La crise de l`assurance maladie est-elle imputable à l

La crise de lassurance maladie est-elle imputable à lorientation
marchande de lÉtat social ?
Philippe BATIFOULIER EconomiX, Université Paris X-Nanterre.
Jean-Paul DOMIN OMI-LAME, Université de Reims Champagne-Ardenne.
Maryse GADREAU LEG, Université de Bourgogne.
Résumé
En mettant au premier plan le rôle des représentations, ce texte propose une lecture de linclinaison
marchande du système de santé français. Pour penser le marché, il faut partir de lEtat social et de sa
capacité à construire une forme de marché en sappuyant sur les ressources cognitives du référentiel
marchand de politique publique et sa déclinaison locale ; sur les mécanismes de corégulation illustrant
le rôle des acteurs libéraux de la réforme ; et sur la nouvelle vision de lassuré social faisant du patient
un consommateur souverain et responsable.
Abstract
This paper proposes a reading of the reform of the French health system, emphasizing the
diffusion of a «market toolbox» by the public policy. French social state never has intervened so much
in the health policy as these last years in order to apply market mechanisms both in the ambulatory and
hospital medical sectors. This economic policy modifies the actors representations and produces a
new physicians and a new patients market-based behaviour.
1. INTRODUCTION
Le dernier rapport de la Cour des Comptes chiffre les dépenses de santé à 41,7 % des dépenses des
régimes de base en 2004, talonnant ainsi les dépenses liées à la vieillesse (42,4 %, la famille
représentant 13,1 % et les accidents du travail 2,9%). Les penses de sanreprésentent environ 10%
du PIB (5,6% en 1970 et 8,6% en 1990) et la croissance annuelle moyenne ces dernières années est de
5 à 6%. Ces dépenses ne posent problème que si lon ne peut (ou veut) pas augmenter les recettes.
Lentrée dans le domaine de la santé par le déficit fournit alors le décor à la dramatisation. Le solde du
régime général en 2004 est de - 13,2 milliards dont 12,3 milliards pour lassurance maladie et le déficit
cumulé 2003-2006, pour cette seule branche, avoisine les 40 milliards deuros. Ainsi le « trou de la
Sécu » est-il aujourdhui celui de lassurance maladie.
Les explications traditionnellement données à cette augmentation chronique de la dépense de santé
insistent sur la nature du bien santé (un bien supérieur, un bien premier naturel, un bien en soi, etc.),
sur lévolution démographique (avec leffet du vieillissement quil reste à évaluer par comparaison
avec leffet de la proximité de la mort), et sur les pratiques « irresponsables » des acteurs (patients
comme médecins). Ce dernier type dexplication est privilégié par la microéconomie de la santé qui
met en avant la possibilité de manipulation offerte aux acteurs disposant dun avantage informationnel.
Dans cet esprit, les dernières réformes, présentées comme étant à la fois structurelles et
exceptionnelles cherchent à combattre laléa moral du patient (notamment en durcissant les politiques
de ticket modérateur et en sanctionnant le nomadisme avec linstauration dun « parcours de tarifs »
qui constitue le corollaire du « parcours de soins »). Les decins sont par contre épargnés par les
réformes récentes, non pas parce quils sont jugés moins potentiellement fraudeurs que les patients
mais du fait de leur pouvoir politique et de la difficulté, souvent mentionnée, de faire une réforme
contre les médecins. Cest donc limpuissance de la politique publique ou le blocage politique qui
expliqueraient la hausse incontrôlable des coûts, en empêchant la mise en oeuvre de mécanismes
incitatifs et concurrentiels susceptibles de conduire les individus à plus de vertu.
La crise financière de lassurance maladie est donc une crise de la gulation publique, incapable
de mettre en œuvre des remèdes connus à la suite dun diagnostic présenté comme allant de soi. Ce
2
texte cherche à étayer une autre conception de linefficacité publique la « crise » de lassurance
maladie est imputable à lorientation marchande de lÉtat social et à sa traduction dans le secteur de la
santé.
