Publié le 3 février 2017 Le décret anti-terroriste de Trump est-il le «Muslim ban» ? C’était l’une des promesses de campagne du candidat Donald Trump : prendre des mesures fortes pour protéger son pays contre le danger que représente le terrorisme. Aussitôt investi, le nouveau président a pris un décret (Executive Order) intitulé «Protéger la nation contre l’entrée de terroristes étrangers aux États-Unis» («Protecting the Nation from Foreign Terrorist into the United States»). Le décret a été mis en application dès sa signature, le 27 janvier à 16 h 42, heure locale. Que contient le décret ? Une «mesure de protection contre le terrorisme». L’intitulé du décret en spécifie clairement l’objet. La présentation du décret faite par Le Monde, comme par la plupart des organes de presse dans les jours qui suivent, est la suivante : «Intitulé ‘Protéger la nation contre l’entrée de terroristes étrangers aux Etats-Unis’, le décret a été mis en application dès sa signature, le 27 janvier à 16 h 42, heure locale. Le texte ne mentionne aucun pays en particulier, mais il fait référence à une loi de 2016 qui établit une liste de ‘pays à risque’ (‘countries of concern’) : le Yémen, l’Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et l’Irak. Le décret interdit pendant quatre-vingt-dix jours toute entrée sur le territoire américain aux ressortissants de ces sept pays. Il bloque également pendant quatre-vingt-dix jours les entrées de réfugiés venant de ces pays. Les réfugiés syriens, dont seulement 18 000 ont été acceptés aux États-Unis depuis 2011, sont eux définitivement interdits d’entrée, jusqu’à nouvel ordre. De façon plus générale, le texte bloque le processus d’admission des réfugiés du monde entier pendant cent vingt jours. Le décret prévoit aussi de suspendre le visa Interview Waiver Program (IWP), le programme d’exemption de visa, en obligeant les détenteurs de ce sésame à avoir un entretien en tête à tête avec un agent consulaire lors de son expiration. Jusqu’à présent, il suffisait de déposer le passeport muni d’un tel visa au consulat afin d’obtenir son renouvellement. L’IWP autorise les voyageurs appartenant à trente-huit pays éligibles – dont des alliés proches comme le Royaume Uni, l’Allemagne et la France – à rester jusqu’à quatre-vingt-dix jours aux États-Unis sans visa. Interrogé, un porte-parole du département d’État n’a toutefois pas pu confirmer les effets immédiats de cette suspension.» Le même journal donne des précisions concernant les détenteurs de la Carte verte (Green card) : «Des détenteurs de la Green Card, la carte de résident permanent aux États-Unis, originaires des sept pays de la liste noire, ont déclaré au cours du week-end avoir été refoulés ou interdits 1 d’embarquer dans des vols à destination des États-Unis. Samedi, des responsables du département de la sécurité intérieure américain ont assuré que les détenteurs de cette carte devaient contacter leur ambassade. Un peu plus tard, lors d’un “briefing” avec des journalistes, des officiels de la Maison Blanche ont dit que les retours des ressortissants des sept pays allaient être gérés au cas par cas. Dimanche soir, l’administration américaine a officiellement clarifié la situation, en annonçant qu’ils auraient le droit d’embarquer à destination des États-Unis. Les détenteurs de «cartes vertes» ayant demandé une exemption au nouveau décret migratoire l’ont obtenue, a par ailleurs annoncé dimanche un haut responsable de l’administration américaine.» Comme l’indique le New York Times, le décret ouvre la voie, sans le dire explicitement, à une prise en charge prioritaire des demandes d’asile de réfugiés chrétiens. En effet, le texte permet de donner priorité aux demandes sur la base de persécutions religieuses, si la religion du demandeur d’asile «est minoritaire dans le pays d’origine de l’individu». Protéger les «chrétiens», cela vient de la campagne présidentielle où Trump s'est écrié à propos de la sélection des réfugiés : «Si vous êtes musulman, vous êtes bienvenu ; si vous êtes chrétien, c'est impossible ! Le décret renverserait la tendance ! Mais selon Politifact.com du 29 janvier, il n'y a aucune évidence que les chrétiens, particulièrement, ceux de Syrie, furent rejetés par le UNHCR (le Haut Commissariat pour les réfugiés). Il est vrai