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Epidémie : « maladie sociale aux effets brusques et amples », au carrefour des
disciplines (médecine, géographie, psychologie sociale, démographie, histoire).
Une épidémie provoque de brusques déséquilibres sociaux, psychologiques,
matériels (dépopulation, désertification, raréfaction des échanges…). Elle est la
fois cause et effet de la conjoncture. Elle ne peut être détachée de son temps,
mais celui-ci ne peut être compris sans elle.
Parmi les grandes épidémies modernes, on compte le choléra surtout, la fièvre
jaune. La grippe espagnole a jusqu’à maintenant été relativement délaissée par
la recherche historique pour un certain nombre de raison (sources du côté
européen).
Réfléchir à cette épidémie historique est aujourd’hui une façon de réfléchir à :
- Un problème d’ordre sanitaire (étendue, acteurs),
- L’idée de risque pour les populations (type du risque, type de réaction et
de prise en charge),
- L’idée de ce qu’il peut nous enseigner aujourd’hui sur le risque sanitaire
(prévention du risque actuellement…).
~ Bibliographie sommaire :
- BARRY Stéphane, HESSEL Luc, GUALDE Norbert, « Les métamorphoses de la
grippe », L’Histoire, n° 304, décembre 2005.
- DARMON Pierre, « une tragédie dans la tragédie. La grippe espagnole »,
Annales de démographie historique, 2000-2002.
- DARMON Pierre (spécialiste d’histoire de la médecine), « La grippe
espagnole submerge la France », L’Histoire, n° 281, novembre 2003
- DARMON Pierre, L’homme et les microbes, Paris, Fayard, 1999
- DARMON Pierre, Vivre à Paris pendant la Grande Guerre, Paris, Fayard,
2002, rééd., « Pluriel », 2003
- DELAPORTE Sophie, « Perceptions et interprétations par les médecins des
premières manifestations de la grippe dite " espagnole " », Médecine et
armée, 1997.
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- DELAPORTE S., Discours médical sur les blessures et les maladies pendant la
Première Guerre mondiale, thèse, université de Picardie-Jules-Verne, 1998.
- MURARD L., ZYLBERMAN P., L’hygiène dans la République. La santé publique
en France ou l’utopie contrariée 1870-1918, Paris, Fayard, 1996.
- ZYLBERMAN P., « Sécurité sanitaire : l’urgence, créatrice d’institutions »,
Problèmes politiques et sociaux, n° 856 (2001), et dans Esprit, 1999.
- « La grippe espagnole, 1918-1919, la plus grande pandémie du XXe s. »,
Info respiration, n° 69, octobre 2005
- Organisation Mondiale de la Santé, Grippe aviaire, évaluation du risque de
pandémie, janvier 2005
- GACHELIN Gabriel, (chef de laboratoire à l’Institut Pasteur), « La grippe
espagnole », Encyclopédie Universalis 2005 (version 8) (+ articles
« épidémie », « maladies transmissibles émergentes »).
- Wikipedia ?
Articles étrangers :
- PALESE P., « Influenza : old and new threats », Nature Med, 2004
- TAUTENBERGER J. K., REID A. H., FANNING T. G., « The 1918 influenza virus : a
killer comes into view », Virology, 2000
Sources : Thèses contemporaines
- SOUCHAY L., L’épidémie de grippe dans une ville de garnison de l’Est en
1918-1919, thèse pour le doctorat en medicine, Paris, 1919.
- BARBIER M., La grippe de 1918-1919 dans un service de l’hôpital Saint-
Antoine, thèse pour le doctorat en médecine, Paris, 1919.
Les sources statistiques :
Il existe la Statistique sanitaire de France, qui exclue cependant les militaires, sous
la coupe du Service de santé des armées, et les zones de front (sans oublier les
départements qui ne fourniront aucun chiffre faute de personnel).
Le service technique de l’armée compte par exemple 230 000 soldats touchés
entre septembre et novembre 1918.
Pour 1918, il manque des chiffres pour presque 15 millions de Français (dont 9
millions de civils environ). Les décès signalés concernent donc 22 millions de
Français, seulement.
~ I. Comment reconstitue-t-on aujourd’hui l’historique de
l’épidémie de grippe espagnole ? Essai de chronologie.
PREMIERE PHASE : des cas récurrents de pneumonies, qui n’éveillent aucune
méfiance particulière.
o Sources : archives militaires (Val de Grâce), faits consignés par les
médecins majors dans chacune des 19 régions militaires.
