La crise de l`assurance maladie est-elle imputable à l

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La crise de l’assurance maladie est-elle imputable à l’orientation
marchande de l’État social ?
Philippe BATIFOULIER EconomiX, Université Paris X-Nanterre.
Jean-Paul DOMIN OMI-LAME, Université de Reims Champagne-Ardenne.
Maryse GADREAU LEG, Université de Bourgogne.
Résumé
En mettant au premier plan le rôle des représentations, ce texte propose une lecture de l’inclinaison
marchande du système de santé français. Pour penser le marché, il faut partir de l’Etat social et de sa
capacité à construire une forme de marché en s’appuyant sur les ressources cognitives du référentiel
marchand de politique publique et sa déclinaison locale ; sur les mécanismes de corégulation illustrant
le rôle des acteurs libéraux de la réforme ; et sur la nouvelle vision de l’assuré social faisant du patient
un consommateur souverain et responsable.
Abstract
This paper proposes a reading of the “reform” of the French health system, emphasizing the
diffusion of a «market toolbox» by the public policy. French social state never has intervened so much
in the health policy as these last years in order to apply market mechanisms both in the ambulatory and
hospital medical sectors. This economic policy modifies the actors’ representations and produces a
new physicians’ and a new patients’ market-based behaviour.
1. INTRODUCTION
Le dernier rapport de la Cour des Comptes chiffre les dépenses de santé à 41,7 % des dépenses des
régimes de base en 2004, talonnant ainsi les dépenses liées à la vieillesse (42,4 %, la famille
représentant 13,1 % et les accidents du travail 2,9%). Les dépenses de santé représentent environ 10%
du PIB (5,6% en 1970 et 8,6% en 1990) et la croissance annuelle moyenne ces dernières années est de
5 à 6%. Ces dépenses ne posent problème que si l’on ne peut (ou veut) pas augmenter les recettes.
L’entrée dans le domaine de la santé par le déficit fournit alors le décor à la dramatisation. Le solde du
régime général en 2004 est de - 13,2 milliards dont 12,3 milliards pour l’assurance maladie et le déficit
cumulé 2003-2006, pour cette seule branche, avoisine les 40 milliards d’euros. Ainsi le « trou de la
Sécu » est-il aujourd’hui celui de l’assurance maladie.
Les explications traditionnellement données à cette augmentation chronique de la dépense de santé
insistent sur la nature du bien santé (un bien supérieur, un bien premier naturel, un bien en soi, etc.),
sur l’évolution démographique (avec l’effet du vieillissement qu’il reste à évaluer par comparaison
avec l’effet de la proximité de la mort), et sur les pratiques « irresponsables » des acteurs (patients
comme médecins). Ce dernier type d’explication est privilégié par la microéconomie de la santé qui
met en avant la possibilité de manipulation offerte aux acteurs disposant d’un avantage informationnel.
Dans cet esprit, les dernières réformes, présentées comme étant à la fois structurelles et
exceptionnelles cherchent à combattre l’aléa moral du patient (notamment en durcissant les politiques
de ticket modérateur et en sanctionnant le nomadisme avec l’instauration d’un « parcours de tarifs »
qui constitue le corollaire du « parcours de soins »). Les médecins sont par contre épargnés par les
réformes récentes, non pas parce qu’ils sont jugés moins potentiellement fraudeurs que les patients
mais du fait de leur pouvoir politique et de la difficulté, souvent mentionnée, de faire une réforme
contre les médecins. C’est donc l’impuissance de la politique publique ou le blocage politique qui
expliqueraient la hausse incontrôlable des coûts, en empêchant la mise en oeuvre de mécanismes
incitatifs et concurrentiels susceptibles de conduire les individus à plus de vertu.
La crise financière de l’assurance maladie est donc une crise de la régulation publique, incapable
de mettre en œuvre des remèdes connus à la suite d’un diagnostic présenté comme allant de soi. Ce
texte cherche à étayer une autre conception de l’inefficacité publique où la « crise » de l’assurance
maladie est imputable à l’orientation marchande de l’État social et à sa traduction dans le secteur de la
santé.
Les choix de gouvernance de l’assurance maladie tracent depuis les années 1980 une trajectoire
marchande au système qui s’accélère ces dernières années. L’un des traits marquants de l’évolution du
système de santé est en effet l’existence d’une désocialisation. Les mécanismes de coassurance, faisant
acquitter une part de plus en plus lourde au patient, constituent une mutation majeure du financement
de l’assurance maladie. Parce qu’elle s’exprime par un mécanisme de balancier où la part de
l’assurance obligatoire diminue en même temps que la part de l’assurance complémentaire augmente,
cette désocialisation peut être vue comme une preuve de la prégnance des mécanismes marchands
dans la régulation de l’assurance maladie. La couverture privée, investissant les espaces laissés
vacants par la couverture publique, développe les mécanismes de marché et conduit à une privatisation
rampante du système.
Cette lecture de l’inclinaison marchande du système de santé n’est pas sans fondement quand elle
souligne que l’extension marchande à un secteur dit « à imperfections » ne peut se faire sans
l’intervention de l’État. Le marché n’investit pas naturellement les espaces de la santé. Il a besoin de
l’État, ce qui brouille le clivage traditionnel entre État et marché.
Si l’Etat construit cette forme de marché de la santé, il devient nécessaire d’éclairer la politique
publique au regard de critères marchands. Or, la vision « classique » (en matière de protection sociale)
d’une prévoyance privée qui se construit par retrait (« retrenchment ») de l’État, n’est pas totalement
pertinente pour le système de santé français. En effet, l’intervention centralisée n’y est pas en reflux. Il
semble au contraire que le système de santé français soit caractérisé par une accélération de
l’intervention de l’État. Ainsi, la désocialisation du système s’accompagne d’une « Étatisation » ou
d’une « planification » de la santé (BARBIER, THERET, 2004).
Cette forme très particulière de marché qui s’installe ne peut donc s’appuyer sur la notion usuelle
de marché (walrasien) qui n’existe pas, ni même (uniquement) sur l’existence d’un marché qui
s’engouffre dans les espaces laissés vacants par la régulation publique. La notion de marché qui
semble pertinente en matière de santé est celle de « marché institué » reposant sur des évolutions
historiques et sociales et prenant des configurations diverses selon les arrangements institutionnels
(CORIAT, WEINSTEIN, 2005). Dans cette conception, l’Etat qui construit ce marché, doit être pensé en
complémentarité au marché et non en opposition. Il étend le marché à des secteurs qui ne sont pas –
naturellement- dans le registre du marché.
En soulignant que l’orientation « marchande » du système de santé français relève d’une politique
volontariste des pouvoirs publics, la partie 2 du texte souligne le rôle d’un référentiel marchand sur les
représentations des acteurs et son expression particulière en matière de santé. Ce référentiel sectoriel
produit du sens en pointant les problèmes jugés importants, en délimitant l’espace des solutions, en
indiquant aux acteurs les ressources pertinentes, en forgeant un régime des "bonnes idées", etc. Il se
diffuse en rencontrant des forces et valeurs, propres à la configuration française. C’est pourquoi, la
façon de « faire marché » s’inscrit dans des logiques nationales de protection sociale et des
arrangements institutionnels situés. On cherche à étayer cette construction marchande hic et nunc en
étudiant, dans une partie 3, le rôle des acteurs libéraux dans la réforme. Médecins et assureurs privés,
en disposant d’un pouvoir de co-régulation, jouent un rôle majeur dans la forme de marché qui
s’installe. La dernière partie redescend au niveau des logiques microéconomiques des acteurs pour
s’intéresser à la construction, par la politique publique, d’un nouveau comportement pour l’assuré
social. Il n’y a pas de marché sans consommateur souverain. Or, les réformes de la santé vont dans ce
sens, développant une logique de bien privé et de libre prévoyance. Elles ont besoin de s’appuyer sur
un consommateur responsable et souverain, librement informé, notamment des différentes options
assurantielles et capable de faire des choix éclairés. Cette évolution prend le risque d’une inégalité
accrue pour une efficacité douteuse sur la réduction de la dépense de santé.
2. QUAND L’ÉTAT FAIT SON MARCHÉ
La « réforme » française de la santé est caractérisée par un paradoxe qui n’est qu’apparent : elle
conjugue plus d’État et plus de marché en conciliant activisme public et inclinaison marchande. Si la
2
réforme consacre la désocialisation d’une partie de la couverture santé en accentuant les mécanismes
de co-assurance et en important des concepts venus du secteur privé (notamment la comptabilité
analytique en matière de gestion hospitalière), elle s’appuie sur un Etat interventionniste qui « prend le
pouvoir » sur la régulation du système de santé. Ce dernier constitue dés lors l’une des formes les plus
expressives de l’avancée beveridgienne de la protection sociale française. Cette évolution s’apprécie
aussi bien au niveau des objectifs (création de la CMU notamment) que des moyens mis en œuvre,
qu’il s’agisse du financement de la santé (par la CSG) ou des nouveaux outils de gouvernance installés
par l’État, comme la Haute Autorité de Santé ou encore le vote par le parlement du projet de loi de
financement de la sécurité sociale (PLFSS) qui fixe l’objectif national d’évolution des dépenses
d’assurance maladie (ONDAM).
Cette première partie soutient que l’intervention publique accrue et la construction d’un marché
font système. Elle instruit la façon dont les ressources cognitives marchandes imprègnent la politique
publique pour devenir des critères locaux de « bonne gouvernance » de l’assurance maladie On
s’intéresse à la production d’un modèle d’État social en santé développant un « sens commun
réformateur » (2.1) puis, dans un second temps à la diffusion de ce modèle quand il rencontre les
logiques nationales de protection sociale (2.2).
2.1. L’émergence d’un référentiel marchand pour la gouvernance de l’assurance maladie
Avec la crise des années 1970, les gouvernements occidentaux ont commencé par employer les
instruments alors traditionnels contre le chômage. Ces outils keynésiens, qui avaient fait leur preuve
pendant les trente glorieuses, n’ont pas enrayé l’aggravation de la crise économique et les
gouvernements ont progressivement manifesté un changement d’opinion envers le keynésianisme.
L’accusation d’inefficacité a laissé place à celle de responsabilité dans la crise et la théorie
keynésienne et son plaidoyer en faveur de l’intervention de l’État ont été accusés d’aggraver la crise
économique au lieu de la réduire. La théorie économique des anticipations rationnelles qui est
considérée comme la critique la plus aboutie de la macroéconomie keynésienne n’est pas étrangère à
cette conception partagée de la politique économique. En soutenant que les remèdes keynésiens sont
non seulement stériles envers le chômage mais aussi nuisibles car générateurs d’inflation, elle a
disqualifié durablement la théorie keynésienne traditionnelle. À partir des années 1970 et surtout dans
les années 1980, le keynésianisme n’est plus un référentiel adéquat de politique publique et un
référentiel « marchand » va animer les politiques publiques.
2.1.1. La construction d’un modèle d’État social en santé
La notion de référentiel, forgée par l’approche cognitive des politiques publiques (P. HALL, 1993,
MULLER, 2000, Y. SUREL, 2000, JOBERT, 2003, etc.) permet, en insistant sur le rôle des idées dans les
politiques publiques, de souligner que celles-ci se nourrissent d’un paradigme dominant qui peut être
remis en cause à la suite d’anomalies persistantes. Quand les faiblesses du paradigme dominant
deviennent des défaillances insurmontables, un nouveau paradigme s’installe, à l’image de la structure
des révolutions scientifiques de T KUHN.
La notion de « référentiel marchand », pour caractériser la nouvelle époque, si elle est intuitive, est
sans doute moins bien identifiée que celle de référentiel keynésien. Elle semble définie par défaut : on
oppose un mécanisme de coordination ; le marché, porté ou travaillé, à des degrés divers par une
multitude d’auteurs1 , à une théorie que l’on peut mieux cerner par un seul auteur (KEYNES) et ses
partisans. Le terme marchand renvoie ici à l’efficacité des mécanismes du marché, par opposition à la
nécessaire intervention de l’État chez KEYNES. Si l’économie keynésienne insistait sur les échecs du
marché (« market failure »), le nouveau paradigme va surligner les échecs de l’intervention publique
(« state failure »). Dans ces conditions, pour différencier le nouveau référentiel, on pourrait employer
également les qualificatifs « walrasien » ou « néoclassique » ou renvoyer à « l’économie de l’offre »
ou au « (néo) libéralisme ».
1
Y compris KEYNES.