Les choix de gouvernance de lassurance maladie tracent depuis les années 1980 une trajectoire
marchande au système qui saccélère ces dernières années. Lun des traits marquants de lévolution du
système de santé est en effet lexistence dune désocialisation. Les mécanismes de coassurance, faisant
acquitter une part de plus en plus lourde au patient, constituent une mutation majeure du financement
de lassurance maladie. Parce quelle sexprime par un mécanisme de balancier la part de
lassurance obligatoire diminue en même temps que la part de lassurance complémentaire augmente,
cette désocialisation peut être vue comme une preuve de la prégnance des mécanismes marchands
dans la régulation de lassurance maladie. La couverture privée, investissant les espaces laissés
vacants par la couverture publique, développe les mécanismes de marché et conduit à une privatisation
rampante du système.
Cette lecture de linclinaison marchande du système de santé nest pas sans fondement quand elle
souligne que lextension marchande à un secteur dit « à imperfections » ne peut se faire sans
lintervention de lÉtat. Le marché ninvestit pas naturellement les espaces de la santé. Il a besoin de
lÉtat, ce qui brouille le clivage traditionnel entre État et marché.
Si lEtat construit cette forme de marché de la santé, il devient nécessaire déclairer la politique
publique au regard de critères marchands. Or, la vision « classique » (en matière de protection sociale)
dune prévoyance privée qui se construit par retrait (« retrenchment ») de lÉtat, nest pas totalement
pertinente pour le système de santé français. En effet, lintervention centralisée ny est pas en reflux. Il
semble au contraire que le système de santé français soit caracrisé par une accélération de
lintervention de lÉtat. Ainsi, la socialisation du système saccompagne dune « Étatisation » ou
dune « planification » de la santé (BARBIER, THERET, 2004).
Cette forme très particulière de marché qui sinstalle ne peut donc sappuyer sur la notion usuelle
de marché (walrasien) qui nexiste pas, ni même (uniquement) sur lexistence dun marché qui
sengouffre dans les espaces laissés vacants par la régulation publique. La notion de marc qui
semble pertinente en matière de santé est celle de « marché institué » reposant sur des évolutions
historiques et sociales et prenant des configurations diverses selon les arrangements institutionnels
(CORIAT, WEINSTEIN, 2005). Dans cette conception, lEtat qui construit ce marché, doit être pensé en
complémentarité au marché et non en opposition. Il étend le marché à des secteurs qui ne sont pas
naturellement- dans le registre du marché.
En soulignant que lorientation « marchande » du système de santé français relève dune politique
volontariste des pouvoirs publics, la partie 2 du texte souligne le rôle dun référentiel marchand sur les
représentations des acteurs et son expression particulière en matière de santé. Ce référentiel sectoriel
produit du sens en pointant les problèmes jugés importants, en limitant lespace des solutions, en
indiquant aux acteurs les ressources pertinentes, en forgeant un gime des "bonnes idées", etc. Il se
diffuse en rencontrant des forces et valeurs, propres à la configuration française. Cest pourquoi, la
façon de « faire marché » sinscrit dans des logiques nationales de protection sociale et des
arrangements institutionnels situés. On cherche à étayer cette construction marchande hic et nunc en
étudiant, dans une partie 3, le rôle des acteurs libéraux dans la réforme. Médecins et assureurs privés,
en disposant dun pouvoir de co-régulation, jouent un rôle majeur dans la forme de marché qui
sinstalle. La dernière partie redescend au niveau des logiques microéconomiques des acteurs pour
sintéresser à la construction, par la politique publique, dun nouveau comportement pour lassuré
social. Il ny a pas de marché sans consommateur souverain. Or, les réformes de la santé vont dans ce
sens, développant une logique de bien privé et de libre prévoyance. Elles ont besoin de sappuyer sur
un consommateur responsable et souverain, librement informé, notamment des différentes options
assurantielles et capable de faire des choix éclairés. Cette évolution prend le risque dune inégalité
accrue pour une efficacité douteuse sur la réduction de la dépense de santé.
2. QUAND LÉTAT FAIT SON MARCHÉ
La « réforme » française de la santé est caractérisée par un paradoxe qui nest quapparent : elle
conjugue plus dÉtat et plus de marché en conciliant activisme public et inclinaison marchande. Si la
3
réforme consacre la désocialisation dune partie de la couverture santé en accentuant les mécanismes
de co-assurance et en important des concepts venus du secteur privé (notamment la comptabilité
analytique en matière de gestion hospitalière), elle sappuie sur un Etat interventionniste qui « prend le
pouvoir » sur la régulation du système de santé. Ce dernier constitue dés lors lune des formes les plus
expressives de lavancée beveridgienne de la protection sociale fraaise. Cette évolution sapprécie
aussi bien au niveau des objectifs (création de la CMU notamment) que des moyens mis en œuvre,
quil sagisse du financement de la santé (par la CSG) ou des nouveaux outils de gouvernance installés
par lÉtat, comme la Haute Autorité de Santé ou encore le vote par le parlement du projet de loi de
financement de la sécurité sociale (PLFSS) qui fixe lobjectif national dévolution des dépenses
dassurance maladie (ONDAM).
