Concept de visite pastorale

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La visite pastorale à l’hôpital
INTRODUCTION
Au-delà des symptômes, de l’anamnèse, du diagnostic et des soins, qu’en est-il de la
personne ? Avec son histoire, les émotions, les blessures et les ressources qui lui
appartiennent.
Dans le cadre de mon engagement professionnel dans le milieu hospitalier, j’ai développé une
conception personnelle et spécifique de l’accompagnement spirituel chrétien auprès des
patients de tous horizons religieux.*
J’exerce mon ministère dans le cadre particulier qu’est le CHUV à Lausanne. Je vis ainsi une
tension permanente entre le monde de l’Eglise, qui m’envoie, et celui de l’hôpital, qui
m’accueille. Je peux très bien être considéré comme un ecclésiastique par le personnel
soignant non averti ou alors être assimilé aux soignants de l’hôpital par les membres de
l’Eglise. Je développe ici une pratique qui favorise le dialogue entre ces deux institutions.
J’ai fait le choix de me présenter comme « accompagnant spirituel » et non comme
« aumônier » pour traduire une ouverture certaine de ma part à la confession et à la religion
des personnes que je rencontre. Je suis également une personne relais quand un patient désire
rencontrer un accompagnant de sa sensibilité religieuse.
Il m’arrive aussi de représenter clairement mon Eglise quand je suis appelé pour un
sacrement.
Ouverture à l’autre et distinction du rôle
Je suis ouvert à l’autre, quelles que soient ses croyances et/ou sa préférence religieuse. Je
n’éprouve pas le besoin d’exprimer immédiatement mon identité de pasteur protestant, mais je
la décline à un moment favorable au cours de l’entretien. Je respecte d’abord le patient dans
sa différence avant de risquer une parole autre, dans un esprit de partage et non de
prosélytisme.
Je tiens à focaliser prioritairement ma visite sur la personne hospitalisée que je rencontre. Je
ne parlerai pas ici de l’accompagnement des proches de patients en fin de vie, ni des soignants
dans ces circonstances.
J’accepte de ne pas avoir de prise sur le spirituel. Je n’ai pas d’obligation de résultat dans la
pratique de mon ministère. J’accompagne l’autre avec l’ouverture au Mystère.
Je désire permettre à l’autre d’entrer dans un processus de développement et de
croissance spirituelle dans la mesure du possible et avec l’accord de la personne.
Je ne vais pas évoquer ici l’importance de la collaboration interdisciplinaire qui s’avère
fondamentale pour définir le champ d’action de chaque intervenant. Même si des similitudes
apparaissent, je reste pastoral dans mon approche, car je ne suis pas psychologue, ni assistant
social, ni infirmier de liaison. Je crois qu’il est important de pouvoir contribuer, dans la
mesure du possible, à une plus grande humanisation des soins, avec le respect du choix de vie
ou de non-vie du patient visité. Chaque professionnel, dans ce sens, peut être porteur d’une
information utile pour un autre collègue. Je n’ai pas le monopole du spirituel.
* Je m’appuie sur des valeurs communes à l’aumônerie œcuménique telles que l’écoute,
l’empathie, la réponse aux besoins spécifiques, les collaborations interdisciplinaires, le non
prosélytisme.
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Dedans ou dehors du soin ?
J’ai un statut un peu particulier dans le sens où j’appartiens à une équipe de soins comme
personne de référence pour ce qui concerne le domaine spirituel, et en même temps je suis en
marge puisque je suis présent dans plusieurs services. Ma place est en permanence à redéfinir
afin que la confiance subsiste et que les collaborations puissent se vivre avec sérénité. Une
bonne intégration permet de me considérer comme un collaborateur pastoral, accompagnant la
personne, et non comme un ecclésiastique qui intervient quand le médical n’a plus rien à
offrir.
Ce modèle est personnel et non normatif. Chaque accompagnant spirituel est invité à
découvrir son propre concept, en fonction de sa sensibilité et de ses compétences.
