Article paru dans Le théâtre de rue, Un théâtre de l’échange, sous la direction de Marcel Freydefont et Charlotte Granger (assistés de V. Lemaire et A. Wibo), Études théâtrales, n° 41-42, Louvain-la-Neuve, 2008, p. 192-221, et bibliographie, p. 272-274 Emmanuel Wallon La mobilité du spectateur Chaque spectacle suscite son propre spectateur. Il sollicite à des degrés divers sa faculté d’émotion et sa liberté de jugement, selon qu’il procède à la capture des regards ou qu’il favorise la projection imaginaire, suivant le dispositif scénographique et le mode de jeu dramatique qu’il déploie. Le spectateur fait aussi sa scène. La régie a beau s’affranchir de la séparation coutumière entre la salle et le plateau, le récit s’émanciper des distinctions usuelles entre le réel et la fiction, un contrat de représentation, tacite et informel, ne s’établit pas moins entre le public et les interprètes. Révisable à tout instant mais reconductible en cas de succès, une pareille convention requiert un effort de définition, tant elle est chargée de suggestions esthétiques et de significations politiques. L’extrême variété des genres réunis sous l’expression d’arts de la rue offre une infinité de situations pour exercer cette réflexion. Les spectacles urbains convoquent plusieurs espèces de témoins, du badaud sidéré par des apparitions au partenaire impliqué dans une relation. Simple mateur ou sincère amateur, le client du théâtre en espace ouvert semble versatile : il s’investit dans l’action ou se retire du jeu sans crier gare. De même le public des féeries foraines se montre instable : il s’attroupe puis se disperse au gré des occasions. Et la foule des festivals paraît fluide : elle circule, elle déambule, son libre-arbitre emprunte petits et grands véhicules. Mais comment savoir si cette motricité physique s’accompagne d’agilité mentale ? À quel point les pactes de fiction passés dans le mouvement de la ville mobilisent-ils la pensée ? Une interrogation sur la mobilité du spectateur – tant corporelle qu’intellectuelle – invite à ressaisir certaines notions empruntées à la sociologie des publics comme à l’esthétique de la réception. Une telle approche impose au surplus d'examiner la manière spécifique dont chaque proposition artistique s'inscrit dans un contexte urbain influencé par les circonstances sociales et les contraintes économiques de la manifestation. L’ensemble de ces données déterminent les clauses implicites du marché conclu – sous l’enseigne de la gratuité – entre acteurs et spectateurs, que ces derniers se réservent le droit de récuser dès qu’ils cessent de consentir à l’illusion. La querelle des assis et des levés Après trois ans de mobilisation professionnelle et de mesures ministérielles, le « Temps des arts de la rue » (2005-2007) s’est achevé en France sur le concert d’initiatives de « Rue libre ! », le 27 octobre 2007. Les sirènes et les applaudissements ont ouvert une phase de bilan. Un malentendu persiste néanmoins concernant la valeur esthétique des œuvres et la portée politique des actes. Tandis que les artistes de rue vantent l’audace de leurs inventions et l’intensité de leurs échanges avec le public, des esprits sceptiques considèrent avec commisération les multitudes festivalières comme des masses manipulées par une politique consensuelle dans une logique occupationnelle. Les deux partis empruntent des raccourcis presque symétriques. Chez les adeptes d’une scène sans bord, on oppose les manifestations aux institutions. Celles-ci sont par essence subordonnées au pouvoir, elles servent à la perpétuation d’un ordre qui les entretient par de grosses dotations. Celles-là lèvent l’étendard de la liberté, elles heurtent les certitudes et ne récoltent que de maigres subventions. L’affrontement des événements et des établissements ne serait pas tant le choc du siècle avec la règle qu’un conflit entre le dehors et le dedans, la lutte des places ouvertes contre les salles closes. C’est pourquoi le débat glisse assez vite vers l’alternative de l’élitisme et de l’accessibilité. Les militants de la démocratisation culturelle accusent leurs contradicteurs de se faire les agents de la distinction sociale. Promoteurs de l’égalité devant l’art, ils dénoncent les garants de la hiérarchie des genres. Pour ceux qui préfèrent Guy Debord à Régis Debray, les spectacles en espace public ont le mérite de substituer un régime de participation au règne 1 de la séparation. Bref, c’est « la faute à Rousseau »1 et la fête de Bourdieu. Parmi les contempteurs des arts mineurs, au contraire, on départage les œuvres et les fêtes, le lent travail de la critique et les engouements soudains du public, le recueillement nécessaire au jugement et les étreintes étouffantes de l’opinion, la distance propice à la contemplation et les urgents appétits de la consommation. Optant pour Paul Valéry plutôt que pour Marcel Duchamp, les gardiens de la hiérarchie des genres s’élèvent contre la contamination du signe par la chose. En d’autres termes ils prônent les abstractions de la représentation comme remède aux mirages de la fusion. Dans une version moins caricaturale, cette « querelle du spectacle », pour reprendre le titre du premier numéro des Cahiers de médiologie2, pourrait par exemple exposer leur rédacteur Daniel Bougnoux, professeur émérite, à une tirade de Jean-Georges Tartar(e), auteur-interprète dans le rôle de composition du « Maire de… » à Aurillac. « Le couperet du rideau, rouge encore, a tranché le cou de la représentation. Voici qu’après le désordre des temps chahutés par les comédies et les drames voici qu’après le chaos des contes et des mythes, le temps physique reprend ses droits. Pourtant, l’espace du spectacle mort accouche d’une promesse ignorée des prophètes. Ça bouge encore ! Le silence après la musique, c’est encore de la musique... Écoutons-la ! Voyons au-delà ! » 3 À cela l’éloquent avocat de la coupure sémiotique rétorquerait sur le champ : « Réalisme, présence, pertinence sont autant de conquêtes précieuses à défendre, mais elles peuvent s’inverser en défauts si l’on songe par exemple aux excès du présentisme (au détriment de la profondeur historique), ou aux victoires de l’ubiquité et d’une communication (« Je suis présent partout ») qui joue contre la transmission (…). La représentation n’est donc pas l’ennemie de la présence, mais elle modifie quelque peu celle-ci. Elle la sémiotise, la cadre ou la hiérarchise ; elle contribue peut-être, du même coup, à desserrer son carcan. »4 Il est à craindre qu’aucune des deux doctrines ne procure à elle seule les armes pour résister aux assauts d’une industrie de la communication qui menace d’emporter leurs redoutes respectives, tant en instrumentalisant le récepteur (réduit au statut d’auxiliaire de la programmation) qu’en domestiquant le destinataire (assigné à résidence ou arrimé par des prothèses). À l’heure de l’interactivité télévisée, des sondages instantanés, de la politique scénarisée, de la présidence-spectacle et des cyberconsultations, il serait rusé de savoir pratiquer la « différance », selon le mot de Jacques Derrida qui allie le différé à la distance, aussi bien que l’« immédiateté », pour citer une expression familière de Félix Guattari : la première formule promet de s’élever au plan symbolique, la seconde permet d’évoluer sur les plateaux de l’immanence. Quoi qu’il en soit, avant de rapprocher ces thèses opposées, il faut les confronter aux expériences. Avant de discerner si le spectateur s’éveille ou s’endort dans son fauteuil, s’il s’ébroue ou s’abrutit sur le pavé, il s’agit de déterminer ce à quoi il assiste. Pour se faire une idée de la diversité des productions prenant la ville pour scène, il convient d’abord de se reporter à l’index alphabétique des disciplines du Goliath: « arts de prouesse, arts plastiques urbains, construction monumentale, danse de rue, magie, marionnettes et théâtre d’objets, musique de rue, parade urbaine, pyrotechnie, théâtre » 5. L’énumération ressemble à une alternance d’irruptions artistiques et d’éruptions festives, mais la dernière catégorie recouvre le plus grand nombre de professionnels. Après avoir reconnu la substance théâtrale de la plupart des propositions, tentons donc un classement plus synthétique, en l’illustrant par des compagnies ou des spectacles 2 emblématiques de ces formes. - Exhibitions : spectacles fixes, en plein air ou dans une aire non spécialisée (360° par Amoros et Augustin, Tempête par les Passagers, Le P.U.F. [Produit utile aux festivaliers] par Cirkatomik, Le Train Phantôme par le Phun …). - Déambulations : spectacles itinérants, avec ou sans chars et machines (Taxi par Generik Vapeur - Trafics d’acteurs et d’engins, le cycle des géants [Le Géant tombé du ciel, Retour d’Afrique, Les Chasseurs de girafes, La Visite du Sultan sur son éléphant à voyager dans le temps] par le Royal de Luxe, Transhumance, l’heure du troupeau par Oposito…). - Interventions : intrusions discrètes ou indiscrètes d’acteurs dans l’espace public (le Circuit D de Délices Dada, la Ballade des Piétons, les « commandos poétiques » des Souffleurs, le Safari intime d’Opéra Pagaï, État(s) des lieux du Deuxième groupe d’intervention…). - Installations : inclusion dans l’environnement d’objets ou de dispositifs, animés ou non (les « univers singuliers » d’Opus, le Musée de la vie quotidienne des Cubiténistes Aha, les féeries de feu de Carabosse ou du Groupe F, le mobilier urbain revu et corrigé d’Ici Même [Paris], le Chant des sirènes de Mécanique vivante, Roman Fleuve de KMK…). En pratique, les troupes les plus en vue alternent ou combinent ces quatre grands modes de représentation dans leur répertoire. C’est notamment le cas d’Ilotopie, de la Compagnie Off, de Transe Express, de Kumulus, de Zur et bien d’autres… Solange Oswald, metteuse en scène du Groupe Merci, conçoit l’espace de jeu et la place du spectateur en intelligence avec le plasticien Joël Fesel, de manière à « re-conditionner » le travail des comédiens et la réception de la pièce ; dans Colère !, le spectateur se meut dans une aire délimitée, se hisse sur des échelles, scrute les acteurs enfermés dans des caissons, puis circule autour des tapis roulants qui les font défiler6. Les réalisations de KomplexKapharnaüM commencent toujours par des enquêtes, que ce soit auprès des habitants d’un quartier (SquarE, télévision locale de rue, 2000) ou des retraités des usines Kodak (PlayRec, 2006). La compagnie dirigée par Pierre Duforeau manie de multiples médias au cours de ses pérégrinations urbaines. Les matériaux recueillis et recyclés par cette « archéologie du XXIe siècle » sont aussi nombreux que les rôles impartis à la population visitée, à la fois interprète, intermédiaire et observatrice7. Il arrive néanmoins que les artistes procèdent par soustraction d’actions au lieu d’additionner les formes. Depuis 1997, Jean-Daniel Berclaz invite ainsi les habitants d’une région à inaugurer un panorama de son choix lors des vernissages de son Musée du point de vue, avec le concours d’organismes locaux. Un kit portatif de vernissage est d’ailleurs fourni sur commande aux volontaires8. La séquence du spect’acteur Pour définir leur audience, les compagnies travaillant en milieu urbain se fient volontiers à la formule de Michel Crespin, fondateur du Festival d’Aurillac, de Lieux publics (Centre national de création pour les arts de la rue) et de la Formation avancée itinérante pour les arts de la rue (FAI-AR), à savoir « le public-population ». Certains artistes aimeraient même substituer cette expression à celle de « non-public », avancée par Francis Jeanson en 1968 pour souligner les limites de la démocratisation culturelle dans les institutions subventionnées. De la sorte, le peuple passerait sans frein ni filtre à l’état d’assistance, un peu comme si le théâtre pénétrait à six heures du soir dans ce wagon de métro dont Jean Vilar souhaitait accueillir la bigarrure dans sa salle de Chaillot. Il est vrai qu’Augusto Boal avait déjà inversé la proposition vilarienne en investissant une véritable rame avec son Théâtre de l’Opprimé9. Dans son manifeste « Rue libre ! » (2007), la Fédération des arts de la rue proclame en tous cas le désir de toucher l’ensemble des citadins, sans restriction ni distinction : « Les gens nous rencontrent souvent par hasard, parfois sans le savoir, nous sommes pour tous les yeux et toutes les oreilles […] »10 . D’après Sylvie Clidière, il existerait tout de même deux catégories de