3
L’important est de souligner le lien intime entre la notion de référentiel et le rôle des
représentations dans la conduite des politiques publiques (THEVENON, 2006). Le référentiel fournit un
« cadre d’interprétation du monde » qui impose une problématique pertinente et définit des modèles
d’action2. Le référentiel permet non seulement de s’accorder sur la façon de résoudre le problème mais
aussi sur la définition du problème. Il diffuse ainsi une vision du monde légitimée, associant un régime
des « bonnes » idées à celui des « bonnes politiques ».
Le nouveau référentiel, s’il affecte les politiques macroéconomiques globales, ne laisse pas
indemne l’État social dont la vision se transforme profondément. Associé au progrès social, améliorant
le bien être des ouvriers, des salariés puis de l’ensemble des individus, l’État social et en particulier
son pilier protection sociale est dorénavant remis en cause et dominé par une autre image. Le poids
financier qu’il fait supporter à ses contributeurs lui vaut d’être sévèrement critiqué. L’existence d’un
déficit public, valorisée comme instrument de relance à l’ère keynésienne est aujourd’hui fortement
condamnée en vertu de « la gestion en bon père de famille ». La limitation des dépenses publiques
devient impérative et fait office d’objectif de toute politique. Le mot d’ordre est la diminution des
prélèvements obligatoires, aussi bien le prélèvement fiscal que le prélèvement social. La protection
sociale est alors intimée de faire une cure d’amaigrissement et les « poids lourds » de la protection
sociale française que sont les retraites et la santé (près de 80% des dépenses du régime général à eux
deux) subissent des réformes structurelles.
L’argument financier va permettre de formater le problème à résoudre. Il va conduire à mettre en
actes, les idées du référentiel marchand dans un secteur comme la santé, sous tutelle publique, qui ne
lui est a priori pas accueillant. La pensée européenne, avec l’institution de l’Union Economique et
Monétaire et les critères de convergence, va beaucoup faire pour fortifier cette trajectoire
intellectuelle. Sans constituer une représentation parfaitement cohérente et totalement balisée, elle va
fournir des répertoires d’action auxquels les gouvernements doivent se conformer. Le pays
contrevenant s’exposerait alors au reproche de « mauvais élève », incapable « d’assainir » son État
social. Un gouvernement est reconnu performant par ses pairs s’il résout certains problèmes jugés
importants comme la baisse des déficits publics. L’influence européenne peut aussi se faire plus
directe quand elle impose une séparation entre l’économique et le social, traçant les frontières de ce
qui doit être donné ou rendu à la concurrence. Cette distinction va permettre d’identifier comme
marchands, car économiques certains domaines de la santé. Ainsi, le plaidoyer de la commission
européenne pour « soumettre aux règles normales de la concurrence », l’ensemble de la protection
sociale complémentaire qui relève d’un « service marchand » car sur la base du volontariat, peut être
interprété dans ce sens3 .
Suite aux arbitrages de politique économique générale, le système de santé se met en conformité, à
sa manière, avec la valorisation de la concurrence, de la compétitivité et de la responsabilité
individuelle. L’ordre nouveau qui s’installe en matière de financement de la santé n’est ainsi pas
spontané. Il n’est pas le fruit d’une évolution naturelle de la médecine, de la technologie, de la
démographie et des comportements vis-à-vis de la médecine. Il s’appuie sur des relais efficaces et des
« locuteurs autorisés » (LORDON, 1999) comme la commission européenne4 mais aussi les hauts
fonctionnaires convaincus de l’inefficacité des politiques keynésiennes. La défiance envers la
2
Le modèle du référentiel se décompose en 4 étages : valeurs, normes, algorithmes et images. Les valeurs sont
peu discutées hors crise. Les normes sont des principes d’action qui donnent l’orientation générale de la politique
publique (il faut que…). Les algorithmes développent des instruments sous la forme « si …alors » (si les charges
baissent, alors la compétitivité s’accroît). Enfin l’image est un raccourci cognitif véhiculant les étages supérieurs
mais sans avoir à les déployer (le trou de la Sécu).
3
Dans une lettre adressée au gouvernement français en 2001, la commission recommande de ne pas soumettre à
la taxe de 7% les assurances privées quand les autres organismes complémentaires (mutuelles en particulier) en
sont exonérés.
4
« le fait que les réformes sociales des trente dernières années aient été régies principalement par des
considérations financières peut être associée, plus ou moins directement, à l’institution du marché et de la
monnaie unique dans l’Union européenne, via le jeu de politiques d’inspiration néo-libérale. Ce marché et cette
monnaie unique ne sortent pas du chapeau d’un magicien, ce sont des constructions politiques et sociales qui
renvoient à des choix politiques internes » (BARBIER, THERET, 2004, p. 4).
4
protection sociale et l’aspect trop coûteux du système de santé sont davantage partagés par certains
forums que par les intéressés eux-mêmes : les assurés sociaux.
2.1.2. Les communautés épistémiques et la construction d’un modèle d’État social en santé
Deux types de relais doivent être soulignés dans le cas de la santé : l’économie de la santé,
productrice d’un langage et les organismes internationaux producteurs de chiffres.
· L’économie de la santé, caution du référentiel marchand
De façon paradoxale, l’économie de la santé est d’un soutien plus efficace pour la politique
publique depuis qu’elle n’est plus reliée à l’administration. En s’affranchissant de la tutelle publique et
en produisant ses propres schèmes5, elle fournit une caution scientifique plus crédible pour le
développement du référentiel marchand. L’inscription de l’expertise médicale dans une économie de
la santé, s’affichant en tant que science (économique), illustre un processus de « force des liens
faibles ». La distance prise avec l’administration et les études uniquement empiriques est allée de pair
avec l’insertion de l’économie de la santé dans un corpus théorique d’obédience néoclassique.
L’apport de l’économie de la santé a été d’adapter de façon convaincante le métalangage de
l’économie aux spécificités de la santé. Le secteur de la santé n’échappe ainsi pas à une conception
essentiellement marchande des interactions sociales qui se veut naturelle. Elle se base sur une
anthropologie mettant en avant les comportements stratégiques qui sont étalonnés en dividendes
informationnels6. L’économie de la santé adopte cette posture, valorisant la figure de l’homo
economicus, tardivement par rapport à d’autres disciplines comme l’économie publique ou l’économie
du travail (ROCHAIX, 1997). Si l’on dit souvent que l’économie de la santé est une discipline récente,
en fait, elle serait surtout une discipline lente.
Cette représentation savante du système de santé ne s’est pas seulement imposée comme un cadre
théorique de référence. Elle a aussi une grande influence sur la politique économique et les « fictions
théoriques » ont la capacité de s’incarner dans les pratiques dans le cadre d’un processus analysé par
CALLON (1998) où l’économie comme discipline (economics) modèle l’économie comme réalité
(economy). La façon de concevoir les individus a en effet une grande influence sur l’élaboration des
politiques publiques. La définition univoque et réductrice de l’individu, cantonné à un statut de
calculateur opportuniste n’est pas neutre car elle oriente la façon de résoudre les problèmes
économiques en s’adressant prioritairement aux intérêts égoïstes des individus. C’est pourquoi, le
formatage des esprits se traduit dans les faits. Les représentations théoriques influencent donc
fortement le réel. Elles ont la capacité à produire des comportements, et des réactions à ces
comportements, qui valident ex post cette façon de juger. Les prophéties deviennent alors autoréalisatrices (VENTELOU, 2001, 2002). Les notions phares de la microéconomie de la santé servent de
points d’appui aux politiques publiques (SERRE, 1999): l’effet d’induction (où les producteurs ont la
capacité de créer une demande artificielle) sert (ou servait) de justification scientifique aux politiques
de rationnement de l’offre (numerus clausus par exemple). Le concept d’aléa moral, établissant un
pont entre socialisation des dépenses et comportement de surconsommation, est la caution théorique
aux politiques de déremboursement. La nouvelle tarification hospitalière se nourrit de la notion de
concurrence fictive, développée notamment dans un rapport du CAE (MOUGEOT, 1999) et venant de la
théorie de l’agence. Ces conceptions théoriques, élaborant un modèle d’acteur en santé en phase avec
5
Qui peuvent d’ailleurs dorénavant aller à l’encontre de ceux de l’administration. L’autonomisation de
l’économie de la santé, sa « lente sortie de l’expertise des espaces bureaucratiques », sa professionnalisation en
phase avec l’évolution de l’ensemble de la science économique n’empêchent pas l’existence d’une cohabitation
avec un contexte social (BENAMOUZIG, 2005).
6
L’économie de la santé est, pour une très large part, une économie de l’information. Dans le champ de la santé,
si le marché fonctionne mal c’est parce qu’il existe un différentiel d’information à l’avantage d’un acteur (le
médecin, l’assuré) dans le cadre d’une relation bilatérale (respectivement médecin patient ou médecin tutelle et
assureur (tutelle) – assuré (patient)) Les problèmes posés à la microéconomie de la santé sont convertis en une
grandeur uniforme : l’information. Or, une telle analyse ne pointe pas uniquement une différence d’information
entre un acteur, elle insiste sur son caractère indu. L’asymétrie d’information est alors le moteur de
l’opportunisme, ce qui permet de dérouler les principes du calcul économique et de trouver dans les logiques
incitatives les moyens de remédier à cet avantage abusif (BATIFOULIER, GADREAU, 2006b).
5
la théorie du choix rationnel et se diffusant à la fabrique des politiques économiques, reposent pourtant
sur des fondements scientifiques discutables. Ainsi, malgré la qualité des travaux et le progrès des
méthodes économétriques, l’effet d’induction n’a jamais fait l’objet d’une preuve définitive
(ROCHAIX, JACOBZONE, 1997). L’aléa moral dans sa version ex ante (l’absence d’effort de prévention
en présence d’assurance santé) est inexistant en santé (BARDEY et alii, 2003) et doit être fortement
relativisé dans sa version ex post (surconsommation en présence d’assurance santé) (LE PEN, 2002,
NYMAN 1999).
· Les organismes internationaux et l’impérialisme du chiffre économique
À côté de l’objectivisation scientifique, la mise en forme de la réalité a également besoin de repères
chiffrés, permettant de séparer l’important du secondaire en hiérarchisant les objectifs du système de
santé. Cette hiérarchisation, qui imprègne les esprits, met au premier plan les objectifs jugés
importants, reléguant à l’arrière-plan d’autres objectifs. La politique du chiffre est un vecteur
primordial de ce cadrage de la situation. La mise en nombre des mots n’est pas anodine puisqu’elle
permet de séparer ce qui vaut de ce qui ne vaut pas ou moins (EYMARD-DUVERNAY, 2004). Le
formatage chiffré du problème nécessite aussi de définir les bons chiffres et dans ce cadre les chiffres
« économiques » sont plus importants que les chiffres sanitaires si l’on veut regarder et juger les
systèmes de santé avec des yeux comptables. Le ratio dépenses de santé / PIB va alors devenir une
norme, érigée en loi économique universelle par l’OCDE. Les forces sont converties en ratio, ce qui
permet de dresser un palmarès des différents pays membres. La part des dépenses de santé dans le PIB
supplante le niveau d’espérance de vie, le montant du prélèvement public, celui de la mortalité
infantile, etc. Et c’est pourquoi, la « très bonne » performance de la France pour l’OMS pèse peu par
rapport à la mauvaise performance, chiffrée par l’OCDE.
Ce formatage du problème, mettant en avant le thème des « prélèvements insupportables » ne
conduit pas seulement à penser les questions en termes de performance économique mais aussi de
concevoir leur résolution. Ce cadrage de la situation porte un discours sur la réforme. Le « sens
commun réformateur » est alors véhiculé par des institutions légitimes au regard de l’objectif
poursuivi. Alors que l’OMS est tombée en disgrâce car sa doctrine (le meilleur état de santé possible)
ne correspond plus au nouveau mot d’ordre, des interlocuteurs nouveaux dans le champ de la
santé apparaissent: l’OCDE mais aussi la banque mondiale (SERRE, PIERRU, 2001). Fort d’un critère
unique fournissant un cadre d’interprétation des performances des systèmes de santé, des pays vont
devenir des modèles. Ainsi les États-Unis, dont on reconnaît largement l’échec du système de santé,
présente une très bonne performance au regard de son très faible taux de dépenses publiques de santé.
Mais c’est le National Health Service britannique qui est exemplaire pour l’OCDE car, il arrive à
endiguer la croissance des dépenses de santé en % du PIB dans un cadre beveridgien7. Ce classement
érige le système libéral anglo-saxon comme modèle d’administration de la santé alors que sa faible
faculté à éloigner les individus des aléas du marché lui donne de faibles scores de
« démarchandisation » (ESPING-ANDERSEN, 1991).
