Lire l`article complet

publicité
c o a c h i n g
L’annonce
d’une hypertension
artérielle
■ I. Moley-Massol*
* Médecin psychothérapeute, attachée
de consultation, hôpital Cochin, Paris.
Auteur de : L’annonce de la maladie.
Une parole qui engage
aux éditions DaTeBe, 2004.
[email protected]
S’il n’existe pas de “bonnes” façons d’annoncer une mauvaise nouvelle, certaines
sont toutefois moins dévastatrices que d’autres.
Souvent sous-estimé, le moment de l’annonce d’une maladie chronique comme l’hypertension artérielle est pourtant essentiel.
Il marque à tout jamais l’imaginaire du malade et la relation médecin-malade-maladie,
l’acceptation du diagnostic et l’observance du traitement.
Comment, pour le médecin, trouver les mots, communiquer avec le malade et prendre
toute la mesure de ce que représente pour lui l’annonce d’une hypertension artérielle ?
Comment, pour le malade, surmonter l’épreuve, s’adapter et vivre avec ?
IL N’EXISTE PAS D’ANNONCE ANODINE
Les points clés de l’annonce
d’une hypertension artérielle
• Bien dire, c’est d’abord écouter
Partir de la représentation de la
maladie pour le malade et de son
point de vue pour adapter la communication et s’adapter pas à pas
• Aider le malade à dépasser la
blessure narcissique infligée par
la maladie
L’hypertension, une maladie invisible, une menace, alors que le
patient se sent le plus souvent en
bonne santé
• Ne pas résumer le patient ni la
communication à l’énoncé des
chiffres tensionnels
• Laisser le temps au malade pour
accepter sa maladie, le traitement,
les nouvelles habitudes de vie
Dans l’hypertension artérielle,
l’exigence d’information et de
communication est grande
• Définir avec le patient des objectifs
thérapeutiques réalistes
34
L’annonce d’une maladie constitue toujours une
mauvaise nouvelle marquant la fin d’une vie où
la maladie était absente, impensable. Elle
engendre un traumatisme psychique qui ne se
limite pas aux pathologies graves ou aux handicaps sévères. En médecine, il n’existe pas, a
priori, d’annonce anodine.
Dans de nombreuses pathologies, on constate
une distorsion entre la perception de la sévérité
de l’affection que le médecin peut avoir et
celle du patient. Un diabète, une hypertension
artérielle ne représentent pas a priori des diagnostics difficiles pour le médecin, alors qu’ils
peuvent être source d’une grande angoisse
pour le malade, en fonction de la représentation qu’il s’en fait et de sa connaissance de la
maladie.
L’annonce d’une pathologie chronique comme
l’hypertension artérielle inflige au patient une
profonde blessure narcissique. Il s’agit pour lui
de renoncer à son identité d’être bien-portant et
à l’illusion infantile, qui habite plus ou moins
tout être humain, de son immortalité et de sa
toute-puissance.
Se savoir hypertendu, c’est soudain habiter la peau
d’un être atteint d’une maladie “sans visage”.
L’hypertension artérielle menace le sujet comme
un tueur invisible, alors qu’il se sent le plus souvent en parfaite santé. Elle est vécue comme un
mal abstrait et sournois dont la seule matérialité
s’exprime à travers la mesure des chiffres tensionnels.
Le médecin qui nomme la maladie “baptise” le
sujet en tant que personne malade : il devient
“un hypertendu”. Les mots prononcés sont alors
essentiels, ils apposent une marque indélébile
sur l’identité psychique du sujet.
L’impact de l’annonce n’est pas le même selon
qu’il est dit : “Vous êtes hypertendu” ou “Vous
avez une hypertension artérielle”.
Dans la première formulation, la personne est
stigmatisée, désignée comme un hypertendu.
Sa personne est en cause, définie par sa maladie
qui fait soudainement partie de son identité, à
travers l’emploi du verbe “être”.
Dans la deuxième formulation, “Vous avez une
hypertension artérielle”, le sujet ne se résume
pas à sa maladie. Celle-ci fait partie de sa vie,
mais non de son être. C’est sa cause, mais il
n’est pas en cause.
Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. III - n° 1 - janvier-février-mars 2005
Le rituel de la prise de tension
artérielle
Maladie obscure, tueur invisible
ou simple baromètre des émotions, l’hypertension artérielle est
riche de représentations fantasmatiques qui confèrent au rituel de la
prise de tension artérielle un
caractère très particulier et une
place essentielle dans l’examen
clinique.
La prise de tension fait partie de
toute consultation et le malade est
le premier à revendiquer cette
“mesure” médicale, mesure chiffrée de son équilibre intérieur, de
ses “humeurs”, miroir de ses émotions.
“Et ma tension, docteur, vous ne
me l’avez pas prise !”
Pourquoi cette mesure ritualisée at-elle autant d’importance ?
Pourquoi les patients ont-ils ce
besoin impérieux de connaître ces
deux chiffres sacrés de la pression
systolique et diastolique, dont ils
ignorent le plus souvent la signification physiologique exacte ?
