eau ou avec une solution
fluorée faiblement concentrée
– Après l’exposition à des acides, mastiquer du
chewing-gum doux pour stimuler le flux salivaire
• Contrôle de l’hygiène bucco-dentaire:
– Ne pas se brosser les dents immédiatement
après une exposition à des acides
– Brosse à dents souple
– Dentifrice faiblement abrasif
– Dentifrice fluoré
– Technique de brossage douce
– Appliquer régulièrement des fluorures très
concentrés (peu acides) pendant quelques
minutes
Générales: • Instauration d’un traitement causal en cas
d’exposition à des acides intrinsèques:
– Suspicion de reflux: référer le patient à un
gastro-entérologue
– Patients anorexiques/boulimiques: conseiller
une prise en charge par un psychologue ou un
psychiatre
Tab. 4: Mesures préventives. Les conseils suivants sont valables
pour les patients déjà atteints d’érosions ou présentant un
risque d’érosion élevé.
16
Nouveau numéro 2012
Dans tous les cas, un dentifrice faiblement érosif,
une brosse à dents souple et une technique de brossage douce doivent être utilisés.
Résumé
Cet article aborde l’étiologie multifactorielle de
l’érosion dentaire. L’aspect clinique et les facteurs de
risque de l’érosion, ainsi qu’une nouvelle méthode
simple d’évaluation de la perte de tissus dentaires durs
y sont décrits en détail. Cette méthode est simple à
mettre en œuvre, car sa procédure s’apparente à celle
de l’examen parodontal de base. Il est important de
déterminer si les lésions sont causées en premier lieu
par un processus d’érosion ou d’abrasion. Les antécédents, le bilan et le diagnostic correct sont également
des conditions indispensables à une prévention et un
traitement adaptés. Le bilan alimentaire peut fournir
des informations sur les habitudes alimentaires ou les
compléments alimentaires. D’autres bilans, tels que la
détermination du flux, du pH et du pouvoir tampon
de la salive, sont essentiels pour apprécier le risque
d’érosion d’un patient (Lussi 2006).
Pr Dr Adrian Lussi
Clinique de stomatologie · Université de Berne
Freiburgstrasse 7 · 3010 Berne · Suisse
PROPHYLAXIEInfos
Numéro spécial érosion
Facteurs de risque et directives pour l’évaluation du risque
Dr Annette Wiegand, Université de Zurich, Suisse
L’identification des facteurs de risque potentiels de
survenue d’érosions dentaires est nécessaire pour pouvoir instaurer des mesures préventives adaptées ou un
traitement qui tient compte de l’étiologie. Les érosions
apparaissent sous l’action d’acides extrinsèques (par
ex. boissons, aliments) ou intrinsèques (par ex. acide
gastrique), et l’étendue de la déminéralisation érosive
est modulée par divers facteurs (relevant de l’hôte), tels
que les paramètres salivaires. Outre la description des
facteurs de risque, cet article abordera également les
différentes maladies générales associées à l’apparition
fréquente d’érosions.
Facteurs de risque extrinsèques
une période prolongée présentent eux aussi un risque
accru d’érosions dentaires (Chikte et al. 2005). Enfin,
une prévalence accrue d’érosions a pu être observée
chez les nageurs professionnels (Centerwall et al. 1986),
et leur risque d’érosion semble s’expliquer par une
chloration non conforme de l’eau (pH plus faible)
(Gabai et al. 1988).
Aujourd’hui, les lésions dues au comportement alimentaire représentent vraisemblablement la forme la
plus fréquente d’érosions dues à des facteurs extrinsèques, ce qui veut dire que la présence d’érosions sur
les faces vestibulaires des dents antérieures du maxillaire (Fig. 1) doit faire penser à une érosion d’origine
alimentaire.
Les érosions dentaires sont souvent causées par
l’alimentation et reflètent la consommation fréquente
d’aliments et de boissons acides. Une consommation
plus importante de boissons sportives et rafraîchissantes ou d’agrumes peut être observée tout particulièrement chez les sportifs ou les patients soucieux de leur
santé par exemple. Les patients souffrant de troubles
du comportement alimentaire présentent aussi souvent
un régime alimentaire modifié (par ex. consommation
importante de boissons allégées en sucre, apport de
vinaigre).
Le potentiel érosif d’une boisson ou d’un aliment
est déterminé par sa fréquence d’ingestion et par la
façon dont il est consommé (par ex. les habitudes de
boisson, par gorgées, avec une paille, par agitation de
la boisson dans la bouche) (Zero & Lussi 2006). De plus,
le potentiel d’érosion dépend aussi du pH, de l’acidité
titrable, du pouvoir tampon et de la concentration en
substances minérales de l’aliment (Lussi & Jaeggi
2006). Pour obtenir de plus amples informations sur
le sujet de l’érosion et de l’alimentation, nous vous
invitons à consulter l’article du Dr van Oost.
Outre les facteurs de risque relevant du régime alimentaire, certains médicaments acides, comme l’acide
acétylsalicylique ou la vitamine C, peuvent accroître le
risque d’érosion dentaire, notamment s’ils sont pris
régulièrement et sous la forme de comprimés à croquer
(Hellwig & Lussi 2006; Hannig & Albers 1993).
Fréquentes par le passé, les érosions liées à une
exposition professionnelle sont aujourd’hui plus rares
car des mesures de sécurité et de santé au travail adaptées sont appliquées. Diverses études ont néanmoins
montré qu’en l’absence de mesures de sécurité et de
santé au travail, certains corps de métier (par ex. usines
de galvanisation ou de munition) sont sujets à un risque
d’érosion plus élevé, car l’exposition aux acides et aux
vapeurs acides y est plus importante (Wiegand & Attin
2007). Les dégustateurs de vin professionnels qui
pratiquent des dégustations fréquemment et pendant
PROPHYLAXIEInfos
Fig. 1: Érosions vestibulaires des dents antérieures du maxillaire, causées par une exposition à des acides extrinsèques
Facteurs de risque intrinsèques
Les érosions d’origine intrinsèque sont souvent provoquées par le passage fréquent d’acide gastrique ou
du contenu gastrique acide dans la bouche. Elles sont
observées notamment chez les patients atteints de
boulimie ou d’anorexie, d’alcoolisme ou de reflux
(Bartlett 2006).
La prévalence des troubles du comportement alimentaire est estimée à 0,5 à 3 %. Ils touchent généralement les jeunes femmes âgées de 15 à 25 ans. Les
vomissements chroniques sont responsables d’érosions
au niveau des faces occlusales et buccales des dents.
Diverses études ont démontré que ce groupe de patients était sujet à la survenue significativement plus
fréquente de lésions non carieuses des tissus dentaires
durs (Robb et al. 1991; Milosevic & Slade 1989). De
plus, une oligosialie est souvent diagnostiquée chez
les patients atteints de troubles alimentaires: celle-ci
est due à la déshydratation généralisée liée à la perte
de poids, ou est un effet secondaire de la prise de
psychotropes, et elle favorise l’érosion (voir «Facteurs
relevant de l’hôte») (Imfeld & Imfeld 2005).
Nouveau numéro 2012
17
Numéro spécial érosion
L’alcoolisme chronique s’accompagne aussi de
vomissements fréquents et peut déclencher un reflux
gastro-œsophagien, ce qui augmente le risque de survenue de lésions érosives. Robb & Smith (1990) et
Hede (1996) ont observé une prévalence accrue d’érosions dentaires chez les patients souffrant d’une dépendance à l’alcool par rapport à des sujets témoins en
bonne santé.
Alors que les troubles de l’alimentation et l’alcoolisme s’observent généralement chez les adolescents
et/ou les adultes, le reflux peut survenir dès l’enfance et
provoquer des érosions (Fig. 2) (Ersin et al. 2006).
Fig. 2: Érosions sur des dents temporaires
Souvent, les érosions causées par le reflux passent
longtemps inaperçues et ne sont décelées par le patient que lorsque des hypersensibilités douloureuses
apparaissent. Le degré de sévérité du reflux semble
être en corrélation avec l’étendue de l’érosion
(Moazzez et al. 2004; Meurman et al. 1994).
Dans les érosions d’origine intrinsèque, il faut savoir
que le dentiste est souvent la première personne en
mesure de poser un diagnostic, du fait de l’aspect clinique des symptômes (érosions localisées sur les faces
palatines/linguales et occlusales, Fig. 3); il devrait par
conséquent établir un bilan médical général.
Fig. 3: Érosions dues à des facteurs intrinsèques dans le
maxillaire
18
Nouveau numéro 2012
Facteurs relevant de l’hôte
La survenue d’érosions est déterminée, outre la
nature et la fréquence de l’exposition à des acides, par
différents facteurs relevant du patient. Ainsi, la salive
joue un rôle important: au cours d’une attaque acide,
en formant une pellicule, elle a des effets protecteurs
en diluant et en neutralisant les acides. Après une attaque acide, la salive possède un pouvoir de réparation
en fournissant des substances minérales qui pénètrent
dans la surface déminéralisée (Hara et al. 2006). Un
certain nombre de maladies générales (maladies des
glandes salivaires, radiothérapie de la tête et du cou,
syndrome de Gougerot-Sjögren, diabète, insuffisance
rénale chronique) et les effets indésirables de certaines
substances (psychotropes, anti-cholinergiques, antihistaminiques, anti-émétisants, anti-parkinsoniens, toxicomanie) (Tredwin et al. 2005) s’accompagnent d’une
réduction de la sécrétion salivaire et augmentent par
conséquent le risque d’érosion.