J’exprime ici mon enthousiasme et ma passion à exercer ce ministère dans lequel je peux
vivre au quotidien l’amour du prochain.
Point d’ancrage
L’objectif de mon approche et mon intention dans la visite se fondent sur le passage biblique
qui évoque le Christ ressuscité rejoignant ses disciples sur le chemin d’Emmaüs (Luc 24.
15ss), faisant route avec eux et les laissant poursuivre leur chemin. Mon approche consiste à
rejoindre l’autre là où il est et de pouvoir lui donner la possibilité de faire un pas (ou plus)
avec moi. Dans une perspective plus ambitieuse, je désire permettre à l’autre de goûter de
manière implicite ou explicite la présence de Dieu au-delà de la rencontre simplement
humaine, dans sa vie à l’hôpital.
Un des moyens utilisé consiste à permettre l’expression d’une parole qui fait sens en
retraçant des moments importants d’une histoire de vie. Je tente, comme accompagnant
spirituel, d’explorer avec la personne comment la trace du divin a pu se frayer un chemin afin
d’offrir un regard différent sur une vie, avec de la profondeur et de l’épaisseur. Il m’importe
aussi d’accueillir la personne avec le sentiment d’absence du divin dans sa vie, en étant nonjugeant, et le cas échéant en lui permettant de nommer son sentiment d’abandon ou de rejet.
La personne s’exprime généralement à partir de son vécu, de ses expériences. Dans ce
contexte, nous pouvons dialoguer et cheminer ensemble avec cette présence ou cette absence
nommée.
Je désire également offrir la possibilité d’entrevoir une lueur d’espérance pour aujourd’hui
et/ou pour demain. Etre porteur d’espérance donne sens à mon humanité et à ma vie.
Voici en 5 points le parcours de ma démarche pastorale :
1.
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3.
4.
5.
Le contrat de présence
L’ « ici et maintenant » de la visite
Le regard sur le passé
La perspective d’avenir
L’au revoir
1. Le contrat de présence
La prudence et la discrétion s’imposent dans la mesure où je suis conscient de la
difficulté pour un patient d’oser dire NON à une présence d’un représentant du spirituel
dans un établissement de soins.
Dans un cadre hospitalier, les malades ne peuvent pas refuser la présence des médecins,
autrement ils sont renvoyés à la maison. Ce n’est pas le cas de la nôtre qui nécessite une
approche délicate, respectueuse, avec des compétences spécifiques au niveau relationnel.
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Comme toute rencontre est plutôt basée sur une relation individuelle, je ressens un facteur
stress à l’approche d’une chambre de deux patients ou plus. J’ai confiance que Dieu
m’accompagne dans mon ministère et dans cette nouvelle aventure relationnelle qui se
prépare.
Je frappe à la porte, entre, et m’approche de la personne que je vais visiter. Je la salue en
disant mon nom et prénom et en précisant que je suis l’accompagnant spirituel du
service.
Je demande ensuite le nom de la personne afin d’établir une relation de sujet à sujet de
type "je-tu ." Ce n’est plus le CA * ou l’AVC* de la 216.
Même si le nom du patient est écrit au pied ou à la tête de son lit, je lui donne la possibilité de
le dire. Se nommer peut être l’occasion de se remettre en contact avec son identité. Suivant
l’origine de la personne, j’entends aussi la manière de prononcer son nom et/ou son prénom,
avec sa musicalité. Le prénom est souvent le premier mot qu’un enfant entend lors de sa
naissance.
J’expose ensuite mon intention de lui rendre visite et lui fais la proposition de rester un
instant auprès d’elle.
Ceci permet à la personne de dire clairement « oui » ou « non », ou encore de proposer un
moment plus favorable pour la rencontre. Je ne veux pas imposer ma présence auprès de
quelqu’un qui ne la désire pas. Je fais confiance à la capacité d’affirmation de la personne qui
peut dire également ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas.
En cas de doute, je vérifie si elle préfère que je me retire.
