Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (10)
inflammation avec œdème. La mobilisation du rachis
cervical est très douloureuse et limitée de manière globale.
Il existe une plaque hyperpigmentée de la joue droite,
infiltrée, légèrement déprimée en son centre, à bords nets
de 2 cm sur 3 cm. Le reste de l’examen cutanéo-muqueux
est normal en dehors d’une alopécie bitemporale d’appari-
tion récente. La palpation des aires ganglionnaires décou-
vre une micropolyadénopahtie cervicale. Il n’y a pas de
splénomégalie. Le foie est augmenté de volume (flèche
hépatique à 15 cm), sensible à la palpation, à l’ébranle-
ment, inhibant l’inspiration profonde. L’examen O.R.L.
note une sensibilité de la base du nez et surtout du conduit
auditif externe droit. Des leucorrhées malodorantes accom-
pagnent un utérus douloureux à la mobilisation avec des
annexes de taille normale. Le reste de l’examen est sans
anomalie.
Les radiographies des articulations inflammatoires ne mon-
trent qu’un épaississement des parties molles.
La biologie objective un syndrome inflammatoire franc :
VS = 67 à la 1ère heure, hypergammaglobulinémie à
31,2 % (protidémie 77 g/l), fibrinogène et protéine C
réactive sont normales. L’hémogramme associe une leuco-
neutropénie à 2900 éléments par mm3 dont 1300 lympho-
cytes/mm3 et 1200 neutrophiles/mm3, une anémie hypo-
chrome normocytaire à 10,5 g d’hémoglobine/100 ml, un
taux de plaquettes à 176 000/mm3.
La fonction rénale est normale : créatininémie à 68 µmol/l,
absence de protéinurie ; le compte d’Addis est normal.
Ionogramme sanguin, coagulation, absence de protéinurie ;
le compte d’Addis est normal. Ionogramme sanguin, coa-
gulation et fonction hépatique sont sans anomalie. Seuls les
enzymes musculaires sont discrètement augmentés : CK
191 ui/l (No inf. à 130), Aldolase 23 ui/l (No inf. à 7,6).
Une origine infectieuse de cette polyarthrite est écartée :
hémocultures, urocultures, coprocultures stériles, sérolo-
gies de WRIGHT, de WIDAL, VIH, streptococcique et
syphilitique sont négatives, absence de mycobactéries sur
le frottis nasal, la sérologie de l’hépatite B est positive en
anticorps anti HBc et anti Hbe.
LE LUPUS ERYTHEMATEUX SYSTEMIQUE :
UNE CAUSE EXCEPTIONNELLE DE PERIHEPATITE
SIMON F.*, CHOUC P.Y.*, GALOO E.*, BREDA Y.**, JEANDEL P.*
* Service de Rhumatologie - H.I.A. Laveran - Marseille
** Service de Gynécologie - H.I.A Laveron - Marseille
La maladie lupique est la connectivite la mieux connue des
cliniciens mais ses multiples aspects continuent de sur-
prendre. L’existence d’un chondrite de l’oreille et d’une
périhépatite, manifestations exceptionnelles d’un lupus
érythémateux systémique (L.E.S.), chez une femme de race
noire, nous a semblé devoir être rapportée.
OBSERVATION
Madame BAL…, 33 ans, togolaise, est hospitalisée pour
une polyarthrite distale et symétrique d’installation récente
et des cervicalgies aiguës. L’interrogatoire retrouve l’exis-
tence d’un syndrome de RAYNAUD des deux mains
depuis cinq ans et des épistaxis récidivantes. Parmi les
antécédents, on retient surtout un diabète insulino-dépen-
dant chez une fille de six ans et trois interruptions volon-
taires de grossesse.
L’examen note une altération de l’état général avec asthé-
nie, amaigrissement de 7 kilos en 5 mois et fébricule à
38°5 C. La tension artérielle est normale. Les articulations
des mains, des poignets et des chevilles sont le siège d’une
RESUME
Chez une femme de 33 ans, togolaise, présentant un
lupus érythémateux systémique, l’existence d’un syn-
d rome douloureux abdominal a révélé une périhé-
patite.