Les pertes érosives des tissus durs s’accompagnent
d’un ramollissement de la surface dentaire, associé à
une diminution de la résistance contre les facteurs
mécaniques (Attin et al. 1997). Les surfaces de l’émail
et de la dentine déminéralisées par l’érosion peuvent
être endommagées encore plus par des facteurs abrasifs (par ex. brossage des dents, broyage des aliments).
Un brossage excessif immédiatement après un contact
avec des acides ou l’utilisation d’un dentifrice très abrasif peut favoriser la progression de la lésion.
Évaluation du risque
Un bilan diagnostic précoce des lésions non
carieuses des tissus dentaires durs est nécessaire pour
instaurer des mesures préventives adaptées et éviter
ou retarder la nécessité d’un traitement invasif (par ex.
traitement restaurateur). C’est pourquoi le dentiste
devrait déjà s’attarder sur les lésions initiales dans le
cadre du bilan. Un examen minutieux des antécédents
doit dans un premier temps être effectué pour évaluer
les facteurs de risque potentiels (voir tableau). Dans le
cadre de cet interrogatoire, on peut demander au
patient de tenir un «journal alimentaire» qui permettra
d’identifier les boissons et les aliments possédant un
potentiel érosif.
La survenue d’érosions dont la localisation clinique
(palatine/linguale) suggère la présence d’une maladie
gastro-intestinale ou d’un trouble du comportement alimentaire impose une clarification étiologique dans le
cadre d’une prise en charge par un généraliste ou un
psychologue. Pour contrôler la fonction des glandes
salivaires, un test salivaire doit être effectué en plus, qui
déterminera le flux salivaire ainsi que le pH et le pouvoir tampon. Enfin, il est recommandé de documenter
les lésions existantes (indice d’érosion, photographies
et/ou modèles) afin de suivre la progression éventuelle
des lésions.
PROPHYLAXIEInfos
Numéro spécial érosion
Alimentation
Fréquence de la consommation de boissons érosives (jus de fruits, sodas,
boissons sportives, alcopops) et d’aliments érosifs (agrumes, cornichons au
vinaigre, bonbons, vinaigrette), éventuellement journal alimentaire
Maladies générales
Troubles gastro-intestinaux (reflux)
Troubles du comportement alimentaire
Alcoolisme
Maladies compromettant la fonction des glandes salivaires
Maladies des glandes salivaires
Radiothérapie de la tête et du cou
Syndrome de Gougerot-Sjögren
Diabète
Insuffisance rénale chronique
Médicaments
Médicaments acides (acide acétylsalicylique, vitamine C)
Réduction de la sécrétion salivaire comme effet indésirable de
– psychotropes
– anti-cholinergiques
– anti-histaminiques
– anti-émétisants
– anti-parkinsoniens
– toxicomanie
Comportement /
Environnement
Exposition professionnelle à des acides
Sport (natation, consommation élevée de boissons sportives à potentiel érosif)
Antécédents à prendre en compte pour comprendre les lésions érosives
Dr Annette Wiegand
Clinique de médecine dentaire préventive, de parodontologie
et de cariologie · Université de Zurich
Plattenstrasse 11 · 8032 Zurich · Suisse
Méthodologie pour l’examen de l’érosion dentaire
Pr Dr Marie-Charlotte Huysmans, UMC St-Radboud, Nimègue, Pays-Bas
Introduction
Si l’on compare les érosions dentaires et les caries,
on constate que la recherche sur l’érosion est relativement jeune et que les données disponibles sont lacunaires. Dans ce domaine encore très peu étudié,
quelques travaux de recherche ont apporté des
connaissances tout à fait pertinentes. Malheureusement, les conclusions ne sont que difficilement transposables dans la pratique clinique.
Études cliniques
La plupart des études cliniques menées à ce jour sur
l’érosion dentaire se sont focalisées avant tout sur la
prévalence et les facteurs de risque de cette maladie.
PROPHYLAXIEInfos
Les résultats des études épidémiologiques et des
études «cas-témoins» dépendent essentiellement de
la méthodologie utilisée pour diagnostiquer l’érosion.
Cet article abordera quelques-uns des problèmes inévitables liés à la grande variabilité des méthodes de
diagnostic employées.
La documentation scientifique fournit des chiffres
extrêmement variables sur la prévalence de l’érosion
dentaire. Cette grande marge de fluctuation est certainement attribuable, du moins en partie, aux différences
dans les critères diagnostiques utilisés. Ainsi, deux
études réalisées en Grande-Bretagne auprès d’adolescents âgés de 14 ans ont rapporté des prévalences
d’érosions dentaires de 9 % (Dugmore & Rock 2004) et
de 53 % (Bardsley et al. 2004). L’une des différences
Nouveau numéro 2012
19
Numéro spécial érosion
manifestes entre ces deux études tient par exemple au
fait que la deuxième a inclus les bords incisifs des incisives dans l’évaluation. Or, on peut certainement se
demander si l’usure des bords incisifs est réellement un
indicateur fiable d’érosion dentaire ou si elle n’est pas
plutôt due à une abrasion.
raison de limites financières et temporelles, il est pourtant inévitable de travailler dans un premier temps sur
des modèles très simplifiés, avant d’étudier des hypothèses ciblées à l’aide de modèles plus complexes.
La validation finale intervient toujours dans les études
cliniques.
Les études en coupe longitudinale permettent de
mettre à jour un lien éventuel entre des facteurs de
risque préexistants et l’incidence de l’érosion; si une
corrélation positive est prouvée, alors une relation causale devient plausible. Un tel lien a été mis à jour entre
la présence de facteurs de risque à l’âge de 12 ans et
la manifestation d’érosions à 14 ans (Dugmore & Rock
2004).
On peut s’attendre à ce qu’à l’avenir, des études
contrôlées randomisées soient aussi menées dans le
domaine de la prévention et du traitement des érosions. Néanmoins, l’étude in vivo de nombreux aspects
de l’érosion dentaire, pour des raisons pratiques et
éthiques, est impossible ou alors impose de vastes travaux précliniques en amont. L’étude du potentiel érosif
des sodas chez des sujets humains n’est pas justifiable
d’un point de vue éthique, car les pertes de tissus dentaires qu’elle implique seraient irréversibles de même
que l’utilisation de traitements préventifs avant que leur
efficacité n’ait été démontrée. Pour toutes ces raisons,
des modèles de laboratoire et des modèles in situ ont
été mis au point.
Études sur des modèles
Les modèles sont conçus pour reproduire la réalité
de façon simplifiée, en vue d’étudier de manière ciblée
d’importants paramètres en conditions contrôlées. Il
faut toujours envisager un compromis entre les contrôles (avec le risque d’une simplification à outrance)
et la pertinence clinique des données recueillies. Toute
simplification de la réalité s’accompagnerait d’un risque
inévitable de compliquer ou de limiter la transposabilité des données dans la situation clinique. Les études
sur l’érosion dentaire rencontrent une autre difficulté:
les paramètres influant sur la pertinence clinique ne
sont en réalité pas du tout connus. De plus, nous ne
savons pas si la variable étudiée n’aura pas, en conditions cliniques, une interaction avec un facteur
(d’influence) non pris en compte dans le modèle.
Par exemple, le modèle utilisé pour étudier le
potentiel érosif des sodas est généralement extrêmement simplifié : la méthode consiste simplement à laisser agir des sodas sur des échantillons d’émail dentaire
dans une éprouvette (Fig. 1). Le modèle ne comporte
que très rarement une «pellicule» (précipitation qui se
forme à la surface de la dent, constituée d’une protéine
salivaire et de cellules épithéliales desquamées), ce qui
veut dire qu’on suppose d’emblée que les effets protecteurs de cette pellicule sont identiques pour tous les
sodas, et donc le potentiel érosif n’est pas influencé. En
20
Nouveau numéro 2012
Fig. 1: Test simple du potentiel érosif: échantillon d’émail
dentaire de bœuf enchâssé, trempé dans 1 ml de soda dans
une éprouvette. La dissolution et la libération de calcium de
l’émail sont ensuite mesurées par spectrométrie d’absorption
atomique (SAA).
Trois aspects principaux de l’érosion ont été étudiés
à ce jour sur des modèles:
1. Détermination du potentiel érosif
Quel est le pouvoir érosif des différentes boissons,
par exemple?
2. Étude des traitements préventifs
Quels sont les effets préventifs de certains traitements?
3. Étude des processus pathologiques sous-jacents
Que subissent les tissus dentaires lors d’une exposition à des substances potentiellement érosives?
Avant de se pencher en détail sur ces trois
domaines d’étude et sur leur méthodologie spécifique,
il importe de répondre encore à une interrogation fondamentale: quel genre de tissus faut-il utiliser pour les
études?
Sélection de tissus adaptés
Le support le plus souvent utilisé dans les études
sur l’érosion dentaire est l’émail dentaire: ce choix se
justifie probablement d’une part, par le fait qu’il s’agit
du tissu le premier atteint dans le processus pathologique clinique de l’érosion, et, d’autre part, parce que
l’émail est relativement simple à étudier. Des couches
de tissus sont «érodées» au cours du processus d’érosion, la couche supérieure subissant un ramollissement.