Est-ce le malade qui a besoin
d’une appréciation quantifiable
immédiate de son état de santé, ou
le médecin qui a besoin de ce
geste technique pour entrer en
contact avec son patient, comme
“une entrée en matière” ?
La prise de tension représente
d’abord un acte de communication.
Prendre la tension est une prise de
contact avec le corps du malade,
une mise en relation de l’intérieur
et de l’extérieur de ce corps, une
mise en cohérence de la part
rationnelle (la réalité des chiffres)
et irrationnelle (les émotions) de
sa personne.
Soudain, des données inconnues
deviennent palpables.
La ritualisation de la prise de tension artérielle ne serait-elle pas
finalement la mise en scène symbolique du rôle premier dévolu au
médecin, celui de rétablir l’équilibre, la bonne mesure ? (2).
BIEN DIRE, C’EST D’ABORD ÉCOUTER
Au-delà des informations techniques et du discours rationnel, il s’agit pour le médecin qui
annonce la maladie de favoriser l’écoute et le
dialogue, en restant attentif aux réactions du
malade, à ses émotions et à ses représentations
de la maladie forgées par sa culture, son histoire
personnelle, son environnement affectif et
social, son âge, la période de vie qu’il est en
train de traverser. La représentation de l’hypertension artérielle que se fait le patient conditionne la façon dont il va recevoir le diagnostic et
accepter les contraintes thérapeutiques.
C’est pourquoi il est essentiel pour le praticien
de s’ajuster sur le point de vue du patient pour
instaurer la communication et transmettre l’information médicale : “Que représente pour vous
une hypertension artérielle, que savez-vous de
cette maladie ?”
“Si le médecin bride la relation de soin en la
réduisant aux seules discussions sur le traitement et ses modalités, l’ouverture à la réciprocité
ne sera évidemment pas possible” (1).
L’annonce d’un diagnostic n’est pas l’énonciation d’une sentence, mais au contraire l’ouverture
d’un dialogue pour une information partagée,
adaptée au malade, à sa demande, à ses
besoins. Le risque est grand dans le cadre de
l’hypertension artérielle de résumer la communication avec le patient à une discussion sur ses
chiffres tensionnels, alors qu’il est nécessaire de
construire sur le long terme une relation de
soins et d’échanges.
Il faut du temps au patient pour s’accepter en
tant que malade souffrant d’une hypertension
artérielle, pour faire le deuil de son être bienportant alors qu’aucun signe extérieur ne vient
témoigner d’une quelconque pathologie.
Comment concilier deux vérités contradictoires,
celle d’un sentiment de bien-être physique (le
plus souvent ressenti) et celle d’une menace
réelle liée à une pression artérielle trop élevée ?
En permettant au patient d’exprimer ses
angoisses et ses interrogations, en reconnaissant sa souffrance, en évitant de sous-estimer
Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. III - n° 1 - janvier-février-mars 2005
l’impact psychologique de l’annonce d’une
maladie a priori sans risque vital immédiat, le
médecin favorise l’acceptation de la maladie par
le patient qui, peu à peu, se montrera plus
réceptif à l’idée d’un traitement au long cours et
d’un aménagement de nouvelles règles de vie.
Cette “éducation du patient” doit se penser
comme une mise à disposition d’informations
utiles pour permettre au malade d’évoluer par
rapport à ses propres croyances et lui donner la
liberté de négocier une vision nouvelle de luimême, de son corps, de son rapport à la vie, de
son bien-être physique, psychique et social.
L’éducation du malade chronique est souvent
vouée à l’échec quand elle déploie un discours
trop normatif qui englobe les êtres dans une
seule et même représentation de leur santé,
quand elle impose par des “commandements”,
un modèle idéal de “l’être en bonne santé” qui
exclut la singularité de chacun, son histoire, ses
origines, sa culture.
Si la guérison physique ne peut être garantie
dans un certain nombre de pathologies, la guérison psychique reste-t-elle possible ? La question
se pose pour des pathologies telles que l’hypertension artérielle. Guérir psychiquement d’une
maladie chronique, c’est peut-être avant tout,
pour le patient, parvenir à oublier la menace de
la maladie et continuer à accomplir des projets,
à investir et à vivre sa vie dans toutes ses dimensions affectives, professionnelles, sociales, etc.
Cette guérison psychique impose un travail difficile, celui qui permet au malade d’intégrer la
maladie, les contraintes thérapeutiques, l’incertitude et, finalement, de parvenir à “vivre
avec...”. La relation thérapeutique médecinpatient occupe une place essentielle dans ce travail de (re)construction psychique de la personne
malade.
1. Alvin P. L’annonce d’une maladie chronique à l’adolescence.
In: Espace éthique la Lettre 15-16-17, hiver 2001-2002.
2. Ouvrard P. Toute la formation médicale continue 2001;43:
27-8.
Autre référence : Moley-Massol I. Hypertension today
2005;1(Bruxelles).
35
Téléchargement