Chirurgie de la thyroïde applicable dans les pays en développement

publicité
Geste sur le terrain
Médecine et Santé Tropicales 2015 ; 25 : 23-28
Chirurgie de la thyroïde applicable dans les pays
en développement
Thyroid surgery applicable in developing countries
Pauleau G.1, Goin G.1, Cazeres C.1, Sebag F.2, Balandraud P.1
1
Service de chirurgie viscérale, hôpital d’instruction des armées Laveran, 34 boulevard Laveran, BP 60149,
13384 Marseille cedex 13
2
Service de chirurgie endocrinienne, hôpital de la Timone, Marseille, France
doi: 10.1684/mst.2014.0364
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Article accepté le 11/03/2014
Résumé. Dans les pays en développement, la
chirurgie de la thyroı̈de est réalisée par des
chirurgiens généraux ; les moyens diagnostiques
et thérapeutiques sont limités. Le but de cette revue
est de préciser les indications de la chirurgie
thyroı̈dienne en fonction des pathologies rencontrées et les types d’intervention à réaliser. Le goitre
endémique stade 1 et 2 régresse avec un traitement
par huiles iodées. La chirurgie est indiquée dans le
cadre des complications : mécanique, néoplasique
ou hyperthyroı̈die. Le choix de l’opération dépend
de la pathologie et des possibilités d’accès à un
traitement par thyroxine. La tendance récente dans
les pays occidentaux, qui est de réaliser des
thyroı̈dectomies totales plutôt que subtotales,
n’est pas applicable. La lobo-isthmectomie et la
thyroı̈dectomie subtotale sont les techniques à
utiliser en priorité.
Abstract. Thyroid surgery in developing countries
is performed by general surgeons with limited
diagnostic and therapeutic resources. The aim of
this review is to describe the indications for and
appropriate type of surgery according to the
diseases observed. Endemic goiter (grade 1 and
2) usually regresses with iodine therapy. Surgery is
indicated only for its complications: mechanical,
neoplastic, or related to hyperthyroidism. The
choice of operation depends on the specific disease
and also on the likelihood that thyroxine will be
continuously available for the patient’s lifetime.
Total thyroidectomy should be avoided whenever
possible if thyroxine supplies are unreliable.
Hemithyroidectomy and subtotal thyroidectomy
are the techniques that should be used in priority.
Key words: thyroidectomy, endemic goiter, developing countries, iodine deficiency.
Mots clés : thyroı̈dectomie, goitre endémique, pays
en développement, carence en iode.
Correspondance : Pauleau G
<[email protected]>
L
a chirurgie thyroı̈dienne représente
une proportion modérée (5 %) des
interventions chirurgicales réalisées
dans les services de chirurgie générale
des pays en développement [1]. Néanmoins, le goitre endémique par carence
en iode est un problème majeur de santé
publique dans ces pays [2]. La gestion
de ces pathologies est difficile, car les
moyens sont limités, et les patients ont
des pathologies évoluées. L’objectif de
cette mise au point est de préciser les
indications de la chirurgie thyroı̈dienne
en fonction des pathologies rencontrées
et les types d’interventions à réaliser dans
les pays en développement.
Examen clinique
En l’absence de moyens diagnostiques
biologique, échographique et cytologique, l’examen clinique revêt une place
importante. L’examen général doit rechercher des signes d’hyperthyroı̈die (tachycardie, fibrillation auriculaire, perte de
poids, tremblement périphérique, agitation, nervosité) et une exophtalmie en
faveur d’une maladie de Basedow. L’inspection évalue la symétrie et la régularité
des lobes thyroı̈diens, et évalue la taille du
goitre selon la classification de l’Organisation mondiale pour la santé (OMS)
(tableau 1). La palpation est essentielle :
il faut se placer derrière le patient qui est
assis, les épaules relâchées, les avant-bras
reposant sur les cuisses. Elle évalue la
consistance, la symétrie et l’extension
du goitre. Un nodule induré et fixé est
fortement évocateur d’un cancer. La
palpation des carotides est utile car
celles-ci peuvent être enclavées dans
une thyroı̈de maligne. On termine par la
recherche d’une adénopathie palpable.