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o Février 1916 : Marseille, épidémie de pneumococcie* chez des
travailleurs annamites (* maladies déterminées par le pneumocoque,
bactérie produisant les pneumonies, pleurésie, méningites…). Ils
viennent des colonies indochinoises (Vietnam).
o Novembre 1916 : Dijon, 3 décès par pneumocoque d’Annamites, sur
39 infectés.
o Février 1917 : Nice, pneumonies récurrentes chez des Algériens,
Martiniquais, Indochinois.
o Février 1918 : En Chine, à Canton, des cas sont détectés, ainsi qu’aux
Etats-Unis dans des camps militaires et en Caroline du Sud (hors de
tout contexte militaire).
o Avril 1918 : Chartres, 27 cas de pneumonies chez des Annamites
récemment arrivés. Parallèlement, les premiers cas avérés de grippe
seraient localisés à Bordeaux.
Jusque là, l’inquiétude n’est pas vive : on a l’impression qu’il s’agit d’une
maladie exotique propre aux étrangers, qui ne menace pas les Européens.
DEUXIEME PHASE : le virus de la grippe entre en scène.
o Avril 1918 : Dans le monde entier, on repère des cas de grippe
(Espagne, Italie…). Le qualificatif d’ « espagnol » rappelle une
épidémie de grippe de 1889 (200 000 morts). Il est vrai que c’est
également en Espagne que l’on commence à se rendre compte de
l’ampleur du problème. De nombreux cas surviennent dans les
tranchées, et s’étendent à la France. Mais ce n’est qu’une
« répétition générale » (P. Darmon).
o Mai 1918 : Dans la première quinzaine du mois, environ 30 % des
malades sont européens seulement. Les premières victimes sont
encore indochinoises en majeure partie (ce taux de morbidité élevé
chez eux est attribué au climat trop frais et leur mauvaise habitude
de cracher à terre, dit-on ; on l’attribue aujourd’hui à leurs conditions
de vie et d’hébergement, précaires).
o Juin 1918 : Les nouvelles arrivées d’Espagne font état de 70 % des
madrilènes frappés en 3 jours.
o Juillet 1918 : La pandémie se profile, mais les premiers signes de son
extinction sont aussi repérés. Le paradoxe est là : diminution du
nombre total de grippés, mais cas de complication graves en
augmentation. Londres : nombreux personnels absents. Manchester :
des tramways ne circulent plus faute de conducteurs. Berlin : en
quinze jours, le nombre de malades a augmenté de 18 000.
o Août 1918 : Le journal Le Matin évoque « cette petite épidémie ».
Populations et gouvernants restent relativement indifférents à l’épidémie (on
peut aller jusqu’à se réjouir côté français du fait que les armées allemandes sont
touchées). En réalité le terrain a été préparé pour la véritable pandémie qui va
suivre car l’ensemble de la population est épuisé.
TROISIEME PHASE : La pandémie s’abat.
o Août 1918 : Les morts commencent à être dénombrés. Montpellier :
65 décès de la grippe espagnole pour ce mois. La 1ère grippe a
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affaibli les populations. Les journaux médicaux commencent à
commenter le phénomène. L’armée est la plus touchée (au front
comme à l’arrière, les gazés en particulier).
o Septembre 1918 : Amplification de la morbidité. C’est le début des
rumeurs (« peste pulmonaire », responsabilité des moustiques, des
conserves importées d’Espagne, qu’on dit empoisonnées par les
Allemands…). A Brest, une vague de mortalité surgit.
o Octobre 1918 : À Paris, le nombre de décès dus à la grippe a été
multiplié par 10 en un mois, puis très vite par 20. La guerre n’est plus,
pour la première fois, au centre des préoccupations. On enterre les
victimes de nuit faute de temps. Il s’agit du premier pic de mortalité.
Le gouvernement français demande à l’Académie de médecine de
se prononcer sur l’origine de la maladie. Elle répondra évasivement
en portant l’intérêt sur l’aspect contagieux et la transmission
d’homme et homme sans plus d’explication.
o Décembre 1918 : On évaluera plus tard le nombre de victimes à
128 000 personnes en France.
o Février mars 1919 : deuxième pic de mortalité.
o Mai 1919 : L’épidémie s’éloigne, le nombre de morts est devenu
négligeable.
~ II. Origines et parenté de maladies :
L’agent infectieux de cette grippe, virus très virulent et contagieux, pose
encore aujourd’hui des problèmes d’identification.