Au total, la production jointe de modèles et d’argumentaires par l’économie de la santé et les
organismes internationaux dans le cadre de « communautés épistémiques », auxquels il faudrait
ajouter les nouveaux critères du management public forgent un châssis intellectuel plaidant pour une
représentation marchande du système de santé et fabriquant les outils de la réforme. Cependant, ce
châssis n’est pas celui d’un marché pur et la théorie des marchés ne peut être plaquée directement sur
un secteur spécifique comme la santé.
2.2. La diffusion du modèle selon une logique nationale de protection santé
La diffusion du référentiel marchand de politique publique, qu’il s’inspire des travaux des
économistes de la santé ou des rapports de l’OCDE, s’accompagne paradoxalement de l’affirmation
d’une régulation marchande impossible ! Il semble en effet entendu qu’il est à la fois impossible et
contre-productif de faire de la santé un secteur régulé par le marché. La plasticité du terme « marché »
permet de concilier l’existence d’un référentiel marchand et la disqualification d’un marché pur. Le
7
Plus généralement, les indicateurs de « performance » construits par l’OCDE disqualifient les systèmes
bismarckiens comme la France.
6
travail sur la notion de concurrence permet de comprendre comment la rhétorique de l’évidence
marchande est accommodée aux spécificités du domaine de la santé.
2.2.1. Une concurrence qui a besoin de règles
Si le marché pur est proscrit, la mise en concurrence des acteurs de santé par la politique publique
est bien réelle mais prend une forme particulière. Elle s’observe aussi bien en médecine ambulatoire
(avec la concurrence des assureurs pour le financement d’une part complémentaire en croissance)
qu’en médecine hospitalière (avec la T2A et la concurrence par comparaison ou Yardstick
competition). Les désormais incontournables méthodes de benchmarking font office de critère de
"bonne gestion" et permettent de mesurer la performance d’un système de santé, d’un hôpital, d’une
mutuelle, en comparaison avec la performance des autres. La compétition est alors la source de
l’efficacité.
Si l’idée de concurrence est intimement liée à celle de marché, elle n’est pas présentée comme une
idéologie mais comme une "mécanique" pragmatique. Elle ne se veut donc pas d’inspiration libérale.
Au contraire, le renforcement de la concurrence en santé a besoin de l’État pour concilier notamment
efficacité et équité (ROCHAIX, 2004). La concurrence a donc besoin de règles. C’est pourquoi, la
notion de concurrence qui se diffuse en matière de santé repose sur les concepts de « concurrence
encadrée » pour les assureurs (ENTHOVEN, 1993) ou de « concurrence fictive » pour la tarification
hospitalière (MOUGEOT, 1999). On voit alors comment l’idée de concurrence, définissant la
coordination par le marché, peut être adaptée aux spécificités de la santé pour démontrer que cette
forme de marché (encadré) conduit à l’efficience, car source d’incitation à la réduction des coûts et des
volumes8.
L’orientation concurrentielle de la réforme est justifiée au nom de critères d’efficacité qui, s’ils se
veulent neutres, ne le sont pas. En effet, dans la théorie (néoclassique) des marchés, la concurrence
associe un prix à chaque bien. À partir de ce prix, les agents construisent leur plan9. La construction
d’une logique de prix, modifie en profondeur le comportement des agents. Au niveau hospitalier, le
calcul d’un prix via les points ISA, à partir de la comptabilité analytique, peut conduire à activer une
logique de compétition (MOISDON, 2000). Au niveau ambulatoire, la logique de prix participe au
développement d’une prévoyance libre (nous y reviendrons). Les individus (offreurs comme
demandeurs de soins) ne se comportent pas spontanément comme des preneurs de prix et le prix des
soins n’est traditionnellement pas (ou peu) un argument de la décision de soins. C’est par un jeu
d’incitations (bonus comme malus) que la politique publique met en forme une organisation où le prix
devient un élément de l’échange médical.
2.2.2. Une concurrence qui compose avec les spécificités nationales
La diffusion de cette notion de concurrence en santé conduit à proposer des réformes non plus
adaptées aux spécificités de la santé, contrairement à ce qui est affirmé, mais aux spécificités du
marché de la santé. Cependant, le travail sur la notion de concurrence doit également composer avec
les spécificités nationales. La réforme, une fois accommodée au terrain (la santé) doit aussi être
traduite en fonction des caractéristiques domestiques.
Il semble acquis que les concepts transnationaux ont des efficacités diverses en fonction de leur
acclimatation aux logiques nationales de protection sociale. Le social n’est pas sans frontière et la
dynamique principale de la réforme est nationale (HASSENTEUFEL, PALIER, 2001). Ainsi,
l’introduction d’une concurrence encadrée ou réglée a des résonances particulières dans des pays de
tradition bismarckienne comme l’Allemagne ou les Pays-Bas (COHU et alii, 2005). La France, qui
appartient à cette tradition, présente des attributs spécifiques et la logique de concurrence rencontre
d’autres logiques administratives et/ou techniques, notamment à l’hôpital (MOSSE, PIERRU, 2002). Il
n’y a pas de transposition unilatérale de concepts unanimement valorisés (par les gouvernants) et les
systèmes de santé conservent une remarquable diversité.
8
9
Voir SERRE et PIERRU (2001) pour la performation de cette notion de concurrence encadrée.
Les comportements de « preneur de prix » sont justifiés quand le nombre d’agents est élevé.
7
Le référentiel sectoriel marchand ne fournit qu’un cadre d’interprétation qui rencontre la réalité
concrète des institutions nationales. Le principe de concurrence réglée se décline différemment selon
le contexte. La notion de dépendance au chemin souligne le rôle de l’origine dans l’évolution des
systèmes. Les réformes s’inscrivent dans des arrangements institutionnels existants et ne dénaturent
pas fondamentalement les types de régime d’État social. Ces conclusions, souvent formulées pour les
systèmes de protection sociale dans leur ensemble, valent pour les systèmes de santé. La réforme doit
composer avec le passé et l’histoire nationale a un poids important dans la trajectoire des systèmes.
Cette dépendance au chemin peut être vue comme court-circuitant toute réforme dans un contexte
d’immobilisme culturel et de verrous institutionnels (ROCHAIX et WILSFORD, 2005). Une conception
ferroviaire (rester dans les rails) de la dépendance au chemin proscrit tout changement sauf à s’en
remettre, dans une logique évolutionniste, à de petites mutations de politique économique débouchant
à un processus d’ordre spontané où le résultat des intentions n’a pas été prémédité. On peut également
analyser les sentiers d’évolutions des systèmes en privilégiant le compromis entre les logiques
nationales et les critères transnationaux. Il y a alors bien réforme et même parfois transformation
profonde mais avec des résultats finaux qui résultent de l’accommodation des idées partagées par les
gouvernements, aux résistances et critiques (qu’il serait très hâtif de juger sans fondement) des acteurs
locaux.
La diversité persistante des systèmes de santé montre que la rhétorique ne détermine pas
directement les pratiques. Le contexte d’harmonisation cognitive des représentations de l’État social
n’est cependant pas sans effet sur les réformes de la santé. Il n’y a pas ou peu de convergence
(européenne notamment) des systèmes de santé mais les recettes des voisins, cuisinées à la sauce
locale conduisent à une hybridation des systèmes, amenant par exemple à rechercher pour un pays
bismarckien comme la France, des mesures d’obédience beveridgienne (LETOURMY, 2000). Cette
hybridation peut être considérée comme étant déjà présente à l’origine de la protection sociale
française et c’est le curseur entre Bismarck et Beveridge qui se déplace et non le système qui se
convertit.
Cette hybridation s’accompagne très souvent de l’accent mis sur les mécanismes du marché qu’ils
soient diversement accompagnés de changement dans les modes de gouvernance dans les pays
continentaux (bismarckiens) ou de décentralisation pour les pays scandinaves et le Royaume-Uni
(ANDRE, 2005)10. La réforme des systèmes de santé contient plus de traces de marché (« market
traces ») que d’autres secteurs de la protection sociale (LAMPING, STEFFEN, 2005). En particulier,
l’idée d’un partage public/privé, le premier étant restreint à la solidarité nationale et le second
renvoyant à la libre prévoyance, n’est pas seulement une rhétorique, tout spécialement dans les pays
bismarckiens où le payeur (Sécurité sociale) ne prend pas en charge la totalité de la dépense de soins
(TURQUET, 2004).
L’effet principal du référentiel marchand est d’installer une vision nouvelle de l’État social, non
plus concurrent du marché. L’État est également appelé à jouer un rôle proactif vis-à-vis du marché
pour rendre au système son efficacité perdue dans un contexte de limitation des dépenses. Son rôle est
d’activer les individus et pas seulement les dépenses (BOYER, 2005). Cette théorie de l’État social
actif, renouvelant les principes de l’action publique dans un contexte de Workfare, déploie un
« solidarisme responsabiliste » où l’individu doit peser le moins possible sur les autres (ARNSPERGER,
2005). Cette conception, inversant la vision habituelle de la solidarité, développe une logique de
responsabilité individuelle où les individus doivent assumer une partie croissante de leur risque santé.
3. UNE ANALYSE MACROECONOMIQUE EN TERMES DE COREGULATION
Cette nouvelle fonction de l’État social peut se repérer dans la façon dont est piloté le système. Si
les pouvoirs publics sont le maître d’œuvre du système de santé français, celui-ci est historiquement
cogéré par des acteurs libéraux, ordonnateurs privés de la dépense. Cette partie analyse l’inclinaison
marchande du système de santé au regard des logiques libérales de ces acteurs qui ont un pouvoir de
corégulation. On s’appuie sur deux types d’acteurs. Les médecins tout d’abord, qui ont toujours
10
8
Les pays du Sud combinent décentralisation et privatisation.
participé activement à la réforme, dans un cadre administratif de régulation conjointe, et par leur
critique récurrente de l’Etat social. Le libéralisme politique latent de la profession n’est pas sans
incidence sur la forme de marché de la santé qui se construit (3.1). Les mesures les plus récentes de la
réforme associent les organismes complémentaires à la régulation de la santé. Cette corégulation prend
cette fois moins la forme d’une critique que d’un partenariat institutionnel. Elle reformule le
désengagement de l’État puisqu’il se fait dorénavant en concertation avec les organismes
complémentaires. Cette nouvelle donne, construite par la politique publique, contribue à éclairer la
forme de marché qui se met en place (3.2)
3.1. Régulation conjointe et critique des médecins
Les médecins sont fréquemment considérés comme les acteurs forts du système de santé11. Cette
force n’est pas réductible à leur position d’expert ou d’agent sur laquelle se focalise l’analyse
économique standard. L’expertise s’accompagne d’une position politique négociée avec l’État dont
témoigne l’acquisition de droits d’autorégulation et d’autocontrôle (HASSENTEUFEL, 1997). Pour
arracher son indépendance, la profession s’accommode d’une intervention d’État tout en conservant et
revendiquant un statut libéral et combattant toute « étatisation ».
Une réforme du système de santé peut ainsi difficilement se faire avec les médecins qui y voient
une atteinte à leurs marges de manœuvre et à leur « pouvoir discrétionnaire ». Elle peut aussi
difficilement se faire contre eux. Il est alors assez commun de suspecter de faiblesse l’intervention
publique en matière de santé, les solutions (pour réduire les dépenses) étant connues mais leur mise en
œuvre se heurtant à un blocage politique. Pourtant, plus que de résulter d’une logique de blocs
antagonistes, la trajectoire du système de santé témoigne d’une régulation conjointe où les médecins
participent à la réforme. En s’appuyant de la contribution décisive de J-D REYNAUD aux sciences
sociales, on peut montrer que la régulation « réelle » du système de santé imbrique des acteurs du
sommet et ceux de la base. Elle mobilise à la fois une régulation de contrôle qui va du sommet à la
base et une régulation autonome (à l’inverse).
3.1.1. Critique professionnelle et régulation autonome
En insistant sur le pouvoir régulateur des professionnels, on soutient que la réforme n’est pas du
seul ressort de la puissance publique. Les mesures de politiques publiques ne dictent pas l’entière
situation du système car c’est la base qui la met ou non en oeuvre. La régulation autonome des
professionnels les conduit à accommoder les mesures de politique économique sans toucher aux
prérogatives décisionnelles de la puissance publique. Ce qui fait système est donc un jeu institutionnel
de régulations, où l’impulsion publique est critiquée par les médecins qui alors y répondent et s’en
écartent. L’accent mis sur la critique des acteurs conduit à leur reconnaître une capacité de
contournement de la politique publique. La critique commence par la sélection du problème. Tout ne
fait pas l’objet de la même critique et de la même attention. Le formatage du conflit permet d’orienter
la réforme vers les problèmes jugés pertinents. La solution du centre aux obstacles posés par la
périphérie débouche vers une régulation conjointe. La régulation globale ne se réduit pas à un simple
marchandage, mais décrit un compromis entre autonomie et contrôle (FAVEREAU, 2003).
