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L’ORGANISATION DES SAVOIRS DANS L’UNIVERSITÉ MODERNE
Leçons sur la méthode des études académiques de Schelling
Cours donné par le Prof. Marc Maesschalck
à l’Université du Luxembourg, le 1 décembre 2008, dans le cadre du séminaire de
« Conception idéaliste de la philosophie de l’histoire selon Schelling ».
A l’occasion de la création de l’Université de Berlin, un studium général sur la
réorganisation des savoirs dans l’université moderne s’est tenu à Iéna en 1802.
Tous les grands idéalistes allemands, dont Schelling, sont intervenus dans ce
débat1.
La conception médiévale, subordonnant les arts mineurs (médecine, droit,…)
aux arts supérieurs (couronnés par la théologie), prédominait encore, mais elle
apparaît désormais insatisfaisante. Une première option, dans l’optique que
reprendra Dilthey, consiste à diviser les matières entre sciences de la nature
(Naturwissenchaften) et sciences de l’esprit (Geisteswissenchaften).
L’intérêt des interventions de Schelling est de quasiment renverser le schéma
médiéval en posant les « sciences rationnelles pures » comme clés du savoir : la
philosophie d’abord « comme science de l’identité absolue »2 et « son
expression objective pure », les mathématiques. Le savoir, selon Schelling,
devrait être organisé autour de la discipline qui totalise le savoir dans le
« public ». Cette insistance sur la dimension publique se trouve au cœur de la
définition de l’université qu’il donne :
« L’université est fondée sur la connexion de touts les sciences entre elles et elle en est
l’organisation extérieure »3.
L’organisation publique justifie notamment l’indépendance du corps
académique (collegium artium) par rapport au financement public de
l’université.
La question qui nous occupera consiste à repérer le rôle de la philosophie de
l’histoire dans la réorganisation des savoirs prévue par Schelling.
1
Leurs textes ont été recueillis et traduits en français in Philosophies de l’Université. L’idéalisme allemand et la
question de l’Université. Textes de Schelling, Fichte, Schleiermarcher, Humboldt, Hegel, trad. G. GOFFIN, J.-FR.
COURTINE, L. FERRY, A. LAKS, O. MASSON, A. RENAUT ET J. RIVELAYGUE, Paris, Payot, coll. « Critique de la
politique », 1979. Le texte de Schelling que nous étudions a lui aussi été édité dans ce recueil : « Leçons sur la
méthode des études académiques », pp. 41-164.
2
F. W. J. SCHELLING, Sämtliche Werke, Bd. V, (désormais abrégé SW V), K. F. A. SCHELLING (hrsg.), Stuttgart/
Augsburg, J. G. Cotta, 1856-1861, p. 255.
3
SW V 74.
2
INTRODUCTION
Schéma de l’organisation des savoirs selon Schelling
PHILOSOPHIE
Leçon 11
HISTOIRE
SCIENCES DE LA NATURE
Leçon 10
Leçon 11
Côté idéel
(devenir spirituel
du sujet fini)
Côté réel
(devenir matériel
du savoir infini)
production des lois
production de l’expérimentation
INSTITUTION JURIDIQUE
INSTITUTION MÉDICALE
Leçon 10
Leçon 13
Construction historique
du christianisme
Leçon 8
– THÉOLOGIE –
Côté abstrait
Signification spéculative
du christianisme
Leçon 9
BEAUX-ARTS
Leçon 14
Côté concret
3
Commentaire du Schéma
1/ La philosophie introduit à la pratique de deux sciences archétypales :
l’histoire (qui s’intéresse à l’engendrement de la culture) et les sciences de la
nature : physique, chimie, biologie (qui s’intéressent aux individus
matériellement situés). Ces deux sciences archétypales introduisent à leur tour à
des sciences echtypales.
2/ De l’histoire, on peut déduire la science echtypique du droit qui encadre le
sujet spirituel fini médié par la communauté.
3/ Les sciences de la nature conduisent aux sciences echtypales du devenir
matériel de la vie, la médecine. Il faut donc une science générale des corps dans
leur construction historique (procès dynamique universel) et une science
générale de la nature organique ou du vivant : magnétisme, électricité, chimie…
« L’être organique contient la possibilité infinie de soi-même comme individu ou
comme espèce »4.
