LTimpactducanceretdesestraitements sur les fonctions cognitives

doi: 10.1684/nrp.2010.0085
Limpact du cancer et de ses traitements
sur les fonctions cognitives :
lexemple du cancer du sein
The impact of cancer and its
treatment on cognitive function:
the example of breast cancer
Résumé Depuis les années 1990, plusieurs travaux ont mis en
évidence des troubles cognitifs chez les patientes traitées
pour un cancer du sein par chimiothérapie, mais aussi par hormonothérapie. Malgré ce
fréquent constat, la nature exacte de ces troubles et les mécanismes impliqués ne sont toujours
pas élucidés. Après avoir fait le point sur limpact des différentes thérapies anticancéreuses sur
les fonctions cognitives dans le cancer du sein, nous évoquerons de nouvelles perspectives
pour la recherche dans ce domaine. De plus, du fait de la survenue chez certaines patientes de
troubles cognitifs avant même le début du traitement par chimiothérapie, nous évoquerons
lhypothèse dun impact des bouleversements psychosociologiques après le diagnostic du
cancer sur le fonctionnement cognitif. Nous soulignerons également limportance des études
chez les patientes âgées, puisque lâge nest pas un critère limitant la prescription des traite-
ments. Enfin, nous évoquerons le développement récent des études en imagerie cérébrale
qui visent à préciser les substrats neuraux de ces modifications cognitives.
Mots clés : cancer du sein
troubles cognitifs
chimiothérapie
imagerie cérébrale
Abstract Cognitive impairments in cancer represent a new field
of interest that is directly linked to complaints reported
by cancer survivors. Because of the increase in the treatments now available, including
chemotherapy, radiotherapy, hormone-based therapy and, more recently, targeted thera-
pies, mild but handicapping cognitive dysfunctions are frequently reported and can
concern long periods of post-treatment. Although these deficits are reported in different
cancer populations, the great majority of studies has been conducted in breast cancer
after adjuvant chemotherapy. But the nature and mechanisms underlying these deficits
are still poorly understood. This paper intends to review cognitive impairment after treat-
ments for breast cancer. Studies on this topic generally report that chemotherapy induces
memory loss, processing speed and attention and executive functions problems. After-
wards, we will show that other factors, little investigated for the moment, are also likely
to cause cognitive dysfunctions: recent longitudinal studies, with a base measurement
point before chemotherapy, demonstrated evidence of cognitive impairment prior to
chemotherapy, suggesting that several parameters, including psychopathological and
psychosocial factors (depression, anxiety, self disturbances) or biological factors (cyto-
kine level), have clearly to be taken into account. Then, we will focus on studies investi-
gating the situation in elderly cancer populations as these patients are highly likely to be
confronted with cognitive deficits and with cancer, and the administration of chemo-
therapy treatment doesnt really take into account the age of the patients. Finally,
recent neuroimaging studies began to better understand the neurobiological mechanisms
underlying cognitive impairment in breast cancer. The patients demonstrated larger
Mini-revue
Rev Neuropsychol
2010 ; 2 (3) : 250-4
Correspondance :
B. Giffard
Nastassja Morel
1
, Francis Eustache
1
,
Marie Lange
1,2
, Florence Joly
2
,
Bénédicte Giffard
1
1
Unité U923,
Inserm EPHE Université
de Caen/Basse-Normandie,
Caen
2
Unité de recherche clinique,
Centre François-Baclesse,
Caen
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patterns of activation from control subjects, sometimes in spite of normal cognitive
scores, suggesting mechanisms of compensation. Future studies should be developed
and adopt a sensitive method with longitudinal design and the latest imaging techniques
to explain cognitive impairment in cancer.