Le vocabulaire de la critique offert par BOLTANSKI et CHIAPELLO (1999) fournit des outils de
lecture de la critique médicale, étant entendu que celle-ci ne porte pas sur le capitalisme mais sur
l’intervention de l’État12. La critique médicale n’est pas une « critique sociale ». Les thèmes comme la
réduction des inégalités (de santé), le combat contre l’exclusion (des soins) ou encore la négation de
l’individualisme n’appartiennent pas à l’argumentation médicale ordinaire. La critique ne porte pas sur
la désocialisation du système de santé et sur les inégalités qu’elle engendre.
11
« le véritable face-à-face ne se déroule plus entre les partenaires sociaux, ou entre les partenaires sociaux et
l’État, mais entre les professions de santé et l’État ». Propos de D. COUDREAU, ancien directeur de la CNAM de
1979 à 1989, rapportés par « Le Monde » du 26 avril 2004.
12
On reprend ici une partie du vocabulaire de l’analyse sans prétendre donner une illustration de l’analyse de
BOLTANSKI et CHIAPELLO au cas des médecins.
9
La qualité des soins est un thème évinçant celui de l’égalité dans les soins. Selon le discours
médical, cette qualité est mise à mal par l’intervention publique qui impose des rationnements et bride
la liberté de prescription. La critique de l’étatisation conduit alors à afficher la « charte de la médecine
libérale » dont les principes13 sont autant de remparts aux menaces que fait peser la politique publique.
Ainsi, le principe de « l’entente directe » (entre le patient et le médecin) interdit de remettre en cause
le paiement à l’acte, le libre choix du médecin par le patient condamne l’affiliation d’un patient à un
médecin (et le paiement de ce dernier par capitation), la liberté d’installation n’est pas compatible avec
des politiques luttant contre les déserts médicaux, etc.
L’épreuve de force engagée par les médecins depuis le conventionnement de 1960 (rejeté par un
tiers d’entre eux par crainte de « bureaucratisation » et de « fonctionnarisation ») jusqu’à aujourd’hui,
s’appuie sur la référence libérale qui fournit le cadre théorique et le registre argumentatif de
l’indignation médicale face à l’étatisation. Le bras de fer récurrent entre la profession et l’État social
porte sur la liberté d’action médicale, la politique de l’État étant jugée liberticide et, in fine,
préjudiciable à la santé du patient.
« L’épreuve » que se donne la profession est donc bien particulière. Instituée à chaque négociation
de la « convention médicale » ou à la promulgation d’un plan (le plan Juppé par exemple), elle porte
sur l’étatisation, menaçant la qualité des soins et non sur les effets inégalitaires de la désocialisation.
La critique, si elle est permanente, est fluctuante. Il s’agissait au début du conventionnement de lutter
contre l’emprise institutionnelle de l’État et de la CNAMTS. Il s’agit davantage aujourd’hui de
combattre la contrainte imposée par les besoins de financement. Le discours sur la nécessaire
contraction de la dépense suscite son contre discours valorisant le bien fondé de la dépense.
La critique médicale rejoint sur bien des aspects la « critique artiste » de BOLSTANKI et CHIAPELLO
(BATIFOULIER, 2004). Les médecins sont des artistes à leur manière et pas seulement parce que leur
activité est souvent qualifiée d’art. Comme l’artiste et à la différence du salarié, le médecin peut
conserver un droit de propriété sur sa production puisqu’il est responsable de la guérison. Il en
orchestre les moyens en agissant au nom du malade. Surtout, la recherche de l’authenticité, le rejet de
la massification et d’un travail « tayloriste » au profit d’un travail enrichissant et motivant sont des
mots d’ordre médicaux. Le militantisme à faire de la relation médecin patient un « colloque
singulier », expurgé de toute ingérence extérieure et refusant la hiérarchie est symptomatique de la
valorisation du lien personnel du médecin avec son patient. C’est l’unicité de la relation (comme
œuvre) qui est ici célébrée.
La politique publique offre un moyen d’expression de cette critique artiste. Ainsi en est-il des
justifications avancées au passage aux honoraires libres. En 1980, un nouveau secteur tarifaire est créé
(le secteur 2 des honoraires libres) permettant aux médecins qui le souhaitent de percevoir un
dépassement d’honoraires non remboursé au patient par le régime public. La critique médicale contre
l’étatisation prend la forme d’une lutte contre le carcan tarifaire, donnant lieu à la création du secteur 2
« dont la suite des événements dira la gravité potentielle au regard du principe de la protection
sociale » (ARLIAUD, ROBELET, 2000, p. 95). Le médecin qui opte pour le dépassement n’affiche pas
l’esprit du lucre qui reste un sujet tabou (BLOY, 2002) et la nouvelle donne tarifaire n’est pas perçue
comme un moyen de maximiser des revenus mais comme un moyen offert à l’exercice d’une
médecine qui prend son temps. Le passage en secteur 2 s’accompagne alors du rejet de la
mécanisation de l’acte, plaidant pour l’allongement de la durée de consultation, contre la « course à la
quantité ». Le dépassement d’honoraire est alors une réponse au « désenchantement » des médecins
face à une médecine qui soigne les maladies et non les malades et qui est donc « inauthentique ».
L’augmentation du prix est vécue comme un moyen de compenser la perte de revenu, induite par la
diminution des actes. La critique du « gel » du secteur 2 à partir de 1990 s’inscrit dans le même
registre. Il ne s’agit pas de défendre une simple opportunité tarifaire liée à l’ouverture d’une fenêtre
réglementaire (1980-90) mais de revendiquer une autre médecine. C’est en ce sens que la
revendication reçoit aussi l’appui des étudiants en médecine (grève des internes de 1990) et des jeunes
médecins qui n’ont pas fidélisé de clientèle. Avec le dépassement d’honoraires, le patient « est invité à
y voir un positionnement du médecin en termes de qualité…à y percevoir une proposition du médecin
13
Le code le la Sécurité Sociale reprend certains aspects de la charte.
10
de pratiquer une médecine moins rapide, plus attentive, mieux informée, plus rigoureuse, etc. »
(BLOY, 2000, p. 26).
L’argument de la qualité des soins (auquel est sensible le patient et qu’il peut relayer) est converti
en logique de prix libre et le débat sur la qualité se déplace - du côté des médecins- vers une
revendication tarifaire. La fixation d’un prix nécessaire à une médecine de qualité est l’objet de chaque
« convention médicale » qui devient de fait une négociation tarifaire. L’existence d’un référentiel
marchand de politique publique ne peut pas être sans effet sur ce libéralisme médical et sur son
expression tarifaire. Il imprègne la critique légitime en véhiculant un référentiel d’action qui oriente
les représentations en fournissant des ressources argumentatives.
3.1.2. Libéralisme médical et effet pervers de l’inclinaison marchande
Si la régulation autonome participe grandement à la régulation réelle du système de santé, la
régulation de contrôle (des pouvoirs publics) n’est évidemment pas inexistante et a, en particulier, le
pouvoir d’orienter les représentations des professionnels avec la diffusion de la légitimité marchande.
L’évolution de l’éthique institutionnelle de la médecine en offre un témoignage
Les valeurs de bienveillance ou de bien-être du malade, la valorisation du paternalisme médical
comme expression du « care », significatives d’un médecin soucieux de son malade, sont héritées d’un
passé ancien, valorisé et préservé, et forgent « l’identité minimale » de la médecine. Mais
l’hippocratisme ne suffit pas à construire une éthique de la médecine. Il est assorti de valeurs libérales
plus récentes qui se sont forgées, dans les années 20, contre l’État social. Face à l’interventionnisme
étatique, elles affirment la liberté et l’indépendance de la profession où les devoirs envers les malades
supplantent les devoirs envers l’État providence. Le libéralisme médical est présenté comme la seule
manière d’assurer des soins. De telles valeurs se manifestent par l’activation d’une logique de « petite
entreprise » : la valorisation de l’entente directe et des libertés de toute sorte (prescription, installation,
et surtout tarifaire) est vue comme un moyen de pratiquer une médecine responsable. Cette « idéologie
médicale » qui s’exprime notamment dans la « critique artiste » n’est pas synonyme d’un
comportement opportuniste et intéressé (la liberté des prix permet certes de pratiquer des actes chers,
mais autorise aussi des actes gratuits). La revendication libérale n’est pas opposée au devoir de
générosité du médecin, à condition qu’il le décide seul et non en application d’un tarif administratif.
L’éthique médicale combine ainsi des valeurs hippocratiques et libérales (JAUNAIT, 2005). Les
secondes définissent le rapport avec l’État et sont donc reliées à l’évolution de la politique
économique en matière de santé. Il est alors instructif d’étudier l’effet de la diffusion de principes
venant du marché dans un secteur dominé par une éthique libérale.
Cette orientation « marchande » de la politique de santé relève d’une politique volontariste des
pouvoirs publics. Elle n’est pas sans influence sur les représentations quand elle produit du sens en
pointant les problèmes jugés importants, en délimitant l’espace des solutions, en indiquant aux acteurs
les ressources pertinentes, en forgeant un régime des "bonnes idées", etc. Elle conduit à l’activation
d’un référentiel marchand sur lequel les individus vont davantage s’appuyer pour interpréter les règles.
La rencontre du référentiel marchand et de l’optique libérale de la médecine ne peut pas être sans
conséquences. Le premier agissant sur les représentations, la seconde véhiculant des valeurs, la
rencontre se traduit par une évolution de l’éthique médicale qui modifie, chez les acteurs et chez les
médecins particulièrement, la définition d’un comportement légitime (BATIFOULIER, GADREAU, 2005,
2006a). Des comportements nouveaux apparaissent qui sont qualifiés de conformes à l’éthique par
leurs protagonistes. Or, ces comportements peuvent conduire à augmenter les dépenses de santé. La
convention libérale marchande qui nourrit l’évolution des représentations en matière de santé, peut
donc avoir des effets négatifs. La croissance des dépenses de santé est alors, pour une part, endogène à
la politique économique.
Deux types d’illustration (non exhaustives) peuvent être données :
(i) La réforme conduit à faire apparaître le prix comme un élément de plus en plus prégnant de
l’échange médical et engage vers une nouvelle donne tarifaire. Une règle rigide comme l’existence
d’un tarif d’autorité est aujourd’hui fortement interprétée dans un sens marchand. La liberté tarifaire
trouve un encouragement dans la politique publique qui, de la création du secteur 2 (honoraires libres)
11
à la réforme du médecin traitant, a légitimé le dépassement d’honoraires. La multiplication des
dépassements sauvages, en ambulatoire comme à l’hôpital, le recours en justice en cas d’interdit
administratif de dépassement (PRETOT, 2004) et qui est pensé comme un combat pour une « juste
rémunération », l’envolée des dépassements en secteur 1 (et donc coûteux à l’assurance maladie)
recensé par les statistiques (le point de conjoncture de la CNAM de mars 2003 chiffre à + 30% sur 2
ans l’accroissement des « dépassements exceptionnels pour exigence particulière du malade » en
secteur 1)14 offrent un témoignage particulièrement saisissant de l’évolution de ce qu’il apparaît
correct de faire suite à la permissivité marchande .
(ii) Le référentiel marchand fournit également un climat favorable au processus de
« dégratuitisation ». Ce qui était gratuit naguère pour certains soins est payant aujourd’hui sans que
cette attitude soit jugée incorrecte par le professionnel : renouvellement d’ordonnances en cabinet
médical ou en maison de retraite, vaccinations, actes récurrents, avis bref sur un examen demandé, etc.
L’esprit des réformes néolibérales, couplé à la logique de la médecine libérale conduit à une
permissivité marchande où des attitudes jugées incorrectes hier deviennent légitimes aujourd’hui.
Cette érosion de la part gratuite accompagne le développement d’une propension à « marchandiser »
(BATIFOULIER, VENTELOU, 2003). Le raccourcissement tendanciel de la durée de consultation
augmente le tarif par minute et peut être vu comme un indicateur d’une propension à tarifer. Comme il
existe une corrélation positive entre niveau de prescription pharmaceutique et durée de consultation, la
sur qualité, plus dépensière, constitue l’envers de l’érosion de la part gratuite.
