PSYCHOLOGIE QUÉBEC • JANVIER 2002
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DOSSIER
Aspects liés à la psychothérapie
Le principe de prise en charge préconisé pour cette clientèle est
celui de la thérapie bi-focale (terme emprunté à Jeammet) où l’un
des intervenants — habituellement le médecin — s’occupe principa-
lement de la réalité extérieure (du symptôme et de ses consé-
quences physiques) et où l’autre intervenant — généralement le
psychologue — travaille sur la réalité intérieure avec l’adolescente.
Il est important pour le psychologue de s’assurer que la réalité ex-
térieure est soignée par une personne qui détient de l’autorité en la
matière afin de favoriser un travail qui soit le plus dégagé possible
des enjeux mortifères liés au symptôme.
L’intervention psychothérapeutique auprès de la clientèle ado-
lescente aux prises avec un problème alimentaire comporte des
défis intéressants et importants. Le moment où l’intervention psy-
chologique est proposée à la patiente peut jouer un rôle décisif
sur l’accueil que cette dernière lui réservera. Certains moments
sont plus propices pour l’introduction de la psychothérapie. Pen-
dant l’étape active de restriction alimentaire où la négation est
souvent massive et les gains secondaires liés à la perte de poids
sont nombreux et à l’avant-plan, l’intervention psychologique est
souvent mal perçue et mal accueilli par l’adolescente. Durant
cette période, les conséquences physiques sont plus tangibles et la
confrontation avec la réalité physique s’avère souvent plus effi-
cace auprès de l’adolescente ainsi qu’auprès des parents dont les
inquiétudes sont fréquemment focalisées autour de la santé phy-
sique. L’étape suivante, alors que l’adolescente reconnaît la pré-
sence d’un dysfonctionnement alimentaire, constitue un meilleur
moment, à notre avis, pour proposer ou introduire une aide indivi-
duelle psychologique. À cette phase, l’adolescente se montre bien
souvent plus en contact avec sa souffrance intérieure, la conduite
anorexique étant encore présente mais souvent moins active ou
moins efficace. Son poids peut être plus stable, et habituellement
l’adolescente prend conscience progressivement qu’il n’est pas né-
cessairement aisé de se départir des habitudes alimentaires
qu’elle a ardemment développées. Au fil du temps et souvent
aidée par un travail d’introspection individuelle, de soutien paren-
tal et de rencontres familiales à visée thérapeutique, l’adolescente
reprend du poids graduellement, tout en identifiant et en
solutionnant les difficultés personnelles associées à sa conduite
alimentaire. La tâche de l’adolescente est souvent intense et ardue
à ce moment, puisque les défis qui se présentent à elle se situent
sur deux plans : physique et intra-psychique. Il arrive que certaines
adolescentes, connues ou non, demandent à consulter le psycho-
logue plus tard dans l’évolution de leur anorexie, alors que le
symptôme alimentaire a disparu (ou presque). Les demandes de
ces adolescentes sont bien souvent reliées à l’entrée dans la vie
adulte avec les défis posés par le choix d’une orientation profes-
sionnelle, d’un partenaire, l’intégration de sa période anorexique
et de ses conséquences dans son parcours de vie. Les étapes ainsi
décrites sont schématiques et peuvent être de durées variables.
Selon les des problèmes sous-jacents au trouble alimentaire, la
durée et l’intensité des symptômes varieront.
Les défis cliniques posés par la clientèle adolescente présentant
un trouble de la conduite alimentaire sont grands et constants. La
symptomatologie particulière suscite des réactions contre-transféren-
tielles (individuelle ou de groupe) diverses et parfois massives qu’il
est nécessaire d’identifier et de travailler. Aussi, l’adolescente qui
consulte le fait rarement seule : elle est habituellement accompa-
gnée de ses parents, qui verbalisent leur impuissance et souffrent de
la voir ainsi. Eux aussi ont besoin d’aide. Les interventions proposées
doivent tenir compte de cette réalité.
Comme dans plusieurs secteurs de la santé au Québec, les res-
sources offrant des services pour cette clientèle sont restreintes. Une
collaboration plus étroite entre les divers milieux accueillant cette
clientèle serait souhaitable pour articuler et maximiser les services
offerts.
Dominique Meilleur, Ph. D., est psychologue à la section Médecine de l’adolescence de
l’Hôpital Sainte-Justine à Montréal.
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