L’échographie de la thyroı̈de est un
examen essentiel qui prolonge l’examen
clinique. Elle est idéalement réalisée par
un radiologue local. En l’absence de
radiologue, si un appareil d’échographie
est disponible, le chirurgien peut la
Pour citer cet article : Pauleau G, Goin G, Cazeres C, Sebag F, Balandraud P. Chirurgie de la thyroı̈de applicable dans les pays en développement. Med Sante Trop 2015 ; 25 :
23-28. doi : 10.1684/mst.2014.0364
23
G. PAULEAU, ET AL.
Tableau 1. Classification clinique du goitre
endémique (OMS 1986) [2]
Table 1. Clinical classification of endemic goiter
(WHO 1986) [2]
0
1a
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
1b
2
3
Thyroı̈de normale
Lobe de la taille d’une phalange
du pouce, invisible
Thyroı̈de visible le cou en extension
Thyroı̈de visible le cou rectiligne
Thyroı̈de visible à distance
réaliser. La recherche de nodules et leur
localisation peuvent permettre d’orienter
la programmation du geste (thyroı̈dectomie subtotale ou lobo-isthmectomie). En
présence de nodules, les critères de
malignité sont à rechercher : hypoéchogénicité, microcalcifications, contours
flous, vascularisation intranodulaire [3].
Ils sont toutefois plus difficiles à évaluer
par un opérateur non entraı̂né.
La radiographie du thorax de face
permet de rechercher une déviation ou
une sténose trachéale, un élargissement
du médiastin supérieur ou une masse
médiastinale.
L’examen des cordes vocales par
laryngoscopie indirecte au miroir peut
être utile si le patient présente une récidive
de goitre. En effet, une paralysie récurrentielle postopératoire peut être asymptomatique. Une paralysie récurrentielle
peut faire modifier le geste opératoire,
voire le contre-indiquer s’il faut intervenir
dans une loge thyroı̈dienne déjà disséquée et en présence d’une paralysie
récurrentielle controlatérale. La réalisation
de la laryngoscopie indirecte peut être
délicate, mais dans la plupart des cas, elle
est faisable par un chirurgien généraliste.
L’examen est réalisé avec un miroir
laryngien ; il doit être préchauffé pour
éviter qu’il ne soit embué lorsqu’il est
glissé dans la cavité buccopharyngée. La
bouche est largement ouverte, la langue
est tractée entre le pouce et le majeur,
l’examinateur prend appui avec l’index
sur les incisives ou la lèvre supérieure
(figure 1). Cette traction forte est essentielle pour assurer une bonne exposition.
L’éclairage doit être focalisé sur le miroir.
Le miroir est glissé devant et sous le voile
qui doit s’élever et reculer en faisant
prononcer le son « é ». Les cordes vocales
en phonation sont fermées. Elles s’écartent à l’inspiration.
Indication
Compressions, hyperthyroı̈die et suspicion de malignité constituent les rares
indications opératoires des goitres qui
dans la majorité des cas ne représentent
pas un problème chirurgical.
Goitre endémique
Les goitres endémiques par carence en
iode de stades 1 et 2 (tableau 1) régres-
Figure 1. Examen des cordes vocales avec un miroir en laryngoscopie indirecte en exerçant une traction sur la
langue.
Figure 1. Examination of the vocal cords with a mirror by indirect laryngoscopy, with traction on the tongue.
24
sent, dans la majorité des cas (98 % pour
les stades 1), avec un traitement par des
huiles iodées (Lipiodol1 ou Brassiodol1) après une période d’environ trois
mois [4-6]. Les goitres de stade 2 ont un
risque de récidive élevé à un an. La
posologie est de 1 mL de Lipiodol1 en
intramusculaire tous les trois ans pour les
adultes et les enfants de plus de 4 ans. Son
coût est de 10 euros par an. En l’absence
de Lipiodol1, le lugol fort peut être utilisé
en supplémentation (1 mg d’iode par
semaine soit deux gouttes par semaine).
Il existe un risque d’hyperthyroı̈die
induite par le traitement par iode (maladie
de Jod-Basedow) mais la balance bénéfice/risque est en faveur du traitement [7].
Les goitres de stade 3 (figure 2)
ou responsables d’une compression
mécanique avec gêne respiratoire sont
à prendre en charge chirurgicalement.
La tendance récente, dans le monde
développé, à réaliser des thyroı̈dectomies totales plutôt que subtotales pour
les goitres multinodulaires ne peut
pas être appliquée dans ces régions,
où l’approvisionnement en thyroxine
est aléatoire [8]. Laisser du parenchyme
thyroı̈dien en place est la meilleure
option pour les patients dont l’accès
à la thyroxine est susceptible d’être
intermittent. La lobo-isthmectomie est
la meilleure option dans les goitres
développés de façon unilatérale. Il est
beaucoup plus facile d’enlever tout le
lobe que d’effectuer une résection subtotale. De plus, la lobo-isthmectomie
n’expose qu’un nerf récurrent et deux
parathyroı̈des.