La légitimation des dépassements d’honoraire, la revendication de la liberté tarifaire, l’érosion de la
part gratuite et le développement d’une propension à « marchandiser » sont reliés à l’accroissement
des incitations intrinsèques qui dissuade les comportements vertueux. Pour les promoteurs de la
réforme, le marché est censé accélérer la réduction des dépenses. Or, la politique économique en santé,
mise en œuvre depuis une quinzaine d’année, légitime des comportements intéressés et conduit à
l’augmentation des dépenses de santé qu’elle cherche précisément à maîtriser. La politique
économique prend appui sur des incitations extrinsèques ayant pour objectif d’encadrer les
motivations intrinsèques. À long terme, les premières se répercutent sur les secondes dans un sens
contraire à l’objectif recherché. Ce phénomène qualifié de crowding effect a été mis en évidence dans
le cadre de la politique de l’emploi (FREY, 1997) et de la politique énergétique (KREPS, 1997).
BENABOU et TIROLE (2003) ont tenté, en s’inspirant des travaux de psycho-sociologie, d’analyser le
crowding effect en dépassant la théorie de l’agence. Les incitations monétaires peuvent décourager les
agents à faire des efforts. En effet, dans une relation principal-agent, l’agent considère la tâche qui lui
est déléguée d’autant moins attractive qu’une récompense lui est promise pour la réaliser. Il estime que
si le principal veut lui acheter le résultat de son engagement, c’est qu’il n’a pas confiance en lui. La
suspicion du principal rejaillit négativement sur la confiance de l’agent en lui-même et sur l’efficacité
de son engagement.
Cette interprétation s’appuie essentiellement sur les analyses psychosociologiques selon lesquelles
toute récompense transforme un comportement proactif spontanément efficace en un comportement
réactif peu ou pas efficace. Toutes les mesures prises en matière de politique économique de santé ont
été, au mieux, sans effet réel sur le corps médical et au pire, contraires à l’objectif recherché. La
politique économique de la santé apparaît donc comme paradoxale dans la mesure où en voulant
maîtriser les dépenses de santé, l’État social néo-libéral les active. L’incapacité de l’État social néolibéral à penser la spécificité du domaine de la santé est ici mise en lumière.
14
En 2002, le nombre de consultations donnant lieu à un dépassement d’honoraires a été multiplié par deux. Il y
a donc une diffusion progressive de ces comportements chez les professionnels. Dans les faits, les dépassements
ont majoré les honoraires de 8 % en moyenne en 2002 (CNAMTS, 2003). En 2004, le poids des dépassements a
représenté 5,5 % des honoraires totaux des omnipraticiens et 14,4 % de certains spécialistes14. Entre 2003 et
2004, le taux d’évolution des dépassements a diminué de 3,5 % pour les médecins généralistes. Dans le même
temps, il a augmenté de 5,1 % pour les spécialistes étudiés. Chez ces derniers, ce sont les stomatologues qui
abusent le plus des dépassements avec 40,4 % des honoraires totaux. Après eux, les gynécologues (25,9 % des
honoraires totaux) et les ophtalmologues (22,9 % des honoraires totaux) prennent de plus en plus de liberté avec
la réglementation tarifaire (LEGENDRE, 2006).
12
3.2. Régulation conjointe et protection sociale complémentaire
Le référentiel marchand, en rencontrant les logiques d’offre médicale, produit des effets pervers
questionnant l’efficacité des politiques publiques au regard de ses propres objectifs. L’accent mis sur
les politiques de la demande (particulièrement en 2004), s’il permet de contourner les résistances
professionnelles continue à activer des logiques libérales, celles des assureurs cette fois.
On connaît les effets inégalitaires des politiques de responsabilisation des assurés qui transfèrent la
charge du financement sur le patient. On peut aussi douter de leur efficacité si l’on met l’accent sur le
rôle central du médecin dans la décision de dépenses, sur la forte concentration de celles-ci15, sur
l’absence d’effet modérateur (et responsabilisant) d’un « ticket modérateur » s’il est pris en charge par
l’assurance complémentaire, sur l’existence douteuse d’un risque moral (voir plus haut) et de ses
déclinaisons (comme le nomadisme) ou enfin sur les effets déprimants sur la consommation des
ménages16. On doit attendre ainsi peu d’influence, sur les dépenses de santé, de telles mesures à
l’exception d’économies ponctuelles qui se payent en termes d’accentuation des inégalités. Pour
autant, l’accent sur les politiques de la demande créé une nouvelle donne en donnant plus de poids à la
protection sociale complémentaire et en accentuant la logique de liberté tarifaire. Il permet d’éclairer
la façon dont un marché se construit par l’intervention de l’État.
3.2.1. Intervention de l’État et désocialisation
Avec la réforme de 2004, le désengagement de l’État prend une forme nouvelle : les organismes
complémentaires d’assurances maladie (OCAM) ne font pas qu’hériter d’une partie de couverture
abandonnée par la protection obligatoire. Ils sont dorénavant associés à la réforme. L’objectif de
réduction des dépenses de santé doit être satisfait au regard d’un processus de concertation avec les
OCAM, inexistante jusqu’alors. L’existence de « contrats responsables », délimitant la part assurable
par les OCAM et la création d’une union des caisses d’assurance maladie complémentaire
(UNOAMC) sont les signes les plus visibles de l’émergence de cette co-régulation de l’assurance
maladie.
Celle-ci s’inscrit dans une évolution de la répartition des compétences entre État (parlement et
gouvernement) / partenaires conventionnels / OCAM qui redessine l’articulation entre la planification
de la santé et la désocialisation. Ce nouveau partenariat institutionnel est en effet révélateur de la façon
dont l’État « prend le pouvoir » sur la santé au détriment des partenaires conventionnels pour en
transférer une partie vers les OCAM. La lecture offerte par BRAS (2004 a et b) de l’édiction des règles
et instruments juridiques qui constituent la réforme permet de mieux cerner la façon –complexe et
ambiguë– dont l’État assume son rôle de « passeur de témoin »17.
L’État social ne peut pas transférer un pouvoir de régulation qui ne lui appartient pas. La première
étape est donc de modifier les règles de pilotage de l’assurance maladie. À cet égard, la réforme de
2004 modifie profondément le partage des responsabilités. Celles-ci sont transférées du président de la
CNAMTS (issu du paritarisme) vers un nouvel organisme : l’UNCAM18 et son directeur général,
nommé par décret et qui dispose d’une autorité renforcée. L’UNCAM devient compétente en matière
de convention médicale, en lieu et place de la CNAMTS. Elle doit également veiller au respect de
15
Aux ages extrêmes de la vie mais aussi à l’hôpital, moins concerné par les politiques de la demande.
« Le report du financement des dépenses vers les régimes complémentaires pour éviter la hausse des
prélèvements obligatoires n’est qu’un habillage… Il s’agit simplement de jouer sur les mots et les définitions : si
les ménages doivent cotiser à des mutuelles ou à des assurances privées, il s’agit de prélèvements obligatoires
privés, mais qui ont exactement le même effet sur le revenu, la consommation … que les prélèvements publics »
(ARTUS, 2004, p. 105).
17
On ne reprend ici que les grandes lignes, renvoyant aux exposés plus documentés de l’auteur.
18
Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie dont le conseil est composé de 12 membres du conseil de la
CNAMTS, 3 membres du conseil de la caisse des non salariés non agricoles (CANAM) et 3 membres du conseil
de la MSA. Cette nouvelle donne modifie l’exercice du paritarisme, les représentants des salariés étant
dorénavant largement minoritaires (6 sur 18 membres). « La composition du conseil de l’UNCAM offre des
possibilités nouvelles aux employeurs qui pourraient trouver des appuis au sein du groupe des non salariés sans
devoir nécessairement se lier sur un projet de long terme à une organisation de salariés » (BRAS, 2004b, p.
968).
16
13
l’objectif de dépenses d’assurance maladie (ONDAM). Elle échoit également des compétences de
l’État en matière de politique de remboursement/déremboursement. L’un de ses objectifs essentiels est
ainsi de définir le périmètre des soins remboursables par l’assurance publique et donc également de
déterminer la part revenant à l’assurance privée.
C’est pourquoi, le basculement de la définition du panier de soins de l’État vers l’assurance
maladie obligatoire s’accompagne d’une ouverture de la gestion de l’assurance maladie aux assureurs
complémentaires. On retrouve ici une expression moderne d’un des principes génériques de la Sécurité
sociale française « celui qui paye est celui qui gère ». L’accentuation programmée du rôle de payeur
des OCAM leur octroie un rôle de gestionnaire associé. Dans cet esprit, la nouvelle gouvernance
proposée par la loi du 13 août 2004 met en place une Union nationale des organismes d’assurance
maladie complémentaire (UNOCAM) qui regroupe des représentants des mutuelles, des assurances et
des institutions de prévoyance. Toutes les catégories d’assureurs complémentaires sont donc
représentées au sein de cette structure. L’UNOCAM émet des avis sur les décisions prises par
l’UNCAM et relatives à la définition du périmètre de soins remboursables. La loi du 13 août 2004
innove donc en associant, pour la première fois, les assureurs complémentaires à la détermination des
actes et prestations remboursables.
La création de l’UNCAM est révélatrice de la façon dont les pouvoirs publics sont les maîtres
d’œuvre de la réforme. En ce sens, ces nouveaux outils de gouvernance témoignent d’une certaine
forme de prise de pouvoir par l’État sur la santé, complétant dans le même sens les dispositifs
beveridgiens (CSG, CMU, LFSS, etc.). Mais elle souligne également le désengagement de l’État qui,
par un mécanisme de transfert de pouvoir, se dessaisit de ses prérogatives.
Ce mouvement paradoxal peut être lu comme un retrait du politique plus que de l’État. Dans la
mesure où le référentiel marchand de politique publique exclut toute hausse des prélèvements publics
(cotisations sociales, CSG) pour financer le déficit de l’assurance maladie, une stratégie de
déremboursement et de restriction de la part publique assurable s’impose comme « allant de soi ».
Cette stratégie est coûteuse en inégalités de toutes sortes qu’elle engendre car elle associe dorénavant
le financement de l’assurance maladie à l’état de santé et à la morbidité et non plus (ou moins) au
revenu. Le risque politique de la porter s’avère trop grand. Il faut donc faire porter les « mauvaises
décisions » par d’autres et notamment par une technostructure ou une « élite du Welfare » (BRAS,
2004 a et b).
L’UNCAM (comme la HAS) prend des décisions qui peuvent être impopulaires mais qui sont
justifiées au regard de critères scientifiques et techniques. Cette optique du type banque centrale (où
l’État renonce à ses prérogatives en matière de politique monétaire) permet à l’État central de se
défausser19 sur des organismes indépendants et neutres pour appliquer des politiques automatiques,
présentées comme incontournables mais relevant d’une volonté politique.
3.2.2. Un recentrage sur l’assuré social
Cette nouvelle régulation reformule le débat sur les efficacités comparées des démocraties
politiques et sociales. Le choix en 1945 d’une démocratie sociale (paritarisme), venant des voisins
allemands (et ennemis d’alors) pour gérer la Sécurité sociale à la place d’une démocratie politique
(initiée par les alliés anglais) dominée par l’État est un choix par défaut. Le choix d’une gestion « par
les intéressés » reposait en partie sur la suspicion pour la démocratie parlementaire et pour la
dénégation de l’État central discrédités sous Vichy (PALIER, 2005) et non sur l’expression de
l’incompétence de l’État pour les questions sociales. Dans ces conditions, l’État a toujours conservé un
pouvoir sur la gestion de la Sécurité sociale. Il étend aujourd’hui ce pouvoir dans un contexte de
recadrage des objectifs (la maîtrise financière via le référentiel marchand) que ne souhaitent pas porter
les partenaires sociaux.
Comme ces derniers ne veulent pas être associés à des mesures impopulaires de restriction de
couverture, qui de plus dénaturent la logique de risque social (nous y reviendrons), l’État va se
tourner, avec l’appui de la représentation nationale, vers une « démocratie des élites » pour porter les
19
Sauf impératif de santé publique, le ministre ne peut plus refuser l’approbation d’une convention médicale.
14
nouvelles orientations de l’assurance maladie. C’est le rôle attribué aux différentes « Unions »,
« Agences » ou « Haute autorité ».
Ces institutions sont l’émanation de l’État qui est au centre du processus. Il reste le décideur final et
l’ordonnateur de la réforme. S’il y a bien partenariat institutionnel, il n’y a pas de responsabilités
partagées ou de copilotage (DEL SOL,TURQUET, 2005). L’ordre qui s’installe n’est donc pas le fruit
des circonstances, d’aléas ou d’une évolution erratique. Il modifie profondément le sens à donner à la
régulation du secteur de la santé en véhiculant une représentation particulière du système de santé.
L’étude du contenu normatif des nouvelles règles de droit à partir de 2004 en fournit une illustration.
