102 CHAPITRE II MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE Ce chapitre

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CHAPITRE II
MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
Ce chapitre traite des questions méthodologiques. Il est divisé en deux parties.
La première campe les fondements épistémologiques de cette recherche et
explore le rôle du chercheur compte tenu de l’approche et de la méthodologie
de recherche retenues. Dans la deuxième partie de ce chapitre, la description
de la méthodologie est détaillée.
2.1 L’APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE
Dans cette partie, l’étudiant-chercheur présente d’abord les principales
approches méthodologiques de recherche dans les sciences sociales. Il
explique ensuite les raisons ayant motivé l’adoption d’une approche
herméneutique et d’une méthodologie de recherche qualitative pour cette
étude et indique les conséquences de son choix. Il enchaîne avec une
discussion sur le rôle du chercheur afin de mettre en lumière ses biais ainsi que
les valeurs et présupposés sur lesquels reposent cette recherche. Ceci permet
de situer l’apport particulier de l’étudiant-chercheur en lien avec l’objet de
cette recherche (le développement économique communautaire) et avec
l’angle de l’analyse (l’empowerment) ainsi que les limites de sa démarche.
2.1.1 LES APPROCHES EN RECHERCHE SOCIALE : PLAN ÉPISTÉMOLOGIQUE
De façon générale, bien que d’autres approches puissent exister (Pires: 1982,
1987), deux grandes orientations méthodologiques en recherche sociale
prédominent actuellement, l’une objectiviste, découlant de l’approche
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positiviste, et l’autre, subjectiviste, associée à l’approche herméneutique. La
première, très bien connue dans la sphère des sciences sociales, s’inspire du
positivisme des sciences naturelles (Grawitz, 1993: 284) en préconisant un
point de vue objectif pour connaître la réalité (Epstein, 1985: 265; Gingras,
1992b: 35; Grawitz, 1993: 284). Les phénomènes, conçus en termes de
comportements (Lessard-Hébert et al, 1990: 36), deviennent alors des relations
de cause à effet (causalité), où chaque action est déterminée par une
précédente ou en détermine une subséquente (déterminisme) à l’intérieur
d’une immense chaîne d’événements successifs, chacun étant le produit de
l’autre qui l’a précédé. Ce courant croit qu’on ne peut connaître la réalité qu’à
partir de la logique et de méthodologies uniformisées (Eisner, 1981: 9), la
science s’avérant donc une logique reconstruite (Witkin, 1989: 85) et la
compréhension des phénomènes passant nécessairement par l’étude de leur
étiologie (Groulx, 1984: 34). Pour connaître la réalité et la décrire avec
précision, il faut la découper en ses plus petites composantes, y attribuer des
mesures quantitatives (le nombre ou la fréquence), les dénombrer et analyser
les résultats en utilisant des formules mathématiques (Trudel et Antonius, 1991:
13-21). Par le jeu de corrélations établies entre variables dépendantes et
variables indépendantes (Poupart, 1981: 42), le processus déductif
(Deslauriers, 1991: 85) confirme ou infirme les hypothèses de départ et il en
découle que l’absence d’explications déterministes est due à l’ignorance ou à
l’absence de mécanismes adéquats d’évaluation (Zimmerman, 1989: 54). La
généralisation, la vérification et la prédiction sont les raisons d’être de la
recherche s’appuyant sur la logique hypothético-déductive (Eisner, 1981: 8) et
deviennent synonymes de l’explication (thèse de la symétrie) (Heineman, 1981:
374). L’explication reposerait ainsi sur la recherche des causes qui produisent
les phénomènes, y compris les phénomènes sociaux et leurs fonctions en
« laissant de côté les états de la conscience individuelle des acteurs ou agents »
(Gingras, 1992b: 35). Le chercheur doit se concentrer sur le comportement
manifeste (observable, quantifiable, traitable) du phénomène (Eisner, 1981: 6)
et doit continuellement confronter la réalité au modèle théorique et vice-versa
(Heineman, 1981: 372-373). La validité doit être sa préoccupation constante
(Eisner, 1981: 5), car elle garantira la fidélité, soit la capacité de reproduire la
recherche en obtenant les mêmes résultats (Deslauriers, 1991: 99).
