UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
ÉCOLE DOCTORALE 124 (ED VI) Histoire de l'Art et Archéologie
Laboratoire de recherche UMR 8167 Orient et Méditerranée
POSITION de la T H È S E
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
Discipline:
Archéologie
Présentée et soutenue le 15 Octobre 2015
par:
Jean-Renaud GAREL
Contexte socio-culturel et domestication des céréales
au Proche-Orient
Sous la direction de:
M. Jean-Yves MONCHAMBERT, Professeur, Université Paris-Sorbonne
Membres du jury:
Mme Margareta TENGBERG – Professeur, MNHN
M. Eric COQUEUGNIOT – Directeur de Recherches émérite, CNRS
M. Jean GUILAINE – Professeur émérite, Collège de France
M. Juan-José IBAÑEZ – Investigador Cientifico, CSIC-Barcelone
Position de thèse
Jean-Renaud GAREL
Contexte socio-culturel et domestication des céréales
au Proche-Orient
Les données actuelles permettent de situer à environ 7 à 9 millions d'années
dans le passé la séparation des branches évolutives qui ont respectivement conduit à
l'homme Homo sapiens sapiens et aux animaux les plus proches, les chimpanzés Pan
troglodytes et P. paniscus. Cette période de 7 à 9 millions d'années est très courte
devant l'histoire de la Terre et l'histoire de la vie, mais correspond à l'ensemble de
l'évolution proprement humaine. C'est en effet au cours de cette période qu'est apparu
l'ensemble du "Phénomène Humain", avec sa conscience et son inconscient, sa
technologie et sa civilisation, sa religion et ses croyances, son organisation sociale et sa
hiérarchie, ses sciences et ses arts, sa morale et sa barbarie, la maîtrise de son
environnement et la capacité de détruire sa propre planète. La brièveté de cette période
par rapport à l'échelle de l'évolution biologique fait que les génomes de l'homme et du
chimpanzé se correspondent encore à plus de 97%. Cette "courte" période a pourtant
permis la totalité d'une évolution anthropologique qui a profondément modifié la biologie
et la psychologie des hominidés, jusqu'à l'émergence d'un homme "anatomiquement
moderne", probablement en Afrique il y a environ 180000 à 200000 ans. Pendant la
quasi-totalité de cette évolution, l'homme et ses ancêtres n'ont connu qu'un seul style de
vie, celui de chasseurs-cueilleurs nomades se déplaçant en petits groupes à la
recherche de ressources alimentaires et d'abris contre les prédateurs. Cette longue
phase des chasseurs-cueilleurs nomades a émarquée par des acquisitions majeures,
comme la bipédie devenue le principal mode de locomotion, l'augmentation du volume,
de la complexité anatomique et probablement des aptitudes cognitives du cerveau, la
fabrication et l'utilisation d'outils de plus en plus complexes, la maîtrise du feu, le
langage, l'art, la religion, la science, etc….
La dernière étape majeure de cette évolution de l'homme est toute récente et ne
concerne apparemment ni son anatomie ni sa biologie, mais sa stratégie de subsistance
et son organisation sociale. Cette étape correspond à la transition qui a fait passer ces
chasseurs-cueilleurs nomades à un mode de vie radicalement différent, celui des
agriculteurs sédentaires. La maîtrise de l'agriculture et de l'élevage a permis une
croissance démographique, une stratification sociale, une organisation politique et
l'émergence de la civilisation urbaine à l'aube de l'histoire. L'importance pour la suite de
cette transition néolithique l'a fait autrefois qualifier de "révolution néolithique", mais ce
terme de révolution désigne en fait un long processus graduel qui s'est étalé sur
plusieurs millénaires. Nous préférons utiliser le terme de transition néolithique pour
désigner ce passage d'une population clairsemée de petites bandes de chasseurs-
cueilleurs nomades à une population plus dense d'agriculteurs sédentaires.
Parmi les changements impliqués dans la transition néolithique, l'un des plus
importants concerne la stratégie de subsistance. En effet, avant cette transition, des
petites bandes nomades de chasseurs-cueilleurs collectaient leur nourriture par
prédation des ressources naturelles de l'environnement, alors qu'après cette transition
néolithique, des agriculteurs vivant dans des villages sédentaires produisaient leur
nourriture en contrôlant la reproduction d'espèces domestiques de plantes et
d'animaux.