Les nouveaux rapports entre Assurance Maladie Complémentaire (AMC) et Assurance Maladie
Obligatoire (AMO), s’ils n’étayent pas l’idée de privatisation (au sens strict) car il n’y a pas de
transfert de responsabilité, modifient l’architecture du système en assignant de nouvelles taches aux
OCAM. Ainsi, le dispositif de « contrat responsable » dans le cadre du « médecin traitant » (comme le
forfait de 1 euro) modifie leur rôle. Ils ne doivent plus suppléer les défauts de couverture du système
public mais doivent dorénavant aller dans le même sens que la politique publique. Comme le souligne
GINON (2005), il s’agit d’une refondation de la protection maladie complémentaire. La mission
historique des mutuelles puis de l’ensemble des OCAM depuis 1945 était de compenser les réductions
de couverture de la Sécurité sociale. Dorénavant, leur nouvelle attribution consiste à garantir les
objectifs fixés par l’Etat. A cet effet, l’assureur est autorisé à ne pas respecter les garanties prévues
dans le contrat initial. Rembourser moins, dans le cadre d’un «contrat responsable » est récompensé
par la puissance publique au travers de dispositifs d’incitation20. Les OCAM doivent ainsi conforter
voire amplifier les déremboursements en accentuant le « reste à charge » et sont au total mis à
contribution dans l’activation des assurés sociaux.
Il en va de même pour les conventions médicales qui assignent à l’assuré social un nouveau rôle.
Depuis, 1945 le mécanisme conventionnel est introduit pour conduire caisses et médecins à s’accorder
sur le montant des honoraires qui sert de référence pour calculer les remboursements versés par les
caisses aux assurés sociaux. Ce compromis qui a une fonction tarifaire n’a pas été bouleversé par
l’introduction des honoraires libres en 1980 (le tarif conventionnel est conservé comme base de
remboursement) même si la fonction tarifaire de la convention perd du terrain: le conseil
constitutionnel considère que la convention a une nature réglementaire et est donc un mode possible
de mise en œuvre de la loi. Il s’en tient à certains principes tandis que la mise en œuvre est renvoyée à
la convention qui acquiert ainsi une fonction normative. L’assurance maladie n’est dès lors plus
indifférente aux comportements des assurés sociaux, elle les prescrit21. Elle entend régir la relation de
soins en pénalisant financièrement les « abus » des patients. Dans cette perspective, la dernière
réforme relative aux dispositions législatives destinées aux assurés sociaux dans le cadre du système
du médecin traitant modifie le mécanisme d’incitation qui passe de la récompense à la sanction pour
l’assuré hors parcours de soins (VACARIE, 2005). On peut interpréter cette évolution comme le
renforcement d’un mode de gouvernance de la santé, dont la figure de référence devient le patient
optimisateur, capable de choix éclairé et qui se conduit en consommateur.
Le déplacement du centre de gravité du droit et des contraintes juridiques, libérant les logiques
tarifaires de la médecine tout en sanctionnant les patients jugés irresponsables vont dans le même
sens : elles affirment une logique de prix librement fixé et librement consenti, où l’échange médical
porte de plus en plus sur un bien privé.
4. LA CONSTRUCTION MICROECONOMIQUE D’UN MARCHÉ DE LA SANTÉ : DU
PATIENT « PASSIF » AU CONSOMMATEUR ET GESTIONNAIRE DE RISQUES
« ACTIF »
On a vu comment un nouvel Etat social « qui fait un marché » orchestre une co-régulation qui
mobilise les médecins et contourne leur critique et les assureurs avec une nouvelle donne
20
En particulier, l’exonération de la taxe spéciale de 7% due sur les contrats d’assurance maladie.
Les nouvelles dispositions en matière de taux de remboursement des médicaments par l’assurance maladie
vont dans ce sens. Le décret du 30 septembre 2004 institue l’expression « taux de participation de l’assuré » à la
place du taux de remboursement de l’assurance maladie.
21
15
institutionnelle autour d’un référentiel marchand. A cette analyse macroéconomique en termes de corégulation, on peut superposer une analyse microéconomique en termes de marché qui pointe la
transformation du patient « passif » en consommateur de soins et en gestionnaire de risque, « actif ».
L’existence d’un marché en santé est possible à deux conditions qui se mettent en place depuis les
années 1980. D’abord que l’on identifie un consommateur de soins capable de choix éclairés à propos
de produits standardisés : le patient s’efface devant le consommateur de soins (4.1). Ensuite, que la
prévoyance individuelle prenne le pas sur la prévoyance collective. L’assuré social disparaît devant le
gestionnaire de capital santé, au risque d’une inéquité accrue (4.2).
4.1. Le patient s’efface devant le consommateur de soins
La relation thérapeutique connaît depuis quelques années d’importantes transformations. La
tendance de fond de l’ensemble des sciences sociales de santé est de prendre en considération le
patient comme acteur autonome. C’est le cas de l’économie (avec les notions de contrainte de marché
ou de patient décideur), de la sociologie (du contrôle profane au patient actif par exemple) mais aussi
du droit (droit des patients et consentement éclairé). Dans le même temps, la politique économique
met l’accent sur le rôle de la demande dans la régulation de la dépense de santé (TABUTEAU, 2004). En
cherchant à combattre les « abus » des patients, dorénavant désignés bouc émissaires, la loi du 13 août
2004 par exemple, vient contester le rôle moteur de l’offre dans la dépense de santé. Cette double
évolution illustre la transformation du patient en consommateur que les débats des années 1990 autour
de la démocratie sanitaire ont favorisé (4.1.1.). L’émergence du patient actif et la construction d’un
consommateur de soins a besoin, pour que le marché existe, d’une standardisation du produit de santé
par l’intermédiaire du panier de soins (4.1.2.).
4.1.1. La démocratie sanitaire, vecteur naïf de l’émergence d’un consommateur de soins
Depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, le système de soins connaît
d’importantes transformations. L’une des plus intéressantes est sans aucun doute le développement du
concept de démocratie sanitaire. La mobilisation des associations de malades, notamment de ceux
atteints du sida, a favorisé une intrusion de la sphère collective au sein de l’espace privé du colloque
singulier (BARBOT, 2002). Leur principale revendication repose sur le rééquilibrage de la relation de
soins. Cette entrée dans l’espace public a contribué à déplacer la frontière de la pratique médicale de la
sphère privée au domaine public. Désormais, le malade est davantage actif, il est informé par le biais
de la communauté et intervient dans le choix des thérapies. Cette évolution traduit le passage de la
tradition clinique à la modernité thérapeutique d’État (DODIER, 2003).
Ce mouvement est important dans la mesure où il a constitué le vecteur du changement que l’on
peut observer dans la refonte du code de déontologie médicale (RENE, 1996, JAUNAIT, 2005, DOMIN
2005, 2006a). Les règles de la profession et les devoirs du médecin ne sont dorénavant pas
dissociables du droit des patients. L’obligation de prudence, l’obligation d’information, la clarté de la
prescription, le consentement de la personne examinée etc. permettent que le malade soit non
seulement informé, mais associé à titre de partenaire volontaire selon RICŒUR (1996)22 .
Le droit, auquel doit se conformer le code de déontologie, joue un rôle moteur dans cette évolution.
Ainsi, l’arrêt Hédreul (25 février 1997) précise que “le médecin est tenu d’une obligation particulière
d’information vis-à-vis de son patient”. L’arrêt Guyomar (14 octobre 1997) inverse la charge de la
preuve : “le médecin à la charge de prouver qu’il a bien donné à son patient une information loyale,
claire et appropriée sur les risques d’investigations ou soins qu’il lui propose de façon à lui permettre
d’y donner un consentement ou un refus éclairé…”. Cette évolution jurisprudentielle n’est pas sans
conséquence, elle réhabilite la personne malade contre des attitudes d’un autre temps (HIRSCH, 1999).
22
La nouvelle rédaction des deux articles 35 et 36 du code de déontologie constitue un tournant important dans
la mesure où elle entend faciliter le choix du malade. L’article 35 prévoit expressément que le “médecin doit à la
personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et approprié sur son état,
les investigations et les soins qu’il propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du
patient dans ses explications et veille à leur compréhension”. Cette exigence résulte de l’émergence de
questionnements déjà soulevés par les deux lois de bioéthique du 20 décembre 1988 et du 29 juillet 1994.
16
Enfin, un arrêt du 9 octobre 2001 affirme que le devoir d’information “trouve son fondement dans
l’exigence du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine”
(HARICHAUX, 2002).
La loi du 4 mars 2002 couronne cette longue phase de transformation. Elle pose comme pétition de
principe que “toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé” et précise que
l’information incombe à tout professionnel de santé ce qui dépasse largement le rôle du seul praticien
(JONAS, 2002). La loi confirme l’obligation d’information préalable aux soins et étend certains droits.
Toutefois, le droit demeure limité par certaines circonstances relatives à l’acte médical (HARICHAUX,
2002). L’information est principalement orale et le médecin devra, dans cette perspective, apprécier la
capacité du malade à la recevoir. Il s’agit pour le praticien d’un simple devoir de conscience à
divulguer avec ménagement.
Comme on peut l’apprécier, l’information joue un rôle important dans l’émergence d’un patient
actif. Elle en est le lubrifiant. Conformément à l’analyse économique standard qui met l’accent sur
l’asymétrie d’information entre patient et médecin, le reformatage de l’interaction suppose un partage
et un transfert de l’information. Le patient actif est donc un patient informé et la politique publique va
chercher à valoriser l’information en incitant le médecin à la délivrer pour favoriser le consentement
éclairé mais aussi en multipliant les agences productrices d’information (nous y reviendrons dans la
section suivante).
Cette évolution installe la personne malade qui se substitue au patient. Le second, selon son
étymologie latine est celui qui souffre, qui est passif et résigné. En revanche, la seconde n’en est pas
pour autant une personne irrationnelle ou ignorante (SICARD, LE PEN, 2004). Le malade serait alors
devenu “sachant” (LE PEN, 2005), il a accès dorénavant à une information technique d’assez bon
niveau. Le développement de sites informatiques spécialisés joue un rôle majeur dans l’évolution des
savoirs médicaux. La frontière entre producteurs et utilisateurs d’information s’estompe
progressivement, ce qui conduit à des changements importants dans la répartition des savoirs
médicaux (HARDEY, 2004). Désormais, le malade serait en mesure de prendre des décisions optimales.
Cette évolution ne constitue pas un simple rééquilibrage de la relation médecin patient. Cette
démocratie sanitaire introduit en effet l’idée d’un patient optimisateur. Elle véhicule la figure d’un
patient consommateur dont elle constitue le négatif photographique. Il n’y a pas de consommateur
souverain sans consommateur informé. Donner des droits au patient est une condition nécessaire pour
qu’il puise rendre des comptes. La responsabilisation ne peut s’adresser qu’à un individu avisé,
capable de choix éclairés. Dans le même temps, la relativisation du paternalisme médical légitime les
politiques de la demande. Un patient actif est nécessaire pour activer le patient et le rendre responsable
de l’évolution de la dépense de santé.
La réforme du médecin traitant fournit une illustration de ce recadrage du patient. Elle ne cherche
pas à augmenter la liberté du patient puisqu’il se trouve contraint dans ses choix et doit s’inscrire sur la
liste d’un médecin. Le patient est davantage dépendant au médecin, contrairement aux préceptes de la
démocratie sanitaire. Par contre, la réforme développe la responsabilité du patient, sanctionné
financièrement s’il ne respecte pas le parcours de soins.
Les objectifs assignés au dispositif par les pouvoirs publics sont bien connus. Ils ne résistent pas à
l'examen comme le montre l’analyse stimulante de BRAS (2006) : comme l’immense majorité des
assurés ont un médecin de famille (ou régulier), la réforme ne peut installer un médecin traitant qui
existe déjà si ce n’est à donner une légitimité à une habitude. Il ne peut être question de combattre le
nomadisme médical dont on sait qu’il est très marginal. On peut douter de la rationalité de la réforme
quand elle accroît la charge de travail de ceux qui en ont beaucoup (les généralistes avec 56 heures
hebdomadaires contre 48,8 pour les spécialistes) ou quand elle cherche à réguler l’accès aux
spécialistes : la majorité des accès directs se font pour les spécialités qui seront de toutes façons hors
parcours de soins (pédiatrie, gynécologie, etc.). Enfin, il ne peut s’agir de réduire les dépenses de santé
si la réforme suscite des doubles consultations (médecin traitant puis correspondant) alors qu’elle
17
prévoit dans le même temps des rémunérations supplémentaires pour les médecins23, coûteuses à
l’assurance maladie.