Cette première partie soutient que lintervention publique accrue et la construction dun marché
font système. Elle instruit la façon dont les ressources cognitives marchandes imprègnent la politique
publique pour devenir des critères locaux de « bonne gouvernance » de lassurance maladie On
sintéresse à la production dun modèle dÉtat social en santé développant un « sens commun
réformateur » (2.1) puis, dans un second temps à la diffusion de ce modèle quand il rencontre les
logiques nationales de protection sociale (2.2).
2.1. Lémergence dun référentiel marchand pour la gouvernance de lassurance maladie
Avec la crise des années 1970, les gouvernements occidentaux ont commenpar employer les
instruments alors traditionnels contre le chômage. Ces outils keynésiens, qui avaient fait leur preuve
pendant les trente glorieuses, nont pas enrayé laggravation de la crise économique et les
gouvernements ont progressivement manifesté un changement dopinion envers le keynésianisme.
Laccusation dinefficacité a laissé place à celle de responsabilité dans la crise et la théorie
keynésienne et son plaidoyer en faveur de lintervention de lÉtat ont été accusés daggraver la crise
économique au lieu de la duire. La théorie économique des anticipations rationnelles qui est
considérée comme la critique la plus aboutie de la macroéconomie keynésienne nest pas étrangère à
cette conception partagée de la politique économique. En soutenant que les remèdes keynésiens sont
non seulement stériles envers le chômage mais aussi nuisibles car générateurs dinflation, elle a
disqualif durablement la théorie keynésienne traditionnelle. À partir des années 1970 et surtout dans
les années 1980, le keysianisme nest plus un référentiel adéquat de politique publique et un
référentiel « marchand » va animer les politiques publiques.
2.1.1. La construction dun modèle dÉtat social en santé
La notion de référentiel, forgée par lapproche cognitive des politiques publiques (P. HALL, 1993,
MULLER, 2000, Y. SUREL, 2000, JOBERT, 2003, etc.) permet, en insistant sur le rôle des idées dans les
politiques publiques, de souligner que celles-ci se nourrissent dun paradigme dominant qui peut être
remis en cause à la suite danomalies persistantes. Quand les faiblesses du paradigme dominant
deviennent des défaillances insurmontables, un nouveau paradigme sinstalle, à limage de la structure
des révolutions scientifiques de T KUHN.
La notion de « référentiel marchand », pour caractériser la nouvelle époque, si elle est intuitive, est
sans doute moins bien identifiée que celle de férentiel keynésien. Elle semble définie par défaut : on
oppose un mécanisme de coordination ; le marché, porté ou travaillé, à des degrés divers par une
multitude dauteurs1, à une théorie que lon peut mieux cerner par un seul auteur (KEYNES) et ses
partisans. Le terme marchand renvoie ici à lefficacité des mécanismes du marché, par opposition à la
nécessaire intervention de lÉtat chez KEYNES. Si léconomie keynésienne insistait sur les échecs du
marché (« market failure »), le nouveau paradigme va surligner les échecs de lintervention publique
(« state failure »). Dans ces conditions, pour différencier le nouveau référentiel, on pourrait employer
également les qualificatifs « walrasien » ou « néoclassique » ou renvoyer à « léconomie de loffre »
ou au « (néo) libéralisme ».
1 Y compris KEYNES.
4
Limportant est de souligner le lien intime entre la notion de référentiel et le rôle des
représentations dans la conduite des politiques publiques (THEVENON, 2006). Le référentiel fournit un
« cadre dinterprétation du monde » qui impose une problématique pertinente et définit des modèles
daction2. Le référentiel permet non seulement de saccorder sur la façon de résoudre le problème mais
aussi sur la définition du problème. Il diffuse ainsi une vision du monde légitimée, associant un régime
des « bonnes » idées à celui des « bonnes politiques ».