Au-delà du NON
Lorsqu’une personne ne veut pas ma visite, il m’arrive de lui demander si son refus est lié à
une mauvaise expérience dans ce domaine, ou si elle désire simplement que je passe à un
moment plus favorable. Je me laisse guider par mon intuition pour poser ce genre de question.
Lorsque c’est effectivement le cas, j’ai l’impression parfois que des vannes s’ouvrent et
qu’une colère contenue et tue peut enfin se libérer. La mise en mots de souffrances vécues au
sein d’une communauté religieuse ou ecclésiale peut ouvrir la porte à la restauration d’une
relation entre le patient et son institution religieuse et parfois à la reconstruction d’une
spiritualité blessée. Que ce soient des catholiques ou des protestants qui se sentent victimes.
Il m’arrive également d’informer le patient de mon passage régulier dans le service et de
vérifier avec lui si je peux venir le saluer. Rares sont ceux qui refusent complètement. Je reste
attentif à ce qu’exprime le patient, par des mots, des gestes, une émotion explicite. Pour me
centrer pleinement sur l’autre et ses attentes, je maintiens une certaine ascèse. Je constate que
le respect de la distance voulue par le patient dans un premier temps facilite une approche
voire un accompagnement lors d’une seconde ou troisième visite. La création d’une relation
respectueuse et de confiance permet parfois un contact au-delà de l’impasse apparente.
Il arrive aussi que des personnes refusent de parler après une ou plusieurs rencontres. Je me
résous à l’accepter dans le respect de l’autre. Le non-dit est parfois nécessaire ou protecteur
pour la personne. La parole n’est pas prête à être dite, ni même balbutiée.
*Cancer, Accident vasculaire Cérébral
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2. L’ « ici et maintenant » de la visite .
Recentrage
Les personnes qui viennent d’arriver à l’hôpital sont souvent orientées vers le passé, avec
regrets, remords, culpabilité :
- « J’aurais dû…, je n’aurais pas dû…, si j’avais su, je ne pouvais pas prévoir
que… »
L’envie est bien réelle de vouloir rembobiner le film de l’histoire avec le secret désir qu’elle
puisse se dérouler selon un autre scénario. Ceci habite particulièrement l’esprit de certains
patients qui portent une part de responsabilité dans ce qui leur arrive, en lien avec le
tabagisme, l’alcoolisme, des comportements à risques, le stress professionnel et personnel.
D’autre part, les personnes qui séjournent à l’hôpital depuis quelques temps se projettent
déjà dans l’étape suivante, celle du retour à domicile, du placement à court ou long terme,
ou encore celle du transfert dans un centre de réadaptation avec des deuils à vivre de mobilité
ou/et d’autonomie, ou de soins palliatifs en attendant la mort.
Ceci met en évidence les difficultés que rencontrent les patients à se centrer sur ce qu’ils
vivent dans l’ici et maintenant de leur hospitalisation.
Sentiments du moment
Après le premier contact contractuel de ma présence, il m’arrive souvent de demander à la
personne comment elle se sent maintenant. Je crois que cela ouvre un espace, une occasion
de rencontre authentique, un moment favorable, le kairos cher à l’apôtre Paul. Le verbe
sentir met l’accent sur les sentiments, le ressenti, et favorise l’expression d’une émotion,
telles la peur, la colère entre autres. Il permet également de parler sur deux niveaux :
-
celui qui touche à l’état moral, psychique, émotionnel, spirituel du patient
celui qui concerne son état physique, pathologique, thérapeutique, algique, médical.
Théologiquement, je donne place à l’expression d’une parole qui peut faire sens ou dire le
non-sens de ce qui est vécu. Au cœur de la parole, c’est la vie qui s’exprime.
