LA JUSTICE COUTUMIERE DANS LES PAYS EN VOIE DE DEVELOPPEMENT Shura en Afghanistan – District de Rustaq ©Yann Colliou Yann Colliou [email protected] +41 78 611 23 30 1 Table des matières Introduction ................................................................................................................................. 3 Partie 1 – La coutume ................................................................................................................... 5 1.1 Définition et caractères généraux de la coutume ......................................................................... 5 1.2 La coutume en tant que source du droit ....................................................................................... 6 1.3 La rédaction des coutumes ........................................................................................................... 6 1.4 Les Constitutions coutumières et la coutume constitutionnelle .................................................. 7 1.4.1 Les Constitutions coutumières ............................................................................................... 7 1.4.2 La coutume constitutionnelle................................................................................................. 8 1.5 Le droit coutumier et la colonisation ............................................................................................ 8 1.6 Le droit coutumier en tant que système juridique ..................................................................... 10 Partie 2 : Les limites de la justice d’état....................................................................................... 12 2.1 Perception de la justice d’état par les populations locales ......................................................... 12 2.2 Le développement de modes de justice parallèle....................................................................... 13 2.3.1 La justice parallèle au Cameroun ......................................................................................... 13 2.3.2 La justice expéditive ou « mob justice ».............................................................................. 14 Partie 3 : Le recours à la justice coutumière................................................................................. 16 3.1 L’objet de la justice coutumière - L’importance du lien social .................................................... 16 3.2 L’évolution et l’organisation de la justice coutumière ................................................................ 17 3.2.1 Les Territoires palestiniens ................................................................................................... 17 3.2.2 L’Egypte ................................................................................................................................ 24 3.2.3 L’Afghanistan ........................................................................................................................ 28 3.3 Les avantages de la justice coutumière....................................................................................... 31 3.4 Les limites de la justice coutumière et les résistances ................................................................ 32 Partie 4 : Intégrer la justice coutumière dans les programmes de développement ........................ 34 4.1 Préalables / Constitutions ........................................................................................................... 35 4.2 La recherche ................................................................................................................................ 38 4.3 L’enregistrement de l’activité coutumière .................................................................................. 39 4.4 Codifications de la loi coutumière et l’introduction de garanties procédurales......................... 41 4.5 Rapprochement avec la justice d’état ......................................................................................... 42 4.6 Formation et la sensibilisation des acteurs de la justice coutumière ......................................... 43 4.7 L’élaboration de principes d’action ............................................................................................. 44 Conclusion ................................................................................................................................. 46 Bibliographie .............................................................................................................................. 47 2 Introduction La justice coutumière doit-elle être intégrée dans les programmes de développement visant à garantir les droits de l’homme et l’accès à la justice ? cette question est devenue cruciale si l’on considère qu’aujourd’hui, dans les pays en développement, plus de quatre-vingt pour cent des litiges sont résolus hors du cadre de la justice formelle. Dans beaucoup de pays l’accès à la justice est une question de vie ou de mort, l’expropriation illégale de terres retire à des dizaines de milliers de paysans leur outils de travail, les forçant à l’exode. Beaucoup de femmes se retrouvent privées de leurs biens par leurs belles familles à la mort de leur mari, les laissant dans le dénuement le plus total. Des groupes extrémistes prospèrent dans certaines régions car ils proposent des formes de règlement de conflit là ou l’état est l’absent, laissant une large place à l’arbitraire. Ces quelques exemples, et bien d’autres, démontrent la nécessité d’outils de gouvernance, de systèmes de justice efficaces. Malheureusement, ces besoins restent insatisfaits. La communauté internationale et les pouvoirs locaux se sont concentrés sur des programmes d’aide visant à soutenir les institutions officielles, telles que la magistrature, la police, l’administration pénitencière. La justice coutumière est souvent considérée comme incompatible avec les « valeurs » de l’état nation moderne. Mais malgré ces aides massives et cette focalisation sur le système étatique, ils n’a pas été possible de mettre en place des systèmes de justice accessibles à tous, ils sont souvent géographiquement inaccessibles, ils sont considérés comme étant corrompus, les décisions de justice mettent beaucoup de temps à être rendues, ils n’ont pas toujours la validation des autorités religieuses locales, ils ne sont pas culturellement adaptés. Par conséquent, les mécanismes locaux ou communautaires de gestion de conflit restent globalement, par défaut, très largement utilisés. Les institutions coutumières régissent la vie d’une grande partie de la population des pays en voie de développement. Mais nous constatons que la place faite à l’individu au sein de la justice coutumière n’est pas la priorité, le but étant la paix sociale au sein de la communauté. Cela pose donc des questions en termes de respect des droits fondamentaux de la personne. Dans ces systèmes opérant en marge du système étatique, quelles sont les garanties du respect des normes internationales en matière de droits de l’homme et de justice pénale ? Il y a depuis quelques années, dans le domaine du développement, un regain d’attention pour la justice coutumière, qui commence à être considérée comme étant le moyen permettant aux populations marginalisées et défavorisées comme les femmes et les enfants d’avoir accès à la justice ou du moins à des formes de règlement de conflit. Mais ce domaine reste encore peu et mal étudié, et bien que la justice informelle soit exclusive dans certaines régions, il n’existe pas à notre connaissance d’initiatives visant à quantifier ou à enregistrer l’activité de la justice coutumière, excepté une initiative pilote que nous allons présenter dans ce travail. A quelques exceptions, les études menées abordent le sujet de manière assez générale et présentent peu d’études de cas. Dans une première partie, nous tenterons de définir les caractères généraux de la coutume, nous nous intéresserons à la coutume en tant que source matérielle du droit, au droit coutumier en tant que système juridique et à sa cohabitation avec les autres systèmes. Nous mesurerons l’impact de la colonisation sur l’ordre juridique en place. 3 Nous nous concentrerons dans une deuxième partie sur les limites de la justice d’état, sur la perception qu’en ont les populations locales ainsi que sur les conséquences de l’évitement de ses institutions par les population et par conséquent sur le développement de modes de justice parallèles et de pratiques d’un autre temps. Dans ce contexte de rejet ou d’évitement de la justice d’état le recours croissant à la justice coutumière sous différentes formes reste l’alternative qui semble proposer le plus de garanties. Nous détaillerons dans une troisième partie les modes de fonctionnement de la justice coutumière dans trois contextes spécifiques, à savoir les Territoires Palestiniens, l’Egypte et l’Afghanistan. Ce travail nous permettra de mieux appréhender les avantages et les limites de ces systèmes de justice. Les constats que nous aurons fait nous permettront de suggérer des modes d’action à l’attention des organisations de développement souhaitant intégrer la justice coutumière dans les programmes d’accès à la justice et de présenter les préalables à respecter avant d’intervenir dans ce domaine. Nous détaillerons les activités liées à la recherche dans le domaine, à l’enregistrement et à la codification des décisions, au rapprochement entre les deux ordres juridictionnels, à la formation des acteurs et enfin à l’élaboration de principes d’action. Il y a un champ de tension évident entre ce que certains qualifient de volonté hégémonique et centralisatrice du droit et la justice coutumière. Dans ce contexte, nous tenterons d’évaluer les possibilité de rapprochement et de collaboration entre les institutions judiciaires de l’état et les instances coutumières de justice. Nous proposerons des activités visant à « décloisonner » la justice coutumière et à faciliter le travail des acteurs du développement, dans un objectif d’un meilleur accès à la justice pour les populations défavorisées. Tout ceci en évitant de minimiser le rôle de la justice étatique et en proposant des principes d’action et un guide de bonnes pratiques à l’attention des organisations de développement souhaitant mettre en œuvre des programmes dans ce domaine. 4 Partie 1 – La coutume 1.1 Définition et caractères généraux de la coutume La coutume est un « usage juridique oral, consacré par le temps et accepté par la population d'un territoire déterminé »1. La coutume est une règle de droit née d’un usage prolongé et peu à peu considéré comme obligatoire.2 Ces deux définitions nous semble particulièrement pertinentes car elle démontrent les principaux éléments qui définissent l’existence d’une coutume à savoir son acceptation par une majorité d’une population donnée, un usage prolongé et son caractère obligatoire. A cela il faudrait rajouter que pour devenir coutume, un usage doit être général, c’est-àdire largement répandu, il doit être constant, c’est à dire régulièrement suivi. La notion de coutume est ancienne, elle précède certainement celle de la loi dans l’histoire du droit, mais contrairement à la loi, elle est plus délicate à caractériser, elle est considérée comme « fuyante »3. La coutume se définit en premier lieu par son caractère répétitif. Selon Virginie Saint James4, il est très difficile d’étudier le processus coutumier, classiquement il est admis qu’il faut une longue période de temps pour former la coutume, cependant il est difficile, voire impossible de définir l’origine temporelle de la plupart de nos coutumes. L’ancien droit français avait parfois, pour sa part, fourni un repère dans la durée avec l’exigence d’une pratique répétée pendant un minimum de quarante années. Dans son rapport introductif sur la place de la coutume dans l’ordre juridique haïtien, Gilles Paisant présente deux éléments constitutifs de la coutume, l’un matériel, l’autre psychologique. D’un point de vue matériel, pour devenir coutume, la pratique considérée doit bénéficier d’une certaine étendue dans l’espace. A cet égard, la portée des coutumes est très variable. Alors que certaines présentent un caractère général comme par exemple la faculté reconnue aux mineurs d’effectuer de menus achats courants malgré leur incapacité juridique, d’autres ne se constatent que dans des zones géographiques restreintes, spécialement en matière rurale. Il est évidemment impossible de préciser la portée géographique minima en deçà de laquelle une pratique ne pourra plus être reconnue en tant que coutume. Paisant précise que si les coutumes n’étaient appréciées qu’à l’aune de leurs éléments matériels, elles ne resteraient que des pratiques en principe impuissantes à constituer de véritables règles de droit. La différence entre une pratique et une coutume tient à l’existence pour cette dernière d’un élément psychologique complémentaire, qui est la conviction bien établie, parmi les membres d’un groupe social, que telle ou telle pratique ou tel ou tel comportement sont obligatoires et doivent être respectés. La coutume est d’acceptation variable selon les continents et les systèmes juridiques considérés5. Dans les pays de droit romano-germanique, la coutume ne peut théoriquement jouer un rôle que si la loi y fait référence, les arguments fondés uniquement sur la coutume sont irrecevables devant les tribunaux, ce qui est a contrario possible dans les système juridiques de common law. 1 Le Grand Robert, Dictionnaires le Robert, 1994. Coutume, p.5201. Patrick Courbe - Jean-Sylvestre Bergé, Introduction générale au droit, Dalloz, 2013, p66. 3 Gilles Paisant « B. Oppetit, Sur la coutume en droit privé, Droits, n°3, 1986, p.46. 4 Maître de conférences de droit public à l'Université de Limoges. 5 Gilles Paisant « F. Terré, Introduction générale au droit, 5è éd. Dalloz, 2000, n°202 ». 2 5 Selon Gilles Paisant, les coutumes sont encore vivantes en droit civil, en droit rural et en droit commercial, dans les relations d’affaires. A des degrés divers, selon les systèmes juridiques, on peut aussi les rencontrer en droit pénal, en droit constitutionnel, en droit administratif. La coutume occupe une place importante dans le droit international, elle est considérée comme une source fondamentale de ce droit. L’article 18 du statut de la Cour Internationale de Justice précise que la Cour peut appliquer, dans le règlement des différends, « la coutume internationale comme preuve d’une pratique générale acceptée comme étant le droit ». 1.2 La coutume en tant que source du droit La première source de droit non législatif est la coutume. Ce « statut » de source du droit lui est incontesté. La plupart des juristes se sont accordés sur le fait qu’il existe 4 sources du droit, la loi et la coutume étant considérées comme des sources formelles, la jurisprudence et la doctrine étant considérées comme des sources matérielles. Apparaissent, à un deuxième niveau des sources comme la tradition, les principes, la pratique et les conventions collectives. Philippe Jestaz, dans son ouvrage intitulé Les sources du droit, s’interroge sur le fait que finalement ce que l’on appelle les sources du droit ne sont finalement qu’une émanation du droit, voire le droit lui-même. Pour résumer le droit français, on a coutume de dire qu’il s’agit d’un ensemble de lois, complétées par la jurisprudence, le tout théorisé par des docteurs. On voit bien là que la loi, la jurisprudence et la doctrine sont le droit lui-même. Seule la coutume échappe à cette « critique » est n’est pas considérée comme un élément intrinsèque du droit mais bien comme une source à part entière, extérieure au droit lui-même. Dans le même ouvrage, Philippe Jestaz propose une présentation un peu moins « classique » des sources du droit, il part toujours du socle incontestable que constituent les quatre « grands » de la matière, à savoir la loi, la coutume la jurisprudence et la doctrine, mais il y rajoute deux autres sources qui sont pour lui essentielles, à savoir la révélation et les actes juridiques des particuliers. Il propose donc 3 catégories de sources, la première étant les sources venues du sommet (la loi, la jurisprudence et la révélation), le deuxième étant les sources venues de la base (la coutume et les actes juridiques des particuliers), la troisième étant considérée comme une source inclassable (la doctrine). Quels que soient les systèmes de classement, la coutume reste incontestablement l’une des principales sources du droit. 1.3 La rédaction des coutumes La rédaction des coutumes est une étape fondamentale dans la constitution du droit français ainsi que dans le fonctionnement des institutions judiciaires. La rédaction et la réformation des coutumes entre la fin du XVe siècle et la fin du XVIe siècle ont permis de fixer le droit coutumier et d’en faire un équivalent de la loi. 6 C’est Charles VII6 qui a initié ce processus en 1454. Dans sa lettre pour la réformation de la justice, il demande au paragraphe 125, la mise par écrit des coutumes, qui est un processus qui mobilisera dans chaque province coutumière et dans chaque siège de baillage7 les représentants des 3 ordres, les commissaires délégués par le roi ainsi que des praticiens du droit8.Le processus sera long, il débute en 1506 et se termine en 1540 par la rédaction des coutumes en Bretagne. Au milieu du XVIe siècle, les réformations des coutumes débutent, elles consistent en une unification progressive d’un droit civil commun sur le modèle de la coutume parisienne. La coutume de Paris désigne le droit civil qui s'exerçait dans la prévôté et vicomté de Paris mais l'esprit qui l'animait se retrouvait dans la plupart des coutumes du Bassin Parisien. Réformée en 1579-1580, elle comprenait 362 articles qui se répartissaient en seize titres traitant, en particulier, des fiefs, des censives et des droits seigneuriaux ainsi que de la communauté de biens entre époux, des donations, des testaments, et enfin des successions9. "Les royaumes sans bon ordre de justice ne peuvent avoir durée ni fermeté aucune", c’est dans le contexte de la fin de la guerre de Cent Ans que Charles VII va édicter le 15 avril 1454 la Grande Ordonnance de Montils-les-Tours qui réorganise l'administration de la justice, qui favorise la rapidité des procès et qui abaisse leurs coûts. L’objectif final sera un livre remis au roi, au grand conseil et à la cour du parlement, « il sera décrété au roi et dès lors fera preuve ». Il s’agit là d’un véritable nouveau statut pour la coutume, non seulement elle est rédigée mais elle sera « gardée comme loy perpétuelle ». Il est désormais défendu à tous les avocats de proposer et à tous les juges d'admettre d'autres coutumes que celles qui auraient été rédigées officiellement de l'avis des états sous l'autorité du roi10. Selon Philippe Jestaz, la coutume perd son caractère de coutume dès lors qu’elle a été formulée en loi par un législateur, en jurisprudence par un juge ou en doctrine par un docteur. 1.4 Les Constitutions coutumières et la coutume constitutionnelle 1.4.1 Les Constitutions coutumières La Constitution coutumière est l'ensemble des règles relatives à l'organisation du pouvoir, qui ne se trouvent pas sous forme écrite. Ces règles sont appelées « Conventions de constitution ». Les conventions sont un ensemble de pratiques qui règlent le comportement et les devoirs des pouvoirs publics. Ces pratiques ne sont pas définies par un texte mais résultent de précédents, d’usages, d’accords informels considérés comme obligatoires, bien qu’il n’existe pas de sanction juridique, notamment juridictionnelle, à la violation des règles coutumières jusque-là acceptées11. Jusqu’au XVIIIe siècle, toutes les Constitutions sont issues de la coutume. Dans la France de l’Ancien Régime, ce sont les lois fondamentales du Royaume qui formaient la Constitution coutumière. La succession du pouvoir (loi salique) est l’exemple d’une règle non écrite, coutumière. A l’époque, une Constitution coutumière n’avait pas pour objet de limiter le pouvoir royal, elle devait uniquement l’organiser. 