Il y a cependant une rationalité à la réforme. Elle consiste à concilier le système de « gatekeeping »
avec la liberté tarifaire. La grande nouveauté de la loi d’août 2004 est d’introduire un droit à
dépassement d’honoraires pour tout médecin (donc y compris en secteur 1) en le déconnectant de la
nature des soins prescrits et de la demande des patients. Cette surfacturation est due si l’assuré est hors
parcours de soins. C’est l’assuré qui est sanctionné au bénéfice du médecin (VACARIE, 2005). En effet,
l’infidélité du patient est une récompense pour le médecin qui est autorisé à percevoir un dépassement
d’honoraire, non remboursé par les assurances obligatoires et complémentaires (dans le cadre d’un
contrat responsable). Le malus de l’un est un bonus pour l’autre. Cette logique de prix libre,
revendication récurrente de la médecine libérale et notamment des médecins spécialistes a trouvé
satisfaction, sans lever le gel du secteur 2 (honoraires libres), avec l’instauration du médecin traitant24.
Avec la construction d’un parcours de tarifs et la multiplication des prix pour une prestation
médicale, le patient est amené à faire des choix en s’appuyant sur les prix. La liberté tarifaire des
médecins s’accompagne de l’arbitrage tarifaire des patients. Ce patient optimisateur doit faire face à
plusieurs options qui peuvent plaider pour le non respect rationnel du parcours de soins. Ainsi, si le
médecin traitant est en secteur 2, faut il respecter le parcours de soins ou choisir directement l’accès
direct au spécialiste sachant que le surprix acquitté par le patient peut être non significatif. Plus
généralement, le non respect du parcours entraîne un débours de 10%. Ces quelques euros pèsent-ils
lourds pour le patient aisé ? Les patients aisés ont déjà coutume de consulter directement les
spécialistes (à l’inverse des patients modestes) et l’argument tarifaire peut les conforter dans ce choix
tout en accroissant les inégalités sociales de santé.
Le patient est ainsi sommé de se conduire en optimisateur par un calcul coût / avantage. La réforme
n’installe donc pas un patient vertueux même s’il est responsable de ses choix tarifaires. Elle crée une
forme de client en rapprochant le comportement du patient de celui d’un consommateur. L’évolution
du statut du patient confirme cette mutation comme le souligne PITCHO (2005). La loi du 4 mars 2002
rapproche le droit des malades du droit des consommateurs. Ainsi, une information détaillée sur le
coût des prestations, un délai de réflexion et un droit de rétractation forment le socle de l’obligation
d’information due au patient pour obtenir son consentement éclairé. La double obligation
d’information et de sécurité, qui relève des techniques consuméristes, transforme le patient en
consommateur. Il peut dorénavant être défendu par les associations de consommateurs. Cependant, la
confiance consumériste entre un prestataire et un consommateur, appliquée au cas particulier de la
santé, a besoin de médiateur. Un tiers, digne de confiance, doit pouvoir dispenser des informations
fiables sur la qualité des produits. Les agences d’Etat jouent ce rôle. Elles vont fournir un point
d’appui aux calculs des acteurs, tout particulièrement en standardisant les produits de santé. La grande
entreprise de standardisation, audacieuse dans un secteur où les prestations sont souvent
idiosyncrasiques, est néanmoins nécessaire pour permettre des comparaisons.
4.1.2. La standardisation du produit de santé : une condition nécessaire à la construction d’un marché
Pour que la concurrence assure une allocation optimale des ressources, il faut que le consommateur
de soins soit bien informé sur les caractéristiques du bien utilisé pour prendre des décisions en toute
connaissance de cause. L’objectivation du bien de santé est nécessaire à la comparaison des offres
médicales. Elle signifie que l’acheteur dispose de certaines informations sur le bien consommé. Elle
23
Les médecins traitants recevront une rémunération spécifique de 40 euros pour tout patient en Affection de
Longue Durée inscrit sur leur liste. De plus, un médecin spécialiste correspondant peut pratiquer un tarif de 40
euros pour une demande d’avis ponctuel du médecin traitant.
24
Il est instructif de noter que le syndicat MG France (généralistes), après avoir soutenu le dispositif « médecin
référent » (basé sur le volontariat et sur une « critique sociale » plus qu’ « artiste », a dénoncé la convention
instituant le médecin traitant. Le dispositif est donc porté par la CSMF (où le poids de la médecine de spécialité
est important). Le fait qu’une réforme mettant au premier plan la médecine générale soit dénoncée par les
généralistes et portée par les spécialistes révèle les avantages (en termes de liberté tarifaire) que les derniers ont à
y gagner. Voir BRAS (2006) pour un exposé du rôle des conflits au sein du corps médical dans la construction de
la réforme.
18
permet également de connaître le coût d’opportunité (DEMANGE, GEOFFARD, 2004). L’obligation
d’information permet au malade de faire son choix sur la thérapeutique. La formation de groupes
d’experts est, quant à elle, censée améliorer l’information délivrée. Enfin, le panier de soins couronne
ce dispositif en facilitant la comparaison des offres.
L’évaluation de la qualité de l’information est d’autant plus importante que la nature du bien de
santé est plus mal connue du consommateur que du producteur de soins. Le marché de la santé ne
fonctionne pas comme n’importe quel marché de biens et services. Si le consommateur n’est pas en
mesure de faire jouer la concurrence, des corps intermédiaires, des sponsors (courtiers en information)
doivent pouvoirs le faire à sa place. Leurs fonctions est d’évaluer l’offre de soins (coût, qualité,…),
d’assurer les règles de l’équité de limiter la sélection des risques (ENTHOVEN, 1993). Deux solutions
sont envisageables. Soit un régulateur monopolistique diffuse l’information, soit celle-ci est confiée à
des organismes représentant les patients.
Le régulateur doit assurer une représentation collective des consommateurs en produisant un bien
public : l’information. Celle-ci porte sur la qualité des soins par l’intermédiaire d’indicateurs
synthétiques (CHONE, GRIGNON, MAHIEU, 2001). Il garantit également l’introduction de mécanismes
de marché sans mettre en péril l’équité du système de soins et en favorisant son efficience. Son rôle est
indispensable dans la mesure où il établit les règles et organise le marché. Il doit également jouer sur
l’offre en accélérant la diffusion de bonnes pratiques. La mise en place d’une formation continue et de
procédure de benchmarking est censée améliorer l’efficacité des prestations.
En France, la Haute autorité de santé (HAS) créée par la loi du 13 août 2004 joue ce rôle. Ce
collège de douze membres nommés par le Président de la République, le Président de l’Assemblée
nationale, le Président du Sénat et le Président du Conseil économique et social définit le périmètre de
soins et de biens remboursables. Elle procède également à l’évaluation du service médical rendu des
médicaments à l’élaboration des bonnes pratiques. Enfin, elle décide du montant du tarif forfaitaire de
responsabilité. L’HAS produit donc un bien public, en l’occurrence de l’information et des règles. Il
est préférable de confier la diffusion de l’information à un régulateur monopoliste. Dans le cas
contraire, la multiplication des sources rend l’information complexe et manipulable.
La Haute autorité de santé définit un périmètre de soins et de biens remboursables correspondant au
panier de soins c’est-à-dire à ce qui sera remboursé par l’assurance maladie obligatoire et l’assurance
maladie complémentaire. Par exclusion, tout ce qui ne sera pas compris dans ce panier de soins sera
livré aux surcomplémentaires. La question de la légitimité de la décision prise reste cependant en
suspens. La HAS décidera, en évaluant le service médical rendu (SMR), du montant légitime des
dépenses remboursables. Une telle logique engendrera certaines approximations pour un service dont
l’objectivation a des limites. Elle se traduira par des contestations et des conflits sociaux.
Des associations de malades agréées peuvent également se charger de la diffusion de l’information.
C’est le rôle des institutions de gestion et d’organisation de la consommation de soins (Organizing and
Managing Consumption of care -OMCC-) déjà mises en place en Nouvelle-Zélande, aux Pays-Bas et
en Israël (LE PEN, 2005). Elles s’intercalent entre les financeurs et les producteurs de soins et
représentent des groupes de consommateurs. Ce modèle en cours d’élaboration constitue selon
CHERNICHOVSKY (2002) le réveil de la sphère de la demande, placée pendant longtemps sous la
protection tutélaire des médecins et des financeurs et qui tend à s’en affranchir. En France, une
association de malades du sida, Actions traitements, s’est démarquée des autres en promouvant une
remise en cause de la régulation étatique du marché des médicaments. Le malade est dorénavant
appréhendé comme un consommateur de pointe, mieux informé que son praticien (renversement de
l’asymétrie). La concurrence entre les groupes pharmaceutiques n’est plus considérée comme une
menace, mais plutôt comme un moyen efficace face à l’archaïsme étatique (BARBOT, 2002).
Le panier de soins standardise l’offre, notamment en facilitant les comparaisons pour le
consommateur. Il détermine les soins minimaux que tout assuré est en droit de recevoir et délimite la
zone de couverture de l’assurance obligatoire (DEMANGE, GEOFFARD, 2004). Dans un système
concurrentiel, la production de soins s’articule autour de la définition d’un produit objectivé : la prise
en charge médicale du malade. Le régulateur monopolistique établit un cahier des charges
correspondant à l’expression, par la collectivité, d’un droit minimal aux soins pour chaque personne.
19
Désormais, la décision de prise en charge par la collectivité d’un médicament ou d’une prestation
dépend de la confrontation de son efficacité thérapeutique et de son coût (LE PEN, 2000). Le
financement des opérateurs de soins repose sur la capitation (CHONE, GRIGNON, MAHIEU, 2001).
L’opérateur fixe une norme minimale pour chaque prestation. Cette solution évite que des personnes
sacrifient des prestations pour des raisons financières. Il doit également servir à contrôler les
producteurs. En théorie, la capitation (c’est-à-dire leur contrainte budgétaire) doit les désinciter à
diminuer la qualité. Mais, quoi qu’il en soit, les consommateurs mal informés hésitent à faire jouer la
concurrence pour des raisons de baisse de la qualité. Certains opérateurs peuvent en profiter pour
augmenter les profits sur les populations vulnérables. C’est notamment le cas aux États-Unis (MILLER,
LUFT, 1997).
L’activisme des pouvoirs publics à standardiser le bien santé, au travers de la construction d’un
panier de soins mais aussi des Références Médicales Opposables se heurte aux caractéristiques
intrinsèques de ce bien même s’il peut être soutenu par le courant clinique de « l’evidence based
médicine » qui produit des recommandations de « bonnes » pratiques médicales. En particulier,
l’incertitude radicale qui entoure la pratique médicale, rend délicate, conceptuellement et pratiquement
une définition de paniers homogènes. De plus, de la taille du panier qui délimite le champ de
l’assurance obligatoire, va dépendre la place laissée à l’assurance complémentaire. La qualification du
produit présente des enjeux financiers.
4.2. L’assuré social disparaît au profit du gestionnaire d’un capital santé
Les deux lois du 4 mars 2002 et du 13 août 2004 ont favorisé l’émergence d’un consommateur de
soins. La standardisation du produit de santé et la diffusion d’une information accessible sont
nécessaires pour traiter les patients comme des consommateurs. La prévoyance individuelle est une
conséquence de l’octroi de la capacité d’évaluation au patient. Elle prend appui sur une théorie du
risque privé ou désocialisé. Le patient consommateur doit alors de plus en plus assurer son propre
risque (4.2.1.). Cette individualisation de la notion de risque génère de nouvelles formes d’inégalités
d’accès aux soins (4.2.2).
4.2.1. Société du risque et prévoyance individuelle
La transformation qui s’opère est assez profonde dans la mesure où le marché de la santé ne peut
fonctionner sans la présence d’un consommateur de soins informé et rationnel, évoluant dans un
système assurantiel où la gestion des risques prend le pas sur les droits de l’assuré social (DOMIN,
2006a et b). Le risque serait donc au centre des sociétés modernes (RAMAUX, 2004). Il est défini
comme “tout à la fois une morale, une épistémologie, une idéologie, en fait une manière de définir la
valeur des valeurs” (EWALD, KESSLER, 2000, p. 61). Cette évolution théorique permet à Denis
KESSLER (1999) de redéfinir les fondements de la protection sociale à l’aune de la théorie du risque.
En effet, les risques sociaux déterminés en 1945 auraient, selon lui, changé en profondeur. La nature
des risques aurait considérablement évolué dans la mesure où « la maladie ne frappe plus selon les
lois obscures d’une fatalité aveugle ; elle est au carrefour d’un double déterminisme génétique et
comportemental » (KESSLER, 1999, p. 626).