La question ouverte laisse l’autre acteur de sa prise de parole et lui permet de s’exprimer dans
le registre qu’il choisit ou qui lui vient spontanément à l’esprit. Je fais confiance a la personne
qui peut communiquer ainsi ce qui la concerne directement et ce qui la touche le plus dans ce
temps de rencontre. Il est fréquent que la première parole qui émerge se concentre sur l’aspect
médical, qui n’est pas mon domaine, mais qui est prioritaire chez la personne. C’est une
manière de poser cette première émotion avant de passer à autre chose.
Il arrive aussi que la personne exprime son inquiétude en attendant un résultat d’examen ou
une opération chirurgicale.
Elle peut dire parfois son soulagement d’avoir reçu une bonne nouvelle ou sa tristesse d’en
avoir appris une redoutable.
Au-delà de tout ce que la personne peut nommer de ce qu’elle vit, je vais me centrer
prioritairement sur la personne, le sujet. Dans le contexte interdisciplinaire qui est le nôtre, je
pourrais le cas échéant transmettre des informations aux soignants, avec l’accord de la
personne, sur ce qu’elle révèle d’important pour la suite de son traitement : Désir de vivre, de
mourir, les ressources essentielles, les attentes, les craintes.
J’ouvre ainsi un espace pour accueillir ce qui est important pour la personne « ici et
maintenant », et donne le temps nécessaire à l’autre de se dire dans sa vérité, quel que
soit son état physique, psychologique ou spirituel.
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Passé ce temps de recentrage, suivant l’étape que le patient vit dans son temps
d’hospitalisation, j’ouvre un questionnement de type chronologique, qui touche à l’histoire de
vie du patient.
3. Le regard sur le passé
Accueil de l’autre
Une fois que la personne a pu poser ses sentiments du moment, prendre conscience de ce
qu’elle vit dans le présent de la rencontre, je pose une question relative à son histoire,
en lui demandant ce qui s’est passé pour qu’elle se retrouve ici à l’hôpital.
Dans tout ce qui est bouleversé, par la maladie ou l’accident, je lui permets de remettre une
structure dans son parcours de vie.
Dans le récit de la personne, je vais avoir des repères qui vont me permettre de cheminer avec
elle dans une direction adéquate. J’ai plusieurs options et en dialogue nous avançons dans la
rencontre. La personne découvre un espace de liberté pour commencer son histoire là où elle
le désire.
Les réponses sont très variables. Elles vont de la chute incompréhensible dans la cuisine il y a
deux jours, à l’évocation de problèmes qui ont commencé pendant la petite enfance.
Raconter des événements d’une histoire de vie permet parfois de replacer l’épisode de la
maladie ou de l’accident dans un contexte et lui donne ainsi l’occasion de faire sens.
Au-delà d’une souffrance exprimée qui peut s’apparenter à toutes les autres souffrances, celleci soudainement se singularise. Elle prend une autre dimension, elle touche une personne
reconnue dans son unicité.
Une parole dite à haute voix peut avoir un effet thérapeutique et libérateur. D’où l’importance
qu’elle soit entendue si possible par un professionnel de l’écoute, témoin de ce cheminement.
Je veux dire par là quelqu’un capable d’entendre la parole de l’autre quel que soit son
contenu, afin de permettre la rencontre. Et ceci, que le récit exposé s’appuie sur de faits
objectifs ou non. Une personne peut par exemple signaler de très fortes douleurs, alors
qu’objectivement ce n’est pas possible. Nous avons un cas explicite de la part de celle qui se
plaint de son pied amputé qui la fait souffrir terriblement. Les douleurs fantômes peuvent faire
très mal. Il est important pour moi de croire ce que l’autre me dit, sans avoir besoin de vérifier
la véracité de ses propos. Je crois au rapprochement créé par le simple accueil du récit, vécu
comme un moment de partage. Le temps de la confrontation peut parfois se vivre à un
moment plus opportun.
Ressources et Valeurs essentielles
Parcourir ainsi l’identité d’une personne, ou du moins ce qu’elle en révèle, peut conduire à
nommer les valeurs importantes qui ont jalonné cette histoire et comment elles ont pu
contribuer à l’épanouissement de l’être. Il m’arrive de l’inviter à dire ce que la transcendance
représente pour elle et dans quelle mesure elle peut être une valeur ressource. C’est parfois un
chemin à découvrir, à explorer, à tracer.
