Edito. Clash entre l’islam et l’Occident : à
qui profite le crime ?
L’agitation et les violences récentes provoquées par la diffusion d’un film qui ridiculise le
prophète Mahomet ont encore aggravé les malentendus et les mauvaises interprétations
entre l’Occident et le monde islamique. Les grands médias s’en sont donnés à cœur de joie,
en soulignant au passage l’ignorance mutuelle des deux camps, le peu de connaissances
que détiennent les Occidentaux de l’islam et vice-versa et la narration fausse de l’Islam
contre l’Occident. Tant et si bien que, pour beaucoup d’entre nous, il est devenu courant
de penser que la seule relation possible entre le monde islamique et l’Occident s’insère
dans un cycle de conflits politiques et culturels.
Sans doute, depuis des siècles, les extrémistes des deux camps ont cultivé cet « esprit caricatural »
en réduisant à des stéréotypes, musulmans et Occidentaux chacun à sa manière. Mais toute
personne assez ouverte à étudier l’islam et l’Occident comprend que la principale source d’erreurs
n’est pas religieuse ou culturelle mais bien politique. La friction engendrée par la politique
étrangère américaine au Moyen-Orient, les enjeux géopolitiques du Golfe Persique, le conflit israélo-
palestinien, la montée de l’extrême droite en Europe et la politique de prosélytisme islamique en
Asie occidentale ont envahi le terrain culturel et produit une polarisation des identités dans laquelle
les valeurs de base et les croyances des « autres » sont considérées comme problématiques et
menaçantes. En conséquence, dans la relation troublée entre certains occidentaux et certains
musulmans, il y a la conviction de plus en plus répandue de la futilité et de l’absence de dialogue
entre l’Occident et l’Islam.
La généralisation de la thèse bien connue du «choc des civilisations» du politologue américain
Samuel P. Huntington peut mieux expliquer les raisons de cette confrontation, car elle légitime les
stéréotypes provocateurs et sensationnalistes popularisés par les tenants de « la guerre contre le
terrorisme islamique » et du slogan « A bas l’Occident blasphématoire». George W Bush et ses
faucons en savent quelque chose, mais les Ayatollahs aussi !
Il existe de nombreuses preuves qui démontrent que, pour attaquer l’islam, ou l’Occident, les
fanatiques des deux côtés sont prêts à utiliser n’importe quel mensonge. Les fanatiques Occidentaux
ne connaissant pas l’islam, n’ont aucun désir de comprendre ou de tolérer les musulmans parce
qu’ils imaginent l’islam comme une religion de violence qui veut envahir, voire détruire et dévorer
l’Europe.
Voilà qu’aujourd’hui l’l’islam et l’Occident souffrent d’un grave déficit de tolérance. En Occident, de
nombreux stéréotypes et la désinformation qui contribuent à l’islamophobie sont enracinés dans la
peur de l’islam. Certains présentent cette religion comme un bloc monolithique, statique, sauvage,
irrationnel, menaçant et résistant au changement. La peur de l’islam est devenue un phénomène
social en Occident, et les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, sont devenus pour
beaucoup d’Occidentaux l’image de l’envahisseur musulman, le symbole selon lequel musulman est
égal à terroriste.
Mais la fausse représentation de l’islam est parallèle à la fausse représentation de l’Occident.
Autrement dit, «l’islamophobie», ou la peur de la marée islamique, a un contrepoids
…«l’occidentophobie», soit la peur de l’Occident et de ses valeurs. La mondialisation est devenue
synonyme d’occidentalisation et les musulmans radicaux sont préoccupés par la culture occidentale,
qu’ils n’hésitent pas à classer comme impure et satanique.
Bien que les versions apocalyptiques, violentes et d’un autre âge, qui glorifient la mort ne sont
portées que par une petite minorité de musulmans, l’opinion publique mondiale semble considérer
ces attitudes hostiles comme représentatives de l’ensemble du discours islamique, créant un climat
qui conduit à l’absence de dialogue et à la violence extrême.