spectateurs, qu’on pourrait nommer les initiés et les innocents : « Socialement, le spectacle s’adresse ensemble aux spectateurs prévenus et aux passants de hasard, au public averti et au public “vierge“. »11 En vérité, loin d’opérer par surprise, l’entrepreneur de spectacles prend très souvent la précaution 3 de prévenir les habitants et de préparer le terrain, qu’il soit directeur de festival, programmateur de salle, responsable municipal ou administrateur de compagnie. Un ouvrage pratique paru à la faveur du Temps des arts de la rue lui conseille de prendre en considération les différents corps de la commune, porteurs d’usages variés de la cité, afin qu’ils s’accommodent d’un possible dérangement. « Avant l’arrivée des artistes, l’espace public vit déjà de ses occupants, permanents ou éphémères : des habitants aux commerçants, des usagers aux agents des services publics. » Leur complicité ou tout au moins leur consentement devient le gage des métamorphoses promises : « La proposition artistique […] constitue pour ses habitants et leur quotidien un événement porteur de relations et d’interactions nouvelles, en une démarche qui transforme de fait le lien entre les occupants et l’espace public, voire entre les occupants eux-mêmes. »12. L’enjeu de l’œuvre est de taille, car il s’agit rien moins que de « vivre ensemble et autrement sa ville »13 . Il ressort à la lecture de ce guide qu’une médiation se révèle propice en amont de l’acte pour en favoriser les effets, comme il est depuis longtemps admis dans les théâtres « en dur », dans les auditoriums, les galeries et les musées. « Echanger abondamment [avec les occupants de l’espace public] peut permettre de créer un lien et susciter un intérêt pour l’événement à venir. Au delà, une véritable implication peut être proposée14.» L’avertissement préalable influera donc sur la réception au delà du déroulement du spectacle lui-même : « Au terme d’un événement dans lequel chacun s’est investi, le sentiment d’en subir les contraintes et les désagréments laisse place à la satisfaction d’y avoir participé15. » À défaut d’être l’immédiate incarnation du peuple, le public des arts de la rue peut-il à bon droit se féliciter d’en refléter la composition sociale ? On en sait davantage à ce sujet depuis l’enquête menée par Floriane Gaber (avec les conseils de Jean-Michel Guy) auprès de 8.000 spectateurs de neuf festivals européens appartenant au réseau Eunetstar16. Ses conclusions sont claires : « Dans leur majorité, les publics européens interrogés ont un fort niveau d'éducation, des pratiques culturelles supérieures à la moyenne, et beaucoup appartiennent aux catégories socioprofessionnelles les plus élevées. Ils sont majoritairement jeunes (plus de la moitié ont moins de trente-cinq ans), célibataires et présentent le profil-type des personnes maîtrisant leur temps et leurs loisirs, et profitant pleinement de l'offre culturelle qui leur est faite. La rue est un domaine relativement nouveau qui est intégré, au même titre que les autres sorties (théâtre, concert, expositions, cinéma), dans les habitudes de ces gros consommateurs de culture. »17 Un pareil constat s’applique sans doute aux quelque 650.000 festivaliers qui, bon an mal an, fréquentent les plus grosses manifestations françaises selon les évaluations du ministère de la Culture18 et de HorsLesMurs. La similitude entre le gros des effectifs et ceux que fédèrent les autres disciplines ne doit quand même pas faire oublier qu’un spectacle de rue attire souvent des personnes qui échappent à la plupart des pratiques tarifées. « Et si […] on ne se contentait plus de ”compter” le public mais qu’on essayait de le raconter ? ». Cette démarche, entreprise lors d’un colloque à Sotteville-lès-Rouen en 2005, a été poursuivie méthodiquement dans sa thèse par Anne Gonon19. Les portraits de groupes et d’individus qu’elle y dresse permettent de vérifier l’aptitude du théâtre de rue à élargir les contours du public et à enrichir les fonctions du spectateur. Il n’est pas dit pour autant que les autres arts seraient incapables d’atteindre ce résultat. Un leitmotiv dans la rhétorique des professionnels du secteur consiste à louer le dynamisme du spectateur debout, qui contrasterait avec l’inertie de l’observateur assis. Une suspicion pèse sur l’abonné du centre dramatique ou de la scène nationale : non seulement il s’avérerait un nanti, privilégié par l’instruction et la culture sinon par la naissance et la fortune, mais encore il se révélerait un oisif, traînant sa paresse dans le cocon des salles climatisées. L’idée s’adosse à tout un système de valeurs où l’action l’emporte sur l’attente, la liberté sur l’aliénation, l’engagement sur le retirement. « Le spectateur n’est plus dans une posture figée. Il est pleinement engagé dans la représentation, complice volontaire ou involontaire. Dans certaines occasions, il devient même un spect’acteur. Sans lui la représentation ne peut avoir lieu. Il en est l’interprète principal, ou même l’auteur car il lui faut parfois écrire la pièce ou la scène qu’on l’a invité à jouer. »20 Un florilège de l’Esthétique des arts de la rue édité sur DVD par HorsLesMurs illustre ce postulat par des extraits de plusieurs pièces. Le Concert de public d’Allegro Barbaro, comme les créations participatives de Décor sonore, témoignent parmi beaucoup d’autres que l’implication du spectateur alimente l’œuvre en substance, qu’elle en fournit la source et pas seulement le débouché. L’apologie du spectateur actif découle certes d’une sous-estimation des facultés du récepteur fixe, qu’on tentera bientôt de réhabiliter. Elle tait en outre les 4 conditions de déroulement d’environ deux tiers des spectacles qui ont lieu, notamment dans le cadre des festivals, dans des aires bornées devant un public sédentaire. Il s’agit alors d’une assemblée expressément convoquée pour la représentation, consciente de sa fonction collective bien que chacun de ses membres se soucie de la place qui lui est accessible pour tout voir et bien voir. Il faut à ce propos relever le retour dans les arts de la rue de la notion de jauge qu’on croyait réservée aux remplisseurs de salles. Le guide déjà cité est explicite là-dessus : « Finalement la détermination de la jauge est une démarche centrale du projet et s’articule autour de trois axes que sont l’adéquation avec la proposition artistique, l’adéquation avec le lieu, et le respect des règles de sécurité. »21 La spontanéité dût-elle en souffrir, il préconise à cet effet le recours à des moyens de contrôler l’affluence (une signalétique, des parkings, des barrières, un éclairage, des points d’eau, des toilettes, des rampes pour les fauteuils roulants, voire des médiateurs), y compris l’instauration d’une billetterie gratuite, laquelle devient payante dans certains festivals22. Il a maintes fois été signalé que la gratuité avait une visée symbolique excédant sa portée économique. Elle signifie le libre accès en même temps que l’affranchissement des conventions, comme si le tarif exonéré appelait l’acte gratuit. On comprend dès lors ce qu’il en coûte d’y renoncer. La quête, travail « au chapeau » ou labeur « à la manche », ne déroge pas au principe, mais elle est réprouvée par l’Inspection du travail et des affaires sociales sous couvert de chasse à la fraude. Sous peine de verser dans le bénévolat ou de courir après le mécénat, il faut donc que le spectacle ait été payé par la collectivité, laquelle ne souhaite en guise de bénéfice qu’une meilleure concorde entre ses membres. Il reste donc à démontrer que la perception du spectateur urbain affecte et informe son intellection au point de modifier son comportement politique. Le citadin est loin d’être un quidam tiré de son hébétude par l’irruption des œuvres ou l’intervention des artistes qui lui enjoindraient de se transformer en super-citoyen. La ville abritant son quotidien, il l’habite aussi à un étage imaginaire, qu’il en partage certains secrets depuis l’enfance, qu’il s’approprie un recoin dans son dédale, qu’il y subisse les rigueurs de l’exil ou de l’exclusion. Du reste la pièce peut lui paraître une distraction passagère, comme la navigation urbaine en ménage souvent : manifestation syndicale, parade commerciale, chantier de construction, dispute de voisinage, incident insolite, accident de la circulation. La fiction affronte partout alentour la rude concurrence de la réalité. C’est pourquoi il peut se laisser détourner par d’autres scènes suscitant son intérêt, autant de spectacles autour du spectacle qui le distraient des subtilités du théâtre dans le théâtre. De la dissipation en milieu urbain Au Musée de Rome, on peut voir un tableau daté de 1656, immortalisant le carrousel allégorique donné cette année-là par les Barberini au pied de leur palais, en l’honneur de Christine de Suède23. Deux artistes se sont partagé la tâche de dépeindre le spectacle, le premier s’attachant à l’architecture, à la ronde des chars et aux personnages en costumes, le second s’attardant sur les attitudes et les visages des multiples spectateurs. Ces derniers composent un panorama captivant pour le regard de leurs semblables, malgré la magnificence de la cavalerie caparaçonnée, enrubannée et emplumée, la splendeur des chars ornés et dorés de toutes parts, la beauté des dragons ondulant entre des vases de feu et la présence de musiciens chamarrés. Toute la hiérarchie sociale, incluant les nobles et les prélats (y compris ceux qui justifient du double état), s’étage selon le rang et l’habit sur des galeries et des gradins tout autour de la cour, sans égard pour les retardataires que des gardes repoussent ni pour les imprudents qui s’accrochent tant bien que mal aux fenêtres. Les uns pensent et les autres parlent, certains s’effrayent et plusieurs s’émeuvent, mais il en est aussi beaucoup qui lisent le programme, commandent à boire ou à manger, montrent un détail à leur voisin, enfin s’absorbent dans l’observation mutuelle. Deux siècles plus tard, le spectacle a beau s’être enfermé dans la conque du théâtre, le jeu des regards persiste à chercher des tangentes à la scène, comme dans cette toile de Mary Stevenson Cassatt, au musée de Boston, où un homme au second plan scrute de son balcon une femme qui, dans sa propre loge, braque ses jumelles vers un sujet situé hors du cadre24. De nos jours certains metteurs en scène enrôlent cette curiosité au service de la dramaturgie. Au Théâtre national de l’Odéon, Éric Louis et ses complices surprirent ainsi les spectateurs d’un Tartuffe et les promeneurs du Luxembourg, 5 mutuellement fascinés de s’entrevoir par une porte ouverte en fond de scène, ceux-ci se haussant sur leurs fauteuils, ceux-là braquant leurs téléphones et leurs objectifs vers la salle, tandis que les comédiens faisaient la navette entre l’intérieur et l’extérieur25. Comment savoir si l’étonnement ou l’émerveillement suscité par les surprises de la représentation dissipe le spectateur dans les nuées du divertissement, ou si les émotions et les impulsions qu’il enregistre l’exhortent au contraire à la pensée ? Le dilemme n’est pas sans rappeler les problèmes soulevés par l’essor de la scénographie et les progrès de la machinerie dans le théâtre baroque. Les prodiges surgissant des coulisses, des cintres ou des dessous entraînaient la sidération selon les uns, amorçaient une méditation selon les autres. À vrai dire toute étude de la perception envisageant l’œuvre comme un bloc est vouée à l’échec, car il existe plusieurs niveaux et plusieurs stades dans les opérations de la réception. En général celle-ci débute en amont du spectacle par la lecture d’un programme qui renseigne sur les intentions des artistes, puis elle se prolonge en aval de l’événement dans les discussions entre amis, parents ou voisins. Le temps de la représentation forme une ligne sinueuse ou brisée, car il ménage des pics d’attention et des plages de distraction. L’exemple de la symphonie est instructif à cet égard : un mélomane chevronné accompagne son audition par la consultation préalable, parallèle ou postérieure de la brochure et même de la partition, qu’on envoyait autrefois aux abonnés des sociétés de concert. Il peut en plus reproduire l’expérience dans des conditions fort différentes grâce au CD, au MP3 ou au DVD. Au théâtre, l’habitué pratique encore ce va-et-vient entre le texte et la scène quand il épluche la feuille de salle, s’il achète l’ouvrage à la sortie ou lorsqu’il relit chez lui telle pièce du