Acteurs de communion Une spiritualité de communion Faire de l’Eglise la maison et l’école de la communion : tel est le grand défi qui se présente à nous dans le millénaire qui commence, si nous voulons être fidèles au dessein de Dieu et répondre aussi aux attentes profondes du monde. 1. TÉMOIGNAGE (…) Je suis habité par la vision d’une Eglise communion, ce qui ne signifie pas une Eglise où tout serait beau et tranquille. Durant ma formation au séminaire, déjà en stage pastoral, j’ai découvert par une expérience concrète que les divisions, les conflits entre les prêtres, entre prêtres et laïcs, empêchaient le rayonnement de l’Evangile et freinaient le dynamisme missionnaire de l’Eglise. C’est qu’on oublie souvent la parole de l’Evangile : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres qu’on vous reconnaîtra pour mes disciples. » (Jn 13,35). Je crois que j’ai reçu ce don dans mon enfance à travers plusieurs personnes : ma grand-mère et ma mère qui aimaient profondément l’Eglise et qui m’ont transmis leur amour, et les curés de ma paroisse qui ont été pour moi très fraternels. Ils ont éveillé en moi cet amour de l’Eglise, de la liturgie et ont beaucoup soutenu mon cheminement vers une vocation. Cet amour de l’eglise m’habite depuis toujours et j’ai bien conscience que c’est un don gratuit du Seigneur. (...) Un évènement œcuménique en 1982, à Strasbourg, m’a ouvert aux autres églises et confessions chrétiennes, alors qu’elles étaient peu présentes dans la Manche [où je suis né]. Des liens d’amitié avec des chrétiens des autres confessions se sont tissés au long des années et je me souviens avoir témoigné au retour de ce grand rassemblement et avoir dit que j’étais revenu avec un plus grand amour de l’Eglise catholique. La rencontre avec les autres chrétiens m’a encore plus enraciné dans l’universalité de l’Eglise. Catholique signifie universel, ouvert à tous. Mon Evêque, sans doute à cause de cela m’a demandé de devenir délégué à l’œcuménisme, et mon désir de communion s’est encore élargi. Le Seigneur a élargi l’espace de ma tente, au point que j’ai été, avec un Pasteur luthérien, co-président d’un grand rassemblement œcuménique à Charlety en 1998. Nous nous sommes engagés à œuvrer pour la construction d’un monde plus uni et à travailler, à donner notre vie, pour l’unité de l’Eglise. (...) Ce n’est pas en soi l’appartenance à une religion qui nous structure, c’est l’expérience spirituelle que Dieu nous fait vivre, si nous nous en remettons à Lui. On peut être catholique de nom, sans avoir vraiment rencontré le Christ, et l’autre. On peut être musulman de nom, et se laisser entraîner, comme cela s’est vécu aussi dans l’histoire pour les catholiques, dans une situation dominante, qui peut blesser profondément ceux qui ne font pas partie de notre communauté.(...) 2. L'EGLISE, COMME COMMUNION, UNE COMMUNAUTE PEUPLE DE DIEU Au cours de ces années, je me suis aperçu que cette vision de l’Eglise communion que j’ai reçue comme un don, est largement développée dans les textes du Concile Vatican II, particulièrement la Constitution sur l’Eglise, Lumen Gentium. Les synodes des évêques qui se sont déroulés depuis, dans la ligne du concile, ont développé une réflexion très profonde sur l’Eglise comme mystère de communion. L’Eglise reçoit cette vision avant tout et d’abord de la parole de Dieu. Parmi les différentes images bibliques qui éclairent le mystère de l’Eglise, le concile Vatican II s’attarde sur l’image de la vigne et des sarments. « Je suis la vigne véritable et mon Père est le vigneron… Je suis la vigne, Acteurs de communion 1/5 vous les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit ; car hors de moi, vous ne pouvez rien faire. » (Jn 15, 1-5). Le Concile commente en disant : « La vigne véritable, c’est le Christ : c’est lui qui donne vie et fécondité aux sarments que nous sommes. » C’est l’Eglise elle-même, donc, qui est le vignoble évangélique. « Elle est mystère parce que l’amour et la vie du Père, du Fils et de l’esprit-Saint sont le don absolument gratuit offert à tous ceux qui sont nés de l’eau et de l’Esprit, appelés à vivre la communion même de Dieu. » (LG n° 6). De par le baptême, nous vivons en communion avec Jésus, dans le Père, par l’Esprit, communion au mystère du Dieu unique en trois personnes, mystère trinitaire. Dans la suite de la parabole de la vigne, Jésus nous montre les fruits de cette