1
L’
ORGANISATION DES SAVOIRS DANS L
UNIVERSITÉ MODERNE
Leçons sur la méthode des études académiques de Schelling
Cours donné par le Prof. Marc Maesschalck
à l’Université du Luxembourg, le 1 décembre 2008, dans le cadre du séminaire de
« Conception idéaliste de la philosophie de l’histoire selon Schelling ».
A l’occasion de la création de l’Université de Berlin, un studium général sur la
réorganisation des savoirs dans l’université moderne s’est tenu à Iéna en 1802.
Tous les grands idéalistes allemands, dont Schelling, sont intervenus dans ce
débat
1
.
La conception médiévale, subordonnant les arts mineurs (médecine, droit,…)
aux arts supérieurs (couronnés par la théologie), prédominait encore, mais elle
apparaît désormais insatisfaisante. Une première option, dans l’optique que
reprendra Dilthey, consiste à diviser les matières entre sciences de la nature
(Naturwissenchaften) et sciences de l’esprit (Geisteswissenchaften).
L’intérêt des interventions de Schelling est de quasiment renverser le schéma
médiéval en posant les « sciences rationnelles pures » comme clés du savoir : la
philosophie d’abord « comme science de l’identité absolue »
2
et « son
expression objective pure », les mathématiques. Le savoir, selon Schelling,
devrait être organisé autour de la discipline qui totalise le savoir dans le
« public ». Cette insistance sur la dimension publique se trouve au cœur de la
définition de l’université qu’il donne :
« L’université est fondée sur la connexion de touts les sciences entre elles et elle en est
l’organisation extérieure »
3
.
L’organisation publique justifie notamment l’indépendance du corps
académique (collegium artium) par rapport au financement public de
l’université.
La question qui nous occupera consiste à repérer le rôle de la philosophie de
l’histoire dans la réorganisation des savoirs prévue par Schelling.
1
Leurs textes ont été recueillis et traduits en français in Philosophies de l’Université. L’idéalisme allemand et la
question de l’Université. Textes de Schelling, Fichte, Schleiermarcher, Humboldt, Hegel, trad. G.
G
OFFIN
,
J.-F
R
.
C
OURTINE
,
L.
F
ERRY
,
A.
L
AKS
,
O.
M
ASSON
,
A.
R
ENAUT ET
J.
R
IVELAYGUE
, Paris, Payot, coll. « Critique de la
politique », 1979. Le texte de Schelling que nous étudions a lui aussi été édité dans ce recueil : « Leçons sur la
méthode des études académiques », pp. 41-164.
2
F. W. J. S
CHELLING
, Sämtliche Werke, Bd. V, (désormais abrégé SW V), K. F. A. S
CHELLING
(hrsg.), Stuttgart/
Augsburg, J. G. Cotta, 1856-1861, p. 255.
3
SW V 74.
2
I
NTRODUCTION
Schéma de l’organisation des savoirs selon Schelling
H
ISTOIRE
Leçon 10
Côté idéel
(devenir spirituel
du sujet fini)
production des lois
I
NSTITUTION JURIDIQUE
Leçon 10
P
HILOSOPHIE
Leçon 11
Construction historique
du christianisme
Leçon 8
T
HÉOLOGIE
Côté abstrait
Signification spéculative
du christianisme
Leçon 9
B
EAUX
-
ARTS
Leçon 14
Côté concret
S
CIENCES DE LA NATURE
Leçon 11
Côté réel
(devenir matériel
du savoir infini)
production de l’expérimentation
I
NSTITUTION MÉDICALE
Leçon 13
3
Commentaire du Schéma
1/ La philosophie introduit à la pratique de deux sciences archétypales :
l’histoire (qui s’intéresse à l’engendrement de la culture) et les sciences de la
nature : physique, chimie, biologie (qui s’intéressent aux individus
matériellement situés). Ces deux sciences archétypales introduisent à leur tour à
des sciences echtypales.
2/ De l’histoire, on peut déduire la science echtypique du droit qui encadre le
sujet spirituel fini médié par la communauté.
3/ Les sciences de la nature conduisent aux sciences echtypales du devenir
matériel de la vie, la médecine. Il faut donc une science générale des corps dans
leur construction historique (procès dynamique universel) et une science
générale de la nature organique ou du vivant : magnétisme, électricité, chimie…
« L’être organique contient la possibilité infinie de soi-même comme individu ou
comme espèce »
4
.
4/ Selon la représentation classique, la philosophie est servante de la théologie.
Or, nous voyons que Schelling propose ici de voir la théologie comme une
science echtypale de la philosophie, une science dérivée donc et non pas
originaire
5
. Schelling assure ainsi une position épistémologique forte face à la
théologie
6
.
5/ Les Beaux-arts sont également une science echtypale de la philosophie, mais
dans un sens privilégié : celui d’être le type dérivé de la synthèse universelle de
la raison dans la culture.
La structure des Leçons
- Leçons 1 à 5 : Schelling commence par une longue introduction. Ensuite
seulement, il se concentre sur les savoirs en tant que tels.
- Leçons 6 et 7 : le rôle de la philosophie.
- Leçon 8 et 9 : la théologie.
4
SW V 339.