Key words: breast cancer
cognitive impairment
chemotherapy
brain imaging
Le cancer du sein est une pathologie fréquente chez la
femme une femme sur dix est concernée en
Europe avec un pronostic favorable grâce au déve-
loppement des programmes de dépistage précoce et à
lamélioration des traitements. Néanmoins, les traitements
proposés, notamment la chimiothérapie, induisent des effets
secondaires qui peuvent détériorer la qualité de la vie des
patientes. Des conséquences négatives des traitements sur
les fonctions cognitives ont été identifiées, et la compréhen-
sion de ces troubles cognitifs devient un enjeu important
dans la prise en charge des patientes, comme le montrent
les publications de plus en plus nombreuses depuis le
début des années 1990. La fréquence des troubles cognitifs
induits par la chimiothérapie varie sensiblement selon les
études (15 à 50 %) et selon quil sagit dune plainte subjec-
tive des patientes ou de scores objectifs aux tests. Si les
plaintes subjectives sont très fréquentes, les évaluations
objectives ne montrent pas toujours des troubles cognitifs
qui savèrent le plus souvent légers. Discrets mais invalidants
au quotidien, ces troubles sont décrits comme un brouillard
cognitif (chemofog ou chemobrain) et semblent affecter la
mémoire, lattention, les fonctions exécutives et la vitesse
de traitement de linformation. Si plusieurs études ont mon-
tré des déficits cognitifs induits par la chimiothérapie dans le
cancer du sein, des troubles ont également été rapportés
avant le début du traitement, suggérant que celui-ci nest
pas le seul responsable et soulevant lhypothèse dun impact
des bouleversements psychosociologiques après le diag-
nostic du cancer. Par ailleurs, limagerie cérébrale fournit
un éclairage original sur les régions cérébrales associées
aux modifications cognitives dans le cancer du sein.
Bien que ces dysfonctionnements concernent égale-
ment dautres pathologies cancéreuses comme le cancer
colorectal ou le cancer des testicules par exemple, la majo-
rité des travaux effectués jusquà présent sur les troubles
cognitifs a été conduit auprès de patientes ayant un
cancer du sein, cest pourquoi nous nous focaliserons
uniquement sur cette pathologie dans cette revue.
Troubles cognitifs et cancer du sein :
impact des traitements anticancéreux
Principaux impacts de la chimiothérapie
sur les fonctions cognitives
À la fin du traitement par chimiothérapie, certaines
patientes se plaignent dun ralentissement de leur pensée,
évoquent des problèmes de concentration pour réaliser
deux activités simultanément et peuvent ressentir des diffi-
cultés pour trouver leurs mots ou se rappeler de certaines
choses. Cet ensemble de troubles est appelé chemobrain ou
chemofog et, bien que décrits comme subtils, ces troubles
correspondent à une plainte fréquente souvent non prise en
compte et qui peut avoir un retentissement négatif sur la
qualité de vie de ces femmes.
Le fonctionnement cognitif étant impliqué dans la capa-
cité à réaliser la plupart des activités de la vie quotidienne,
il est primordial dobjectiver ces troubles à laide de tests
neuropsychologiques adéquats. Les premières études abor-
dant lévaluation des fonctions cognitives chez les patientes
traitées pour un cancer du sein par chimiothérapie sont
hétérogènes : lâge des patientes, la taille des échantillons
ou encore le choix des tests neuropsychologiques diffèrent
entre les études. Malgré ces limites méthodologiques, des
troubles cognitifs induits par la chimiothérapie ont été
démontrés. Plusieurs domaines sont particulièrement
touchés : mémoire, attention, fonctions exécutives et
vitesse de traitement de linformation. En effet, les perfor-
mances aux tests de mémoire épisodique (modalités
verbale et visuelle), comme la figure de Rey ou le Hopkins
Verbal Learning Test, sont souvent diminuées après la
chimiothérapie [1, 2]. De même, des difficultés dattention
et des fonctions exécutives sont fréquemment constatées
avec les mesures de la WAIS (mémoire des chiffres ou
arithmétique) ou du Trail Making Test par exemple [3, 4].