Peut-être un bon point de départ est de reconnaître que de nombreux musulmans du monde entier
se sont prononcés en faveur de solutions spirituelles et non-violentes, du dialogue et de la paix. Mais
force est de constater que ces paroles n’ont pas réussi à endiguer le flot des stéréotypes. Et nous
avons besoin d’apprendre davantage au sujet des musulmans et de leur culture dans les écoles
européennes, pour mettre fin à cette crainte injustifié et injustifiable pour tout ce qui vient
d’ailleurs. En outre, il devrait y avoir plus de musulmans pluralistes et non-violents visibles dans
l’espace public et surtout dans les médias en Occident, afin de trouver une troisième voie pour
résoudre les conflits entre les interprétations occidentales de la liberté individuelle et les
interprétations islamistes des droits et des devoirs des musulmans.
Peut-être qu’il est temps que les Occidentaux comprennent que ce qui importe le plus, ce n’est pas
seulement de trouver le juste équilibre entre les expressions de l’identité musulmane et l’idée de
laïcité occidentale et républicaine, mais de prendre des mesures concrètes pour éliminer les
malentendus et les interprétations erronés qui ont contribué à donner une image négative des
musulmans comme des gens violents, hostiles culturellement et inaptes à la démocratie.
Qu’est qui est vraiment difficile à comprendre ?
Y a-t-il un sens dans le fait qu’un pasteur, peut-être timbré, brûle un Coran dans le fin fond des
Etats-Unis, ce qui incite à des milliers de kilomètres de là des musulmans du quartier de Haoussa
(quartier à forte concentration musulmane dans une ville à majorité chrétienne) à Douala, à brûler
les églises situées dans ce même quartier ?
Y aurait-il un sens si mon ami Chamarke, musulman très pratiquant, décidait subitement de ne plus
me rendre visite parce que ma nouvelle petite amie suissesse s’habille en mini-jupe hyper sexy, si
l’imam de la mosquée que Chamarke fréquente chaque vendredi venait à un jour à prêcher contre ce
genre d’habillement ?
A vous de voir !
FBradley Roland
Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils
« En Irak, nous sommes devenus des cibles
faciles »
[caption id="attachment_800" align="alignleft" width="150"] Beirut,
hommage rendu aux victimes de l’attentat de Bagdad du 31 octobre
2010[/caption]
L’attentat qui a eu lieu le 31 octobre dernier dans la cathédrale de Bagdad, revendiqué par Al-Qaida, puis
la vague d’attentats qui a suivi en décembre dans la capitale, ont mis en lumière le sort que les Irakiens
de confession chrétienne subissent depuis la chute du régime de Saddam Hussein. Les menaces et les
graves violences à leur encontre les poussent sur les chemins de l’exil. Youssef [1], Najat et Maureen,
trois réfugiés, ont acceptés de nous livrer leurs témoignages sur les raisons qui les ont amenés à venir se
réfugier au Liban et leurs espoirs pour l’avenir.
Les Chrétiens d’Irak : deux mille ans d’histoire
Les Chrétiens d’Irak auront passé un Noël 2010 marqué par le deuil et le souvenir de deux prêtres et des 50
membres de leur église disparus dans l’attentat du 31 octobre dernier dans la cathédrale du centre de Bagdad.
L’explosion, déclenchée par trois islamistes radicaux relevait d’un acte de violence sciemment perpétré à l’encontre
d’une communauté religieuse spécifique. En ce sens, il était clairement antichrétien. Si ce type d’information est
passé au second plan par le passé, cet attentat n’est cependant pas le premier en son genre à venir noircir les
colonnes de la presse. Le 1er août 2004, déjà, 5 églises faisaient l’objet d’attaques quasi simultanées dans les villes de
Bagdad et Mossoul, tuant 12 chrétiens assyriens. Le 9 octobre 2006, un prêtre officiant à Mossoul était enlevé, puis
deux jours plus tard décapité, et un adolescent de 14 ans était retrouvé crucifié quelques jours plus tôt dans la
région. Selon l’œuvre d’Orient, 40 églises ont été attaquées en Irak entre juin 2004 et juin 2007. En novembre 2008,
une campagne antichrétienne, lancée à Mossoul, a poussé près de 3’000 membres de cette communauté à fuir le
pays.
