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Protection du droit de conscience
Recommandations d’amendements au projet de
loi C-14 : Loi modifiant le Code criminel et
apportant des modifications connexes à d’autres
lois (aide médicale à mourir)
Mémoire au Comité permanent de la justice et des droits de la
personne
Le 30 avril 2016
R. Jay Cameron, B.A., LL.B. et John Carpay, B.A.,
LL.B. Justice Centre for Constitutional Freedoms
1
Le manque de dispositions protégeant le droit de conscience et les croyances religieuses
Une grande partie du projet de loi C-14 est dûment fidèle à la décision rendue par la Cour suprême
du Canada dans l’arrêt Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5 [Carter]1. Toutefois,
le projet de loi C-14 n’est pas pleinement conforme à l’arrêt Carter.
Dans l’arrêt Carter, la Cour a conclu que le législateur « est mieux placé que les tribunaux pour
créer des régimes de réglementation complexes »2 et a envisagé l’adoption d’une nouvelle loi pour
traiter de l’invalidation par la Cour des dispositions litigieuses du Code criminel interdisant
l’euthanasie [article 14] et l’aide au suicide [alinéa 241b)]. C’est alors qu’elle soulignait la
nécessité de procéder à une réforme législative pour permettre l’aide médicale à mourir (AMM)
que la Cour a discuté des droits religieux et de conscience des médecins et les a reconfirmés; elle a
précisé que « rien dans la déclaration d’invalidité que nous proposons de prononcer ne
contraindrait les médecins à dispenser une aide médicale à mourir3 ». La Cour a déclaré ne pas
souhaiter « court-circuiter la réponse législative ou réglementaire » à l’arrêt Carter. Elle a plutôt
souligné le « besoin de concilier les droits garantis par la Charte aux patients et aux médecins ».
Ainsi, il est apparent que la Cour prévoyait que la réponse législative du Parlement aborde la
question du droit de conscience des médecins. Or, le projet de loi C-14 ne le fait pas.
Recommandation : En vue d’assurer la conformité avec l’arrêt Carter, le projet de loi C-14
devrait codifier des dispositions protégeant le droit de conscience des médecins, du
personnel infirmier, des pharmaciens et des autres travailleurs de la santé ainsi que celui
des organismes et établissements de soins de santé afin que ces parties puissent refuser de
dispenser l’AMM ou de diriger un patient vers ce service.
1 À l’instar de l’arrêt Carter, le projet de loi C-14 exige que seules les personnes de 18 ans et plus (paragraphes 3 et 4
de l’arrêt Carter) et les personnes souffrant d’une affection, d’une maladie ou d’un handicap physique réel
(paragraphes 68, 86 et 127 de l’arrêt Carter) soient admissibles à l’AMM et que la personne concernée soit
mentalement capable au moment de la demande d’AMM.
2 Arrêt Carter, au paragraphe 125.
3 Arrêt Carter, au paragraphe 132.
2
La décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Carter ne contraint nullement les
médecins ou les autres travailleurs de la santé à participer contre leur gré au processus d’AMM.
L’arrêt Carter était fondé sur deux conditions factuelles clés : un patient consentant et un médecin
disposé à dispenser l’AMM. Dans l’arrêt Carter, les demandeurs n’ont pas sollicité ni obtenu un
droit garanti par la Charte leur permettant de contraindre un médecin ou tout autre travailleur de la
santé à dispenser l’AMM ou à diriger un patient vers ce service.
Malgré cela, des collèges de médecins provinciaux et des associations d’infirmières et d’infirmiers
ont instauré des dispositions exigeant que leurs membres respectifs participent au processus
d’AMM, au mépris de leur droit de conscience, sous peine de sanctions ou de représailles
professionnelles. Le Parlement se doit d’agir : ces exigences professionnelles litigieuses violent à
la fois le droit établi dans l’arrêt Carter et les protections garanties à l’alinéa 2a) et à l’article 7 de
la Charte canadienne des droits et libertés4. Le Parlement peut et doit s’assurer que la question du
droit de conscience et de l’AMM est traitée d’une manière claire et uniforme. Les médecins, les
enseignants, les étudiants en médecine5 et les divers collèges gagneraient tous de l’incorporation
de dispositions de protection du droit de conscience et des droits religieux dans le projet de
loi C-14, comme l’exige l’arrêt Carter.
Outre les raisons juridiques, il existe plusieurs raisons pragmatiques valables de protéger le droit
de conscience. Chaque jour, des dizaines de milliers de Canadiens et de Canadiennes comptent sur
la prémisse voulant que les médecins et le personnel infirmier qui prennent soin d’eux agissent
d’une manière éthique et consciencieuse dans la prestation de leurs services. Les collèges de
4 Au chapitre du droit à la liberté et à la sécurité, la Cour s’est prononcée comme suit au paragraphe 64 de
l’arrêt Carter : « Le souci de protéger l’autonomie et la dignité de la personne sous-tend ces deux droits. La liber
protège "le droit de faire des choix personnels fondamentaux sans intervention de l’État" ». Certains collèges de
médecins ont établi des règlements qui prévoient l’imposition de sanctions professionnelles aux médecins refusant de
dispenser l’AMM. Ces dispositions contreviennent à l’article 7 de la Charte.
