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Tribune d’éthique
MeMichel T. Giroux
Un cas difficile?
Tout médecin se trouve un jour confronté à une situation difficile dans laquelle il doit
prendre position. MeMichel T.Giroux, avocat spécialisé en bioéthique, vous propose
d’éclaircir, aux termes de la loi et suivant l’éthique, certains cas dont vous nous
ferez part, afin d’en faire profiter vos collègues de la profession médicale.
Faites-nous parvenir vos cas d’éthique par télécopieur au (514) 695-8554,
ou téléphonez-nous au (514) 695-7623 et demandez Isabelle Gagnon ou Sylvie Lahaie.
MeMichel T. Giroux est avocat
et docteur en philosophie.
Il enseigne la philosophie au
Campus Notre-Dame-de-Foy et
la bioéthique à des étudiants de
deuxième cycle en médecine à
l’Université Laval, Québec.
Consultant en bioéthique,
il est président du Comité
d’éthique de la recherche et
d’intégrité scientifique du FRSQ
et directeur de l’Institut de
consultation et de recherche en
éthique et en droit.
Comité d’éthique clinique
et conscience morale
Le Dr Iratus éprouve d’importantes difficultés avec
l’entourage de l’une de ses patientes. La patiente,
dont l’état général paraissait assez bon, n’est plus
lucide depuis peu. Cependant, des problèmes de
santé récents nécessitent que des décisions signi-
ficatives soit prises à très court terme.
Le mari de la patiente est décédé et il n’existe aucun
représentant légal (curateur ou mandataire) pouvant
décider pour elle. Ses enfants sont divisés (deux con-
tre deux) quant à l’opportunité du traitement envi-
sagé. Le Dr Iratus a rencontré les quatre enfants à
quelques reprises, mais tous se disent convaincus d’ex-
primer la volonté de leur mère, comme elle l’aurait fait
si elle avait été lucide, et ils tiennent fermement à leur
opinion.
Le Dr Iratus contacte le Dr Clinicos, qui préside le
comité d’éthique clinique de l’établissement. Cher-
chant un moyen de sortir de cette impasse, le Dr Iratus
souhaiterait consulter le comité et obtenir une décision
qui serait imposée aux enfants de la patiente. Le
Dr Iratus aimerait savoir s’il doit d’abord s’adresser par
écrit à un gestionnaire de l’établissement pour obtenir
l’aide du comité. Enfin, le Dr Iratus demande à son
collègue s’il est dans l’obligation d’obtenir le consente-
ment des quatre enfants de sa patiente avant de pou-
voir consulter le comité de façon officielle. Quelle
devrait être la conduite du Dr Clinicos?
Discussion
Aspect juridique
Il existe deux types de comités d’éthique : le «co-
mité d’éthique de la recherche», que l’on appelle
aussi «comité de déontologie de la recherche», et le
«comité d’éthique clinique», aussi appelé «comité
de bioéthique».
Quelques articles du Code civil (articles 20 et
suivants) établissent les conditions juridiques que
doit remplir l’expérimentation sur des sujets hu-
mains. De plus, l’article 21, alinéa 3 du Code
requiert l’approbation, par un comité local
d’éthique, du projet de recherche concerné lorsque
l’expérimentation vise un groupe de personnes
mineures ou de personnes majeures inaptes.
«Lorsqu’elle vise un groupe de personnes mineures
ou majeures inaptes, l’expérimentation doit être
effectuée dans le cadre d’un projet de recherche
approuvé par le ministre de la Santé et des Services
sociaux, sur avis d’un comité d’éthique du centre
hospitalier désigné par le ministre ou d’un comité
d’éthique créé par lui à cette fin (...).» Le comité
d’éthique du centre hospitalier dont il est question
dans le Code s’appelle habituellement «comité
d’éthique de la recherche» ou «comité de déontolo-
gie de la recherche». Le statut et le mandat de ce
type de comité bénéficient donc d’une existence
juridique impérativement et directement générée
par la loi.