6 Wikipédia - Charles VII de France, dit « Charles le Victorieux » ou encore « Charles le Bien Servi », 1403 - 1461, fut roi de France de 1422 à 1461. Il est le cinquième roi de la branche dite de Valois de la dynastie capétienne. 7 Larousse - Au Moyen Âge et sous l'Ancien Régime, circonscription administrative et judiciaire de la France, placée sous l'autorité du bailli. Wikipédia - Le terme de bailliage était plus fréquent dans le nord de la France. Le mot sénéchaussée était utilisé dans le sud (en particulier dans le Languedoc) et en Bretagne. 8 Martine Grinberg, La rédaction des coutumes et des droits seigneuriaux, Annales. Histoire, Sciences Sociales, 1997. 9 Encyclopédie du patrimoine culturel de l'Amérique française 10 Henri Klimrath, Etudes sur les coutumes, 1837. 11 Yves Meny, les Conventions de la Constitutions,1989. 7 Ces formes de Constitution ont progressivement disparu au cours des XVIIIe et XIXe siècles avec les rénovations politiques qui ont favorisé le développement des Constitutions écrites. Selon Yves Meny, il y a incompatibilité entre Constitution et coutume, la coutume ne possédant pas la force supérieure qui caractérise le droit constitutionnel. Rares ont été les constitutionnalistes qui ont accepté l'idée que les conventions pouvaient être plus que de simples usages, plus que des déviances par rapport à la norme fondamentale. Certains pays comme le Royaume Uni, la Nouvelle Zélande, Israël, Oman ont toujours une Constitution coutumière, mais cela ne signifie pas que ces pays sont dénués de textes fondamentaux : à titre d’exemple, le Royaume Uni s’est doté en 1215 de la Magna Carta (la Grande Charte), en 1689 du Bill of Rights qui fonde la monarchie constitutionnelle anglaise, en 1701 de l’Acte d’établissement qui organise la succession du trône, en 1991 de l’Acte du parlement (Parliament Act) qui est un acte écrit relatif au pouvoir des deux chambres. L’obligation faite au souverain de dissoudre la chambre des communes lorsque le premier ministre le lui demande ou encore la démission de l’ensemble du cabinet lorsque sa politique est remise en question par le parlement sont des règles coutumières au Royaume Uni. Il n’existe pas de contrôle de constitutionnalité qui est un contrôle juridictionnel assuré par les juges sur les décisions du gouvernement, le parlement a le pouvoir de modifier par une loi les institutions du royaume. La Constitution coutumière se caractérise par le fait qu’elle n’est pas mûrement réfléchie, elle ne procède ni d’un choix ni d’une construction rationnelle. Elle est imprécise, elle manque de détails, elle ne prévoit pas tous les cas possibles et les situations qui ne se sont jamais produites. Elle n’est pas démocratique dans son élaboration, le peuple n’y est pas associé. 1.4.2 La coutume constitutionnelle La coutume constitutionnelle est une notion différente à celle de Constitution coutumière. Dans les pays qui ont une constitution écrite, la coutume ne peut pas modifier ou abroger une disposition écrite existante mais elle peut compléter la Constitution si celle-ci ne prévoit pas certaines situations ou s’il y a des vides juridiques. Elle peut servir à interpréter une disposition ambiguë. La coutume constitutionnelle consiste à ne rien écrire mais plutôt à appliquer des pratiques qui vont se répéter et qui petit à petit serviront de règles. Quatre éléments sont indispensables pour parler de coutume constitutionnelle : la répétition d’actes identiques pendant une longue période, la constance, il ne faut pas qu’il y ait d’actes contraires, les actes doivent être clairs. L’élément le plus important est qu’il y ait consensus, l’acte doit être accepté de manière unanime. 1.5 Le droit coutumier et la colonisation Nous nous intéressons principalement dans ce paragraphe au phénomène de colonisation et à son rapport avec le droit coutumier sur le continent africain. Les puissances coloniales ont bouleversé les structures politiques traditionnelles, dans la plupart des cas elles ont été purement et simplement supprimées. Le pouvoir judiciaire était exercé par le colonisateur, mais il s’est heurté à de nombreuses difficultés au niveau de la coexistence du droit local et du droit « importé ». Il devait, notamment en matière civile, prendre en compte le droit local et faire en sorte que les juridictions qu’il mettait en place intègrent et connaissent ce droit. 8 Comme le mentionne Stanislas Melone12, le système du Code civil et celui des coutumes s'opposent fondamentalement. Les différences tiennent à la conception de la famille, au rôle du mari face à son épouse, aux devoirs du père envers ses enfants, aux droits et devoirs de ceux-ci, à la position de l'individu dans l’ordre social et aussi à la conception des rapports qui s'établissent entre l'individu et son bien, notamment la terre. Et c'est justement dans le domaine du droit de la famille et du régime foncier que les institutions traditionnelles ont opposé la plus forte résistance à l'invasion du droit français, empêchant ainsi l'avènement d'un droit uniforme. Dans une étude ayant pour objet les juridictions spéciales pour indigènes de statut coutumier13, Jacques Vanderlinden souligne que c’est en vue de remédier aux difficultés que présentait l’administration de la justice vis-à-vis de ses nouveaux sujets, que les différentes nations colonisatrices ont créé des juridictions qui ont été qualifiées généralement d’indigènes. Ces juridictions spéciales existent à côté d’une organisation judiciaire dite principale ou européenne dont la tâche est d’administrer le droit aux ressortissants de la nation colonisatrice ou à ceux qui leur sont assimilés. Mais cette « terrible folie assimilatrice», comme l’appelait Eduardo da Costa14, avait abouti à la mise en vigueur dans les colonies de l’ensemble de la législation métropolitaine. Il faut cependant pondérer ce constat et ne pas forcément l’appliquer à l’ensemble des puissance coloniales, bien qu’ayant toutes une volonté hégémonique et dominatrice incontestable. Il faut donc distinguer les méthodes de colonisation portugaises, françaises et britanniques. Les portugais, dans le domaine de la justice ont des méthodes d’assimilation, à savoir que le droit du colonisateur doit s’appliquer à l’ensemble de la population, il n’est tenu aucun compte des systèmes traditionnels pré existants. La France quant à elle a vite constaté, que la disparition des juridictions locales posait un véritable problème, c’est dans ce contexte que dès 1900 le ministre des colonies15 invitait les magistrats coloniaux à préparer la création d’une nouvelle justice indigène par une étude constante des mœurs et des coutumes de la population16. Suite à cela, les chefs locaux se sont vu restituer une partie des pouvoirs qui leurs avaient été retirés, des tribunaux de conciliation sont créés et ils sont nommés juges de conciliation, ces postes sont en principe occupés par le chef local, il est désigné lorsque les parties appartiennent au même village. Leur intervention devient obligatoire avant qu’une affaire civile ou commerciale soit amenée au premier degré17. La position de la France, estime Stanislas Melone, est originale en matière de politique coloniale car en rendant la conciliation obligatoire, l’autorité des chefs traditionnels a été consolidée, ils ont retrouvé, dans le préliminaire obligatoire de la conciliation, les bases de leur ancien pouvoir. La politique coloniale britannique est considéré comme étant beaucoup plus respectueuse des systèmes en place, elle était soucieuse de maintenir l’organisation politique et judiciaire en place en y apportant un minimum de modifications. 12 Les juridictions mixtes de droit écrit et de droit coutumier dans les pays en voie de développement, 1986. La première définition de ce qu’il fallait entendre par indigène de statut coutumier fut énoncée dans le décret du 20 septembre 1894, réglant, en matière de peines spéciales pour indigènes, l’application du décret du 20 février de la même année : « tout individu né outre-mer de père et de mère naturels de l ’Angola, qui ne se distingue pas par son instruction et ses coutumes du commun de sa race ». 14 Estudo sobre a administração civil das nossas possessões africanas (Etude sur l’administration civile de nos possessions africaines), 1903 15 Albert Decrais est ministre des Colonies dans le gouvernement Waldeck-Rousseau du 2 juin 1899 au 3 juin 1902. 16 Stanislas Melone. 17 Le premier degré de juridiction en matière civile est assuré de manière coordonnée par les tribunaux de grande instance et les tribunaux d’instance. Ministère français de la justice. Études et Statistiques Justice n° 21. 13 9 A côté des systèmes judiciaires en place, se développent des formes de juridiction complémentaires, à savoir des cours présidées par un fonctionnaire de l’administration coloniale, qui seront dans certains cas remises à des acteurs nationaux et dans d’autres cas progressivement supprimées. Selon Stanislas Melone, l’idée d’une participation de plus en plus effective des indigènes à la gestion de leur communauté et à l’administration de la justice était donc dans l’air. Les principes de l’ « indirect rule18 » étaient d’ailleurs appliqués depuis des années déjà dans l’Afrique occidentale britannique. « Le droit coutumier quant à lui n’est pas relégué à l’arrière-plan et menacé d’extinction comme dans d’autres pays. Au contraire, nourri des apports du common law et du droit statutaire britannique, il croit et se développe en tendant vers une synthèse harmonieuse des deux systèmes »19. Selon Anne-Claude Cavin20, à l’indépendance, certains états se contentèrent de quelques retouches de détail, et optèrent pour la voix de la continuité en laissant subsister la dualité des juridictions. D’autres préférèrent intégrer les juridictions traditionnelles dans l’ordre juridictionnel de droit commun, mais aucun état ne tenta cependant de réaménager l’ancienne justice traditionnelle, et la plupart des législateurs se bornèrent à nationaliser les systèmes juridictionnels hérités de la colonisation. Dans certains pays, notamment au Mali, au Cameroun et en Mauritanie, les tribunaux coutumiers de première instance ont été unifiés et rattachés au tribunal de droit commun moderne. D’autres états comme le Sénégal, la Côte d’ivoire, le Togo ou le Gabon, ont créé en dessous du tribunal de droit commun des justices de paix auxquelles ils ont rattaché les juridictions coutumières de première instance. Cette forme leur a permis d’abaisser la justice traditionnelle d’un degré par rapport à la justice moderne, les tribunaux de première instance deviennent généralement leur cour d’appel. 1.6 Le droit coutumier en tant que système juridique Juriglobe qui est un groupe de recherche sur les systèmes juridiques dans le monde a réalisé un travail intéressant et unique à notre connaissance en répertoriant cinq systèmes juridiques à savoir les systèmes de droit civil, de common law, de droit musulman, de droit coutumier et les systèmes mixtes. Le droit coutumier (en tant que système, et pas seulement en tant que complément accessoire du droit positif) joue encore un rôle, parfois d'une grande importance, notamment en matière de statut personnel, dans un nombre relativement élevé d'entités politiques de droit mixte. Il n'existe quasiment plus aujourd'hui d'entités politiques dont le système soit entièrement coutumier. Juriglobe a répertorié une série de pays qui continuent à avoir recours au droit coutumier en tant qu’élément d’un système mixte : Andorre, Jersey (R-U), Guernesey (R-U) sont les trois seuls mono systèmes de droit coutumier. 18 Principe selon lequel l’administration quotidienne d’un territoire était assurée par des règles locales traditionnelles. Stanislas Melone, Les juridictions mixtes de droit écrit et de droit coutumier dans les pays en voie de développement, 1986. 20 Droit de la Famille Burkinabé: Le code et ses pratiques à Ouagadougou. 19 10 Le Burkina Faso, le Burundi, la Chine, le Congo, la Corée du Nord, la Corée du Sud, la Côte d’Ivoire, l’Ethiopie, le Gabon, la Guinée, la Guinée Bissau, la Guinée Equatoriale, le Japon, Madagascar, le Mali, la Mongolie, le Mozambique, le Niger, la république Démocratique du Congo, le Rwanda, Sao tomé et Principe, le Sénégal, le Swaziland, Taïwan, le Tchad et le Togo sont des systèmes de droit coutumier et de droit civil. Le Bouthan, le Ghana, Hong kong (CN), le Libéria, le Malawi, Myanmar, le Népal, l’Ouganda, la Papouasie Nouvelle Guinée, les Ìles Salomon, Samoa, la Sierra Leone, la Tanzanie et la Zambie sont des systèmes mixtes de droit coutumier et de common law. Les Emirats Arabes Unis sont un système mixte de droit coutumier et de droit musulman. Djibouti, l’Erythrée, l’Indonésie, la Jordanie, le Koweït, Oman et le timor Oriental sont des systèmes de droit coutumier, de droit civil et de droit musulman. Le Cameroun, le Lesotho, le Sri Lanka, vanuatu, le Zimbabwe sont des systèmes de droit coutumier, de droit civil et de common law. Brunei, la Gambie, l’Inde, le Kenya, la Malaisie, le Nigéria sont des systèmes de droit coutumier, de common law et de droit musulman. Bahreïn, le Qatar, la Somalie, le Yémen sont des systèmes mixtes de droit coutumier, de droit civil, de droit musulman et de common law. Sur 192 états membres de l’ONU, 25 états soit 13,02% ont un système mixte (droit civil – droit coutumier), 14 états soit 7.29 % ont un système mixte de common law et de droit coutumier, 6 états soit 3.13% ont un système mixte de common law, de droit coutumier et de droit musulman, 7 états soit 3.65% ont un système mixte de droit civil, de droit musulman et de droit coutumier, 5 états soit 2.6 % ont un système mixte de droit civil, de common law et de droit coutumier, 4 états soit 2.08 % sont des systèmes de droit musulman, de common law, de droit civil et de droit coutumier., 1 état soit 0.52% a un système mixte de droit musulman et de droit coutumier. 11 Partie 2 : Les limites de la justice d’état De manière générale, les populations des pays en voie de développement ont une image plutôt négative des systèmes de justice étatique. Le plurilinguisme, la différence des normes et des valeurs, les temps de procédure ainsi que la corruption sont des éléments qui contribuent à l’évitement voir au rejet de la justice formelle. Dans ce contexte, nous assistons dans certaines régions du monde à l’émergence de systèmes de justice parallèles, au développement d’une justice néo traditionnelle et à des systèmes de justice expéditive. 2.1 Perception de la justice d’état par les populations locales Les populations sont méfiantes vis-à-vis de la loi, elles la craignent, elles sont intimidées et ne la comprennent pas. Dans les pays d’Afrique francophone, la langue officielle de la justice, à savoir le français, est un point de blocage pour la majorité de la population, la pluralité des langues entrave la « communication judiciaire », il est selon Halaoui Nazam, très important de souligner le paradoxe de l’utilisation de la langue de la minorité de la population pour juger la majorité de celle-ci . Le français est considéré comme étant la langue des nantis, de ceux qui détiennent le pouvoir. « Le plurilinguisme qui caractérise ces pays révèle des situations nationales dans lesquelles les langues se comptent le plus souvent par dizaines, voire par centaines. Pour des raisons indépendantes de la volonté des citoyens, la langue utilisée dans le domaine de la justice est une langue officielle, mais étrangère. Compte tenu de la maîtrise inégale qu’en ont les justiciables, une telle pratique institue une situation de malentendu dans la communication judiciaire au niveau de la compréhension des messages. Cette situation est préjudiciable à leurs droits fondamentaux et à l’image de la justice, et pourrait aussi l’être à l’affirmation de la démocratie et à la poursuite du développement »21. Dans bien des cas, les systèmes de justice étatique ne reflètent pas les systèmes de normes et de valeurs des communautés, ils sont souvent perçus comme étant des mécanismes de contrôle et de coercition utilisés par des régimes répressifs22. En Indonésie, selon une étude menée en 2006 par le Programme des Nations Unies pour le Développement, 28% des personnes interrogées estiment que le système de justice formelle traite de manière juste les personnes confrontées à la justice, 50% des personnes interrogées estiment que la justice formelle avantage les riches et les privilégiés. Selon une étude menée au Timor Est en 2004 par “the Asia Foundation”, 77% de la population estiment que le système « adat »23 reflète leurs valeurs, 80% de la population reconnaît les leaders communautaires et non pas la police comme étant les garants du maintien de l’ordre, 90% de la population préfèrent se référer à la justice traditionnelle pour résoudre les problèmes. 21 Halaoui Nazam, « La langue de la Justice et les Constitutions africaines », Droit et société, 2002/2 n°51-52, p. 345-367. Ewa Wojkowska, Doing Justice:, How informal justice systems can contribute, December 2006. 23 Adat est un mot malais d’origine arabe (‘adat) que l'on traduit en français par "droit coutumier". 22 12 Dans les Territoires palestiniens, La justice formelle est sollicitée en tout dernier recours, car la durée de la procédure est trop longue, les procédures sont complexes, la justice d’état ne se réfère pas aux traditions et aux coutumes. De plus le coût des démarches est élevé : à titre d’exemple, il est obligatoire de verser à l’Autorité Palestinienne 1% de la valeur totale du terrain pour obtenir un titre de propriété, les tarifs des avocats varient entre 1'200 euros et 12'000 euros en fonction des cas. A contrario, l’accessibilité de la justice coutumière est le premier élément qui est mis en avant, les problèmes fonciers sont réglés quasi gratuitement, cependant les documents émis ne sont pas reconnus par l’état. Dans la Bande de Gaza, 15.4% des affaires foncières ne sont pas résolus au bout de quatre mois contre 30.8% dans la justice formelle. 76.9% des affaires sont résolus en moins de 2 mois alors que 69.2% le sont en 3 mois au niveau de la justice formelle. L’un des plus sérieux problèmes auquel doit faire face la justice afghane est la corruption des institutions. Une étude menée par UNODC (United Nations Office for Drugs and Crimes) menée en 2010 révèle que les Afghans ont payé en 2009 approximativement 2.5 milliards de dollars de pots-devin et de bakchichs, ce qui représente 23% du Produit Intérieur Brut. L’étude mentionne que les fonctionnaires de la justice sont parmi les plus corrompus24. En Afghanistan, les droits des femmes ne sont pas respectés, la justice d’état dans ce domaine n’apporte pas plus de garantie que la justice coutumière25. Les femmes sont de plus très peu représentées au niveau de l’appareil judiciaire, elles ne représentent que 3% des juges et 1% des effectifs de police. 2.2 Le développement de modes de justice parallèle Compte tenu de l’échec de l’Etat en matière de justice dans bon nombre de contextes, des justices parallèles se sont développées en dehors de l’état. Nous différencions cette justice parallèle de la justice coutumière. Le recours à une justice coutumière n’a pas véritablement connu de rupture, malgré l’instauration à l’époque coloniale d’une justice « occidentale », elle a certes perdu de son influence, elle est moins pratiquée en milieu urbain, mais elle reste prédominante dans les pays en voie de développement. Ce que nous appelons ici justice parallèle est un mode de gestion de litiges ou de conflit qui se développe en opposition aux dysfonctionnements de la justice formelle. Nous évoquerons dans cette partie le développement de la justice parallèle au Cameroun qui prend la forme d’une justice néo traditionnelle en matière civile ou d’une justice populaire de la rue et de comités de vigilance en matière pénale. Nous aborderons également, dans le cas du Kenya, les mécanismes de justice expéditive. 