Celle-ci a été interprétée comme une manifestation
lupique du fait :
. de l’absence de cause infectieuse patente,
. de la résistance des douleurs à l’antibiothérapie,
. de leur cédation sous corticothérapie,
. de leur réapparition lors des poussées évolutives de
la maladie.
Une telle association a été exceptionnellement rap-
portée dans la littérature. Elle démontre la possibilité
de rarissimes périhépatites autoimmunes, non
infectieuses.
Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (10)
Dans le même temps, l’exploration de l’auto-immunité per-
met de découvrir une baisse de la fraction C4 du complé-
ment à 0,18 g/l (No < 0,20), une positivité des complexes
immuns circulants à 21 g/ml (No inf. à 1,5) des anticorps
anti-nucléaires positifs au 1/5000° en fluorescence
mouchetée, des anti DNA à 52,1 u/ml (No inf. à 7) et des
anticorps anti RNP. Les anticorps anti Sm et anti SSA sont
négatifs. Aucune cellule LE n’est observée. La sérologie
rhumatoïde est négative ainsi que la recherche d’une cryo-
globulinémie.
L’histologie de la lésion cutanée jugale est en faveur d’une
vascularite avec infiltrats lympho-histiocytaires péricapil-
laires et épaississement sclérocollagène du derme.
Des complications viscérales de cette maladie lupique sont
recherchées. Electrocardiogramme et échocardiogramme
éliminent une éventuelle péricardite.
. La radiographie thoracique est normale,
. Electromyogramme, capillaroscopie et examen ophtal-
mologique sont sans anomalie,
. Enfin, une ponction biopsie rénale est réalisée ne mon-
trant qu’un élargissement du tissu mésangial avec dépôts
d’IgA et de C3 sans lésion proliférative.
L’existence des douleurs nasales et du conduit auditif
externe a fait pratiquer deux biopsies cartilagineuses. Le
conduit auditif externe est le siège d’une chondrite typique.
Une échographie et une tomodensitométrie abdominales
n’ont pas permis d’éclaircir l’origine des douleurs de l’hy-
pochondre droit ; la symptomatologie pelvienne a rendu
nécessaire une coelioscopie qui met en évidence des adhé-
rences périhépatiques en “corde de violon” et en “voiles”.
Les sérologies pour chlamydiae trachomatis et myco-
plasme sont faiblement positives en IgG (1/16e et 1/40e).
Les prélèvements locaux sont stériles. Le diagnostic de
périhépatite est posé.
L’existence d’un possible foyer infectieux génital a néces-
sité une bi-antibiothérapie (amoxycilline et vibramycine)
de cinq semaines. Le traitement a été sans effet sur les
hépatalgies. Une corticothérapie de 1,5 mg/kg a eu une
e ffet remarquable sur l’ensemble de la symptomatologie.
Revue à trois mois : nouvelle poussée articulaire et abdo-
minale sous 40 mg de méthylprednisolone. Introduction
des anti-paludéens de synthèse.
COMMENTAIRES
la survenue de cette maladie lupique chez une jeune femme
de race noire pose des problèmes pronostiques particuliers.
On connaît la différence du L.E.S. chez la femme nord
américaine de race noire (4). L’incidence précise de cette
maladie en Afrique reste difficile à déterminer (5, 8, 13,
14). Si la clinique est globalement comparable à celle
observée chez les sujets de race blanche, les atteintes réna-
les et pulmonaires seraient pour certains auteurs plus fré-
quentes chez le lupique de race noire (6), et l’anticorps anti
SSA, souvent présent serait volontiers associé à des avorte-
ments répétés (II). Surtout, le facteur pronostique long-
temps négligé (12), semble dorénavant bien établi. En
effet, plusieurs études récentes ont attiré l’attention sur la
gravité potentielle du L.E.S. chez le sujet de race noire.