4/ Selon la représentation classique, la philosophie est servante de la théologie.
Or, nous voyons que Schelling propose ici de voir la théologie comme une
science echtypale de la philosophie, une science dérivée donc et non pas
originaire5. Schelling assure ainsi une position épistémologique forte face à la
théologie6.
5/ Les Beaux-arts sont également une science echtypale de la philosophie, mais
dans un sens privilégié : celui d’être le type dérivé de la synthèse universelle de
la raison dans la culture.
La structure des Leçons
- Leçons 1 à 5 : Schelling commence par une longue introduction. Ensuite
seulement, il se concentre sur les savoirs en tant que tels.
- Leçons 6 et 7 : le rôle de la philosophie.
- Leçon 8 et 9 : la théologie.
4
SW V 339.
Cette prise de position impliquera un procès en athéisme à l’encontre de Schelling en 1810. Mais elle engagera
surtout un large débat théologique qui sortira la théologie protestante de sa sclérose et de son essoufflement, de
la répétition et du dogmatise, dans laquelle elle se tenait depuis Lessing. Ce renouveau touchera également la
théologie catholique, particulièrement lorsque Schelling partira enseigner à Munich.
6
Moltmann considère à ce titre que Schelling a relancé la question épistémologique de la théologie endormie
depuis sa métaphysication.
5
4
Si nous lisons diachroniquement ce plan, il répète à première vue le schéma
classique : la théologie conservant sa place privilégiée. Seulement, il faut
d’abord voir le plan interne : la théologie est abordée par la phénoménologie de
la religion, de la croyance religieuse. D’autant que la théologie est
essentiellement une phénoménologie essentiellement chrétienne. Rappelons
qu’avant le XIIème siècle la théologie concerne le paganisme. Lorsque l’on parle
de la révélation chrétienne, on parle de doctrina sacra. L’apparition de la
théologie présuppose donc sa différenciation d’autres formes de pensées
religieuses. Le christianisme se montre ainsi impensable sans l’histoire. Il
s’approprie l’histoire comme histoire de l’univers. Il est fondamentalement une
auto-compréhension historique (une religion archétypale selon l’histoire). Pour
le dire encore autrement, il s’est donné une genèse sous la modalité de l’histoire.
C’est pourquoi il doit être séparé des religions naturelles non révélées
(archétypales selon la nature). La théologie est en conséquence une science
echtypale, elle présuppose une réflexion idéale sur l’Absolu dont elle n’est pas
le principe, elle n’est que le « foyer du devenir objectif de la philosophie » (p.
107).
Une fois que Schelling a fait basculer la théologie de sa place privilégiée, il
reprend son plan.
- Leçon 10 : ce qui vient après, c’est l’histoire7 et sa science echtypale, le droit.
- Leçons 11, 12 et 13 : puis les sciences de la nature et sa science echtypale, la
médecine.
- Leçon 14 : enfin, les Beaux-arts, la science echtypale de la synthèse
philosophique absolue au sens concret ; alors que la théologie est la science
echtypale de l’essence philosophique de la raison au sens abstrait.
« Dans une certaine mesure, dit encore Schelling, ce plan peut tenir lieu d’une
encyclopédie universelle des sciences ».
La science historique est traitée dans la Leçon 10. Mais pour comprendre
l’histoire, il faut passer par le rapport de la philosophie avec la théologie.
L’histoire est donc déjà située dans les Leçons précédentes. C’est pourquoi il
nous faudra les étudier pour comprendre pleinement le rôle que Schelling
attribue à l’histoire dans l’organisation des savoirs.
7
L’origine de la culture sont les conditions de possibilité de l’existence (l’auto-individuation). Au sens pratique,
la culture est sa propre origine comme auto-génétisation de l’existence. La nouvelle culture, pour Schelling, est
devant et non pas derrière. Il parle donc moins de déclins que de déviations, il y a pas chez lui, à l’époque de
Iéna, la thèse de la perte au sens d’une chute, d’une origine qu’on ne pourrait retrouver.
