Le système cholinergique central : un acteur incontournable du

La Lettre du Pharmacologue - vol. 23 - n° 2 - avril-mai-juin 2009
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Le système cholinergique central : un acteur incontournable
du traitement de la maladie d’Alzheimer
Central cholinergic system and Alzheimer’s disease treatment
R. Bordet*
* Département de pharmacologie médicale, institut de médecine prédictive et de recherche
thérapeutique, université Lille-Nord-de-France, CHU de Lille.
RÉSUMÉ
Le traitement de la maladie d’Alzheimer repose sur deux
approches pharmacologiques distinctes : d'une part, le trai-
tement symptomatique visant à améliorer les symptômes
cognitifs et psycho-comportementaux ; d'autre part, le trai-
tement destiné à modifi er dans un sens favorable le cours
évolutif de la maladie. Le système cholinergique central
est l'une des deux cibles du traitement symptomatique à
travers les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, une classe
médicamenteuse utilisée depuis une dizaine d’années, et
la recherche d’agents pharmacologiques agissant sur les
récepteurs muscariniques ou nicotiniques. Pour le traite-
ment étiopathogénique, le système cholinergique joue un
rôle dans la modulation des voies physiopathologiques
spécifi ques ou non de la maladie d’Alzheimer. L’acétylcholine
et ses récepteurs muscariniques ou nicotiniques inhibent
des mécanismes non spécifi ques de mort neuronale (excito-
toxicité, infl ammation, stress oxydant), stimulent les facteurs
neurotrophiques et régulent les mécanismes spécifi ques
d’amyloïdogenèse et de phosphorylation de la protéine
tau. Lacétylcholinestérase elle-même, par un site spéci-
que, intervient dans la fi brillation du peptide amyloïde.
Linhibition sélective de ce site prévient cet eff et sur l’amy-
loïdogenèse. Ces propriétés pourraient sous-tendre un eff et
de modifi cation du cours évolutif de la maladie d’Alzheimer,
qui reste à démontrer mais qui pourrait particulièrement
concerner les inhibiteurs ayant une dualité d’action au
niveau de l’acétylcholinestérase.
Mots-clés : Maladie dAlzheimer – Acétylcholine – Récep-
teurs muscariniques – Récepteurs nicotiniques – Acétyl-
cholinestérase – Peptide amyloïde – Protéine tau.
SUMMARY
Alzheimers disease treatment is based on two approaches:
symptomatic treatment and disease modifying strategy.
Central cholinergic system plays a main role in symptomatic
treatment by marketed acetylcholinesterase inhibitors and
by search of modulators of muscarinic or nicotinic receptors.
Cholinergic system could be also involved in disease modifying
approach. Acetylcholine and its receptors regulate unspecifi c
mechanisms of neuronal death (excitotoxicity, infl ammation,
oxidative stress), neurotrophic factors and specifi c pathways of
Alzheimers disease (amyloid cascade, tau protein hyperphos-
phorylation). Moreover, acetylcholinesterase by itself contri-
bute to amyloid peptide aggregation and fi brillation, which is
prevented by inhibition of the specifi c enzymatic site involved
in this eff ect. These properties could underlie a disease modi-
fying eff ect of acetylcholinesterase inhibitors that remains to
demonstrate, in particular with those playing a dual eff ect.
Keywords: Alzheimers disease – Acetylcholine – Muscarinic
receptor – Nicotinic receptors – Acetylcholinesterase – Amy-
loïd peptide – Tau protein.
L
a maladie d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative,
progressive dont l’évolution clinique est émaillée par le
développement de désordres cognitifs, touchant particuliè-
rement la mémoire, et de désordres psychocomportementaux (1).
