« Archi et BD. La ville dessinée » est une incontestable réussite, et
une mine d’informations, de corrélations, d’échanges factuels et
symboliques. Non que les dessinateurs de BD aient inventé la ville, ils
l’ont parfois préfigurée de façon signifiante (ainsi des villes sous-
marines de Jacques Rougerie, que l’on trouve en BD bien avant que le
maître français de l’architecture maritime n’en mette en chantier, de
façon concrète). Non plus que les architectes aient copié ne varietur
leurs bâtiments en s’inspirant directement de tel ou tel « bandeau »
graphique trouvé dans la presse BD, même si la formidable liberté que
permet cette dernière, qui ne connaît pas les contraintes de l’usage et
de la fonctionnalité, n’a pu que les pousser à l’audace, et à forcer leur
inventivité. Effet de transfusion, en l’occurrence, où l’on regarde ce que
fait l’autre dans la perspective d’une relance, d’une dynamique de la
forme et de la réflexion. L’architecte Stéphane Maupin, de la sorte,
reconnaît avoir trouvé dans Spirou, en partie, son goût des
constructions ludiques – celles, en l’occurrence, élaborées par le
dessinateur Seron dans son album Les Petits hommes. Suite à la chute
d’une météorite sur la Terre, les hommes deviennent minuscules et
doivent tout reconstruire à leur échelle, dont une ville, que Seron pense
et planifie en authentique architecte, mais alors de papier, une
proposition mineure dont Maupin, quelques décennies plus tard, saura
se rappeler pour ses propres projets.
Le défaut de ce genre d’exposition, on le sait, est la surfocalisation. Et
sa conséquence la plus ordinaire, la survalorisation. Que le « Neuvième
Art » ait pu façonner la vision architecturale de la ville vingtiémiste,
personne n’en doute, et l’exposition en apporte maintes preuves
tangibles. Si l’on se souvient cependant que la naissance des comics et
celle du cinéma sont concomitantes, il est tentant de faire une
comparaison : qui, de la bande dessinée et du cinéma, a le plus inspiré
ou fait phosphorer les architectes ? Quelle Metropolis pour nourrir le
propos architectural, celle de Superman ou celle de M. le Maudit ? Ne
polémiquons pas. Rappelons seulement que la BD aura été pour
l’architecte ou l’urbaniste au travail, au XXe siècle, une inspiration parmi
d’autres, et non forcément la première en importance. Ce qui n’en rend
pas moins touchant, et juste, le musée Hergé qu’a livré à Louvain, l’an
passé, Christian de Portzampac : une construction caractéristique par
ses façades découpées comme les cases d’une bande dessinée. Un
hommage, un signe de respect, une manière humble et reconnaissante
aussi, pour l’architecte, de saluer le travail d’un maître.