1 ARCHISTORM, PUBLICATION RENTREE 2010 LA BANDE DESSINEE AU PRISME DE LA VILLE ET DE L’ARCHITECTURE, ET INVERSEMENT PAUL ARDENNE « La ville fascine les auteurs de bande dessinée. Certains, comme François Schuitten, en font la source première de leur inspiration, la plupart l’utilisent comme un cadre, un décor véhiculant à la fois leur perception de la ville contemporaine et leurs rêves de villes meilleures », écrit François de Mazières, président de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine et maître d’œuvre d’une exposition attendue, « La ville dessinée ». Et de continuer, si besoin était de justifier de la nécessité de la mise en reflet des relations entre bande dessinée et architecture: « Parce que les dessinateurs de bandes dessinées sont les témoins des grandes interrogations du XXe siècle et de notre époque. » « Archi et BD. La ville dessinée » est de ces expositions que l’on dira naturelles. Opportune, bien sûr, parce que les liens entre BD et représentation de l’architecture sont anciens, solides, nourriciers. Mais encore – et surtout – parce que le « neuvième art », son histoire durant et aujourd’hui y compris, reste un inséminateur puissant sinon formateur de notre imaginaire de la ville. Le Paris réaliste de Tardi nous apprend à revoir, à nous lecteurs des aventures d’Adèle Blanc-Sec, il affine notre connaissance et soutient nos rêveries de la Belle époque, celle de la Bande à Bonnot, de Proust et de Mata-Hari. Les mondes intergalactiques que parcourt Lon Sloane sous la direction plasticienne de Philippe Druillet sont ponctués d’étranges cités monstrueuses qu’on croirait sorties de l’imagination « sci-fi » d’écrivains inspirés tels que Lovecraft ou Bradbury, inclination post-apocalyptique qui est aussi nôtre. Quant à Kandor, la ville mystérieuse, située sur la planète Krypton, de Superman, ce héros majeur des comics, elle est à ce point magnétique pour les humains que nous sommes que d’aucuns de ces derniers se font entichés de la construire pour de vrai (en maquette du moins, un projet de Mike Kelley) à partir de ses multiples figurations en BD… 2 Transfusions Conçue par Jean-Marc Thévenet, ancien directeur du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, et par Francis Rambert, directeur de l’Ifa (Institut Français d’Architecture), l’exposition « Archi et BD. La ville dessinée » se structure en plusieurs parties distinctes, de façon pédagogique et didactique. Premier point, la naissance de la bande dessinée, au tournant du XXe siècle, en Amérique et plus précisément à New York, qui va accompagner le triomphe médiatique de la presse de masse. À celle-ci, la BD sert de forme divertissante, et délassante, elle fidélise la clientèle en recourant au stratagème classique du feuilleton. L’occasion est fournie, dans cette première section, de rendre un hommage mérité à Winsor McCay, le créateur du personnage de Little Nemo, que ses rêves, chaque nuit, entraînent dans une Slumberland hérissée de hauts bâtiments qui ressemble comme deux gouttes d’eau à la Big Apple. Le deuxième volet de l’exposition, l’esprit moderne, est envisagé à partir de l’école dite de la « ligne claire », privilégiant la grille simple, le trait cernant, la couleur en aplat et l’absence d’ombres. Hommage légitime, cette fois, à l’école belge des années 1950-1970, Hergé mais aussi l’équipe de Spirou (« école de Marcinelle »), dont le maître du genre, à ses débuts du moins, André Franquin (il est aussi l’auteur du recueil Idées noires [1981, éditions Audie], plus tardif, dans le style Fluide glacial cette fois, autrement plus brouillon, et agressif). Autres sections enfin : Paris, ville incontournable dans l’imaginaire BD, déclinée de maintes façons, la vision réaliste notamment, souvent teintée de nostalgie haussmannienne ; divers carnets de voyages illustrés, dont une attention légitime portée à Tokyo et au manga ; très attendue, une section intitulée « Regards croisées », la plus intéressante sans nul doute eu égard à la question centrale ici des liens architecture-bande dessinée. En celle-ci se voient mis en relation architectes et dessinateurs déclinant respectivement en quoi leur médium d’élection s’inspire de celui de l’autre – Jean Nouvel, Christian de Porzamparc, Louis Paillard, Jakob + MacFarlane… d’un côté, Winshluss et Joost Swarte de l’autre, sans oublier l’extraordinaire et informel tandem Guy Rottier-Reiser, aux propositions aussi inventives que décapantes (la fameuse « Maison serpent » de Rottier, dont Reiser vante les pouvoirs dès qu’il s’agit de… déménager !). Une inspiration diffuse plus que directe 3 « Archi et BD. La ville dessinée » est une incontestable réussite, et une mine d’informations, de corrélations, d’échanges factuels et symboliques. Non que les dessinateurs de BD aient inventé la ville, ils l’ont parfois préfigurée de façon signifiante (ainsi des villes sousmarines de Jacques Rougerie, que l’on trouve en BD bien avant que le maître français de l’architecture maritime n’en mette en chantier, de façon concrète). Non plus que les architectes aient copié ne varietur leurs bâtiments en s’inspirant directement de tel ou tel « bandeau » graphique trouvé dans la presse BD, même si la formidable liberté que permet cette dernière, qui ne connaît pas les contraintes de l’usage et de la fonctionnalité, n’a pu que les pousser à l’audace, et à forcer leur inventivité. Effet de transfusion, en l’occurrence, où l’on regarde ce que fait l’autre dans la perspective d’une relance, d’une dynamique de la forme et de la réflexion. L’architecte Stéphane Maupin, de la sorte, reconnaît avoir trouvé dans Spirou, en partie, son goût des constructions ludiques – celles, en l’occurrence, élaborées par le dessinateur Seron dans son album Les Petits hommes. Suite à la chute d’une météorite sur la Terre, les hommes deviennent minuscules et doivent tout reconstruire à leur échelle, dont une ville, que Seron pense et planifie en authentique architecte, mais alors de papier, une proposition mineure dont Maupin, quelques décennies plus tard, saura se rappeler pour ses propres projets. Le défaut de ce genre d’exposition, on le sait, est la surfocalisation. Et sa conséquence la plus ordinaire, la survalorisation. Que le « Neuvième Art » ait pu façonner la vision architecturale de la ville vingtiémiste, personne n’en doute, et l’exposition en apporte maintes preuves tangibles. Si l’on se souvient cependant que la naissance des comics et celle du cinéma sont concomitantes, il est tentant de faire une comparaison : qui, de la bande dessinée et du cinéma, a le plus inspiré ou fait phosphorer les architectes ? Quelle Metropolis pour nourrir le propos architectural, celle de Superman ou celle de M. le Maudit ? Ne polémiquons pas. Rappelons seulement que la BD aura été pour l’architecte ou l’urbaniste au travail, au XXe siècle, une inspiration parmi d’autres, et non forcément la première en importance. Ce qui n’en rend pas moins touchant, et juste, le musée Hergé qu’a livré à Louvain, l’an passé, Christian de Portzampac : une construction caractéristique par ses façades découpées comme les cases d’une bande dessinée. Un hommage, un signe de respect, une manière humble et reconnaissante aussi, pour l’architecte, de saluer le travail d’un maître. 4 « Archi et BD. La ville dessinée ». Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Paris. Jusqu’au 28 novembre 2010. www.citechaillot.fr