5
HUITIÈME LEÇON :
SUR LA CONSTRUCTION HISTORIQUE DU CHRISTIANISME
Plan
p. 107
p. 108
pp. 108-110
pp. 110-111
p. 111
pp. 111-112
p. 112
pp. 113-114
V 286
V 287
V 287-289
V 290
V 291
V 291-292
V 292
V 292-294
p. 114
V 294
p. 114
V 295
Introduction : théologie et histoire
- ratio cognoscendi8 (connaissance réale)
- ratio essendi9 (intuition)
Rappel de la philosophie de l’histoire du STI
- ratio essendi (connaissance idéale)
Principe d’une construction philosophique de l’histoire
Application à la construction du christianisme
Déduction de la relation entre une religion naturelle et une
religion révélée
Sens de l’Eglise et de l’histoire comme éducation du genre
humain
Possibilité de la science théologique
Commentaire
Dans toutes les sciences, il y a une dimension historique qui correspond à sa
genèse dans le temps, c’est-à-dire au processus temporel d’émergence et de
construction d’un savoir. Outre cette « relation commune », la théologie
entretient une « relation spéciale »10 quant à son essence avec l’histoire. En effet,
« L’autre aspect, par lequel la théologie se rapporte à l’histoire de manière absolue,
vient de ce que dans le christianisme l’univers en général est intuitionné comme
histoire »11.
Le christianisme comme religion historique
La philosophie de l’histoire se construit sur des états de conscience. La relation
fini/infini détermine la conscience qui peut concevoir le polythéisme et le
monothéisme. Or, l’aboutissement d’un processus de conscience est de mettre en
relation l’infini et le fini, soit naturellement à travers la représentation de figures
idéales concrètes finies, soit processuellement à travers la spiritualisation des
réalités concrètes dans leur élévation reprise en symboles.
« C’est pourquoi le christianisme, conformément à son esprit le plus intime, et dans
son sens le plus élevé, est historique »12.
8
La créature est la raison de connaître son créateur, elle connaît Dieu par une réflexion sur elle-même (position
épistémologique).
9
Le créateur est la raison d’être de la créature (position ontologique).
10
F. W. J. Schelling, « Leçons sur la méthode des études académiques », loc. cit., p. 107.
11
Ibid., p. 108.
6
Il représente le Dieu fait homme.
« L’antiquité est […] le versant naturel de l’histoire, dans la mesure où l’unité, et
l’idée qui y domine, est celle de l’être (Sein) de l’infini au sein du fini. La fin de
l’époque ancienne – ce qui marque la frontière qui la sépare d’une époque nouvelle,
dont le principe est l’infini – ne pouvait avoir lieu que dans la mesure où le véritable
infini venant dans le fini, non pas afin de le diviniser, mais pour l’offrir à Dieu en sa
propre personne, et par là le réconcilier. La première idée du christianisme est donc
nécessairement celle du Dieu fait homme, du Christ comme cime et aboutissement de
l’ancien monde des dieux. Lui aussi finitise en lui le divin, mais il revêt l’humanité
non pas dans sa grandeur, mais dans sa bassesse, et il se tient là comme une apparition,
certes arrêtée de toute éternité, mais passagère et situées dans le temps, comme la
limité entre deux mondes ; lui-même retourne dans l’invisible, promet à sa place, non
pas le principe qui vient dans le fini pour y demeurer, mais l’Esprit, le principe idéal
qui reconnaît bien plutôt le fini dans l’infini et qui comme tel est la lumière du
nouveau monde »13.
Ce qui se joue est la relation entre l’infini et le fini par la conscience. Au plan
symbolique, Dieu ne se conçoit qu’en transit, dans des « figures fugitives »,
celles des apôtres, des saints.
« Les figures ne demeurent plus présentes, mais elles apparaissent, ce ne sont pas des
êtres naturels éternels, mais des figures historiques, dans lesquelles le divin ne se
révèle qu’en passant, et dont l’apparition fugitive ne peut être retenue et fixée qu’à
travers la foi, mais sans jamais parvenir à se transformer en un présent absolu »14.