Ainsi, GIOUD-PAQUET et coll. ont noté une fréquence
accrue d’atteinte rénale et un début plus précoce de la
maladie dans une population de lupiques antillais (6). Ces
auteurs ont observé une mortalité supérieure aux autres
populations qu’ils attribuent à une mauvaise observance
thérapeutique. Plus récemment, REVEILLE et coll., étu-
diant les facteurs pronostiques du L.E.S. chez les nord-
américains, ont retenu trois éléments péjoratifs : le début
tardif, la présence d’une thrombopénie et l’appartenance à
la race noire (15). Dans cette étude, la mortalité a été plus
important dans la population de race noire ; les facteurs
socio-économiques ne semblaient pas en cause mais leur
responsabilité reste discutée. En milieu tropical, les
complications infectieuses, notamment tuberculeuses,
induites par corticothérapie et les difficultés du suivi
aggravent encore ce fâcheux pronostic.
L’existence de la chondrite et de la périhépatite pose des
problèmes diagnostiques et nosologiques. L’ a s s o c i a t i o n
d’une polyarthrite, de rachialgies et d’une symptomato-
logie O.R.L. (chondrite, épistaxis) fait évoquer une
polychondrite chronique atrophiante, affection tout à fait
exceptionnelle chez le sujet de race noire. Ce diagnostic
repose actuellement sur des critères auxquels ne répond pas
notre patiente. La chondrite apparaît comme une manifes-
tation rarissime au cours du L.E.S. Toutefois, KITRIDOU
et coll. sur 400 lupiques ont rapporté 3 cas de chondrites
nasales ou auriculaires et ont estimé à moins de 1 % leur
fréquence ; ainsi le cartilage apparaît comme une cible
potentielle des phénomènes auto-immuns observés au
cours du L.E.S. (7).
La périhépatite est également exceptionnelle au cours du
L.E.S. Habituellement, et particulièrement en pratique
africaine, une telle inflammation péritonéale implique une
origine infectieuse. La fréquence de ces périhépatites lors
SIMON F., CHOUC P.Y., GALOO E., BREDA Y. JEANDEL P.
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Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (10)
d’infection annexielle est de l’ordre de 10 % (16) ;
l’ensemble est connu sous le nom de syndrome de Fitz-
Hugh-Curtis. Le tableau clinique est assez stéréotypé (17) :
douleur de l’hypochondre droit, irradiant parfois en
bretelle, majorée par l’inspiration profonde. A celle-ci
s’associent des signes d’infection génitale : algies pel-
viennes, dyspareunie, leucorrhées dans 60 % des cas ;
l’épisode génital peut être latent ou oublié. Un contexte est
souvent retrouvé : avortement provoqué, manœuvre endo-
utérine, dispositif intra utérin. Deux germes sont habi-
tuellement mis en cause : le gonocoque et surtout chlamy-
dia trachomatis. En effet, depuis les travaux de MEFANE
(10) on connaît la fréquence de l’infection à chlamydia
trachomatis chez la femme africaine. Le diagnostic est
clinique et évolutif, les douleurs disparaissant après une
antibiothérapie adaptée. Un doute diagnostique peut
conduire à une laparoscopie qui visualisera l’aspect typi-
que d’adhérences hépato-pariétales en “corde de violon” ou
en “voiles”. Chez notre patiente, la faible positivité de la
sérologie à chlamydia, l’absence d’isolement de germes
dans les prélèvements locaux et la résistance des douleurs
après cinq semaines d’antibiothérapie par cyclines et
amoxicilline fait douter de l’origine infectieuse. De plus, la
parfaite cortico-sensibilité, les douleurs et leur réapparition
lors de la poussée évolutive du L.E.S. malgré 40 mg de
méthylprednisolone plaident en faveur d’une étiologie auto
immune. En effet quelques rares observations de périhé-
patites lupiques ont été rapportées en l’absence de toute
infection génitale (1, 2, 3). Le diagnostic étiologique des
douleurs abdominales du sujet lupique, déjà diff i c i l e ,
s’enrichit ainsi d’une nouvelle entité. Ces périhépatites
représentent donc une exceptionnelle sérite auto immune, à
rapprocher des péritonites aseptiques lupiques (12). Ainsi,
ces observations démontrent que le dogme périhépatite =
infection génitale doit être nuancé : il est possible d’obser-
ver d’exceptionnelles périhépatites auto immunes.
LE LUPUS ERYTHEMATEUX SYSTEMIQUE… 671
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