Une manière originale et festive de diffuser l’imaginaire de la bande dessinée auprès d’un large
public ‒ même si l’on peut se demander ce que comprennent à ces différents tableaux les
personnes qui n’ont pas présentes à l’esprit les dessins qui les ont inspirés.
En sens inverse, l’intérêt des auteurs de bande dessinée pour la chose théâtrale est moins flagrant.
Même si un Lee Falk et un Jules Feiffer ont écrit pour la scène, le seul artiste depuis Töpffer qui se soit
pleinement investi à la fois dans la création graphique et dans l’art dramatique est sans doute
l’Argentin francophone Copi (1939-1987). Le dessinateur de La Femme assise a écrit et interprété une
quinzaine de spectacles, travaillant notamment avec Savary, Jorge Lavelli et Alfredo Arias. Le Belge
Philippe Geluck, de son côté, a mené une carrière d’acteur pendant une petite dizaine d’années,
avant de créer Le Chat. On sait moins que, dans les années vingt, George McManus interprétait lui-
même le rôle de Jiggs (Monsieur Illico) dans la pièce Father, tirée de son strip Bringing Up Father.
Les textes de théâtre sont beaucoup moins fréquemment adaptés en bande dessinée que les
romans. Le champion toute catégorie des dramaturges mis en cases est sans l’ombre d’un doute
William Shakespeare. Universel, le maître élisabéthain a inspiré des dessinateurs français (voir le
Macbeth de Philippe Marcelé et celui de Daniel Casanave), belge (Othello, de Denis Deprez)
allemand (Iago, de Ralf König, d’après Othello), italien (plusieurs albums de Gianni De Luca),
japonais (7 Shakespeares, d’Harold Sakuishi…), entre beaucoup d’autres, mais c’est évidemment
dans le monde anglo-saxon que les adaptations ont été les plus nombreuses, le plus souvent avec
des arrière-pensées didactiques. En terre britannique, Simon Greaves a créé la collection des
“Shakespeare Comic Books” en 1999, mais il avait été précédé et suivi de quantité d’autres
initiatives, dont la très honorable collection des “Cartoon Shakespeare Series” publiée par l’éditeur
britannique Oval Projects dans les années 1980, et quelque cinq volumes de la fameuse collection
américaine “Classics Illustrated” lancée en 1941.
Molière a été beaucoup moins bien servi. Et que dire du reste du répertoire ? Cyrano, Antigone,
Phèdre, Andromaque, Vladimir et Estragon et tant d’autres personnages attendent encore de se
réincarner sous un crayon inspiré. Quant aux auteurs contemporains (Grumberg, Vinaver, Koltès,
Gatti, Reza, Lagarce, pour ne citer que quelques francophones), ils semblent inconnus du monde de
la bande dessinée.
On retiendra tout de même quelques adaptations qui sont d’incontestables réussites : la version
d’Ubu roi donnée en 1970 par Franciszka Themerson, la Farce de maître Pathelin enluminée par
David Prudhomme (2006), ou bien encore Quelqu’un va venir, de Pierre Duba (2002), d’après Jon
Fosse.
Le scénariste Alain Ayroles se distingue par sa connaissance du théâtre classique, qui (à égalité
avec les récits de cape et d’épée et des éléments de fantasy) a nourri la série De Cape et de crocs,
créée en 1995 aux éditions Delcourt et dessinée par Masbou. Cyrano, Molière, Racine, Shakespeare
y sont cités ou convoqués tour à tour, mais, par-delà les références, l’écriture elle-même se veut
théâtrale. « C’est un récit d’aventures ouvertes (…) basé sur le théâtre, sur le principe de la
"Commedia dell’Arte". À savoir que j’ai un canevas, je connais les grandes lignes de l’histoire, mais
après, j’improvise. Si je vois traîner un sac et un bâton, par exemple, je vais m’en servir. Que ce soit
pour mettre quelqu’un dans le sac et le rouer de coups avec le bâton, ou bien le faire trébucher
avec le bâton et le frapper avec le sac... », expliquait Ayroles en 1997. Et de préciser ailleurs : « Ce
qui me sert de point d’ancrage quand j’écris, c’est que les protagonistes doivent toujours, même en
pleine fantasy, se comporter comme des personnages de théâtre. » Une pièce de théâtre en un
acte, Le Médecin imaginaire (parodie du répertoire classique), était d’ailleurs distribuée avec le
tome 4 de la série (Le Mystère de l’île étrange, 2000).