Le christianisme est déjà en ce sens une religion historique car :
« là où le divin ne vit pas dans des formes permanents, mais passe à travers des
apparitions fugitives, il a besoin des moyens destinés à le retenir, à le fixer et à
l’éterniser dans une tradition »15.
On comprend pourquoi la destruction des idoles revêt une telle importance dans
le christianisme primitif : non pas parce que les idoles seraient de fausses
représentations de Dieu, mais parce qu’elles sont des dieux, parce qu’elles sont
de faux dieux. Luther reprendra le même argument en écartant les
représentations de saints auxquelles on en était venu à rendre un culte comme à
des divinités, régressant vers le polythéisme.
Schelling pose donc un couple christianisme ésotérique/diachronique (qui
dépend de l’accomplissement dans le temps) et religion grecque
exotérique/synchronique (l’immédiat de la nature). Ce que la religion grecque
possède simultanément, le christianisme le possède successivement (histoire)
12
Ibid., p. 109.
Ibid., p. 112.
14
Ibid., p. 109.
15
Ibid., p. 113.
13
7
Quelle est la condition de cette construction de l’histoire ? Comment la
théologie est-elle une science echtypale, et se construit donc à partir de
l’histoire ?
L’histoire exprime par sa construction la « nécessité absolue » de la
manifestation de l’existence. Concevoir l’histoire, c’est concevoir la nécessité
d’un mouvement. Si tel fait est arrivé, cela doit être compris du point de vue de
l’histoire, comme nécessité a posteriori. On relit ce qui est advenu à la
conscience comme relevant des conditions de possibilité de la conscience. Donc
ce qui se passe n’est pas nécessairement bien en soi (pensons à la Shoah), ce qui
advient est aussi la déchirure de la conscience. Schelling ne parle pas d’une
nécessité ontologique ou métaphysique (ce qui ne pouvait pas ne pas être), mais
d’une nécessité transcendantale. Pouvait-il ne pas y avoir d’Inquisition ? Oui.
Mais qu’est-ce que cela représente alors du point de vue de la conscience, est la
question qu’il faut se poser.
Cette conception de l’histoire fait partie des conditions de la construction d’une
théologie. Le christianisme a besoin d’un concept interprétatif total. Le reste
n’est qu’hypothèse empirique. Le sens archétypal de l’histoire est donc de
formuler des hypothèses sur le devenir de l’humanité, de la religion, de la
culture. Ce que Schelling vient d’esquisser à propos de « l’histoire en général »,
il le montre ensuite par rapport à « l’histoire de la religion »,
« à savoir que celle-ci est fondée sur une nécessité éternelle et que par conséquent une
construction est possible, grâce à laquelle elle est très étroitement liée à la science de la
religion, jusqu’à ne plus faire qu’un avec elle »16.
Pour Schelling, la révélation biblique dépend d’une épochalisation différenciant
un monde ancien et un monde nouveau. L’épochalisation dépend elle-même de
la construction d’une intuition de l’univers comme histoire.
« La construction historique du christianisme ne peut pas prendre pour point de départ
une autre perspective d’ensemble que celle selon laquelle l’univers en général, et par
conséquent l’univers historique également, apparaît nécessairement différencié suivant
deux aspects, de telle sorte que l’opposition que constitue le monde moderne vis-à-vis
de l’ancien, est en soi suffisante pour comprendre l’essence et toutes les déterminations
particulières du Christianisme »17.
L’Eglise
Se référer à l’univers comme histoire permet aussi une déduction du rôle de
l’Eglise dans la théologie. L’unité de tous dans l’Esprit comme intuition de la
communauté est intrinsèquement liée à l’étude du christianisme, l’Eglise.
16
17
Ibid., p. 112.
Ibid., p. 112.
8
« Le symbole originaire de toute intuition de Dieu est pour elle l’Histoire, or celle-ci est
illimitée, incommensurable, elle doit par conséquent être représentée grâce à une
manifestation qui soit à la fois infinie et cependant limitée, une manifestation qui ellemême ne soit pas à son tour réale, comme l’Etat, mais idéale, et qui expose, à titre de
présence immédiate, l’unité de tous dans l’Esprit malgré la séparation des individus.
