Quand les psys brisent le silence. L’empathie entre thérapeute et
patient, l’implication personnelle et les encouragements rendent
aujourd’hui le « psy» plus humain et plus proche.
Par Christophe André, Cerveau&Psycho - n° 45 mai - juin 2011
ChristopheAndréestmédecinpsychiatreàl’HôpitalSainteAnne,àParis.
BienvenueàunepremièresessiondethérapiedegroupedansleServicehospitalouniversitairedel’HôpitalSainte
Anne,àParis.Lespatientsaujourd’huiréunissouffrenttousdephobiesociale,cetteformedetimiditémaladiveet
grave,quilesconduitàfuirtouteoccasiond’échangeaveclesautres,etànejamaisprendrelerisquedesemettre
enavantoudeparlerdesoi.Avantquelespatientsnecommencentàseprésenter,lepsychiatreanimateur
demandeàsesstagiairespsychologuesdelefaireenpremier.Unedesstagiairesselève,etexpliquequielleestet
pourquoielleestlà.Lerougeluimonteauxjoues,devantlaquinzainedepersonnesquil’observentetl’écoutent,
maisellecontinue…Quelquesmoisplustard,unefoislathérapieterminée,lespatientsraconterontàquelpointils
ontétéréconfortésdedécouvrirquedesthérapeutesaussipouvaientrougiretêtreémus;sanspourautantse
dévaloriserous’interdiredeparlerensuite,puisquelajeunepsychologueaactivementparticipéauxéchangeset
exercicestoutlelongdelathérapie.
Enrévélantsonémotivité,maisenl’assumantensuite,lajeunefilleasoulagéetmotivélespatients:ildevenait
possiblepoureuxd’êtreémotifs,delelaisservoir,sansperdrepourautantledroitàlaparoleoul’estimedesautres.
Etilnes’agitpasd’uncasisolé:denombreusesrecherchesontétéconduitessurcethèmeméconnudela
révélationdesoi(unenotionnomméeselfdisclosureenanglais)danslecadredelapsychothérapie,quiillustrentles
évolutionsprofondesquecechampconnaît.
Pendantlongtemps,lemodèleimposéparlapsychanalyseaétédominant,tantchezlesprofessionnelsdela
psychothérapiequedansl’espritdugrandpublic:unthérapeuteétaitforcémentunêtresilencieuxeténigmatique,
quineparlaitjamaisdelui,maisposaitdesquestionsouobservaitlesilence.
EnBref
Lemodèledupsychothérapeutesilencieux,écoutantsonpatientsansriendire,s’effacedevantunerelation
d’échange.
Danscertainscas,lepsychothérapeutepeutchoisirdeparlerdesituationsanaloguesàcellesdupatient,etqu’ila
traverser.
Lepatientsesentparfoissoulagéenpensantqu’ilpeuts’ensortirpuisqu’unautrel’afait.Ilpeutaussis’inspirerde
sadémarchepourallermieux.
Parlerdonneconfiance
Toutefois,l’irruptiondenouvellesformesdesoinpsychologique,commelesthérapiescomportementaleset
cognitives,aprofondémentremiscemodèleenquestion:lapsychanalyseestadaptéeàcertainesformesde
souffranceetdedemandes,etinadaptéeàd’autres.Danslesthérapiescomportementalesetcognitives,l’attitude
duthérapeutediffèreprofondémentdecelledupsychanalyste:ilexplique,répondauxquestionsdupatient,
propose,encourage.Etparfoisdonnesonavisouparledelui.Lesthérapiesdites«humanistes»reposentsurle
mêmepostulat:larelationd’aideestunprocessusinterpersonnel,danslequellabonneallianceentrethérapeuteet
patientn’exclutpasuncertaindegrédecomplicitéetd’échanges.
L’étudeattentivedesprocessusémotionnelsetpersonnelsenjeudanscesprocessusd’alliancethérapeutiqueest
aujourd’huientréedansunephasescientifiquequidevraitnousaideràcomprendrequ’ilpeutexisterd’autres
modèlesderelationquele«transfert»psychanalytiquerappelonsquececonceptdésigneleprocessusparlequel
lepatientprojettesurlethérapeutesesémotionsousesattentesquirelèventenfaitdesonpasséetdeson
inconscient.