Un ralentissement dans le traitement des informations a été
mis en évidence chez les patientes dans le Letter Cancella-
tion Task et le Trail Making Test A [2]. Ces études ont
permis de cibler le choix des tests et de réduire le temps
de passation des évaluations pour sadapter au mieux à la
fatigabilité des patientes.
La chimiothérapie se traduit par la diffusion dans
lorganisme de molécules toxiques conçues pour détruire
les cellules à division rapide, en particulier les cellules
cancéreuses et susceptibles de traverser la barrière hémato-
encéphalique, expliquant ainsi lobservation de ces troubles
cognitifs chez des patientes traitées pour un cancer du sein.
Il existe un effet dose-dépendant de la chimiothérapie avec
une apparition des troubles cognitifs trois fois plus
fréquente en cas de chimiothérapie à forte dose [3].
Ces déficits peuvent aussi sexpliquer par la présence de
symptômes psychopathologiques comme lanxiété ou la
dépression souvent consécutifs au vécu du cancer mais
aussi à la fatigue liée au traitement.
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Les troubles cognitifs objectifs sont souvent transitoires
après la chimiothérapie, avec une amélioration ou une
stabilisation des performances pour la moitié des patientes
un an après la fin du traitement [4], mais ces troubles
peuvent aussi perdurer pour certaines patientes jusquà
dix ans après la fin de la chimiothérapie, notamment dans
le cas de traitement à forte dose [5].
Impacts des autres thérapies anticancéreuses
Dautres traitements sont proposés dans le cadre du
cancer du sein, notamment le traitement par radiothérapie
mammaire fréquemment pratiqué dans le cas dune chirur-
gie conservatrice (tumorectomie) et administré seul ou
associé au traitement par chimiothérapie. La radiothérapie
pourrait être impliquée dans la survenue de troubles cogni-
tifs. Quesnel et al. [6] ont montré, chez les patientes traitées
par radiothérapie mammaire, des performances abaissées
aux tests de fonctions exécutives et dattention (Trail
Making Test, mémoire des chiffres, fluence verbale) par
rapport aux sujets sains. Ce traitement saccompagnerait
dune libération de cytokines dans lorganisme. Or, laug-
mentation du taux de cytokines (notamment la protéine C
réactive) serait corrélée à la fatigue ressentie par les
patientes, suggérant que cette fatigue intense consécutive
à la radiothérapie serait susceptible dexpliquer les troubles
cognitifs. Toutefois, dans létude de Quesnel et al. [6], les
troubles des fonctions cognitives après la radiothérapie
étaient moins marqués par rapport aux patientes traitées
par chimiothérapie. Le rôle propre de la radiothérapie sur
les fonctions cognitives reste à être élucidé, car elle est
souvent associée à la chimiothérapie et les résultats sont
discordants en fonction des études.
Le traitement par hormonothérapie est de plus en plus
proposé dans la prise en charge du cancer du sein, dans le
but de bloquer la multiplication des cellules cancéreuses
parfois stimulée par les hormones. On parle de cancers
hormonosensibles ou hormonodépendants, et les principaux
traitements comprennent les anti-estrogènes, comme le
tamoxifène, et les inhibiteurs daromatase, comme
lanastrozole. Stewart et al. [7] ont révélé la présence de
troubles cognitifs chez 12 % des patientes traitées par
hormonothérapie (par tamoxifène pour la majorité). Cet
effet serait plus important dans le cas dun traitement par
anastrozole comparé au tamoxifène. Globalement, même si
certaines études viennent contredire les résultats, les travaux
suggèrent un probable impact négatif de lhormonothérapie
seule ou en association avec la chimiothérapie.
Un traitement par thérapie ciblée peut être proposé
dans le cas de cancer du sein avec surexpression du
gène HER2 par les cellules cancéreuses, accélérant
la croissance tumorale. De par son poids moléculaire, le
trastuzumab dicament administ dans ce cas ne
peut franchir la barrière hémato-encéphalique, amenant
lhypothèse dune absence de troubles cognitifs, bien
quaucune étude nait vérifié ce fait à ce jour.