Pour le goitre développé bilatéralement, une lobectomie totale du lobe
le plus volumineux est recommandée,
associée à une résection subtotale
du côté controlatéral. Pour limiter le
risque d’hypothyroı̈die postopératoire, il
conviendrait de laisser en place l’équivalent du volume d’un lobe normal, ce qui
correspond classiquement à la taille de la
dernière phalange du pouce du patient
[4].
En pratique, après exposition de la
loge thyroı̈dienne, un bilan des lésions
est effectué. Il commande l’uni- ou la
bilatéralité du geste ainsi que le siège
de tissu thyroı̈dien normal pouvant
être laissé en place. La tranche de section
est effectuée au-delà des nodules
thyroı̈diens palpables. L’exérèse controlatérale s’adapte aux lésions ; ainsi l’intervention peut-elle aller d’une lobectomie
Médecine et Santé Tropicales, Vol. 25, N8 1 - janvier-février-mars 2015
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Chirurgie de la thyroı̈de
sement de la trachée, de l’œsophage ou
de l’axe jugulocarotidien.
La dissection latérale doit s’assurer de
l’absence d’envahissement de la carotide.
L’envahissement de la carotide est une
contre-indication à la poursuite de l’intervention. La dissection doit ensuite se
poursuivre vers la ligne médiane en
préservant les nerfs récurrents et les
parathyroı̈des. Un envahissement de la
trachée ou de l’œsophage ne doit probablement pas être réséqué car cette
résection expose le patient à des complications infectieuses fatales en milieu
tropical [11].
Les patients présentant une maladie
métastatique (poumon, os) peuvent être
opérés de la tumeur primitive par loboisthmectomie en l’absence d’irathérapie.
Ces patients ont souvent une survie
prolongée, les métastases mettent rarement en jeu le pronostic vital et la
chirurgie thyroı̈dienne peut les mettre à
l’abri d’un envahissement locorégional
cervical invalidant.
Les cancers anaplasiques sont des
tumeurs indurées, complètement fixées
qui sont d’évolution rapide et le plus
souvent inopérables [12]. La suspicion
d’un cancer anaplasique doit faire récuser l’indication chirurgicale.
Figure 2. Goitre stade 3 selon la classification de l’OMS.
Figure 2. Grade 3 goiter, according to the WHO classification.
unilatérale à la lobectomie totale d’un côté
et subtotale de l’autre.
Nodule thyroı̈dien unique
Dans les pays en développement, le
patient consultera rarement pour un
nodule unique asymptomatique. La
lobo-isthmectomie est à discuter, même
en cas de suspicion de cancer car la
principale justification à la réalisation
d’une thyroı̈dectomie totale est le traitement complémentaire par irathérapie.
Goitre volumineux
Les goitres énormes et anciens sont
courants dans les zones d’endémie. La
majorité de ces patients ont des symptômes respiratoires, et l’incidence de la
déformation des voies respiratoires avec
intubation difficile et celle de la trachéomalacie sont élevées [9]. En cas de
trachéomalacie, si la trachée est souple
et s’affaisse au retrait progressif de la
sonde d’intubation, une trachéotomie
peropératoire est préconisée par certains
auteurs : celle-ci permettrait de créer une
cicatrice fibreuse en quatre à cinq jours.
Néanmoins, la gestion d’une trachéotomie
peut être difficile. Les autres alternatives
sont l’intubation prolongée 24 à 48 h ou
les trachéopexies, fixant la trachée à la
face postérieure des clavicules [10]. L’incidence de l’extension rétrosternale semble
peu élevée ; le goitre par carence en iode
se développe le plus souvent chez des
femmes jeunes avec des muscles sternohyoı̈diens peu développés : l’extension
est donc plutôt antérieure, avec parfois un
sac cutané présternal. En cas d’extension
rétrosternale, le recours à une sternotomie
est exceptionnel.
Cancer avancé
de la thyroı̈de
La chirurgie des cancers avancés peut
être compliquée en raison de l’envahis-
Médecine et Santé Tropicales, Vol. 25, N8 1 - janvier-février-mars 2015
Maladie de Basedow
Le traitement de la maladie de Basedow
dépend de ce qui est disponible et de la
possibilité de suivi à long terme. La
chirurgie est probablement le meilleur
traitement si elle est réalisée avec un taux
de complication acceptable.