Cette domestication des plantes et des animaux a donné aux agriculteurs la
maîtrise de la production de nourriture et a considérablement accru leurs ressources
disponibles. Cette économie agricole a permis une croissance démographique sans
précédent, la formation de villages sédentaires structurés en sociétés organisées,
l’épanouissement de la culture, puis le développement de villes et la naissance des
civilisations. L’émergence d’une agriculture domestique s'est produite de façon
indépendante à plusieurs endroits sur la planète, au Proche-Orient, en Chine du Sud, au
Mexique Central, dans les Andes, dans le Sud-Est des USA et peut-être dans les hauts
plateaux de Nouvelle Guinée et en Afrique subsaharienne.
Ces transitions néolithiques indépendantes, qui ont eu lieu dans différentes
régions, ont impliqué des environnements biogéographiques et des contextes
(pré)historiques différents, ont pris place à des époques différentes et ont concerné des
espèces végétales et animales différentes. Cette convergence vers un même mode de
vie agricole a suggéré que l'adoption de l'agriculture domestique était le résultat d'un
processus déterministe et qu'une explication unique pouvait être proposée pour justifier
ce processus. On peut remarquer que les gions originelles de domestication des
plantes ne sont pas toutes celles qui sont le plus productives aujourd'hui. Ce
déplacement dans l'espace de la production végétale traduit le rôle majeur que l'homme
a eu dans l'évolution et la propagation des espèces cultivées depuis leur domestication
et peut-être même avant. En effet, lors de leurs migrations démiques, les groupes
humains ont souvent bougé en amenant avec eux "leurs" plantes en même temps que
leurs modes de vie et leurs cultures.
Depuis des décennies, la description et l’analyse des processus qui sont à
l’origine de l’agriculture domestique sont l'objet de nombreuses études archéologiques,
comme le montrent des publications récentes sur ce sujet.
Ce travail sera limité à une région, le Proche-Orient et à la domestication de
certaines plantes, les céréales. Il semble en effet que les animaux n'ont pas été
concernés par les étapes les plus anciennes de la transition néolithique au Levant.
Le Proche-Orient est en effet la première région du monde où la transition
néolithique s'est produite; c'est aussi une des régions dont l'archéologie est la mieux
connue pour cette période. La zone concernée par ce travail englobe le Levant, les
hautes vallées de l'Euphrate et du Tigre, l'Anatolie du Sud-Est, le piémont du Zagros,
qui forment le Croissant Fertile et l'île de Chypre (carte en hors-texte). Une certaine
instabilité politique rend la poursuite des fouilles archéologiques difficile, voire
impossible, dans certaines régions de ce Proche-Orient, mais des trouvailles récentes
indiquent que les conclusions actuelles pourraient encore être modifiées par de
nouvelles découvertes. L'archéologie est une discipline optimiste....
Le Proche-Orient a non seulement été la région des premières domestications
d'espèces végétales, mais a aussi été la source des céréales domestiques impliquées
dans la néolithisation de l'Europe. En effet, l'agriculture domestique qui est apparue au
Proche-Orient a diffusé vers l'Europe. Cette néolithisation de l'Europe s'est faite à partir
des variétés domestiquées initialement au Proche-Orient et non à partir de plantes
locales européennes. Ce sont vraiment les plantes domestiques elles-mêmes qui ont
diffusé et non l'idée de domestication.
On peut s'interroger sur le processus de transport des semences de ces plantes;
sont-elles passées de main en main au fur et à mesure que les populations
européennes se convertissaient à l'agriculture, ou bien ont-elles été transportées lors
d'une migration démique d'agriculteurs venus du Proche-Orient? Une ressemblance
nette semble exister entre la diffusion de l'agriculture vers l'Europe et la diffusion des
langues indo-européennes. Selon la "language-farming dispersal hypothesis" la diffusion
d'autres groupes linguistiques semble impliquer aussi une diffusion simultanée des
langues et de l'agriculture. Les progrès récents en génétique des populations humaines
suggèrent que la néolithisation de l'Europe s'est faite par un mélange d'une
expansion/colonisation par des agriculteurs venus du Proche-Orient et d'une
"conversion" à l'agriculture des populations autochtones européennes.
Il faut noter que la diffusion vers l'Europe des espèces végétales domestiquées
au Proche-Orient s'est nécessairement accompagnée de l'adaptation de ces espèces à
des climats et des sols très différents de ceux de la région originelle de ces plantes.
