S. KOUBAA, Management stratégique des connaissances et

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Management stratégique des connaissances et capacité
d’absorption des organisations dans le contexte des
relations inter-entreprises
Salah KOUBAA - Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales
Université Hassan II Ain Chok / Casablanca Maroc
Résumé
L’objectif de cette communication consiste à mettre en évidence le rôle des capacis
dynamiques (Teece, Pisano et Shuen 1997, Eisenhardt et Martin 2000) dans la formation de
l’avantage compétitif dans des environnements volatiles et instables. Définies comme étant
des aptitudes organisationnelles internes, les capacités dynamiques regroupent l’ensemble des
processus et routines d’intégration, d’assimilation et de transformation des ressources
externes. Nous nous intéressons dans le présent papier à la capacité d’absorption des
connaissances initiée par Cohen et Levinthal (1990) et développée par d’autres chercheurs
récemment (Zahra et George 2002).
Partant de la littérature existante, nous avons pu tester nos hypthèses de recherche sur un
échantillon de 110 PME au Maroc. La démarche est hypothético déductive et les données
collectées sont analysées par la méthode des équations structurelles (Lisrel pour les analyses
confirmatoires et PLS pour les tests d’hypothèses). Les résultats montrent l’existence d’une
relation positive entre les variables relationnelles et la capacité effective de l’innovation de
l’entreprise. Cette relation est renforcée par le rôle médiateur de la capacité d’absorption
potentielle des connaissances qui dépend du niveau de partage de celles-ci.
Depuis quelques décennies, plusieurs éléments transforment l’environnement dans lequel
opèrent les entreprises. En effet, on assiste aujourd’hui à une intensification extrême de la
concurrence sous l’effet des grandes entreprises multinationales. La mondialisation
économique et la globalisation des chaînes de valeur constituent les aspects les plus apparents
de ce contexte. Si les grandes entreprises représentent des acteurs incontournables de ce
processus de globalisation, les Petites et les Moyennes Entreprises (PME) sont amenées à
relever plusieurs challenges mais aussi à saisir les opportunités qui émanent de ce nouvel
environnement (OCDE 2007).
Pour examiner l’environnement actuel des entreprises, les chercheurs mettent en avant deux
caractéristiques essentielles : le dynamisme et la compétitivité. Le dynamisme
environnemental est mesuré par le taux de changement et le degré d’instabilité du contexte.
La rapidité du changement, le raccourcissement des cycles de vie des produits et le processus
de destruction créative sont les caractéristiques typiques de ce dynamisme. Ce dernier entraîne
l’obsolescence accélérée des produits existants et nécessite le développement de nouvelles
compétences. La compétitivité environnementale, quant à elle, se réfère au degré de la
rivalité entre les entreprises. Cette compétition est mesurée par le nombre de concurrents et de
domaines dans lesquels cette compétition s’exerce.
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Face à ce contexte, les entreprises se focalisent sur la recherche des stratégies visant la
création et le maintien des avantages compétitifs, le changement et la préservation,
l’exploration et l’exploitation des connaissances innovatives (Jansen, Van Den Bosch et
Volberda 2005). C’est dans cette perspective qu’une prolifération des recherches sur les
stratégies relationnelles de management des connaissances a vu le jour mettant en avant
l’importance des relations inter-entreprises dans le partage de connaissances et l’apprentissage
organisationnel (Koenig 2004). La connaissance est considérée comme l’actif stratégique le
plus important (Zack 1999). L’aptitude de l’organisation à valoriser, assimiler, intégrer,
reconfigurer, transformer et exploiter ces connaissance permet de définir la notion de capaci
dynamique de cette organisation (Teece, Pisano et Shuen 1997). Dans ce cadre, le capital
social joue un rôle primordial dans la gouvernance des relations inter-entreprises. C’est un
pourvoyeur de ressources tangibles et intangibles mais aussi un lubrifiant des interactions. Le
capital social est considéré comme une ressource au sens du mole de ressources et
compétences. « C’est un ensemble de ressources que les individus peuvent obtenir par la
connaissance des autres individus en faisant partie d’un réseau social avec eux ou
simplement en étant connu d’eux et ayant une bonne réputation » (Arrègle 2004, p.17).