Les menaces, les violences et les attaques armées à l’encontre de chrétiens, régulières et amplifiées depuis 2004, ont
poussés des centaines de milliers d’Irakiens chrétiens sur le chemin de l’exil. En 2000, ils étaient près de 860’000 en
Irak, soit un peu moins de 2% de la population. Leur nombre a drastiquement baissé depuis, et ils seraient moins de
450’000 de nos jours, répartis principalement dans les régions du Nord (Kurdistan irakien). Bien qu’ils représentent
une minorité, les chrétiens font partie du paysage irakien depuis près de 2000 ans. Comme le rappelait Gérard-
François Dumont, de nombreuses sources concordent pour dire que les communautés chrétiennes chaldéennes et
assyriennes, les deux plus importantes en Irak, auraient été évangélisées par St-Thomas dès le Ier siècle. Les
discordes avec Rome, et les flux migratoires, ont engendré de nouvelles églises chrétiennes, telles que les églises
grecs orthodoxes et protestantes. Aujourd’hui, l’Irak n’en compte pas moins de 12 différentes, ce qui exclut d’emblée
l’homogénéité de cette communauté historique autochtone.
La naissance de l’Islam au VIIème siècle n’a pas ébranlé ce paradigme. De fait, qu’elles soient chrétienne ou
musulmane (chiite, sunnite et alevis), les nombreuses communautés en Irak y cohabitent depuis des siècles plus ou
moins pacifiquement selon les époques. Aussi, s’il paraît à ce stade quelque peu déplacé de les interroger sur leur
intégration dans la société irakienne, d’emblée eux-mêmes se définissent comme une communauté « connue pour la
paix et son ouverture au monde. »
Saddam : mémoire d’un Irak uni
La doctrine du régime baasiste, dans lequel s’inscrit Saddam Hussein, prend ses sources dans un mouvement
socialiste et laïque. Cependant, dès 1991, le régime met partiellement fin à cette sécularisation, et des textes de loi
sont adoptés allant dans le sens des règles prônées par les autorités islamiques. C’est ainsi, par exemple, que l’alcool
est prohibé et que seuls les chrétiens ont le droit de le fabriquer et de le vendre. Progressivement, ce paradigme
religieux est intégré dans le droit irakien, à l’instar de la proclamation d’une loi interdisant les prénoms chrétiens.
Or, si l’on écoute Youssef, Najat et Maureen, ils ne semblent pas porter de traces de cette période. Au contraire, le
régime de Saddam fait appel à un souvenir comparable à une tendre époque. Face à la réaction quelque peu
sceptique qu’ils déclenchent, ils tempèrent : « sous Saddam, il y avait des problèmes, mais pour tous les Irakiens. »
Et d’ajouter : « Saddam respectait les chrétiens et nous protégeait. Nous nous sentions en sécurité. ».
Quand on leur demande quels sont les changements notoires qui ont eu lieu depuis la chute du régime, ils y voient
« une régression ». Selon eux, la population s’est fissurée, morcelée. Selon Youssef, « avant, un Irakien était avant
tout Irakien, peu importait son appartenance religieuse. Maintenant, cette harmonie n’existe plus ». Ce changement
n’est pas survenu tout de suite. Quant il s’agit d’identifier les « coupables », tous sont unanimes : «cette influence
vient de l’extérieur ». Youssef envisage que « ce plan a été mis en place par de grands responsables étrangers qui
ont voulu lancer une guerre ».
Il leur est encore difficile de reconnaître que ce sont des Irakiens qui sont à l’origine des attentats dont ils ont été
victimes. Lors de l’explosion de la cathédrale syriaque-catholique de Bagdad, Youssef a perdu trois de ses cousins.
Cependant, il rappelle, à juste titre, que la violence à l’encontre des chrétiens est un phénomène régional : « Au
Moyen-Orient, nous ne sommes pas les seuls à souffrir. Les coptes d’Egypte souffrent aussi de violence et de
menaces. Mais en Irak, nous sommes des cibles plus faciles à atteindre, car le gouvernement en place n’a pas les
moyens d’exercer un contrôle et d’assurer notre protection. » (NDIR : l’entretien a été réalisé avant l’attaque du 31
décembre à Alexandrie)
Le choix difficile de l’exode
Avant leur fuite, Youssef et sa famille menaient une vie paisible. Le commerce d’outillages qu’il avait garantissait une
stabilité financière pour toute sa famille. Qu’est-ce qui l’a alors poussé à partir ? « Depuis 2005, je recevais des
menaces d’enlèvement. En juin 2007, mon père a été kidnappé par des terroristes qui nous ont demandés une
première rançon de 300’000 dollars américains. Nous avons négocié 60’000. Quand il est rentré, très malade, il
portait des traces d’actes de torture sur lui. Je n’aurais pas pu supporter que cela arrive à un autre membre de ma
famille.»