répertoire. En comparaison, les spectacles de rue semblent entièrement sous l’emprise de l’acte. Il n’y a pourtant pas lieu de déplorer l’effacement partiel ou complet de l’écrit s’il est compensé par un affûtage du regard et de l’écoute. Leur originalité - il faut insister sur ce point - réside moins dans leur manie d’arranger les arts (au pluriel : dramatiques, comiques, musicaux, audiovisuels, circassiens, pyrotechniques, mécaniques…) que dans leur manière d’agencer des rapports entre les partenaires de la représentation, mis en situation d’interaction, voire d’interlocution. Leur proximité cause un trouble plus ou moins puissant, qui ne va pas jusqu’à abolir le jugement du spectateur mais est susceptible de désinhiber certaines de ses impulsions. Ainsi la metteuse en scène Emma Drouin ressent-elle, amplifiés après répercussion, les stimuli dirigés vers le public : « Dans la pulsion proposée par les acteurs ou l’image qui se développe devant ses yeux, on se met à crier, à courir et faire même des actes habituellement proscrits. “Et puis, puisque les acteurs le font, pourquoi pas moi ?”26. On constate que les données de la controverse n’ont guère changé depuis que Platon et Aristote l’ont lancée. La grande affaire consiste toujours à forger les outils du discernement entre le monde et ses ombres, le réel et ses figures, l’idée et ses imitations. Le travail de la raison exige de distinguer entre des degrés de vraisemblance, des niveaux d’interprétation, des plans de représentation. Le psychologue Henri Wallon observait à propos des enfants ou des « primitifs », qu’il lui arrivait d’assimiler les uns aux autres : « La fiction est une démarche indispensable de la pensée, dès qu’elle tend à se dégager de la perception brute »27 . Il existe cependant des degrés à gravir pour accéder à l’univers des signes: « Entre l’imitation et la représentation peut s’introduire le simulacre »28. Le passage au niveau symbolique permet d’accéder aux puissances de la représentation, notamment par le truchement du langage. Insistant lui aussi sur le caractère progressif de son acquisition, Jean-Marie Schaeffer, directeur de recherches au CNRS29, confirme l’importance de cette faculté dans le développement de la personnalité : « Pour moi, la fiction, avant de relever de l'art en général (éventuellement de la littérature en particulier), est une compétence psychologique que le petit enfant apprend et qui joue un très grand rôle dans sa vie mais aussi dans celle de l'adulte »30. Dominique Lemaire les approuve sur la base de son expérience d’auteur et de comédien pour l’espace public avec sa compagnie Le Geste et la parole. Il remarque à l’instar des psychologues que le contrat de représentation, ce « pacte de fiction » cher aux sémiologues, est aussi vite compris que conclu par les enfants : « Et le lion a peur du chasseur, et le chasseur a peur du lion, sans pourtant que ni l’un ni l’autre ne cesse de savoir qu’il ne s’agit que d’un jeu. C’est enfantin, et de ce fait, terriblement difficile à manier. Du canular, on vire à la mystification. La marge est étroite entre le jeu et la duperie. Les récentes polémiques autour de l’organisation de Manifs de droite ont été passionnantes à cet égard »31 . 6 Nombre de compagnies flirtent avec cette limite. Les « effets d’étrangeté » recherchés par Jacques Livchine, pilier du Théâtre de l’Unité32, oscillent sans doute entre la distanciation épique à la manière de Bertolt Brecht et la transgression carnavalesque selon Mikhaïl Bakhtine. La première incite à l’analyse, qui peut éventuellement être un préalable à la subversion, la seconde pousse à la jubilation, qui sert parfois de prélude à l’intégration. Les fumistes, Dada, les surréalistes, les lettristes puis les situationnistes ont pris la mystification au sérieux – c’est-à-dire au fou rire – depuis des lustres. Ces hauts parrainages conviendraient sûrement à des compagnies comme Opéra Pagaï qui intitula l’un de ses spectacles L’Entreprise de détournement. L’italien Leo Bassi est aussi passé maître dans cet art qui requiert le génie de l’improvisation et le goût de la provocation. La compagnie 26.000 Couverts pratique à merveille l’art de transgresser la règle, en s’offrant le luxe de faire ratifier à l’avance par le spectateur et la convention et son contraire. Le programme de son interprétation de Beaucoup de bruit pour rien (2006) mérite pleinement son sous-titre, « Didascalies pour un mensonge ». C’est l’authentique pastiche d’un livret de théâtre contemporain, avec biographies imaginaires, citations tronquées, notes de dramaturgie parodiques, distribué aux spectateurs à l’amorce d’une représentation dont on se bornera à dire, pour faire durer un peu le mystère, qu’elle exauce le vœu d’André Markowicz, évoquant à la fois Le Mentir-vrai de Louis Aragon (1980) et La Vérité si je mens ! de Thomas Gilou (1997), s’il est permis de les aboucher : « Alors vient le mensonge vrai ». Cet art de la « feintise » (mot du XIIème siècle qui signifie faire semblant) demeure sous l’autorité du grand Will : « Je tiens ce monde pour ce qu’il est : un théâtre où chacun doit tenir son rôle ». En somme, l’extrême variété des manifestations fédérées dans les arts de la rue défie l’analyse dès qu’il faut qualifier les conventions de jeu, de regard et d’écoute qu’elles font entrer en vigueur. L’application à toutes ces formes d’un lexique similaire, reposant sur le couple acteur/spectateur, ne se révèle pas une meilleure solution que l’utilisation d’un vocabulaire particulier, forgé par la fusion de ces deux pôles de la représentation. Les modalités d’un sentir et d’un « agir communicationnel » (pour paraphraser Habermas)33 entre des intervenants et des observateurs confrontés dans l’espace public, empruntent de fait à toute la gamme des interactions entre émetteurs et récepteurs qui prévalent dans les disciplines performatives, mais aussi dans des types de rencontres dénuées d’enjeu esthétique. Ces protocoles d’échange évoluent selon le contexte et la conjoncture. Le degré d’implication et le niveau de vigilance requis de la part du public fluctuent de manière relativement indépendante l’un de l’autre. On peut esquisser la distribution de ces relations à travers un tableau aussi schématique que sommaire. Mode d’interaction : émetteurs / récepteurs → type de communication Spectacle (en général) : acteurs / spectateurs → contrat de représentation Événement : agents / témoins → attention, attraction ou répulsion Parlement: élus / électeurs → délégation Cérémonie: officiants / fidèles → communion Compétition sportive : concurrents / supporters → empathie Tournoi : joueurs / jury → participation + évaluation Banquet : hôtes / invités → partage Meeting : orateurs / militants → adhésion Cortège: manifestants / passants → interpellation Défilé de mode : mannequins / clients → séduction Colloque : conférenciers / auditeurs → écoute critique (ou évaluation) Concert : musiciens / auditeurs → écoute intense (ou immersion) Théâtre : interprètes /assistants → adresse (ou projection directe) Marionnettes : manipulateurs + objets / assistants → triangulation (ou projection indirecte) Théâtre-forum : comédiens + « jokers » / « spect’acteurs » → expression Cirque : artistes (acrobates, jongleurs, voltigeurs…) / publics → admiration Performance : expérimentateurs / observateurs → impression Entresort: exhibitionnistes / voyeurs → complicité Foire : bonimenteurs / chalands → curiosité, crédulité Carnaval : travestis (masques, géants…) / fêtards → inversion, transgression Arts de la rue : artistes / habitants → suggestion, sollicitation, implication… 7 Il existe bien sûr d’autres configurations qui secrètent des interactions dignes d’intérêt, comme le music-hall, le cabaret, le café-concert, le café-théâtre, sans oublier les matchs d’improvisation théâtrale. Lorsque les agents de la communication ne sont pas directement mis en présence, comme il advient dans la lecture, au cinéma, avec la vidéo, devant la télévision ou sur les réseaux d’internet, les relations n’en sont pas moins établies à des seuils d’intensité plus ou moins élevés. L’écrivain attire son lecteur dans des labyrinthes où sa fantaisie le guide ou l’égare à chaque détour, comme Borges l’a montré dans ses propres livres. Ainsi le film, en dépit d’un système de projection différée qui sépare radicalement les opérateurs des récepteurs, a conquis auprès des spécialistes la réputation de favoriser une forte identification grâce au face à face des figures animées et des visages attentifs. Et Marshall McLuhan, qui aimait à classer les médias du chaud au froid34, ne pouvait prévoir que certains usages de la caméra numérique et du traitement d’image sur ordinateur ajouteraient à la distanciation quand d’autres accentueraient au contraire la subjectivité du regard. On vérifiera plus loin qu’un semblable dilemme affecte les plasticiens – peintres ou sculpteurs – et les contemplateurs de leurs œuvres dans le cadre de l’exposition, selon qu’ils préfèrent la « théâtralité », « l’absorbement » ou « l’opticalité »35. Abrégé de théâtrologie péripatéticienne La sociologie des publics, telle qu’elle s’est développée depuis trois décennies, demeure en large partie statistique et descriptive. Elle dénombre les spectateurs, puis les classe par genres, âges, catégories socioprofessionnelles, provenances géographiques et niveaux d’instruction, enfin elle recueille leurs opinions et leurs impressions, avant d’en tirer des conclusions sur le caractère plus ou moins reproducteur des pratiques culturelles, la nature plus ou moins distinctive des fréquentations artistiques. Il se pourrait bien que son objet principal, à savoir l’étude des comportements collectifs, lui échappe en cours de route. Car le spectateur en général – et plus particulièrement celui des arts de la rue – ne se détermine pas de manière solitaire et univoque. Pour emprunter au vocabulaire de la communication, qui raisonne en termes d’émission et de réception, il se contente rarement de son office de destinataire d’une œuvre. Lorsqu’il est libre de ses mouvements dans la ville, il fait aussi fonction de figurant bénévole aux yeux de ses semblables ; il peut devenir l’improvisateur d’un jeu solidaire avec les acteurs, voire le coauteur d’une pièce collective ou composite aux côtés de ses concepteurs. C’est un agent double, sinon triple. Pour analyser le travail du spectateur et comprendre comment s’édifie son point de vue, l’indispensable observation des aménagements scéniques et le nécessaire relevé des règles du jeu ne suffisent pas. Il faut faire état des dispositifs de représentation et des circonstances d’interprétation, mais aussi rendre compte des procédés d’interaction entre participants. Il convient de parler des processus et non seulement des environnements. Autrement dit, il s’agit de combiner l’analyse des transformations à l’étude des situations. Tout agencement oriente le regard et conditionne l’écoute. Attribuée au théâtre en général, l’expression de « constructions coulissantes »36 convient a fortiori pour évoquer les scènes du dehors, glissées dans le décor urbain et les narrations évolutives, coulant dans le canal de la rue. Il reste à voir comment ces constructions structurent la réception, dès lors qu’elles impliquent des conventions de jeu réflexives, qu’elles installent des systèmes d’affectation réciproque, qu’elles établissent des modes de relation aléatoires. Sans craindre de contredire ceux, nombreux, qui pensent que l’assise du spectateur offre une base inébranlable à son sens critique et ceux, pas rares, qui déclarent le confort d’un siège propice à la concentration des facultés intellectuelles, les artistes « de rue » font le pari que le déplacement du public stimule son entendement. Une quarantaine d’années après la renaissance du genre et plus de vingt ans après le lancement du Festival d’Aurillac37, il est permis de soumettre leur hypothèse au débat théorique et à la vérification empirique. Cet examen réclame quelques instruments, nommés ici invention, assistance et contrat. D’emblée la notion d’invention du spectateur, avancée lors d’une rencontre avec Solange Oswald et Pierre Duforeau38, revêt deux significations : elle évoque, d’une part, la convocation d’une assistance par les artistes dans des conditions qui déterminent un registre de perception et d’appréciation et, d’autre part, l’imagination que ces témoins-participants investissent dans l’accomplissement du spectacle. On