Notre objectif dans ce papier est de montrer le rôle primordial de la capacité d’absorption des
connaissances dans la formation de l’avantage compétitif en se situant dans le contexte des
relations inter-entreprises. Mais aussi le rôle du capital social, notamment la confiance et
l’engagement mutuel dans la formation des communatés de pratiques au sens de Wenger
1998. De telles communautés forment un champ fertile pour la négociation des sens, la
création et le partage des connaissances. L’acquisition, l’assimilation et la transformation de
ces connaissances en innovation de produits et de procédés dépendent des capacités internes
des entreprises. Ces capacités définissent l’entreprise apprenante innovante.
Pour tenter de répondre à cette problématique, nous essayons dans un premier temps de cadrer
théoriquement cette communication en s’inscrivant dans le cadre des recherches qui portent
sur le management des connaissances et le rôle des capacités dynamiques. La deuxième partie
de ce papier porte sur les principaux résultats empiriques. Précisons que notre enquête est
effectuée auprès d’un échantillon de 110 PME marocaines appartenant à des secteurs
différents. Notre démarche est hypothético-déductive et utilise la méthode des équations
structurelles (LISREL et PLS).
1. Management stratégique des connaissances et théorie des capacités
dynamiques
1.1. Relations inter-entreprises : un arrangement entre exploration vs exploitation
des connaissances
Pour pouvoir comprendre la notion de connaissance, il parait nécessaire de la définir et de la
mettre en relation avec les notions de donnée et d’information. En effet, la connaissance est
construite par l’information qui est transformée, enrichie par l’expérience personnelle, les
croyances et les valeurs et interprétée par l’être humain. Le passage de l’information à la
connaissance se réfère à un processus de création de sens. La connaissance est alors générée
par l’individu qui l’interprète. L’information devient connaissance quand l’individu fléchit
sur l’information et dégage les implications potentielles pour l’amélioration de ses décisions
et des ses actions. Le management de la connaissance (knowledge management) est
l’ensemble des actions de valorisation, de filtration et de synthèse de l’information utile à la
décision et à l’action des individus. Selon Jacob et Turcot (2000), les définitions de la gestion
des connaissances que l’on retrouve dans la littérature renvoient à un processus formel de
valorisation de l’information (identifier, codifier, répertorier, diffuser, partager, créer), un
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contexte où l’information à valoriser peut être explicite et tacite, une interaction entre
l’information et les personnes et lele clé que joue les technologies de l’information et de
communication dans la valorisation de l’information.
Deux dimensions essentielles du management de la connaissance peuvent être distinguées.
Ces dimensions sont acceptées par un bon nombre de chercheurs : la dimension tacite et la
dimension explicite. La première dimension fait partie du monde objectif car elle se situe dans
des répertoires de connaissances tels que les livres, les manuels, les bases de données, etc. La
connaissance explicite peut être transférée et codifiée aisément à travers des procédures et des
règles. En revanche, la connaissance tacite est qualifiée d’intuitive et du non articulée donc
difficilement transférable. Spender (1996, cité par Chauvet, p.48) considère qu’une large
partie de la connaissance humaine est tacite. Elle réside dans l’inconscient, l’expérience et
l’intuition des individus. Ancrée dans l’action et l’engagement de lindividu, la connaissance
est propre à un contexte.
Si l’on considère que la connaissance est une ressource stratégique pour l’innovation (Zack
1999) (lapproche du Knowledge Based View), force est de constater que sa gestion pose le
problème de recherche de la cohérence entre exploitation et exploration: c’est le dilemme de
March (1991). La cohérence se réfère à l’idée de configuration développée par Mintzberg
(1982). Autrement dit, il faut trouver une configuration organique qui combine les avantages
de l’exploitation et ceux de l’exploration. La coopération offre-t-elle les germes de cette
cohérence ?