Cette intuition symbolique, c’est l’Eglise en tant qu’œuvre d’art vivante »18.
La théologie va devoir s’atteler à comprendre l’Eglise comme communauté de
croyance. Schelling donne ici les conditions épistémologiques de la construction
rationnelle d’une théologie. Puisque la religion chrétienne est fondée sur
l’intuition de l’univers comme histoire, elle doit construire une ecclésiologie qui
elle-même intègre l’histoire. Le corps mystique est la communauté éthique
idéale qui sert d’idée réfléchissante par laquelle la nécessité de l’histoire peut
s’accomplir. L’eschatologie ne peut se développer sans l’action dans une
communauté.
Symbolique
Histoire
Dogmatique
Théologie
Spéculatif
Réflexion
Une des premières formes modernes de l’unité théologique de l’Etat se réalise
dans l’unité juridique de l’Eglise. Schelling est donc loin de réduire l’Eglise à
une simple communauté morale (position crypto-catholique). Pour Schelling, on
ne peut pas éliminer la dimension ecclésiologique dans la dimension
théologique. L’ecclésiologie dépend de la théologie. Il faut trouver la
légitimation de l’Eglise dans la religion qui fait l’histoire.
La question des dogmes
La nécessité des dogmes doit aussi être déterminée d’un point de vue spéculatif.
Comment en est-on venu à trouver tel dogme, un tel symbole réel, nécessaire ?19
« Si l’on veut tenir pour objectivement symbolique les actions et les usages de l’Eglise,
alors que leur signification peut cependant être comprise de façon purement mystique, il
faut cependant ajouter que ces idées chrétiennes qui ont été symbolisées dans les
dogmes, n’ont pourtant pas cessé d’avoir une signification tout à fait spéculative,
puisque leurs symboles n’ont toujours pas obtenu en eux-mêmes une vie indépendante
de leur signification, comme ceux de la mythologie grecque »20.
Le symbole fait passer au dogmatique et le savoir spéculatif donne au point de
vue exotérique ce qui s’est joué au point de vue ésotérique. Il y a donc chez
Schelling un point de vue réflexif sur le symbole qui se fonde sur une vraie
connaissance de la théologie. Il critique ainsi les interprétations spéculatives du
18
Ibid., p. 113.
Le théologien catholique Von Baader posera la question d’une façon identique.
20
F. W. J. Schelling, « Leçons sur la méthode des études académiques », loc. cit., p. 114.
19
9
Vendredi saint, en se demandant à chaque fois qu’est-ce que telle interprétation
gagne ou perd ; où en est la conscience ?21
21
Karl Barth met au contraire une coupure entre théologie (parole révélée) et philosophie (liberté de
l’intelligence), exemplifiant la carence de la théologie protestante à son époque.
10
NEUVIÈME LEÇON :
DE L’ÉTUDE DE LA THÉOLOGIE
Plan
p. 115
pp. 116-117
p. 117
p. 118
pp. 119-120
p. 121
p. 122
V 296
Critique de la théologie de la révélation
V 297-298 Méconnaissance de l’histoire
V 299
Spéculation et histoire : sens d’une construction spéculative du
christianisme
V 300
Différence avec la réduction kantienne et avec le dogmatisme
V 302-303 Différence avec la théologie éclairée (substituer le christianisme
empirique à son idée)
- école de la critique historique
- école philologique
- école psychologique
- école moraliste
V 304
Principe : allier construction spéculative et construction
historique
V 305
Renaissance « kérigmatique » de l’Evangile absolu
Commentaire
Schelling y critique abondamment la théologie pratiquée à son époque à partir
des méthodes en usage. Il ne se contente donc pas de dire que la théologie est
echtypale mais qu’elle doit de surcroît se transformer pour prétendre et tenir sa
place dans l’ordre du savoir académique.
Schelling critique d’abord l’aspect purement exégétique que peut emprunter la
théologie, au bout duquel il risquerait de plus rien rester d’authentique dans les
textes.
« Il faudrait […] savoir gré aux époques ultérieures d’avoir su tirer du contenu indigent
des premiers livres religieux tant de matière spéculative, et de l’avoir développé en un
système »22.