reconnaît là deux problématiques qui laissent rarement en repos 8 les penseurs du théâtre : d’abord la question de l’adresse au public, qui concerne autant l’individu isolé dans son fauteuil que l’assemblée réunie dans la salle ; ensuite la question de l’ambiguïté de l’œuvre, posée notamment par Umberto Eco dans l’espace littéraire39, qui résonne d’autant plus fort quand elle s’attache aux compositions instables de la scène et aux performances inégales des comédiens. Le lecteur d’un roman, l’auditeur d’un concert, le contemplateur d’un tableau, le visiteur d’une exposition, tout comme le spectateur d’une pièce ou d’un film, pallient par leur mémoire et leur fantaisie, à partir de leurs propres compétences, les lacunes volontairement ménagées ou involontairement creusées par l’auteur dans son œuvre. Une telle conception du récepteur en tant que partenaire permet d’invalider l’idée de conquête ou de capture du public vers laquelle tend l’usage courant des statistiques. Celles-ci ne sauraient mesurer les succès (ou les échecs) de la démocratisation culturelle, les progrès (ou les reculs) dans l’accès aux œuvres d’après le pourcentage de la population concerné par telle ou telle pratique, sans tenir compte de son intensité réelle. Cependant cette acception du destinataire risque aussi de galvauder l’idéal du sujet politique en lequel la rhétorique de maintes compagnies métamorphose le moindre passant, pour peu que sa trajectoire rencontre leurs cortèges. Du citadin au citoyen, la transformation est affaire d’implication et pas seulement d’exposition. Qu’on le considère comme un esthète ou comme un électeur, le spectateur doit apprendre à se mouvoir parmi ses semblables, à régler son regard vis-à-vis des autres et à moduler sa distance par rapport aux tiers dans le magma urbain. Le bel oxymoron de « spect-acteur » (ou spect’acteur), propagé de longue date par les praticiens du théâtre-forum dans la foulée d’Augusto Boal, restitue bien mal la gamme de ces facultés. Loin de la dépasser, il renvoie à l’opposition des rôles actif et passif que colportent les visions binaires de la société : oppresseur/opprimé, manipulateur/manipulé, dominant/dominé. Or les offices effectifs d’un observateur attentif échappent souvent à cette dichotomie. Investi dans le spectacle, celui-ci n’intervertit pas sa position avec celle des interprètes, mais il interagit sur différents modes avec eux, ainsi qu’avec le reste du public. Aussi loin que sa participation soit poussée, elle n’abolit pas son statut – son privilège, son immunité – de spectateur. Il ne fait mine de s’en départir que pour offrir à l’ensemble de l’assistance (y compris à lui-même) l’illusion éphémère de son assujettissement à la fiction. Tel ce partenaire à demi consentant, réquisitionné par les clowns parmi les gradins pour susciter des frissons et des rires parmi ses semblables qui s’imaginent à sa place, il autorise par le détour d’une action feinte le recours à divers régimes de perception. À chaque instant ses émotions individuelles, vivifiées par les acteurs, se réfléchissent dans les réactions des autres spectateurs. La dimension collective et mutuelle du processus de réception conduit à préférer le terme d’assistance à celui d’audience, équivalent anglais de public et synonyme français d’auditoire. Le verbe assister associe le sens intransitif (être présent pour entendre et voir) et le sens transitif (aider, accompagner, seconder quelqu’un dans sa tâche). Le contrat de représentation Ensemble, les assistants combinent donc les rôles de témoins et d’adjoints dans le déroulement du spectacle. Leur complicité avec les interprètes cautionne la pertinence de la performance. Ce constat justifie pleinement la formule de contrat de représentation. Le fait que des artistes se déclarent volontiers ennemis des conventions ne les délivre pas du respect d’engagements réciproques. Ceux qui contestent les lois du théâtre visent le plus souvent des codes historiquement constitués (du XVIIème au XIXème siècle) et géographiquement situés (en Europe occidentale), telles que la présentation sous abri spécifique, la séparation scène-salle, la prééminence du texte sur le geste, l’unité du temps et du lieu sinon celle de l’action, la clôture de l’œuvre. Cela ne les empêche nullement de souscrire à quantité de clauses. Ainsi l’esprit libertaire qui souffle dans bien des compagnies « de rue » ne les exonère guère des règles de l’art dramatique ou du jeu comique, pas plus qu’il ne les dispense des normes d’occupation de l’espace public. Le guide juridique et pratique publié par l’association HorsLesMurs40 recense celles qui régissent la plupart des spectacles de plein air, qu’ils répondent à des commandes municipales, à la programmation de festivals, ou encore à des achats de services et d’établissements culturels. Ces circonstances exigent d’ailleurs des accords en bonne et due forme écrite : contrats de cession, de coréalisation ou de coproduction. Pourtant c’est à une autre forme d’entente que l’on s’attache ici. 9 Un contrat de représentation équivaut pour le théâtre au « pacte de croyance » dont traite le sémiologue Gérard Genette à propos de littérature41. Il confirme le consentement à l’illusion. Sa portée est bilatérale, car il s’étend de part et d’autre d’une barrière symbolique aussi légère qu’amovible. Sa validité est collective, puisqu’il émane d’un groupe d’acteurs et d’une assemblée de spectateurs. Sa conclusion est presque instantanée, tant les formalités préalables en furent réduites depuis les alentours de 1968. C’est un accord sans protocole, à quelques détails près. De même qu’à l’opéra, on se passe désormais des chichis de la toilette et des salutations, des trompettes annonciatrices, des boniments d’avertissement, des trois coups inauguraux, des levers de rideau, voire des fondus au noir ; en pleine ville, a fortiori, pas de ticket ni de numéro, permission de laisser les portables et les mégots allumés ; parfois des cornes de brume, des roulements de tambour et des jets de fumée signalent que la fête commence, comme dans un lointain souvenir des fastes d’antan. En revanche la révision et la suspension du contrat sont l’enjeu d’une négociation permanente. Amendements, additifs, avenants, codicilles, post scriptum : les interprètes et les assistants semblent, sur le sujet de décider ce qui relève de la fiction et ce qui ressortit à la réalité, les duettistes d’une comédie de gens de robe telle que les Corneille et leurs contemporains en troussèrent à l’envi. Sauf que ces plaideurs-là ne discourent point. Un regard leur suffit pour sanctionner une clause ou la réfuter. On songe plutôt à la scène fameuse d’Une Nuit à l’opéra42 (1935) où Groucho et Chico, à la fois concurrents et complices, s’appliquent de conserve à rétrécir un document à l’état de confetti au fur et à mesure qu’ils en déchirent les articles superflus. Quand les frères Marx exécutent le droit contractuel, la transaction appelle la transgression. Il en va de la sorte chaque fois que des artistes invoquent des codes de représentation qu’ils invitent les spectateurs à bousculer avec eux. Ceux qui désignent la coupure sémiotique comme le dernier rempart de l’ordre symbolique sur lequel se dresse la civilisation accordent à cette dernière un trop bref répit et un bien maigre crédit. Contrairement aux murailles de Troie, une construction imaginaire n’est puissante que de pouvoir être pénétrée de l’extérieur et parcourue à l’intérieur. C’est à pareille exploration que le public s’adonne lorsqu’il occupe tour à tour les postes que leur cèdent les auteurs et les acteurs. A contrario, les entrepreneurs de spectacles prétendant que le pouvoir appartient à ceux qui regardent, écoutent et participent font preuve de naïveté ou de cynisme. Au mieux, ils négligent d’assumer l’autorité qui leur a permis d’arranger ces visions et d’organiser ces manifestations. Au pire, ils feignent d’ignorer les compétences requises de la part du spectateur pour devenir juge et arbitre de leur signification. Ce faisant, ils trahissent la confiance dans laquelle celui-ci avait adopté la règle du jeu. Le contrat de représentation peut ainsi cacher des conditions trompeuses ou des clauses léonines. Il peut aussi inclure des obligations qui ne seront pas satisfaites. Toutes les œuvres ne se valent pas du point de vue de la sincérité ni sous l’angle de la cohérence. L’originalité d’une pièce tient sans doute à la force intrinsèque de l’écriture, à la teneur inédite de la fable, au décor inusité de l’action, au talent authentique des comédiens, au caractère novateur de la composition, à l’audace de la régie. Son efficacité en espace ouvert dépend en outre de la séduction des acteurs, des costumes, des machines, des artifices. Mais sa valeur doit-elle être indexée sur l’ampleur de l’échange entre agents et assistants ? La critique ne saurait différer la question, car elle la divise sur les divers fronts de l’art. Partout, à propos de peinture, de sculpture, d’installations, de performances, de musique, de danse, de théâtre, de cirque et même de cinéma, de vidéo et d’arts numériques, le problème posé depuis les années 1960 a trait à la contribution du spectateur. Jusqu’à quel point son intervention est-elle souhaitée par l’artiste et sollicitée par l’œuvre ? Le débat serait peut-être resté confiné dans les départements d’esthétique des universités, si son actualité n’avait été relancée de façon spectaculaire, c’est le cas de le dire. De nombreux plasticiens prient les visiteurs d’exposition de s’impliquer dans des arrangements ou des environnements. Des compositeurs tels que Nicolas Frize ou Michel Risse prient leurs auditeurs de produire leur musique de concert avec des instrumentistes professionnels. Des chorégraphies comme celles des compagnies Beau Geste ou Ex Nihilo, mais aussi de William Forsythe ou Sacha Walz suscitent les déplacements des spectateurs autour des danseurs en mouvement. Des vidéastes retournent leur caméra vers l’assistance afin qu’elle adresse des signes de connivence à sa propre image. Les metteurs en scène crurent souvent innover dans ce domaine, même quand ils se contentaient de renouer avec de vieux procédés du Pont-Neuf ou 10 de la Foire Saint-Germain, auxquels les gens de la piste eurent souvent recours tout au long de leur histoire. Quant aux artistes de rue, la participation constitua d’emblée pour eux un postulat esthétique, sinon un impératif éthique. Le triomphe du spectacle avait été prophétisé dès 1967 par Guy Debord comme une ère de séparation absolue entre le « gouvernement » du système et les individus43. Son avènement ou plutôt son « achèvement » paraît avéré dorénavant dans tous les domaines, culturel, économique, médiatique et politique, comme le théoricien du situationnisme l’a constaté en 198844. Et voici qu’à grand renfort de solutions médiatrices et de techniques interactives, les institutions parlementaires et les établissements artistiques font l’éloge de la relation, à l’instar des industries de la communication et des entreprises de divertissement. Des présentateurs de la télévision aux candidats aux élections présidentielles, le mot d’ordre de la participation - que le baron Pierre de Coubertin n’a pas lancé, quoi qu’en prétende une légende tenace, et qui n’avait obtenu qu’un modeste succès dans la bouche du général de Gaulle - se répand sur les ondes et les écrans. On sonde le consommateur et le contribuable. On interroge les promeneurs ou les résidents. On sollicite l’usager pour motiver l’employé. On courtise les petits porteurs pour contrôler les grandes entreprises. La fortune de ce thème paré de vertus démocratiques éclate de nos jours, comme on le remarqua durant les joutes électorales de 2007 en France, tant dans les réunions de Ségolène Royal que sur les plateaux de TF1. Il règne chez les fabricants de reality shows, aussi bien lors de la sélection des lauréats sur concours que pour leur élimination par des téléspectateurs munis de portables ou de zappettes. Enfin il s’impose avec quelque élégance dans le domaine théorique. Cela ressort clairement d’une série d’articles et d’essais voués aux artistes dont la préoccupation commune consiste à substituer le milieu au lieu, l’échange à l’œuvre, l’implication à la contemplation. Par réaction, d’autres esthètes en viennent logiquement à soupçonner des disciplines qui entretenaient jadis la distance et la distinction d’apporter un renfort décisif à l’empire de la