Quandlethérapeuteévoque«sesproblèmes»…
Larévélationdesoirenvoieauxmomentsnouschoisissonsdedévoilerànotreinterlocuteurdeséléments
importantsdenotrepersonnalitéoudenotrebiographiequeceluiciignorait.Elleestengénéralassociéeàdes
relationsconsidéréescommeimportantesetconfiantes(onutiliseletermeanglaissecure).Eneffet,larévélationde
soiestuneffort,maisaussiunrisque:l’interlocuteurnedoitpas«profiter»delarévélationpourmanipulerou
dominerensuitel’autre.Larévélationdesoipeutaussireprésenterunélémentdelapsychothérapie:lethérapeute
peut,parexemple,exprimercequ’ilressentàcertainsmomentsdelaséanceJ’ail’impressionqu’àproposdece
problème,ilyadeschosesquevousn’osezpasmedire:estcequejemetrompe?»);ouparlerderessentisqu’il
partageavecsonpatientCetteinquiétudemêléedetristessequevousressentezledimanchesoir,j’avouequeça
m’arriveaussidel’éprouver.»).IlpeutaussifranchementdévoilercertainesdesesépreuvespersonnellesLorsque
monfrèreestmort,jemesuisretrouvédansunétatprochedecequevousmedécrivez.»).
Toutefois,cetterévélationdesoineportedesfruitsquesouscertainesconditionsbienprécises,quiontétéétudiées
etnécessitentd’êtrerespectéesdelapartduthérapeute.Lapsychologuedel’UniversitéduMissouri,ZoéPeterson,
aainsiétabliquelarévélationdesoin’estqu’uningrédientminoritaireparmil’ensembledestechniquesutilisées;la
thérapien’estpaslelieulethérapeuteparledelui,c’estunespacedeparoledédiéaupatient.Àcetitre,la
révélationdesoijouelerôleduseldansunplat:ilenfautunsoupçon,maispasplus.Z.Petersonajoutequelebon
momentdoitêtrechoisid’aprèsl’étatdupatient,etnonceluiduthérapeute:cedernieryarecours,nonpasquand
ilressentlebesoindeparlerdelui,maisquandilperçoitquelepatientabesoind’entendreuneautreexpérience
humainequelasienne.Larévélationdesoiestdosée:ilnes’agitpasdetoutdire,maisdebienchoisircedontonva
parler.Enfin,cetacten’ad’utilitéetd’efficacitéquedanslecadred’unealliancethérapeutiquedéjàétablieetsaine.
Fautilavoirsouffertpourmieuxsoigner?
Ilsemblequelefaitd’avoirconnusoimêmedesdifficultéspsychiques,àconditiondelesavoirsurmontées,n’est
paspréjudiciableauxsoignantspourexercerleurmétier.Maisàl’inverse,lefaitd’avoirsouffertaidetilàmieux
prendreenchargelessouffrancesd’autrui?Autrementdit,lesthérapeutes«cabossésdelavie»,selonl’expression
del’écrivainAnnaGavalda,sontilsplusaptesàsoignerqueceuxépargnésparl’existence?Aussiétonnantquecela
puisseparaître,onn’ensaitrienaujourd’hui.Toutestsansdouteunequestiondetrajectoirepersonnelle:avoir
connudesdifficultés,puislesavoirsurmontées,facilitesansdoutel’empathieultérieureavecsespatients.
Auxyeuxdecertains,dontJeanDecetyàl’UniversitédeChicago,avoirfaitsoimêmel’expériencepersonnelledela
souffrancereprésentenonseulementunfacilitateurd’empathie,maisaussiunedesconditionsnécessairesàson
développement.Ilaétéétabliqueleszonescérébralesactivéeslorsdesituationsl’onvoitd’autrespersonnes
souffrirsonttrèsprochesdecellesquisontsollicitéeslorsqu’onsouffresoimême.Maisilexisted’autresvoiespour
l’empathie:leneurologueNicolasDanzigeraainsimontréquelespatientsprésentantuneformecongénitale
d’insensibilitéàladouleursontcapablesd’empathie,pard’autresmécanismes.Lasouffrancepersonnelle
représenteprobablementunfacilitateurd’empathie,maisnonuneconditionindispensable:inutiled’avoirétésoi
mêmeagressépourcomprendreetsoignercorrectementlesvictimesd’agression…Ilestégalementavéréquepour
préserversescapacitésd’empathie,ilnefautpastropsouffrir.Encasdestressprolongé,undessymptômesde
burnout(épuisementprofessionnel)chezlessoignantsestl’usurecompassionnelle,incapacitéàressentirde
l’empathieoudelacompassionpourautrui,aprèsavoirétéconfrontéàdesexcèsdesouffrance.