que, sur 5 millions de réfugiés syriens qui ont été accueillis aux USA, il n'y a que 1,5 million de chrétiens. Cela s'explique d'abord par leur nombre. D'une part, la population de chrétiens en Syrie ne comprend que 10% de chrétiens et cette population a été moins persécutée que les chrétiens d'Irak. De plus, les chrétiens de Syrie souvent ne veulent pas partir parce qu'une grande partie d'entre eux soutiennent Assad et se sentent en sécurité sous son gouvernement, ou s'ils émigrent, ils vont au Liban où ils sont bien reçus et sont, selon le président libanais, une «ressource vitale pour le pays». Les exemptions Dans les jours qui suivent le décret, des mesures complémentaires sont prises par l’Administration américaine concernant des groupes de personnes ayant un statut particulier. Le 29 janvier, elle déclare que les Américains ayant la double nationalité et originaires des sept pays de la «liste noire» bénéficient d’une exemption et peuvent entrer aux États-Unis. Pour les binationaux non américains, c’est la nationalité de l’un des États visés qui primera, et ils se verront interdire l’accès au territoire américain si l’une des nationalités est celle d’un des 7 pays visés par le décret, à l’exception du Royaume-Uni et du Canada, qui ont déclaré avoir obtenu, dimanche, une exemption. Les passagers possédant la citoyenneté britannique et celle d’un des 7 pays qui se rendent «aux États-Unis en venant d’un pays autre» que ces 7 pays ne sont pas affectés par la mesure, assure Londres. Les seuls binationaux «susceptibles d’être soumis à des vérifications supplémentaires sont ceux venant de l’un de ces 7 pays, par exemple un Britannico-Libyen se rendant aux États-Unis depuis la Libye». Ce décret cible-t-il les musulmans ? Désigné désormais dans l’ensemble de la presse américaine, française et internationale sous le nom de «Muslim ban» , le décret «anti-terroriste» s’est très rapidement mué en décret «anti-musulman», 2 ce qui le fait tomber sous le coup de l’accusation infamante d’une mesure de discrimination islamophobe. Les mesures qu’il prend sont résumées par cette affirmation : ce décret interdit de laisser entrer les musulmans sur le territoire des États-Unis. La visée anti-terroriste est ainsi mise sous le boisseau... Le Monde signale que le président américain s’est lui-même inscrit en faux contre cette présentation et cette accusation. Il rapporte en effet cette déclaration de Donald Trump : «Pour être clair, il ne s’agit pas d’une interdiction contre les musulmans comme la presse l’a rapporté d’une manière fausse. Cela n’a rien à voir avec la religion, cela concerne le terrorisme et la protection de notre pays. […] Il y a une quarantaine de pays dans le monde qui sont en majorité musulmans et qui ne sont pas concernés par ce décret. [...] Nous allons émettre à nouveau des visas à tous ces pays lorsque nous serons sûrs que nous avons mis en place les politiques les plus sûres au cours des 90 prochains jours». Selon le Washington Post, la mesure prise par Trump est probablement légale. Selon le Refugee Act de 1980, il appartient au Président de déterminer le nombre des personnes qui peuvent être admises aux USA, au titre de «réfugiés». Par contre, même si cela est l'un de ses pouvoirs, il pourrait être contraint de reculer si l'on dresse contre lui le fait du 1er Amendement, c'est-à-dire si l'on prouvait qu'il défavorise les musulmans en faveur des chrétiens. Mais l'ordre est temporaire, il est fait pour donner le temps de préparer de nouveaux décrets sur l'immigration et de les voir approuver par le Sénat et la Chambre des Représentants. Le journaliste américaniste Daniel Hamiche, sur le site Christianophobie, se référant au texte du décret lui-même, rappelle que celui-ci ne donne pas la liste précise des pays dont les ressortissants sont interdits d’entrée aux États-Unis pendant toute la durée de ce moratoire. Il fait observer que 7 pays à population majoritairement musulmane sont supposés être visés, selon la presse, par ce décret, mais que 43 autres pays à majorité musulmane ne le sont pas (en tout cas pas encore) : leurs ressortissants peuvent donc entrer aux États-Unis aux conditions ordinaires. Quant aux 7 pays «scandaleusement discriminés», « ils sont tirés d’une liste de «pays particulièrement préoccupant[s]» (Countries