Troubles cognitifs et cancer du sein :
limites et nouvelles hypothèses
à explorer
Troubles cognitifs avant traitement :
quelle implication des bouleversements
psychosociologiques suite à lannonce
du cancer du sein ?
Les études précédemment citées ont mis en évidence
des troubles cognitifs chez les patientes après la chimio-
thérapie comparativement à des groupes de patientes
traitées par radiothérapie ou des groupes de sujets sains.
Lintérêt de considérer chaque patiente comme son propre
témoin a été soulevé afin de mieux comprendre les effets
spécifiques de la chimiothérapie. Les études longitudinales
avec une évaluation cognitive avant et après le traitement
se sont alors développées. Wefel et al. [2] ont ainsi
démontré que 21 % des patientes ayant un cancer du sein
présentaient des troubles cognitifs avant même le début du
traitement par chimiothérapie, en particulier en ce qui
concerne la vitesse de traitement de linformation. Ces don-
nées ont été confirmées par dautres études qui ont observé
une diminution des capacités attentionnelles avant le début
du traitement [6]. Il est donc admis que les traitements
anticancéreux, en particulier la chimiothérapie, ne seraient
pas les seuls impliqués dans la survenue des dysfonctionne-
ments cognitifs dans le cancer du sein. Les troubles obser-
vés avant le début de la chimiothérapie pourraient être liés
au choc de lannonce du diagnostic du cancer et de son
traitement, étape traumatisante qui déclenche dimportants
bouleversements psychopathologiques et psychosocio-
logiques chez les patientes (anxiété, symptômes dépressifs,
état de stress post-traumatique, perturbations du self).
En effet, la période suivant lannonce du diagnostic peut
sassocier à et/ou entraîner des manifestations anxieuses et
une humeur dépressive pour certaines patientes. Il a été
avancé récemment que la surproduction de cytokines lors
du développement des tumeurs (ainsi que lors des traite-
ments) pourrait entraîner une altération de lhumeur et des
symptômes dépressifs qui, à leur tour, peuvent causer des
déficits cognitifs. Kim et al. [8] ont montré une corrélation
significative négative entre les symptômes dépressifs
(mesurés par le Beck Depression Inventory et la
Montgomery-Asberg Depression Rating Scale) et les scores
obtenus dans une tâche attentionnelle (Continuous Perfor-
mance Test) après lannonce du cancer du sein.
Le choc de lannonce du diagnostic de cancer et de son
traitement pourrait sapparenter en certains points à un état
de stress post-traumatique (PTSD). En effet, lannonce du
cancer est souvent vécue comme un choc émotionnel
avec un pronostic de vie menacé, situation qui peut entraî-
ner un état de stress intense et de sidération psychique chez
les patientes. Le stress suivant un traumatisme important,
auquel pourrait sapparenter lannonce du cancer du sein,
est associé à de nombreux troubles cognitifs, notamment la
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mémoire et lattention. Ces bouleversements psycho-
logiques suite à lannonce du cancer pourraient ainsi
expliquer les troubles des fonctions cognitives observés
avant le début du traitement. Cependant, aucune étude
na étudié ce profil particulier de patientes.
Enfin, suite à lannonce du diagnostic, des perturbations
du self pourraient se manifester (remise en cause de soi, de
la situation familiale et sociale, etc.) et ainsi être à lorigine
des troubles des fonctions cognitives dépendantes du self,
comme la mémoire autobiographique qui concerne les
connaissances et les souvenirs propres à un individu, accu-
mulés depuis son plus jeune âge et qui lui permettent de
construire un sentiment didentité et de continuité. Des
troubles de la mémoire autobiographique ont été mis en
évidence chez certaines patientes avec notamment un déficit
dans la spécificité des souvenirs autobiographiques. De plus,
Brewin et al. [9] ont décrit des troubles de la mémoire
autobiographique avec un nombre de faux souvenirs plus
important chez les patientes cancéreuses dépressives par
rapport aux patientes non dépressives. Des études évaluant
le self et la mémoire autobiographique plus finement sont
encore nécessaires.