Cet aspect est pris en compte par certaines mesures de
l’érosion (méthodes chimiques et de microradiographie), et ne l’est pas par d’autres (profilométrie), ce qui
veut dire que la méthode de mesure peut influer sur les
résultats (Barbour & Rees 2004).
PROPHYLAXIEInfos
Numéro spécial érosion
L’utilisation d’émail dentaire de bœuf comme
modèle de l’émail humaine est largement répandue
dans la recherche sur les caries (Featherstone &
Mellberg 1981). In vitro, l’émail bovin s’est avéré être
plus sujet à l’érosion et plus sensible à une combinaison
d’érosion et d’abrasion (Attin et al. 2007). Par ailleurs,
l’émail bovin peut réagir un peu différemment de
l’émail humain aux traitements fluorés (Hove et al.
2007). Mais dans une étude in situ récente sur l’érosion,
les deux tissus ont présenté un schéma de réaction très
similaire face à différents traitements (Rios et al. 2006).
Moins fréquemment utilisée, la dentine présente
une structure plus complexe et son étude est donc plus
contraignante. Récemment, les chercheurs ont découvert que le processus d’érosion dans la dentine était
différent du processus dans l’émail, ce qui implique
également qu’il doit être étudié différemment. En
milieu acide, les substances minérales sont «érodées»
de la dentine, alors que la matrice organique reste relativement insensible. Cette matrice organique a pourtant un impact sur la progression de l’érosion, en formant une barrière de diffusion et en servant de site
possible de reminéralisation (Ganss et al. 2004b).
Ces facteurs ont été observés dans des études
impliquant une longue exposition à des acides avec et
sans élimination enzymatique de la matrice. Mais on ne
sait pas à ce jour comment ces processus se passent
sous des conditions cliniques. Dans tous les cas, il faut
savoir que cette couche de matrice, comme d’ailleurs la
couche d’émail ramollie, perturbe les mesures profilométriques, aussi bien dans la profilométrie tactile que
dans celle sans contact (Ganss et al. 2007b), à la fois
de façon prédictible (car elle est incluse dans le profil)
et moins prédictible parce (qu’elle rétrécit au séchage
ou parce que la profondeur de pénétration du stylet
n’est pas connue).
Étude du potentiel érosif
Les méthodes utilisées pour l’évaluation du potentiel érosif des boissons, des médicaments et d’autres
substances sont très différentes. Dans une étude
actuelle, il a été montré que la méthode de mesure
(chimique ou profilométrique) ainsi que le mode
d’exposition (exposition répétée à de petites quantités
ou exposition unique à une grande quantité de boisson) peut influer sur le résultat de la mesure du potentiel érosif (Jager et al. 2008). Dans la documentation,
les temps d’exposition utilisés sont compris entre
quelques minutes (Lussi et al. 1995) et plusieurs heures
(Jensdottir et al. 2005). Dans les études utilisant des
temps de contact courts, les méthodes de mesure
employées se fondent sur le paramètre «ramollissement de l’émail», à savoir sur la détermination de
la microdureté de surface ou de la nano-indentation
(Fig. 2) (Barbour et al. 2006).
PROPHYLAXIEInfos
Dans les études avec des temps d’exposition plus
longs, en revanche, les chercheurs recourent à des
techniques mesurant l’étendue de la perte de la couche
de surface avec ou sans ramollissement simultané, à
savoir la profilométrie, la détermination de la diminution de poids ainsi que la microradiographie (Barbour
et al. 2006; Jensdottir et al. 2005). Bien que la pertinence clinique des différentes méthodes ne soit pas encore
suffisamment démontrée, les données obtenues après
une exposition courte et après une exposition prolongée présentent, contre toute apparence, une bonne
corrélation (Barbour et al. 2006).
µm
Fig. 2: Vue au microscope à force atomique de la nano-indentation de l’émail dentaire érodé (avec l’aimable autorisation
de M. E. Barbour)
Les autres paramètres d’exposition sont des facteurs influant sur l’érosion, à savoir entre autres la température et le flux du liquide testé (Shellis et al. 2005;
Barbour et al. 2006). Il existe manifestement dans ce
domaine une nécessité de standardiser les méthodes
d’étude. Actuellement, le nombre de données disponibles pour les différentes méthodes est pourtant encore limité. Une comparaison entre l’exposition in vitro et
l’exposition in situ a permis de conclure que l’érosion in
situ progressait nettement plus lentement, et on peut
donc tabler sur une progression plus lente du processus
d’érosion en conditions cliniques. La même étude a
fourni des éléments suggérant que les études in vitro
ne permettaient pas de prédire avec beaucoup de
fiabilité les résultats in situ (Hunter et al. 2003).
Étude sur les traitements préventifs
Dans ce domaine aussi, les méthodes utilisées
jusque-là sont très variables, et elles dépendent souvent des modalités de traitement prévues. Les études
effectuées sur les traitements prévus pour une utilisation fréquente à domicile par le patient recourent à des
essais avec une action unique ou à un schéma en cycles
Nouveau numéro 2012
21
Numéro spécial érosion
avec des traitements répétés (Hove et al. 2007; Lennon
et al. 2006). Pour les traitements professionnels, tels
que l’application d’un vernis dentaire, par exemple, on
emploie généralement un mode d’application cyclique,
censé également permettre la détermination de la
durée de persistance de l’effet thérapeutique (Vieira et
al. 2005). Ici, évaluer la pertinence clinique de chacune
des méthodes s’avère encore plus délicat. En effet, les
différences dans les résultats obtenus, par exemple une
absence d’effet comparativement à un effet prononcé
de solutions TiF4 ou de la pellicule salivaire, pourraient
être dues notamment à des différences dans la méthode sélectionnée, telle que la stimulation de la sécrétion
salivaire comparativement à l’absence de stimulation,
ou encore à des différences dans le mode d’administration ou dans la durée du traitement fluoré (Wiegand et
al., en cours d’impression). Certaines études in situ
menées récemment (Fig. 3) ont montré qu’une fluoration intense à l’aide de préparations fluorées acides
serait possiblement plus efficace que les résultats des
études in vitro le laissaient croire (Ganss et al. 2004a;
Hove et al. 2008).
Les observations cliniques suggèrent toutefois une
disposition accrue de la dentine à l’usure érosive (Bell
et al. 1998). On peut en conclure que cette couche
s’userait sous l’action d’effets mécaniques et/ou enzymatiques.
Fig. 4: Échantillon d’émail dentaire bovin après exposition à
de l’acide citrique pendant 5 minutes, observé au microscope
à balayage électronique. Couche ramollie à environ 3 µm sous
la surface.
La sensibilité de la couche d’émail ramollie a certes
été mise à jour in vitro (Davis & Winter 1980), mais le
rôle du brossage (et du moment du brossage) en conditions cliniques reste incertain (Ganss et al. 2007a; Vieira
et al. 2007). Les données disponibles dans la documentation relatives à l’impact du brossage sur la dentine
après une érosion sont elles aussi variables (Attin et al.
2004; Ganss et al. 2007b). À nouveau, de nombreux
paramètres relatifs au protocole d’essai peuvent expliquer la variabilité des résultats (entre autres, la méthode de mesure, voir ci-dessus).
Fig. 3: Dispositif palatin avec échantillons d’émail dentaire
utilisé dans les études in situ
Étude des processus pathologiques
sous-jacents
Dans les études conduites dans les deux domaines
cités ci-dessus, certains aspects de la pathologie érosive sont souvent étudiés simultanément. La formation
d’une couche ramollie dans l’émail dentaire (Fig. 4) ou
d’une matrice de collagène dans la dentine, ainsi que le
lien avec l’usure mécanique ultérieure, par ex. pendant
le brossage, ont une grande importance. D’après les
résultats de quelques études in vitro, la dentine s’érode
plus lentement que l’émail dentaire (Schlüter et al.
2007; Wetton et al. 2007), ce qui est dû à la formation
de la matrice qui sert de barrière de diffusion.
22
Nouveau numéro 2012
Conclusion
Les modèles de laboratoire peuvent contribuer de
façon essentielle à comprendre le processus de l’érosion et à étudier un grand nombre de paramètres. Si
l’utilisation de différentes méthodes a certes enrichi
nos connaissances en la matière, une certaine standardisation serait toutefois souhaitable pour pouvoir faire
des comparaisons. Une grande prudence s’impose
dans la transposition des données in vitro dans la pratique clinique: celles-ci devraient d’abord être validées
dans des modèles in situ, puis dans le cadre d’études
cliniques.
Pr Dr Marie-Charlotte Huysmans
UMC St-Radboud · Faculteit Medische Wetenschapen
Postbus 9101 · 6500 HB Nijmegen · Pays-Bas
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Numéro spécial érosion
Coup de projecteur sur une alimentation saine
(pour les dents): les aliments acides!