Par contre, le comité d’éthique clinique n’est pas
créé par la loi. S’il existe dans un établissement, un
tel comité devrait idéalement être établi par le con-
seil d’administration et relever de celui-ci. Le fonc-
tionnement du comité d’éthique clinique dépendra
aussi du conseil d’administration de l’établisse-
ment. Celui-ci doit adopter un règlement interne
afin de se pourvoir, au besoin, d’une telle instance.
Puisque les questions soulevées par le Dr Iratus se
rapportent à une activité clinique, la compétence
concernée est celle du comité d’éthique clinique.
Aspect éthique
Une idée innovatrice à Seattle. Certains auteurs ont
tenté de déterminer avec précision le lieu et
l’époque de l’apparition de la bioéthique, mais
chaque fois qu’on s’y aventure, cette entreprise se
révèle hasardeuse, car elle implique la prise en
compte de nombreux éléments difficilement clas-
sables chronologiquement en raison de leur origine
souvent diffuse et rarement unique. Toutefois, il
semble exister un large consensus qui retienne les
éléments suivants comme ayant favorisé l’émer-
gence de la bioéthique : les questions nouvelles
amenées par les progrès scientifiques et techno-
logiques de la médecine, certains errements graves
en recherche et le débat public parfois passionné
sur des questions comme l’avortement et l’acharne-
ment thérapeutique.
Très tôt, les innovations technologiques ont sou-
levé d’autres questions que celle, fondamentale, de
leur opportunité dans chaque cas. En 1961, le
Dr Belding Scribner, de l’université de Seattle, a
mis au point une technique permettant à des per-
sonnes atteintes d’une maladie rénale en phase très
avancée d’avoir accès à l’hémodialyse. Comme on
ne disposait que d’un nombre restreint d’appareils
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et que le personnel qualifié était peu nombreux, on
ne pouvait traiter qu’une partie des personnes ayant
besoin de ce traitement. Il a été décidé que la sélec-
tion des patients serait effectuée par un comité qui
recourrait à des critères non pas médicaux, mais
sociaux. Le comité était composé de sept profanes
et de deux médecins.
Albert R. Jonsen explique ainsi ce partage de
l’autorité morale des médecins et des profanes :
«The issue in the debate over the Seattle committee
was the contemporary echo of an ancient Hippocratic
phrase: “into whatever houses I enter...”. The modern
nephrologist, armed with the new expensive dialysis
machine, could not enter every house where help was
needed. What standards should determine the choice
of houses? (...) The authorities of the past, namely
physicians, seemed inadequate. Fairness in selecting
candidates for medical treatment is not, in itself, a
medical skill1Aujourd’hui, déterminer qui pourra
accéder à un traitement peu disponible en ne
retenant aucune norme médicale paraît très con-
testable. À Seattle, cependant, la pratique médicale
a été à l’origine d’un remarquable bouleversement :
la création d’une instance morale plus large et plus
ouverte que celle de la consultation entre pairs. La
présence agissante, auprès des médecins, d’autres
groupes professionnels, conviait déjà au creuset
multidisciplinaire typique des comités d’éthique
clinique.
Le mandat du comité. Les établissements diffè-
rent quelque peu quant à leur manière d’organiser
leur comité d’éthique clinique. Cependant, l’expé-
rience et la réflexion sont à l’origine de conseils ap-
propriés dans la très grande majorité des cas. Qua-
tre fonctions constituent habituellement le mandat
du comité d’éthique clinique, soit l’éducation, la
consultation, le conseil institutionnel et la révision
interne.
L’éducation. L’activité d’éducation a pour objet de
sensibiliser l’ensemble du personnel de l’établissement
aux questions et aux problèmes de bioéthique suscepti-
bles de se poser dans le milieu. Des conférences et des
séminaires sont autant d’occasions d’éveiller aux enjeux
moraux et de réfléchir sur la résolution de problèmes en
fonction des principes de base en bioéthique. L’édu-
cation doit d’abord être exercée sous forme d’autofor-
mation par les membres du comité.