La spiritualité de la personne dans un sens large, peut constituer un soutien, et il m’importe de
favoriser sa mise en évidence en lui demandant de nommer les ressources sur lesquelles elle
s’est appuyée quand elle a traversé des épreuves ou vécu des coups durs dans sa vie.
C’est l’occasion de voir si elles peuvent être activées pendant l’hospitalisation. Je pense
notamment à celles dont elle a pu bénéficier auparavant afin de pouvoir surmonter les
épreuves, reprendre confiance en la vie, garder ou trouver une espérance. Ces ressources, très
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variables, concernent des domaines très diversifiés, tels que le sport, la nature, la lecture, la
musique, les voyages, les relations familiales, les amitiés, une pratique spirituelle ou
religieuse, l’appartenance à une communauté.
Revisiter un parcours de vie favorise la prise de conscience de bons moments vécus, avec des
réussites, des succès, des instants de bonheur. Raconter met aussi en évidence des épreuves
traversées, avec leur violence, les souffrances engendrées et des sentiments douloureux
éprouvés. Dans certaines situations, les patients évoquent des regrets, des culpabilités qui les
préoccupent, qui les « rongent » parfois, comme ils disent. C’est l’occasion de cheminer avec
eux dans une démarche de pardon. Se pardonner à soi-même, aux autres, accueillir le
pardon de Dieu, la grâce. Il m’arrive aussi d’accompagner des personnes dans une voie de
l’acceptation de l’impardonnable. Comment, avec un regard bienveillant et aimant, permettre
à l’autre d’imaginer un possible, un avenir, malgré la souffrance et le deuil à vivre, voilà un
vrai défi pour mon ministère.
Des tensions exprimées au niveau des relations humaines, notamment entre membres d’une
même famille, permettent d’envisager ensemble une voie vers la réconciliation. C’est une
manière de restaurer un lien perturbé ou rompu. Ceci contribue à une forme d’allègement
intérieur, et à la libération de l’être.
Concrètement, je peux dire que le soutien se manifeste quand une personne peut d’abord se
retrouver elle-même, vivre la rencontre avec elle-même. Les ressources extérieures qui se
connectent avec l’être intérieur permettent alors un allègement de la souffrance, voire un
cheminement dans un processus de deuil.
Elles peuvent être source de réconfort, de soutien, d’espérance dans la vie de l’autre. Elles
mettent aussi en évidence les besoins que le patient peut ressentir, ses manques, et lui donne
ainsi l’occasion de les exprimer. Nous touchons là à l’identité profonde de la personne.
Favoriser une actualisation de ces ressources peut aussi engendrer une étape plus créative. Le
patient peut rechercher d’autres ressources auxquelles il n’avait pas spécialement pensé.
J’ouvre ici un espace de parole à l’autre.
Recherche du lien
Comment mettre en lien la personne avec une référence de type religieux, et plus
spécifiquement en ce qui me concerne, chrétienne ou biblique ?
C’est une question que je me pose comme accompagnant spirituel, avec laquelle j’ai pu
prendre de la distance. Je touche là à une spécificité chrétienne de mon ministère. Des
soignants peu avertis ont tendance à hypertrophier l’aspect religieux de ma fonction, au
détriment d’un accompagnement spirituel plus large que je peux offrir.
Il m’arrive pourtant à l’occasion de dire à un patient que son vécu, son histoire, me fait penser
à tel passage biblique, à tel psaume. Pour moi, c’est l’occasion de les mettre en lien avec un
texte fondateur que je cite de mémoire. Des personnages bibliques ont vécu des événements et
des états d’âme qui s’apparentent à ceux de certains patients. Je pense entre autre à Elie qui
ne voulait plus vivre et qui partait dans le désert avec le désir de mourir, avant que les oiseaux
du ciel ne prennent soin de l’alimenter, je pense aux cris de détresse du psalmiste à plusieurs
reprises, je pense au sentiment d’abandon de Dieu que le Christ en croix à pu ressentir et
exprimer.