La part réelle des bouleversements psychosociologiques
dans lapparition des troubles cognitifs avant et après le
traitement par chimiothérapie nest pas clairement définie
à ce jour et nécessite une évaluation précise de ces facteurs.
Par ailleurs, il nest pas écarté que la première intervention
chirurgicale suite au diagnostic et avant le début du traite-
ment ne soit pas sans influence sur le fonctionnement
cognitif, mais la faisabilité dune évaluation neuropsycho-
logique demeure difficile à ce stade de la maladie, car ce
problème ne fait pas partie des priorités des patientes.
Troubles cognitifs et patientes cancéreuses âgées :
un champ détude à développer
Une autre variable peu contrôlée et pourtant susceptible
davoir un impact sur les fonctions cognitives concerne
lâge des patientes. Lensemble des études sur les troubles
cognitifs liés au cancer et à son traitement ont évalué des
patientes entre 50 et 60 ans, mais peu détudes ont exploré
les fonctions cognitives de patientes plus âgées, alors que
les traitements sont proposés de plus en plus souvent aux
patientes de plus de 65 ans. Hurria et al. [1] ont observé la
présence de déficits cognitifs chez 39 % des patientes avec
un cancer du sein âgées de 71 ans en moyenne, affectant
lattention et la mémoire épisodique. Labsence dun
groupe témoin de patientes plus jeunes dans cette étude
ne permet pas de comparer avec le déclin cognitif dans le
vieillissement normal.
Cancer du sein et imagerie cérébrale
Dans le cadre dune meilleure compréhension des
processus cognitifs dans le cancer du sein, des travaux en
neuro-imagerie commencent à apparaître. Une première
étude en imagerie par résonance magnétique anatomique
(IRMa) a montré une réduction de densité de substance
blanche et de substance grise chez les patientes après la
chimiothérapie, en comparaison de patientes nayant pas
reçu de chimiothérapie [10].
Au niveau fonctionnel, la première étude en tomo-
graphie par émission de positons (TEP), réalisée cinq
et dix ans après le diagnostic, a identifié un profil dactivité
cérébrale différent entre les patientes traitées par chimiothé-
rapie ou non lors dune tâche de mémoire épisodique [11].
Un pic dactivation était présent au niveau du gyrus frontal
inférieur chez les patientes traitées par chimiothérapie lors
du rappel de la figure de Rey, alors que le groupe nayant
pas reçu de chimiothérapie montrait une activation plus
importante dans le cortex pariétal. Les études en IRM fonc-
tionnelle (IRMf), qui se sont développées récemment, ont
montré des profils dactivation cérébrale différents entre
patientes et sujets sains. Ce phénomène est bien illustré
dans une étude réalisée auprès de jumelles par Ferguson
et al. [12]. Lors dune tâche de n-back span (version 3-
back), tâche sollicitant des processus de mémoire de travail
et dattention, la jumelle ayant eu un cancer du sein traité
par chimiothérapie (et sous hormonothérapie au moment
de la réalisation de la tâche) a montré une activation plus
étendue des régions impliquées dans ces processus (régions
préfrontales en particulier) que la jumelle qui na pas
développé de cancer. Les jumelles présentaient les mêmes
résultats comportementaux pour cette tâche, suggérant un
processus de compensation chez la jumelle ayant été trai-
tée pour un cancer du sein. Une autre étude en IRMf [13] a
montré un profil dactivation différent entre les patientes trai-
tées par chimiothérapie et les témoins sans vécu de cancer
lors dune tâche de mémoire épisodique, et ce malgré des
scores comportementaux identiques. Lors de lencodage
incident (jugement catégoriel), les patientes présentaient
une baisse dactivation du cortex préfrontal gauche par
rapport aux témoins ; au contraire, lors de la récupération
(reconnaissance), lactivation était plus importante chez les
patientes au niveau de lhippocampe, du cervelet et du
cortex occipital. Ce résultat suggère que, malgré la capacité
de réalisation du même niveau de performance, les patientes
présentent une modification (baisse ou augmentation) de
lactivité cérébrale impliquée dans ces processus cognitifs.