La référence au Livre devient en même temps idolâtrique. Le message spéculatif
est réduit à l’étude des livres.
« L’on a interprété dans une intention purement politique l’idée de l’autorité
hiérarchique d’interdire ces livres au peuple : mais la raison profonde pourrait bien en
être ce fait que le christianisme, en tant que religion vivante, ne se perpétue pas comme
une chose appartenant au passé, mais comme un éternel présent, de même que les
miracles de l’Eglise n’ont point cessé eux non plus, quoique le protestantisme, en cela
encore inconséquent, ne les admette que comme des événements du passé »23.
22
23
F. W. J. Schelling, « Leçons sur la méthode des études académiques », loc. cit., p. 118.
Ibid., p. 119.
11
Le christianisme a comme condition son développement historique, et plus on le
réduit au Livre empirique plus on perd cet effort historique, on réduit le
christianisme vivant au christianisme empirique. Le protestantisme remplace
l’autorité de la communauté par l’autorité du livre, par la conscience privée
(sola scriptura, sola fide).
« A l’autorité vivante s’en substitua une autre, celle des livres morts écrits dans des
langues disparues, et comme par nature une telle autorité ne pouvait être contraignante,
ce fut aussi un esclavage bien plus indigne, consistant à dépendre de symboles n’ayant
pour eux qu’un prestige simplement humain. Il était nécessaire que le protestantisme
qui, selon son concept, est anti-universel, se divisât à son tour en sectes, et que
l’incrédulité s’attachât aux formes singulières et à la manifestation empirique, puisque la
religion y étant renvoyée. Sans esprit et sans foi, sans piété et pourtant aussi sans
mordant (Witz) ni frivolité, semblables aux malheureux que Dante place dans
l’antichambre de l’enfer et que l’enfer n’accueillit pas, parce que même les damnés n’en
tireraient nul honneur, ainsi les érudits, principalement les Allemands ont à l’aide d’une
exégèse soi-disant salutaire, d’une psychologie ‘‘éclairée’’ et d’une morale relâchée,
écarté du christianisme tout l’aspect spéculatif et même symbolique-subjectif »24.
Ce n’est pas l’exégèse qui est importante dans le christianisme, ou alors elle est
importante pour elle-même seulement, l’enjeu pour Schelling est spéculatif. Il
faut une dogmatique spéculative, une théologie systématique comme on l’a
appelée au XXème siècle. Schelling propose donc d’allier la construction
transcendantale avec une construction positive (Faits).
« L’essentiel dans l’étude de la théologie est d’allier la construction spéculative et la
construction historique du christianisme et ses principaux dogmes »25.
Pour Schelling, l’important est la conscience de la potentiation à travers les
figures dogmatiques. Bonhoeffer va développer dans un sens identique la
dogmatique comme limite provisoire du désaccord entre deux communautés de
croyance. Un dogme est nécessaire à un moment. Pourquoi ? L’Immaculée
conception, par exemple, est nécessaire au XIXème pour marquer une différence
tangible et provisoire. Les dogmes se donnent eux aussi comme figures
« fugaces ».
24
25
Ibid., p. 119.
Ibid., p. 121.
12
DIXIÈME LEÇON :
SUR L’ÉTUDE DE L’HISTOIRE ET DE LA JURISPRUDENCE
Plan
p. 123
p. 124
pp. 125-127
p. 127
pp. 127-128
p. 129
pp. 131-132
V 306
V 307
V sq.
Déduction du principe de la construction de l’histoire
Analogie entre la philosophie et le savoir historique
Dimension pragmatique de l’histoire
Analogie avec l’art
Dimension « épochale » de l’histoire
Situation du droit dans sa dimension « épochale »
Importance d’une science positive du droit et critique du droit
naturel (accord avec Fichte)
Commentaire
L’histoire elle aussi doit se refonder pour devenir archétypale. Elle ne peut se
contenter de relever les faits empiriques. Elle doit appliquer son schéma idéal au
réel.
« La véritable exposition historique (Historie) repose elle aussi sur une synthèse de ce
qui est donné et de ce qui est effectivement réel avec l’idéal, mais sans pour autant que
la philosophie préside à cette synthèse, puisque cette dernière supprime bien plutôt la
réalité effective, et qu’elle est entièrement idéale, tandis que l’histoire doit être tout
entière présente dans l’effectivité – mais en demeurant idéale »26.