L’effet de surprise suscité par l’évocation de ces textes éveille souvent le désir d’en savoir
plus. Il m’arrive ainsi de raconter l’histoire et de laisser la référence biblique à la personne,
afin qu’elle la retrouve ensuite dans une Bible.
Rares sont les personnes qui me demandent la lecture d’un texte.
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Quête du sens
Donner de l’espace, explorer le passé, tracer un chemin qui fait sens, nous ramène à l’instant
présent. J’invite ainsi la personne à dire ce dont elle aurait besoin pendant ce temps
d’hospitalisation.
Il est important que la personne soit actrice de sa vie. Quand elle est capable de
discernement, elle peut exprimer ses désirs, faire des choix, nommer ce qui est porteur pour
elle et qui devient un facteur contribuant à une évolution favorable de la situation.
Quand la personne ne parle pas spontanément d’un contact ou d’un lien avec une religion, il
m’arrive de prendre l’initiative de poser une question relative à son parcours de vie, et aux
contacts qu’elle a eus avec une communauté spirituelle ou religieuse.
Selon les mêmes proportions que dans la société civile bien portante, beaucoup répondent
qu’ils sont croyants mais non pratiquants.
Un faible pourcentage évoque un engagement communautaire spécifique, de même que peu
de personnes évoquent une non-croyance radicalisée ou leur athéisme.
Je questionne volontiers les personnes sur leur rapport à la transcendance, sur la place que
cela prend dans leur vie, les remises en questions que cela suscite et sur le sens que cela
donne à leur existence.
Les perturbations liées à l’hospitalisation, suite à une maladie ou à un accident, remettent
parfois en question les croyances d’une personne et touchent leur identité profonde. J’entre en
contact direct avec le vécu de la personne, avec ses références fondamentales.
Au-delà de l’expérience spirituelle partagée, il arrive qu’une remise en question
théologique nécessite une déconstruction et une reconstruction de la croyance, qui intègre
l’expérience vécue. Je suis présent comme témoin et comme accompagnant spirituel dans ce
cheminement intime.
Sentiment d’impuissance
J’ouvre là une espace où l’autre peut exprimer les questions qui ont surgi pendant son
temps d’hospitalisation.
Ceci ouvre la porte à tous les « pourquoi » que se posent les patients et qui ne trouvent pas
une réponse toute faite. C’est l’occasion de l’aveu d’impuissance humaine, médicale,
pastorale, et parfois, je me risque à le dire, divine. Je pense là à cette fillette de 4 ans décédée
dans un stupide accident de voiture, où la taule à peine froissée de la voiture ne pouvait laisser
présager que la jeune patiente, certes pas attachée, allait mourir quelques heures plus tard aux
soins intensifs de pédiatrie. Les larmes de la mère, auxquelles se joignaient celles des
infirmières, des médecins et de l’accompagnant spirituel ne laissaient de la place qu’au
silence partagé. Cette maman m’a exprimé sa reconnaissance pour ce moment partagé avec
elle, sans parole, où la force a pu émerger du silence pour traverser cette épreuve, et le
mystère de Dieu se révéler à elle comme consolation passagère.
Les images et/ou les croyances appartenant au conscient et à l’inconscient se sentent
malmenées et laissent émerger des remises en questions qui peuvent être fondamentales.
J’accompagne ainsi pastoralement ce temps d’errance, où le soupir exprimé, le silence habité,
peut laisser de la place à la douce présence du Mystère, de Celui qui souffre et pleure avec
ceux qui traversent l’épreuve, de Celui qui manifeste sa présence quand le sentiment
d’absence et d’abandon prédomine.
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Ce partage favorise l’expression d’émotions vraies, qui peuvent être nommées, vécues et
accueillies sans jugement.