La neurodégénérescence, dont témoignent l’atrophie cérébrale
ainsi qu’une perte neuronale et synaptique, est la conséquence
d’un processus neuropathologique spécifi que marqué par le
développement de deux types de lésions : les plaques séniles
et la dégénérescence neurofi brillaire (fi gure 1). Les plaques
séniles sont la conséquence de la formation et de l’agrégation
sous forme de plaques extracellulaires d’un peptide, nommé Aβ,
fragment protéolytique de l’APP (amyloid protein precursor), qui
se révèle toxique pour le tissu cérébral de manière directe ou par
des mécanismes indirects non spécifi ques (infl ammation, stress
oxydant, excito-toxicité). La dégénérescence neurofi brillaire est
le premier processus neuropathologique à apparaître dans l’évo-
lution de la maladie d’Alzheimer. Il correspond à une anomalie
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des microtubules intraneuronaux consécutive à l’hyperphos-
phorylation de la protéine tau, un des principaux constituants
moléculaires du cytosquelette neuronal (2, 3).
La conjonction de ces deux lésions caractéristiques conduit,
directement ou indirectement, à une toxicité pour le neurone et
à une perte de fonction synaptique, dont la résultante est la mort
neuronale et l’atrophie cérébrale. Les neurones cholinergiques
sont particulièrement sensibles à ce processus neuropathologique
(fi gure 1). Cette dégénérescence des neurones cholinergiques,
en particulier du noyau basal de Meynert et de la région septale,
provoque une diminution de la concentration en acétylcholine
dans les deux principales zones de projection de ces neurones :
l’hippocampe et le cortex. Il existe une corrélation établie entre
l’importance de la perte cholinergique, l’étendue des lésions
spécifi ques (plaques amyloïdes, dégénérescence neurofi brillaire)
et la sévérité clinique. Le défi cit cholinergique rend compte en
partie des symptômes cognitifs, notamment mnésiques, mais
aussi de certains symptômes psycho-comportementaux comme
l’apathie ou les troubles de l’humeur (4, 5).
Deux approches pharmacologiques peuvent être envisagées dans
la maladie d’Alzheimer : une approche thérapeutique symptoma-
tique visant à pallier les symptômes cognitifs et psycho-compor-
tementaux ; une approche pharmacologique étiopathogénique,
qualifi ée par un terme anglo-saxon de disease modifying strategy,
visant à prévenir l’apparition des lésions et/ou ralentir, voire
stopper, l’évolution des lésions et de la démence et/ou restaurer
l’intégrité cérébrale (6, 7).
Actuellement, seuls sont disponibles des médicaments répon-
dant à la première approche pharmacologique et jouant le rôle
de stimulants de la cognition. Les recherches sont intenses
pour mettre au point des stratégies thérapeutiques modifi ant
le cours évolutif de la maladie. La modulation du système choli-
nergique a joué un rôle majeur dans le traitement symptoma-
tique et constitue encore aujourd’hui l’un des deux systèmes
de neurotransmission mis en jeu dans la prise en charge des
symptômes cognitifs et psycho-comportementaux. Au-delà de
ces eff ets symptomatiques, le système cholinergique demeure,
à travers ses récepteurs mais aussi son enzyme de dégradation
de l’acétylcholine, une voie capable de réguler les mécanismes
spécifi ques (amyloïdogenèse, métabolisme de la protéine tau)
et non spécifi ques impliqués dans la physiopathologie de la
maladie d’Alzheimer et donc susceptibles d’en modifi er le cours
évolutif (8, 9).
SYSTÈME CHOLINERGIQUE
Organisation anatomo-fonctionnelle
Les corps cellulaires des neurones cholinergiques qui se
projettent largement dans les diff érentes régions cérébrales
sont localisés dans huit noyaux qui sont regroupés dans deux
zones principales : le télencéphale (partie basale du cerveau) et le
mésencéphale (partie supérieure du tronc cérébral). Trois prin-
cipaux noyaux cholinergiques sont situés dans le télencéphale :
le noyau septal médian, la bande diagonale, le noyau basal de
Meynert. Les neurones du noyau septal médian et de la bande
diagonale se projettent vers les régions corticales sensorielles
et limbiques régulant la vigilance, les réponses corticales aux
stimuli sensoriels et les fonctions émotionnelles. Les projec-
tions des neurones cholinergiques du noyau basal de Meynert
innervent les régions corticales, l’hippocampe et le striatum,
jouant un rôle majeur dans les processus cognitifs, en parti-
culier l’apprentissage et la mémorisation. Deux noyaux sont
prépondérants dans la partie pédonculaire du tronc cérébral :
le noyau pédonculo-pontin et le noyau tegmental latéro-dorsal.