communion qui existe entre les baptisés et le Christ : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. » (Jn 15,9). Jésus nous aime dans l’Esprit-Saint de l’amour dont le Père l’aime, et cette communion produit en nous la charité : «Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Le fruit de la communion produit la joie, la joie du don : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. » (Jn 15,11) C’est seulement à l’intérieur de cette vision que peuvent se définir toutes les vocations dans l’Eglise. (…) 3. COMMENT ETRE ACTEUR DE COMMUNION ? Dans la veillée avec les jeunes, à Sydney, lors des journées mondiales de la Jeunesse, le 19 juillet 2008, le Pape Benoit XVI a répondu en profondeur à cette question : I - En tant que témoins du Christ, quelle est notre réponse à un monde divisé et fragmenté ? Comment pouvons-nous offrir l’espérance de la paix, de la guérison et de l’harmonie à ces « stations », lieux de conflit, de souffrance et de tension, où vous avez choisi de vous arrêter avec cette Croix de la journée Mondiale de la Jeunesse ? L’unité et la réconciliation ne peuvent être atteintes par nos seuls efforts. Dieu nous a fait l’un pour l’au- tre (cf. Gn 2, 24) et nous ne pouvons trouver qu’en Dieu et que dans l’Église l’unité que nous cherchons. Cependant, face aux imperfections et aux désillusions aussi bien individuelles qu’institutionnelles, nous sommes parfois tentés de construire une communauté « parfaite ». Ce n’est pas là une tentation nouvelle. L’histoire de l’Église contient de multiples exemples de tentatives pour contourner et dépasser les faiblesses et les échecs humains pour créer une unité parfaite, une utopie spirituelle.(...) III - L’unité appartient à l’essence de l’Église (cf. Catéchisme de l'Église catholique, n. 813) ; elle est un don que nous devons reconnaître et que nous devons chérir. Ce soir, prions afin d’être résolus à faire grandir l’unité. Construisez-là ! Résistez à la tentation de vous y soustraire ! Puisque c’est précisément l’amplitude, le large horizon de notre foi – en même temps solide et ouverte, cohérente et dynamique, vraie et toujours tendue vers une connaissance plus profonde – que nous pouvons offrir à notre monde. Chers jeunes, n’est-ce pas à cause de votre foi que des amis en difficulté ou à la recherche d’un sens à leur vie se sont tournés vers vous ? Soyez vigilants ! Sachez écouter ! À travers les discordances et les divisions du monde, pouvez-vous entendre la voix unanime de l’humanité ? De l’enfant abandonné dans un camp du Darfour à l’adolescent troublé, à un parent angoissé dans une banlieue quelconque, ou peut-être, en ce moment même, des profondeurs de votre cœur, jaillit un même cri d’humanité qui aspire à une reconnaissance, à une appartenance, à une unité. Qui satisfait ce désir humain essentiel d’être un, d’être en communion, d’être enrichi, d’être conduit à la vérité ? L’Esprit Saint ! Tel est son rôle : porter à son accomplissement l’œuvre du Christ. Enrichis des dons de l’Esprit, vous aurez la force d’aller au-delà des visions partielles, de l’utopie creuse, de la précarité de l’instant, pour offrir la cohérence et la certitude du témoignage chrétien ! (…) Nous sommes à Taizé, une communauté de frères de différentes confessions, qui vivent le célibat consacré. Ils vivent ce que le Pape Benoit XVI a dit aux jeunes à Sydney et vient de vous redire.(...) Acteurs de communion 2/5 Une seule communion au Christ et aux hommes Le christianisme ne connaît qu’une seule communion qui est communion au corps du Christ, mais en même temps communion avec les frères, spécialement les plus pauvres et les plus démunis. Jean-Paul II exprime le sens de cette communion vécue en communauté dans l’exhortation Vita consecrata : « Aux personnes consacrées, il est vraiment demandé d’êtres expertes en communion et d’en pratiquer la spiritualité comme témoins et artisans du projet de communion qui est au sommet de l’histoire de l’homme selon Dieu.» (n° 42) « Les communautés de vie consacrée sont envoyées pour annoncer par leur témoignage de vie la valeur et la fraternité chrétienne et la force transformante de la bonne Nouvelle qui fait reconnaître chacun comme enfant de Dieu et pousse à l’amour oblatif envers tous et spécialement envers les plus humbles. Ces communautés sont des lieux d’espérance et de découverte des Béatitudes, des lieux où l’amour s’appuyant sur