La dose de chimiothérapie administrée semble également
être un facteur capital, y compris dans les répercussions à
long terme : comparant des patientes traitées par forte dose
de chimiothérapie dix ans après la fin du traitement et des
patientes nayant pas reçu de chimiothérapie, de Ruiter et al.
[5] ont montré, chez les patientes traitées, une baisse
dactivation dans le cortex préfrontal dorsolatéral lors dune
tâche exécutive (Tour de Londres) et dans le gyrus para-
hippocampique lors dune tâche de mémoire épisodique
(encodage et récupération de paires dimages), avec des
performances déficitaires pour ces deux tâches.
La chimiothérapie semble le principal facteur susceptible
de modifier le fonctionnement cérébral des patientes mais ce
nest pas le seul. En effet, Ferguson et al. [12] soulignent
limpact éventuel de lhormonothérapie sur lactivité céré-
brale de la jumelle ayant développé un cancer du sein.
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Enfin, avec un protocole en IRMf avant le début de tout
traitement adjuvant, une étude récente [14] a révélé un
pattern dactivation cérébrale différent entre les patientes
diagnostiquées pour un cancer du sein et les sujets sains
sans antécédent de cancer lors de la réalisation dune
tâche de mémoire de travail. Dans la condition la plus coû-
teuse, les auteurs ont mis en évidence, chez les patientes,
une activation plus importante du cortex préfrontal et un
recrutement de régions supplémentaires (gyrus pariétal,
aire frontale inférieure latérale gauche) par rapport aux
sujets témoins (gyrus frontal inférieur gauche et cortex
cingulaire antérieur). Malgré cette activation cérébrale plus
étendue, les patientes présentaient une diminution significa-
tive du nombre de bonnes réponses et une tendance à
répondre plus lentement dans la condition la plus coûteuse.
Ces résultats suggèrent, outre le traitement, linfluence
de facteurs très divers sur les fonctions cognitives qui
nécessitent dêtre mieux compris tels que les symptômes
psychopathologiques, la chirurgie mammaire, la fatigue.
Conclusion
La majorité des études rapporte la présence de troubles
cognitifs avant et après le traitement par chimiothérapie
dans le cancer du sein, en particulier des troubles
de mémoire épisodique et de travail, de lattention, des
fonctions exécutives et de la vitesse de traitement. Lhormo-
nothérapie, fréquemment prescrite, pourrait également être
responsable de troubles cognitifs. Des études supplémen-
taires sont nécessaires pour évaluer le rôle de la radio-
thérapie mammaire et des thérapies ciblées sur les fonctions
cognitives dans le cancer du sein. Ces troubles, bien que le
plus souvent légers et transitoires, sont connus pour avoir
un impact négatif sur la qualité de vie et être invalidants
au quotidien. Les études actuelles tentent dexpliquer les
mécanismes psychosociologiques et physiopathologiques
impliqués. Pour approfondir les connaissances dans ce
domaine, la mise en place détudes longitudinales sera
essentielle, ainsi que la sélection de groupes plus homo-
gènes, au niveau de lâge, du type et de la dose de chimio-
thérapie. Il sera important dévaluer les patientes avec des
tests ciblés sur les domaines les plus affectés dans le cancer
du sein et des tests sensibles afin de détecter les troubles
subtils. Il sera également indispensable de contrôler les
facteurs consécutifs à la maladie (fatigue, dépression, anxiété,
évolution du self, stress) qui pourraient jouer un rôle dans
laltération cognitive. Enfin, il sera essentiel de développer
des études en imagerie cérébrale afin de préciser les
substrats cérébraux de ces dysfonctionnements cognitifs.
Conflit dintérêts
Aucun.
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