Ces neurones se projettent vers les ganglions de la base, en
particulier le striatum, où ils interviennent dans le contrôle des
fonctions motrices et d’apprentissage. Ils participent également
au circuit de récompense (10).
Transmission synaptique et régulation moléculaire
Dans les neurones cholinergiques, l’acétylcholine est synthétisée
par acétylation de la choline, dont l’origine est à la fois exogène et
endogène, grâce à l’action de la choline-acétyltransférase. Après
synthèse, l’acétylcholine est mise en vésicule par des systèmes de
transport vésiculaire et libérée par un phénomène d’exocytose
calcium-dépendant classique. Une fois libérée dans la fente
synaptique, l’acétylcholine agit par l’intermédiaire de deux types
de récepteurs : les récepteurs muscariniques et les récepteurs
nicotiniques (fi gure 2).
Le système cholinergique interagit avec de nombreux autres
systèmes de neurotransmission, comme la dopamine et le gluta-
mate. Il existe des processus de contrôle réciproque entre ces
neurotransmetteurs par le biais de leurs récepteurs membra-
naires spécifi ques. Par ailleurs, le système cholinergique inte-
ragit avec des systèmes de transmission atypique comme la
voie du NO ou certains facteurs neurotrophiques. La survie des
neurones cholinergiques est très dépendante du nerve growth
factor (NGF), qui maintient le phénotype cholinergique en
favorisant la trophicité neuronale, le bourgeonnement synap-
tique, la capture de la choline et le maintien de la concentration
Figure 1. Les voies physiopathologiques de la maladie d’Alzheimer.
Hippocampe
oligomères
Protéine tau
Dégénérescence
neurofi brillaire
β- et γ-sécrétases
Infl ammation
stress oxydant
excito-toxicité
plaques
Aβ
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cellulaire de choline-acétyltransférase. Le NGF stimule l’activité
électrique des neurones cholinergiques et la libération d’acé-
tylcholine (11).
Récepteurs muscariniques
Les récepteurs muscariniques sont des récepteurs membranaires
couplés à une protéine G (12). Il existe cinq isoformes du récep-
teur muscarinique (M1 à M5). Les récepteurs M1, M3 et M4
sont principalement localisés dans le cortex et l’hippocampe
et jouent un rôle important dans la régulation des processus de
mémoire et d’apprentissage. Ladministration d’antagonistes des
récepteurs muscariniques, comme la scopolamine, entraîne un
défi cit des capacités d’apprentissage tant chez l’animal que chez
l’homme. Les récepteurs M1 et M4 sont également exprimés
dans les ganglions de la base, où ils sont impliqués dans la régu-
lation des fonctions motrices et des réactions de renforcement
positif. Le récepteur M2 est principalement exprimé dans les
corps cellulaires des neurones cholinergiques situés dans le
télencéphale et le tronc cérébral et joue le rôle d’autorécepteur
en régulant négativement la libération d’acétylcholine. Sur un
plan moléculaire, les récepteurs muscariniques M1, M3 et M5
sont couplés à une protéine Gq/11 qui active la phospholipase C
et mobilise le calcium intracellulaire par la voie de la protéine
kinase C (PKC). Les récepteurs M2 et M4 sont principalement
couplés à une protéine Gi/0 qui inhibe l’adénylate cyclase, active
les canaux potassiques rectifi ants entrants, module les canaux
calciques voltage-dépendants. Ces divers eff ets moléculaires de
l’activation des récepteurs muscariniques expliquent qu’au-delà
de ses eff ets cognitifs et comportementaux l’acétylcholine soit
également capable de réguler des voies spécifi ques (métabolisme
du peptide amyloïde, métabolisme de la protéine tau) ou non
spécifi ques impliquées dans la physiopathologie de la maladie
d’Alzheimer (12).