proximité et de la dispersion. Les compositions et les dispositifs qu’ils attaquent ont pour trait commun d’encourager l’implication du spectateur, sans laquelle l’œuvre peine à s’abstraire du support de son existence matérielle et à se détacher du contexte de son accueil. Il serait hâtif de les taxer d’élitisme ou de passéisme, mais il est permis de défendre la démarche des artistes qui, quatre-vingt-dix ans après les ready-made de Marcel Duchamp, exploitent encore la confusion entre le réel et l’imaginaire, les objets ordinaires et les artefacts, le temps du quotidien et le moment d’exception, pour provoquer des écarts de perception et des efforts de réflexion. Pratique conventionnelle ou stratégies relationnelles Pour décrire les drôles de relations paritaires qui ont cours sous le régime contractuel entre acteurs et spectateurs, il est tentant de puiser dans le lexique juridique, qui distingue des dispositifs et des dispositions, des droits et des obligations, des registres et des rôles. Avant tout il importe de ne pas confondre les deux premiers termes. Les dispositifs retiennent toute l’attention des spécialistes de la scénographie comme Marcel Freydefont. Ils ont diagnostiqué l’ablation ou l’abolition du « quatrième mur », dépeint les espaces circulaires ou bifrontaux qui se prêtent au commerce des regards, analysé les appareillages mobiles qui font de la représentation un système mouvant. Ayant revisité les pionniers de la mise en scène au siècle dernier, ils se sont éloignés du plateau observé sous l’égide de Giovanni Lista45, pour mieux mesurer les extensions de cet art à travers les villes. D’autres ont décrit avec eux le transfert des scènes vers des locaux non réservés au spectacle, leur dispersion sur des terrains mal protégés des vents, et suivi les déambulations des compagnies sur des itinéraires peu balisés. À partir de là, les recherches se prolongent dans de nouvelles directions, par exemple avec Alix de Morant qui a retracé la genèse des troupes itinérantes avant d’étudier d’autres « nomadismes artistiques »46. En devenant légers et portatifs, certains dispositifs prennent un aspect presque abstrait. Mais la notion s’applique encore aux complexes échafaudages multimédia et aux lourds attirails interdisciplinaires dont les artistes de la rue s’entourent parfois dans leurs performances. 11 Les dispositions sont d’abord des mesures prises d’un commun accord pour exécuter des résolutions ou faciliter des actions. Elles peuvent également être des facultés mises au service de ces intentions. Chaque mode de représentation requiert les siennes. Certains exigent un fort degré de connivence et de proximité entre les agents afin d’œuvrer en commun. D’autres imposent au contraire la distance ou l’écart afin de laisser du recul au jugement. La séparation entre les acteurs et les spectateurs est exploitée, comme la distanciation entre les comédiens et les personnages, par des auteurs ou des régisseurs qui donnent priorité à la critique, tandis que l’adhésion, voire la participation, a les faveurs d’artistes qui croient aux vertus de l’engagement pour cimenter le pacte de fiction. Dans les deux cas, l’assentiment à l’illusion ne saurait intervenir sans un sens de la responsabilité équitablement réparti. Le déploiement des puissances de la représentation suppose en effet de part et d’autre une conscience de sa possibilité et même de sa nécessité. La fragilité des artifices est telle qu’il suffit d’un manque d’intérêt ou de respect à l’égard de l’autre partie pour en rompre les charmes. C’est pourquoi le spectateur prend des précautions pour exercer commodément ses compétences, qui passent par un cadrage pertinent du regard et une sélectivité subtile de l’écoute. Il lui faut parfois protéger son statut de spectateur pour conserver cette marge d’appréciation. Tout contrat implique des droits à faire valoir et des obligations à respecter. Les conventions de représentation ont pour particularité de relever à la fois du bilatéralisme et du multilatéralisme, puisqu’elles établissent des rapports entre les acteurs et les spectateurs d’une part, entre chaque spectateur et le reste du public d’autre part (participants et non participants inclus). Pour singer la langue de la « bonne gouvernance », il s’agit donc d’un partenariat global pour la fiction. Cette coopération repose principalement sur la liberté d’interprétation dont s’emparent les contractants à l’égard des termes de l’accord, en sachant qu’ils aboutiront à une évaluation solidaire, ou encore à des contestations solitaires, selon la réussite ou l’échec de la négociation. Ils procèdent à une coélaboration du sens dont aucune partie ne contrôle entièrement le résultat. Si les artistes possèdent le monopole de la conception d’ensemble, l’assistance jouit du privilège de régler les vues, de choisir certains détails et d’opérer le montage terminal, à la façon du final cut que se réservent les producteurs des studios hollywoodiens. En échange de cet avantage exorbitant, les comédiens et le metteur en scène ont l’apanage de la reconnaissance, sinon de la notoriété. Si les applaudissements comptent parmi les devoirs des spectateurs au même titre que le salut des acteurs, ni les rires, ni les lazzi n’en font partie. L’impératif de présence conditionne la représentation de part et d’autre, alors que la possibilité de retrait n’est concédée que d’un côté. En matière de mobilité, les acteurs prennent souvent l’ascendant par surprise, notamment parce qu’ils s’arrogent la licence de pénétrer en terrain adverse à laquelle le spectateur docile a renoncé. Faute de recours à une instance supérieure en cas de litige sur les règles de la représentation, ce dernier garde l’initiative de la rupture. Il y a deux principaux ordres de représentation. Le registre esthétique préside d’abord aux relations entre les concepteurs d’une pièce et ses interprètes, puis entre ces derniers et leurs spectateurs. Le registre politique couvre les rapports entre le spectateur et ses semblables, mais aussi entre les artistes et les citoyens. Une œuvre singulière suggère son propre modèle de spectateur par le biais de la dramaturgie, de la scénographie, du découpage du temps et de la construction des images, mais surtout à travers les modalités de l’adresse au public : il suffit d’opter pour la frontalité ou de la briser, de lancer des apartés vers un témoin imaginaire ou de prendre à partie un interlocuteur précis pour influencer les fonctions de réception. Le spectateur demeure pourtant le patron de sa propre perception, donc en quelque sorte le dépositaire d’un exemplaire privé de l’œuvre. Il se fait l’ingénieur de son expérience en réglant à sa guise son niveau d’investissement. Il lui appartient de mesurer sa distance vis-à-vis de ce qui tient lieu de scène, et aussi de calculer la profondeur de son implication dans le champ du jeu, jusqu’à s’embarquer sur le vaisseau de la fiction, pour s’envelopper dans les draps de l’illusion, tel un correspondant de guerre incorporé (embedded) dans une unité de combat. Dans la rue, son bon vouloir commande encore, puisqu’il peut vaquer à ses occupations, conduire une conversation, brancher son baladeur ou répondre sur son portable durant la représentation. Il résulte du croisement des deux ordres qu’il exerce, en qualité de critique et de citoyen, une souveraineté limitée, car négociée avec les comédiens et partagée avec les autres assistants. La palette des rôles de l’acteur arbore des couleurs d’une profusion assortie à la galerie de ses 12 personnages, avec autant de nuances que son métier sait en apporter. Les rôles du spectateur ne sont pas moins riches, si l’on veut bien s’en aviser. En tant que témoin, sa parole est souvent sollicitée par une interpellation, quand elle n’a pas fourni le matériau d’écriture comme dans Je cheminerai toujours (2006), pièce mise en forme et en espace par Léa Dant avec la Compagnie du voyage intérieur à partir de récits collectés, condensés et choisis pour un public restreint d’une vingtaine d’interlocuteurs. Voyeur, voire espion, il accomplit aussi cette mission de surveillance sur laquelle a médité Georges Banu47, dans laquelle sa pulsion scopique contribue au dévoilement d’énigmes, mais aussi au contrôle des comportements. Figurant, il l’est toujours aux yeux des autres spectateurs, dès que la réalisation les associe à la manière d’un chœur muet mais mouvant. Sa tâche d’interprète, il l’exécute tantôt gracieusement et tantôt à ses dépens, selon qu’il ressemble à ce volontaire ou à cette dupe, baptisés respectivement Arlequin et Candide par Anne Gonon48. Evidemment, le passage à l’acte engage davantage les comédiens amateurs entraînés par le Théâtre de l’Unité, les collaborateurs occasionnels d’Opéra Pagaï, enrôlés dans leur propre logement, ou les habitants dont la compagnie KomplexKapharnaüM projette l’image sur les façades du quartier. Nous avons admis que le spectateur puise dans les ressources de sa mobilité et de sa subjectivité pour se faire en outre opérateur, réalisateur ou monteur. À l’aide de son entendement, il accède ainsi à la dignité de coauteur, qui ne lui confère ni droit moral, ni retombée financière, mais lui procure une clé de l’œuvre. Un théâtre intensifiant l’échange conforte ce sentiment, car il augmente la portée du principe dialogique. Pour Mikhaïl Bakhtine, qui défendit la théorie du « créateur immanent »49, celui-ci, explique Tzvetan Todorov, consiste à « mettre sur un pied d’égalité les contributions de l’auteur et du lecteur dans la construction du sens » 50. Les fonctions du spectateur ne s’arrêtent pas là. Les émotions et les réflexions suscitées par le spectacle, il les réinvestit ensuite en s’entretenant avec d’autres participants, sinon en les relatant aux absents. En tant que contribuable, il consent à l’impôt et donc à la subvention, ce qui en fait indirectement un mécène de la compagnie. Enfin il lui arrive d’user de sa carte d ‘électeur comme un censeur, lorsqu’il vote pour des candidats indifférents ou hostiles aux audaces de la création. Aucune de ces activités ne s’exerce sous l’identité d’un professionnel. Il suffit pourtant d’observer les spécialiste du genre et les familiers des festivals, leur déplacement constant, leur savants parcours au milieu de l’assistance pour deviner qu’ils désirent profiter de deux spectacles au lieu d’un : celui que donnent les émetteurs et celui que livrent les récepteurs. On aurait pu risquer pour résumer un théorème qui semble se vérifier fréquemment dans le spectacle dit « vivant » : à convention lourde, relation faible ; à contrat léger, rapport fort. Cependant cette équation connaît autant d’exceptions que d’exemples dans les autres modes d’expression. Car l’antagonisme entre les tenants de la relation et de la séparation déborde de beaucoup les limites du champ théâtral. Et les arts dits « plastiques » (en français) ou « visuels » (en anglais) connaissent aussi le débat du voyageur et du sédentaire, des assis qui ne s’avouent pas encore rassis et des mobiles qui s’affirment en marche. En témoigne notamment l’ouvrage de Paul Ardenne qui passe en revue sur plus de quarante ans, sous une formule générique empruntée à l’artiste polonais Jan Swidzinski, Un art contextuel, [la] Création artistique en milieu urbain, en situation, d’intervention, de participation51 . Sa plume généreuse en épithètes relie ainsi des œuvres et des artistes de diverses tendances. « Contextuel » donc, cet art peut aussi se montrer « in situ » (p. 16), de nature « processuelle » (p. 48 et p. 181), tenté par « l’autrisme » (p. 61), « translatif » (p. 123), « mobiliste » (p. 154), « véhiculaire » (p. 158), « processionnel » (p. 162), doué d’ « ubiquité » (p. 175), « contactuel » (p. 179), « participatif » (p. 181), pratiquant « la réciprocité charnelle » (p. 181) et le « partage » (p. 182). On relève au fil des pages bien d’autres qualificatifs qui s’appliquent à telle œuvre ou tel acte en particulier: occasionnel, événementiel, agorétique, situationniste, conceptuel, environnemental, catalytique. Si l’adjectif conjoncturel n’apparaît pas, en revanche il mentionne l’essence « kairétique » (du grec kairos, « moment opportun ») de ces esthétiques (p. 212). Les arts de la rue, du moins tels que la Fédération du même nom les conçoit, ne sont pas directement étudiés dans cet essai où il est pourtant question de spontanéisme, de réactivité, de circulation et surtout de participation. Cette notion centrale