La thyroı̈dectomie subtotale dans le
traitement chirurgical de la maladie de
Basedow a sa place dans les pays en
développement, à la condition de ne
laisser qu’un faible poids de thyroı̈de
restante, compris entre 5 et 8 g [13]. La
thyroı̈dectomie subtotale présente un
risque à long terme de 50-60 % d’hypothyroı̈die modérée et de 5-8 % de
thyrotoxicose persistante [14].
Les patients doivent être préparés
pour être opérés en euthyroı̈die et éviter
la crise aiguë thyréotoxique postopératoire. Cette préparation associe : un
repos durant trois semaines, des antithyroı̈diens de synthèse, type carbimazole (Néo-Mercazole1, un comprimé de
20 mg, trois fois par jour) efficace en un à
deux mois, du lugol fort pendant dix
jours (dix gouttes trois fois par jour) et
des bêtabloquants type propranolol
25
G. PAULEAU, ET AL.
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
(Avlocardyl1 80 à 100 mg/j). Les dosages
hormonaux biologiques ne sont pas
disponibles, l’efficacité de la préparation
doit être évaluée cliniquement, l’objectif
étant d’obtenir un pouls inférieur à
80 bpm [15]. Il faut s’assurer de la bonne
observance du traitement, parfois en
gardant le patient en hospitalisation
pendant la préparation ou en lui délivrant
quotidiennement le traitement médical.
Technique
chirurgicale
Lobo-isthmectomie
L’incision est arciforme à deux ou trois
travers de doigts de la fourchette sternale
en fonction de la hauteur du pôle
supérieur de la thyroı̈de. Dans le cadre
de ces goitres volumineux, l’incision doit
être large et remonter latéralement vers
les lobes d’oreille. On réalise les lambeaux cutanés supérieur et inférieur, puis
on incise la ligne médiane. Les muscles
sterno-cléido-thyroı̈diens sont décollés
afin de rechercher une veine thyroı̈dienne moyenne. Une fois repérée, la
veine est ligaturée puis sectionnée, ce qui
libère latéralement le lobe thyroı̈dien.
Une section des muscles sterno-cléidohyoı̈diens et sterno-cléido-thyroı̈diens
peut permettre de mieux exposer la
glande thyroı̈de. On réalise la ligature
première du pédicule supérieur de façon
sélective puis la libération du pôle
inférieur. Ceci réalisé, le lobe est basculé
en dedans et le regard du chirurgien se
porte ainsi sur toute la longueur du bord
postéro-interne, permettant de rechercher facilement et systématiquement le
nerf récurrent. L’axe de recherche se fait
en direction de l’angle dièdre trachéoœsophagien au niveau de la partie
inférieure du bord postéro-interne de la
thyroı̈de. Il faut, à ce niveau, passer entre
les différentes branches de l’artère thyroı̈dienne inférieure et éviter de faire
saigner, car le sang infiltre les tissus et les
colore, gênant la recherche du nerf. Une
fois trouvé, le nerf est suivi jusqu’à sa
pénétration dans le larynx. Ceci réalisé, il
ne reste plus qu’à sectionner le ligament
de Gruber latéral pour libérer le lobe.
C’est à ce moment que le risque de léser
le nerf est le plus grand car il existe à ce
niveau un réseau de petites artères et
veines qui doivent être coagulées ou
ligaturées avant section (figure 3).
26
Figure 3. Dissection du nerf récurrent gauche.
Figure 3. Dissection of the left recurrent laryngeal nerve.
Pour les parathyroı̈des, la section des
vaisseaux au contact de la capsule
thyroı̈dienne permet de les descendre
avec la résille thyroı̈dienne et leur
vascularisation. Si elles ne sont pas en
position classique, il n’est pas nécessaire
Figure 4. Thyroı̈dectomie subtotale en laissant un mur postérieur gauche.
Figure 4. Subtotal thyroidectomy, leaving a left posterior wall.
Médecine et Santé Tropicales, Vol. 25, N8 1 - janvier-février-mars 2015
Chirurgie de la thyroı̈de
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
de les rechercher. En effet, leur vascularisation est très fragile, et leur recherche
alors qu’elles sont à distance risque de
provoquer des lésions par dévascularisation. Si une parathyroı̈de est réséquée ou
dévascularisée, on peut réaliser une
autotransplantation dans le muscle
sterno-cléido-mastoı̈dien. Il faut dans ce
cas fragmenter la parathyroı̈de en petits
cubes et l’insérer dans le muscle sternocléido-mastoı̈dien homolatéral. Cette
technique est efficace et permet d’éviter
une hypoparathyroı̈die définitive.