Récepteurs nicotiniques
Les récepteurs nicotiniques sont des récepteurs-canaux ou
des récepteurs ionotropiques constitués de cinq sous-unités
dont la conformation dans lespace permet de former un pore
qui, après activation, devient perméable aux ions sodium ou
calcium (13). Les sous-unités protéiques constitutives des récep-
teurs nicotiniques sont diverses : neuf types de sous-unités α
(α1-α9) et quatre types de sous-unités β (β1-β4). Les récepteurs
nicotiniques neuronaux peuvent contenir des sous-unités α
et β de manière variable, mais deux sous-types de récepteurs
nicotiniques sont particulièrement importants dans le fonc-
tionnement cérébral :
les récepteurs nicotiniques constitués de manière homo-
mérique de cinq sous-unités α7 et particulièrement exprimés
dans les neurones cholinergiques et dans des neurones conte-
nant d’autres types de neurotransmetteurs dont ils favorisent
la libération ;
les récepteurs constitués de sous-unités α4 et β2 et impli-
qués dans les eff ets de renforcement positif, de régulation des
processus cognitifs et de contrôle de la douleur.
Ces récepteurs nicotiniques centraux participent, comme les
récepteurs muscariniques, aux eff ets cognitifs et comportemen-
taux de l’acétylcholine, dont témoignent les eff ets psychostimu-
lants de la nicotine. Une partie des eff ets liés à la stimulation
des récepteurs nicotiniques par l’acétylcholine peut impliquer,
de manière indirecte, d’autres neurotransmetteurs (dopamine,
glutamate, noradrénaline, sérotonine), dont la libération est
accrue par la stimulation des récepteurs nicotiniques α7. Les
récepteurs nicotiniques sont également impliqués dans l’aug-
mentation des concentrations intracérébrales de NGF, via l’ac-
croissement de la libération de glutamate et son action sur le
récepteur NMDA (13).
L’acétylcholinestérase : une double action
Lacétylcholinestérase est une enzyme de forme ellipsoïdale,
avec des dimensions de 45Å x 60Å x 65Å (fi gure 3). Sa fonction
principale est la dégradation de l’acétylcholine, dans la fente
synaptique, en choline et acétyl-CoA. Cette fonction est parti-
culièrement effi cace puisqu’on estime que l’acétylcholinestérase
est capable d’hydrolyser 1 000 molécules d’acétylcholine par
seconde et par molécule d’acétylcholinestérase. Cette activité
de dégradation de l’acétylcholine est dévolue à un site actif situé
Figure 2. La synapse cholinergique.
Choline
+
Acétyl CoA
Récepteurs
muscariniques Récepteurs
nicotiniques
Acétylcholine
Acétylcholinestérase
Butyrylcholinestérase
Choline-acétyltransférase
Figure 3. Structure et dualité d’action de l’acétylcholinestérase.
Dégradation de
l’acétylcholine
Liaison au peptide Aβ
Trp 279
Trp 84
Ser 200
Acétylcholinestérase
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au fond d’une gorge étroite et profonde. Ce site actif est double :
d'une part, un site “estérasique” comprenant en particulier trois
résidus catalytiques (Ser 200, His 440, Glu 327), où se fi xe la
partie “ester” de l’acétylcholine ; et d'autre part, un site “anio-
nique” incluant notamment un résidu Trp 84 qui joue un rôle
clé dans l’interaction avec la partie ammonium quaternaire de
l’acétylcholine (14).
Lacétylcholinestérase comprend également un autre site actif
qui joue un rôle non cholinergique. Ce site est plus périphérique
et situé à l’entrée de la gorge contenant le site catalytique de
dégradation de l’acétylcholine. Le principal résidu de ce site
périphérique est un résidu Trp 279, qui est impliqué dans la
capacité de l’acétylcholinestérase à adhérer à d’autres molécules.