2.3.1 La justice parallèle au Cameroun Le Cameroun est confronté à une crise de la justice, les modes de fonctionnement du système de justice étatique ne conviennent pas au système de valeurs de la société camerounaise, la justice et les lois qui en découlent sont des émanations du droit occidental, importé et imposé par la puissance colonisatrice. Une minorité de nantis, formée à l’école occidentale, a le monopole du droit, une grande partie de la population entassée dans les quartiers périphérique des villes ou encore le monde rurale n’adhèrent pas à cette justice. 24 25 Ewa Wojkowska, Doing Justice:, How informal justice systems can contribute, December 2006. Ali Wardak. 13 Selon Nkou Mvondo Prosper26, l’État camerounais a aussi prévu des juridictions de droit traditionnel dans son ordre juridictionnel, afin de donner satisfaction à ceux qui ne se reconnaîtraient pas dans le système juridictionnel moderne. Avec les juridictions traditionnelles, les justiciables auraient pu s’attendre à des procédures de type coutumier- traditionnel, mais ce n’est pas le cas, nous voyons plutôt appliquer dans ces juridictions des principes de droit moderne et, dans la pratique, on relève très peu de différences entre les décisions des juridictions traditionnelles et celles émanant des juridictions modernes étatiques. Cette situation est particulièrement intéressante dans la mesure ou le système étatique et le système traditionnel sont également rejetés par la population. Les juridictions traditionnelles auxquelles fait référence Nkou Mvondo Prosper sont régies par le décret du 19 décembre 1969 et l’ordonnance du 26 août 1972 sur l’organisation judiciaire. Le Cameroun serait le seul état d’Afrique francophone à avoir maintenu les juridictions traditionnelles. L’échec de ces deux systèmes a pour conséquence le développement de justices civiles et pénales parallèles. En matière civile, Nkou Mvondo évoque la justice néo traditionnelle qui est composée d’instances de règlement de litiges présidées soit par le chef du village soit par un notable qui peut être l’instituteur, le marabout ou toute autre personne ayant la confiance de la communauté. Par définition, la justice néo traditionnelle se base sur les mécanismes anciens de la justice traditionnelle tout en considérant l’évolution de la société, cette justice par exemple enregistre de manière formelle, par écrit le contenu des débats et les décisions prises, ce travail est fait un greffier. Le plaignant, le défendeur ainsi que les témoins ont le droit de s’exprimer. Ce mode de justice ne s’adresse par contre qu’aux membres d’une même tribu. Lorsqu’un litige apparaît entre deux personnes d’une ethnie différente, la justice formelle est saisie. En matière pénale, Nkou Mvondo fait référence à la population qui n’ayant plus confiance dans les instances étatiques se fait justice elle-même, ce phénomène prend la forme d’une justice populaire de la rue ou de comités de vigilance. La finalité de la justice populaire de la rue est d’éradiquer toute forme de banditisme et dans ce domaine, la fin justifie les moyens, différentes sortes de techniques inhumaines telles que l’épreuve du grain du maïs, le supplice du collier ou la purge de bouteille sont pratiquées, l’issue est en générale fatale à celui ou à ceux qui ont été « jugés » coupables par un inconnu désigné arbitrairement par la foule souvent sur le seul critère de son apparence respectable. La police et la gendarmerie sont incapables de raisonner la foule et doivent se résigner à constater ces pratiques d’un autre temps. Depuis quelques années, cette justice de la rue s’est structurée en comités de vigilance composés d’une assemblée générale, d’un bureau exécutif et de vigiles, ils disposent d’un budget composé des cotisations des membres, leur objectif est de dissuader les comportements et les actes de délinquance, les peines infligées peuvent aller de l’exclusion du quartier à des punitions corporelles ou encore à des travaux forcés. 2.3.2 La justice expéditive ou « mob justice » Le phénomène de la « mob27 justice » est apparu en Afrique de l’Est, notamment au Kenya, en Ouganda ou encore en Afrique du Sud où le général Riah Phiyega a condamné le 24 août 2014 le recours croissant à la « mob justice »28 et invité la population à ne pas se faire justice et à collaborer davantage avec les services de police au travers des associations et des leaders communautaires. Le même jour, le Sunday News au Zimbabwe mentionne une vidéo placée sur les réseaux sociaux montrant un groupe de villageois tabassant extrêmement violement un voleur. 26 La Justice parallèle au Cameroun. Un groupe important ou une foule de personnes en colère, violent, difficile à contrôler. 28 South African Government News Agency. 27 14 Le14 août 2014, IBN Live en Inde titre “Mob justice: Two lynched by villagers near Ghatshila”, au Pakistan, DAWN.com mentionne le 18 juin 2014 que dans les villes ou se répend la violence, il est fréquent de voir la population agir à la place de la police et de la justice. Ces quelques exemples démontrent l’ampleur du phénomène. Deyssi Rodriguez-Torres29 a mené une recherche de terrain dans le plus grand bidonville d’Afrique de l’Est appelé Mathare Valley situé en banlieue de Nairobi. Ce bidonville comptait 300'000 habitants en 1998 lorsque l’étude a été menée et en compte aujourd’hui 500'000. L’insécurité croissante et l’absence d’autorité étatique ont amené la population à développer des stratégies de survie qui vont de l’informel à l’illégal. La justice populaire qui s’est instaurée pourrait être définie comme une justice traditionnelle si elle avait été placée dans le cadre du droit coutumier, mais ce n’est pas le cas, cette justice ne tient pas compte des codes, des valeurs, de l’autorité des aînés et autres éléments composant la justice coutumière. La justice expéditive est perçue généralement comme un des symboles de l’impunité judiciaire, qui entraîne, directement ou indirectement, la privatisation de la justice, l’apparition des escadrons de la mort, des groupes d’autodéfense, des organisations paramilitaires et des systèmes policiers privés. Les acteurs-exécuteurs qui parlent de la justice populaire disent, en termes généraux, que la justice et ses représentants sont corrompus. Il suffit que nous amenions le voleur au poste de police pour qu’il soit relâché plus tard ; parfois, il ne reste au poste de police qu’un après-midi, après avoir donné de l’argent aux agents qui se trouvaient en service. Conduire ou dénoncer le voleur ou le délinquant à la police ne sert à rien, parce qu’en plus nous sommes menacés par ce même délinquant qui, après avoir été libéré, en payant des pots-de-vin, vient nous dire qu’il a des pistons, des amis, des personnes connues dans la police qui l’aideront toujours et que nous ne pouvons rien contre lui (Rodriguez-Torres, 1998, p 181 et 182). Lorsque le voleur est identifié et arrêté, une véritable mise à mort commence, le coupable, car il s’agit bien là de culpabilité sans aucune forme de procès, est violement tabassé par la foule, cette scène se termine par son exécution, le plus souvent il est brûlé vif, parfois il est pendu. Généralement, ce sont les enfants de moins de 12 ans qui participent aux exécutions, certains comme spectateurs, d’autres de manière active en ramassant le bois pour le bucher par exemple. « Nous avons toujours vu comment les adultes chassent les voleurs. Quand nous sommes tout petit, nous allons aux exécutions avec nos mères ou un de nos frères, puis quand nous grandissons, nous y assistons seuls, les adultes disent que c’est bien de faire la chasse aux voleurs, je crois aussi que c’est bien… » (Rodriguez-Torres, 1998, p 185). Cette situation est inquiétante dans la mesure où elle apporte des garanties de pérennité à ce système barbare, les enfants reproduiront certainement ce qu’ils auront vu, peut-être est-ce là justement l’objectif? En mai 1996, il y avait 3 exécutions par jour soit 1’095 exécutions par ans, ce qui représentait 0.36% de la population. Ce ratio est énorme. Il serait pertinent d’examiner la situation de Mathare Valley une nouvelle fois, afin de voir dans quelle proportion la justice expéditive a évolué. Compte tenu de l’évolution de la mob justice ces dernières années dans la région, une hypothèse crédible serait de prédire un recours croissant à cette forme de justice. 29 Maître de conférences à l’Université catholique de Louvain UCL-Mons et travaille comme expert auprès d’organismes internationaux. Ses recherches portent sur la construction du politique et la situation des sociétés urbaines lorsque l’État se désinvestit. 15 Partie 3 : Le recours à la justice coutumière 3.1 L’objet de la justice coutumière - L’importance du lien social Dans les sociétés occidentales de culture judéo-chrétienne, le droit s’est établi sur les notions de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas, sur la notion du bien et du mal. Dans les sociétés claniques et patriarcales ou l’organisation sociale et juridique est fondée sur la détention de l’autorité par les hommes, la notion de justice liée à l’individu est reléguée au second plan par rapport à la préservation du lien social qui est le véritable objet de la justice. Dans l’expérience occidentale, le règlement des conflits est le produit d’une force neutre parce qu’extérieure et supérieure aux parties, l’expérience africaine, que l’on peut certainement généraliser à l’ensemble des pays en voie de développement, privilégie toujours le règlement de conflit au sein d’un groupe qui l’a vu naître et considère l’appel à une instance extérieure comme une manifestation de faiblesse. Un juge étranger au groupe y est vu comme incompétent à recoudre le tissu social car l’objet de l’instance n’est pas, à titre principal, de dire qui est en droit ou en faute mais de gérer le lien social30. Dans la société traditionnelle, l’acte déviant était associé à une manifestation d’une maladie, l’acte individuel était interprété comme signifiant une déviance collective : seule une thérapie communautaire pouvait donc apporter la réponse attendue. L’harmonie personnelle et collective n’est conçue que centrée sur la prospérité et l’épanouissement physique de chacun des membres du groupe, c’est-à-dire du lignage issu d’un ancêtre commun. Réciproquement, cette bonne santé est censée disparaître dès qu’une transgression morale, une atteinte aux lois de l’univers est produite par un des membres du lignage. Quelqu’un va alors tomber malade, sans que ce soit nécessairement l’auteur même de la faute, ce peut être l’un de ses proches ou de ses descendants, car la solidarité ne fait qu’un seul et même être de tous les individus de la famille. Cet exemple de la tribu des Béti au Cameroun illustre à quel point, dans une société qui ne compte pas moins de 500 000 personnes et qui est dépourvue de gouvernement et de pouvoir central, un système de justice centré sur l’individu serait totalement inopérant31. Préserver la paix civile et l’harmonie et prévenir les mécanismes de vengeance et de vendetta sont les principaux objectifs de la justice coutumière. Les acteurs de la justice informelle se considèrent comme des médiateurs dont le rôle est de maintenir la stabilité et d’éviter l’escalade d’un conflit entre deux parties. Ils pensent que la paix civile est plus importante que le fait de protéger les droits d’un individu32. Les « jirgas » et les « shuras » en Afghanistan mettent l’accent sur la réconciliation et la paix entre les parties engagées dans une dispute ou un conflit. Par conséquent, contrairement aux décisions émises par la justice d’état dans lesquelles il y a toujours un perdant et un gagnant, la justice coutumière a pour objectif de promouvoir la justice restauratrice par opposition à la justice rétributive, elle contribue à rétablir la paix et la dignité entre les victimes, les coupables et la communauté. L’objectif n’est pas de punir la personne qui a commis un délit, mais d’apporter une réponse ou une compensation à la victime afin que son honneur soit rétabli. 30 Etienne Le Roy. Philippe Laburthe-Tolra. 32 Ahmad Barak, Mohammed Zaki Abu Arrah, p41. 31 16 L’objectif est aussi de faire en sorte d’éviter tout acte de récidive, en théorie, car dans les faits il n’y a pas de mesures d’accompagnement visant à réintégrer les personnes ayant commis des délits. 3.2 L’évolution et l’organisation de la justice coutumière 3.2.1 Les Territoires palestiniens Bien que certains éléments liés à l’évolution de la justice coutumière soient commun en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, nous distinguerons dans cette partie les deux entités géographiques qui sont différentes au niveau des acteurs, du rôle des autorités locales (Hamas à Gaza et Autorité Palestinienne en Cisjordanie) et des procédures. 3.2.1.1 L’évolution de la justice coutumière dans les Territoires palestiniens Durant la période orthographe ? ottomane, la justice coutumière a joué un rôle important, des « biyut il-mlam33 » ont été créés dans le sud de la Palestine afin de résoudre les conflits au sein des clans et des tribus. La justice coutumière s’est surtout développée à la fin de la période ottomane qui a été synonyme de déclin de l’appareil d’état. A partir de 1917, sous le mandat britannique, la justice coutumière s’est structurée par la promulgation de lois34. Durant cette période, la justice d’état prédomine, les acteurs de la justice coutumière étaient sollicités dans des processus de réconciliation. La justice coutumière s’est particulièrement développée durant l’occupation israélienne qui contrôlait l’appareil judiciaire, de fait, les populations locales préféraient faire appel aux mécanismes traditionnels. Durant la première intifada, soit à partir de décembre 1987, en l’absence d’autorité gouvernementale, la justice coutumière a été le principal mécanisme juridique. L’appel de l’Organisation de Libération de la Palestine au boycott des institutions israéliennes a eu pour conséquence un recours exclusif à la justice coutumière, cette période correspond à l « âge d’or35 » de la justice coutumière en Palestine. En 1994, un décret présidentiel36 officialise l’établissement des départements des affaires tribales et des comités nationaux de conciliation à l’échelle des « gouvernorats37 ». Le président Yasser Arafat faisait appel aux« islah men38 » pour régler les conflits et les litiges. 33 Terme arabe. Maison d’une personne tiers, neutre, n’ayant aucun liens familiaux avec les personnes en conflit. Le propriétaire du lieu ne devait pas nécessairement avoir des compétences en termes de justice coutumière ou de règlement de conflit, il suffisait que le lieu soit approuvé par les deux parties. 34 Palestine Constitution Act of 1922 Article 45. Law of Procedure for Tribal Courts 1937 Article 2. Law of Civil Contraventions no. 36 of 1944 Article 70. 35 Ahmad Barak, Children in Conflict with Law and Informal Justice System in Hebron Governorate. 36 Presidential Decree no. 161 / 1994. 37 Entité administrative géographique, actuellement il y a 11 gouvernorats ou régions en Cisjordanie pour une population de 3.5 millions de personnes et 5 dans la bande de Gaza pour une population de 1.8 millions de personnes. 38 Islah ou Al-Islah est un mot arabe traduit par réforme dans le sens d’améliorer, de mieux, de mettre quelque chose dans une meilleure position. Il est utilisé en religion et en politique y compris pour le nom de certains. partis politiques et peut aussi être utilisé comme nom personnel ou pour nommer une rue ou encore une place. Le mot est une forme infinitive dérivé de la racine sad-lam-ha qui, selon Josef W. Meri, apparaîtrait dans 40 versets du Coran et qui signifie « rétablir quelqu’un, réconcilier des personnes entre elles, faire la paix ». 17 Suite aux accords d’Oslo et à la création de l’Autorité Palestinienne en 1993, le Ministère de l’intérieur a mis en place des comités composés d’ « islah men », de notables et de membres de partis politique et qui ont reçu une carte d’accréditation afin d’officialiser leur fonction, ils réfèrent au Département des Affaires Tribales au sein du Ministère de l’intérieur qui a créé des sous-comités au niveau de chaque gouvernorat. Durant la seconde intifada, entre 2000 et 2005, le rôle de l’autorité palestinienne s’est amoindri, ce qui a eu pour conséquence de relancer l’influence de la justice coutumière et des comités de conciliation. La scission entre le Fatah39 et le Hamas40 en 2007 a eu un impact important sur l’organisation de la justice coutumière en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza qui dès lors ont eu un fonctionnement et des instances différentes. 3.2.1.2 La situation en Cisjordanie Les recherches et études menées en Cisjordanie dans le domaine de la justice coutumière sont peu nombreuses, nous nous baserons essentiellement dans cette partie sur les missions de terrain que nous avons réalisé du 17 au 26 mai 2013 et du 14 au 19 mars 2014 dans les Territoires Palestiniens ainsi que sur la recherche coordonnée par le Docteur Ahmad Barak. Nous présenterons dans cette partie les principaux acteurs que nous avons répertoriés dans le gouvernorat d’Hébron, nous détaillerons les procédures mises en place au niveau des « Al-mohakem », nous détaillerons les peines prononcées et enfin nous aborderons les relations avec la justice d’état. Les principaux acteurs que nous avons répertorié sont les « islah men», les « Muktars41 » les « Mohakem42 » et les juges tribaux43. La justice tribale fait référence à un ancien système judiciaire ayant des racines bédouines et dont l’influence a diminué au fil du temps proportionnellement à la baisse d’influence des tribus et à la précarité croissante de la communauté bédouine dans son ensemble. La justice tribale a connu son apogée sous le mandat britannique lorsqu’elle était formellement structurée au travers de lois et de juridictions tribales. Ces différents acteurs n’appliquent pas les mêmes codes de procédures, cependant dans tous les cas, un garant « kâfil » est nommé pour chacune des parties engagées dans un processus de règlement de conflit. Ils veilleront à ce que les parties respectent les règles de la procédure et les décisions prises. Un autre élément commun est la négociation d’une trêve appelée « hudna » ou « ‘atwa », dans les affaires traitées par des « islah men », les trêves sont plus courtes. Les « islah men » : Les « islah men » sont des membres de la communauté jouissant d’une bonne réputation, d’une certaine stabilité financière, de leur connaissance des traditions, des coutumes et de leurs connaissances religieuses, ils doivent être impartiaux, nous les retrouvons dans la grande majorité des villages, des villes et des camps de réfugiés. 39 Organisation politique et militaire palestinienne fondée par Yasser Arafat au Koweït en 1959. Mouvement islamiste constitué d'une branche politique et d'une branche armée, principalement actif à Gaza. Créé en 1987 par Sheikh Ahmed Yassin. 41 Mot arabe qui signifie “choisi” et qui se réfère au chef du village ou du voisinnage dans beaucoup de pays arabes. Les muktars sont habituellement nommés de manière consensuelle par la population. 42 Mot arabe qui signifie juge. 43 Entretien Yann Colliou avec Muhammad Jaradat « Islah Man », Juge Tribal et conseiller auprès du Conseil Tribal, Bashar Al Tamini « Mukthar », Fayez Al Rajabi « Islah Man » à Hébron – Cisjordanie le 28 avril 2014. 