Pour March (March 1991), le management des connaissances se trouve face à la gestion de la
dualité exploitation/exploration des connaissances. Selon lui, la recherche et le
développement de nouvelles connaissances dans les organisations relèvent de la stratégie
d’exploration de nouvelles opportunités. Le perfectionnement et l’utilisation des
connaissances et des technologies existantes relèvent de l’exploitation. Si l’exploration génère
l’innovation et la créativité, elle présente, néanmoins, un coût élevé du fait de
l’expérimentation et des risques d’échec qu’elle présente. De sa part, la stratégie
d’exploitation des connaissances existantes, malgré son faible coût, risque d’enliser
l’organisation dans l’inertie et la résistance au changement. La recherche d’un équilibre
approprié relève de la recherche de la cohérence entre la spécialisation et l’hétérogénéi
(Kogut 2000), c'est-à-dire entre l’exploitation et l’exploration. « Le maintien de cet équilibre
est un facteur fondamental de survie et de prospérité pour une organisation ».
Dans le cadre de la présente recherche et à l’instar de plusieurs autres recherches (Assen
2003), nous considérons que les relations inter-entreprises permettent de créer un
environnement négocié qui stimule la création et la diffusion des connaissances ainsi que le
partage des savoirs via les routines inter-organisationnelles (Dyer et Singh 1998). Dans un
article publié dans la Strategic Management Journal, Kogut considère le réseau de relations
inter-entreprises comme une connaissance dans la mesure où il représente une forme de
coordination qui guide la persistance et la durabilité des principes de l’organisation (Kogut
2000, p.407). Il facilite la création des connaissances et présente un équilibre entre
l’exploration et l’exploitation ; la variété et la spécialisation. Pour lui, ces relations « offrent à
la fois les bénéfices de la spécialisation [exploitation] et de la variété [exploration]. La
supériorité des marchés pour générer la variété est une conviction courante (…). A l’inverse,
les firmes sont supérieures pour accumuler de l’apprentissage spécialisé (…). La
spécialisation et la variété sont antithétiques au sein de la firme, mais sont complémentaires
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au sein du réseau
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». Pour le dire autrement, l’entreprise est le champ de lexploitation et de
l’utilisation de ce qui existe. Ses partenaires produisent de l’hétérogénéité et lui assurent
l’exploration à un moindre coût de nouvelles connaissances et opportunités créatrices de
valeur.
Le coût de la connaissance est fonction croissante de sa variété et de son hétérogénéité. C'est-
à-dire que le coût augmente avec la recherche de la variété et l’exploration de nouvelles
connaissances. Lorsque l’entreprise exploite ce qui existe, elle cherche moins de variété et
pourrait alors produire à moindre coût au sein de son organisation hiérarchique (Coase 1937).
L’organisation divisionnelle présente néanmoins un avantage de coût par rapport à la
première. « Mais il arrive un point où la gestion interne de la variété [quelque soit la forme
organisationnelle] devient plus coûteuse que l’acquisition externe de cette variété et le réseau
est une source privilégiée de connaissances » (Kogut 2000, p.15). La notion de réseau,
entendue dans le sens d’une forme organisationnelle à part entière qui résulte des relations
entre entreprises indépendantes, présente selon le schéma de Kogut un avantage de coût par
rapport à la hiérarchie. L’auteur distingue cependant deux formes de réseaux : le réseau
[hiérarchique] tels que les réseaux de sous-traitance et les réseaux qui favorisent
l’apprentissage tels que la co-traitance, les joint-ventures… Le réseau avec apprentissage est
la configuration organisationnelle la plus efficiente dans le cas de la gestion des
connaissances. On se retrouve alors devant une sorte de maillage et d’imbrication de deux
notions qui couronnent la recherche sur les relations inter-entreprises et le management des
connaissances. Cette imbrication pourrait être conceptualisée par la notion du réseau de
connaissances »
2
.
Finalement, les relations inter-entreprises peuvent être considérées comme une configuration
inter-organisationnelle innovatrice qui garantit la cohérence et l’équilibre de l’exploitation et
de l’exploration des connaissances. Le réseautage du management des connaissances offre
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« Networks offer the benefit of bothspecialization and variety generation. The superior abilities of markets to
generate variety is a commonplace belief thet is, neverthless problematic. The converse of this statement is that
firms are superior vehicles for the accumulation of specialized learning. To understand variety, we must also
understand why specialization and variety are antithetical within the firm, but define complements within a
network » (Kogut 2000, p.407, traduit par Barlatier 2002, p. 15).