Thyroı̈dectomie subtotale
Deux techniques s’opposent quant
au siège du tissu thyroı̈dien à laisser
en place : la première consiste à laisser
une lame de parenchyme postérieur
(figure 4), la deuxième, un ou deux
moignons supérieurs vascularisés par
les pédicules thyroı̈diens supérieurs
(figure 5). L’avantage du mur postérieur
est qu’il protège le nerf récurrent et une
parathyroı̈de. Néanmoins, l’hémostase
de la tranche de section peut léser le
nerf par coagulation ou par striction sur
un fils. De plus, l’appréciation du volume
restant est plus malaisée sur un moignon
postérieur, et une totalisation secondaire
est difficile car les remaniements fibreux
du lit postérieur rendent délicate la
reprise de la dissection nerveuse. L’avantage de laisser deux moignons est de
limiter les conséquences de la dévascularisation d’un moignon. En pratique, le
choix entre les deux techniques se fera
en peropératoire et dépendra du siège
du tissu thyroı̈dien normal pouvant être
laissé en place.
Pour la maladie de Basedow, la
thyroı̈dectomie subtotale est effectuée
de façon que le poids total du tissu laissé
en place soit d’environ 5-8 g. La méthode
de la double pesée permet d’évaluer
le poids du tissu appelé à rester au
pôle supérieur par pesée comparative
utilisant un fragment enlevé et pesé sur
la pièce de thyroı̈dectomie (figure 6).
En l’absence de balance, une technique
d’analogie visuelle peut être utile : un
fantôme calibré de volume adéquat est
comparé au volume du tissu thyroı̈dien
qui est laissé en place. Les pôles
supérieurs sont souvent développés dans
la maladie de Basedow, ce qui peut
faciliter la réalisation d’un moignon
supérieur. La thyroı̈dectomie subtotale
effectuée, il convient de capitonner très
Figure 5. Thyroı̈dectomie subtotale en laissant un moignon supérieur droit.
Figure 5. Subtotal thyroidectomy, leaving an upper right stump.
soigneusement les tranches des moignons afin d’assurer une hémostase
soigneuse d’un tissu thyroı̈dien volontiers hémorragique. Un ou deux drains
aspiratifs doivent être laissés en place.
Ceux-ci n’empêchent pas la survenue
d’un hématome compressif. Seule la mise
en place de lame de Delbet met à l’abri de
cette complication, ce type de drainage
peut être utile si le goitre est volumineux
et très vascularisé.
2
5
3
1
4
Figure 6. Méthode de la double pesée.
1) lobectomie laissant un pôle supérieur (2).
3) découpe d’un volume supposé correct sur la pièce
et pesée. Recoupe éventuelle du pôle 2 en fonction du
poids estimé.
4) lobectomie controlatérale laissant éventuellement
un pôle supérieur de l’autre côté (5).
Figure 6. Double-weighing method.
1) Lobectomy, leaving the upper pole (2).
3) Cutting out a volume considered correct and
weighing it. Potential recutting of pole 2 depending on
the estimated weight.
4) Contralateral lobectomy, potentially leaving an
upper pole on the other side (5).
Médecine et Santé Tropicales, Vol. 25, N8 1 - janvier-février-mars 2015
Suites postopératoires
Les patients sont surveillés au moins 48 h
en hospitalisation. Le drainage est retiré
classiquement au deuxième jour postopératoire. La survenue d’un hématome
compressif nécessite une reprise chirurgicale immédiate. En l’absence du dosage
de la calcémie, on recherche les signes
cliniques d’hypocalcémie : paresthésie
des mains et péribuccales, crampes,
signe de Chvostek. Une supplémentation
par phosphate tricalcique (Ostram1
1,2 g, un à six sachets par jour) associé
au calcitriol (Rocaltrol1 0,25 mg, deux à
quatre comprimés par jour) sera débutée
en cas de signe clinique et poursuivie
pendant dix jours. Une paralysie récurrentielle unilatérale est suspectée en cas
de dysphonie ou de trouble de la
déglutition ; un examen des cordes
vocales au miroir permet d’en avoir la
confirmation. L’administration de corticoı̈des en aérosols, ou une corticothérapie IV 1 mg/kg pendant 48 h, peut
diminuer l’œdème laryngé [16]. La rééducation par un orthophoniste n’est le plus
souvent pas disponible.