40 18 Ils sont sollicités pour résoudre de manière consensuelle différents type de conflits et de litiges, ils agissent discrètement, leurs décisions sont plus basées sur leur propre expérience et sur leur bon sens que sur des « règles » clairement établies. Dans les cas traitées par les « islah men » et dans les cas considérés comme étant graves comme par exemple les crimes d’honneur, une trêve de trois jours est définie afin d’éviter toute vengeance de la part de la famille victime. Une trêve plus longue appelée « ‘atwat al sulh », pouvant aller jusqu’à un mois, peut être définie dans les cas où aucun accord n’est trouvé rapidement ou quand l’une des parties ne reconnait pas l’accusation. Il y aurait en moyenne en Cisjordanie un « islah man » pour 1'000 habitants. Il y a aurait de plus en plus d’« islah men » qui se feraient rémunérer pour leurs services, l’Autorité Palestinienne a entamé une réflexion et envisage de régulier ce phénomène croissant44. Les « Mukthar » Ils sont à la tête de familles ou de clans plus ou moins puissants et ayant des tailles variables. Ils sont accrédités par le gouvernement, ils ont une fonction officielle, ils signent des documents légaux. Cette fonction a été créé sous l’Empire Ottoman et a été maintenue sous le mandat britannique. Sous l’occupation jordanienne entre 1948 et 1967, ils étaient rémunérés. Sous l’occupation israélienne, ils étaient suspectés d’être des espions, l’Autorité Palestinienne aurait donc procédé à une sélection45. Afin de devenir « Mukthar » le candidat doit collecter entre 100 et 500 signatures en fonction de la taille de la famille ou du clan, il doit ensuite présenter une demande officielle au Gouverneur d’Hébron, sa demande est étudiée par les services de sécurité, dans le cas où elle est acceptée, elle est validée par le Président de l’Autorité Palestinienne46. Les « Mohakem »: Ils sont spécialisés dans les règlements de conflits d’un niveau supérieur, ils ont une parfaite connaissance des mécanismes tribaux, des coutumes et du droit musulman sur lesquels ils se basent pour mener des investigations et pour collecter les éléments nécessaires aux processus de règlement des conflits. Ils sont en général spécialisés dans un domaine47. Ils sont moins nombreux que les « islah men ». Ils ont le statut « d’ancien » et ont en général plus de 60 ans, ils ont pour la plupart un niveau d’éducation secondaire (collège). Le statut de juge tribal se transmet de génération en génération. La première étape de l’intervention menée par les « mohakem » consiste en la mise en place d’une trêve (al ‘atwa al amniyyah) dont l’objectif est d’éviter toute vengeance. Mais il est fréquent que la famille victime se fasse justice elle-même en s’en prenant aux bien matériels, en brûlant les biens de l’autre famille, en s’attaquant physiquement aux membres de l’autre famille ou en expulsant l’ensemble des membres de l’autre famille hors de la communauté. 44 Entretien Yann Colliou avec Mahmoud Abu Kamal « Islah man » à Bethléem et coordinateur des activités de justice pour mineurs de la Fondation Terre des hommes à Hébron, mars 2014. 45 Entretien Yann Colliou avec Bashar Al Tamini « mukhtar » à Hébron – Cisjordanie le 28 avril 2014. Bashar Al Tamini est à la tête d’un clan de 15'000 personnes. 46 Entretien Yann Colliou avec Bashar Al Tamini « mukhtar » à Hébron – Cisjordanie le 28 avril 2014. 47 Entretien Yann Colliou avec Muhammad Jaradat « Islah Man », juge tribal et conseiller auprès du Conseil Tribal à Hébron – Cisjordanie le 28 avril 2014. 19 Une autre trêve appelée « atwa tafteesh » est décidée lorsque des preuves ont été prouvées mais qu’elles ont rejetées par la famille qui est accusée. Dans ce cas, la famille victime dispose d’une période allant de un à six mois pour rassembler de nouveaux éléments. Si la famille accusée reconnaît les charges, une troisième période de trêve correspondant aux aveux et appelée « ‘atwat al i’tiraf » est définie durant laquelle les juges tribaux décident de la peine et ou de l’accord de réconciliation. Enfin, une trêve d’accord appelée « ‘atwat al iqbal » est offerte à la famille accusée pour accepter un accord qui si il est refusé est appelé « ‘atwa naqisah ». Après que les deux parties se soient présentées devant le juge, que leurs témoignages aient été écoutés et après que les garants aient été nommés, le juge présente la manière dont le processus va se dérouler en se basant sur ses connaissances des coutumes et des traditions. Il peut parfois faire appel à des tiers, des médecins par exemple, pour lui apporter des conseils. Une fois que le juge a pris sa décision « al haq48 », le rôle des garants consiste à s’assurer que les parties la respecteront. En théorie, les parties peuvent faire appel, dans ce cas, l’appel est transmis à un juge d’un niveau supérieur appelé « m’dhufi », ce qui est plutôt rare et qui est considéré comme étant le dernier recours. Afin de préserver la crédibilité de la justice, il n’est pas possible de ne pas accepter le verdict final. Les peines prononcées par la justice coutumière: La justice coutumière est basée sur la notion de solidarité. Lorsqu’un membre de la famille est coupable, l’ensemble de la famille doit contribuer et ce jusqu’à cinq générations pour tous les membres de la famille ayant une carte d’identité, ce qui inclut aussi les jeunes entre 16 et 18 ans. En théorie, les punitions physiques ne sont pas admises dans la justice coutumière en Palestine. Le « bisha’a49 » reste cependant une pratique dans les communautés bédouines. Dans des cas d’homicide ou de crime d’honneur, les familles victimes peuvent choisir entre une compensation financière ou la vendetta, ce qui signifie que la famille victime peut dans un délais de trois jours après le crime commis se faire justice » sans risquer d’être poursuivie par la justice coutumière ou tribale, cela est appelé « taht firash al ‘atwa »50. Les peines financières « diyya » sont les plus fréquentes, bien qu’il existe un barème de rétribution en fonction de la gravité des cas (meurtres, abus sexuels, crimes d’honneur). La décision finale concernant le montant reste à la discrétion du « mohakem ». 48 Mot arabe qui signifie la vérité. Moyen traditionnel d’établir la vérité par lequel une tige en métal brûlante est placée près de la langue du présumé coupable, si la langue est brûlée cela signifie que son témoignage n’est pas fiable. 50 Ahmad Barak. 49 20 Collaboration entre la justice coutumière et la justice d’état : Les services de sécurité font régulièrement appel aux représentants de la justice coutumière pour résoudre des querelles ou calmer les familles et la communauté. La loi51 n°3 / 2001 permet aux familles en cas d’acte délictueux répréhensible par une contravention de se réconcilier. Le Ministère Public a en théorie l’obligation d’accepter et d’enregistrer l’acte de réconciliation appelé « sakk al sulh » qui est considéré comme un document légal. Il est important de signaler que le juge (justice d’état) n’intervient pas sur les décisions prises par la justice informelle et sur les actes de réconciliation, il ne vérifie pas qu’elles soient conformes à la loi. L’autorité palestinienne a tenté de réguler la justice coutumière et a obtenu dans ce sens plus de résultats au niveau des « islah men » que des « Al-mohakem ». Plusieurs études de cas52 menées dans le gouvernorat d’Hébron mettent en avant le fait que la justice coutumière n’est pas véritablement neutre dans ses décisions qui sont souvent prononcées en faveur des tribus ou des familles influentes. 3.2.1.3 La situation dans la Bande de Gaza Afin de mieux appréhender le rôle de la justice coutumière dans la Bande de Gaza et de ses interactions avec la justice formelle, nous présenterons dans cette partie la juxtaposition des différents systèmes juridiques, l’organisation tribale et clanique de la société. Nous présenterons les différents acteurs et les procédures du système coutumier de règlement de conflits. La juxtaposition des systèmes juridiques : Le système légal dans la bande de Gaza repose sur trois systèmes qui se juxtaposent53 : le système judiciaire « nizami54 » qui traite toutes les affaires liées aux contrats, aux procédures criminelles et aux transactions commerciales. Les cours religieuses ou tribunaux coraniques55 qui traitent tout ce qui est lié au statut personnel, incluant les litiges en rapport avec le mariage, le divorce, la garde des enfants, la pension alimentaire, l’héritage. Ces deux systèmes sont structurés en trois niveaux, les cours de première instance, les cours d’appel, les cours suprême. Nous avons enfin les mécanismes coutumiers de règlement de conflit, qui traitent de toutes les autres affaires et dont l’objectif premier est de faciliter les négociations et la conciliation en se basant sur la coutume et les traditions. Selon l’article 4 du code procédure criminelle56, les acteurs de la justice coutumière peuvent intervenir au niveau des parties impliquées dans un conflit afin de les réconcilier. La justice d’état peut référer les parties plaignantes à la justice coutumière afin qu’un accord soit trouvé. 51 Palestinian Procedural Law. Ahmad Barak, Mohammed Zaki Abu Arrah. 53 Norwegian Refugee Council, p12. 54 Système judiciaire formel dans la bande de Gaza. 55 En anglais « sharia » courts. 56 Code of Criminal Procedure. 52 21 L’organisation clanique et tribale de la société : La Bande de Gaza est composée d’une population urbaine et rurale sédentaire appelée « hadari » qui représente 75% de la population de Gaza et de Bédouins semi nomades appelés « badawi » qui représentent 25% de la population. Il est important de distinguer les habitants originaires de la Bande de Gaza appelés « muwatinun57 » et ceux qui y ont trouvé refuge en 1948 appelés « lajiyun58 ». Plus de 75% de la population est enregistrée comme réfugiés auprès de l’UNRWA59. Nous retrouvons des « muwatinun » et des « lajiyun » au niveau des bédouins et des populations sédentaires. La population est divisée en clans, en familles de notables et en tribus60. Les populations sédentaires sont organisées en foyers qui font partie de clans plus larges qui peuvent avoir quelques dizaines voire quelques centaines de foyers, les plus importants peuvent comprendre plusieurs milliers de foyers. Chaque clan est dirigé par un « mukhtar » qui est un ancien et qui peut aussi être le chef du village si le clan est important. Les femmes doivent se marier au sein du clan, la moitié des mariages dans la Bande de Gaza ont lieu entre cousins. Les membres du clan sont liés par un code d’honneur. Les familles de notables constituent l’élite urbaine, qui est une formation sociale typique du monde arabe sous l’empire ottoman. Elles sont affilées à des partis ou mouvements politiques et de fait ont une influence politique, elles sont nombreuses dans la Bande de Gaza. Contrairement aux clans qui ont plus de pouvoir lorsque l’état est faible, les familles de notables prospèrent lorsque l’état est fort. Environ 25% de la population de la Bande de Gaza est constitué de descendants des populations bédouines nomades et semi nomades qui sont organisés en 6 confédérations qui comprennent chacune au minimum une douzaine de tribus. Leur influence a largement diminué, elles ont pour la plupart perdu au fil du temps leurs terres, leurs troupeaux, l’accès aux marchés. Leur mode de vie qui s’est sédentarisé a engendré en partie une perte de leurs traditions et une certaine précarisation sociale et économique. Depuis 500 ans61, les dominations extérieures, les changements de gouvernement, les conflits, l’instabilité politique ont largement contribué à l’affaiblissement du pouvoir central, ce qui de fait a engendré un renforcement de la justice coutumière. Les principaux acteurs : Les « Mukhtars », les “Islah Men”, les “Islah Committees62”, les “Rabita Committees63”, les “juges tribaux” et les « Registered Arbitrators64 » constituent le socle des acteurs de la justice coutumière dans la Bande de Gaza65. Considérant la complexité des relations entre ces différents niveaux, il reste toutefois difficile de clarifier totalement le rôle et les fonctions de chacun d’entre eux. 57 Citoyens. Réfugiés. 59 Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East. 60 Norwegian Refugee Council, p 13. 61 Empire Ottoman (1616-1917). Mandat Britannique (1917-1948). Administration Egyptienne (1948-1967). Occupation Israélienne (depuis 1967). Première Intifada (1987-1993). Accord d’Oslo et création de l’Autorité Palestinienne (1994-2005). Seconde Intifada (2000-2005). Gouvernement du Hamas (depuis 2006). 62 Nous garderons ce termes car il est communément employé et compris comme tel dans la Bande de Gaza. 63 Nous garderons ce termes car il est communément employé et compris comme tel dans la Bande de Gaza. 64 Nous garderons ce termes car il est communément employé et compris comme tel dans la Bande de Gaza. 65 Norwegian Refugee Council, p 25. 58 22 Selon le Département des Affaires Tribales66 du Ministère de l’Intérieur, 320 « Mukhtars » étaient répertoriés en 2011 dans la Bande de Gaza. Leur fonction est apparue sous l’Empire Ottoman, ils peuvent être à la tête de familles, de villes, de camps de réfugiés, d’une zone géographique déterminée ou d’une tribu, leur nomination requiert l’aval de minimum trois ou quatre cents chefs de famille, ils sont ensuite nommés et enregistrés par le Département des Affaires Tribales. Ils sont sollicités en premier en tant qu’ « Islah men »pour le règlement de disputes67, leur signature est souvent requise en qualité de témoins sur des documents légaux. Il semblerait que la fonction d’« Islah Men » soit apparue sous l’Empire Ottoman dans la région de Beer Sheva et du désert du Néguev. Ils ont gagné en influence et en nombre lors de la première « Intifada », leur profil a également évolué, ils sont plus jeunes, plus éduqués et plus actifs politiquement68 . Ils sont nommés par les membres de la communauté sur la base de leur forte personnalité, de leur position financière qui doit être stable, sur leur connaissance du droit musulman et des traditions, sur la densité de leur réseau social et sur la respectabilité de leur clan. Contrairement aux « mukhtars », ils ne sont pas nommés par l’administration, il est par conséquent difficile d’estimer leur nombre, dans les années 2010, le Département des Affaires Tribales a enregistré 500 d’entre eux et leur a distribué des cartes d’identité sur lesquelles il est mentionné « toutes les autorités compétentes doivent faciliter la mission du détenteur de cette carte… ». Le Département Des Affaires Tribales leur réfèrerait environ 5'000 cas par années. Les « Islah committees » sont généralement composés de 5 à 10 « Islah men » qui se rassemblent souvent pour résoudre des cas. Il y a une cinquantaine de ces comités qui rapportent mensuellement au Département des Affaires Tribales. Ils sont compétents sur un périmètre géographique donné. La plupart d’entre eux ont été nommés par l’Autorité Palestinienne du temps de Yasser Arafat, ils représentent un mécanisme hybride de justice formelle et de résolution de conflit à base communautaire. Les « Rabita committees » ont initialement été établis à Jérusalem en 1992 et sont aujourd’hui un élément important de la justice coutumière dans la Bande de Gaza où ils ont été créés par la « Palestinian Scholars’ League », qui est structurée en quatre départements (conciliation, prière, avis ou « fatwa » et arbitrage selon les préceptes de la « Sharia ») et qui a un statut d’Organisation Non Gouvernementale. Elle est enregistrée auprès du Ministère de l’Intérieur, son principal objectif est de régler les conflits et d’arbitrer les disputes en se basant sur le droit musulman. Ils sont entre autres composés de « mukhtars » et d’« Islah men », certains des membres ont des diplômes en science islamique, certains perçoivent un montant mensuel d’environ 200 euros de la part du Ministère de l’Intérieur. Ils ont entre 2004 et 2010 traité plus de 41'000 cas69 (agressions 18'949, contentieux financiers 4'715, accidents 5'387, problèmes intra familiaux 5'148, foncier 3'994, héritage 1'417, propriété 2'336, vols 873, crimes d’honneur 497, homicides 402, autres 2'582). Comme nous l’avons mentionné dans la partie précédente sur la Cisjordanie, la justice tribale a largement perdu de son influence, de fait le rôle des juges tribaux est bien moindre que par le passé, leur nombre a également diminué, leur statut est transmis de père en fils, ils peuvent avoir une position de « mukhtars » dans leur communauté. Ils sont rémunérés pour leur service et perçoivent de la part de ceux qui font appel à leur service une somme d’argent appelée « rizqa ». 66 La Direction Générale des Affaires Tribales et de la Réconciliation a été créé conformément à un décret présidentiel sur l’initiative de l’Autorité Nationale Palestinienne (sous Yasser Arafat) le 9 novembre 1994. 67 Bien qu’ils soient nombreux à servir en tant qu’Islah men”, tous les “mukhtars” ne sont pas des “Islah Men” et vice versa. Il est estimé qu’environ deux tiers des « Islah men » sont aussi des « mukhtars ». 68 Norwegian Refugee Council, p26. 69 Norwegian Refugee Council, p29. 23 A titre d’exemple, les juges tribaux interviewés par Norwegian Refugee Council traitent en moyenne une vingtaine de cas par année. Les arbitres sont enregistrés en tant que tels, conformément à la loi sur l’arbitrage n°3/2000. En 2004, ils étaient 112 enregistrés auprès du Ministère de la Justice, la plupart d’entre eux travaillent en tant que comptables, juristes ou juges. Depuis la scission entre le « Fatah » et le « Hamas » en 2007, le Ministère de la Justice n’a pas renouvelé leurs licences. Les procédures : La nature des délits ou des crimes, leur impact sur la stabilité de la communauté et la volonté ou non des parties impliquées d’entamer une procédure sont les trois principaux critères d’engagement dans une procédure coutumière de règlement de conflit. La première étape, dans la plupart des cas, consiste à faire appel à un « mukhtar » qui peut aussi de lui-même décider de s’impliquer dans l’affaire. Il est estimé que 90% des affaires trouvent une solution à ce niveau. Si le « mukhtar » appartient à la communauté des deux parties, il peut agir seul, si ce n’est pas le cas, il ne sera pas considéré comme étant impartial. Un autre « mukhtar » représentera l’autre famille et les deux travailleront de concert afin de trouver une solution. Si un accord n’est pas trouvé à ce premier niveau, un deuxième niveau appelé conciliation « Sulh » basé sur la coutume, la religion et / ou sur les traditions tribales est organisé. Les coutumes invoquées à ce niveau sont antérieures à l’Islam, ce niveau intègre toutefois maintenant les préceptes du droit musulman. Le processus peut durer d’une semaine à plusieurs mois en fonction de la gravité du cas, deux à vingt séances de conciliation peuvent être nécessaires70. La plupart des processus de conciliation se concluent par des peines financières et dans certains cas par l’expulsion du coupable de sa famille et parfois de la communauté. Les rétributions financières sont surtout un acte symbolique en marque de respect vis-à-vis de la famille victime. Si le cas a été référé par la justice coutumière au niveau formel, des peines d’emprisonnement peuvent être prononcées. Les juridictions tribales, qui historiquement ont joué un rôle important, ont été abolies dans les Territoires Palestiniens en 1976. 3.2.2 L’Egypte Nous nous baserons essentiellement dans cette partie sur les missions de terrain que nous avons réalisé du 1er au 10 avril 2013 en Egypte dans le gouvernorats d’Assiut et de Damietta ainsi que sur l’atelier de restitution organisé au Caire le 07 avril 2013 de la recherche mandatée par la Fondation Terre des hommes et menée par trois consultants égyptiens Elham Mohamoud Mohamed, Ashraf Mohamed Abdel Mon’em, Adel Mohamed Badr. « Ceux qui jugent », appelés « Al-Mohakem » en arabe peuvent avoir différents profils en fonction des régions, des villages ou qu’il s’agisse d’un milieu rural ou urbain. Mais de manière générale, ils sont « choisis » par la communauté en fonction de leurs qualités personnelles plus que sur leur situation financière. 70 Norwegian Refugee Council, p 37. 