la prière source de communion est appelé à devenir logique de vie et source de joie. » (n° 51) Mais les frères de Taizé sont pour nous artisans de communion. Ils puisent à la source, ils nous indiquent la source pour que nous devenions nous-mêmes artisans de communion dans le mouvement, et dans notre vie quotidienne. Dans votre mouvement, sans en avoir toujours conscience, vous vivez déjà cela. Vous l’avez exprimé dans la résolution 2 de votre assemblée générale de 2009 intitulée « Etre scouts et guides dans un monde pluraliste. » (…) munion, en la faisant ressortir comme principe éducatif partout où sont formés l’homme et le chrétien, où sont éduqués les ministres de l’autel, les personnes consacrées, les agents pastoraux, où se construisent les familles et les communautés. Une spiritualité de la communion consiste avant tout en un regard du cœur porté sur le mystère de la Trinité qui habite en nous, et dont la lumière doit aussi être perçue sur le visage des frères qui sont à nos côtés. Une spiritualité de la communion, cela veut dire la capacité d’être attentif, dans l’unité profonde du *corps mystique, à son frère dans la foi, le considérant donc comme « l’un des nôtres », pour savoir partager ses joies et ses souffrances, pour deviner ses désirs et répondre à ses besoins, pour lui offrir une amitié vraie et profonde. Une spiritualité de la communion est aussi la capacité de voir surtout ce qu’il y a de positif dans l’autre, pour l’accueillir et le valoriser comme un don de Dieu : un « don pour moi », et pas seulement pour le frère qui l’a directement reçu. Une spiritualité de la communion, c’est enfin savoir « donner une place » à son frère, en portant « les fardeaux les uns des autres « (Ga 6,2) et en repoussant les tentations égoïstes qui continuellement nous tendent des pièges et qui provoquent compétition, carriérisme, défiance, jalousies. Ne nous faisons pas d’illusions : sans ce cheminement spirituel, les moyens extérieurs de la communion serviraient à bien peu de chose. Ils deviendraient des façades sans âme, des masques de communion plus que ses expressions et ses chemins de croissance. » Extraits de l'intervention de Monseigneur Santier, évêque de Créteil, aux Assises de la Foi, 2010, à Taizé. Mais vous pouvez aussi vivre au quotidien cette spiritualité de la communion, développée par Jean-Paul II (...) « Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Ici aussi le discours pourrait se faire immédiatement opérationnel, mais ce serait une erreur de s’en tenir à une telle attitude. Avant de programmer des initiatives concrètes, il faut promouvoir une spiritualité de la comActeurs de communion 3/5 Acteurs de communion « Nous devons désormais renoncer sans espoir à l’obscur sentiment qui, dans ce domaine, nous fait toujours désirer quelque chose de plus. Vouloir davantage que ce que le Christ a établi entre nous, ce n’est pas désirer une fraternité chrétienne, c’est s’en aller à la recherche de je ne sais quelles expériences communautaires inédites qu’on pense trouver dans l’Eglise parce qu’on ne les pas trouvées ailleurs, et c’est introduire dans la communauté chrétienne le trouble ferment de ses désirs. C’est ici que la communauté de croyants court les plus graves dangers –et cela, la plupart du temps, dès les tout premiers jours : l’intoxication par l’intérieur, provoquée par la confusion entre fraternité chrétienne et un rêve de communauté pieuse, par le mélange de nostalgie communautaire que tout homme religieux porte en soi, avec la réalité d’ordre spirituel qu’implique la fraternité en Christ. Or, il est de toute importance de prendre conscience dès le début que, tout d’abord, la fraternité chrétienne n’est pas un idéal humain, mais une réalité donnée par Dieu ; et, ensuite, que cette réalité est d’ordre spirituel et non pas d’ordre psychique. On ne saurait faire le compte des communautés chrétiennes qui ont fait faillite pour avoir vécu d’une image chimérique de l’Eglise. Certes, il est inévitable qu’un chrétien sérieux apporte avec lui, la première fois qu’il est introduit dans la vie de la communauté, un idéal très précis de ce qu’elle doit être et essayer de le réaliser. Mais c’est une grâce de Dieu que ce genre de rêves doivent sans cesse être brisés. » D. Bonhoeffer, De la vie communautaire, Labor et Fides, Genève, 1983 Acteurs de communion 4/5 Acteurs de communion Acteurs de communion 5/5