renvoie « à la théorie de l’“inclusion“ développée par John Cage, dont l’argument se résume pour l’essentiel à cette formule : l’art peut se 13 trouver partout et peut tout envahir »52. Beaucoup de compagnies accepteraient de se ranger derrière les mots d’ordre d’« intersubjectivité généralisée » et de « collaboration instantanée avec le public 53» : « On parle parfois d’“autrisme“ pour désigner ce principe de collaboration, un terme renvoyant à la sollicitation directe, immédiate et revendiquée de l’autre, en général le spectateur de l’œuvre, qu’on entend faire interagir »54. A force de prôner le mouvement et l’échange, les artistes concernés seraient devenus les médiateurs de leurs propres travaux, ce qui amène l’auteur, citant un article de Tristan Tremeau dans Art Press, à émettre des réserves quant à leur fonction de « remédiation » ou d’intégration dans la cité55. « La propension à gérer fait de l’artiste un manager relationnel, qui orchestre une prestation singulière, preuve de sa capacité à dominer une situation réelle et de son potentiel à s’emparer de la réalité pour la décliner sur un mode autre, le mode artistique, où la dimension symbolique entre très fortement en jeu »56. Dans les dernières pages, il adopte des accents plus critiques pour s’interroger sur l’originalité des démarches et la valeur des œuvres, tout en prenant ses distances avec le « réalisme opératif » et l’« esthétique relationnelle » théorisés par Nicolas Bourriaud57. Yves Michaud, qui dirigea durant quelques années l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, n’en parlerait pas moins d’ « état gazeux » pour tourner en dérision cette croyance en une diffusion totale de l’art dans la sphère sociale58. Vaporisation, dilution, dissémination, dissipation sont des mots qui viennent au philosophe pour fustiger ce qu’il estime être une nouvelle variété de vanités. Confronté à l’insistante hypothèse de la disparition de l’art qui fait écho aux allégations sur la fin de l’histoire, on peut comprendre sa charge contre la dispersion sans nécessairement l’approuver dans ses emportements. André Rouillé, éditorialiste du site Paris-art.com, n’hésite pas au contraire à revendiquer une « esthétique des flux [ayant] pour trait général d’ouvrir des brèches dans les frontières qui se dressent entre les œuvres et le monde.» (…) « À la différence de l’objet fini, achevé et inerte, devant lequel on est convié à se tenir et à observer, l’œuvre est ici une relation qui s’établit entre les spectateurs-acteurs »59. Il n’est pas certain que l’éloge du lien, le chant du liant entonné en chœur par des artistes, des élus et leurs intermédiaires, suffise à garantir la qualité des rapports. Il y aurait tromperie à substituer à la pratique conventionnelle ce que le romancier Hervé Guibert appelait un « protocole compassionnel ». Relier, repriser, ravauder, c’est toujours réparer… le tissu social. On comprend pourquoi ces stratégies relationnelles, même motivées par le désir de rompre avec les conventions de la représentation, séduisent des pouvoirs locaux en mal de cohésion territoriale et motivent les discours consensuels de responsables nationaux. La liaison de l’acteur et du spectateur a un tiers témoin : l’élu. Le risque d’une dissolution dans la fête lui semble secondaire dans l’urgence de remédier aux maux sociaux et de recoudre ce qui fut déchiré - ou mal assemblé - dans la trame de la ville. Pascale Bonniel-Chalier, alors adjointe aux événements et à la vie culturelle auprès du maire de Lyon veut croire aux bienfaits des féeries urbaines : « De la fête traditionnelle du 8 décembre, née en 1854, au Défilé de la Biennale de danse, institué en 1996, l’agglomération lyonnaise a intégré dans son code génétique [sic] la participation des habitants aux grands rituels urbains. » Sans remédier à la « crise de la représentation », elles permettraient une « autre forme de transfiguration des lieux que le geste urbanistique ou architectural, que l’aménagement technique de l’espace public »60. C’est là prêter beaucoup de pouvoir à la figuration, d’après Philippe Chaudoir, qui voit percer sous la rhétorique municipale les paradigmes du développement territorial, de la concurrence entre les métropoles et de l’image des villes61. La mise en exergue de la relation participe d’une politique médiatrice qui s’est imposée en plusieurs étapes en France62. Les pièges de la théâtralité Aux antipodes d’une théâtralité exacerbée, qui implique édiles, artistes et habitants, on rappellera les remarques d’un historien d’art américain. Michael Fried nomme « théâtre » l’ensemble des procédés qui accordent à l’observateur le contrôle de la représentation63. A la suite du critique Clement Greenberg, il a remarqué dès la fin des années 1960 une résurgence de la « théâtralité » dans le courant minimaliste ou « littéraliste » emmené notamment par Robert Morris et Carl Andre, puis il a diagnostiqué sa victoire sur la scène contemporaine au cours des deux décennies suivantes. A ses 14 yeux, les artistes concernés tournent le dos aussi bien à la tradition « antithéâtrale » de la peinture française, inspirée par les écrits de Diderot (grosso modo de Greuze à Courbet), qu’aux tendances « modernistes » émancipées par Manet, systématisées par les impressionnistes et relayées jusqu’à notre époque, notamment par des peintres des Etats-Unis tels que Morris Louis, Kenneth Noland, Jules Olistski ou Frank Stella. Pour Diderot, rappelle-t-il, « le peintre avait d’abord pour tâche de nier ou de neutraliser une “convention primordiale “ […], à savoir le fait que les tableaux sont d’abord faits pour être contemplés »64. Recherchant l’élévation du drame, un David, un Gros, un Géricault, un Daumier, un Millet fuyaient donc l’illusion théâtrale en s’efforçant à l’exemple de Chardin de montrer leurs sujets absorbés dans leurs occupations ou leurs pensées au point d’en oublier le spectateur face au cadre. Courbet, quant à lui, tentait carrément de faire corps avec la toile. Celle-ci devient au contraire chez Manet (par exemple avec son Olympia) une surface picturale qui se projette elle-même au devant de son admirateur. Cette « frontalité » (facingness) rompt avec « l’absorbement » (absorption) pour ouvrir la voie à « l’opticalité » dont Greenberg et Fried décèlent l’origine chez les Manet, Renoir, Pissaro, puis décrivent les développements jusqu’à Clifford Still, Barnett Newman, Mark Rothko, Jackson Pollock65. « … Peindre un tableau qui semble ignorer, ou nier, ou ne pas voir le spectateur constitue, pour le peintre, le seul moyen de parvenir à son but ultime : attirer devant la toile des spectateurs bien réels et, là, les retenir en les transportant en imagination dans un monde où ils ont leur place. L’antithèse de l’absorbement était la théâtralité, le jeu pour et devant le public, dont il apparut très vite qu’il constituait l’un des pires défauts artistiques »66. Certains commentateurs de Fried, comme Michèle Bocquillon, étendent volontiers le concept d’« absorption » (pour user de la traduction littérale) à l’attirance que le tableau exerce sur son admirateur, lui-même absorbé dans sa contemplation67. D’autres préfèreraient nommer cette attitude recueillement ou concentration. Toujours est-il que le refus de l’interaction passerait pour une autre forme d’absorbement, voire d’enfermement, comme un repli dans l’enclos de l’œuvre, s’il n’avait justement pour enjeu de libérer les forces de la sensation et les puissances de la fiction. Il rappelle le rejet par André Antoine des codes boulevardiers au début du siècle dernier, son illumination lorsqu’il découvrit le jeu de dos et de groupe de la troupe allemande des Meininger, puis sa conception de la scène comme une pièce dont le « quatrième mur » se serait effacé pour laisser voir des personnages plongés dans leur action, enfin la quête par les membres du Cartel d’un sobre théâtre d’art renonçant aux abus d’effets et aux vertiges de la perspective. Michael Fried est intarissable sur les méfaits de la théâtralité. La querelle – en vérité le digne essayiste n’hésite pas à parler de « guerre » – « ne porte pas sur des questions de programme ou d’idéologie, mais sur ce qui a trait à l’expérience, à la conviction, à la sensibilité », écrivait-il en 196768. En résumé, il reproche aux œuvres dotées d’une « présence scénique » de renoncer à l’autonomie esthétique. En misant sur le contexte spatial, les circonstances d’exposition et la circulation du spectateur, elles sont coupables d’exercer une « pression envahissante » sur ce dernier pour lui « extorquer sa complicité ». Elles l’incluent dans une situation où toutes les variables interviennent sur le plan de sa perception, relève-t-il dans un texte de Robert Morris : l’objet, la lumière, l’espace et même son propre corps. « Il n’y a rien dans son champ de vision – rien qu’il ne remarque – qui soit étranger à la situation et donc à l’expérience qu’il est en train de faire »69. Il est en ce cas dans l’ordre des choses que le spectateur prenne conscience « du caractère interminable et inépuisable […] de sa propre expérience de l’objet »70. C’est pourquoi il estime ce n’est plus alors l’art qui l’emporte mais l’objectivité. On devine en quoi ces considérations picturales, âprement disputées par une autre aile de la critique qui juge formaliste ou essentialiste une telle approche de l’œuvre d’art, concernent des disciplines scéniques par vocation. M. Fried se hasarde à le suggérer, quoiqu’il soit moins à l’aise dans ce domaine de représentation : « Le succès, et même la survie, des formes artistiques dépend de plus en plus de leur capacité à mettre le théâtre en échec. La chose n’est nulle part plus évidente, semble-t-il, que dans le théâtre lui-même, où [cet impératif] (…) s’est traduit par le besoin d’établir avec le public un rapport entièrement différent (je renvoie bien sûr ici aux textes de Brecht et d’Artaud) »71. Le mode 15 épique, l’anti-illusionnisme et l’estrangement72 brechtiens (donc la distanciation) trouvent grâce à ses yeux, car il espère qu’ils procureront au spectateur la liberté de s’évader d’une expérience dominée par l’illusion pour accéder à la « présenteté » de l’œuvre. Cependant il doit aussitôt concéder que certains procédés recommandés contre la convention théâtrale, comme « la mise à nu de l’éclairage scénique »73, deviennent conventionnels à leur tour à force d’habitude et manquent ainsi leur effet émancipateur. Le spectateur assimile non seulement le lexique et la syntaxe de la mise en scène, mais encore les ruses et les surprises de son dévoilement. Ainsi le théâtre dans le théâtre – ou bien, en plein air, le théâtre sans le théâtre – peut pour lui se révéler le comble de la théâtralité. Avant de rejeter les théories antithéâtrales de M. Fried dans l’enfer où les amoureux de la scène précipitent tous les ennemis de l’illusion, de Platon à Tertullien et de Rousseau à Boal, il faut méditer sur leurs prémisses et leurs conséquences. A l’heure où l’art des commissaires se déclare « relationnel » (Nicolas Bourriaud), « contextuel » (Paul Ardenne), environnemental (appellation contestée par Gilles Tiberghien), processuel (Stephen Wright) ou virtuel (Christine BuciGlucksmann), mais aussi conceptuel, in situ, performatif, documentaire, politique, au grand bal des étiquettes il importe que chaque clarifie sa démarche74. Alors, « drame » ou fête ; autonomie de l’œuvre ou dépendance à l’égard du milieu; « absorbement » ou multilatéralisme dans le rapport au spectateur ? Bien qu’ils se réclament parfois du double parrainage des auteurs de « Petit organon pour le théâtre » et du « Théâtre de la cruauté »75, les arts de la rue n’échappent en aucune manière à ces dilemmes. Il y plongent bien au contraire, car les intervenants sont immergés dans l’environnement et leur public baigne dans l’expérience. Palimpsestes et métalepses En principe le caractère actanciel du théâtre, autrement dit son régime performatif, amène automatiquement le spectateur à discerner le registre de la représentation dans lequel s’inscrivent les acteurs, puisque ces derniers sont engagés dans une pratique explicite, même lorsqu’ils se comportent en comédiens plutôt qu’en personnages. Il le sépare aisément du registre de la réalité dans lequel il se situe, dans la mesure où il s’abstient d’intervenir même si les interprètes s’adressent tout à trac à ses voisins, voire à lui. Au cours du spectacle, cependant, il est possible de ménager nombre de