Conclusion
La chirurgie de la thyroı̈de dans les pays
en développement a des spécificités liées
à la disponibilité aléatoire des moyens
diagnostiques et de l’hormonothérapie
substitutive. La tendance, dans les pays
développés, à réaliser des thyroı̈dectomies totales n’est pas applicable en milieu
tropical. L’étendue de l’exérèse est donc à
adapter au cas par cas pour préserver la
27
G. PAULEAU, ET AL.
fonction thyroı̈dienne postopératoire et
réduire le risque de complication.
Conflits d’intérêt : aucun.
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Références
1. Watters DA, Bem C, Echun DA, Ahmed A.
Audit of ‘‘surgery in general’’ in an African
teaching hospital. J R Coll Surg Edinb 1991 ; 36 :
402-4.
2. OMS. La carence en iode dans le monde
aujourd’hui et les progrès réalisés au cours de la
dernière décennie en vue de son élimination
[Internet]. WHO. [cité 12 juin 2012]. Disponible
sur: http://www.who.int/bulletin/volumes/83/
7/anderssonabstract0705/fr/index.html
3. Watters DA, Ahuja AT, Evans RM, et al. Role of
ultrasound in the management of thyroid
nodules. Am J Surg 1992 ; 164 : 654-7.
4. Watters DAK, Wall J. Thyroid surgery in the
tropics. ANZ J Surg 2007 ; 77 : 933-40.
5. Acun Z, Comert M, Cihan A, Ulukent SC, Ucan
B, Cakmak GK. Near-total thyroidectomy could
be the best treatment for thyroid disease in
endemic regions. Arch Surg 2004 ; 139 : 444-7.
discussion 447.
6. Hess SY, Zimmermann MB, Adou P, Torresani
T, Hurrell RF. Treatment of iron deficiency
in goitrous children improves the efficacy of
iodized salt in Côte d’Ivoire. Am J Clin Nutr 2002 ;
75 : 743-8.
7. Ingenbleek Y, Jung L, Férard G, Bordet F,
Goncalves AM, Dechoux L. Iodised rapeseed oil
for eradication of severe endemic goitre. Lancet
1997 ; 350 : 1542-5.
8. Ayache S, Tramier B, Chatelain D, Mardyla N,
Benhaim T, Strunski V. Evolution de la chirurgie
thyroı̈dienne vers la thyroı̈dectomie totale: A
propos de 735 cas. Ann Otolaryngol Chir Cerv
Fac 2005 ; 122 : 127-33.
9. Agarwal A, Agarwal S, Tewari P, et al.
Clinicopathological profile, airway management,
and outcome in huge multinodular goiters:
an institutional experience from an endemic
goiter region. World J Surg 2012 ; 36 : 755-60.
10. Agarwal A, Mishra AK, Gupta SK, et al. High
incidence of tracheomalacia in longstanding
goiters: experience from an endemic goiter
region. World J Surg 2007 ; 31 : 832-7.
11. Rumstadt B, Klein B, Kirr H, Kaltenbach N,
Homenu W, Schilling D. Thyroid surgery in
Burkina Faso, West Africa: experience from a
surgical help program. World J Surg 2008 ; 32 :
2627-30.
12. Igun GO, Obekpa PO, Ugwu BT, Nwana EJ.
Comparative study of conservative resection and
radical operation for thyroid carcinomas. East Afr
Med J 1999 ; 76 : 264-8.
13. Andåker L, Johansson K, Smeds S, Lennquist
S. Surgery for hyperthyroidism: hemithyroidectomy plus contralateral resection or bilateral
resection? A prospective randomized study of
postoperative complications and long-term
results. World J Surg 1992 ; 16 : 765-9.
14. Limonard EJ, Bisschop PH, Fliers E,
Nieveen van Dijkum EJ. Thyroid function after
subtotal thyroidectomy in patients with Graves’
hyperthyroidism. Sci World J 2012 ; 2012 :
548796.
15. Haddad JF, Tibblin S. Preoperative treatment of thyrotoxicosis in developing countries:
a comparative study of carbimazole and propranolol. Ann R Coll Surg Engl 1988 ; 70 : 35760.
16. Laccourreye O, Malinvaud D, Ménard M,
Bonfils P. Immobilités laryngées unilatérales
après chirurgie de la glande thyroı̈de. J Chir
2009 ; 146 : 553-8.
Village près du lac Assal, Djibouti # A. Trignol
28
Médecine et Santé Tropicales, Vol. 25, N8 1 - janvier-février-mars 2015
Téléchargement