Les experts laïcs, un nouveau pouvoir au Vatican

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Les experts laïcs, un nouveau pouvoir au Vatican
Le pontificat de François est marqué par la confiance accordée aux laïcs dans la gestion du
Vatican. Un mouvement en réaction au cléricalisme des dernières décennies.
Alessia GIULIANI/CPP/CIRIC
Jean-Baptiste de Franssu (à gauche), président de l’IOR (Institut pour les œuvres de religion, la « banque du Vatican »).
Un très haut poste nouvellement créé pour contrôler les finances du Saint-Siège vient d’être
ainsi confié à un grand expert international.
L’homme est aussi nouveau au Vatican que le poste qu’il va y occuper. Libero Milone a été nommé le 5 juin contrôleur
général du Saint-Siège. Un titre qui donne toute liberté à cet auditeur de 66 ans, issu du cabinet Deloitte, pour entrer dans
les bureaux de la Curie romaine, ouvrir portes, tiroirs et dossiers et d’en rendre compte directement au pape. Des adjoints
et assistants sont en cours de recrutement pour former un véritable corps interne d’inspection… laïc.
La réforme de la Curie, en particulier de sa gestion financière, s’accompagne d’un rôle inédit de ces experts,
professionnels du métier, hommes pour la plupart. Au Conseil pour l’économie, nouvel organe auquel rend compte le
Secrétariat pour l’économie, laïcs et cardinaux siègent en nombre égal, hormis la présidence. « Nous avons même niveau
d’autorité et de responsabilité que les cardinaux », signale Joseph Zahra, économiste maltais et vice-coordonnateur de ce
Conseil: « C’est une expérience inédite à ce niveau. »
Investir les laïcs, le choix du pape François
La réforme même de la Curie s’opère sous les conseils avisés d’experts laïcs. Joseph Zahra a présidé une commission
créée par le pape François durant l’été 2013, après son élection, et composée pour l’essentiel de tels laïcs. « C’était
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clairement son choix, dès le départ, d’investir les laïcs dans les matières financières, économiques et administratives »,
estime-t-il. La réforme des médias du Vatican a aussi été imaginée par un comité ad hoc faisant appel à des
professionnels du secteur et présidé par l’homme politique britannique Chris Patten, qui remet de ce fait les rênes de la
BBC. Même démarche pour la réforme des retraites, confiée il y a un an à quatre experts laïcs, dont l’assureur français
Antoine de Salins (Groupama).
> Lire notre dossier: La réforme de la Curie
Signe de cette tendance, la France mesure aujourd’hui son influence au Vatican non seulement à travers le nombre de
cardinaux français, mais aussi en distinguant les postes qu’y tiennent des compatriotes laïcs. Tels Jean-Baptiste de
Franssu, président de l’IOR (Institut pour les œuvres de religion, la « banque du Vatican »), et Michel Roy, secrétaire
général de Caritas, qui fédère les organes catholiques de charité (le Secours catholique en France). Deux postes déjà
confiés à des experts laïcs sous les précédents pontificats. Un poste de numéro deux d’un dicastère (équivalent de
ministère), tel celui du professeur Guzman Carriquiry à la Commission pontificale pour l’Amérique latine, demeure une
exception. La volonté est toutefois qu’elle ne le soit plus forcément.
> A lire : Jean-Baptiste de Franssu, un Français à la tête de la « banque du Vatican »
« La place donnée aujourd’hui aux laïcs est une inversion de tendance face à la cléricalisation qui a été poursuivie ces
trente dernières années au Vatican », observe l’historien Giovanni Maria Vian. Le gouvernorat de la Cité du Vatican était
dirigé au départ, lors de la création du petit État en 1929, par un laïc, avant de l’être, comme encore actuellement, par un
cardinal. « Des postes longtemps occupés par des laïcs l’ont été ensuite par des clercs », rappelle Giovanni Maria Vian,
dont la propre fonction de directeur de L’Osservatore Romano, le quotidien du Vatican, a, en revanche, toujours été
réservée sans exception à un laïc.
Pas de femmes à la tête de dicastères
La lutte contre le « cléricalisme » fait partie des batailles déclarées du pape François dans le cadre de la réforme du
gouvernement de l’Église. Il l’a encore exprimé, le 12 juin, devant des prêtres, religieux et laïcs réunis au Latran, les
invitant à prendre garde contre ce « péché complice »: « Le prêtre et le laïc aiment cléricaliser parce que c’est plus
confortable. » La création, désormais acquise, d’une future Congrégation des laïcs pourrait servir, au-delà de la Curie, à
soutenir leur rôle propre dans l’Église.
> A lire : Le Vatican recourt à des professionnels pour moderniser son organisation économique
Quid de la promotion de femmes laïques? À Turin, dimanche 21 juin, le pape a de nouveau indiqué ne pas envisager de
nommer de femmes à la tête de dicastères à la Curie. Pour lui, cela serait faire, cette fois, du « fonctionnalisme » car il
estime que la place des femmes dans l’Église est une question beaucoup plus complexe qui ne se résume pas aux seules
fonctions qu’elles occuperaient à la Curie.
Femme ou homme, trouver sa juste place n’est pas aisé pour un laïc haut gradé au Vatican. Lors de la messe d’ouverture
de l’assemblée générale de la Caritas, en la basilique Saint-Pierre, les cardinaux précédaient les évêques, qui
précédaient les prêtres, eux-mêmes installés devant les laïcs, quelle que soit leur fonction dans l’organisation. Le pape
François a toutefois reçu ensuite en audience solennelle, au Palais apostolique, le secrétaire général de Caritas, seul.
« Une forme de reconnaissance », selon l’intéressé, qui apprécie une réelle autonomie.
Le laïc doit loyauté à l’Église
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Conserver sa liberté tout en respectant l’institution est la gageure de tout laïc investi par le Vatican. Non sans incidents.
Parmi les 17 laïcs hommes et femmes de la nouvelle Commission pontificale de prévention de la pédophilie, le
Britannique Peter Saunders, n’a pas hésité, récemment, à réclamer ouvertement le départ du secrétaire pour l’économie,
le cardinal George Pell, pour une attitude jugée méprisante à l’égard des victimes d’abus sexuels lorsqu’il était
archevêque de Sydney. « Ce qui est attendu ici d’un laïc est d’abord son expertise mais aussi une loyauté à l’égard de
l’Église, estime Joseph Zahra. Et de faire preuve de circonspection ».
> A lire : Le cardinal Pell se défend d’avoir voulu étouffer une affaire de pédophilie
Sébastien Maillard, à Rome
http://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Actualite/Rome/Les-experts-laics-un-nouveau-pouvoir-au-Vatican-2015-06-25-1327940
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