4. La perspective d’avenir
La sortie de l’hôpital ouvre la porte à des sentiments très variables, liés essentiellement à
l’état de santé du patient qui va franchir ce seuil.
Cela va de la joie du retour à domicile après l’expérience d’une guérison, à l’angoisse de
devoir rejoindre un lieu de soins palliatifs pour mourir. Entre ces deux extrêmes, la gamme
des émotions se décline de plusieurs manières. Une question ouverte permet l’expression de
possibles et d’impossibles, afin qu’ils puissent être nommés. Je demande à la personne
comment elle voit la suite, ce qu’elle envisage ou désire pour son avenir.
J’observe que le récit du passé, sa relecture évoquée précédemment, donne parfois du sens à
l’histoire de vie de la personne et peut parfois avoir un impact pour un chemin d’avenir. Je
suis conscient qu’il peut y avoir un décalage entre l’expression d’un désir et la réalité
objective. Ceci met en évidence le niveau de conscience qui habite la personne qui s’exprime.
Dans mon engagement comme accompagnant spirituel, je me sens souvent proche des
patients, et il m’arrive de me réjouir avec ceux qui rient, de partager une tristesse avec ceux
qui pleurent et d’accompagner dans un processus de deuil celles et ceux qui vivent ou vont
vivre un changement important dans leur vie personnelle, sociale, professionnelle et/ou
spirituelle.
La perte partielle ou totale de l’autonomie constitue un élément important quand une maladie
ou un accident génère un handicap, une perte de mobilité, la perte d’un membre du corps, la
perte d’un appartement, d’un lieu de vie et de relations humaines. Ceci préfigure la perte de la
vie qui se profile à l’horizon.
Possible résurrection
Comment accompagner une personne dans la désespérance et faire naître ou renaître
l’espérance défunte ?
Ma simple présence accueillante, bienveillante, face au désarroi de l’autre, à
l’incompréhension de ce qui s’est passé, va parfois à contre courant du sentiment d’abandon
ressenti à l’égard du corps médical.
Dans ces circonstances, toute parole peut paraître superflue. Je propose de rester là, dans un
moment de silence. Ce moment de silence est habité; il m’arrive d’adresser une prière
intérieure à Dieu, suivant les circonstances, de lui demander d’être présent dans ce temps de
silence. Il peut permettre à l’autre d’exprimer une émotion et/ou de reprendre l’initiative du
dialogue. C’est l’occasion de faire place à ce qui paraît irréel, inacceptable. Je peux rester plus
longtemps que les autres intervenants auprès des patients dans des situations qui n’ont pas de
réponse, sans me sentir pressé par des objectifs de rentabilité, avec des résultats escomptés,
comme c’est le cas pour les soignants.
C’est parfois dans ce creux, dans l’espace offert, que la vie peut renaître, le désir s’exprimer,
l’espérance refaire surface. Je ne plaque pas de parole consolatrice arbitraire, de pansement
religieux qui viendrait taire le spirituel, le réel. Du genre proposer une « petite prière » au lieu
de prendre le temps d’accueillir le sentiment d’abandon de Dieu qui prédomine. Le patient vit
une déstabilisation profonde où les repères sont mis à mal.
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Il m’arrive de rencontrer des personnes qui vivent avec un sentiment d’impuissance pesant.
Par ma présence, je pose une sorte de balise afin de permettre à l’autre de nommer ce qui est
ou ce qui est devenu impossible à vivre, à projeter, à rêver. C’est au cœur de cet espace que
naît parfois un nouveau possible, que je me risque à nommer ici comme un signe de
résurrection.
Dans une étape suivante, je peux explorer avec la personne la nature du chemin qu’elle a
parcouru à l’hôpital, en lui demandant ce qu’elle a découvert d’elle-même à travers cette
maladie et qu’elle aimerait partager avec moi. Cette question permet à la personne de faire
une relecture de ses moments vécus à l’hôpital et peut mettre en évidence des besoins pas
clairement explicités, des remises en questions qui touchent à des dimensions bio-psychosociales et spirituelles, avec éventuellement des désirs, voire des projets encore à réaliser.