Unpsyplushumain
Pourlepatient,lesavantagessontmultiples:ilsesentmoinsseuldanssoncasJenesuispasuncasunique»),
moinsdévaloriséSimonthérapeute,quej’estime,aaussicesdifficultés,c’estquejenesuispassiinférieur»),
moinspessimisteMonthérapeuteapuvivreetdépassercedansquoijemedébats»).
Lespathologiespsychiatriquesexposentparticulièrementàcestroisécueils(sesentirseul,dévaloriséetdésespéré)
d’oùl’intérêtdurecoursponctueldelapartduthérapeuteàlarévélationdesoilorsqu’ilperçoitlepatientdansune
impasseliéeàcesconvictionsnégatives.
Enoutre,lesmodèlesthéoriquesduchangementpsychologiquemontrenttoutel’importancedel’apprentissagedit
«parimitationdemodèles»:commel’amontrélepsychologueaméricain,AlbertBandura,lesmécanismes
mimétiquesjouentunrôleessentieldansl’espècehumaine,notammentpourl’acquisitiondecompétences
complexesetdecomportements.Lacapacitéàs’inspirerdemodèlesestunesourceimportantedemotivationdans
cedomaine,àconditionquecesmodèlessoientassezproches,sinonilspeuventdevenirdissuasifs.C’estainsiqu’un
patientpeutpenser:«Monthérapeuten’apasconnumessouffrances,ilestaudessusdetoutça,ilnepeutpas
comprendremesdifficultés.»Enrevanche,unthérapeute«imparfait»etprochepeutêtreplusmotivantquecelui
quisembleinvulnérable.
Enmargedecesbénéfices,larévélationdesoicomporteaussidesrisques.Notamment,lethérapeutepeutsembler
insécurisantpourdespatientsayantbesoindequelqu’undetrèssolideetpleindecertitudes.Ilpeutaussisembler
peucompétent,etsonpatientpeutpenser:«S’iln’apasluimêmesurmontécesproblèmes,commentpourratil
m’aideràm’endébarrasser?»D’oùlanécessitédebienrespecterlesrèglesdelarévélationdesoiafinqu’ellesoit
leplusbénéfiquepossiblepourlepatient.
Quandlecourant«passe»entrelepsyetsonpatient
Dansuneétuderéaliséeauseindecabinetsdepsychothérapie,deschercheursontdemandéà20binômes
constituésd’unpsychothérapeuteetd’unpatientdeseprêteràuneévaluationdeleursétatsémotionnelsrespectifs
aucoursd’uneséance.Lespatientsprésentaientdestroublespsychiquesrelativementstables(sanshospitalisation
récente)etconnaissaientdéjàleurthérapeute(depuisaumoinsdixséances).Thérapeutesetpatientsacceptaient
d’êtreévaluésselontroisdimensions:lamesuredeleurconductanceélectriquecutanée(témoindeleurétatde
stress);l’évaluationpardesobservateursindépendants,aumoyendevidéos,duniveaud’allianceetdepartage
émotionnelquirégnaitentreeux;desquestionnairesremplisenfindeséance(lepatientévaluenotammentle
degréd’empathiequ’ilaperçuchezsonthérapeute).Lesrésultatsontainsirévéléuneconcordanceentrele
sentiment(mesuréparlequestionnaire)quelepatientavaiteud’êtrecomprisetécouté,etlaconcordance
émotionnelletraduiteparlaconductancecutanée(patientetthérapeuteétaientstressésoudétendusauxmêmes
moments).Enoutre,lesanalysesdesenregistrementsvidéoontconfirméquelesmomentscetteconcordance
avaitétélaplusnettecorrespondaientaussiauxéchangeslesobservateursavaientdétectél’empathielaplus
forte.
Lesthérapeutesauxcôtésdeleurspatients
Lesmaladiesmentalesfontsouventl’objetd’unestigmatisationsociale.Lesmaladessontsouventjugésfaibles,
inférieurs,imprévisibles,dépourvusdevolonté.Généralement,detelsjugementsneseraientpasémisàproposde
patientssouffrantdepathologiessomatiques.Ainsi,oncomprendparfaitementqu’unepersonneallergiquesouffre
d’undérèglementdesesréactionsdedéfensesimmunitaires,maisonadumalàimaginerqu’ilenestdemêmepour
unepersonnephobique,quisouffred’undérèglementdesesréactionsémotionnelles,reposantsurdes
phénomènesbiologiquesaujourd’huicompris(principalement,unehyperréactivitédesesamygdalescérébrales,
observableenneuroimagerie).