Ce site périphérique exerce une activité neurotrophique. Lacé-
tylcholinestérase, via ce site périphérique, peut se lier au peptide
Aβ et induire son changement de conformation conduisant à
son caractère amyloïdogénique et à la formation de fi brilles
amyloïdes (14).
SYSTÈME CHOLINERGIQUE ET TRAITEMENT
SYMPTOMATIQUE DE LA MALADIE D’ALZHEIMER
Étant donné le rôle de la diminution des concentrations céré-
brales en acétylcholine dans la physiopathologie des troubles
cognitifs (mémoire) et psycho-comportementaux (apathie, trou-
bles de l’humeur) survenant au cours de la maladie dAlzheimer,
on comprend facilement que ce système de neurotransmission
ait été ciblé par le traitement symptomatique. Lobjectif du trai-
tement symptomatique ciblant l’acétylcholine est de restaurer
une transmission cholinergique aussi proche de la normale
que possible en inhibant la dégradation de l’acétylcholine dans
la fente synaptique, en particulier via l’acétylcholinestérase ; et
en modulant directement les récepteurs muscariniques et/ou
nicotiniques.
Les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase
Lacétylcholine étant dégradée dans la fente synaptique princi-
palement par l’acétylcholinestérase, l’inhibition de cette enzyme
par des inhibiteurs sélectifs (les inhibiteurs de l’acétylcholines-
térase) permet d’augmenter les concentrations synaptiques en
acétylcholine. Cette augmentation favorise l’action de l’acé-
tylcholine sur ses récepteurs muscariniques et nicotiniques,
tous deux impliqués dans la régulation de la cognition et du
comportement. Il a fallu attendre des inhibiteurs passant la
barrière hémato-encéphalique, comme la physiostigmine, pour
que les eff ets d’une telle inhibition sur les défi cits cognitifs et
les désordres psycho-comportementaux puissent être évalués
dans la maladie d’Alzheimer. Cest la tacrine qui a été le premier
inhibiteur de l’acétylcholinestérase à être enregistré comme
traitement symptomatique de la maladie dAlzheimer, même si
cette molécule nest plus utilisée en raison de son hépatotoxicité.
Trois inhibiteurs de l’acétylcholinestérase sont actuellement
commercialisés (fi gure 4) : le donépézil, la rivastigmine, qui
est aussi un inhibiteur de la butyrylcholinestérase, une voie
accessoire de dégradation synaptique de l’acétylcholine et la
galantamine, qui est aussi un agoniste des récepteurs nicoti-
niques α7 (9, 15).
Depuis leur introduction en thérapeutique humaine en 1997, les
inhibiteurs de l’acétylcholinestérase ont été considérés comme
le traitement de première intention chez les patients atteints de
maladie d’Alzheimer, même si l’enregistrement de la mémantine
en 2002 a modifi é la stratégie thérapeutique. En dépit de la
démonstration des eff ets symptomatiques dans des essais clini-
ques bien conduits sur le plan méthodologique, l’effi cacité réelle
des inhibiteurs de l’acétylcholine reste en butte au scepticisme
d’une partie du corps médical, voire a été remise en question
dans des études, comme l’AD 2000, dont l’objectif était essen-
tiellement sous-tendu par des raisons économiques et dont la
méthodologie était discutable. Récemment, une revue Cochrane
a fait le point sur l’impact des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase
dans le traitement de la maladie d’Alzheimer, en se fondant sur
une méta-analyse des études contrôlées, randomisées en double
aveugle, contre placebo ou un autre inhibiteur de l’acétylcho-
linestérase et menées chez des patients atteints d’une maladie
d’Alzheimer à tous les stades (léger, modéré, sévère).