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De son côté, s’inspirant de la phénoménologie, de l’existentialisme et des
approches non directives de la psychologie humaniste (Deschamps, s.d.: 2),
l’orientation herméneutique croit que la réalité dépasse largement ce qui peut
être observé et que les orientations théoriques de même que les
méthodologies ne s’avèrent jamais neutres (Eisner, 1981: 4-9). Sans nier que
chaque phénomène a une cause, on introduit l’idée voulant que l’origine
précise d’un effet soit souvent impossible à déterminer, car plusieurs voies
peuvent mener au même résultat et parce que l’être humain est fréquemment
irrationnel dans ses choix (Zimmerman, 1989: 56-58). Ainsi, puisque les
comportements sociaux seraient constitués et régis différemment de la nature
physique, « ils ne devraient donc pas être étudiés de la même façon que les
phénomènes naturels » (Mellos, 1992: 547). Il faut plutôt chercher « le sens de
la réalité sociale dans l’action même où elle se produit, au-delà des causes et
des effets observables, mais sans toutefois oublier ceux-ci. […] L’intérêt du
chercheur doit donc se porter sur la personne ou la collectivité comme sujet de
l’action […] » (Gingras, 1992b: 35-36). L’idée n’est pas de renier la
méthodologie utilisée dans les sciences naturelles, mais de combler les limites
lorsqu’il est question de découvrir et de connaître sous un angle différent
(Gingras, 1992a: 127-136). On s’appuie également sur certaines découvertes
des sciences naturelles pour expliquer que les tentatives d’observation
risquent de changer la nature fondamentale de certains objets d’étude
(Heineman, 1981: 382-383). Il s’ensuit que la prétention de pouvoir tout décrire
peut s’avérer futile sinon néfaste. Cependant, bien que les variables
composant les objets d’étude soient hautement imprévisibles, cela ne doit pas
empêcher d’aller voir ce qui se passe ou d’offrir certaines explications (Eisner,
1981: 6-7). Certes, la science est considérée ici en tant que logique utilitaire
[logic-in-use] (Witkin, 1989: 85), c’est-à-dire que la compréhension des
phénomènes, considérés comme action (Lessard-Hébert et al, 1990: 39), passe
par la saisie du vécu (Groulx, 1984: 35). De fait, le but ultime de l’approche
herméneutique est de comprendre les interactions des êtres humains entre eux
et avec leur environnement (Eisner, 1981: 9). La méthodologie qui s’en inspire
doit donner lieu à un processus inductif (Deslauriers, 1991: 85) et même
subjectif (Epstein, 1985: 265) qui reposerait sur la conviction que les
connaissances ne s’acquièrent pas uniquement par la validation d’une
hypothèse, mais également par l’inférence et l’intuition (Eisner, 1981: 6-7;
Lessard-Hébert et al., 1990: 40). Les méthodes varient ainsi d’une situation à
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l’autre, et elles peuvent s’appuyer sur divers principes, telles la synchronicité
et la saturation des catégories (Deslauriers, 1991: 83-90), plutôt que sur une
logique purement mathématique, car « on vise à introduire un pluralisme et un
relativisme dans la définition des objets et des choses » (Groulx, 1997: 58).