Dansunouvragerécentquej’aicoordonné,Secretsdepsys,20psychothérapeutesexpérimentésetreconnuspar
leurspairspourleurscompétencescliniquesouscientifiquesonttémoignésurlethèmedelarévélationdesoi.
Plusieursprofessionnelsontainsiraconténonseulementcommentilss’appliquentàeuxmêmesleurspropres
techniquespourallermieux,enquelquesortedefaçonpréventivedanslesdomainesdelagestiondustressetde
l’acceptationdesoi,maisaussicommentilsontsurmonté,grâceàcesmêmestechniques,desépisodespsychiques
problématiquestelsquedépression,phobieouattaquesdepanique.
Ladémarcheadoptéedanscelivremontrequ’ilseraitabusifdeplacerd’uncôtélespsychothérapeutes,sainset
solides,etdel’autrelespatients,maladesetfragiles.Iln’ya,desdeuxcôtés,quedeshumainsvulnérables,dont
certainsontapprisàéquilibrer,dépasser,compenserleurvulnérabilitéetd’autresquinel’ontpasencorefait.Ainsi,
celivrereprésenteunedémarchesocialementaltruiste,quirapprocheceuxquitémoignentdeleurspatients,non
pasdansl’optiqueclassique,«lespsyssontaussifousqueceuxqu’ilssoignent»,maisdansledésirdemontrerque
«lespatientsnesontpasplusfousqueleurspsys,niquequiconque;quecesontjustedespersonnesquin’ontpas
encoreapprisàfairefaceàleurssouffrances».
Onpeutnoterquecettemodificationdustylederelationenthérapie(lesoignantn’estplusobligéd’adopterune
positiondetoutepuissanceetdetouteconnaissancepoursoigner)correspondàdesévolutionssocialesglobales
allantdanslesensderelationspluségalitairesdansdenombreuxdomaines,qu’ils’agissedel’entreprise,de
l’enseignementoudel’éducation.Vivonsnousuneévolutionversdessociétéspluségalitairesetfraternellesque
hiérarchiséesetparentales,commesemblentleprédirecertainssociologues?L’avenirnousledira;enattendant,
certainsthérapeutesontdécidéd’anticipercesévolutionsdansleurfaçondetravailler,etlesrésultatssemblentleur
donnerraison.
Bibliographie
Ch.André(sousladirectionde),Secretsdepsys:cequ’ilfautsavoirpourallermieux,OdileJacob,2011.
A.BloomgardenetR.Mennutti,PsychotherapistRevealed.TherapistSpeakaboutSelfDisclosureinPsychotherapy,
NewYork,Routledge,2009.
CMarcietal.,Physiologiccorrelatesofperceivedtherapistempathyandsocialemotionalprocessduring
psychotherapy,inTheJournalofNervousandMentalDisease,vol.195,p.103,2007.
B.Farber,SelfDisclosureinPsychotherapy,NewYork,Guilford,2006.
Commentaires
Uneanecdote,àl’alluredeparabole,racontéeàunmomentcléduprocessusdupatient,peutêtretrèspuissante
commedéclencheurdechangement.Etce,d’autantplus,siuneimpressionde«proximité»vientrendrel’autre
plus«semblableàsoi»etpermettreainsiuneappropriationporteused’espoir.
Iln’enestpourpreuvequedelirecommentlepsychiatreMiltonEricksonagissaitavecsespatients.
Toutlemondenepeutfaireunepsychanalyseetcertainstypesdepsychothérapiessontplusindiquésqued'autresà
certainsmoments.Letoutpourchacunestdesavoircernerseslimitesetparfoismêmedelesénonceraupatient,
c'esttoujourspositifetrentredanslecadredecetterelationhumainedontl'onparleici.
Pourêtreclairavecl'autre,onsedoitd'abordd'êtreclairavecsoimêmeetavoirtoujoursenarrièreplanl'idéede
«qu'estcequipeutaiderceluiquimedemandedel'aideàclarifiersespropresémotions?».Apartirdelà,tout
peutêtreenvisagésicelasertl'avancéedupatient;maisattentionaurisquedebrouillerunpeupluslescartes,donc
deposerproblèmeensuite.
Lasupervision(indispensable,n’estcepas?)sertàéviterautantquepossibletoutcelapuisqu’elleest faite, entre
autre, pour gérer cette relation "contre-transférentielle".Dans le sens où elle permet de prendre conscience du danger
et de négocier le « virage », c'estunesortede«gardefou»…destinéàprotégerles«conducteurs»quesontlespsy.
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