La maladie serait d’abord le fruit d’un déterminisme génétique. En effet, certaines innovations
devraient modifier en profondeur le domaine de la santé. La médecine prédictive permet, selon ses
partisans, d’évaluer le risque de prédisposition d’un individu et d’éviter son développement. Elle
permet donc de “déchirer le voile de l’ignorance” et s’oppose au traitement égalitaire de l’inégalité des
individus devant la santé (BOURGUIGNON, DUBY, 1995). En affirmant que l’égalité des individus
devant la santé n’est pas vérifiée dans les faits, le maintien du système actuel serait illusoire dans la
mesure où il générerait lui-même des comportements irresponsables de la part de personnes qui ont
une prédisposition à développer des pathologies graves.
Cette approche est discutable. D’abord parce que la médecine prédictive n’est pas totalement
fiable. Ainsi, le seul test de dépistage de la chorée de Huntington a-t-il révélé un taux d’erreur de
diagnostic de 15% (TERRENOIRE, 1993). D’autre part, cette technique néglige également l’expression
multiple des gènes. Ainsi, la probabilité de développement d’une pathologie n’indique-t-elle pas que
20
l’individu soit sous l’effet d’un autre gène qui lui permette d’y résister (VERDIER, 1996). La médecine
prédictive ne fournit des réponses que sur des pathologies ciblées à l’avance et non sur les autres.
Enfin, il faut relativiser son poids dans la mesure où si effectivement 5 % des cancers sont
héréditaires, 95 % sont sporadiques.
La théorie du risque entend également traquer les comportements déviants. Elle s’appuie sur
l’existence d’un aléa moral ex ante en assurance maladie. L’aléa moral (moral hazard) est observable
quand le risque supporté par l’assureur est aggravé par le comportement de l’assuré. En matière
d’assurance santé, l’aléa moral de première espèce (aléa moral ex ante) est important. Il suppose que
l'individu relâche sa vigilance en raison de l’efficacité de son assurance. Une franchise doit permettre
d’inciter les assurés sociaux à la prévention pour des pathologies n’entraînant que de faibles variations
de l’état de santé (BARDEY, LESUR, 2004). Cette thèse est discutable. Même avec une couverture
complète des dépenses, le niveau de bien-être de toute personne dépend de son état de santé (HENRIET,
2004). Il semble donc peu probable que le bénéficiaire d’une assurance-santé adopte un comportement
irresponsable.
L’aléa moral de seconde espèce (aléa moral ex post) qui est plus pertinent en santé, apparaît une
fois le risque survenu, l’assuré consomme alors d’avantage de soins que son état ne le nécessite25.
L’actuelle politique économique de la santé s’appuie essentiellement sur cet aléa moral. Elle entend
responsabiliser l’assuré social en développant un partage des rôles entre assurance maladie obligatoire
et assurance maladie complémentaire. La prévoyance individuelle consiste donc à faire assumer ses
propres risques à l’assuré. La politique économique prend essentiellement appui sur le concept de
risque moral pour justifier les pratiques de déremboursements, de développement des franchises
(BARDEY et alii, 2003). La théorie du risque suppose que l’individu porteur de risques sanitaires
s’assure en fonction de ces derniers. La notion de prévoyance individuelle est donc indissociable du
risque. L’agent est libre d’affecter ses fonds à la couverture de certains risques. Cette évolution
paradigmatique suppose le passage progressif d’une société du droit (la protection sociale est un droit
issu du salaire) à celle du risque qui remet en cause la solidarité (DOMIN, 2006b).
4.2.2. Le risque d’une inéquité accrue liée au désengagement de l’assurance obligatoire
La loi du 13 août 2004 accélère le désengagement des régimes de base (DEL SOL, TURQUET, 2005).
En effet, l’UNCAM doit respecter l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM).
Dans cette perspective, la loi institue un comité d’alerte composé du secrétaire général de la
commission des comptes de la Sécurité sociale, du directeur général de l’INSEE et d’une personnalité
qualifiée nommée par le Président du conseil économique et social. Ce comité pourra inciter
l’UNCAM à revoir les conditions de remboursement des actes et prestations. Si les déficits perdurent,
l’UNCAM réduira progressivement ses taux de prise en charge, accélérant par la même occasion un
nouveau transfert de charges de la sphère publique à la sphère privée. La solution d’un retrait de
l’AMO touche d’avantage en proportion les personnes qui ont besoin de la Sécurité sociale pour
prendre en charge leur santé (DELVALLEE, VENTELOU, 2004).
Le désengagement de l’AMO au profit de l’assurance complémentaire renforcera les inégalités. En
effet, le niveau de garanties dépend essentiellement de son prix qui varie en fonction du niveau de
risque de l’assuré et de sa situation sociale. Ainsi, les contrats collectifs sont plus favorables aux
salariés, ce qui renforce les inégalités. Les dispositions réglementaires favorisent les contrats collectifs
en réduisant leur coût. Dans les faits, ces contrats sont meilleurs que ceux souscrits individuellement.
Ces derniers offrent de moins bonnes garanties que les premiers (COUFFINHAL, PERRONNIN, 2004).
Les contrats d’entrée de gamme sont plus souvent souscrits de façon individuelle (15 %) que de
manière collective (5 %) et prévoient essentiellement des remboursements du ticket modérateur. Les
25
Contrairement à l’approche traditionnelle des contrats, l’asymétrie d’information n’est pas nécessaire à la
manifestation de l’aléa moral. Dans ce cas, les différents états de la nature (processus de soins, incertitude sur
l’efficacité des traitements, relation d’agence entre le malade et le praticien) empêchent la mise en œuvre de
transferts forfaitaires. L’assurance maladie est dans une configuration de double risque moral. Le praticien et le
malade peuvent avoir un intérêt commun à la surconsommation (BARDEY et alii, 2003).
21
contrats haut de gamme sont majoritairement collectifs (11 %) et offrent des garanties deux à trois fois
supérieures à celles des contrats standards (ARNOULD, RATTIER, RAYNAUD, 2006).
Le secteur de l’assurance maladie complémentaire est donc caractérisé par des inégalités
profondes. Pour la théorie néo-classique standard, la décision de souscription d’une assurance résulte
d’un comportement rationnel. Or, des études économétriques ont montré que le statut salarial avait une
influence dans la décision (SALIBA, VENTELOU, 2006). Ce n’est pas le risque qui fait l’achat d’une
assurance santé mais le revenu. Les personnes qui perdent leur travail perdent également leur mutuelle
et ne souscrivent pas forcément un contrat individuel. D’autre part il n’y a pas de corrélation entre la
probabilité de développer une pathologie (le risque) et le niveau d’assurance. En matière d’assurance
santé, un haut revenu est déterminant dans la décision de souscription.
Les entreprises jouent un rôle important dans l’acquisition d’une couverture complémentaire. Une
étude de l’INSEE montre, dès 1997, que 96 % des salariés ayant la possibilité de souscrire une
couverture complémentaire par l’intermédiaire de leur entreprise sont effectivement couverts contre
78 % ne bénéficiant pas de cette possibilité (BLANPAIN, PAN KE SHON, 1997). Toutefois, les contrats
collectifs n’empêchent pas les inégalités entre les salariés en fonction de leurs statuts, de leur catégorie
ou de leur entreprise. Ainsi, les salariés des grandes entreprises sont mieux couverts que ceux des
petites et moyennes entreprises (TURQUET, 2002, 2004). Les cadres peuvent bénéficier de régimes
catégoriels plus efficaces. Les inégalités s’ajoutent à celles déjà existantes : les salariés précaires, les
chômeurs et les inactifs peuvent bénéficier d’une couverture complémentaire individuelle ou de la
couverture maladie universelle complémentaire, mais dans des conditions moins favorables que les
contrats collectifs.
L’évolution des pratiques tarifaires des médecins s’est répercutée sur l’activité de l’assurance
maladie complémentaire dans la mesure où la prise en charge des dépassements constitue un argument
commercial. Plus des deux tiers des contrats collectifs offerts par les mutuelles et les institutions de
prévoyance couvrent les dépassements (39 % des contrats collectifs des mutuelles et 44 % des contrats
collectifs des institutions de prévoyance). Les contrats individuels sont moins favorables pour ce type
de prise en charge (seulement 17 % des contrats individuels des mutuelles). En revanche, 70 % des
contrats individuels haut de gamme proposés par les compagnies d’assurance couvrent les
dépassements (MARTIN-HOUSSART, RATTIER, RAYNAUD, 2005). Si les contrats individuels haut de
gamme des compagnies d’assurance sont assez performants, ils ne couvrent qu’une partie assez faible
des assurés. A contrario, 90 % des contrats d’entrée de gamme ne prennent pas en charge les
dépassements d’honoraires et cette proportion atteint 97 % pour les contrats individuels des mutuelles.
Le reste à charge va s’amplifier avec les dépassements d’honoraires de deuxième espèce, induit par la
réforme du médecin traitant et interdit à réassurance dans le cadre des contrats responsables.
La généralisation des dépassements d’honoraires est génératrice d’inégalités. Une étude par testing
réalisée dans six villes du Val-de-Marne s’est intéressée à l’accès aux soins des bénéficiaires de la
CMU (DESPRES, NAIDITCH, 2006). Elle montre que les médecins généralistes (secteurs 1 et 2) ont un
taux de refus imputable à la CMU de 4,8 %. Le même taux est de 41 % pour les spécialistes (secteurs
1 et 2). Ce taux est proche de celui des dentistes (39 %). Parmi les spécialistes, ce sont les psychiatres
qui refusent le plus (50 %). La raison invoquée par certains praticiens pour justifier le refus est de ne
pas pénaliser le patient en lui faisant payer des dépassements. Or, la loi interdit aux médecins
d’appliquer des dépassements aux bénéficiaires de la CMU. Pour les auteurs, le taux de refus
s’explique essentiellement pour des raisons liées à la solvabilité de ces patients.
Au total, l’avènement d’un patient consommateur, responsable et informé et la liberté tarifaire qui
en est son corollaire vont grossir les inégalités sociales de santé en donnant plus de poids à une
prévoyance libre.
CONCLUSION
La notion de marché nourrit les débats sur la réforme du système de santé. Elle est invoquée par
les uns, estimant que l’on ne va pas assez loi dans le recours aux mécanismes de marché faute de
volonté politique alors qu’ils ont montré leur efficacité. Elle est dénoncée par les autres estimant que
les mécanismes de marché sont bien présents et tendent à la privatisation du système en créant de
22
nouvelles inégalités de santé. La notion de marché est ainsi valorisée par ceux qui l’épurent de tout
contenu idéologique et au contraire critiquée par ceux qui y voit l’application de principes doctrinaux.
En mettant au premier plan le rôle des représentations, ce texte a tenté d’éclairer ce que marché
veut dire dans la configuration particulière du système de santé français. Pour penser le marché, il faut
partir de l’Etat et de sa capacité à construire une forme de marché en s’appuyant sur les ressources
cognitives du référentiel marchand de politique publique et sa déclinaison locale ; sur les mécanismes
de corégulation illustrant le rôle des acteurs libéraux de la réforme ; et sur la nouvelle vision de
l’assuré social faisant du patient un consommateur souverain et responsable.
Cette orientation marchande du système de santé français est notoirement inégalitaire et oblige les
pouvoirs publics à apporter des correctifs rawlsiens de type CMU. Ces dispositifs nécessaires, outre
qu’ils sont vulnérables aux effets de seuil d’un modèle d’Etat providence libéral, ne remettent pas en
cause l’inclinaison marchande du système. Dépassements d’honoraires, déremboursements, forfait
hospitalier, etc. restent compatibles avec la CMU. L’existence d’un remboursement automatique pour
les plus pauvres limite fortement les inégalités sociales induites par la désocialisation en rendant
indolore l’existence de la complémentaire. En ce sens, la réforme constitue un désarmement de la
critique sociale et ce désarmement est idéologique dans la mesure où la critique, même si elle peut
s’exprimer, reste à court d’argument et ne sait plus quoi dire (BOLTANSKI, CHIAPELLO, 1999, p. 82).
Il n’est pas certain que les inégalités de santé induites par la réforme soient compensées par des
gains d’efficacité dans la régulation des dépenses de santé. Quand la politique économique prend
appui sur la rationalité stratégique des acteurs et développe une légitimité marchande, elle peut
encourager les attitudes opportunistes. En particulier, la rencontre du référentiel marchand et de
l’optique libérale de la médecine ne peut pas être sans conséquences quand elle modifie la définition
d’un comportement légitime, autorisant une logique de prix libre, coûteuse à l’assurance maladie.
La hausse des dépenses de santé, présentée comme inexorable ou naturelle est alors en partie
activée par la logique marchande et est endogène à la politique économique. La nouvelle impulsion à
la politique de la demande, dopant le rôle de la complémentaire et accroissant le reste à charge offre
une solution à cette croissance de la dépense totale de santé en la déconnectant de la dépense
socialisée. L’inefficacité de l’orientation marchande de la politique de santé se paye alors par
accroissement des inégalités de santé.
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