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LNA#55 / cycle migrations
cycle migrations / LNA#55
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sont vendus comme biens nationaux. L’exécution du roi et
l’instauration de la Terreur portent le conit et ses eets
migratoires à leur paroxysme.
Bonaparte prend des mesures d’apaisement en permettant
le retour de tous les émigrés (amnistie générale du 26 avril
1802) – «ni vainqueurs, ni vaincus, ni bonnets rouges, ni
talons rouges» dira-t-il–, mais à condition de ne pas
réclamer la part de leurs biens vendus comme biens natio-
naux. Avec le retour de la monarchie et la Restauration,
une fraction inuente de la noblesse obtient une mesure
nancière destinée à compenser la perte des biens nationaux
par la loi dite du «milliard aux émigrés», qui accorde près
d’un milliard de francs aux 50000 nobles émigrés, tout en
confortant, par ailleurs, la propriété des détenteurs de biens
nationaux. Cette mesure, fort mal reçue par l’opinion pu-
blique, a renforcé l’impopularité de Charles X et contribué
au renversement des Bourbons par la révolution des «Trois
Glorieuses» (1830).
L’exception française dans les migrations de masse
européennes du XIXème siècle
La mutation introduite, au XIXème siècle, par la révolution
industrielle, l’extension du système capitaliste et les progrès
techniques, tout particulièrement dans le secteur des trans-
ports, ont ouvert l’ensemble de la planète aux migrations de
masse. Ces vagues migratoires sans précédent, issues pour
l’essentiel des diérents pays européens, provoquèrent des
ux d’une ampleur inégalée depuis, proportionnellement
à la masse démographique de l’époque. La France n’a pas
connu, contrairement à ses voisins, le puissant mouvement
d’émigration qui a touché l’ensemble de l’Europe pendant
la deuxième moitié du XIXème et le début du XXème siècle.
Alors que 60 millions de migrants européens s’embarquèrent
vers les Amériques entre 1820 et 1914, moins d’un million
de Français ont franchi l’Atlantique jusqu’à la Première
Guerre mondiale. 400 000 d’entre eux débarquèrent à Ellis
Island, principale porte d’entrée aux États-Unis au cours de
cette période, moins de 100000 se xèrent en Argentine,
une petite minorité au Canada; certains pays européens
captent aussi cette émigration (Belgique, Suisse, Grande-
Bretagne). Au cours du Second Empire, qui a été une forte
période d’émigration, les départs n’ont pas excédé 100 000
par an, mais les flux s’amplifient à l’occasion des crises
politiques et économiques: annexion de l’Alsace-Lorraine à
l’Allemagne et crise du phylloxéra dans les vignobles (1881-
1891) où l’émigration vers l’Algérie prend progressivement
le relais des ux transatlantiques.
L’émigration du XIXème siècle aecte la région parisienne
et principalement les régions rurales et pauvres, situées au
sud d’une ligne Bordeaux-Strasbourg (Gironde, Basses-
Pyrénées, Hautes-Pyrénées, Alsace-Lorraine, Alpes); l’émi-
gration bretonne démarre à la n du XIXème siècle. De véri-
tables lières migratoires s’organisent vers les Amériques:
de la région de Gourin dans la montagne noire bretonne
vers New-York (spécialisation dans la restauration), du Pays
Basque vers l’Argentine (spécialisation dans l’élevage),
en passant par le port de Bordeaux; de la vallée de Barce-
lonnette, au cœur de la vallée de l’Ubaye (Basses Alpes), vers
le Mexique. Les migrants, activant un modèle migratoire
du commerce textile déjà développé dans la région alpine,
exploitent une niche économique, celle du commerce des
tissus, et créent un véritable réseau de comptoirs à Mexico
et dans les principales villes du pays. Ce courant migratoire,
qui s’arrête dénitivement dans les années 1950, a fondé à
Barcelonnette une véritable tradition culturelle établie sur
les liens avec le Mexique (musée, festival).
Flux et reflux des migrations vers les colonies
Au cours des années ayant suivi l’indépendance des territoires
coloniaux (1954-1962), 1 500000 rapatriés environ ont migré
vers la métropole où beaucoup n’avaient jamais résidé aupa-
ravant. L’ampleur de ces ux pourrait laisser penser qu’une
émigration française massive s’est réalisée au fur et à mesure
de l’appropriation des territoires, consécutive à la prise d’Alger
en 1830, au partage officialisé de l’Afrique au traité de
Berlin (1884-1885), à l’établissement du protectorat français
en Tunisie (1881) et au Maroc (1911). En réalité, l’émi-
gration française vers les colonies n’a jamais eu, au XIXème
siècle, une intensité comparable à celle des migrations de
masse des autres pays européens, en dépit des appels et des
intentions achées par le pouvoir politique sous le Second
Empire et sous la IIIème République, ainsi que le montre le
cas de l’Algérie. Lors de la perte de l’Alsace-Lorraine en
1871, sur 125000 réfugiés partis des territoires occupés par
l’Allemagne, 4000 à 5000 seulement ont fait souche sur
le territoire algérien ; les eets migratoires de la crise du
phylloxéra ont été plus importants, non tant à cause de la
proximité géographique qu’en raison de l’espoir ouvert aux
petits vignerons du midi languedocien et provençal de re-
constituer des vignobles dans les domaines de colonisation
en Oranie (l’étendue du vignoble algérien passe de 20000
hectares en 1879 à 180000 en 1923, 400000 en 1936).
Une part importante du peuplement européen provient, en
réalité, des autres pays de la rive nord de la Méditerranée,