Dr Gerta van Oost, Dormagen, Allemagne
Une alimentation saine pour des
dents saines
Une alimentation équilibrée contenant des céréales,
des légumes (crus ou cuits), des fruits frais, des produits
laitiers, du poisson, de la viande et des œufs, des noix
ou des graines, des huiles et des boissons, et surtout
de l’eau, est indispensable au maintien d’une bonne
condition physique. Les nutriments, comme les hydrates de carbone et les fibres alimentaires, les acides
gras, les minéraux, les vitamines et les matières végétales secondaires que l’on trouve dans les aliments, sont
indispensables à la croissance physique et une bonne
santé.
L’eau et les boissons représentent la moitié de
l’apport total quotidien et même plus les jours de
chaleur en été où les besoins hydriques sont élevés.
Il doit être compris entre 1500 et 2000 ml par jour.
Parmi les aliments d’origine végétale, les produits
complets, les légumes et les fruits jouent un rôle
préventif déterminant. Le lait, en particulier les produits
laitiers fermentés comme le yaourt, le képhyr et le lait
caillé sont parmi les aliments d’origine animale les plus
importants pour la santé. La viande, le poisson et les
œufs ne représentent que 7 % environ de la consommation journalière.
Chez un adulte, l’apport journalier en aliments
recommandés peut, par exemple, être constitué des
éléments suivants: 150 à 300 g environ de pain/produits à base de céréales, 150 à 250 g de pommes de
terre/riz/pâtes, 650 à 800 g de légumes et de fruits, 250
à 300 g de produits laitiers, 100 à 150 g de viande/
poisson/œufs, 25 à 45 g d’huile ou de matière grasse,
soit au total 1500 à 2000 g, soit la quantité de liquide
recommandée.
Nous consommons les aliments ci-dessus généralement en trois principaux repas et deux collations. Le
nombre de repas dépend de l’âge, du poids corporel,
de la profession, des loisirs ou des maladies. Chez un
adulte en bonne santé, il est conseillé de faire 3 repas
par jour, ce qui est idéal également pour la prophylaxie
dentaire. Les enfants ont besoin de deux collations
supplémentaires. Un verre d’eau doit être consommé
à chaque repas. Les repas principaux et les collations
doivent comprendre en priorité un aliment d’origine
végétale. Un accompagnement rassasiant, comme le
pain, les pommes de terre, le riz ou les pâtes, doit figurer à chaque repas principal. Parmi les collations recommandées, on peut citer les yaourts (aux fruits ou natures), les pommes, les noix ou le pain accompagné de
fromage. Les aliments sucrés doivent être consommés
de façon exceptionnelle.
PROPHYLAXIEInfos
En revanche, tout ce qui est bon pour l’organisme
n’est pas forcément bon pour les dents, en particulier
en cas de mauvaises habitudes alimentaires ou d’erreurs nutritionnelles. Il convient d’appliquer quelques
«règles de comportement» en matière de prophylaxie
bucco-dentaire.
Le facteur de risque acide
Une portion quotidienne de fruits et de légumes est
indissociable d’un style de vie moderne, performant et
actif. Une alimentation légère, riche en vitamines et en
Aliments et
boissons acides
Fruit à noyau
et boissons
correspondantes
Agrumes et boissons
correspondantes
Exemples
Acides
aromatisants
correspondants
Potentiel
érosif
pomme, poire
acide malique
oui
orange,
pamplemousse
acide citrique
oui
Légumes et jus
de légumes
tomate
carotte
rhubarbe
acide citrique
acide malique
acide citrique,
malique, oxalique
oui
oui
oui
oui
Légumes marinés
cornichons
betterave
acide acétique
oui
Légumes fermentés
dans l’acide lactique
chou saumuré
acide lactique
oui
Vinaigre
acide malique
vinaigre de vin
acide acétique
oui
Produits laitiers
fermentés
yaourt, képhir, lait
caillé
acide lactique
non
(teneur
élevée en
calcium)
Sucreries/Confiseries
bonbons acidulés acides citriques
bonbons gélifiés
vinaigre de vin
boules de gomme
Thé glacé
Boisson au cola
Limonades
Concentré de limonade
Boissons énergétiques
et bien-être
Boissons isotoniques
pour sportifs
Thés aux fruits
Thé kombucha
Boissons aux céréales
fermentées, kwas
Boissons acides
aux fruits
Eau minérale
oui
oui
acide citrique
acide phosphorique
oui
oui
acide citrique
oui
acide citrique
oui
acide acétique
(malique)
acide citrique/
malique
acide lactique/
acétique
oui
oui
acide lactique
oui
acide acétique
oui
acide carbonique
non (faible
capacité
tampon)
oui
Tableau 1: aliments acides et acides correspondants
Nouveau numéro 2012
23
Numéro spécial érosion
nutriments contient des fruits et des salades. Il faut éviter de consommer la salade en utilisant systématiquement des sauces toutes prêtes et du vinaigre, qui ne
contiennent pas d’huile, élément indispensable d’un
point de vue nutritionnel et physiologique, et qui peuvent être préjudiciables à la santé dentaire. Les agrumes, les assaisonnements prêts à l’emploi contenant du
vinaigre, les jus et les boissons rafraîchissantes, les
boissons allégées (même l’eau minérale aromatisée
basses calories) contiennent des acides (voir tableau 1).
Le citron et l’acide phosphorique, en particulier, présentent un risque élevé pour les surfaces dentaires
(voir tableau 2).
Valeurs de pH dans les boissons
Les collations ou les confiseries acides, consommées en dehors des repas, attaquent l’émail dentaire et
augmentent le risque de caries et d’érosion.
Facteur de risque: consommation
fréquente d’aliments et de boissons
Outre le mauvais choix des aliments, les habitudes
de consommation des aliments et des boissons et un
comportement alimentaire perturbé jouent un rôle
majeur sur les lésions dentaires.
W Des collations fréquentes ne permettent pas aux
dents de récupérer.
W Les personnes qui ont des horaires décalés essaient
de rester éveillées en consommant des boissons au
cola.
Jus de fruits (par ex. pomme, abricot,
poire, pamplemousse, cerise, orange, raisin)
Jus de citron
3,0 à 3,7
Jus de légumes (carotte, tomate)
4,0 à 4,2
Boissons gazeuses
2,5 à 3,5
Sodas (par ex. boissons au cola, limonades,
également les boissons «allégées»)
2,6 à 3,0
Boissons isotoniques (pour sportifs)
3,0 à 3,7
Journal d’un adolescent de 17 ans
Eaux aromatisées
(par ex., eau minérale citronnée)
environ 3,3
07h00
Thé glacé
3,8 à 3,9
Eau minérale gazeuse
environ 5,5
07h45
Débout des cours
Eau potable, selon la législation allemande
sur l’eau potable
environ 7,0
6,5 à 9,5
10h00
Petit-déjeuner
Lait frais
6,6 à 6,8
1
1
1
1
Thé noir
6,5 à 7,0
12h30
Déjeuner
Café
5,2 à 5,6
1 portion de frites
1 grosse saucisse grillée
Ketchup et mayonnaise
1 canette de coca
1 canette de limonade
1 cigarette
14h30
Pause café
(et entre temps)
2 cigarettes
2 canettes de coca allégé
16h00
Fin des cours
2,7 à 3,0
W Les jeunes ont toujours à portée de main des sodas.
W On trouve des encas, des barres énergétiques et
des sodas partout dans des machines et dans les
bureaux.
W Les confiseries permettent de remplacer un vrai
repas au bureau.
Lever
07h15
1 cigarette
1 canette de coca
Tableau 2
Le potentiel érosif des aliments dépend non seulement des acides qu’ils contiennent, mais également du
pH (plus le pH est bas, plus le risque d’érosion est
élevé), la capacité tampon (plus la capacité tampon est
élevée, plus le risque d’érosion est élevé) et la concentration en ions calcium/phosphate (plus la concentration
est élevée, plus le risque d’érosion est faible). Vous trouverez des détails précis sur chaque aliment et médicament dans le document suivant: Lussi et al.: analysis of
the erosive effect of different dietary substances and
medications Br J Nutr (2001).
24
Nouveau numéro 2012
Brossage des dents
Bounty
yaourt aux fruits
canette de limonade
cigarette
16h15
2 sandwiches
2 verres de jus de pomme
19h00
1
2
1
3
23h00
grande pizza
verres de jus d’orange
verre de coca
cigarettes
Bain, brossage des dents, coucher
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Numéro spécial érosion
Conseil d’un expert en diététique
Quelle alternative proposer?
Quels aliments sont sains, plaisant et sans inconvénients pour les dents?
Repas
Le slogan du Plan National Nutrionnel Santé (PNNS)
français et de la société allemande de nutrition «5 fruits
et légumes par jour» & «5 par jour» pourrait être un
objectif pour chacun.
5 portions de fruits et légumes par jour en faisant
attention si pris avec des aliments acides, réparties en
trois repas ou prises comme collation (fruits frais par
exemple).
Boissons
Règles de base à appliquer: l’eau potable est l’élément le plus important et le plus sain d’un point de vue
santé générale et santé dentaire. Le café et le thé (noir
ou vert) consommés en modération contribuent de
façon similaire à la satisfaction des besoins hydriques.
En termes de prophylaxie dentaire, les infusions sont
inoffensives mais certains thés aux fruits rouges par
exemple sont extrêmement acides. Les boissons pour
sportifs destinées aux athlètes sont à réserver aux
sportifs en compétition.