Ce bilan de parcours donne l’occasion de voir combien la personne est actrice de sa vie et
comment elle peut exercer un regard critique à distance adéquate de l’événement vécu.
Dans ce genre d’éclairage, nous pouvons inventorier les moyens que la personne se donne
pour affronter plus sereinement la prochaine étape à vivre.
L’évocation des ressources et des manques maintient l’autre dans le réel et évite les rêves
piégeants qui peuvent se transformer en désillusions.
5. L’ au-revoir
Je prépare le terme de l’entretien pour qu’il soit compris par la personne, en lui
demandant si elle désire encore quelque chose de ma part.
Cette question reçoit approximativement une réponse négative de 90% des situations, où les
patients se disent contents de la visite, soulagés apaisés, en réflexion.
A peu près 10% des personnes me demandent de prier avec elles. Je vérifie si elles veulent
que je prie seul, ou si elles veulent joindre leur prière à la mienne. Je leur demande également
si elles désirent que nous terminions en disant le « Notre Père ».
Il m’arrive de questionner les patients sur le sujet de prière ou les intentions de prière qu’elles
aimeraient évoquer.
Je reprends essentiellement des éléments qui ont été partagés pendant l’entretien, en
nommant un certain nombre d’émotions ressenties ou verbalisées et en laissant une
parole d’espérance.
Il est fréquent que ce moment favorise l’expression d’une tristesse, de soulagement,
d’apaisement.
Je vérifie encore comment la personne se sent avant que je parte.
Ceci permet de poser une émotion, un ressenti avant la séparation.
J’exprime volontiers une reconnaissance pour ce que le patient a pu partager, pour le
moment de communion vécu.
En disant « Au-revoir », j’évite les promesses que je pourrais avoir du mal à tenir, du
genre « je viens vous revoir demain ou dans la semaine ». Il peut arriver que la personne
soit en examen ou au bloc opératoire ou absente lors de mon passage. Je risque de nourrir
des attentes qui me lient par un engagement. Je dis plutôt que je prendrai de ses
nouvelles soit en venant la visiter ou alors, si elle n’est pas là, en demandant aux
soignants.
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Conclusion
Cet exposé de mon approche pastorale des patients traduit dans une certaine mesure mon
bonheur à exercer mon ministère dans un centre hospitalier universitaire. Il me permet de me
situer, de me sentir à l’aise et adéquat dans une approche professionnelle qui laisse pourtant
beaucoup de place à l’expression de l’autre. Les différentes étapes d’une visite ne sont pas
nécessairement appliquées à chaque occasion. Je me centre sur ce qui est prioritaire pour le
patient. Quand la personne s’inquiète de son départ du lendemain, il n’y a parfois pas de place
pour parler du passé. De même, quand une personne vient d’arriver à l’hôpital, seul le passé
est évoqué. Il me paraît fondamental de pouvoir lâcher prise sur ce qui est schématique pour
me centrer sur la priorité du patient, avec une blessure particulière qu’il évoque, un deuil à
vivre, une épreuve qu’il traverse.
Offrir un cadre à l’échange, au dialogue, délimite une sorte d’espace sécurisé. La rencontre
s’avère ainsi possible, elle est structurée dans l’espace et dans le temps.
Je vis ces échanges comme des rencontres pastorales, à partir de mon éclairage théologique et
spirituel, en étant conscient qu’ils peuvent produire un effet secondaire thérapeutique.
« Chacun est là avec son passé, son histoire, avec son avenir fait d’incertitudes et de mystère,
et l’aujourd’hui de la visite pastorale à travers lequel le Tout Autre peut se manifester. Elle
peut être vécue comme un cadeau que je nomme présent »*
Pierre Chenuz
Pasteur
accompagnant spirituel
* D’après Marie Lloyd
Lausanne, septembre 2007
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