La consultation. Le service de consultation offert par
le comité est ouvert à tous les membres du personnel
et de l’administration, aux patients et aux tiers ayant
un intérêt à consulter, comme les proches d’un patient.
Le comité se prononce alors sur le cas d’une personne
en particulier. Par exemple, les proches et le médecin
d’un patient inapte interrogent le comité sur la valeur
morale d’une décision qu’ils envisagent. La réponse du
comité peut prendre deux formes : soit que le comité
suggère une démarche de réflexion à suivre pour par-
venir à une décision éclairée, soit que le comité se
penche lui-même sur le cas dans sa substance et sug-
gère une orientation. La consultation est prospective
quand elle concerne une décision future et elle est
rétrospective lorsqu’elle a pour objectif de revenir sur
des faits passés afin d’en tirer un enseignement.
Le conseil institutionnel. Le rôle du conseil institu-
tionnel consiste à élaborer des politiques d’ensemble sur
des questions soulevant des enjeux éthiques importants.
Les demandes proviennent de membres du personnel
ou de l’administration et portent sur des normes mo-
rales à établir. Le comité peut aussi décider proprio motu
de s’intéresser à une question. À la différence de la con-
sultation, dont le point de chute est un unique patient,
le point de chute en matière de conseil institutionnel est
l’ensemble de l’établissement ou l’une de ses entités. Un
exemple type de demande de conseil institutionnel est
fourni par le dépistage de routine des anti-virus d’im-
munodéficience humaine (anti-VIH) chez les patients
devant subir une intervention chirurgicale. Dans cette
question chaudement disputée entre 1987 et 1990, il
s’agissait de déterminer si l’on est justifié, sur le plan
éthique, de procéder à des examens de dépistage de rou-
tine des anti-VIH chez tous les patients devant subir
une intervention chirurgicale.
La révision interne. Le comité réexamine pério-
diquement les avis qu’il émet. Ce travail d’autocritique
permet au comité d’améliorer sa production et de se
maintenir à la pointe des développements cliniques,
juridiques et éthiques.
La saisine du comité.La notion de «saisine» est de
nature juridique. L’une des significations du mot «sai-
sine» est la prérogative que détient une personne de
porter devant un tribunal une affaire qui la concerne
pour obtenir l’exercice de ses droits. Dans le présent
contexte, la saisine représente la prérogative de l’accès
au comité, notamment pour la consultation et pour le
conseil institutionnel.
Qui peut adresser une demande au comité d’éthique
clinique? Certains comités ont adopté ce que l’on
nomme parfois le modèle médical : seuls les médecins
sont autorisés à adresser une demande au comité. Cette
formule, aujourd’hui très marginale, voulait répondre
aux craintes de certains qui voyaient dans une accessi-
bilité plus large une menace pour les praticiens. L’usage
révèle toutefois qu’un comité mené avec un minimum
d’intelligence ne représente pas un lieu propice au dé-
nigrement.
La notion de crédibilité constitue une autre raison
d’établir un accès universel au comité; il ne faut pas
que le comité soit perçu par les patients, leurs proches,
les divers professionnels et les administrateurs comme
le fantoche d’un groupe quelconque.
Enfin, la procédure d’accès doit être la plus
simple possible. Certains comités bien intention-
nés qui redoutent de crouler sous les demandes
exigent qu’un requérant s’adresse par écrit à une
personne en particulier, la requête devant faire
état de la situation problématique. De telles
procédures sont à proscrire absolument. La néces-
sité de s’adresser par écrit au comité risque forte-
ment de produire un effet dissuasif important, et
pas seulement chez les personnes les plus hum-
bles. Toute demande devrait pouvoir être adressée
verbalement à n’importe quel membre du comité
qui verra à ce que suite lui soit donnée. Cependant,
une fois la demande reçue, il est parfois utile pour
les travaux du comité que certains de ses membres
rédigent un texte décrivant les faits et présentant
les questions posées.