passages entre ces deux niveaux, en sorte d’intervertir momentanément les positions, sinon d’en brouiller les repères. Gérard Genette désigne ces « pratiques transgressives » sous le nom de métalepses, dont le radical grec signifie « permutations » : « le récit de fiction peut enjamber ses propres seuils, internes ou externes : entre l'acte narratif et le récit qu'il produit, entre celui-ci et les récits seconds qu'il enchâsse, et ainsi de suite et dans tous les sens. » Cette figure appartient à tous les arts, poursuit-il en convoquant ses exemples aussi bien dans l’Iliade que dans Douze personnages en quête d’auteur et La Rose pourpre du Caire. « D'Homère à Giono, de Sterne à Calvino, de Pirandello à Woody Allen, les artistes ont rarement résisté à cette tentation de mettre en scène et en jeu les moyens et les effets de leur représentation du monde, et d'entraîner leurs propres lecteurs et spectateurs dans le vertige qui résulte de cette sorte de mise en abyme »76. La métalepse est un trope de la famille des métonymies, de type microstructural, un « procédé qui met au clair l’entrée dans la fiction et la conscience partagée de l’artifice », nous enseigne le Dictionnaire de rhétorique et de poétique de Michèle Aquien et Georges Molinié, qui ajoutent : « Il s’agit ici d’une manipulation sur le jeu avant-après, antécédent-conséquent, préalable-résultat »77. Le théâtre de rue s’en est fait une spécialité sur tous les modes spatiaux et temporels imaginables, dans le but de rendre le spectateur complice de sa propre illusion. Il est par ailleurs familier d’une autre formule, le palimpseste - « parchemin manuscrit dont on a effacé la première écriture pour écrire un nouveau texte », selon le Petit Robert. Le recouvrement du territoire urbain, l’occupation des espaces publics ou l’habillage des façades à des fins fictionnelles s’apparentent en effet à l’impression d’une fable nouvelle sur la feuille d’un ancien document. Le terme s’applique encore à la sédimentation de différentes strates de représentation, lisibles les unes à travers les autres à la lumière de la ville. Le littéraire enlace le littéral78. Les artistes avancent ici sur un terrain labouré. Avant eux bien des écrivains ont considéré le paysage urbain comme une page sans marge sur laquelle tracer leurs pérégrinations. Paris les a particulièrement inspirés : Charles Baudelaire 16 auscultant le cœur de la cité, Walter Benjamin arpentant les passages de la Capitale du XIXe siècle, Louis Aragon endossant les habits du Paysan de Paris, Léon-Paul Fargue frayant un chemin à la méditation piétonnière, Georges Perec déchiffrant la rue Vilin à la façon d’un grimoire, Guy Debord s’adonnant aux dérives de la psychogéographie à travers Montparnasse… Mieux que la pioche du terrassier ou la truelle de l’archéologue, leurs plumes exposèrent au grand air les couches de récits superposées et les tranches de vie cloisonnées dont toute ville est constituée. Le théâtre de rue fouille selon d’autres méthodes. L’enchevêtrement des indices de la réalité et des signes de la fiction marque en effet des arts dont le principal véhicule reste le corps de l’acteur, mais dont le support et les décors revêtent les dimensions d’une métropole. Objectivité, corporéité, motricité : ces trois qualités coalisées dans les spectacles de rue concourent à l’instauration d’un système de perception particulier. Pour le philosophe Jean-Marie Schaeffer, directeur de recherches au CNRS, un art aménage entre la réalité et la fiction deux systèmes de passage et de contrôle propres à son médium ou « véhicule sémiotique » 79. L’un tient à sa technicité, par exemple à l’appareil et à l’écran de projection du cinématographe, l’autre à la position du spectateur, comprise à la fois au sens physique de corporéité et au sens psychique de cognition. Lorsque nous sommes placés en « immersion fictionnelle », il existe selon lui des « mécanismes qui nous permettent de garder un certain contrôle face à la fiction, qui nous permettent de réagir, de nous ”réveiller” lorsque les représentations deviennent trop fortes ou trop dangereuses »80. Ainsi au cinéma, « c'est la qualité technique de la réalisation qui permet de happer plus efficacement le spectateur et, en même temps cette même excellence technique permet au spectateur de se réveiller, de prendre conscience qu'il a affaire à une fiction et non pas au monde réel »81. Des garde-fous agissent également par le biais de la corporéité et de la motricité. « Pour la lecture c'est évident : on est assis, on tient un livre. La position du corps ne correspond pas à l'immersion fictionnelle. » Le cerveau peut opérer de la sorte une déconnexion entre le schéma imaginaire et le dessein d’agir. « Chez les animaux, par exemple, on a bien cette dissociation entre un vécu mental et la motricité : les chats ou les chiens qui rêvent bougent leurs pattes. […] Lorsque nous jouons, comme dans les jeux des enfants par exemple, ces garde-fous-là n'existent plus. C'est ce qui explique qu'il y a parfois des basculements. Ainsi, dans les jeux de rôles aussi bien chez les adolescents que chez les adultes il peut y avoir des basculements qui peuvent aller jusqu'à la violence réelle. » A l’en croire, le risque de confusion croît avec le mouvement : « lorsque le mimème est un mimème actanciel, la distance est évidemment beaucoup plus réduite et le danger de passage à l'acte augmente en conséquence »82. Pridamant, nous revoilà ! Le procès du théâtre a-t-il si peu progressé depuis la chute de L’Illusion comique, conçue par Corneille en 1636 ? Le système mimétique propre à l’art dramatique, reposant sur l’imitation d’actes au devant du spectateur, préserverait mal celui-ci des égarements de la fiction. L’apparat de la salle et l’attirail de la scène protègent sans doute l’abonné de la Comédie-Française ou du Théâtre de la Monnaie des mirages de la vraisemblance, tandis que ses attributs postérieurs, informant les instances supérieures de son jugement du confort de son séant, via la moelle épinière, le préviennent contre les troubles de la crédulité. Mais quel est le sort du festivalier de Namur ou de Cognac, privé de rampe, de repères et même de strapontin ? Aucun instrument mécanique ou mobilier ne l’avertit des imprudences qu’il pourrait commettre en s’adonnant aux jeux de rôles proposés par les troupes sur les places ou les parkings. Son seul équipement (en dehors d’une bonne paire de chaussures, de lunettes de soleil ou d’un parapluie) consiste en l’appareil critique dont sa mémoire et son intelligence l’ont muni au fur et à mesure de ses expériences de perception. L’ensemble des modes d’expression recensés ici relève de la théâtralité, dont on a vérifié qu’elle prospère également en dehors des théâtres, du moins suivant l’acception de M. Fried. L’intérêt des travaux de J.-M. Schaeffer à ce sujet réside dans la démonstration des effets de la « synesthésie des corps » pour l’intellect. Certes, l’efficacité de l’imaginaire, dès qu’il peut librement puiser dans un catalogue de formes et de concepts, dans un fond de croyances et de connaissances acquis à travers l’éducation, suffit à pallier la carence de mouvement. C’est ainsi qu’un spectateur affligé d’un handicap contrebalance l’absence de locomotion grâce à l’intense activité de ses sens. Que l’individu soit fixe ou mobile, il dispose d’une batterie d’indicateurs branchés sur ses centres cérébraux, lui permettant de se situer en permanence dans l’espace-temps de la rencontre, d’évoluer dans un univers 17 concret tout en s’offrant à volonté des incursions dans un monde d’invention. Cette propriété échoit à plus forte raison à l’amateur d’arts de la rue qui sait simultanément s’orienter dans les deux sphères. Trempant dans un bouillon de réalité sociale, son immersion fictionnelle vaut, en comparaison de celle que vit le client d’un Omnimax encerclé de projections visuelles et sonores, ce qu’une baignade en rivière vaut par rapport à un plongeon dans l’océan. Ce qu’il perd au niveau des sensations, il le gagne en autonomie vis-à-vis de la représentation. La limitation objective de ses possibilités d’évasion par des garde-fous invisibles, aussi solides toutefois que les barrières métalliques derrière lesquelles la municipalité tente de ranger le public d’une parade, en général notre spectateur a la possibilité de la compenser par la relative mobilité grâce à laquelle il modifie de temps à autre sa position à la lisière de l’aire fictionnelle. Cette compétence ne saurait être rabattue sur la simple motricité, dont on constate qu’elle s’avère souvent impraticable, à cause d’une configuration de scène ou d’une restriction de jauge. Elle relève davantage d’une agilité psychique qui aide à franchir les seuils entre le prosaïque et le poétique. Du corps au cortex La facilité de déplacement physique revêt néanmoins une importance appréciable dans les opérations de la réception. D’abord elle permet de multiplier les points de vue, comme L’Homme à la caméra de Dziga Vertov (1929) variait les angles et les focales pour récolter une moisson d’images et d’impressions. Ensuite elle autorise à altérer l’édifice de la représentation en enrichissant de perspectives imprévues et de séquences impromptues les ordres de la frontalité. Enfin elle consent à jouer avec la distance et même d’une certaine manière avec le différé, puisque le témoin peut s’approcher ou s’éloigner de la scène, mais aussi retarder ou hâter le moment d’arriver à portée de l’action. Tout se passe alors comme si la coupure sémiotique, axe du contrat de représentation, devenait portative et facultative, le spectateur s’accordant en personne la permission d’entrer ou de sortir du périmètre de la performance. Motion – Emotion : l’anglais exprime mieux que le français la liaison du physique au psychique. Titulaire de la chaire de Physiologie de la perception et de l’action au Collège de France, Alain Berthoz l’énonce comme une relation de réciprocité dont les membres sont inséparables: d’une part « nous pensons avec tout notre corps », d’autre part « il n'y a pas de mouvement sans pensée ». Il explique que la kinesthésie, ou sens du mouvement, compose un sixième sens complémentaire de la vue, l'ouïe, l'odorat, le toucher et le goût, qu’il stimule et soutient autant qu’ils coopèrent avec lui. « On l'a oublié parce qu'il n'est pas apparent, les capteurs kinesthésiques se trouvant répartis dans tout le corps et non pas concentrés dans un organe spécifique. Et pourtant, il y a un plaisir du mouvement, exécuté ou perçu, comme il y en a un de chacun des autres sens »83. La neurologie et la psychiatrie convergent avec la physiologie pour confirmer l’importance de cette perception du mouvement dans la structuration de la conscience. « Faust disait : ”au début était le verbe”.... puis il se reprend et dit ”au début était la force “, et finalement il conclut, “non, au début était l'action” »84. Le cerveau synthétise les informations qui lui sont transmises à partir des sens, pour « reconstruire une perception unique et cohérente des relations de notre corps et de l'espace ». C’est « un simulateur d'action qui utilise la mémoire pour prédire les conséquences de l'action »85. Ces études ne sont pas sans incidence quand il s’agit de comprendre comment le citoyen spectateur s’oriente dans l’espace public. Un système de représentation articulé par le discours ou le dessin ne fonctionnerait pas s’il ne suggérait à la personne physique le désir de se projeter dans un espace à trois dimensions. Inversement, les constructions spatiales que nous parcourons corporellement, tels le passage couvert, le parc à la française ou le plateau du théâtre, influencent la mémoire et modèlent l’imagination. Les perceptions visuelles, auditives, olfactives, gustatives, kinesthésiques, sensibles en somme, participent pleinement à la confrontation du topos et du logos86. Interpréter la ville et aménager la cité, arpenter le paysage en flâneur et investir la cité en politique ne procèdent donc pas d’opérations si distinctes, sinon opposées, que certains le professent parmi les urbanistes mais encore du côté des artistes. Les Promenades urbaines organisées par Yves Clerget avec le Centre Georges Pompidou87 et la Mission Repérage(s) coordonnée par Maud Le Floc’h avec Lieux Publics88 l’ont vérifié de façon expérimentale. Chaque fois qu’un mouvement concerté déplace les postulats de départ 18 des uns et des autres, qu’un itinéraire individuel s’inscrit dans