24 Considérant qu’ils sont volontaires, il doivent avoir suffisamment de ressources pour pouvoir consacrer du temps à cette activité. Tout homme respecté par la communauté, peut à un moment donné être appelé pour prendre part à une assemblée d’arbitrage. En théorie ils doivent être neutres et ne pas être affiliés à un parti politique, mais dans la pratique, comme nous le verrons plus tard, la réalité est différente. Dans les grandes villes, et dans certains quartiers du Caire particulièrement, la situation est différente, « ceux qui jugent » sont des hommes économiquement influents, des hommes d’affaires, des commerçants appelés « baltagy71 », ils perçoivent de l’argent en échange de leurs services. Ils doivent avoir les compétences de mener des enquêtes, des qualités d’écoute, selon les « juges » que nous avons rencontrés ils ne doivent pas forcément savoir lire et écrire. Dans certaines communautés, leur statut social doit être reconnu afin que leurs décisions soient respectées par la population. En fonction de la gravité des affaires, ils peuvent intervenir seul ou à plusieurs en formant des conseils coutumiers72 auxquels d’autres membres de la communauté, sans rôle décisionnel, peuvent participer en fonction de la gravité des cas. Les avocats jouent un rôle important au niveau de la justice coutumière, ils peuvent être sollicités pour prendre part à une assemblée d’arbitrage. Ils interviennent soit dans le cadre d’un procès formel, soit dans le cadre d’un processus de conciliation informel : dans ce cas ils ne sont pas rémunérés. Les leaders religieux peuvent également être sollicités, ils sont parfois eux-mêmes juges. La religion a une importance particulière, les juges s’y réfèrent très souvent. Des organisations non gouvernementales ou associations communautaires peuvent intervenir parfois en créant des comités locaux de résolution de conflit73, c’est un phénomène récent. La justice coutumière en Egypte traite en général les cas liés aux disputes entre familles, à l’héritage, au droit foncier, aux infractions et vols, mais elle est aussi compétente pour les homicides. Les procédures ont des similitudes avec celles de la justice d’état. Lorsqu’un litige se produit entre deux parties, l’une des parties peut solliciter un juge coutumier. Si une plainte est déposée au niveau de la police, il arrive fréquemment que celle-ci réfère le cas à la justice coutumière. De manière générale, la famille qui s’estime victime s’adresse à un médiateur, celui-ci prend contact avec l’autre famille afin de s’assurer qu’elle est d’accord pour tenter de résoudre le problème par la voie de la justice coutumière ; si tel est le cas, un juge coutumier est identifié et sollicité, s’il est d’accord pour s’engager dans le processus, il demande aux deux parties de lui remettre une somme d’argent, appelé « rabt », en garantie de l’engagement à respecter le processus de règlement du conflit. Le montant en question est proportionnel au montant présumé du préjudice subi. Si un accord est trouvé, la somme d’argent sera remise à la famille ayant subi le préjudice. Si besoin et en fonction de la gravité du cas, d’autres juges coutumiers peuvent être sollicités afin de composer un comité coutumier. Dans ce cas, les familles ont un droit de veto sur le choix des autres juges coutumiers. Les parties sont ensuite invitées, en général dans la maison du juge coutumier ou dans celle d’un autre membre influent de la communauté à venir déposer leur témoignage qui peut être complété, si le juge coutumier l’estime nécessaire, par des juristes ou des docteurs en fonction des cas : un rapport médical peut par exemple être demandé. 71 Le mot "batlagy" signifie "voyou ou mafieux". C'est un mot du dialecte égyptien qui n'a pas de correspondance en arabe classique, donc pas de racine. Le mot vient de "balta" qui est un outil utilisé par le bûcheron pour couper les arbres - sorte de hache. 72 Customary councils. 73 Community-based dispute resolution committees. 25 Le contenu des séances est confidentiel. Conformément à la coutume « urf 74», les témoins sont protégés par le conseil coutumier, ils ne peuvent pas faire l’objet de représailles aux vues du procès. Dans le cas d’un procès impliquant des enfants, c’est les parents qui prendront la parole, les enfants ne peuvent être entendu qu’en qualité de témoin. A la fin des auditions, les juges coutumiers se réunissent et tentent de trouver un consensus, s’ils n’y parviennent pas, ils votent et la majorité l’emporte. Le verdict est annoncé à l’ensemble des personnes ayant participé aux auditions. Les juges coutumiers se basent sur trois sources afin de prendre une décision : la loi islamique, la coutume et la jurisprudence ou ensemble des décisions antérieures. La loi islamique ou « sharia » se réfère à des textes écrit comme le Coran ou la « Sunna » constituée des « hadiths » qui sont les faits et les dits du prophète. La coutume et la jurisprudence ne sont pas codifiées, les décisions antérieures de justice coutumière ne sont pas enregistrées. La grande majorité des procès en Egypte se concluent par une compensation financière appelée « diyya ». Le montant n’est pas préétabli, il est déterminé à l’issue du procès. Dans les affaires impliquant des blessures physiques, il existe un barème : un point de suture à la tête est estimé à 500 (50 euros) EGP, un point de suture sur une partie apparente du corps est estimé à 1'000 EGP (100 euros), une fracture multiple à 25'000 EGP (2’500 euros), une blessure impliquant la pose d’attelle ou de vis est estimée à 50'000 EGP (5'000 euros). Il n’y a pas de système d’enregistrement des décisions. Le verdict est toutefois rédigé sur un document signé par les deux parties. Le juge coutumier peut aussi signer le document, ce qui l’engage à suivre l’affaire jusqu’à ce que la totalité de la décision soit mise en œuvre. Dans le cas où l’affaire en question a été en parallèle menée au niveau de la police et qu’une procédure formelle soit en cours, ce document peut être déposé et justifier ainsi que les parties ont trouvé un accord, dans ce cas la procédure formelle s’arrêtera. Si l’une des deux parties n’est pas satisfaite de la décision, elle peut faire appel au maximum deux fois à d’autres juges coutumiers. Dans ce cas, le « rabt » sera transféré au nouveau juge. Si au bout des 3 cessions, un accord n’est toujours pas trouvé, le « rabt » sera rendu aux parties, le juges coutumiers recommanderont aux parties de trouver un accord ou de référer l’affaire au niveau de la justice d’état, ce qui dans les faits arrive très rarement. La justice coutumière accorde une place très importante à la réconciliation qui tente de trouver des solutions à l’amiable afin de résoudre le problème. Un acte symbolique de la réconciliation consiste pour le coupable à aller boire une tasse une thé chez la victime afin de montrer au reste de la communauté que le problème est résolu. La justice coutumière est aussi compétence en matière d’homicide, particulièrement quand les coupables ou les victimes sont des membres de clans ou de tribus influentes. La plupart des homicides sont traités par la justice d’état qui n’apporte cependant aucune garantie contre une éventuelle revanche de la part de la famille de la victime. La justice coutumière est considérée comme étant le seul moyen d’éviter une vendetta. Un recours à la justice d’état n’empêche pas un recours parallèle à la justice coutumière. 74 Terme arabe signifiant « us et coutumes » ou le « convenable » et devant être compatible avec la loi (Sharia). 26 Pour un cas d’homicide, les procédures de la justice coutumière sont les mêmes que pour tout autre cas, si ne n’est que les membres des deux familles devant être impliqués dans le processus doivent aller jusqu’à la cinquième génération, ceci afin que la famille au sens large du terme porte la responsabilité du crime commis par un de ses membres et qu’elle paye le prix du sang « diyya ». La police n’intervient pas dans le processus, elle peut cependant être sollicitée pour sécuriser la zone dans laquelle se déroule le procès. Le montant de la « diyya » est établi en référence à la tradition islamique. Il est habituel de se référer aux Dits du prophète Mohammad et de ses compagnons Abu Bakr et Omer Ibn al Khattab qui différenciaient les homicides accidentels et intentionnels. Dans le premier cas, un montant équivalent à 100 chameaux doit être payé, ce qui représente aujourd’hui environ 600'000 EGP (60'000 euros), dans le second le montant s’élève à 800'000 EGP (80'000 euros). Le montant de la « diyya » dépend aussi d’autres facteurs : si la victime est mariée et a des enfants, le montant augmentera. Si une femme est tuée à l’intérieur de sa maison, le montant de la « diyya » sera deux fois plus important que pour le meurtre d’un homme. Le montant est inférieur pour un enfant à celui d’un adulte ou d’un jeune adulte ayant terminé sa croissance. Si la victime a commis des méfaits, un certain montant d’argent « radwah » équivalent à 20'000 EGP (2'000 euros) sera déduit de la « diyya ». La « diyya » doit être remise au père de la victime dans un délai de quarante jours ; passé ce délai, des intérêts sont additionnés. Le paiement de la « diyya » a aussi une valeur symbolique qui indique que les deux parties ont trouvé un terrain d’entente et qu’il ne peut y avoir de vengeance. Dans certains cas, en plus de la « diyya », il se peut que la famille de la victime soit obligée de s’exiler et de quitter la communauté afin de faciliter le deuil de la famille victime. Les cas d’abus et d’agressions sexuelles faites aux femmes sont considérés comme des crimes d’honneur et sont aussi traités par le biais de la justice coutumière. Les violences sexuelles contre les hommes sont un sujet tabou qui n’est abordé ni par la justice coutumière ni par la justice d’état. Les auditions ont lieu en privé. Si la victime est un enfant, elle ne peut pas témoigner. Il n’est pas rare que la victime soit obligée d’épouser le coupable, afin que son honneur et celui de sa famille soient « réparés ». L’ensemble des juges coutumiers que nous avons rencontrés au Caire, dans le gouvernorat d’Assiout en Haute Egypte et à Damiette dans le Delta a mis en avant les avantages de la justice coutumière, à savoir la rapidité des décisions : parfois certaines affaires sont résolues en une journée. Le prix est bien moindre que celui de la justice d’état. Du point de vue de la population, les avis divergent entre les zones rurales et urbaines. Dans les zones rurales, la justice coutumière est respectée dans le sens où elle prend des décisions justes qui ne tiennent pas compte du rang social des familles, elle est considérée comme étant neutre. 27 3.2.3 L’Afghanistan 3.2.3.1 Un pays en crise chronique Depuis 1978, date à laquelle l’Union Soviétique a envahi l’Afghanistan, le pays connaît une instabilité chronique. En 1989, après le retrait soviétique, Najibullah est nommé président, il démissionne en 1992, le pays connaîtra dès lors une période de guerre civile, les principaux chefs de guerre se sont affrontés jusqu’en 1996, période à laquelle les Talibans prennent progressivement le contrôle du pays. En 2011, l’intervention des troupes de l’OTAN chasse les Talibans qui se réfugient majoritairement au Pakistan mais qui progressivement reviennent à partir de 2006. En 2013, l’administration du pays est progressivement transférée au gouvernement d’Hamid Karzaï, le nombre d’attaques contre les intérêts gouvernementaux et contre les bases de l’OTAN reste très important. Suite à l’occupation soviétique, à la guerre civile entre 1992 et 1996 et à la prise de contrôle du pays par les Talibans, la majorité des institutions judiciaires du pays ont été détruites, beaucoup de magistrats ont été arrêtés, emprisonnés, exécutés, contraints à l’exil. A la chute du régime Taliban, les accords de Bonn signés en décembre 2001 autorisent la formation d’un comité judiciaire afghan75 et le mandate pour reconstruire avec l’aide des Nations Unies et des autres acteurs internationaux l’appareil judiciaire afghan conformément aux principes du droit musulman, aux standards internationaux et aux traditions juridiques afghanes76. Compte tenu du nombre important d’agences internationales, de leurs origines diverses et d’organisations locales de développement en Afghanistan, un certain nombre de termes sont utilisés pour parler de la justice coutumière. A titre d’exemple nous avons répertorié les processus alternatifs de résolution de dispute77, les systèmes de justice informels78, les mécanismes traditionnels de résolution de disputes79, la résolution de dispute à base communautaire80. 3.2.3.2 Les juridictions et concepts de la justice coutumière La grande majorité des conflits en Afghanistan sont traités en dehors de la sphère de la justice d’état, la justice coutumière a un rôle prédominant dans l’organisation de la société afghane81. 42% des Afghans font appel à des « jirgas » ou à des « shuras » en cas de conflit82. Elles sont le plus généralement composés d’anciens appelées « marakachiens » et de leaders communautaires appelés « rishsafidan » qui se réfèrent à des lois coutumières afin de trouver des solutions acceptables aux parties engagées dans un processus de règlement de conflit ainsi qu’aux communautés. Ces assemblées peuvent intervenir dans le cadre de problèmes fonciers, d’homicides ou les vols. 75 Afghanistan Judicial Commission. Ali Wardak, Centre for Criminology, University of Glamorgan Building a Post- War Justice System in Afghanistan. 77 Alternative Dispute Resolution processes’ (ADR). 78 Informal Justice Systems (IJS). 79 Traditional Dispute Resolution (TDR). 80 Community Based Dispute Resolution (CBDR). 81 Entretien Yann Colliou - Abdul Aman Hakim Zat, Islamic Scholar, Academic member of sciences, Islamic sciences section, Faculty of sharia law in Kabul, Master in interpretation of Koran le 27 mai 2013 à Kaboul. 82 The Asia Foundation. 76 28 Les Pashtouns en Afghanistan et au Pakistan considèrent les « jirgas » comme étant à la base de leur fonctionnement en tant que peuple. De leur point de vue, les « jirgas » illustrent leur mode de fonctionnement qu’ils considèrent comme étant démocratique. La communauté Pashtoune n’entreprendra jamais quelque chose qui irait à l’encontre de ce qui aurait été défini ou décidé par une « jirga ». Selon les Pashtounes, la nation a résolu beaucoup de conflits locaux et nationaux sans gouvernement, elle a grandi et s’est développée sans état central . Les « jirgas » : « Jirga » est un terme pashtoun dérivé du mot turc signifiant cercle et qui fait référence à des assemblées dans lesquelles sont présentes les parties engagées dans un processus de règlement de conflit, leurs représentants ainsi que des membres influents de la communauté. Le terme « loya jirga » ou grands conseils fait référence à des assemblées qui se réunissent sur des sujets engageant la nation. En 2003, une « Loya Jirga » constitutionnelle a été constituée pour ratifier la constitution afghane actuelle. Dans le passé, il y a avait deux types de « jirgas »appelées « semity » et « sabha ». Les premières, composées d’anciens et de chefs de tribus, intervenaient sur des sujets d’importance nationale comme par exemple la nomination du chef d’état ou sur les sujets de défense nationale. Les secondes, « sabha » étaient actives au niveau des villages et des communautés. De nos jours, les « jirgas » restent très influentes, leurs décisions ont pour la population une valeur légale83. Les membres des « jirgas » sont appelés « marakchi », ils sont sollicités par la population pour leurs qualités humaines et leurs connaissances des normes sociales, ils sont volontaires. Afin de résoudre un conflit, les hommes qui composent la « jirga » se retrouvent dans un endroit privé ou à la mosquée, ils sont tous égaux, ils peuvent dirent ce qu’ils veulent, cependant les injures et les propos hors sujet ne sont pas admis. Les discussions commencent traditionnellement par des histoires courtes, des proverbes avant que le fond du problème ne soit abordé. Le nombre de « marakchi » ainsi que la durée du processus varient en fonction de la gravité du sujet qui est traité. Un nombre égal de « marakchi » peut être présenté par chacune des parties. Au début de la cession, des formes de garantie appelées « machilgha » ou « baramta » sont mises en place. « Machilga » se réfère à une somme d’argent ou des biens (souvent des armes) ayant une valeur équivalent au préjudice estimé et qui est remise par chacune des parties. « Baranta » se réfère à une ou des personnes qui se portent garantes du respect de la décision de la « jirga ». Les “jirgas” se basent surtout sur les précédents appelés “Tselay” et sur le prix à payer appelé « Nerkhs » et qui est spécifique à chaque tribu. Les « Tselay » et les « Nerkhs » de la tribu Ahmed Zai constituent une référence dans la mesure où il s’agit de la plus grande tribu pashtoun. Si une partie refuse la décision finale, elle renonce à la garantie qui sera soit remise à l’autre partie soit aux membres de la “jirga”. Elle peut aussi demander à une autre “jirga” de revoir le cas, si elle n’est toujours pas d’accord avec la décision, elle peut faire appel une troisième et dernière fois, ce dernier recours est appelé « Takhm ». En cas de refus à ce dernier niveau, c’est la tribu qui décidera de la peine. 83 International Legal Foundation, the Customary Laws of Afghanistan. 29 Les « shuras » : « Shura » est un mot dari84 emprunté à l’arabe et signifiant conseil. Il s’agit d’un groupe d’anciens ou de personnes ayant un savoir-faire spécifique (représentants religieux, médecins…) qui se réunissent régulièrement ou occasionnellement afin de discuter des affaires de la communauté. Il y a une notion de continuité au niveau des « shuras », elle ne se constituent pas et ne se réunissent pas forcément pour un régler un problème particulier. La plupart des rassemblements y compris les « jirgas » pourraient être appelés « shuras » compte tenu de leur stricte obéissance aux principes de l’Islam. Il peut y avoir des « shuras » au niveau des mosquées, des communautés mais aussi au niveau politique local (districts et provinces).Ces conseils ont pour objectif de régler des conflits et interviennent aussi sur toute une série de sujets liés à la gouvernance locale. Ils jouent un rôle particulièrement important dans les zones où cohabitent plusieurs ethnies. Les « shuras » ont joué un rôle important lors des différentes guerres ou « djihad », les combattants ayant une connaissance de l’islam y avaient une influence particulière. Depuis 2002, beaucoup d’ONG et d’organisation internationales ont établi leurs mécanismes de suivi de projet en créant des « shuras » au niveau des communautés. Les termes “jalasa” et “majlas” qui signifient réunion sont aussi utilisés dans certaines régions en référence à des assemblées ou des rassemblements dont le but est de résoudre des disputes. Dans certains endroits les termes « jirgas » et « shuras » se réfèrent à des assemblées ad hoc ou permanentes, dans d’autres régions ils se réfèrent aux deux mécanismes. Il y a plusieurs concepts qui se rapportent au fonctionnement de la justice informelle en Afghanistan. L’un d’entre eux est « islah » ou conciliation, qui est mentionné à plusieurs endroits dans le Coran et qui est considéré comme un important devoir religieux religieuse. Au-delà de la simple résolution de conflit, ce concept renvoie à l’établissement ou au maintien de l’harmonie sociale et la justice85. Ce devoir religieux, rappelle le souci d’éviter à tout prix le désordre ou la division sociale au sein du groupe, . Les anciens se réfèrent à la fidélité aux valeurs sociales et religieuses, qui pousse la population à se référer aux décisions prononcées par la justice informelle et à les accepter86. Cette pression sociale est suffisamment intrinsèquement présente au sein des groupes et des communautés pour assurer le respect des décisions. Il y a cependant eu durant ces quarante dernières années une évolution de cette pression sociale qui est devenue au fil du temps moins évidente, des mesures coercitives ont été mise en place afin de garantir le respect des décisions prononcées par la justice coutumière, ceci s’explique notamment par la dislocation de certains groupes, les déplacements de populations et le rôle plus important des chefs de guerre locaux dans la gouvernance locale87. Le « pashtunwali » qui signifie la voie des pashtouns est le code de conduite appliqué dans les zones pashtounes d’Afghanistan et du Pakistan. C’est un code non écrit qui rassemble des lois et des éléments de gouvernance qui remonte à la période préislamique. Il est fondé sur les notions d’honneur et d’hospitalité, il s’applique en théorie à tous les Pashtouns, où qu’ils se trouvent. 