UX TEXTES – MÉCONNUS – OUBLIÉS – RETOUR AUX TEXTES – DIABOLISÉs – OCCULTÉS – OUBLIÉS – MÉCONNUS – Éric Zemmour Sommaire => ICI III - l’historien L a ch u t e d e R o m e (3/4) par Danièle Masson Les hommes sont-ils les artisans de l’histoire ? Après « Carthage », Zemmour donne à ses chapitres non des noms d’hommes, mais leur fonction symbolique et politique : « l’Empereur, le Chancelier, le Maréchal, le Général » ; et enfin « le Commissaire ». Jusqu’à Napoléon, on peut dire que, malgré les conflits avec les puissances étrangères, malgré les coalitions contre l’Empereur ou ses conflits internes – démesure de Napoléon selon Bainville, excès de mesure selon Zemmour – les hommes tentaient d’être les artisans de l’histoire. Mais l’échec marquait souvent leur tentative : « impasse stratégique de la monarchie capétienne, enthousiasmes révolutionnaires sans lendemain ; gloire impériale ternie par les défaites finales ». (1) Pour lui la grandeur de la France s’acquiert par les conquêtes et la guerre, et ce n’est pas son moindre mérite de montrer l’importance des frontières à établir ou à défendre, des « contours et des conteurs » selon le mot de Régis Debray, souvenir du Limes, les frontières fortifiées de l’Empire romain, édifiées contre les incursions barbares. Mais il exprime son désenchantement : « Depuis Waterloo, la France ne maîtrisait plus son histoire. Elle avait accepté d’être le fidèle second de l’Angleterre ». (2) Après l’empereur français, le chancelier allemand imprime sa marque dans l’histoire, en étant l’artisan de l’unité allemande, mais sans franchir les lignes rouges tracées par Londres : «pas de marine ni d’empire colonial ». Quant au maréchal, Zemmour prend le lecteur à contre-pied en louant le Philippe Pétain de 1940 et fustigeant celui de 1917. L’armistice inévitable – selon De Gaulle lui-même – permit à la France de refaire ses forces et de conserver son empire colonial. Lorsqu’il arrêta l’avance des chars allemands, Pétain sauva la vie de tous les Français d’Algérie, et donc de sa famille à lui, Éric Zemmour. Mais selon lui, Philippe Pétain a fait en 1917 une faute contre la France en attendant les Américains, alors que la vraie victoire eût été sans eux, et que le délabrement de l’armée allemande l’eût permis. Attentisme, pusillanimité : Zemmour l’accuse de fautes qui sont inhabituelles chez ses détracteurs : « Le pétainisme fut avant tout un pacifisme ». (3) Et c’est par le pacifisme qu’il explique le paradoxe français : « La gauche fut dominante dans la collaboration parce qu’elle fut dominante dans le pacifisme ». (4) À De Gaulle, Zemmour voue une admiration circonspecte. Il ne s’attarde pas sur le machia- Classement : 2Gf23 • 02/ 2017 Aller à => dossier origine de ce texte – Retour à l’accueil => reseau-regain.net 1/3 vélisme de l’homme et la tragédie de l’indépendance. Il lit l’histoire en général, celle de l’Algérie en particulier, à travers la grille démographique : les colonies de peuplement sont insuffisamment peuplées. En revanche, grâce à la France, la démographie arabe explose. Si la domination anglaise s’explique aussi par le triplement de sa population entre 1800 et 1900, l’explosion de la démographie arabe rendait inéluctable le drame algérien. Zemmour n’oublie pas la destinée romaine de la France, et juge l’abandon à cette aune : « Avec l’indépendance de l’Algérie, ce n’était ni un comptoir, ni une colonie, mais un destin qui s’effaçait ». (5) Et il n’élude pas l’échec du général. L’un des motifs de l’indépendance fut d’éviter que Colombey-les-deux-Églises ne devînt Colombeyles-deux-mosquées. En 1960, De Gaulle confie à Alain Peyrefitte : « Il ne faut pas se payer de mots. C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne ». (6) Et donc, conclut De Gaulle, « les musulmans ne sont pas des Français ». Zemmour aime à rappeler Marx : « L’homme fait l’histoire, mais il ne sait pas l’histoire qu’il fait ». L’indépendance a grossi les flux migratoires qu’elle était censée éviter. Modèle d’hétérotélie et même, si l’on osait ce néologisme, d’énantiotélie. Avec l’avènement du « Commissaire », s’évanouissent la volonté humaine et l’identité française. Le commissaire est sans visage, et Zemmour ne cite que Jean-Claude Trichet, devenu gouverneur de la BCE et qui déclara dans sa première conférence : « I’m not French ». Valéry Giscard d’Estaing fut le « seul politique français dans l’histoire du XXème siècle qui ait assumé publiquement le déclin français ». (7) À la place des chefs d’État qui n’ont plus le pouvoir mais sont « aux responsabilités », montent en puissance les technocrates et les juristes. Et ce pouvoir anonyme est incontesté : « l’Europe relève du sacré. Gauche et droite refusent tout débat à ce sujet ». Les réticences ou les refus d’un peuple sont escamotés. Zemmour a des formules fortes : « diabolisation des