Cette adaptation à de nouvelles conditions est probablement le résultat d'une sélection
plus ou moins (in)consciente comparable aux premiers pas vers la domestication.
Parmi les plantes domestiquées, les céréales ont une importance particulière car
elles ont acquis un rôle nutritionnel et économique essentiel pour une grande partie du
monde. Ces plantes fournissent aujourd'hui les 3/4 des calories alimentaires de
l'humanité. Les grands foyers de domestication des céréales sont le Proche-Orient pour
le blé et l'orge, la Méso-Amérique pour le maïs et l'Asie du Sud-Est pour le riz.
L'essentiel de ce travail porte sur la domestication de l'orge, de l'engrain et du blé
amidonnier, les céréales originaires du Proche-Orient. A cause de leur importance
économique, de nombreuses connaissances en botanique et génétique moléculaire ont
été acquises sur ces céréales. Ces connaissances sont utiles dans l'étude du
polymorphisme au niveau moléculaire, de l'évolution de différentes lignées, de la
caractérisation des mutations qui diffèrent entre les variétés sauvages et domestiques et
de la reconstruction d'arbres phylogénétiques qui décrivent l'histoire de leurs
divergences.
Une autre caractéristique importante des céréales est que ce sont des plantes
auto-pollinisantes, dont la mobilité génétique est (très) réduite. Leur diffusion naturelle
spontanée, par exemple lors de variations du climat, sera donc un processus lent. Au
contraire, un déplacement rapide des céréales sur des longues distances ne sera pas
spontané, mais sera révélateur d'une intervention humaine.
Sur le plan archéologique, l’exploitation des céréales demande l’utilisation d’un
matériel spécifique pour leur récolte (faucilles, couteaux à moissonner) et leur traitement
(mortiers, pilons et molettes), matériel qui est identifiable dans les vestiges
archéologiques. De plus, des progrès importants ont été réalisés dans la récupération
des restes végétaux par un usage systématique des techniques de filtration et de
flottation dans les fouilles récentes, dans la caractérisation de ces restes végétaux
(identification de l'espèce et de son état sauvage ou domestique) et dans la mise en
évidence de traces spécifiques sur certains outils, comme le lustre particulier des lames
utilisées pour la récolte et les restes de grains d'amidon et/ou de phytolithes sur les
meules de broyage des grains.
Depuis quelques années, des résultats concernant les céréales ont sensiblement
modifié les interprétations proposées pour leurs domestications, tant pour les céréales
originaires du Proche-Orient que pour le riz en Asie du Sud-Est et le maïs en Amérique.
Les progrès archéobotaniques dans la récupération et l’identification des restes
végétaux et les nouvelles fouilles effectuées depuis quelques années au Proche-Orient
ont apporté récemment des éléments de réponse aux questions: quand, , comment
et pourquoi les habitants du Proche-Orient sont passés d’un mode de vie de collecteurs
de céréales sauvages à celui d’agriculteurs cultivant des céréales domestiques.
L'émergence des céréales domestiques a été accompagnée de nombreux autres
changements matériels, sociaux, technologiques, mentaux, artistiques et peut-être
cognitifs, dont l'ensemble constitue la transition néolithique. L'objectif de cette thèse est
de replacer l'apparition des variétés domestiques de céréales parmi tous les
changements impliqués dans la transition néolithique au Proche-Orient. Cette thèse se
fonde uniquement sur les publications disponibles; elle ne comporte aucun résultat
archéologique obtenu par son auteur directement sur le terrain. Ce travail est un essai
de synthèse entre les points de vue différents des archéologues, des économistes, des
botanistes, des anthropologues, des évolutionnistes, des sociologues, etc...
A la question pourquoi l'agriculture n'était pas apparue plus tôt, Braidwood a fait
en 1960 la célèbre réponse: "culture was not ready" qui sous-entendait que l'invention
de l'agriculture demandait un cadre culturel et/ou social qui permettait à la population
d'exploiter efficacement ses capacités technologiques et sa connaissance de
l’environnement.
Des résultats récents montrent que la domestication des céréales correspond à
une étape (très) tardive de la transition néolithique. Cette domestication a eu lieu au sein
d'une société composée de villages sédentaires qui avaient déjà adopté un véritable
mode de vie agricole, mais qui exploitaient encore des plantes sauvages. Ces
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