Les grands historiens comme Tacite, Polybe, Hérodote ou Thucydide, ont une
thèse interprétative sur l’histoire.
« En Grèce les esprits les plus éminents, les plus mûrs et les plus riches d’expérience
prirent en main la plume pour inscrire l’Histoire en caractères éternels. Hérodote est une
véritable tête homérique, et chez Thucydide, c’est toute la culture du siècle de Périclès
qui se concentre pour aboutir à une intuition divine »27.
Pour Ricoeur aussi, dans Temps et Récit28, la nature de l’histoire est liée à la
structure narrative. Ricoeur s’inspire d’Aristote pour qui toute narration
historique est unifiée et structurée à partir d’un milieu choisis. Grâce à l’art
narratif, l’histoire s’élève jusqu’à l’idéal où réside la science.
Symbole empirique
26
Vérité transcendantale
Narration spéculative
Ibid., p. 126.
Ibid., p. 125. C’est ce qu’on produit des auteurs plus contemporains comme Weber dans L’éthique protestante
et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964 et Gauchet dans Le désenchantement du monde, Paris, Gallimard,
1985.
28
P. Ricoeur, Temps et récits, 3 tomes, Paris, Seuil, 1983-1985.
27
13
Le point de vue absolu est celui de l’art absolu.
« C’est donc grâce à l’art que l’histoire, tout en restant la science de ce qui est effectif
comme tel, s’élève au-dessus de celui-ci, jusqu’au domaine le plus de l’idéal, là où
réside la science ; le troisième point de vue sur l’histoire, le point de vue absolu, est
donc celui de l’art historique »29.
L’histoire consiste alors à rendre une unité narratologique à l’événement, « il
faut que la succession des événements ne soit pas elle-même intelligible
empiriquement, mais au contraire uniquement selon une ordonnance
supérieure »30. L’attestation est le fait que la corrélation entre le réel et l’idéal est
satisfaisante pour la raison ou pas, si la thèse spéculative n’entrave pas le retour
au réel.
« Aux yeux de la raison, l’Histoire n’obtient son achèvement que quand les causes
empiriques, tout en satisfaisant l’entendement, sont utilisées comme instruments et
comme moyens, en vue de la manifestation d’une nécessité plus haute. A travers une
telle exposition, l’Histoire ne peut manquer de faire l’effet du drame le plus grandiose et
le plus étonnant, drame que seul un esprit infini a pu composer »31.
Les historiens antiques l’avaient bien compris :
« Dans les livres historiques d’Hérodote, les arrêts du destin et la justice divine planent
comme des divinités invisibles qui étendent partout leur règne. Dans le style plus relevé,
et toute à fait original de Thucydide, qui se révèle déjà dramatique par l’introduction des
‘‘discours’’, cette unité plus haute s’exprime même dans la forme, et elle se manifeste
jusque dans les aspects extérieurs de l’œuvre » 32.
Comment un historien pourrait-il procéder à l’époque de Schelling ou
aujourd’hui ?
« L’Histoire doit être considérée dans sa totalité à la manière d’une épopée, n’ayant ni
commencement, ni fin bien arrêtée ; il suffit d’extraire tel ou tel point, que l’on tient
pour le plus important ou le plus intéressant, pour que l’ensemble se développe et
s’étende à partir de là dans toutes les directions »33.
Schelling en vient ensuite à la question du droit et de son lien à l’histoire. Faire
une théorie du droit, c’est faire l’histoire de la communauté juridique. La science
archétypale narratologique et ses sciences dérivées permettent de comprendre
l’institution juridique comme communauté de destin. Il ne s’agit pas de
l’accumulation des ordres juridiques mais de repartir du droit comme équilibre
entre l’institution juridique et le devenir du droit.
29
F. W. J. Schelling, « Leçons sur la méthode des études académiques », loc. cit., p. 127.
Ibid., p. 127.
31
Ibid., p. 127.
32
Ibid., p. 127.
33
Ibid., p. 127.
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