2
Cette notion est définie par Canzano et Grimaldi (2004, p.176) comme suit: « Knowledge networks are
organizational systems with a modular structure, which enable companies to transfer and share available
intangible assets and in particular, their own knowledge through this structure, every company is able to exploit
the maximum knowledge application. Nowledge networks, indeed, enable companies to apply in innovative way
the already existing knowledge and to explore new links among different typologies of knowledge (Buchel and
Raub 2002). Knowledge network should consist in an integrated collaboration based both on tacit and explicit
knowledge »
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trois avantages essentiels (Canzono et Grimaldi 2004, p.177) : d’abord, il permet aux
entreprises d’améliorer l’accès, le transfert et l’intégration de la connaissance. Ensuite, il
donne aux entreprises l’opportunité de faire évoluer leurs compétences, d’utiliser les
technologies co-developpées et de partager la connaissance tacite. Enfin, il dispose d’une
capacité de transfert et d’absorption plus importante que l’entreprise unique.
1.2 Apprentissage interorganisationnel et management stratégique des connaissances
Plusieurs chercheurs ont mis l’accent sur le rôle stratégique des relations inter-entreprises
dans le processus d’accumulation et de transfert des connaissances. En effet, les entreprises
trouvent beaucoup de difficultés à contrôler toutes les connaissances. Elles mettent en place
des stratégies de focalisation sur leurs métiers de base. Les compétences et les connaissances
complémentaires doivent être acquises auprès des partenaires. La recherche de
complémentarités et de synergies est, alors, le principal antécédent justifiant le recours aux
stratégies de rapprochement interorganisationnel.
Dans son analyse sur l’apprentissage interorganisationnel, Hamel (1991) s’intéresse à la façon
dont les relations inter-entreprises amènent à un redécoupage des compétences entre les
membres du réseau. Il propose trois principaux déterminants de l’apprentissage. D’abord,
l’intention c'est-à-dire le désir de l’entreprise à utiliser ses relations comme un moyen
d’apprentissage et d’internalisation. L’intention d’internalisation est d’autant plus forte que la
compétitivité de lentreprise est conçue en termes de compétences plutôt qu’un ensemble de
produits. Ensuite, la transparence qui implique l’ouverture sur les partenaires. Enfin, la
réceptivité dépend de la capacid’absorption des connaissances externes (Hamel 1991).
Les relations inter-entreprises constituent une source d’apprentissage et de création de
nouvelles connaissances qui orientent la trajectoire d’évolution de l’entreprise. Elle lui permet
de combiner ses aptitudes avec celles de ses partenaires ayant des compétences distinctives
et des actifs complémentaires. Ces échanges sont favorables au transfert de connaissances
enracinées dans les routines organisationnelles de la firme innovatrice. Dans ce cadre et pour
expliquer les nouvelles interrogations qui découlent de ces nouvelles configurations
relationnelles, Carlsson (2001) propose d’élargir la théorie de la gestion des connaissances
(Knowledge Management) au niveau inter-organisationnel et considérer le réseau
d’organisations comme le contexte de sa gestion. Les réseaux de connaissances sont formés
pour créer de nouvelles connaissances afin de renouveler les capacités organisationnelles. Ce
qui va permettre aux managers de passer d’une simple gestion de la connaissance à un
management stratégique de celle-ci (Strategic Knowledge Management) (Carlsson 2001).
1.3 . La théorie des capacités dynamiques
1.3.1 Ressources, compétences et capacités
Le caractère tautologique des principaux concepts mobilisés par l’approche des ressources est
soutenu par plusieurs auteurs tels que Porter, Mosakowski et McKelvey
3
. Le manque de
consensus sur les définitions de ces concepts est souvent la cause des confusions et des
difficultés d’opérationnalisation. Pour Williamson, les concepts de l’approche des ressources
4
se caractérisent par la circularité de leurs définitions. Ainsi, les ressources sont définies
comme les atouts de l’entreprise et les atouts de l’entreprise comme des ressources
3
Ces auteurs sont cités par Warnier.V (2003) : « Trajectoires des compétences stratégiques et dynamiques inter-
firmes », Centre Lillois d’Analyse et de Recherche sur l’Evolution des Entreprises,
4
Rappelons que nous utilisons l’expression approche des ressources pour designer l’ensemble des théories
évoquées précédemment: la théorie des ressources, la théorie des capacités dynamiques, la théorie des
compétences et la théorie évolutionniste.
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