14-reperes:Mise en page 1 20/12/07 15:34 Page 200 Repères Eva Hoffman se penche sur la manière dont se transmettent les souvenirs personnels des épreuves terribles, décrit son combat pour éviter d’être une « victime de victimes », autrement dit pour échapper à cet héritage trop lourd sans renier l’histoire de ses parents, et nous invite à réfléchir à l’impact différé de la Shoah sur la « deuxième génération », celle des enfants des survivants, et aux processus souterrains par lesquels la mémoire de la souffrance se transmet en laissant des lésions intérieures, source d’angoisse et de troubles divers. En regardant son propre vécu à travers les prismes de l’histoire, de la psychologie et de la morale, Eva Hoffman nous donne des clés pour appréhender les mécanismes par lesquels l’individu s’approprie la malédiction de son ascendance pour mieux s’en libérer. Elle revendique son droit à une mémoire personnelle qui ne soit pas contaminée par le masochisme ou la mauvaise conscience, et dénonce les rites convenus du « devoir de mémoire », leur préférant une recherche plus poussée et plus efficace qui lui est propre. Agnieszka Grudzinska LIBRAIRIE Lucien Karpik L’ÉCONOMIE DES SINGULARITÉS Paris, Gallimard, 2007, 384 p., 26 € aucun accord unanime. Sur ce marché très particulier, la concurrence sur la qualité prévaut sur la concurrence par les prix. L’opacité de l’information, l’incertitude sur la qualité nourrissent des comportements opportunistes que seuls des dispositifs d’aide à la décision et de coordination permettent d’endiguer. Les effets de réseaux sont ici nécessaires ; c’est ce qui permet par exemple que le marché apparemment opaque de la psychanalyse puisse fonctionner. Karpik oppose la décision au jugement. La première, qui concerne les choix économiques habituels, s’inscrit dans un système d’équivalences et relève du calcul ; le second, qui est à l’œuvre pour les marchés de biens singuliers, repose sur « la synthèse qualitative d’une pluralité de critères d’évaluation », et requiert des dispositifs aidant au fonctionnement du marché des singularités. Les appellations AOC en sont un exemple bien connu. Ces dispositifs permettent au consommateur de déléguer le processus de choix, au risque du renforcement du pouvoir discrétionnaire et de l’autorité des ins- Ce livre est consacré à ce qui est apparu à l’auteur comme un angle mort de l’analyse économique orthodoxe : celle-ci serait incapable de se mouvoir dans l’univers des biens singuliers, ces biens « incommensurables » qui rassemblent les services professionnels personnalisés (médecin, avocat, conseil d’entreprise, conseil de gestion), et les œuvres d’art, la grande cuisine, les biens de luxe, le tourisme, de nombreux produits des industries culturelles, certaines formes d’artisanat, etc. Lucien Karpik propose de remédier à cette défaillance de la théorie économique et de parcourir la « terra incognita du marché des produits singuliers ». Les biens singuliers sont des biens différenciés, multidimensionnels, pour le classement desquels il n’existe 200