Le nouveau référentiel, sil affecte les politiques macroéconomiques globales, ne laisse pas
indemne lÉtat social dont la vision se transforme profondément. Associé au progrès social, améliorant
le bien être des ouvriers, des salariés puis de lensemble des individus, lÉtat social et en particulier
son pilier protection sociale est dorénavant remis en cause et dominé par une autre image. Le poids
financier quil fait supporter à ses contributeurs lui vaut dêtre rement critiqué. Lexistence dun
déficit public, valorisée comme instrument de relance à lère keynésienne est aujourdhui fortement
condamnée en vertu de « la gestion en bon père de famille ». La limitation des dépenses publiques
devient imrative et fait office dobjectif de toute politique. Le mot dordre est la diminution des
prélèvements obligatoires, aussi bien le prélèvement fiscal que le prélèvement social. La protection
sociale est alors intimée de faire une cure damaigrissement et les « poids lourds » de la protection
sociale française que sont les retraites et la santé (près de 80% des dépenses du régime général à eux
deux) subissent des réformes structurelles.
Largument financier va permettre de formater le problème à résoudre. Il va conduire à mettre en
actes, les idées du référentiel marchand dans un secteur comme la santé, sous tutelle publique, qui ne
lui est a priori pas accueillant. La pensée européenne, avec linstitution de lUnion Economique et
Monétaire et les critères de convergence, va beaucoup faire pour fortifier cette trajectoire
intellectuelle. Sans constituer une représentation parfaitement cohérente et totalement balisée, elle va
fournir des répertoires daction auxquels les gouvernements doivent se conformer. Le pays
contrevenant sexposerait alors au reproche de « mauvais élève », incapable « dassainir » son État
social. Un gouvernement est reconnu performant par ses pairs sil résout certains problèmes jugés
importants comme la baisse des déficits publics. Linfluence européenne peut aussi se faire plus
directe quand elle impose une paration entre léconomique et le social, traçant les frontières de ce
qui doit être donné ou rendu à la concurrence. Cette distinction va permettre didentifier comme
marchands, car économiques certains domaines de la santé. Ainsi, le plaidoyer de la commission
européenne pour « soumettre aux règles normales de la concurrence », lensemble de la protection
sociale complémentaire qui reve dun « service marchand » car sur la base du volontariat, peut être
interprété dans ce sens3.
Suite aux arbitrages de politique économique générale, le système de santé se met en conformité, à
sa manière, avec la valorisation de la concurrence, de la compétitivité et de la responsabilité
individuelle. Lordre nouveau qui sinstalle en matière de financement de la santé nest ainsi pas
spontané. Il nest pas le fruit dune évolution naturelle de la médecine, de la technologie, de la
démographie et des comportements vis-à-vis de la médecine. Il sappuie sur des relais efficaces et des
« locuteurs autorisés » (LORDON, 1999) comme la commission européenne4 mais aussi les hauts
fonctionnaires convaincus de linefficacité des politiques keynésiennes. La défiance envers la
2 Le modèle du référentiel se décompose en 4 étages : valeurs, normes, algorithmes et images. Les valeurs sont
peu discutées hors crise. Les normes sont des principes daction qui donnent lorientation générale de la politique
publique (il faut que). Les algorithmes développent des instruments sous la forme « si alors » (si les charges
baissent, alors la compétitivité saccroît). Enfin limage est un raccourci cognitif véhiculant les étages supérieurs
mais sans avoir à les déployer (le trou de la Sécu).
3 Dans une lettre adressée au gouvernement français en 2001, la commission recommande de ne pas soumettre à
la taxe de 7% les assurances privées quand les autres organismes complémentaires (mutuelles en particulier) en
sont exonérés.
4 « le fait que les réformes sociales des trente dernières années aient été régies principalement par des
considérations financières peut être associée, plus ou moins directement, à linstitution du marché et de la
monnaie unique dans lUnion européenne, via le jeu de politiques dinspiration néo-libérale. Ce marché et cette
monnaie unique ne sortent pas du chapeau dun magicien, ce sont des constructions politiques et sociales qui
renvoient à des choix politiques internes » (BARBIER, THERET, 2004, p. 4).
5
protection sociale et laspect trop coûteux du système de santé sont davantage partagés par certains
forums que par les intéressés eux-mêmes : les assurés sociaux.
2.1.2. Les communautés épistémiques et la construction dun modèle dÉtat social en santé
Deux types de relais doivent être soulignés dans le cas de la santé : léconomie de la santé,
productrice dun langage et les organismes internationaux producteurs de chiffres.