À partir de l’analyse de 13 études répondant aux critères, le
groupe Cochrane conclut qu’un traitement de 6 mois ou un
an avec un des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase (donépézil,
rivastigmine ou galantamine), aux doses recommandées, conduit
à une amélioration significative de l’état cognitif à tous les
stades de la maladie, en particulier les formes légères à modé-
rément sévères (16). Les troubles psycho-comportementaux qui
émaillent le cours évolutif de la maladie sont également améliorés
par les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase. L’apathie semble
particulièrement sensible à l’eff et des inhibiteurs de l’acétyl-
cholinestérase. Si certains patients répondent particulièrement
bien au traitement par inhibiteur d’acétylcholinestérase, il est
actuellement impossible de les identifi er avant la mise en route
du traitement. Cette méta-analyse, en analysant plus particuliè-
rement les études comparant entre eux deux inhibiteurs, na pas
permis de mettre en évidence des diff érences d’effi cacité entre les
Figure 4. Cibles d’action des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase.
Choline
+
Acétyl CoA
DonépézilGalantamineRivastigmine
Récepteurs
muscariniques Récepteurs
nicotiniques
Acétylcholine Galantamine
Rivastigmine
Acétylcholinestérase
Butyrylcholinestérase
Choline-acétyltransférase
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produits, en dépit de leurs particularités pharmacodynamiques.
Cette méta-analyse suggère que l’eff et thérapeutique est lié à
une stimulation de la cognition et non à une modifi cation du
cours évolutif de la maladie d’Alzheimer, mais le dessin métho-
dologique des études n’était pas prévu pour mettre en évidence
un tel eff et. Les inhibiteurs d’acétylcholinestérase exposent à
des eff ets indésirables, en particulier de type digestif (nausées,
vomissements, diarrhées), qui peuvent être prévenus par une
augmentation de la posologie très progressive. En cas d’arrêt,
le patient retrouvera rapidement l’état cognitif qu’il aurait dû
avoir s’il n’avait pas été traité. Cette observation est une preuve
indirecte de la réalité de l’eff et thérapeutique.
L’intérêt de l’inhibition de l’acétylcholinestérase dans la maladie
d’Alzheimer se manifeste par la recherche de nouveaux agents
inhibiteurs. Un certain nombre de produits dérivés des trois
molécules sur le marché sont en cours de développement
(SPH-1371, ER-127528, ganstigmine). Des molécules originales
(minaprine, huprines) capables d’inhiber l’acétylcholinestérase
sont en cours d’évaluation (17, 18). Des molécules hybrides
couplant une fonction inhibitrice de l’acétylcholinestérase et
une autre propriété pharmacodynamique (inhibition de la
5-hydroxytryptamine ; modulation des récepteurs 5-HT3 de
la sérotonine ; monoamine oxydase-β pour le ladostigil ; inhi-
bition de la N-méthyltransférase, l’enzyme de dégradation de
l’histamine) sont à l’étude. Ces composés hybrides auraient
l’avantage de moduler simultanément plusieurs systèmes de
neurotransmission (17, 18).
La modulation des récepteurs à l’acétylcholine
Une stimulation directe des récepteurs à l’acétylcholine off rirait
l’avantage d’une action possiblement sélective sur les récepteurs
responsables des eff ets procognitifs (M1) en évitant les eff ets
indésirables liés aux récepteurs périphériques et en empêchant
l’eff et inhibiteur de la stimulation du récepteur M2, qui joue
le rôle d’autorécepteur. Des agonistes muscariniques ont été
évalués chez les patients présentant une maladie d’Alzheimer.
