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1. INTRODUCTION: LE PROBLEME DU FORMALISME ET DE
L'INTERPRETATION
On a souvent tendance à privilégier, dans les discussions sur les pro-
blèmes d'interprétation en physique, les termes de la situation tels qu'ils se présen-
tent après que le paysage théorique a été bouleversé par l'avènement de la théorie
formalisée. L'espace-temps de Minkowski de la Relativité restreinte, la question
de la géométrie dans son rapport à l'espace physique avec la Relativité générale,
enfin la ‘fonction
’et le formalisme de la mécanique quantique, ont suscité des
débats dans lesquels le formalisme théorique est considéré sous sa forme
désormais acquise, posé devant nous comme une énigme à déchiffrer, ou du
moins comme un symbolisme mathématique qu'il convient d'interpréter, c'est-à-
dire de mettre de manière adéquate en relation avec la description des
phénomènes physiques, voire de juxtaposer directement aux données empiriques.
Cette manière reçue d'aborder le problème de la signification des propositions
formelles d'une ‘science empirique’ n'est qu'en partie légitime, si les contenus des
concepts ainsi formalisés ne peuvent être totalement réinventés à partir d'une pure
forme. Les élaborations et les constructions dont ils ont été l'objet avant les
réorganisations actuelles ont contribué à façonner ces contenus, et l'approche
historique n'est pas étrangère non plus aux questions posés par l'interprétation1.
La conception statique qui cantonne la question de l'interprétation à la
juxtaposition d'un schème formel et d'un donné empirique justifierait assez cette
remarque du physicien Alfred Landé, pour qui la dispute sur la signification de la
fonction
ressemble aux débats scolastiques dans lesquels au lieu que les mots
représentent les choses, c'étaient les choses qui représentaient les mots. En méca-
nique quantique, l'on discute, remarque-t-il, "de diverses interprétations des for-
mules mathématiques comportant des symboles énigmatiques et aboutissant à des
images et des constructions mentales", alors qu'il faudrait "partir d'axiomes ou
postulats physiques du genre de ceux de la théorie de la Relativité (par ex., symé-
trie, invariance), dont les conséquences physiques seraient en accord avec les phé-
nomènes et s'exprimeraient par le formalisme actuel de la théorie quantique"2.
C'est précisément le modèle de la théorie de la Relativité qu'invoquait
Heisenberg, en 1955, à propos, cette fois, de l'élaboration, et de sa propre voie
vers la mécanique quantique. Parlant de l'introduction mathématique de vecteurs
d'état d'un espace de Hilbert pour représenter physiquement l'état d'un système,
Heisenberg indique que "le prototype de cette méthode de solution se trouve dans
la théorie de la Relativité restreinte d'Einstein", lorsque ce dernier interpréta le
1 Elle porte avec elle l'enjeu de la question de la rationalité dans le travail d'élaboration
scientifique en dépit de, ou plutôt dans, la diversité des styles selon les auteurs, et de la légitimité
pour la philosophie de la connaissance de s'interroger sur le processus même de création
scientifique. Voir Paty 1992a, 1993a.
2 Landé 1950, p. xv.