5
Cette prise de position impliquera un procès en athéisme à l’encontre de Schelling en 1810. Mais elle engagera
surtout un large débat théologique qui sortira la théologie protestante de sa sclérose et de son essoufflement, de
la répétition et du dogmatise, dans laquelle elle se tenait depuis Lessing. Ce renouveau touchera également la
théologie catholique, particulièrement lorsque Schelling partira enseigner à Munich.
6
Moltmann considère à ce titre que Schelling a relancé la question épistémologique de la théologie endormie
depuis sa métaphysication.
4
Si nous lisons diachroniquement ce plan, il répète à première vue le schéma
classique : la théologie conservant sa place privilégiée. Seulement, il faut
d’abord voir le plan interne : la théologie est abordée par la phénoménologie de
la religion, de la croyance religieuse. D’autant que la théologie est
essentiellement une phénoménologie essentiellement chrétienne. Rappelons
qu’avant le XII
ème
siècle la théologie concerne le paganisme. Lorsque l’on parle
de la révélation chrétienne, on parle de doctrina sacra. L’apparition de la
théologie présuppose donc sa différenciation d’autres formes de pensées
religieuses. Le christianisme se montre ainsi impensable sans l’histoire. Il
s’approprie l’histoire comme histoire de l’univers. Il est fondamentalement une
auto-compréhension historique (une religion archétypale selon l’histoire). Pour
le dire encore autrement, il s’est donné une genèse sous la modalité de l’histoire.
C’est pourquoi il doit être séparé des religions naturelles non révélées
(archétypales selon la nature). La théologie est en conséquence une science
echtypale, elle présuppose une réflexion idéale sur l’Absolu dont elle n’est pas
le principe, elle n’est que le « foyer du devenir objectif de la philosophie » (p.
107).
Une fois que Schelling a fait basculer la théologie de sa place privilégiée, il
reprend son plan.
- Leçon 10 : ce qui vient après, c’est l’histoire
7
et sa science echtypale, le droit.
- Leçons 11, 12 et 13 : puis les sciences de la nature et sa science echtypale, la
médecine.
- Leçon 14 : enfin, les Beaux-arts, la science echtypale de la synthèse
philosophique absolue au sens concret ; alors que la théologie est la science
echtypale de l’essence philosophique de la raison au sens abstrait.
« Dans une certaine mesure, dit encore Schelling, ce plan peut tenir lieu d’une
encyclopédie universelle des sciences ».
La science historique est traitée dans la Leçon 10. Mais pour comprendre
l’histoire, il faut passer par le rapport de la philosophie avec la théologie.
L’histoire est donc déjà située dans les Leçons précédentes. C’est pourquoi il
nous faudra les étudier pour comprendre pleinement le le que Schelling
attribue à l’histoire dans l’organisation des savoirs.
7
L’origine de la culture sont les conditions de possibilité de l’existence (l’auto-individuation). Au sens pratique,
la culture est sa propre origine comme auto-génétisation de l’existence. La nouvelle culture, pour Schelling, est
devant et non pas derrière. Il parle donc moins de déclins que de déviations, il y a pas chez lui, à l’époque de
Iéna, la thèse de la perte au sens d’une chute, d’une origine qu’on ne pourrait retrouver.
5
H
UITIÈME
L
EÇON
:
S
UR LA CONSTRUCTION HISTORIQUE DU CHRISTIANISME
Plan
p. 107
p. 108
pp. 108-110
pp. 110-111
p. 111
pp. 111-112
p. 112
pp. 113-114
p. 114
p. 114
V 286
V 287
V 287-289
V 290
V 291
V 291-292
V 292
V 292-294
V 294
V 295
Introduction : théologie et histoire
- ratio cognoscendi
8
(connaissance réale)
- ratio essendi
9
(intuition)
Rappel de la philosophie de l’histoire du STI
- ratio essendi (connaissance idéale)
Principe d’une construction philosophique de l’histoire
Application à la construction du christianisme
Déduction de la relation entre une religion naturelle et une
religion révélée
Sens de l’Eglise et de l’histoire comme éducation du genre
humain
Possibilité de la science théologique
Commentaire
Dans toutes les sciences, il y a une dimension historique qui correspond à sa
genèse dans le temps, c’est-à-dire au processus temporel d’émergence et de
construction d’un savoir. Outre cette « relation commune », la théologie
entretient une « relation spéciale »
10
quant à son essence avec l’histoire. En effet,
« L’autre aspect, par lequel la théologie se rapporte à l’histoire de manière absolue,
vient de ce que dans le christianisme l’univers en général est intuitionné comme
histoire »
11
.
Le christianisme comme religion historique
La philosophie de l’histoire se construit sur des états de conscience. La relation
fini/infini détermine la conscience qui peut concevoir le polythéisme et le
monothéisme. Or, l’aboutissement d’un processus de conscience est de mettre en
relation l’infini et le fini, soit naturellement à travers la représentation de figures
idéales concrètes finies, soit processuellement à travers la spiritualisation des
réalités concrètes dans leur élévation reprise en symboles.
« C’est pourquoi le christianisme, conformément à son esprit le plus intime, et dans
son sens le plus élevé, est historique »
12
.
8
La créature est la raison de connaître son créateur, elle connaît Dieu par une réflexion sur elle-même (position
épistémologique).
9
Le créateur est la raison d’être de la créature (position ontologique).
10
F. W. J. Schelling, « Leçons sur la méthode des études académiques », loc. cit., p. 107.
11
Ibid., p. 108.
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