Ces premiers agonistes nont pas fait la preuve d’un rapport
bénéfi ce/risque positif, en partie en raison d’une faible sélec-
tivité. De nouveaux produits sont en cours de développement
et sont souvent des agonistes partiels, afi n d’éviter une trop
rapide désensibilisation des récepteurs. Un traitement agoniste
M1 pourrait être couplé à un antagoniste M2, dont l’eff et serait
d’amplifi er la transmission cholinergique. Des antagonistes M2,
comme le SCH-57790 ou le SC-72788, améliorent la mémoire
dans des modèles animaux mimant l’hypofonctionnement choli-
nergique observé dans la maladie d’Alzheimer. Cependant, les
eff ets périphériques (tachycardie) semblent pour l’instant un
obstacle au développement clinique. Si la nicotine, en elle-même,
na pu montrer un eff et bénéfi que chez des patients présen-
tant une maladie d’Alzheimer, le développement d’agonistes
ciblant les récepteurs nicotiniques de type α7 et α4β2 est en
cours. Des agonistes α4β2 (ABT-418, SIB-1553A, RJR-2403)
peuvent expérimentalement augmenter la transmission choli-
nergique et améliorer les performances mnésiques. De même,
des agonistes α7 (GTS-21, AR-R1779, AR-R23465, A-582941)
sont en cours de développement en raison du rôle majeur de
la sous-unité α7 dans les phénomènes d’apprentissage et de
mémorisation (11, 12, 19).
SYSTÈME CHOLINERGIQUE ET MODIFICATION DU
COURS ÉVOLUTIF DE LA MALADIE D’ALZHEIMER
Le principal objectif des traitements pouvant modifi er le cours
évolutif de la maladie d’Alzheimer, ou disease modifi ers, est de
stabiliser ou de ralentir la progression de la maladie (7, 20).
Ces traitements ne doivent pas cibler la maladie d’Alzheimer
au stade de la démence, mais plus tôt dans lévolution, au stade
prédémentiel dont le diagnostic face à une plainte mnésique est
maintenant rendu possible par la conjonction de tests cognitifs
prédictifs et d’examens paracliniques (imagerie, biomarqueurs
dans le LCR) [7]. Cette notion de modifi cation du cours évolutif
de la maladie vient élargir le concept de neuroprotection, trop
restrictif dans la mesure où cest l’ensemble des composants
cellulaires de lunité neuro-glio-vasculaire qui contribue à la
physiopathologie de la maladie d’Alzheimer et là où il existe des
mécanismes moléculaires spécifi ques. Une stabilisation ou un
ralentissement de la progression de la maladie peut cibler les
mécanismes qui conduisent à l’apparition des lésions spécifi -
ques (plaques amyloïdes, dégénérescence neurofi brillaire), mais
aussi ceux responsables d’une toxicité cellulaire non spécifi que
et contribuant cependant à la mort neuronale ou à la perte
synaptique. La modulation des systèmes neurotrophiques ou
de plasticité constitue également une cible potentielle pour un
eff et disease modifi er.
De nombreux travaux expérimentaux suggèrent que le système
cholinergique puisse intervenir de manière directe ou indi-
recte sur une telle modifi cation du cours évolutif de la maladie
d’Alzheimer (9). L’acétylcholine intervient dans la régulation
de diff érents mécanismes, spécifi ques ou non. Les inhibiteurs
de l’acétylcholinestérase par l’augmentation des concentra-
tions cérébrales d’acétylcholine ou la modulation des récep-
teurs muscariniques ou nicotiniques peuvent avoir des eff ets
bénéfi ques sur les lésions spécifi ques ou non spécifi ques de
la maladie d’Alzheimer. Indirectement, l’acétylcholinestérase
peut intervenir dans la mesure où elle est capable d’interagir
avec le processus d’amyloïdogenèse, via un site périphérique
de l’enzyme diff érent de celui impliqué dans la dégradation
de l’acétylcholine. Des agents inhibant ce site périphérique de
l’acétylcholinestérase sont capables, expérimentalement, de
moduler le processus d’amyloïdogenèse.
Acétylcholine et stratégie étiopathogénique
Lacétylcholine, par l’intermédiaire de ses récepteurs nicotini-
ques ou muscariniques, est capable de réguler diff érentes voies
physiopathologiques non spécifi ques qui contribuent à la mort
neuronale au cours de la maladie d’Alzheimer (fi gure 5). Lacti-
vation des récepteurs nicotiniques inhibe la mort des neurones
hippocampiques d’origine excito-toxique (21). Récemment,
une étude in vitro a mis en évidence l’eff et du donépézil sur la
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