of Particular Concern, CPCs) établie par le département d’État du gouvernement d’Obama, car ces CPCs violent les droits de l’homme, les droits à la liberté de conscience et de religion ! Cette liste est mise à jour chaque année. Le décret de Trump la mentionne à sa section 3. Obama, lui-même, n’avait éprouvé aucune gêne à décréter un moratoire de 6 mois bloquant l’admission des réfugiés irakiens aux États-Unis, en 2011. A-t-on constaté alors un tollé général, des manifestations dans les rues, dans les aéroports ?» Il ajoute que «les musulmans de pays non majoritairement musulmans – Union européenne, Amérique du Sud, etc. –, ne sont pas interdits de séjour aux États-Unis. Les musulmans originaires de ces 7 pays, et qui disposent déjà d’un titre de séjour ou d’une Carte verte, les autorisant à travailler aux États-Unis, n’en seront pas chassés.» Une désapprobation du peuple américain ? À en croire la presse dominante, le décret a provoqué une levée de boucliers générale, aussi bien en Amérique que dans de nombreux pays, donnant lieu à des manifestations plus ou moins violentes, dont une vidéo du site du Monde fait état sous le titre : «De Londres à Manille, les manifestations contre le décret anti-immigration de Trump se propagent». Suscitant la compassion du public au 3 moyen de la présentation de cas particuliers regrettables et d’une lecture émotionnelle de drames humains inévitables (Le Monde titrant sur l’angoisse et la détresse des victimes du décret antiimmigration de Trump), les titres des journaux ont rivalisé dans le ton dramatisant, la presse américaine allant jusqu’à dénoncer la «cruauté» de Donald Trump De même, les journaux veulent créer l’impression d’une désapprobation générale au niveau des gouvernements et des responsables politiques de par le monde. Concernant l’Europe, Le Figaro rapporte ainsi que le premier ministre britannique Theresa May a déclaré que la Grande-Bretagne n'était pas d'accord avec «le genre d'approche» adoptée par Donald Trump pour limiter l'immigration à destination des États-Unis. François Hollande a mis en garde Donald Trump, avec lequel il a eu son premier entretien téléphonique, contre le «repli sur soi». Selon le Huffington Post, François Fillon juge "extrêmement dangereux pour le monde" le décret anti-immigration de Donald Trump. Angela Merkel ne juge pas «justifiées» les restrictions à l'immigration aux États-Unis. «Elle est convaincue que, même dans le cadre de la lutte indispensable contre le terrorisme, il n'est pas justifié de placer sous une suspicion généralisée des gens en fonction de leur origine ou croyance», a dit dimanche le porte-parole de la chancelière allemande, Steffen Seibert.Le premier ministre canadien Justin Trudeau a affirmé, pour sa part, la volonté de son pays d'accueillir les réfugiés «indépendamment de leur foi». «À ceux qui fuient la persécution, la terreur et la guerre, sachez que le Canada vous accueillera indépendamment de votre foi», a tweeté Justin Trudeau. Quant au Vatican, Le Point rapporte qu’il a fait part de son «inquiétude». Le Kremlin s’est abstenu de commenter le décret sur la «protection de la nation contre l'entrée de terroristes étrangers aux États-Unis» signé récemment par Donald Trump. «Ça ne nous regarde pas», a déclaré le porte-parole du président russe Dmitri Peskov, prié de commenter le décret du président américain Donald Trump sur l’immigration. Et Daniel Hamiche de faire observer que «s’il y a eu, malheureusement, des cafouillages dans les premières applications de ce décret du fait de certaines de ses interprétations par l’administration fédérale – peuplée de beaucoup d’adversaires politiques de Trump –, faute, sans doute, d’y avoir été préparée à l’avance, cela remet en cause, éventuellement, le “timing” de ce décret mais pas sa nécessité – laquelle, et on ne nous le dit pas, est soutenue par une majorité de citoyens des ÉtatsUnis. Selon un sondage récent, il apparaît en effet que le décret est approuvé par une nette majorité des Américains, ce qui ne peut que venir conforter le président Trump dans sa politique de vouloir mettre de l'ordre dans les demandes d'immigration. Ne voulant surtout pas être pris à la gorge comme l'est actuellement l'Europe. Laure-Marie de Synthe Retrouvez cet article sur notre site 4