La campagne de désinvestissement des entreprises d’énergies
fossiles est très efficace, mais elle met le système économique
sur la sellette: une sortie progressive des énergies fossiles ne le
laissera pas indemne. Ce point est essentiel à relever, car il est impé-
ratif de réfléchir et de se préparer à ses conséquences, notam-
ment macroéconomiques. Non, la transition énergétique ne passe-
ra pas inaperçue!
54
« Nous savons ce qu’il nous reste à faire.
Maintenant que nous avons épluché l’oignon,
nous arrivons au cœur des choses. A partir de
ce soir, nous allons directement affronter l’in-
dustrie des combustibles fossiles », déclare Bill
McKibben, fin 2012, dans Do the Math, le film
qui a servi de support au lancement de la cam-
pagne de désinvestissement dans les universités
états-uniennes.
Cette campagne, qui a pour grand mérite
de s’attaquer directement à la production ex-
cessive d’hydrocarbures et à ses premiers res-
ponsables, les entreprises d’énergies fossiles,
tranche par son extrême efficacité : elle vise
dans le mille. Son raisonnement, très simple,
est que pour faire naître un système énergé-
tique bas carbone, il faut commencer par s’as-
surer qu’on est bien en train de se débarrasser
de l’ancien.
Pour cela, Bill McKibben a une méthode :
« La seule chose dont se soucie l’industrie fos-
sile est l’argent, observe-t-il. On va donc s’atta-
quer à l’argent. Vous voulez nous prendre notre
planète et notre avenir ? Nous allons prendre
votre argent », explique-t-il dans Do the Math.
La démarche fait mouche. Elle présente cepen-
dant des failles et des risques.
Trop simple
Par exemple, l’agence financière Bloom-
berg fait ce constat très juste : « Les actifs dans
l’énergie propre ne sont aujourd’hui pas assez
grands pour absorber les importantes quan-
tités de capital susceptibles d’être désinvesties
des énergies fossiles. » Jusque-là tout va bien.
Mais elle poursuit en mettant en avant « des
secteurs qui représentent des milliers de mil-
liards de dollars qui pourraient accueillir les
dollars désinvestis. » Ah oui ? Et quels sec-
teurs ? Réponse : l’informatique, la pharma-
ceutique, l’agroalimentaire, l’ingénierie, l’im-
mobilier, l’automobile.
Cette proposition est parfaitement inepte.
La planète doit remplacer son système éner-
gétique par un système moins polluant. En
quoi investir dans Microsoft, Novartis, Nestlé
ou les constructeurs automobiles va-t-il aider
à atteindre ce but ? Ces multinationales dé-
pendent elles-mêmes fortement des énergies
fossiles ! De nombreux leaders du secteur de
l’ingénierie, par exemple, fabriquent des mo-
teurs diesel et/ou des machines nécessaires à
l’extraction minière.
Ce rapport absurde donne une bonne idée
de la manière dont le secteur financier aborde
le sauvetage de la maison Terre. Englué dans
ses « indices » et ses modèles de gestion de
risque et de rentabilité, il ignore le monde réel.
Plus grave, une vision purement financière du
problème revient à poser que les plus riches
détiennent les clefs de l’avenir. Ce qui signe la
fin de la démocratie.
La campagne Désinvestir-Investir induit
en erreur quand elle véhicule l’idée simpliste
qu’il suffirait de retirer ses billes d’ExxonMo-
bil, d’E.ON ou de Total pour les placer chez
EdiSun ou Vestas. Et tout pourrait continuer
comme avant ? Le changement incolore et ino-
dore ? Encore un peu et il passerait inaperçu !
Cela ne peut pas être aussi simple : une
sortie organisée des énergies fossiles signi-
fie une transition énergétique, c’est-à-dire un
véritable projet alternatif de société, dont les
implications majeures sont à définir et à déci-
der au cours d’une discussion démocratique
forte susceptible de générer une large adhé-
sion des populations, elle aussi absolument
nécessaire.
Sans transformation profonde de la struc-
ture économique ni soutien populaire à cette
avancée, le mouvement Désinvestir-Investir
risque de gonfler une bulle solaire ou renouve-
lable avant d’avoir réellement dégonflé la bulle
carbone. Et le tout risque de très mal finir.
Exercice salutaire
Une transition énergétique vers les énergies
renouvelables digne de ce nom aura de pro-
fondes conséquences économiques. Tim Jack-
son cite une étude d’économistes italiens qui
modélise ses effets macroéconomiques. L’un
de ces effets est que la croissance va sûrement
ralentir, car le rendement financier des éner-
gies renouvelables est inférieur à celui des éner-
gies fossiles (Jackson, 2010).
Dans le système économique actuel, une
telle évolution mettrait les Etats, les entre-
prises et les particuliers endettés dans une im-
passe. « L’accroissement incessant du service
de la dette pour les Etats, les régions, les en-
treprises et les particuliers constitue le méca-
nisme par excellence qui pousse l’économie
dans son ensemble dans une croissance for-
cée », relève l’économiste Christian Arnsperger
(2010). Conclusion : « La transition nécessite
une monnaie – ou des monnaies – non ban-
caires et démocratiques. »
Cocréateur de Tera, Frédéric Bosqué suit
exactement le même raisonnement : croissance
et endettement sont liés comme les deux doigts
de la main et l’une des solutions à l’un comme
à l’autre est la relocalisation de monnaies asso-
ciées aux initiatives citoyennes, notamment en
vue d’atteindre l’autonomie énergétique, pla-
cées au centre d’une politique publique qui
régénère le corps social (Bosqué, 2015).
LRD
Une campagne aux conséquences
massives pour la société
DOSSIER LaRevueDurable N°55