84 Wikipedia - Dari est le nom donné à deux variantes du persan dont l'une est parlée en Afghanistan et l'autre par quelques milliers de zoroastriens autour des villes de Yazd et Kerman en Iran. 85 Noah Coburn, Informal Justice and the International Community in Afghanistan. 86 Idem. 87 Idem. 30 Le « pashtounwali » et le droit musulman se contredisent parfois. A titre d’exemple le « pashtounwali » précise clairement qu’une femme ne peut pas recevoir d’héritage, le Coran mentionne qu’une femme doit recevoir la moitié de la part que reçoivent ses frères. La plupart du temps, lorsqu’il y a des conflits comme celui-là, les leaders communautaires trouvent des solutions, la femme pourra recevoir la moitié de l’argent que son père possède, les hommes recevront quant à eux les terres. Si il s’agit d’une femme très pauvre, elle recevra probablement quelque chose, si elle n’a pas de problèmes financiers ou si elle appartient à une famille qui a les moyens, elle ne recevra rien. Ces différentes situations font l’objet de constantes négociations au sein de la communauté pashtoune. Avant de résoudre une dispute, une partie peut demander à une autre si elle souhaite résoudre le conflit en se référant au Coran ou en se référant au « pashtounwali ». Les ethnies non pashtounes utilisent le terme « rawaj » pour indiquer qu’elle souhaiteraient régler le conflit conformément aux coutumes locales. Deux autres concepts importants qui apparaissent dans le droit musulman et qui constituent des éléments importants de la justice coutumière sont « haq al abd » et « haq Allah » et qui sont respectivement décrits dans le Coran comme étant le droit des personnes et le droit de Dieu ou le droit de la communauté. Les offenses commises dans la sphère individuelle peuvent être pardonnées au travers d’une négociation et d’une compensation attribuée à la victime. Le droit de dieu fait référence aux délits ou crimes commis contre l’ensemble de la communauté comme les meurtres, qui ne peuvent pas être oubliés ou compensés et qui requièrent une peine. Cette distinction s’est avérée utile pour délimiter les juridictions coutumières. De manière générale, les leaders communautaires et les représentants du gouvernements estiment que la justice coutumière doit s’occuper des affaires dites « haq al abd » tandis que la justice formelle doit prendre en charge les affaires dites « haq Allah »88. 3.3 Les avantages de la justice coutumière Le recours aux systèmes de justice informelle prévaut dans le monde 89. Dans la majorité des cas, les systèmes de justice informelle sont plus accessibles aux populations défavorisées et apportent des solutions rapides, pertinentes, culturellement acceptées et bon marché. Les pays, en situation de post-conflit, dans lesquels les mécanismes formels peuvent avoir totalement disparu, doivent encourager les Systèmes de Justice Informelle car ils permettent de restaurer un ordre et un système judiciaire. Notons que dans certains cas, la prévalence des systèmes de justice informelle peut s’expliquer davantage par un rejet du système étatique que par une approbation des normes coutumières90. La justice informelle présente un certain nombre d’avantages. C’est avant tout un moyen de règlement des différends culturellement accepté et compris par les personnes concernées, notamment au niveau de la langue, basé sur le consensus et la réconciliation. Il vise à restaurer l’harmonie communautaire en favorisant la réintégration et la réparation des relations entre les parties en présence. C’est une justice accessible financièrement, excepté dans certains cas comme en Egypte avec les « baltagy » ou dans les Territoires Palestiniens avec certains « islah men », les acteurs de la justice coutumière interviennent dans la grande majorité sans recevoir de rétribution. 88 Noah Coburn. UNDP, UNICEF, UNWomen, Informal Justice Systems, charting a course for human rights-based engagement (2012). 398p. 90 HARPER E. Customary justice: from program design to impact evaluation IDLO/OIDD (2011), p. 118. 89 31 En termes géographiques, le problème d’accès à la justice dans les pays en voie de développement constitue un véritable enjeu : dans beaucoup de pays, les premiers postes de police sont souvent basés dans les capitales de district ou de département, les tribunaux de première instance se trouvent souvent au niveau des provinces ou des régions, les centres de détention sont localisés au mieux au niveau des régions et souvent dans le cas des centres de détention pour mineurs au niveau de la capitale. L’éloignement, les frais de transports élevés, le manque de moyens de transport n’incite pas les populations rurales à s’adresser à la justice d’état. La justice coutumière se prononce rapidement, son organisation et ses procédures sont simples est connues de tous. Dans le gouvernorat d’Hébron en Cisjordanie, bien qu’il n’y ait pas de statistiques précises, il est estimé qu’il y a peu de récidives au niveau de la justice coutumière. La pression mise par les « Islah Men », les « Mukhtars » et les « Mohakem » suffit dans les plupart des cas à dissuader les mineurs de récidiver91. La confidentialité des procédures permet aux mineurs victimes et coupables de ne pas être stigmatisés par le reste de la communauté. En Afghanistan les mineurs qui ont dû séjourner dans un centre de détention sont stigmatisés par la communauté, leur réintégration dans leur milieu d’origine est quasiment impossible, il leur est difficile voire impossible de trouver du travail, ils deviennent rapidement une charge pour leur famille, il leur est souvent impossible de se marier92. Une étude menée en 201093 révèle que 86% des Afghans interrogés estiment que les mécanismes de justice coutumière sont accessibles contre 73% pour la justice d’état, 73% estiment que la justice coutumière est juste contre 53% pour la justice d’état. 70% (contre 51% pour la justice d’état) estiment que la justice coutumière respecte les normes et les traditions locales. 66% pensent que les cas sont résolus dans des délais acceptables contre 42% pour la justice d’état. En 2011, l’Ambassade de France en Afghanistan a mandaté une étude sur les système de justice informelle dans les provinces de Kaboul et de Kapisa, qui met en avant le manque de professionnels (24.8%) et la corruption (21.8 %). Dans beaucoup de contextes, la justice coutumière est considérée comme étant une justice restauratrice contrairement à la justice formelle qui est considérée comme étant une justice punitive. Dans la justice informelle, les cas sont traités de manières plus consensuelle, les parties s’affrontent moins. Dans le sud de l’Afghanistan par exemple, dans le cas de problèmes fonciers, il est courant que les disputes se soldent par un partage de la terre. 3.4 Les limites de la justice coutumière et les résistances Qu’ils soient victimes ou coupables, la majorités des mineurs qui ont été impliqués dans des processus de justice coutumière en Cisjordanie ont été victimes de mauvais traitement. Les victimes sont souvent traitées comme des criminels, ils sont punis, et n’obtiennent aucun soutien pour ce qu’ils ont subi. Les enfants qui ont commis un délit sont souvent stigmatisées et systématiquement associés à des délinquants ou à des criminels, ils sont simplement appelés « le coupable », « le violeur » ou le « voleur »94. 91 Entretien Yann Colliou avec Muhammad Jaradat « Islah Man », Juge Tribal et conseiller auprès du Conseil Tribal, Bashar Al Tamini « Mukthar », Fayez Al Rajabi « Islah Man » à Hebron – Cisjordanie le 28 avril 2014. 92 Entretien Yann Colliou avec le directeur du centre de détention de Jalalabad ainsi qu’avec des détenus mineurs – Afghanistan, 2012. 93 The Asia Foundation. 94 Ahmad Barak, Mohammed Zaki Abu Arrah, p 42. 32 Les principales conventions et normes internationales95 en matière de justice pour mineurs ne sont pas respectées par la justice coutumière. Les conventions internationales fixent l’âge de la majorité à 18 ans, dans tous les contextes que nous avons étudiés, les acteurs de la justice coutumière associent l’âge de la majorité à la puberté soit entre 13 et 15 ans. La justice coutumière ne prévoit pas de procédures spéciales pour les mineurs et ne respectent pas dans ce domaine les conventions internationales et les lois nationales. Certaines pratiques de justice coutumière en Afghanistan ne respectent ni les lois nationales ni les lois internationales et sont parfois contraires aux principes du droit musulman96. En plus des peines financières, la justice coutumière inflige souvent des punitions dégradantes, dans les camps de réfugiés palestiniens, on rase les cheveux des voleurs, qui sont pour la plupart des mineurs et on les expose sur la place publique. L’obligation à l’exil est souvent, pour des cas graves, une peine infligée aux coupables et à leur famille, cela a pour effet de précariser ces familles et à les mettre en situation de commettre des actes délinquants pour pouvoir survivre. A Damiette en Egypte, dans le cas de meurtre avec ou sans préméditation, le meurtrier est exclu de la communauté, du village ou de la ville où il habite. Si la famille de la victime n’en exprime pas le souhait, les acteurs de la justice coutumière ne référent pas le cas à la police97. La confidentialité est l’un des piliers de la justice coutumière, ce qui induit que les coupables et les victimes ne peuvent pas recevoir de soutien extérieur de la part de travailleurs sociaux ou de psychologues par exemple, le problème de fond n’est donc pas traité. Cette situation rend toute réintégration sociale difficile et surtout favorise la récidive. Il y a un taux de récidive important, les parents ne respectent pas leurs engagements, il y a un manque d’encadrement de leur part98. La justice informelle n’est pas reconnue par la justice d’état. La justice informelle n’est pas homogène dans le pays, son organisation diffère en fonction des régions, ce qui ne la rend pas crédible aux yeux de l’état. Les décision sont prises par des personnes avec la subjectivité et l’arbitraire que cela représente99. Le fait que dans beaucoup de contextes le statut de juge coutumier se transmet de père en fils ne constitue pas une garantie en termes de compétences. Les acteurs de la justice coutumière ne sont pas nommés sur la base de leurs compétences mais sur des critères plus subjectifs. Il y a donc dans certains contextes un manque de compétences et de connaissances des normes traditionnelles de la part des acteurs de la justice informelle. En Afghanistan, les « jirgas » et les « shuras » sont exclusivement composés d’hommes, les femmes y sont exclues et de ce fait ne participent pas aux décisions prises. La justice coutumière étant présente essentiellement dans les sociétés de type patriarcal, les femmes n’ont pas leur place dans les mécanismes de justice coutumière. 95 Conventions des nations Unis pour les droits de l’Enfant, règles de Beijing… Xinxin Yang, International Development Law Organization, Support to Local Justice in Kapisa and Surobi Final Project Report. 97 Entretien Yann Colliou avec un imam, le directeur d’une école religieuse et un avocat à Damietta – Egypte le 08 avril 2013. 98 Idem. 99 Entretien Yann Colliou avec des juges coutumiers et un avocat au Caire – Egypte le 07 avril 2014. 96 33 Partie 4 : Intégrer la justice coutumière dans les programmes de développement Il devient essentiel de commencer à intégrer de manière systématique la dimension coutumière de la justice dans les programmes de développement visant à promouvoir l’accès à la justice et la bonne gouvernance. Ceci dans un souci d’efficacité, afin de garantir un meilleur accès à la justice pour les populations concernées. Les stratégies de réforme doivent intégrer les structures informelles et dans le même temps encourager des réformes adaptées. Les interventions avec les systèmes de justice informelle doivent être prévues dans toutes les stratégies de réforme holistiques ayant pour objectif d’améliorer l’accès à la justice100. Afin de surmonter les obstacles liés à l’accès à la justice, des stratégies et des réformes doivent être conçues pour des contextes spécifiques et le processus doit être piloté par les acteurs nationaux impliquant les plaignants101 aussi bien que les détenteurs d’obligations102. Pour cela, le PNUD en particulier et l’aide au développement en général doivent dans un premier temps évaluer les difficultés que les plaignants à savoir les citoyens rencontrent afin de faire respecter leurs droits et les détenteurs d’obligations à savoir les acteurs formels et informels rencontrent afin d’assumer leurs responsabilités, tout cela implique bien entendu de travailler avec les acteurs de la justice informelle103. D’un certain point de vue, le fait de ne pas reconnaître les systèmes informels pourrait être en soi discriminatoire. Dans beaucoup de contextes ces systèmes sont une composante essentielle de l’identité et de la dignité individuelle et collective des populations concernées. Dans ce cas les droits humains sont indissociables de la reconnaissance des systèmes de justice informelle en question. Les peuples indigènes ont un droit collectif à un certain degré d’autonomie normative et institutionnelle, ce qui est spécifiquement précisé dans la convention 169.27 de l’Organisation Internationale du Travail104. Les systèmes de justice informels peuvent être plus accessibles que les mécanismes formels et présenter le potentiel de fournir rapidement, et relativement à moindre frais, des recours adaptés aux particularités culturelles, avec un impact spécifique sur les femmes et les enfants. Les systèmes de justice informels peuvent servir de palliatif pour éviter d’engager des poursuites officielles contre les enfants, et sont susceptibles, à ce titre, de répondre favorablement au changement d’attitude culturelle concernant les enfants et la justice105. Il y a désormais un consensus au niveau des organisations humanitaires internationales qui considèrent qu’afin d’être exhaustifs et efficaces, les programmes de réforme du secteur de la justice doivent intégrer les aspects formels et informels de l’exercice de la justice106. 100 UNDP Doing Justice. Claim holders dans le texte initial. 102 Duty bearers dans le texte initial. 103 UNDP Doing Justice. 104 Idem. 105 Susan Bissell, Directrice générale adjointe de l’UNICEF et Chef Protection de l’enfance à la Division des programmes, 2012. 106 Gaït Archambeaud. 101 34 Considérant le champ de tension potentiel existant entre la justice d’état et la justice coutumière, il convient de procéder par étapes et selon une méthodologie appropriée par l’ensemble des acteurs. Nous présenterons dans cette partie les préalables à respecter. Toute intervention dans le domaine de la justice coutumière doit s’assurer que le fait de se référer à la coutume dans le domaine de la justice n’est pas un élément anti constitutionnel. Pour cela il est nécessaire de faire un inventaire rigoureux des textes légaux du pays concerné. Il est indispensable de procéder à une analyse de situation, en préalable de toute intervention. Cette analyse des situations doit permettre de rencontrer les acteurs de la justice d’état, les acteurs de la justice coutumière ainsi que les bénéficiaires potentiels. En nous basant sur les activités pilotes de la Fondation Terre des hommes ainsi que sur le travail réalisé par Erika Harper de l’Organisation Internationale de Droit du Développement107, nous évoquerons certaines activités qui doivent s’avérer pertinentes comme l’analyse préalable des textes légaux, la recherche, l’enregistrement de l’activité des acteurs informels, la codification de la loi coutumière et l’introduction de garanties procédurales, le rapprochement avec la justice d’état, la formation et la sensibilisation des acteurs de la justice informelle. Afin d’éviter tout malentendu sur les intentions d’une organisation de développement qui s’implique dans le domaine de la justice coutumière, nous recommanderons l’élaboration et la diffusion de principes d’action. 4.1 Préalables / Constitutions Le fait que la constitution d’un pays intègre ou non la notion de pluralisme juridique ou de manière plus précise la justice coutumière, est un préalable indispensable à considérer avant de planifier et de mettre en œuvre toute action liée à la justice coutumière, au risque de se retrouver en contradiction avec le gouvernement et d’éventuellement perdre toute autorisation d’intervention. Dans sa recherche108, le Programme des Nations Unies pour le développement constate que la plupart des régimes coloniaux ont introduit des « clauses d’incompatibilité »109, reconnaissant ainsi les lois coutumières seulement si elles ne sont pas contradictoires avec les lois européennes. Dans le même temps, la plupart des constitutions africaines reconnaissent les instances coutumières, à condition qu’elles respectent les droits fondamentaux établis dans les constitutions nationales. Bien que les formulations divergent entre les constitutions des pays ayant subi une colonisation britannique ou française, l’intention reste la même. La Fondation Terre des hommes a procédé110 à un inventaire des références faites à la coutume dans des constitutions et les textes légaux dans les Territoires Palestiniens, en Egypte, en Jordanie et au Soudan. Il ne s’agit pas toutefois d’un inventaire exhaustif, mais d’un exercice visant à identifier les principaux éléments à considérer dans le cadre de la mise en œuvre d’activités liées à la justice coutumière et aux droits de l’enfant dans ces différents contextes. 107 OIDD / IDLO International Development Law Organisation. Informal Justice Systems, Charting a course for human rights-based engagement. 109 Repugnancy clauses (dans le texte). 110 Nadège Chassaing, Terre des hommes, Study on the situation of Syrian refugee children in contact with the law in Jordan, février 2014 - Review – references to customs and religion in legal texts in Sudan, Jordan and Egypt, 2014. 