l’imaginaire collectif (ou vice versa), alors la perception et la cognition collaborent, les sens et la connaissance s’allient, les émotions communiquent avec la mémoire. L’utopie commence à s’envisager sur le terrain du réel. La mobilité est dans l’époque une valeur des mieux consacrées. Assimilée à la flexibilité, elle sert de slogan aux employeurs soucieux de réguler le marché de travail. Associée à la liberté, elle justifie la vente de millions de terminaux miniaturisés, le trafic de milliards de messages facturés et le commerce de données mesurées en gigaoctets. C’est aussi la faculté la moins bien partagée. Baptisée nomadisme par des aventuriers mais aussi par des publicitaires, elle se décline en cosmopolitisme chez les hommes d’affaires, en tourisme pour leurs employés, en émigration pour les affamés, en exil pour les réprouvés. L’ubiquité est l’apanage de la puissance, le déracinement la rançon de la pauvreté. Un président vibrionnant donne l’exemple : le pouvoir se montre insaisissable. C’est pourquoi les artistes doivent méditer le sens qu’ils confèrent aux mouvements dont ils animent les œuvres - et dans lequel ils entraînent le public amené à les appréhender – avec le soin de Calder suspendant ses mobiles. Qu’importeraient les transports du spectateur s’ils ne soulevaient ses rêves et sa pensée ? « Nous cultivons la rue », s’exclament les auteurs du manifeste déjà cité89, à l’instar d’un Candide de l’ère urbaine. Après Rousseau et Diderot, c’est donc en compagnie de Voltaire que le parcours continue. Emmanuel Wallon Emmanuel Wallon Professeur de sociologie politique à Paris X (Nanterre) et au Centre d’études théâtrales (Louvain-la-Neuve), il est membre du comité de rédaction des revues Études théâtrales et L’Observatoire. Auteur de À continent ouvert, Les politiques culturelles en Europe centrale et orientale (La Documentation française, 1992), il a dirigé divers ouvrages, parmi lesquels: Théâtre en pièces, Le texte en éclats (Études théâtrales n. 13, 1998). La Souveraineté, Horizons et figures de la politique (avec M. Kail, Les Temps Modernes n. 610, 2000) ; Le Cirque au risque de l’art, Actes Sud, 2002 ; Paris s’éveille (avec M. Deguy & J.-F. Louette, Les Temps Modernes n. 610, 2002), Europe, scènes peu communes (Études théâtrales n. 37, 2006). Il a publié de nombreux articles dans des revues et des ouvrages collectifs. Président de Hors les Murs de 1998 à 2003, son étude pour le ministre français de la Culture sur les Sources et ressources pour le spectacle vivant a été publiée en ligne sur le site www.culture.gouv.fr en 2006. Cf. Serge Chaumier, Arts de la rue, La faute à Rousseau, L’Harmattan, Paris, 2007. Cahiers de médiologie, n° 1, Gallimard, Paris, 1996. 3 Jean-Georges Tartar(e), Verre de la mobilisation pour la journée « Rue libre !» du 27 octobre, Aurillac, 24 août 2007. 4 Daniel Bougnoux, La Crise de la représentation, La Découverte, Paris, 2006, p. 168-169. 5 Guide-annuaire des arts de la rue et des arts de la piste, 2005-2006, HorsLesMurs, Paris, 2005. 6 Spectacle créé en janvier 2006 au Théâtre national de Toulouse, repris en juin aux Pronomades de Saint-Gaudens et en juillet à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon. 7 www.komplex-kapharnaum.net 8 www.museedupointdevue.com.fr 9 Voir « Un pavé dans l’espace… », entretien avec Christian Biet, in Le journal du Théâtre Dunois, n° 3, novembre 2005, p. 1. 10 www.ruelibre.fr/spip.php?article2 11 Sylvie Clidière, « Arts de la rue, un peu d’histoire », in Le Goliath, op. cit., p. 4. 12 In Organiser un événement artistique dans l’espace public, Guide des bons usages, Groupe de travail du Temps des arts de la rue (coordonné par José Rubio), HorsLesMurs, Paris, 2007, p. 24. 13 Ibidem, p. 25. 14 Ibidem, p. 30. 15 Ibidem, p. 31. 16 Enquête conduite à Cognac (France), Gand et Namur (Belgique), Terschelling (Pays-Bas), Stockton (Royaume-Uni), Galway (Irlande), Ljubljana (Slovénie), Poznan (Pologne) et Sibiu (Roumanie) ; cf. Les publics des arts de la rue en Europe, 2005, Eunetstar, Bruxelles, avril 2005, consultable sur www.circostrada.org; voir aussi le compte-rendu dans le Bulletin de HorsLesMurs n°30, Paris, 2005. 17 Floriane Gaber, entretien pour Fluctuat.net, propos recueillis par Arnaud Jacob, www.fluctuat.net/2599-Les-publics-de-larue-en-Europe. 18 Voir les Chiffres-clés édités par le Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS), en ligne sur le site www.culture.gouv.fr 19 Voir La relation au public dans les arts de la rue, Actes du colloque « Les arts de la rue : quels publics ? » à l’Atelier 231, les 16 et 17 novembre 2005, L’Entretemps, Vic-la-Gardiole, 2006 ; voir aussi Anne Gonon, "Ethnographie du spectateur, Le théâtre de rue, un dispositif communicationnel analyseur des formes et récits de la réception", thèse pour le doctorat de Sciences de l'Information et de la Communication, sous la direction de Serge Chaumier, soutenue le 28 juin 2007 à l’Université de Bourgogne, Dijon. 20 Présentation du chapitre « Le spectateur acteur », DVD Esthétique des arts de la rue, Images de la création hors les murs, HorsLesMurs, Paris, octobre 2006. 21 Organiser un événement…, op. cit., p. 45. 22 Op. cit., p. 48-50. 1 2 19 Filippo Gagliardi et Filippo Lauri, Carosile nel Cortile del Palazzo Barberini in onore di Cristina di Svezia il 28 febbraio 1656, Museo di Roma, palazzo Braschi. 24 Mary Stevenson Cassatt (peintre américaine, 1844-1926), In the lodge (1878), huile sur toile, The Hayden Collection, Museum of Fine Arts, Boston. 25 Le bourgeois, la mort et le comédien, trilogie de Molière (Les Précieuses ridicules, Tartuffe, Le Malade imaginaire), par la compagnie La nuit surprise par le jour ; Tartuffe, mise en scène d’Eric Louis : CDN de Valence, novembre 2005, et Théâtre national de l’Odéon, octobre 2007. 26 In Organiser un événement…, op.cit., p. 47. 27 Henri Wallon, De l’acte à la pensée, Flammarion, « Champs », Paris, 1970, p. 142. 28 Ibidem, p. 144. 29 Voir Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction? Seuil, Paris, 1999. 30 Entretien avec Jean-Marie Schaeffer, directeur de recherches au CNRS, propos recueillis par Alexandre Prstojevic : www.vox-poetica.org/entretiens/schaeffer.htm 31 « Vous avez fait du théâtre avant ? », in Arts de la rue, L’envers du décor, Stradda, n° spécial (6), HorsLesMurs, Paris, octobre 2007, p. 21. 32 In Organiser…, op.cit., p. 52. 33 Voir Jürgen Habermas, Théorie de l'agir communicationnel (1981, traduction française en 1987), rééd. Fayard, Paris, 2001 pour le tome I, Fayard, 1997 pour le tome II. 34 Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias (1964), Seuil (« Points »), Paris, 1968. 35 Voir infra, Les pièges de la théâtralité. 36 E.W., in Mises en scène du monde, Actes du colloque international au Théâtre national de Bretagne, Les Solitaires intempestifs, Besançon, 2005, p. 292-306. 37 Voir E.W., « Les arts de la rue », in Encyclopædia Universalis, Paris, édition 2008. 38 « L’invention du spectateur », 13 avril 2006 à Sotteville-lès-Rouen, dans le cadre du cycle « Scènes Invisibles » organisé avec le concours du Parc de la Villette, de HorsLesMurs, Lieux publics et du ministère de la Culture. 39 Voir L’œuvre ouverte (1962), Seuil « Point », Paris, rééd. 1979. 40 Cf. Organiser un événement artistique dans l’espace public, Guide des bons usages, sous la direction de José Rubio et Gentiane Guillot, HorsLesMurs, Paris, 2007. 41 Voir Gérard Genette, Fiction et diction, Seuil, Points-essais, rééd. 2004. 42 A Night at the Opera, film des Marx Brothers, réalisation Sam Wood, USA, 1935. 43 Voir Guy Debord, La société du spectacle, Buchet-Chastel, Paris, 1967, rééd. Champ libre, 1971 et Gérard Lebovici, 1987. 44 Voir Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle, Gérard Lebovici, Paris, 1988. 45 Voir Giovanni Lista (dir.) La Scène moderne, Encyclopédie mondiale des arts du spectacle dans la seconde moitié du XXe siècle, Actes Sud, Arles, 1999. 46 Voir Alix de Morant (dir.), Théâtres nomades, Scènes urbaines, n° 2, HorsLesMurs, Paris, 2002 ; voir aussi Alix de Morant : « Nomadismes artistiques, Des esthétiques de la fluidité », thèse pour le doctorat en Arts du spectacle, soutenue le 17 novembre 2007, sous la direction de Béatrice Picon-Vallin, Université de Paris X-Nanterre. 47 Voir Georges Banu, La scène surveillée, Actes Sud, Arles, 2006. 48 In « Les spect’acteurs », in Arts de la rue, l’envers du décor, Stradda, n° spécial (6), octobre 2007, p. 16-19. 49 Voir Esthétique de la création verbale, Gallimard « Idées », Paris, 1984. 50 Cf. Tzvetan Todorov, Mikhaïl Bakhtine, le principe dialogique, suivi des Ecrits du cercle de Bakhtine, Seuil « Poétique », Paris, 1981. 51 Paul Ardenne, Un art contextuel, Flammarion, « Champs », Paris, 2002, rééd. 2004. 52 Ibidem, p. 187. 53 Ibidem, p. 183. 54 Ibidem, p. 61. 55 Ibidem, p.204-205. 56 Ibidem, p. 191. 57 Voir Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Les Presses du Réel, Dijon, 1998, cité par P.A. p. 197. 58 Voir Yves Michaud, L’art à l’état gazeux, Essai sur le triomphe de l’esthétique, rééd. Hachette « Pluriel », Stock, Paris, 2003. 59 André Rouillé, Éditorial du 19 juillet 2007, www.paris-art.com. 60 Pascale Bonniel-Chalier, « Des banlieues “tout feu tout flamme“, in Banlieues d’Europe (dir.), La place et le rôle de la fête dans l’espace public, Nouvelles fêtes urbaines et nouvelles convivialités en Europe, Certu, Lyon, 2006, p. 12-13. 61 Philippe Chaudoir, « La fête est-elle soluble dans les politiques publiques », ibidem, p. 38-41. 62 Cf. E.W. « Esthétique de l’écart et politique de la relation », in Mutations du champ culturel, Raison présente, n° 160, juin 2007, p. 83-98. 63 Voir Michael Fried, « Art et objectivité » (1967) et « De l’antithéâtralité » (1998), in Contre la théâtralité, Du minimalisme à la photographie contemporaine, Gallimard, NRF « Essais », Paris, 2007, p. 113-140 et 141-188. 64 Ibidem, p. 142. 65 Voir Michael Fried Gallimard, NRF « Essais », Paris, Esthétique et origines de la peinture moderne, en trois tomes: I- La place du spectateur, 1990, II- Le réalisme de Courbet, 1993, III- Le modernisme de Manet, 2000. 66 Michael Fried, in Contre la théâtralité, op. cit., p. 142. 67 Voir Michèle Bocquillon (Hunter College, City University of New York), « La métamorphose (ou la vision) de Denis Diderot » (www.erudit.org/revue/tce/2003/v/n73/009121ar.pdf). 68 Ibidem, p. 129. 69 Ibidem, p. 122. 70 Ibidem, p. 138. 23 20 Ibidem, p. 133-134, souligné par l’auteur. Verfremdungseffekt, dans la traduction d’Antoine Vitez. 73 Ibidem, p. 233-234, note 23. 74 Voir notamment Paul Ardenne, Un art contextuel, Création artistique en milieu urbain, en situation, d’intervention, de participation, Flammarion, « Champs », Paris, 2002, rééd. 2004 ; Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Les Presses du réel, Dijon, 1998 ; Gilles Tiberghien, Land Art, Ed. Carré, Paris, 1993 ; Stephen Wright, « Le désœuvrement de l’art », in Mouvements, n°17, Paris, 2001, p. 9 à 13 ; Christine Buci-Glucksmann, La Folie du voir, Une esthétique du virtuel, Galilée, Paris, 2002. 75 Voir Bertolt Brecht, Petit organon pour le théâtre (1948), L’Arche, Paris, rééd. 1997 ; Antonin Artaud, Le Théâtre de la cruauté, Premier manifeste et Second manifeste (1935), in Œuvres, Gallimard, « Quarto », Paris, 2004, p. 558-589. 76 Gérard Genette, Métalepse, De la figure à la fiction, Le Seuil, Paris, 2004 (extrait de la présentation). 77 Le Livre de poche, Paris, 1996, p. 247. 78 Cette formule est issue d’une conversation ferroviaire avec Christian Biet. 79 Voir Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction?, Seuil, Paris, 1999. 80 Entretien avec Jean-Marie Schaeffer, propos recueillis par par Alexandre Prstojevic : www.voxpoetica.org/entretiens/schaeffer.htm 81 Ibidem. 82 Ibidem. 83 Voir Alain Berthoz, Le sens du mouvement, Odile Jacob, Paris, 1997. 84 Alain Berthoz, Conférence de l’Université de tous les savoirs, 7 février 2000 : www.canalu.education.fr/canalu/chainev2/utls/programme/11_le_cerveau_et_le_mouvement_le_sixieme_sens/ 85 Ibidem. 86 Voir Alain Berthoz et Roland Recht (dir.), Les Espaces de l'homme, Odile Jacob, juin 2005. 87 Association promenades urbaines, 39, rue de Clignancourt, 75018 Paris, [email protected] 88 Voir Maud Le Floc'h (dir.), avec Philippe Chaudoir, Un élu, un artiste , Mission Repérage(s) : 17 Rencontres itinérantes pour une approche sensible de la ville, L'Entretemps, Vic-la-Gardiole, 2006. 89 Cf. www.ruelibre.fr, op.cit. 71 72 21