Si les boissons jouent le rôle principal dans la perte
de tissu dentaire par acide, un simple changement des
habitudes de consommation liquide est généralement
suffisant. A cause de leur pH acide, vous ne devez pas
consommer les jus et sodas, par petites gorgées
répétées, réparties dans la journée, aussi rafraichissantes semblent-elles, tout particulièrement quand elles
contiennent des sucres rajoutés. Cette consommation
représente pour vos dents une attaque acide et un risque pour la carie à chaque prise. Les jus de fruits du
commerce peuvent être jusqu’à 5 à 8 fois plus érosifs
que le fruit original correspondant.
C’est mieux de combiner la consommation d’aliment acide avec un aliment protecteur ou neutralisant
comme les produits laitiers par exemple un yaourt ou
un morceau de fromage pour terminer le repas.
Préférer des aliments qui
nécessitent une mastication active
Tout ce qui se mâche et stimule la production salivaire est avantageux. Une pomme consommée en
collation ne pose aucun problème pour les dents et des
légumes crus comme les carottes sont également particulièrement adaptées. Les noix ou le fromage sont du
même registre. Mettre des aliments croquants nécessitant une mastication active sont à intégrer dans votre
plan diététique au moment des repas mais aussi au
moment des collations.
Dr. Gerta van Oost
Ernährungsmedizinische Kommunikation und Beratung
Meerbuscher Strasse 45a · 41540 Dormagen · Allemagne
PROPHYLAXIEInfos
Les troubles de
l’alimentation et l’appareil
manducateur
Dr Ulrich Cuntz, Dr Wolfgang Niepmann,
Prien, Allemagne
Les différentes formes de troubles
alimentaires
Les troubles du comportement alimentaire semblent avoir existé depuis toujours dans toutes les cultures et à toutes les époques. Néanmoins, dans les
sociétés industrialisées actuelles, où la nourriture est
présente en abondance et où les structures traditionnelles du repas sont de plus en plus mises à mal, la fréquence des troubles alimentaires est en forte hausse.
Les répercussions de ces troubles sur la santé sont toujours plus graves. Les troubles alimentaires s’inscrivent
dans un éventail qui s’étend des mauvaises habitudes
alimentaires sans atteinte majeure à l’état de santé et à
l’intégrité physique, aux pathologies mettant en jeu le
pronostic vital, comme dans le cas de l’anorexie mentale sévère. L’anorexie mentale et la boulimie sont deux
troubles qui revêtent une signification clinique.
Dans de nombreux cas, les habitudes alimentaires
anormales peuvent porter très fortement atteinte à
l’appareil manducateur. Il est donc essentiel pour
chaque dentiste de se familiariser avec ces tableaux
pathologiques. La normalisation du comportement alimentaire est une condition essentielle au traitement et
à la prévention des lésions dentaires associées à ce
type de troubles. En outre, le dentiste endosse un rôle
important dans le diagnostic précoce de ces maladies.
La boulimie a été décrite pour la première fois en
1979, par le psychiatre anglais Gerald Russell. Le terme
«boulimie» vient du grec et signifie «faim de bœuf». Ce
syndrome se caractérise par des épisodes de compulsion alimentaire, au cours desquels l’individu ingère en
un temps très court une quantité d’aliments bien supérieure à celle qu’une personne saine mangerait à un
repas, et a le sentiment d’avoir perdu le contrôle de
son comportement alimentaire.
La deuxième caractéristique distinctive de la boulimie est le comportement compensatoire mis en œuvre
par l’individu pour contrecarrer l’accès boulimique, tel
que vomissements, prise de laxatifs ou de diurétiques
(dans la forme «purgative») ou encore jeûne et la pratique à outrance d’activités physiques. Contrairement à
ce que pourrait suggérer l’expression «boulimie», le
patient n’a généralement pas une faim démesurée, et
de nombreux patients ont même tendance à perdre du
poids à cause de leur trouble alimentaire. Le physique
et le poids sont très importants pour l’estime des personnes touchées, et il n’est pas rare que le sujet souhaite perdre du poids.
Nouveau numéro 2012
25
Numéro spécial érosion
Critères diagnostiques d’après le DSM IV * (CIM ** 10 F50.0)
Anorexie mentale
Forme restrictive
Forme boulimique
Boulimie
Perte de poids jusqu’à 85% du poids normal attendu
Poids légèrement trop bas, poids normal ou
aussi surpoids
Peur importante de grossir
Comportement compensatoire:
jeûne ou activités physiques
Perception déformée de son physique, influence exagérée du poids
sur la conscience de soi
Influence exagérée du physique et
du poids sur l’estime de soi
Aménorrhée chez les femmes après l’apparition des premières règles
Menstruations normales
Pas de crises de compulsion alimentaire
Crises de compulsion alimentaire
régulières
Crises de compulsion alimentaire régulières
avec un sentiment de perte de contrôle
Pas de «comportement purgatif»
Comportement purgatif:
vomissements, abus de laxatifs ou
de diurétiques
Dans la forme «purgative»:
vomissements réguliers, utilisation
de laxatifs ou de diurétiques
** DSM IV = Diagnostic and Statistical manual of Mental disorders – Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux
** CIM10 F50.0 = classification statistique internationale des maladies
Tab. 1: Aperçu des critères diagnostiques de l’anorexie et de la boulimie
L’anorexie mentale se traduit par une perte de poids
pathologique intentionnelle. La limite fixée pour diagnostiquer cette maladie est de 85 % du poids attendu
pour l’âge et la taille du patient. L’anorexie s’accompagne d’une peur extrême de grossir. Les patients ont
généralement une image corporelle distordue, de sorte
qu’ils ne se rendent pas réellement compte de la gravité de leur état de santé. La survenue d’une aménorrhée
chez les femmes en âge de procréer est le signe d’une
sous-alimentation.
Il existe deux formes d’anorexie: la forme restrictive
se traduit par une restriction alimentaire intentionnelle
pour maintenir un poids faible, et par la pratique excessive d’activités physiques chez une partie des patients.
La forme «boulimique» se manifeste, comme la boulimie, par des épisodes de frénésie alimentaire et des
moyens compensatoires comme les vomissements
et/ou la prise de laxatifs ou de diurétiques. L’impact le
plus important de ce comportement sur la santé buccodentaire sera dû aux vomissements répétés, comme
dans le cas de la boulimie.
Épidémiologie
L’anorexie et la boulimie sont relativement rares au
sein de la population générale. Néanmoins, ces deux
troubles du comportement alimentaire surviennent à
une fréquence nettement plus importante et sont un
problème majeur de santé publique à prendre au
sérieux dans certains groupes de la population.
Même si l’anorexie a certes existé et existe toujours
dans toutes les cultures et à travers les siècles, les
troubles de l’alimentation sont davantage constatés
dans certains sous-groupes:
26
Nouveau numéro 2012
W Les troubles de l’alimentation sont 10 fois plus fréquents chez les femmes que chez les hommes.
W Les troubles de l’alimentation sont plus fréquents
dans les cultures occidentales.
W Les troubles de l’alimentation sont beaucoup plus
fréquents chez les 15 – 35 ans. Si l’anorexie a longtemps été considérée à tort comme une maladie
de la puberté, elle peut en réalité aussi survenir
à d’autres stades, bien qu’elle débute très souvent,
il est vrai, dans les premières années de la puberté.
La boulimie commence en moyenne quelques
années après l’anorexie.
W La population blanche aux États-Unis est touchée
nettement plus souvent que la population noire.
Cette constatation suggère des facteurs ethniques.
W Les taux de concordance chez les jumeaux monozygotes sont considérablement supérieurs à ceux
des jumeaux dizygotes, ce qui suggère une influence génétique importante.
Dans l’ensemble, la prévalence de l’anorexie chez
les jeunes femmes serait approximativement de 0,5 %;
elle serait deux fois plus importante pour la boulimie.
On estime aujourd’hui que la fréquence des
troubles du comportement alimentaire chez les jeunes
femmes des pays occidentaux est étroitement liée au
culte de la minceur ancré dans ces mêmes sociétés. La
boulimie se trouve à la croisée des chemins entre une
surabondance de nourriture, une prédisposition au surpoids et des normes de poids fixées par la société et
devenues de plus en plus strictes au cours des quatre
dernières décennies. Il n’est donc pas étonnant que la
boulimie n’ait cessé d’augmenter jusque dans les
années 1990. Par contraste, l’anorexie semble être
moins liée au culte actuel de la minceur.
PROPHYLAXIEInfos
Numéro spécial érosion
Toutes les personnes pour lesquelles il importe,
pour une raison ou une autre, d’atteindre et de maintenir un poids particulièrement bas ont un risque élevé de
développer une anorexie ou une boulimie; cela peut
être le cas, par exemple, des danseuses étoiles, des
jockeys, des sauteurs à ski ou encore des mannequins
de mode.
Complications somatiques
Les habitudes alimentaires anormales de l’anorexie
et de la boulimie entraînent via différents mécanismes
des troubles somatiques parfois très graves. Parmi ces
mécanismes, les crises de compulsion alimentaire, les
régimes alimentaires déséquilibrés, les vomissements,
l’abus de diurétiques ou de laxatifs, et la maigreur. Le
schéma des complications est supposé variable en
fonction de l’intensité de chaque mécanisme, et fait
intervenir de nombreux processus physiques. La suite
de cet article s’intéresse aux changements qui ont un
impact sur l’appareil manducateur.