frontières ; l’euro, outil masochiste de torture pour les industries françaises ». Et, pour une géographie devenue folle, « un Saint Empire américain de nations germaniques ». (8) Avec comme point d’ancrage Bruxelles : « Un laboratoire. D’une Europe dont la capitale est celle d’un empire sans État. Un rêve, un fantasme, un aveu. Un laboratoire de la mondialisation aussi ». (9) Bruxelles en Belgique, cette Gallia Belgica qui était une des Gaules de Jules César, que Zemmour aurait voulu réunir à la Françe, à l’image de la réunification des deux Allemagne. Au-delà de l’homme qui n’est plus l’artisan de l’histoire, « l’Europe subit une histoire qu’elle n’écrit plus », (10) si bien qu’une « Europe réellement européenne ne pourrait naître qu’en dehors et contre l’Union européenne ». (11) La mondialisation est une revanche du nomadisme sur la sédentarité, selon le songe de Jacques Attali qui rêve d’un gouvernement mondial, et de l’avènement d’un monde nomade et déraciné. Le dernier chapitre de Mélancolie française se focalise sur le drame de l’immigration. Comme il a comparé Sarkozy réintégrant l’OTAN aux figures du XIXème siècle – « LouisPhilippe l’emportait sur Napoléon et Talleyrand Classement : 2Gf23 • 02/ 2017 Aller à => dossier origine de ce texte – Retour à l’accueil => reseau-regain.net 2/3 sur Richelieu » - (12) son auteur lit l’incapacité de la France à maîtriser son destin à travers la chute de l’Empire romain. La cause de celle-ci, c’était à la fois son déclin démographique et son impuissance à assimiler les populations barbares. Or, si l’on vante aujourd’hui le dynamisme démographique de la France, « la France est un borgne démographique au pays des aveugles européens ». Surtout, « notre dynamisme démographique est branché sur le moteur à explosion maghrébin et africain ». (13) Comme Rome jadis en sa chute, la France renonce à l’assimilation à la culture dominante. Elle suit ainsi les principes de base communs de l’Union européenne en matière d’intégration des immigrants, qu’adopte en 2004 le Conseil des ministres « Justice et affaires intérieures ». Zemmour en cite le premier article : « L’intégration est un processus dynamique, à double sens, de compromis réciproque entre tous les immigrants et résidents des États membres ». (14) Plus d’assimilation donc, mais interaction et négociations entre cultures égales. Sur la mondialisation, l’islam surfe et prospère : les rebelles de « Nique ta mère » « sont parfaitement insérés dans une mondialisation sous domination américaine ». (15) L’islam instrumentalise et subvertit l’égalitarisme : « l’islam a modernisé son message en le déterritorialisant […] Il est désormais un marqueur identitaire qui efface tous les autres ». (16) Ce chapitre sur la chute de Rome, Zemmour ne devait pas l’écrire. Il s’y est résolu à cause de deux phénomènes de société : le désert démographique de l’Europe, la désintégration de pays européens (Catalogne, Italie du Nord, etc.) et de la France, en particulier, qui risque de redevenir « cet agrégat institué de peuples désunis » que décrivait Mirabeau à la veille de la Révolution française. Ce dernier chapitre est apocalyptique. Son auteur rappelle que la France est le pays des guerres civiles, qu’elle est sortie des guerres de religion par la sacralisation du pouvoir d’État, et que ce qui a arrêté ces guerres, c’était la monarchie absolue. L’abaissement actuel du politique n’est pas propice à une renaissance. Jacques Bainville qui achève son histoire de France sur les lendemains de la Première Guerre mondiale, garde espoir en une France apte à se redresser : « Après toutes ses convulsions parfois plus violentes qu’ailleurs, la France ne tarde pas à renaître à l’ordre et à l’autorité dont elle a le goût naturel et l’instinct […] Si l’on n’avait cette confiance, ce ne serait même plus la peine d’avoir des enfants ». (17) Ce goût et cet instinct se sont-ils émoussés ? La situation et l’effondrement du pays sont-ils plus graves, plus irréversibles qu’à l’époque de Bainville ? Même quand il évoque la possibilité d’un sursaut populaire, Zemmour semble parier plus qu’espérer. C’est un vrai méditerranéen, pour lui l’histoire est tragique, il n’en connaît pas les issues et se refuse à jouer les prophètes. Danièle Masson Notes 1 - Éric Zemmour, Mélancolie française, Fayard Denoël, 2010. p. 124. 2 - ibidem, p. 114. 3 - ibidem, p. 117. 4 - ibidem, p. 152. 5 - ibidem, p. 129. 6 - ibidem, p. 247. 7 - ibidem, p. 137. 8 - ibidem, p. 183. 9 - ibidem, p. 208. 10- ibidem, p. 184. 11- ibidem, p. 164. 12 - ibidem, p. 157. 13 - ibidem, p. 218. 14 - ibidem, p. 238. 15 - ibidem, p. 236. 16 - ibidem, p. 242. 17 - Jacques Bainville, Histoire de France, Godefroy de Bouillon, 1997. p. 458. Classement : 2Gf23 • 02/ 2017 Aller à => dossier origine de ce texte – Retour à l’accueil => reseau-regain.net 3/3