108 35 Territoires Palestiniens: Le code pénal jordanien de 1960 est toujours en vigueur dans les Territoires Palestiniens bien qu’il ait été amendé en Jordanie. L’article 62, partie 2, mentionne que la loi autorise « des formes de discipline appliquées par les parents sur leurs enfants, conformément à la coutume générale111 ». La partie 6, chapitre 1, contient plusieurs articles qui permettent un allègement de la sentence ou l’arrêt des poursuites, suite à un processus de réconciliation entre les parties. Processus appelé « Solh112 » initié par le tribunal de première instance qui demande l’assistance d’un notable de la communauté, appelé Sheikh, ou d’un comité tribal afin de tenter de régler le conflit entre les parties. Dans la loi égyptienne sur les droits de la famille de 1954, l’article 50 prévoit qu’en cas de divorce ou de décès de l’un des deux époux, un arrangement sur le paiement de la dot soit trouvé en « accord avec la coutume et la tradition113 ». Soudan : la constitution intérimaire du 16 mars 2005, qui est encore en vigueur, mentionne dans l’article 5.1 que « les sources de la législation sont basées sur la Sharia et sur le consensus entre les personnes », l’ «idjma » ou assentiment de la communauté fait référence au fait que le Prophète a exprimé plusieurs fois l’idée que l’ensemble des croyants ne pourrait jamais se tromper. Cet article légitime à lui seul le recours à des mécanismes communautaires donc coutumiers. Les articles 5.2 et 5.3 font également référence à la coutume en tant que source du droit. L’article 156114 précise qu’ « un comportement basé sur des pratiques culturelles et des traditions, qui ne trouble pas l’ordre public, qui ne méprise pas d’autres traditions et qui n’est pas contradictoire avec la loi doit être considéré comme une liberté individuelle », ce qui légitime le recours à des pratiques coutumières dans la vie quotidienne. Dans la rubrique « principes généraux », article 5.2.b de la loi pour l’enfance115 de 2010 mentionne que « la bonne éducation de l’enfant est une responsabilité publique, l’état doit respecter les droits et les devoirs des parents et de la famille en vertu de la religion et de la coutume locale ». Le document de Doha pour la paix au Darfour, négocié en juillet 2011, mentionne dans le chapitre V, article 55 – 227que « la justice et la réconciliation sont des éléments intégraux et liés pour atteindre la paix au Darfour et pour maintenir les règles de droit », ce qui selon Mohamed Abdelsalam Babiker116signifie que les mécanismes endogènes peuvent jouer un rôle dans la mise en œuvre des processus de justice et de réconciliation tout en maintenant les prérogatives du système de justice formel. Jordanie: L’article 14 de la constitution de 2011 mentionne que « l’état se porte garant du libre exercice des rites et des principes religieux conformément aux coutumes en vigueur dans le royaume, et s’ils ne sont pas en contradiction avec l’ordre public ou la morale ». L’article 27 mentionne que « le pouvoir judiciaire doit être indépendant et exercé par les cours en fonction de leur niveau et de leur type117». Il serait intéressant de savoir dans ce cas si les instances coutumières sont considérées dans cet article. 111 En septembre 2006, lors de la quarante troisième cession, le Comité des Droits de l’Enfant a exprimé son inquiétude quant au fait que les punitions corporelles étaient culturellement acceptées et que conformément à cet article, les parents étaient autorisés à punir leurs enfants conformément à la coutume générale. 112 Mot arabe signifiant consultation. “in accordance with the customary practice and tradition”. 114 “Dispensing Justice in The National Capital”. 115 « Child Act 2010 ». 116 Rule of Law Darfur. Joint.Assessment Mission (DJAM), UNDP.11/29/2012. 117 “The Judicial Power shall be independent and exercised by the courts in their different types and levels”. 113 36 En Egypte, la loi pour l’enfance de 1996, amendée en 2008, le Code Pénal de 1937 et la constitution font à maintes reprises référence à la religion. L’article 9, toujours en vigueur, de la constitution de 1971 mentionne que «la famille est la base de la société, qu’elle est fondée sur la religion, la moralité et le patriotisme. L’état a pour rôle de préserver le caractère authentique de la famille égyptienne ainsi que les valeurs et les traditions qu’elle incarne… ». La loi 10/2004 formalise les processus de médiation. Les cas liés au statut personnel doivent être soumis au « Family Dispute Resolution Office » qui tente de trouver un accord entre les parties avant que le cas ne soit soumis à la cour. Par manque de ressources humaines et financières, ces mécanismes sont peu utilisés. La loi N°27/1994 ou « arbitration law » en matière civile et commerciale autorise le règlement de conflit de manière informelle et sert de base au règlement à l'amiable des différends au sein du système de justice informelle. Nous constatons en ayant réalisé cet exercice qu’aucun des textes légaux analysés dans ces quatre contextes n’interdit le recours à la justice coutumière. Au contraire, il est fait référence à la coutume à des degrés divers en fonction des contextes, en précisant qu’il s’agit, souvent au même titre que la religion d’un élément important constituant le socle de la société. Il n’y a donc pas, dans ces contextes, de contre-indication à la mise en œuvre de programmes liés à la justice coutumière. Afghanistan : Bien qu’il y ait généralement une distinction entre la justice coutumière et la justice d’état, les lois afghanes intègrent certains éléments liés aux mécanismes de résolution de conflit hors de la sphère de l’état. Les conciliateurs, par exemple, peuvent être sollicités pour aider à résoudre des cas au niveau de la cour. Le système formel incite à ce que les affaires familiales soient réglées en dehors de celui-ci. Le code de procédure civile précise que la cour peut nommer des conciliateurs au niveau de la famille du mari et de celle de la femme, qui doivent être « honnêtes et dignes de confiance ». Ils sont chargés de « trouver les causes de la dispute et de les résoudre ». De la même manière, l’arbitration par des conciliateurs est largement mentionnée dans les chapitres 7 et 11 du code de procédure commerciale. Au-delà de ces éléments, les mentions liées aux mécanismes informels faites dans les lois sont relativement rares et parfois confuses. La loi sur les Conseils Provinciaux précise que l’une de leur prérogative est de « participer à la résolution de conflits ethniques et locaux par l’organisation de conseils de paix118, mais il n’est pas fait mention de détails supplémentaires sur la manière dont ces conseils doivent être organisés, quel type de conflits ils doivent contribuer à résoudre, quels est leur niveau de relation avec le système formel. Le Haut Conseil de la Cour Suprême a publié en 1975 une série de procédures liées à la résolution traditionnelle de disputes119, qui définissent les manières de procéder, les modes d’élection ou de nomination de ceux qui sont charge de régler ces conflits et dans quels circonstances les cas doivent être soumis à la cour. Bien que ces lois soient toujours en vigueur, peu de professionnels de la justice les connaissent et s’y réfèrent120. 118 appelés « shura-e islahi ». “Traditional Dispute Resolution Guidelines”. 120 Noah Coburn, Informal Justice and the International Community in Afghanistan. 119 37 En 2009, le Ministre de la Justice a créé un groupe de travail composé d’Afghans et de représentants de la communauté internationale afin d’élaborer une politique sur les relations entre le système de justice d’état et les mécanismes informels. Cette initiative a émergé de la stratégie nationale pour le secteur de la justice en 2008 et a été approuvée par la Cour Suprême, le Ministère Public121 ainsi que par la Stratégie pour le développement national de 2008. Un document politique a été finalisé et signé par les membres du groupe de travail en décembre 2009 et le président Hamid Karzai a réitéré son soutien à ce processus lors de la Conférence de Londres en janvier 2010. Le groupe de travail s’est mis d’accord sur le besoin d’une politique nationale sur la résolution de conflits au niveau informel plus cohérente, sur l’importance de reconnaître le rôle joué par la justice informelle par les acteurs internationaux et gouvernementaux, sur le besoin de renforcer les droits de l’homme aux niveaux formels et informels. Il a été demandé aux acteurs de la justice informelle de respecter les lois afghanes, les standards internationaux et le droit religieux. 4.2 La recherche Nous entendons par recherche dans cette partie, la phase d’analyse de situation initiale qui se situe en amont de toute intervention. Cela s’adresse spécifiquement aux acteurs du développement qui souhaiteraient mettre en œuvre des programmes dans le domaine de l’accès à la justice en y intégrant la justice coutumière. Au vu du travail que nous venons de réaliser et au vu des recherches menées par la fondation Terre des hommes, nous constatons qu’il existe finalement peu de recherches qui puissent servir de base à la justification d’intervention dans le domaine de la justice coutumière. Les recherches que nous avons répertoriées sont souvent des analyses qualitatives qui apportent peu ou pas d’éléments quantitatifs sur lesquels il serait possible de se baser afin de justifier une intervention. Il nous semble nécessaire de quantifier l’activité coutumière d’un périmètre géographique donné avant de mettre en œuvre une intervention, nous détaillerons cet aspect dans le paragraphe suivant lié à l’enregistrement de l’activité coutumière. Selon l’UNICEF, il existe peu de recherches, notamment dans la littérature spécialisée, sur les enfants et les systèmes de justice informels. Il existe peu de recherches s’intéressant à cette justice pour elle-même et tâchant de la mettre en perspective de la mise en place d’une justice civile centralisée. Ce n’est pas tant que la recherche anthropologique se soit désintéressée du Yémen ou de l’Égypte, loin s’en faut, mais ces études n’ont traité le phénomène judiciaire coutumier qu’incidemment. De plus, par tropisme anthropologique sans doute, l’incidence de l’appareil étatique sur les modes d’adjudication coutumiers a été constamment négligée122. Le constat fait par Baudouin Dupret en Egypte et au Yémen peut être selon nous être généralisé à l’ensemble des pays en voie de développement. De manière générale, il convient assurément d’approfondir l’étude des différents modes de règlement des conflits, à l’entrecroisement des institutions judiciaires de l’État – avec leurs professionnels, textes de loi et stratégies – et des instances « coutumières » de justice – avec leurs propres acteurs, références et stratégies123. 121 Attorney General’s Office. Baudouin Dupret, « Le shaykh et le procureur : introduction », Égypte/Monde arabe, Troisième série, 1 | 2005, mis en ligne le 20 novembre 2008, consulté le 29 août 2014. URL : http://ema.revues.org/1034. 123 Idem. 122 38 Afin de bénéficier au mieux des constats fait par la recherche ou de l’analyse de situation initiale, nous suggérons fortement d’intégrer dès la phase de recherche l’option de mettre en œuvre des activités pilotes, au vu des résultats de la recherche. Cela permettra d’établir immédiatement un réseau d’acteurs au niveau de la justice informelle sur lequel pourront s’appuyer et s’organiser les activités pilotes qui seront abordées sous l’angle de la recherche/action. Afin que la recherche ou l’analyse de situation initiale puisse servir de base à une intervention, nous suggérons de respecter l’approche suivante. Le document final devrait comporter les éléments suivants : - une première partie d’introduction présentant le contexte, les objectifs et le cadre de la recherche, la méthodologie utilisée ainsi que la revue documentaire sur laquelle va s’appuyer la recherche. - une seconde partie présentant les contours du système de justice étatique, ses lois, ses caractéristiques, ses principaux acteurs ainsi que les procédures en termes de prévention, de détention, de détention provisoire, d’enquête, de poursuite judiciaire et de condamnation. - une troisième partie présentant les principaux constats de la recherche au niveau de la justice coutumière et sa structuration autour des acteurs (les acteurs individuels, les institutions publiques et les institutions non étatiques qui ont un rôle dans le domaine), des phases d’intervention (l’identification des cas, les méthodes d’investigation criminelle, la condamnation, la réconciliation), les interactions s’il y en a entre la justice coutumière et le système formel et finalement l’analyse du système de justice informel (les raisons pour lesquelles le système est utilisé, la perception de la population et des acteurs étatiques par rapport à ce système, les limites du système telles qu’identifiées par les personnes ayant été examinées). - une dernière partie doit apporter des recommandations sur la faisabilité ou les difficultés d’activités pilotes et éventuellement d’une implication à plus long terme dans ce domaine. 4.3 L’enregistrement de l’activité coutumière Les pratiques locales et communautaires de règlement de conflit restent majoritaires dans les pays en voie de développement, nous ne disposons cependant pas de statistiques souligne Etienne Le Roy, quelques éléments statistiques sont présentés dans les contributions, mais on ne dispose pas d’enquêtes fiables sur les rapports que les populations locales entretiennent avec la justice coutumière. Le fait que les décisions prononcées par les « jirgas » et les « shuras » en Afghanistan ne sont pas enregistrées peut engendrer des disputes lorsqu’un cas ressurgit, il est impossible de se référer de manière objective aux décisions prises dans le passé sur un cas précis124. Malgré la difficulté d’obtenir des chiffres et un contrôle satisfaisants, le suivi et l’enregistrement des résultats des systèmes de justice informelle sont les conditions de la transparence et surtout de la sécurité juridique du système. Mais la collecte de données et leur vérification restent affaires complexes, notamment au niveau communautaire, du fait de l’absence de compensation financière pour les personnes en charge de ce suivi, et la nécessité qu’ils soient alphabétisés. 124 Xinxin Yang, International Development Law Organization, Support to Local Justice in Kapisa and Surobi Final Project Report. 39 Pourtant deux types de surveillance peuvent s’adapter aux systèmes de justice informelle : d’abord « au niveau étatique, la surveillance pourrait comprendre un examen des cas résolus de manière traditionnelle par la Cour, des structures spécialisées qui reçoivent et enquêtent sur les plaintes tels que les ombudsman, ou des mécanismes qui contrôlent l’application des résultats ». Ensuite, au niveau local, avec le soutien d’ONG locales ou internationales chargées de détecter des tendances problématique plutôt que de signaler des cas précis d’abus125. C’est notamment dans ce cadre que la Fondation Terre des hommes a initié en 2013 des projets d’enregistrement de l’activité des acteurs de la justice coutumière dans la Bande de Gaza, en Cisjordanie et en Egypte. Dans chacun de ces contextes, entre 5 et 10 juges coutumiers sont suivis depuis plusieurs mois par des collaborateurs de Terre des hommes, qui les rencontrent de manière très régulière et qui enregistrent sur une base de données les informations suivantes, exclusivement pour les mineurs : - la date de l’enregistrement du cas ; - le nom du juge coutumier ; - le sexe et l’âge de la personne concernée; - la localisation géographique (non du district par exemple) ; - le rôle de l’enfant (accusé, victime, témoin) ; - comment le cas a été référé au juge coutumier ; - explication narrative du cas ; - le type d’offenses (bagarre, vol, agression sexuelle, meurtre, autre) ; - informations sur le juge coutumier (médiateur, leader religieux, autre) ; - est ce que le juge coutumier a rencontré l’enfant ? - est ce que l’enfant ou sa famille a eu accès à des conseils juridiques ; - est ce que il y a intervention d’un expert dans le processus ? - comment les faits ont-ils été étudiés par le juge coutumier ? - l’opinion du juge coutumier ; - comment le cas s’est-il soldé ? - durée de la procédure ; - nombre de cessions nécessaires à la résolution du cas. Ces informations sont confidentielles et ne comportent aucun élément permettant d’identifier les cas. Lors de chaque rencontre avec les juges coutumiers, il leur a été demandé le nombre de cas d’adultes qu’ils ont eu à traiter, mais ceci sans rentrer les détails. A ce stade, environ 500 cas ont été enregistrés, nous n’avons pas encore procédé à une analyse des données, mais nous pouvons déjà faire certains constats intéressants comme par exemple dans le district d’Abu Tig en Haute Egypte ou nous constatons que 61% de l’activité des acteurs de la justice coutumière concernent les enfants, la proportion est moindre mais reste majoritaire dans les Territoires Palestiniens. L’analyse des données devrait nous permettre, en plus, de quantifier l’activité de la justice coutumière, d’en connaître les procédures, d’évaluer le temps passé pour la résolution des cas, de mieux connaître les types de cas et les difficultés rencontrées, de quantifier précisément l’activité de la justice coutumière par rapport à la justice formelle et pour laquelle nous avons accès aux statistiques en tant qu’ONG internationale enregistrée dans ces pays et active dans le domaine de la justice… Il s’agit là à notre avis d’une activité innovante dans la mesure ou à notre connaissance il n’y a pas d’expérience similaire qui ait été menée dans d’autres contextes. 125 E. Harper, Customary justice: from program design to impact evaluation, IDLO/OIDD, 2011, p 49. 40 Ce type d’activité n’est possible que pour des organisations travaillant dans le domaine de la justice avec des accréditations formelles de la part du gouvernement. Ce type d’activités requiert un très bon niveau de confiance entre les acteurs de la justice coutumière et les collaborateurs chargés de la collecte des données, il s’agit là d’informations considérées comme sensibles et extrêmement confidentielle, de notre point de vue, seules les organisations répondant à ces différents critères et ayant une assise solide dans les contextes en question peuvent se permettre de mettre en œuvre de telles activités. 4.4 Codifications de la loi coutumière et l’introduction de garanties procédurales Comme nous l’avons vu dans la troisième partie de ce travail, les systèmes de recours existent dans la justice coutumière, les personnes ou les parties qui ne sont pas satisfaites du verdict rendu peuvent entamer des procédures de recours. Cependant, le fait que la justice coutumière ne soit pas écrite la rend vulnérable et susceptible d’être remise en question, elle est sujette à interprétation de la part des juges coutumiers. En tenant compte de la spécificité de chaque contexte, il pourrait être intéressant d’envisager une codification des principes généraux de la justice coutumière, il pourrait s’avérer pertinent de rédiger certaines des décisions prises afin qu’elles puissent faire jurisprudence de manière objective. Ce type d’activités pourrait répondre à certaines préoccupations mais requiert des moyens très importants. La codification de la loi coutumière pourrait permettre de contrecarrer l’une des principales limites des systèmes de justice informelle, à savoir l’imprévisibilité intrinsèque des décisions, due à l’absence de normes clairement établies et écrites, et d’harmoniser les secteurs formels et informels. Néanmoins il existe trois principaux obstacles à cette codification. Certaines personnes recourant aux systèmes de justice informelle sont analphabètes, la codification renforcerait l’inaccessibilité de la justice et la discrimination envers ces populations. De plus, les systèmes de justice informelle doivent conserver leur caractère flexible, une codification viendrait paralyser cette justice supposée dynamique. Enfin, ces systèmes fonctionnent au cas par cas, la codification fixerait des standards généraux immuables, réduisant alors son efficacité. Une alternative à la codification, de plus en plus utilisée, est les « déclarations ou constatations » , des documents écrits qui décrivent les principes clefs des systèmes de justice informelle sans pourtant prescrire d’obligations126. Les garanties procédurales assurent une meilleure protection des droits de l’homme dans le domaine de la justice, notamment en atténuant les écarts de richesse et de connaissances entre les personnes. Il s’agit d’introduire des normes minimales de protection, des critères de recevabilité des preuves ou encore de déterminer les peines encourues. De plus, un phénomène de corruption, dû à l’absence de rémunération des leaders communautaires, doit être endigué. Une première action consisterait à lutter contre les facteurs favorisant cette corruption. L’Etat pourrait leur allouer une rémunération ou un salaire, ou des contributions pourraient provenir de la communauté, afin de les rendre autonomes et surtout indépendants, sans toutefois entraver leur légitimité. 