Maureen, elle, était étudiante dans une université à Bagdad depuis 2001. En 2009, elle a quitté la capitale, car elle a
été menacée. Un jour, en se rendant aux cours, des étrangers se sont approchés d’elle dans les couloirs et lui ont
dit : « prend soin de toi ». Elle a alors décidé de poursuivre ses études dans une autre région. Mais au mois de mars
2010, son beau-frère a été kidnappé et tué. « Cela aurait pu être mon mari, alors nous avons décidé de partir »,
confie-elle.
Les soupirs… les longs silences … puis inévitablement les nombreuses perles qui roulent sur les joues en disent long
sur le poids que représente la décision de tout quitter, et de s’en aller. Devenir, du jour en lendemain, réfugié cela
représente avant tout des sacrifices: abandonner une partie des siens, les terres dont on a hérité et souvent, en tant
que chrétien, un train de vie aisé. C’est un sentiment de déchirement « impossible à décrire », dit Maureen, mais qui
vous envahit d’une tristesse intense et avec laquelle il faut apprendre à vivre. Devenir réfugié, c’est aussi partir dans
l’espoir que les lendemains seront meilleurs mais sans garantie aucune. Dans la majorité des cas, c’est souvent aussi
un point de non-retour car s’ils espèrent pouvoir revenir au pays, ils sont conscients que « nos enfants ne connaîtront
pas l’Irak et ne voudront pas y retourner. ».
Liban: terre d’accueil, mais temporaire
Tous sont venus au Liban se réfugier car, même s’ils savent qu’il n’y a pas d’avenir pour eux et leur famille dans ce
pays, ils savent qu’au moins ils y sont en sécurité. L’État libanais n’est en effet pas signataire de la Convention
relative au statut de réfugié, et ne leur offre aucune aide. Le gouvernement laisse le soin au HCR, en collaboration
avec d’autres ONG locales, de s’occuper du sort de près de 8’000 Irakiens y vivant actuellement. Malgré cette
insécurité, ils sont sûrs que « d’autre Irakiens chrétiens continueront de venir tant que les conditions ne se seront
pas améliorées ». Tous sont dans l’attente de trouver un pays qui accepte de les accueillir en leur conférant un statut
de réfugié. Mais ces procédures prennent entre un et trois ans. Ce qu’ils demandent aux pays européens, c’est de
faciliter ces démarches et lancent ce message: « On leur demande, entre chrétiens, de compatir à nous souffrances,
d’être solidaires du fait que l’on souffre de persécution alors qu’on a les mêmes croyances ».
Dans une interview donnée à la chaîne NBC sur ses mémoires récemment publiés, Georges W. Bush, revenait en ces
termes sur la guerre qu’il a engagée en Irak: « S’excuser signifierait que cette décision était mauvaise. Et je ne
pense pas que c’était une mauvaise solution », et d’ajouter « le monde se porte mieux sans Saddam Hussein. »
Chacun sera libre de juger. Pourtant, cette conviction, les Irakiens chrétiens, sont loin de la partager : « nous
n’avons pas connu de meilleur régime ». Selon eux, seul « un nouveau Saddam ou quelqu’un qui soit plus fort que les
terroristes » peut permettre de recoller les fissures de cet Irak qui, à chaque nouvel attentat, continue de se
morceler. Au vu des huit mois de négociations nécessaires pour former le gouvernement de coalition, qui a pris ses
fonctions le 20 décembre 2010, après neuf mois de paralysie, la terreur ne semble pas avoir touché à sa fin.
Cependant, Youssef, Maureen et Najat espèrent que cet homme fort se fera entendre d’ici 2011, année prévue du
retrait définitif américain.
[1] Noms d’emprunt.
Caroline Nanzer
Chargée de communication, Centre des Migrants de Caritas Liban http://english.caritasmigrant.org.lb/
Une collaboration entre Caritas Liban et Voix d’Exils
« Le Centre des Migrants de Caritas Liban vient en aide à plus de 2’000 familles irakiennes dans le besoin,
sans distinction d’appartenance religieuse »
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