5 Les enseignants et les étudiants en médecine se disent incertains en ce qui concerne les droits des médecins : voir
http://www.cbc.ca/news/canada/toronto/doctor-assisted-dying-medical-students-canada-1.3550703 [EN ANGLAIS
SEULEMENT].
3
médecins provinciaux ont défini des exigences en matière d’éthique s’appliquant à leurs médecins
et ils s’attendent à ce que ces derniers soient animés d’un fort sentiment de responsabilité morale
et éthique dans leur pratique quotidienne6. Et pourtant, bon nombre de ces collèges de médecins
ne laissent aucune place à l’abstention pour des raisons de conscience ou de religion7. Le
Parlement doit prendre en compte les sinistres répercussions du fait d’obliger un médecin à faire fi
de sa conscience dans un aspect du service (comme l’AMM) et l’incidence que cette situation
pourrait avoir dans d’autres circonstances où un médecin est censé se fier à son sens éthique et à
sa conscience.
Il importe également que le Parlement garde à l’esprit le fait que, malgré l’existence d’un droit à
la mort selon la satisfaction des exigences définies dans l’arrêt Carter, les personnes qui se
prévaudront du droit à l’AMM ne seront plus parmi nous, alors que ceux et celles qui devront
l’appliquer le seront. Il est dans l’intérêt supérieur de tous les Canadiens que ces médecins qui
soignent des patients au quotidien puissent exercer leurs fonctions en ayant la conscience tranquille et
en sachant qu’ils ont été fidèles tant à leurs principes qu’à leur perception du mandat qui leur a été
confié sur le plan médical et éthique8.
Par conséquent, nous continuons de recommander l’incorporation dans le projet de loi C-14 de
dispositions codifiées visant à protéger le droit de conscience, comme le prévoyait l’arrêt Carter,
6 Au cours du débat parlementaire du 22 avril 2016 sur le projet de loi C-14, la ministre de la Justice et procureure
générale, l’honorable Jody Wilson-Raybould, a mentionné que le projet de loi C-14 fournissait aux médecins et au
personnel infirmier l’occasion de prendre des décisions éthiques, et elle a souligné ce qui suit : « La personne devrait
aussi être affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables, selon la définition donnée dans le projet de loi. Cette
définition est censée être appliquée avec une certaine souplesse par les médecins et les infirmiers praticiens, qui, pour
ce faire, peuvent s’en remettre à leur formation, à leur sens de l’éthique et à leur jugement. »
http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Language=F&Mode=1&Parl=42&Ses=1&DocId=8218810
14/ Ce type de jugement et de pratique de la médecine conforme à la déontologie constitue une exigence
professionnelle et doit être respecté des deux côtés de la question de l’AMM tant pour les médecins qui souhaitent
s’abstenir de participer au processus d’AMM pour des raisons de conscience ou d’ordre éthique que pour ceux qui
doivent s’en remettre à leur jugement quant à l’application de l’AMM.
7 Les collèges de l’Ontario, du Manitoba et de l’Alberta ont tous établi des exigences qui rendent obligatoire la
participation au processus d’AMM (que ce soit activement ou par voie de recommandation), sans égard au droit de
conscience ou aux croyances religieuses des médecins, sous peine d’une sanction professionnelle.
8 Voir, par exemple, le traditionnel serment d’Hippocrate : https://fr.wikipedia.org/wiki/Serment_d%27Hippocrate.
4
dispositions qui s’apparenteraient à celles assurant la reconnaissance et la protection du droit de
conscience et des droits religieux dans la Loi sur le mariage civil9.
9 Loi sur le mariage civil, L.C. 2005, ch. 33, au préambule : Attendu : que chacun jouit de la liberté de conscience et
de religion au titre de l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés; que la présente loi n’a pas pour effet de
porter atteinte à la garantie dont fait l’objet cette liberté, en particulier celle qui permet aux membres des groupes
religieux d’avoir et d’exprimer les convictions religieuses de leur choix, et aux autorités religieuses de refuser de
procéder à des mariages non conformes à leurs convictions religieuses; qu’il n’est pas contraire à l’intérêt public
d’avoir des opinions variées sur le mariage et de les exprimer publiquement; article 3.1 : Il est entendu que nul ne peut
être privé des avantages qu’offrent les lois fédérales ni se voir imposer des obligations ou des sanctions au titre de ces
lois pour la seule raison qu’il exerce, à l’égard du mariage entre personnes de même sexe, la liberté de conscience et de
religion garantie par la Charte canadienne des droits et libertés, ou qu’il exprime, sur la base de cette liberté, ses
convictions à l’égard du mariage comme étant l’union entre un homme et une femme à l’exclusion de toute autre
personne.
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