126 E. Harper, Customary justice: from program design to impact evaluation, IDLO/OIDD, 2011, p.45. 41 Une deuxième action pourrait être de s’appuyer sur les normes anti-corruption afin d’initier des programmes contre la corruption offrant, par exemple, un mécanisme de plainte aux communautés ou imposant un code de conduite127. 4.5 Rapprochement avec la justice d’état Le rapprochement avec la justice d’état constitue un véritable enjeu mais aussi une nécessité, de notre point de vue il n’est pas concevable de continuer à envisager des interventions dans le domaine de l’accès à la justice dans les pays en voie de développement sans considérer les deux dimensions de la justice à savoir la justice d’état et la justice coutumière. Cet élément est crucial et devrait être considéré non seulement comme un objectif ou un résultat à atteindre mais probablement comme un élément de la finalité d’un projet. Prosper Nkou Mvondo128 constate que le droit au Cameroun est une transposition des solutions juridiques élaborées en Occident et que de fait il est ignoré par les camerounais qui, pour régler les litiges qui naissent entre eux, s’orientent vers des justices parallèles qui lancent un véritable défi à la justice d’état. Mais dans la mesure où celles-ci participent à la régulation sociale et au maintien de la paix, il se demande s’il ne serait pas plus indiqué pour l’état camerounais de les apprivoiser et de les modeler plutôt que de les combattre ? Cette question est pertinente pour bon nombre de contextes. Comme nous l’avons vu précédemment, bien que les textes légaux des pays que nous avons étudiés à la partie 3.1 intègrent la notion de coutume, il ne faut pas non plus partir du principe que les pratiques de justice coutumière sont partout les bienvenues, elles se heurtent dans bien des cas aux représentants de la justice d’état qui ne font que la tolérer, ils en admettent l’existence en rappelant toutefois qu’un état de droit ne peut s’exprimer qu’en référence à un système de justice centralisé dont les instances juridiques formelles du pays en question sont le garant. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, l’UNICEF collabore avec le Secrétariat des tribunaux de village au sein du Ministère de la Justice pour élaborer des matériaux de formation nationale et établir des procédures de soumission et de renvoi devant les tribunaux ainsi que des systèmes de suivi et d’évaluation à l’intention des juges et des auxiliaires de justice qui officient dans les tribunaux de village. Cet effort englobe les droits fondamentaux des enfants et des femmes ainsi que d’autres droits garantis par la constitution et les instruments relatifs à l’administration de la justice pour mineurs. Dr. Ahmad Barak, procureur général adjoint de l’Autorité Palestinienne préconise qu’il serait nécessaire de légiférer afin de définir les prérogatives de la justice coutumière et de préciser les liens qu’elle devrait avoir avec la justice d’état. Selon lui, son rôle devrait se limiter à garantir la paix sociale et à veiller à l’application des décisions en cas de peine financière infligée au coupable. Il précise que dans des cas d’homicide, la justice coutumière ne doit en aucun cas se substituer au Ministère Public. “Il serait important que les décisions prises par les acteurs de la justice coutumière soient reconnues ou valisées par la justice formelle afin que les personnes concernées puissent s’y référer »129. 127 128 129 Idem, p.44. La Justice parallèle au Cameroun : la réponse des populations camerounaises à la crise de la Justice de l’Etat. Entretien Yann Colliou avec des juges coutumiers et un avocat au Caire – Egypte le 07 avril 2014. 42 4.6 Formation et la sensibilisation des acteurs de la justice coutumière La formation des acteurs de la justice coutumière est un enjeu important. Comme nous l’avons constaté dans les parties précédentes, les représentants de la justice coutumière sont souvent nommés, élus sur la base de leur âge, sur leur connaissance des préceptes de l’islam dans les contextes islamiques, sur leur réputation, parfois sur leur niveau d’éducation, sur leur niveau social ou sur celui de leur famille, sur le rang qu’ils occupent dans la communauté et sur d’autres critères somme toute assez subjectifs. Or le domaine de la protection de l’enfance, car la justice coutumière s’adresse notamment dans certain contextes en majorité à des enfants, il y a des éléments essentiels qui doivent être connus et intégrés par les acteurs de la justice coutumière afin que l’intérêt supérieur de l’enfant soit placé au centre de toutes les démarches. Le gouvernorat d’Assiout en Haute Egypte comprend 11 districts et 44 Comités Coutumiers qui se réunissent de manière ad hoc en fonction des problèmes qui leurs sont soumis par la communauté. Ils sont composés de membres jouissant d’un certain statut et d’un certain niveau d’éducation dans la communauté, ils interviennent sur la gestion de conflits. Ils ont émis le souhait d’être formés ou sensibilisés aux questions liées aux conséquences de l’abandon scolaire, de délinquance juvénile, du mariage précoce, du développement psychosocial des enfants130. L’organisation d’ateliers de travail pour les « islah men » et les juges tribaux en Cisjordanie est à prévoir, afin de leur présenter les standards internationaux en matière de justice juvénile et d’attirer leur attention sur le danger des procédures menées par des organes non officiels131. L’élaboration de guides de procédure se référant aux standards internationaux et à la législation nationale en matière de justice pour mineurs est également à prévoir. Dans le même temps des sessions de formation pourraient être organisées par le Ministère de l’intérieur et les représentants des gouvernorats.132 Il est capital de cibler les leaders locaux pour améliorer la qualité des systèmes de justice informelle dans la mesure où ils sont responsables de la protection des droits. Le renforcement de compétences des leaders communautaires passe par une formation ciblée dans des domaines clefs. La discussion qui fait partie de la formation doit porter sur les principes coutumiers du droit, la prévention de la corruption, l’apprentissage des techniques de médiation, les questions de genre et enfin le droit étatique afin qu’ils sachent articuler les systèmes formels et informels dans le vue d’un rapprochement avec les acteurs de la justice formelle133. 130 Entretien Yann Colliou avec les membres de comités coutumiers à Assiut – Egypte le 04 avril 2013. Ahmad Barak, Mohammed Zaki Abu Arrah, p46. 132 Ahmad Barak, Mohammed Zaki Abu Arrah, p46. 133 E. Harper, Customary justice: from program design to impact evaluation, IDLO/OIDD, 2011, p.45. 131 43 4.7 L’élaboration de principes d’action Nous estimons qu’un système de justice pour mineurs est un indicateur de bonne gouvernance, ce n’est bien entendu pas le seul, mais un état qui est doté ou qui fait des efforts pour se doter d’une législation spécifique, de tribunaux pour enfants, de professionnels formés et compétents, d’alternatives à l’emprisonnement…est un état qui est sur la bonne voie en termes de bonne gouvernance, sous réserve bien entendu que ces démarches soient sincères et ne soient pas simplement mises en place pour rassurer la communauté internationale en vue d’obtenir des aides financières. La finalité d’un projet de développement visant à améliorer l’accès à la justice en intégrant la justice coutumière doit aller en même temps dans le sens d’un renforcement du système de justice formel qui est finalement l’un des principaux garants de l’état de droit. Afin d’éviter toute ambiguïté, il nous semble indispensable d’élaborer des principes d’action à l’attention des partenaires et des autorités locales, afin de clarifier les intentions du projet et de l’organisation qui le coordonne. Ils peuvent comporter les éléments suivants : - en premier lieu une présentation succincte de l’objectif du projet. - le point de vue de l’organisation par rapport au système de justice d’état en mentionnant par exemple qu’un système judiciaire officiel conforme aux normes internationales sur les droits de l’enfant est une garantie essentielle pour la protection des enfants contre les abus, l’exploitation ou autres violations de leurs droits. - une justification de la pertinence de l’intervention au niveau de la justice coutumière, en précisant, par exemple, que dans les pays en voie de développement, les communautés peuvent percevoir les services de justice officiels comme étant inaccessibles ou inefficaces en raison de leur affiliation à des régimes corrompus ou oppressifs ; que les systèmes judiciaires officiels et l’état de droit dans les pays de la région en question ont souvent besoin d’être renforcés en accord avec les normes internationales sur les droits de l’homme, que la majorité des litiges ou des conflits dans les pays en développement sont réglés par les services de justice informelle en raison de leur capacité à produire des réponses rapides et bon marché aux poursuites civiles, que les systèmes de justice informelle sont particulièrement appropriés dans les pays de la région concernée pour résoudre des conflits qui impliquent des clans, des familles et des individus, parce qu’ils restaurent l’harmonie dans la communauté, que le renvoi des délits mineurs à travers des mécanismes communautaires donne souvent des résultats positifs, que les services officiels et alternatifs peuvent se compléter. - les limites de la justice coutumière telles que le fait de ne pas intégrer les standards et les normes internationales de justice pour mineurs par exemple, le manque de transparence et parfois d’équité dans les décisions, les conséquences néfastes pour l’individu au détriment de la paix sociale, les problématiques liées au « genre » et au fait que les femmes ne sont pas considérées dans les mécanismes de justice coutumière. 44 - ce que l’organisation se propose de faire comme, par exemple, encourager l’Etat de droit et la bonne gouvernance, y compris le monopole étatique sur l’usage de la force, encourager les processus de détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant en conformité avec les principes des droits de l’enfant internationaux, encourager la diversion seulement dans les cas appropriés, tels que les infractions mineures, les premières infractions, etc, travailler avec des systèmes de Justice Informelle qui acceptent l’Etat de droit, les droits de l’enfant nationaux et internationaux, et qui sont connectés aux procédures officielles de justice juvénile. - ce que l’organisation s’engage à éviter : par exemple soutenir les systèmes de Justice Informelle qui commettent des violations flagrantes (telles que la torture ou autres moyens abusifs), qui utilisent des châtiments physiques cruels tels que l’amputation ou qui infligent la peine de mort à des enfants, ou encore des sanctions à la victime telles que le mariage forcé ou la mise à mort des victimes de viol. Eviter aussi de soutenir les systèmes de justice Informelle qui punissent les enfants pour des actions qui ne sont pas pénalisées par la législation du pays en question, les systèmes de Justice Informelle qui ferment les yeux sur les crimes contre les enfants qui sont pénalisés par la législation du pays (par exemple les crimes d’honneur). 45 Conclusion Nous constatons, malgré l’obligation fondamentale que les états ont d’assurer un accès inconditionnel à la justice, qu’il y a malheureusement un fossé énorme entre cette théorie et la réalité à laquelle doit faire face la population des pays en voie de développement. Ce travail nous a permis de constater que le manque d’appropriation des systèmes de justice formelle par la population n’est pas seulement dû à une défaillance de l’état mais aussi à un autre facteur : l’objet de la justice consiste dans les sociétés occidentales de conception judéo chrétienne à établir la vérité et à rétablir la victime individuelle dans son bon droit. L’objet de la justice dans les sociétés de type patriarcal ou clanique, c’est-à-dire dans la plupart des pays en voie de développement, consiste à préserver le lien social et l’harmonie au sein de la communauté. De fait les institutions judiciaires qui représentent l’ordre juridique étatique ne sont dès lors pas vraiment adaptées aux besoins d’une grande partie de la population. Bien qu’il existe certaines initiatives qui vont le sens d’une reconnaissance des systèmes de justice coutumiers, elles restent insuffisantes au regard des besoins. Les états en question et la communauté internationale doivent prendre conscience de cette situation et engager les réflexions et les moyens nécessaires afin de réduire la fracture entre le droit positif des pays en voie de développement et les pratiques juridiques endogènes qui finalement ont survécu aux politiques d’assimilation des puissances coloniales et au manque d’attention de la part des gouvernements qui se sont succédés depuis la décolonisation. Compte tenu de ces constats, les stratégies de réforme du secteur de la justice doivent intégrer la dimension coutumière de la justice, il s’agit là d’une nécessité si l’objectif est de promouvoir et de garantir un accès à une justice adaptée au plus grand nombre. Mais la tâche n’est bien entendu pas simple, surtout si l’on tient compte des tensions persistantes entre une justice d’état souvent qualifiée de centralisatrice et d’hégémonique et ’une justice coutumière dont les codes et les normes sont parfois considérés comme incompatibles avec les notions d’état de droit et de bonne gouvernance. Afin de dépasser ces clivages, il convient donc, de notre point de vue, d’aborder cette situation, non pas de manière globale mais de manière spécifique à chaque contexte en privilégiant des programmes reposant sur une excellente connaissance des mécanismes de règlement de conflit et des acteurs. Elle passe par des recherches rigoureuses sur les systèmes de justice coutumiers et sur leurs pratiques, par une parfaite connaissance des profils multiples des acteurs de la justice coutumière et par la mise en œuvre d’activités pertinentes qui doivent in fine privilégier le rapprochement et l’articulation intelligente entre la justice d’état et la justice coutumière. Par définition, la force du droit ne peut être opérante que si ce dernier a été diffusé et accepté par le plus grand nombre, elle procède non pas de l’autorité d’un législateur mais de la reconnaissance dont ses règles sont l’objet. Cela passe par un décloisonnement notamment géographique et linguistique ainsi que par une démocratisation des systèmes de justice étatiques. L’accès à la justice se définit de manière générale par la possibilité pour la population d’obtenir justice au travers d’institutions formelles ou informelles, en conformité avec les standards internationaux des droits de l’homme. L’enjeu sera donc pour la justice coutumière de faire évoluer ses pratiques ainsi que le profil et les compétences de ceux qui se présentent comme ses représentants et ses garants. 46 Bibliographie Ahmad Barak, Children in Conflict with Law and Informal Justice System in Hebron Governorate, 2013. Ali Wardak, Centre for Criminology, University of Glamorgan Building a Post- War Justice System in Afghanistan. Anne-Claude Cavin, Droit de la Famille Burkinabé: Le code et ses pratiques à Ouagadougou Baudouin Dupret et François Burgat, le shaykh et le procureur, Systèmes coutumiers et pratiques juridiques au Yémen et en Egypte, 2005. Birzeit University, Institute of Law, Informal Justice: Rule of Law and Dispute Resolution in Palestine, 2006. Bernard Dupaigne, Gilles Rossignol, Le carrefour afghan, Gallimard, 2002. Deyssi Rodriguez-Torres, La justice expéditive à Nairobi, Informalité ou formalité juridique ?, 1998. DFID, Department for International Development, Non-state Justice and Security Systems, May 2004. Dr. Ahmad Barak, Research Assistant Mohammed Zaki Abu Arrah, Children in Conflict with Law and Informal Justice System in Hebron Governorate, Palestine 2012-2013 E. Harper, Customary Justice: From Programme Design to Impact Evaluation, IDLO, 2011. Elham Mohamoud Mohamed, Ashraf Mohamed Abdel Mon’em, Adel Mohamed Badr, An assessment of the informal juvenile justice system in Assiut, Cairo and Damietta Governorates, Terre des hommes, August 2013. Etienne Cornut, La juridicité de la coutume kanak, Droit et cultures, Revue internationale interdisciplinaire. Etienne Le Roy, Présentation de la modernité de la justice contemporaine en Afrique francophone, Droit et société, 2002. Ewa Wojkowska, Doing Justice:, How informal justice systems can contribute, December 2006. Gilles Paisant, La place de la coutume dans l’ordre juridique haïtien. Gaït Gauhar Archambeaud, A situation analysis of Juvenile Justice and Child Protection in Alternative Dispute Resolution in three areas of Afghanistan: Rostaq district, Nangarhar province, Kabul city, 2014. Guillemette Launoy, Synthèse documentaire sur la situation des enfants dans les systèmes de justice informelle, 2013. Henri Klimrath, Etudes sur les coutumes, 1837. 47 International Legal Foundation, the Customary Laws of Afghanistan, 2004. Jacques Vanderlinden, Essai sur les juridictions de droit coutumier dans les territoires d’Afrique centrale, 1959. Joseph John-Nambo, Religion et Droit Traditionnel Africain, Un passeur entre les monde, Jacqueline Le Roy, Publications de la Sorbonne, 2000. Le Shaykh et le procureur : introduction, Baudouin Dupret, 2005. Les juridiction traditionnelles du Cameroun Oriental, 1969. Martine Grinberg, La rédaction des coutumes et des droits seigneuriaux, Annales. Histoire, Sciences Sociales, 1997. Nadège Chassaing, Terre des hommes, Study on the situation of Syrian refugee children in contact with the law in Jordan, février 2014. Nadège Chassaing, Terre des hommes Foundation, Review – references to customs and religion in legal texts in Sudan, Jordan and Egypt, 2014. Nadège Chassaing, Terre des hommes Foundation, Review – references to customs and religion in legal texts in the Palestinian Territories, 2014. Nkou Mvondo Prosper, « La Justice parallèle au Cameroun : la réponse des populations camerounaises à la crise de la Justice de l'État », Droit et société, 2002/2 n°51-52, p. 369-381. Noah Coburn, United States Institute of Peace, Informal Justice and the International Community in Afghanistan, 2013. Norwegian Refugee Council, Customary Dispute Resolution Mechanisms in the Gaza Strip, 2012. Palestinian Centre for Human Rights in Gaza / Terre des hommes Foundation, Assessment of the Customary Justice System in the Gaza Strip and its Treatment of Children in Conflict with the Law and Child Victims, 2013. Patrick Courbe - Jean-Sylvestre Bergé, Introduction générale au droit, Dalloz, 2013. Philippe Laburthe-Tolra, Déontologie médicale et tradition africaine. Un équivalent du serment d’Hippocrate chez les Beti du Cameroun, 2000. Prosper Nkou Mvondo, La Justice parallèle au Cameroun : la réponse des populations camerounaises à la crise de la Justice de l’Etat, Droit et société 51/52-2002. Sarah Ben Néfissa, Les assemblées d’arbitrage en Egypte, 2005. Stanislas Melone, Les juridictions mixtes de droit écrit et de droit coutumier dans les pays en voie de développement, 1986. 48 Philippe Jestaz, Les sources du droit, Dalloz, 2005. The Asia Foundation, Afghanistan in 2010, A Survey of the Afghan People. Virginie Saint James, Sujets et sources du droit international public – la coutume internationale. Yves Meny, les Conventions de la Constitutions,1989. UNICEF / UNWOMEN / UNDP, Informal Justice Systems, Charting a course for human rights-based engagement. Xinxin Yang, International Development Law Organization, Support to Local Justice in Kapisa and Surobi Final Project Report, 2013. 49