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La prise de conscience des limites du mode de développement initié par la révolution
industrielle a été progressive, mais elle est aujourd’hui réelle. Les pays développés
se sont révélés capables de régler quelques-uns des problèmes environnementaux
locaux créés par leurs techniques productives, comme les pollutions locales de l'air
et de l'eau. Mais ils sont toujours impuissants face aux deux problèmes majeurs que
sont le réchauffement climatique et l'érosion de la biodiversité.
Doivent-ils pour autant renoncer à la croissance et utiliser tous leurs moyens pour
essayer de restaurer l'environnement ? Rien n'est moins sûr. D'abord car le soutien
social à cette stratégie est nul et qu’il est contre-productif en termes d'acceptabilité
par les opinions publiques des politiques environnementales d'agiter le spectre de la
décroissance. Ensuite, car vouloir la poursuite de la croissance ne signifie pas
forcément vouloir la poursuite de la même croissance. À la fois l'objectif et les
moyens peuvent changer. L’objectif : la croissance d'un indicateur matériel de
richesse peut être remplacée par la croissance du bien-être, qui est après tout
l'indicateur pertinent. Les moyens : le système productif peut être transformé, pour
produire les biens dont nous avons besoin à moindre coût environnemental.
L'idée de décroissance est associée à un conservatisme de pensée qui considère
que tout allait très bien autrefois – voire beaucoup mieux qu’aujourd’hui – et qu'il faut
retourner à cet âge d'or, sans d’ailleurs que cet âge d’or soit précisément caractérisé.
La position consistant à dire qu'il faut au contraire aller de l'avant et s'attaquer aux
problèmes actuels sans renoncer à la croissance, surtout pour les plus pauvres,
semble plus prometteuse. S'attaquer aux problèmes veut dire donner un prix aux
biens environnementaux par la politique économique, tout en favorisant le progrès
technique permettant d’économiser les ressources naturelles – on revient ainsi aux
enseignements de modèles de croissance. Le vocable « croissance verte » à été
inventé pour expliquer cela : les actions en faveur de l'environnement ne sont pas
forcément punitives, mais elles peuvent permettre de placer l'économie sur une
nouvelle trajectoire technologique porteuse de grandes perspectives de croissance,
même s’il y aura évidemment des coûts à supporter à court terme.
L’idée de « croissance verte » est très souvent associée à celle de
« décarbonisation » de l'économie. Il s’agit de remplacer les technologies de
production fondées sur l’utilisation massive des énergies fossiles qui ont permis le
développement depuis la révolution industrielle par d’autres formes d’énergies,
renouvelables et non polluantes. Malheureusement, ceci permet de s'attaquer au
problème du réchauffement climatique, mais pas réellement à celui de l’érosion de la
biodiversité.
Les pays en développement, précisément car ils sont encore en développement,
possèdent encore de la nature primaire, qui abrite la majorité de ce qu'il reste de la
biodiversité mondiale. Là aussi, les enseignements des modèles économiques sont
clairs. Il faut, d’une part, favoriser le transfert de technologie afin que ces pays
sautent partiellement, dans leur processus de développement, l’étape fondée sur
l’utilisation massive des énergies fossiles. Il faut, d’autre part, organiser des
transferts monétaires pour rémunérer les pays qui abritent la biodiversité, afin qu’ils
soient incités à la conserver, et qu’ils aient les moyens de le faire. Transferts
technologiques et monétaires sont indispensables. Ce qui ne veut pas dire qu’ils
soient faciles à réaliser.
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