Une autre caractéristique importante des céréales est que ce sont des plantes
auto-pollinisantes, dont la mobilité génétique est (très) réduite. Leur diffusion naturelle
spontanée, par exemple lors de variations du climat, sera donc un processus lent. Au
contraire, un déplacement rapide des céréales sur des longues distances ne sera pas
spontané, mais sera révélateur d'une intervention humaine.
Sur le plan archéologique, l’exploitation des céréales demande l’utilisation d’un
matériel spécifique pour leur récolte (faucilles, couteaux à moissonner) et leur traitement
(mortiers, pilons et molettes), matériel qui est identifiable dans les vestiges
archéologiques. De plus, des progrès importants ont été réalisés dans la récupération
des restes végétaux par un usage systématique des techniques de filtration et de
flottation dans les fouilles récentes, dans la caractérisation de ces restes végétaux
(identification de l'espèce et de son état sauvage ou domestique) et dans la mise en
évidence de traces spécifiques sur certains outils, comme le lustre particulier des lames
utilisées pour la récolte et les restes de grains d'amidon et/ou de phytolithes sur les
meules de broyage des grains.
Depuis quelques années, des résultats concernant les céréales ont sensiblement
modifié les interprétations proposées pour leurs domestications, tant pour les céréales
originaires du Proche-Orient que pour le riz en Asie du Sud-Est et le maïs en Amérique.
Les progrès archéobotaniques dans la récupération et l’identification des restes
végétaux et les nouvelles fouilles effectuées depuis quelques années au Proche-Orient
ont apporté récemment des éléments de réponse aux questions: quand, où, comment
et pourquoi les habitants du Proche-Orient sont passés d’un mode de vie de collecteurs
de céréales sauvages à celui d’agriculteurs cultivant des céréales domestiques.
L'émergence des céréales domestiques a été accompagnée de nombreux autres
changements matériels, sociaux, technologiques, mentaux, artistiques et peut-être
cognitifs, dont l'ensemble constitue la transition néolithique. L'objectif de cette thèse est
de replacer l'apparition des variétés domestiques de céréales parmi tous les
changements impliqués dans la transition néolithique au Proche-Orient. Cette thèse se
fonde uniquement sur les publications disponibles; elle ne comporte aucun résultat
archéologique obtenu par son auteur directement sur le terrain. Ce travail est un essai
de synthèse entre les points de vue différents des archéologues, des économistes, des
botanistes, des anthropologues, des évolutionnistes, des sociologues, etc...
A la question pourquoi l'agriculture n'était pas apparue plus tôt, Braidwood a fait
en 1960 la célèbre réponse: "culture was not ready" qui sous-entendait que l'invention
de l'agriculture demandait un cadre culturel et/ou social qui permettait à la population
d'exploiter efficacement ses capacités technologiques et sa connaissance de
l’environnement.
Des résultats récents montrent que la domestication des céréales correspond à
une étape (très) tardive de la transition néolithique. Cette domestication a eu lieu au sein
d'une société composée de villages sédentaires qui avaient déjà adopté un véritable
mode de vie agricole, mais qui exploitaient encore des plantes sauvages. Ces