Les troubles du comportement alimentaire mettent
l’organisme dans un état latent ou manifeste de carence énergétique et de carence en substrats, ce qui a
pour conséquence directe d’induire une réaction hormonale et endocrinienne qui favorise certains processus du catabolisme de l’apport énergétique, tels que,
par exemple, la sécrétion accrue de catécholamines et
la libération augmentée de cortisol. Ceci a pour conséquence d’empêcher les processus de genèse et de
régénération. La néoformation et la transformation des
lignées cellulaires de courte vie sont entravées, ce qui
se traduit par exemple par la survenue fréquente d’une
leucopénie chez les patients. Mais généralement, les
muqueuses qui présentent un rendement cellulaire
rapide sont aussi touchées.
Par contraste, les fonctions régénératrices reculent
chez les femmes, et une ménopause précoce peut être
observée.
L’hypercorticisme, une carence en substrats, une
carence en vitamine D et les altérations hormonales
déjà décrites entraînent une minéralisation réduite de
l’os dans la phase sensible de croissance osseuse entre
15 et 25 ans. Après de nombreuses années d’alimentation carencée, ceci entraîne généralement une ostéoporose cliniquement manifeste, dont la cause est à
rechercher dans ces années sensibles. Dans les années
suivantes, on peut aussi constater dans certains cas isolés une atteinte de la mâchoire.
Lésions dentaires
La lésion dentaire la plus fréquemment observée
chez les patients anorexiques et boulimiques est causée par l’exposition des dents à des acides. La régurgitation du contenu gastrique lors des vomissements
entraîne une baisse du pH en dessous du seuil critique
des 5,5, ce qui conduit à une lésion d’abord de l’émail
dentaire, puis de la dentine. Ce n’est généralement
qu’au bout d’un à deux ans que des symptômes cliniques importants d’érosions dentaires dues aux vomissements répétés sont observés. Dans ces cas, les
lésions se traduisent par des pertes d’émail et de dentine avant tout localisées sur les surfaces dentaires
palatines et occlusales du maxillaire, aussi appelées
«périmylolyse» (Fig. 1).
Fig. 1: Périmylolyse importante des faces palatines et occlusales dans le maxillaire
En présence de troubles de l’alimentation, les
lésions d’érosion présentent typiquement une surface
vitreuse, ramollie. Elles peuvent s’accompagner d’une
exposition de la dentine, voire de la pulpe, d’hypersensibilités importantes, d’un amincissement des bords
incisifs et enfin d’une perte de dimension verticale de la
mâchoire. La perte progressive de tissus dentaires durs
peut être telle que les bords des restaurations font
saillie au dessus du niveau de la dent (Fig. 2).
Fig. 2: Bords en relief de restaurations à côté d’érosions
occlusales
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Nouveau numéro 2012
27
Numéro spécial érosion
Il arrive fréquemment que les patients se brossent
les dents immédiatement après les vomissements. Or,
le brossage érode énormément la surface dentaire
ramollie par les acides, de sorte que la perte de tissus
durs s’en trouve encore accélérée.
Les érosions vestibulaires associées aux troubles du
comportement alimentaire se retrouvent chez les
patients dont l’alimentation est déséquilibrée par des
facteurs d’érosion extrinsèque, tels que la consommation excessive d’agrumes. Ces aliments sont souvent
ingérés dans le but d’apaiser la sensation de faim
(Fig. 3).
Fig. 3: Érosions vestibulaires dues à une exposition à des
acides d’origine extrinsèque au cours d’une anorexie
Les patients boulimiques présentent par ailleurs une
prévalence de caries plus élevée. La consommation
excessive de sucres fermentescibles pendant les crises
compulsives et un flux salivaire réduit sont actuellement
considérés comme causes de cette prévalence supérieure des caries. De plus, la concentration de phosphate dans la salive baisse pendant les épisodes de jeûne,
et on observe la formation accrue de plaque dentaire.
L’émail déminéralisé sous les attaques acides est alors
plus sensible aux substances cariogènes.
Conséquence de la dépression qui survient régulièrement chez les anorexiques, les soins bucco-dentaires
sont souvent négligés, ce qui favorise la survenue de
lésions carieuses dans ce type de désordre alimentaire
aussi.
Les vomissements répétés, mais aussi la prise abusive de diurétiques et de laxatifs, réduisent la sécrétion
salivaire. La xérostomie qui en résulte se retrouve toutefois aussi dans l’anorexie sévère et en cas de prise
d’antidépresseurs, notamment d’antidépresseurs tricycliques. Du fait de la stimulation vagale importante,
on observe fréquemment une hypertrophie importante
de la parotide chez les personnes se faisant régulièrement vomir, ainsi que de la glande sublinguale qui est
généralement indolore. L’œdème visible de la glande
parotide souvent associé est considéré inesthétique par
certains patients. Dans la plupart des cas, cet œdème
manifeste des glandes salivaires disparaît après un arrêt
prolongé des vomissements.
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Nouveau numéro 2012
Prévention
Le meilleur moyen de prévention de l’érosion dentaire consiste à éviter le contact des dents avec des
substances érosives, comme les boissons et les aliments acides. L’idéal serait de parvenir à l’arrêt des
vomissements provoqués, ce qui, dans de nombreux
cas, n’est possible que sous traitement psychothérapeutique. L’appareil manducateur doit être protégé
tant que le trouble alimentaire persiste.
Après un vomissement, le pH diminue provisoirement sur les surfaces dentaires, notamment au niveau
des faces palatines des dents antérieures du maxillaire.
Il est donc tout particulièrement important de recommander aux patients de ne pas se brosser les dents
immédiatement après une exposition à des acides,
mais de simplement rincer la bouche à l’eau. De plus, le
rinçage de la bouche avec une solution neutralisant les
attaques acides, comme du bicarbonate de soude, de
la levure chimique ou de l’antiacide, est recommandé
pour accroître le pH et tamponner les acides dans la
bouche.
Une autre protection chimique des dents peut être
proposée au patient, sous la forme de chewing-gums
sans sucre. La mastication de chewing-gums stimule en
effet le flux salivaire, ce qui augmente le pouvoir tampon de la salive.
Le brossage régulier des dents avec des gels fluorés
et/ou l’application de vernis à base de fluorure de
sodium (cette dernière méthode étant pratiquée par le
dentiste) augmentent la résistance de l’émail contre
l’érosion. L’hygiène bucco-dentaire quotidienne avec
du dentifrice et des bains de bouche à base de fluorure
y contribue aussi. Le durcissement de l’émail dentaire
ramolli par le contact avec des substances érosives
peut par ailleurs être accéléré par la consommation de
lait ou de fromage.
En outre, il est conseillé aux patients atteints d’érosions dentaires d’employer une technique de brossage
avec une pression faible, une brosse à dents souple ou
une brosse électrique avec pression calibrée.
Une protection mécanique est possible par l’obturation des surfaces dentaires ou par la recommandation,
certes difficilement applicable, de porter une gouttière
en plastique au cours des attaques acides afin de protéger les dents. En cas de lésions importantes des
tissus dentaires durs, des mesures prothétiques ou
conservatrices sont indiquées pour protéger les dents
et restaurer la fonction masticatrice.
L’élimination du contact avec les substances érosives repose sur la normalisation du comportement
alimentaire, qui impose à son tour une prise en charge
thérapeutique.
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Numéro spécial érosion
Diagnostic précoce des troubles du
comportement alimentaire
Les personnes atteintes de troubles de l’alimentation sont généralement réticentes à parler de leur maladie. Les crises de compulsions alimentaires et les
vomissements sont gardés secrets. Les examens dentaires de routine sont l’occasion pour le dentiste de
diagnostiquer tôt ces troubles et par conséquent de
discuter d’un sujet tabou. Pour ce faire, il doit rechercher les complications typiques de ces troubles du
comportement alimentaire.
Les érosions sur les surfaces dentaires buccales,
notamment sur les faces palatines des dents antérieures, suggèrent une lésion des tissus dentaires due à
des facteurs intrinsèques, tels que la régurgitation
d’acide gastrique.
Symptômes
Mécanisme de lésion
Anorexie
mentale
restrictive
L’œdème bilatéral de la parotide, une sécheresse
buccale, une inflammation de la langue, une parodontite marginale et des irritations du larynx sont les signes
qui permettent de différencier et de diagnostiquer
un trouble du comportement alimentaire. Leur identification doit donner lieu à l’examen des antécédents
d’habitudes et de comportement alimentaires. Il est
essentiel pour la préservation de la dentition que le
dentiste parvienne au mieux à discuter du comportement alimentaire, à présenter le problème et à motiver
le patient à normaliser son comportement alimentaire.
Dr Ulrich Cuntz
Klinik Roseneck
Am Roseneck 6 · 83209 Prien · Allemagne
Anorexie
Boulimie
mentale
boulimique
Érosions buccales
et occlusales
Prévention
Régurgitation d’acide gastrique,
vomissements répétés
–
+
+
Après un vomissement, rincer la bouche
à l’eau ou à l’aide d’une solution
neutralisant les acides, ne pas brosser
les dents immédiatement, application
topique de fluorure, normalisation du
comportement alimentaire.