Un rôle consultatif.Le mandat d’un comité
d’éthique clinique ne peut être que consultatif. Un tel
comité éclaire, il ne décide pas. En cela, le comité se dis-
tingue très nettement d’une instance juridique comme
un tribunal. Une fois que le comité s’est prononcé, il
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appartient aux personnes responsables de se déter-
miner en toute liberté. Les motifs pour lesquels un
comité d’éthique clinique ne peut qu’éclairer sont à la
fois juridiques et éthiques, mais fondamentalement
éthiques parce que la notion de responsabilité morale
intervient ici.
Peu importe qui s’adresse au comité pour obtenir
une opinion, le requérant constitue un agent moral. Au
sens générique, l’humain est un être moral, puisqu’il
«est placé dans l’obligation de régler les inclinations
naturelles que la nature a mises en lui sans les avoir au
préalable programmées».2
On qualifie de «subjective» la morale qui s’applique
à un sujet déterminé; c’est la morale hic et nunc, la
morale en situation. Elle s’applique à la personne qui vit
la situation dans la réalité, dans le cadre de circonstances
singulières. Comment agir en morale subjective? La
règle est de suivre notre conscience. Une seconde règle
nous impose d’éclairer notre conscience.
La personne a l’obligation de respecter ce que lui
ordonne sa conscience et de placer sa volonté au service
du jugement qu’elle a prononcé. Une obligation morale
existe lorsque la conscience enjoint de poser un geste en
particulier. Si elle refuse de se soumettre à la conscience,
la volonté se soustrait à sa règle naturelle.
L’obligation de respecter sa conscience s’inscrit pro-
fondément en l’être humain. Pour se développer, un être
doit suivre sa nature. L’humain étant raisonnable par
nature, il doit suivre sa raison s’il veut se développer. La
conscience étant un acte de la raison, la personne agit
conformément à sa nature si elle obéit à sa conscience.
Un comité ne doit pas décider à la place des per-
sonnes qui lui demandent de l’aide, puisqu’il serait
contraire à la nature de ces personnes que de décider
pour elles. Le bien moral est le bien réel librement
poursuivi.
Conduite à tenir
Le Dr Iratus ne devrait pas avoir à obtenir l’autorisation
d’un gestionnaire de l’établissement pour s’adresser au
comité; dans la meilleure hypothèse, une telle procé-
dure ne serait d’aucune utilité. Comme il convient, le
Dr Iratus s’est adressé verbalement au Dr Clinicos qui
donnera suite à la demande.
Puisque la demande concerne une patiente en parti-
culier, il s’agit de consultation. Lors d’une demande de
consultation, le premier réflexe consiste à convoquer
rapidement tous les membres du comité pour entendre
le requérant et les autres intéressés. Cet automatisme
démontre l’efficacité de l’équipe ainsi qu’un bel esprit
démocratique, mais il n’est peut-être pas approprié.
Certains comités sont composés de 12 à 20 membres,
parfois plus. La vue de toutes ces personnes réunies
autour d’une table, ajoutée à la crainte du requérant
d’être jugé, a très souvent produit des résultats désas-
treux.
Une approche plus intime est requise. Suivant cette
approche, le comité confie à trois ou à quatre de ses
membres, dont l’éthicien, la tâche de procéder lors des
demandes de consultation; un rapport de la consulta-
tion peut être remis au comité. Si le requérant en voit
la nécessité, on invite ensuite le comité au complet à
participer. Le Dr Clinicos réunira d’abord quelques
membres du comité seulement.
Les demandes de consultation concernent habituel-
lement des cas difficiles. En effet, si un médecin juge
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