· Léconomie de la santé, caution du référentiel marchand
De façon paradoxale, léconomie de la santé est dun soutien plus efficace pour la politique
publique depuis quelle nest plus reliée à ladministration. En saffranchissant de la tutelle publique et
en produisant ses propres schèmes5, elle fournit une caution scientifique plus crédible pour le
développement du référentiel marchand. Linscription de lexpertise dicale dans une économie de
la santé, saffichant en tant que science conomique), illustre un processus de « force des liens
faibles ». La distance prise avec ladministration et les études uniquement empiriques est allée de pair
avec linsertion de léconomie de la santé dans un corpus théorique dobédience néoclassique.
Lapport de léconomie de la santé a été dadapter de façon convaincante le métalangage de
léconomie aux spécificités de la santé. Le secteur de la santé néchappe ainsi pas à une conception
essentiellement marchande des interactions sociales qui se veut naturelle. Elle se base sur une
anthropologie mettant en avant les comportements stratégiques qui sont étalonnés en dividendes
informationnels6. Léconomie de la santé adopte cette posture, valorisant la figure de lhomo
economicus, tardivement par rapport à dautres disciplines comme léconomie publique ou léconomie
du travail (ROCHAIX, 1997). Si lon dit souvent que léconomie de la santé est une discipline récente,
en fait, elle serait surtout une discipline lente.
Cette représentation savante du système de santé ne sest pas seulement imposée comme un cadre
théorique de référence. Elle a aussi une grande influence sur la politique économique et les « fictions
théoriques » ont la capacide sincarner dans les pratiques dans le cadre dun processus analypar
CALLON (1998) où léconomie comme discipline (economics) modèle léconomie comme réalité
(economy). La façon de concevoir les individus a en effet une grande influence sur lélaboration des
politiques publiques. La définition univoque et réductrice de lindividu, cantonné à un statut de
calculateur opportuniste nest pas neutre car elle oriente la façon de résoudre les problèmes
économiques en sadressant prioritairement aux intérêts égoïstes des individus. Cest pourquoi, le
formatage des esprits se traduit dans les faits. Les représentations théoriques influencent donc
fortement le réel. Elles ont la capacité à produire des comportements, et des réactions à ces
comportements, qui valident ex post cette façon de juger. Les prophéties deviennent alors auto-
réalisatrices (VENTELOU, 2001, 2002). Les notions phares de la microéconomie de la santé servent de
points dappui aux politiques publiques (SERRE, 1999): leffet dinduction (les producteurs ont la
capacité de créer une demande artificielle) sert (ou servait) de justification scientifique aux politiques
de rationnement de loffre (numerus clausus par exemple). Le concept daléa moral, établissant un
pont entre socialisation des dépenses et comportement de surconsommation, est la caution théorique
aux politiques de déremboursement. La nouvelle tarification hospitalière se nourrit de la notion de
concurrence fictive, développée notamment dans un rapport du CAE (MOUGEOT, 1999) et venant de la
théorie de lagence. Ces conceptions théoriques, élaborant un modèle dacteur en santé en phase avec
5 Qui peuvent dailleurs dorénavant aller à lencontre de ceux de ladministration. Lautonomisation de
léconomie de la santé, sa « lente sortie de lexpertise des espaces bureaucratiques », sa professionnalisation en
phase avec lévolution de lensemble de la science économique nempêchent pas lexistence dune cohabitation
avec un contexte social (BENAMOUZIG, 2005).
6 Léconomie de la santé est, pour une très large part, une économie de linformation. Dans le champ de la santé,
si le marché fonctionne mal cest parce quil existe un différentiel dinformation à lavantage dun acteur (le
médecin, lassuré) dans le cadre dune relation bilatérale (respectivement médecin patient ou médecin tutelle et
assureur (tutelle) assuré (patient)) Les problèmes posés à la microéconomie de la santé sont convertis en une
grandeur uniforme : linformation. Or, une telle analyse ne pointe pas uniquement une différence dinformation
entre un acteur, elle insiste sur son caractère indu. Lasymétrie dinformation est alors le moteur de
lopportunisme, ce qui permet de dérouler les principes du calcul économique et de trouver dans les logiques
incitatives les moyens de remédier à cet avantage abusif (BATIFOULIER, GADREAU, 2006b).
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