Érosions
vestibulaires
Habitudes alimentaires
anormales, consommation
d’aliments et de boissons acides
(+)
(+)
–
Application topique de fluorure,
normalisation du comportement alimentaire
Caries
Mauvaise hygiène bucco-dentaire,
habitudes alimentaires anormales
(+)
(+)
(+)
Application topique de fluorure,
normalisation du comportement alimentaire
Parodontite
marginale
Mauvaise hygiène bucco-dentaire,
exposition à des acides
–
+
(+)
Amélioration des soins bucco-dentaires,
normalisation du comportement alimentaire
Hypertrophie
parotidienne
Stimulation vagale en cas de
vomissements répétés
–
+
+
Normalisation du comportement alimentaire
Abus de laxatifs et de diurétiques
–
+
+
Cachexie
+
+
–
Prise d’antidépresseurs
(+)
(+)
(+)
Éliminations des facteurs nocifs,
utilisation de chewing-gums sans sucre,
prise de poids,
contrôle des traitements
Périmylolyse
Hypersensibilité
dentaire
Xérostomie
Tab. 2: Aperçu des lésions de l’appareil manducateur dans les troubles du comportement alimentaire
– = rare / (+) = fréquent / + = régulier
Les facteurs extrinsèques favorisant l’apparition de
lésions érosives peuvent être des facteurs environnementaux tels que des habitudes alimentaires anormales, la prise de médicaments ou le mode de vie. Les
érosions dentaires causées par des facteurs extrinsèques entraînent essentiellement une perte de tissus
dentaires durs sur les surfaces vestibulaires des dents
antérieures du maxillaire.
La perte de tissus dentaires durs chez les patients
atteints de la forme restrictive de l’anorexie mentale est
surtout causée par les acides provenant de l’alimentation, et les lésions chez ces patients sont localisées
principalement sur les faces vestibulaires.
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Numéro spécial érosion
Prévention et traitement des pertes de tissus dentaires
durs dues aux attaques acides (érosions)
Pr Dr Carolina Ganss, Dr Nadine Schlüter, Université Justus-Liebig de Gießen, Allemagne
Les érosions (Fig. 1) sont causées par l’action chronique d’acides d’origine non bactérienne sur les surfaces dentaires dépourvues de plaque, lors d’une hyposaturation en substance minérale dentaire. Les acides
capables d’attaquer les tissus dentaires durs peuvent
être d’origine extrinsèque, par exemple des aliments et
des boissons acides, ou intrinsèque, comme l’acide
gastrique. Les érosions ne se manifestent cliniquement
qu’après des attaques chroniques pendant une période
prolongée, selon la prédisposition de chaque individu.
Fig. 1: Pertes de tissus dentaires durs dues aux attaques
acides, graves et généralisées, avec une exposition importante
de la dentine chez un patient âgé de 30 ans, qui a consommé
pendant des années entre 3 et 5 boissons rafraîchissantes par
jour.
En prévention primaire, il est généralement indiqué
d’informer les patients des causes des lésions dentaires
et des moyens pour les éviter, dans le cadre de stratégies de prévention établies et d’un conseil individualisé. Les autres mesures préventives dans la population générale dépendent de la prévalence des lésions
érosives et doivent par conséquent être discutées au
niveau national. La prévention secondaire comprend
notamment le diagnostic différentiel précoce des érosions à leurs stades initiaux dans le cadre d’examens
préventifs, ainsi que des mesures thérapeutiques causales individualisées.
Pour mieux comprendre les stratégies préventives
et thérapeutiques, nous allons aborder à présent la
pathogenèse et l’ultrastructure des érosions.
La déminéralisation érosive qui se produit dans
l’émail est une perte de tissus centripète qui, si la source d’exposition aux acides n’est pas éliminée, finit par
se manifester par des lésions de surface cliniquement
visibles. La surface d’émail érodée présente une zone
partiellement déminéralisée de microdureté réduite
30
Nouveau numéro 2012
(Lussi et al. 1995), dont l’ultrastructure correspond
plus ou moins au relief classique d’un mordançage
(Meurman & Frank 1991) (Fig. 2).
Fig. 2:
Relief typique de
mordançage après
une érosion par de
l’acide citrique
L’ultrastructure d’une érosion de l’émail se différencie donc fondamentalement de celle d’une carie initiale
de l’émail, dans laquelle la zone la plus déminéralisée
se trouve sous une couche de couverture d’apparence
intacte (Thylstrup & Fejerskov 1994). Après une exposition brève à des acides, il se produit d’abord une perte
de substances minérales au niveau de la dentine péritubulaire, puis, en cas de contacts répétés sur une
longue durée, un élargissement des tubules dentinaires
accompagné d’une déminéralisation de la dentine
intertubulaire (Noack 1989; Meurman et al. 1991).
Contrairement aux caries qui, passé un certain
stade, nécessitent généralement toujours un traitement
invasif, les lésions érosives dues aux attaques acides
s’arrêtent dès lors que des mesures symptomatiques ou
causales suffisantes sont mises en place et ce, quelle
que soit leur étendue. Un traitement de restauration est
alors souvent superflu, sauf en présence de dommages
esthétiques ou fonctionnels.
Le traitement causal des lésions des tissus durs
d’origine acide commence par l’identification de la
source des acides. Pour cela, on procède à une
recherche d’antécédents, avec un interrogatoire sur le
type d’acides extrinsèques et intrinsèques auxquels le
patient est exposé. De plus, un journal alimentaire
ouvert (Lussi 1996) peut souvent donner des indices sur
la quantité, la nature et la fréquence des expositions
aux acides ingérés par l’alimentation. En cas d’attaques
par des acides d’origine extrinsèque, le traitement
causal consiste à modifier les habitudes alimentaires,
ce qui n’impose généralement pas de changements de
comportement majeurs. Par exemple, il est possible
de diminuer la fréquence de consommation, mais aussi
de consommer plutôt des boissons faiblement érosives.
PROPHYLAXIEInfos
Numéro spécial érosion
Les études in vitro et les études in situ ont montré
que l’addition de calcium permet à elle seule de réduire considérablement le potentiel érosif d’une boisson
(Hughes et al. 1999a; 1999b). Les fruits peuvent être
consommés en même temps que des produits laitiers.
Si l’exposition aux acides est causée par des facteurs
intrinsèques, un traitement médical peut être indiqué
(par ex. en cas de reflux), bien que le traitement causal
soit bien souvent difficile. Ainsi, les troubles du comportement alimentaire avec vomissements chroniques
peuvent persister durant des années malgré les efforts
thérapeutiques. Dans ces cas, des mesures symptomatiques sont nécessaires, comme c’est le cas aussi lorsque l’origine de l’exposition aux acides est inconnue.
Les traitements symptomatiques visent à modifier la
surface dentaire de manière à empêcher la déminéralisation érosive et ainsi la diminution de la microdureté.
Les substances utilisées sont celles qui créent des
précipités minéraux difficilement solubles dans ou sur
la surface dentaire ou qui forment des revêtements
durables. L’application d’adhésifs dentinaires comme
coatings non minéral a été discutée (Azzopardi et al.
2004; Sundaram et al. 2007). Cette méthode est appropriée comme mesure aiguë. Toutefois, compte tenu de
la probabilité que ces coatings subissent une abrasion,
au moins sur le moyen terme, leur effet protecteur
pourrait être limité dans le temps.
Les précipités minéraux sont généralement constitués de solutions hypersaturées de calcium/phosphate.
C’est pourquoi il est souvent recommandé de ne pas se
brosser les dents directement après une exposition à
des acides, mais d’attendre la «reminéralisation» des
surfaces dentaires. Ces recommandations ont été formulées d’après les résultats d’études en laboratoire
avec des solutions saturées/hypersaturées de calcium/phosphate. Mais les études en conditions buccales n’ont pas montré d’augmentation significative de
la microdureté en cas d’émail érodé (Collys et al. 1991;
1993) ni la précipitation de substances minérales
(Garberoglio & Cozzani 1979; Allin et al. 1985). Ces
conclusions concordent avec les résultats d’études in
situ qui n’ont pu révéler qu’un effet minime du temps
d’attente entre la déminéralisation érosive et le brossage (Jaeggi & Lussi 1999; Attin et al. 2001; Ganss et al.
2007). Par conséquent, sans même évoquer le contrôle
insuffisant de la plaque dentaire, la modification des
habitudes d’hygiène bucco-dentaire ne paraît judicieuse que si la technique de brossage employée est
traumatique ou en cas d’exposition extrême à des
acides.
Une précipitation de minéraux à la surface dentaire
peut néanmoins aussi être obtenue par l’application
locale de fluorures. Des couches de couverture de type
CaF2, toutefois relativement solubles dans les acides,
se forment dans des proportions plus ou moins importantes en fonction de la forme pharmaceutique. La
documentation scientifique fournit des opinions contradictoires sur l’efficacité de telles mesures (Wiegand &
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Attin 2003); certains auteurs doutent du bon sens des
mesures de fluoration dans le traitement des érosions
(ten Cate et al. 2003).
Globalement, des recommandations de fluoration
ont alors été proposées permettant la formation de
précipités de type CaF2 les plus importants possibles,
par exemple sous la forme de fluorations intensives.