Les deux grandes tendances apparaissent irréconciliables, voire antagoniques,
et elles ont souvent été, en fait, mises en opposition (Laperrière, 1997: 365-366;
Pires, 1987: 85-87). Cependant, certains auteurs tentent de nuancer les points
de discorde ou de ramener le débat à un autre niveau. Epstein (1984: 272), par
exemple, dénonce ce qu’il appelle le mythe de l’incompatibilité et croit qu’un
agencement harmonieux des méthodes43 peut contribuer à une meilleure
connaissance de certaines réalités. En fait, le phénomène de croisement des
méthodes, dit de triangulation (Pires, 1987: 95), semble de plus en plus
reconnu (Mayer et Ouellet, 1991: 73). D’autres auteurs, tels Miles et Huberman,
défendent « la thèse d’un continuum méthodologique entre qualitatif et
43 Il semble exister très peu de méthodes de recherche communes aux deux orientations, sauf
l’entrevue et les méthodes de la nouvelle école de Chicago (Laperrière, 1982: 35-39). De
plus, il faut reconnaître que la subjectivité peut jouer un rôle significatif à l’intérieur d’une
recherche qualitative et que plusieurs méthodes qualitatives ont été développées pour
tenir compte de cette spécificité. À l’inverse, les méthodes quantitatives cherchent toujours
à tendre vers une neutralité absolue. Il faut toutefois noter que la réalité des faits sociaux
est beaucoup moins tranchée que le laissent sous-entendre les polémiques entre les écoles
épistémologiques. Les lignes pures et dures perdent leur rigidité sur le terrain, faisant en
sorte qu’à l’intérieur d’une même recherche, on aura tendance à percevoir différents faits
sociaux tantôt comme objets tantôt comme sujets et à se promener entre ces deux visions
en fonction des observations et des analyses. Cette ambivalence apparente serait peut-
être due en partie aux différentes facettes des faits sociaux, dont certaines seraient
observables et mesurables et d’autres, pas. Ces traversées méthodologiques peuvent
même conduire à l’utilisation d’une mixité de méthodes à l’intérieur d’une même
recherche, phénomène à la base d’approches récentes dont, par exemple, la triangulation
et l’intégration par combinaison (Péladeau et Mercier, 1993: 116-121). Certes, la fonction
de la méthode utilisée aura un impact sur le caractère dominant de la recherche. À titre
d’exemple, si l’analyse qualitative ne sert qu’à illustrer des données quantitatives, la
recherche sera dans la lignée positiviste, comme c’est le cas lorsque le matériel recueilli
par le biais de méthodes qualitatives est traité selon les procédures de la recherche
empirique (Lefrançois, 1987: 148).
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quantitatif en rappelant que les méthodologues néo-positivistes, […] favorisant
au départ des approches purement quantitatives, ont par la suite proposer des
recherches qui tiennent compte des contextes de l’objet et de la dimension
interprétative » (cités dans Lessard-Hébert, et al, 1990: 34-35). Or la
présentation des deux grandes approches dans ce chapitre n’a pas pour
objectif de prendre partie dans ce débat, mais plutôt de mettre en lumière les
caractéristiques de l’approche adoptée dans cette thèse (herméneutique) et,
d’une certaine façon, de signaler les limites de ce choix, car l’absence des
avantages de l’approche positiviste constitue la lacune première de l’approche
herméneutique. Il s’ensuit donc que l’adoption de l’approche herméneutique
ne permet pas à l’étudiant-chercheur de statuer sur les liens entre les
comportements manifestes des individus et des organisations étudiés et les
causes de ces comportements, ni de généraliser de façon formelle à partir des
conclusions de son analyse.
Malgré ces limites, l’approche herméneutique a été retenue. Deux raisons
expliquent cette décision. Premièrement, puisque cette étude porte sur un
phénomène relativement peu étudié, elle possède un caractère forcément
exploratoire (Groulx, 1998: 33-34). Cette situation oblige à adopter une
approche davantage inductive que déductive (Grawitz, 1993: 536) et incite à
privilégier une méthodologie subjectiviste (Gingras, 1992a: 127-136; 1992b: 35-
36) car, au point où en sont les connaissances sur le développement
économique communautaire (et donc, sur l’organisation communautaire qui
emprunte cette voie), il faut tenter de comprendre la réalité, de formuler des
hypothèses fortes plutôt que de confirmer des hypothèses relevant d’une
tradition de recherche. C’est la principale raison pour laquelle cette étude a
adopté une méthodologie de recherche de type qualitatif à l’intérieur d’une
approche herméneutique pour analyser et interpréter les données. Ce faisant,
elle s’inscrit dans un courant de recherche sociale relativement jeune au
Québec mais riche en diversité et en rigueur (Mayer et Ouellet, 1997).
Deuxièmement, l’approche herméneutique semble également la plus
pertinente pour cette étude à cause des traits ontologiques du service social et
de sa méthode d’organisation communautaire. Le service social ne s’intéresse
pas principalement à la relation de la personne humaine avec elle-même (qui
s’avère le domaine de la psychologie) ni en priorité à la façon dont la société
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