Des gels fluorés fortement concentrés (médicaments)
et/ou des bains de bouche doivent si possible être utilisés fréquemment en complément d’un dentifrice
fluoré (Schmidt et al. 2003; Ganss 2005; Wiegand &
Attin 2003; Ganss et al. 2007). Cette approche thérapeutique implique toutefois de grands moyens organisationnels et financiers, et ces recommandations ne
sont donc que partiellement applicables pour les traitements au long cours, et pas du tout pour les mesures
préventives.
Jusqu’à ce jour, les études ont porté sur les composés fluorés contenus le plus fréquemment dans les produits d’hygiène bucco-dentaire généraux et en cariologie, à savoir le fluorure de sodium, le fluorure d’amines
et le monofluorophosphate de sodium. Des études
récentes montrent toutefois que l’efficacité des fluorures dans les cas d’érosions est largement déterminée
par le type de composé fluoré employé. La comparaison de préparations de même pH et de même concentration révèle clairement des différences d’efficacité
entre les différents composés fluorés (Schlüter et al.
2007; Ganss et al. 2008). On a pu démontrer ainsi que
l’érosion des substances minérales peut être quasiment
prévenue, du moins en cas d’érosion légère, par l’utilisation de solutions de fluorure d’étain ou de fluorure
d’étain/fluorure d’amines, alors que les solutions de
fluorure de sodium ou de fluorure d’amines/fluorure de
sodium semblent être nettement moins efficaces.
Un nouveau résultat a été obtenu récemment: une
solution de chlorure d’étain sans fluorures a présenté
une efficacité du même ordre de grandeur que celle
d’une solution de fluorure de sodium. Les analyses
opto-électroniques ont montré que des précipités relativement résistants aux acides se formaient manifestement après l’application de solutions à base d’étain
(Ganss et al. 2008). De ce fait, des études sont actuellement menées sur les composés fluorés contenant des
ions métalliques polyvalents et sur leur rôle potentiel
d’inhibiteurs de l’érosion. On peut citer en particulier le
titane et l’étain (Ganss et al. 2006; Hove et al. 2007;
Magalhaes et al. 2008; Wiegand et al. 2008).
Le fluorure de titane dans différentes préparations a
été étudié en association avec d’autres composés fluorés. Les résultats indiquent que les solutions expérimentales formulées comme bain de bouche à utiliser
quotidiennement présentent une bonne efficacité en
cas d’érosion plutôt légère et après des applications
fréquentes; mais celle-ci n’a pas été confirmée en cas
d’expositions importantes à des attaques acides et
en conditions d’utilisation cliniquement pertinentes
(Schlüter et al. 2009a). En revanche, le même essai avec
Nouveau numéro 2012
31
Numéro spécial érosion
Perte de tissus (µm)
une solution de chlorure d’étain/fluorure d’amines/
fluorure de sodium a démontré une très bonne efficacité. Les solutions expérimentales ont ici présenté une
bonne efficacité même en cas d’érosions prononcées,
comme c’est le cas chez les patients très souvent exposés aux attaques acides dans certains régimes alimentaires ou encore chez les personnes atteintes de
troubles de l’alimentation avec vomissements chroniques. Les solutions de chlorure d’étain/fluorure
d’amines/fluorure de sodium étaient également significativement plus efficaces qu’une solution de fluorure
d’étain/fluorure d’amines.
En conclusion, le traitement symptomatique des
érosions par des fluorures dépend considérablement
du type de composé fluoré. Les préparations contenant
du chlorure d’étain/fluorure d’amines/fluorure de
sodium semblent être les inhibiteurs de l’érosion les
plus efficaces actuellement disponibles.
Le traitement des pertes de tissus dentaires durs
causées par des attaques acides peut se résumer ainsi:
Poser soigneusement le diagnostic de l’érosion
(diagnostic différentiel par rapport à l’attrition, l’abrasion et aux lésions cunéiformes!). Une fois le diagnostic
confirmé:
40
W Recherche d’antécédents pour identifier l’exposition aux acides
30
20
W Mesures causales en fonction du type d’exposition
(changements des habitudes alimentaires, traitement médical, psychothérapie)
10
Si les mesures causales sont impossibles ou insuffisantes ou encore en complément:
0
28,2
22,8
9,3
Placebo
NaF
SnCI/AmF/NaF
Fig. 3: Perte de tissus (moyenne arithmétique avec écart-type)
dans l’émail in situ. Les solutions testées étaient une solution
de fluorure de sodium (NaF, 500 ppm F de NaF) et une solution de chlorure d’étain/fluorure d’amines/fluorure de sodium
(SnCl/AmF/NaF: 500 ppm de F d’AmF et de NaF; 800 ppm
de Sn de SnCl2). La solution placebo ne contenait aucune
substance active.
Dans un essai in situ au cours duquel des échantillons d’émail ont été érodés à l’acide citrique pendant
6 x 5 minutes, l’utilisation d’une solution dentaire de
chlorure d’étain/fluorure d’amines/fluorure de sodium
pendant 1 x 30 secondes a permis de réduire de 67 % la
perte d’émail, alors que la solution dentaire de fluorure
de sodium n’a permis qu’une réduction de 19 % (Fig. 3).
W Traitements symptomatiques avec un produit efficace (contenant de l’étain)
W Ne modifier les gestes d’hygiène bucco-dentaire
que si le patient utilisait une technique de brossage
traumatique ou subissait des expositions extrêmes
Pour évaluer la réussite du traitement:
W Photographies ou modèles tous les 6 à 12 mois
Mesures de restauration seulement en cas de
lésions très prononcées, de troubles fonctionnels ou
de dommages esthétiques; si possible, arrêter alors
les érosions au préalable.
Pr Dr Carolina Ganss
Poliklinik für Zahnerhaltung und Präventive Zahnheilkunde
Justus-Liebig-Universität
Schlangenzahl 14 · 35392 Gießen · Allemagne
Les premières études sur le mécanisme d’action de
ces solutions de chlorure d’étain/fluorure d’amines/
fluorure de sodium suggèrent qu’un précipité amorphe
riche en étain se dépose sur les surfaces dentaires en
conditions neutres. Lors d’une exposition à des acides
érosifs, des processus complexes de déminéralisation
et de re-précipitation se mettent en place, entraînant
un dépôt de composés d’étain difficilement solubles
dans la couche supérieure de la surface dentaire
(Schlüter et al. 2009b).
32
Nouveau numéro 2012
PROPHYLAXIEInfos
Numéro spécial érosion
Utilisation des produits elmex® PROTECTION
ÉROSION en prophylaxie secondaire de l’érosion
L’érosion de l’émail dentaire est un problème très
courant, dû à l’exposition des dents aux acides, qu’ils
soient d’origine exogène ou endogène. Dans les cas
sévères, la lésion du tissu dur de la dent est irréversible
et ne peut être traitée que par des procédures de
restauration. Un diagnostic précoce, ainsi qu’un entretien approfondi avec le patient et un plan de traitement
individualisé doivent être à la base de tout traitement,
afin de prévenir la progression de la lésion et donc
de limiter, dans la mesure du possible, l’étendue de la
lésion.
Le système de notation BEWE (Basic Erosive Wear
Examination) forme la base d’une anamnèse complète.
Ce score est facile à utiliser dans la pratique dentaire; il
aide non seulement le dentiste à déterminer l’étendue
de l’érosion, mais il permet également de la classer, ce
qui donne les premières indications de la prédisposition du patient à l’érosion.
BEWE 1– 2: quelques lésions, pas de prédisposition
à l’érosion
BEWE 3 – 8: lésions mineures, faible prédisposition
BEWE 9 –13: lésions visibles, prédisposition
modérée
BEWE supérieur à 14: lésions très visibles,
prédisposition élevée
Des experts internationaux ont élaboré des recommandations thérapeutiques pour chaque catégorie.
Jusqu’à un score de 2, il suffit d’inclure le patient dans
un programme d’observation de routine et d’entretien
(sans négliger la prophylaxie des caries et de la gingivite); pour les scores supérieurs à 2, il convient que le
patient ait un entretien approfondi avec son dentiste
afin d’identifier la source de l’exposition aux acides et
les autres facteurs de risque, si nécessaire. Des conseils
nutritionnels précis sont indispensables en cas de
lésions érosives dues à des facteurs exogènes. En cas
d’attaque acide endogène (par ex., reflux gastro-œsophagien, boulimie), une consultation avec un spécialiste peut être également nécessaire.
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Déroulement du traitement des érosions
Dans le cadre d’une thérapie étiologique, l’utilisation de la solution dentaire elmex® PROTECTION
ÉROSION contenant du chlorure d’étain et du fluorure
d’amines est recommandée, afin de prévenir efficacement l’évolution des lésions des tissus dentaires dues
à l’exposition aux acides.
Le kit de diagnostic de l’érosion dentaire, élaboré
par GABA en collaboration avec des experts internationaux, vient en complément pour offrir un traitement
efficace et complet des patients atteints d’érosion dentaire dans la pratique quotidienne. Basé sur de solides
bases scientifiques, ce concept, qui associe la classification et la documentation du traitement des patients
souffrant d’érosion, tient également compte de l’observance du patient et des résultats secondaires. La
recommandation spécifique de la solution dentaire
elmex® PROTECTION ÉROSION est un élément important de ce concept.
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