Les pneumonies observées chez les Annamites jusqu’au printemps 1918
présentent des symptômes similaires à ceux de la grippe non encore déclarée :
complications bronco-pulmonaires brutales et foudroyantes. Le « pneumocoque »
des Annamites s’installe chez des sujets affaiblis (cas des Annamites vivant dans la
promiscuité, découvrant un climat nouveau…).
Au printemps 1918, au pneumocoque (bactérie) qui génère un syndrome
respiratoire aigu s’ajoute le virus de la grippe.
Ce virus provoque des complications qui sont à l’origine de l’épidémie. C’est leur
multiplication qui a réellement alerté les médecins en août 1918 (en plus des
pneumonies et bronchiolites, troubles cardiaques, oedèmes pulmonaires,
cyanose…).
Ce que les médecins de l’époque appellent « pneumonie des Annamites » est
déjà la grippe espagnole : fièvre brutale, chute de celle-ci, puis symptômes
bronchiques, pulmonaires, puis pneumonie sévère, avec complication ou pas
(œdème, cyanose…). L’aspect des malades est frappant. La durée d’incubation
est étonnamment rapide (observations nombreuses des médecins
contemporains), mais le plus surprenant est la grande densité des germes
présents, même dans des régions reculées, comme en montagne. Bien sûr les
mouvements de troupes en ont accentué la diffusion. Cela dit, on ne sait toujours
par précisément quel était l’hôte intermédiaire qui a permis la transmission du
porc à l’homme.
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La grippe espagnole est aussi à replacer dans l’histoire des grippes. C’est
une maladie autant des oiseaux que des hommes. Il existe une grande variété
des virus grippaux. En 1938, on identifie un virus que l’on nomme H1N1 (puisqu’il
est le premier connu), avec trois souches humaines, plus ou moins agressives. H
représente l’hémagglutinine et N la neuraminidase. Ce sont des virus qui mutent,
et lorsque la mutation est radicale (modifications génétique importante du
génome), l’épidémie en encore plus virulente (car le système immunitaire n’a pu
s’adapter).
Les réservoirs primaires des grippes sont les oiseaux (probablement infectés par
l’agent de la grippe depuis toujours), puis les porcs, et les mutations du virus ont le
plus souvent eu lieu en Extrême Orient, où l’on vit en étroit contact avec eux.
Il est difficile de savoir si l’on a eu affaire à des grippes avant le XVIIIe s., mais c’est
très probable. Au XIVe s., une épidémie qui y ressemble est appelée « influenza »,
en référence à l’influence des astres, puis à celle du froid (influenza di fredo). On
retrouve au XVIe puis au XVIIe s. des symptômes qui, lorsqu’on en trouve la
description, ressemblent à la grippe. A la fin du XVIIIe s. et au XIXe s., plusieurs
pandémies grippales sont bel et bien identifiées, On pense que la grippe
espagnole a touché (infecté mais non tué) environ 1 milliard de gens.
En 1947, l’Institut Pasteur présente le premier laboratoire dévolu aux recherches
sur la grippe. Puis la grippe ressurgit sous diverses formes (H2N2, H3N2, H1N1 de
nouveau sous une nouvelle forme, puis H5N1 en 1997 : sa nouveauté réside dans
ses conditions de transmission, c'est-à-dire la mondialisation qui favorise sa
transmission ; par ailleurs il a été diffusé des animaux à l’homme, mais pas
d’homme à homme apparemment ; cela dit les antiviraux existent et un vaccin
verrait le jour bientôt).
~ III. Peut-on élaborer une géographie de ce risque ?
Une épidémie est un phénomène géographique : modes de propagation, routes,
extension, dynamique, pôles, phases…
- Rôle des Annamites, acteurs géographiques : ils ne véhiculent pas tout
d’abord un virus, mais des bactéries qui ont permis l’installation du virus et le
développement de sa violence.
- Le parcours du virus : éclate à plusieurs endroits du monde à la fois. Il y a
plusieurs hypothèse quant à son origine : Chine, ou Etats-Unis. Son parcours
s’est-il effectué ensuite d’Est en Ouest ou le contraire ?
- Les vecteurs de son parcours : les militaires, troupes et permissionnaires,
furent des acteurs de cette diffusion, entre autre. Pour l’hypothèse chinoise,
il est question d’avancer que ce sont les militaires américains qui l’auraient
transporté. Ce serait aussi le cas dans l’hypothèse où l’épidémie se
déclenche aux Etats-Unis même (Caroline du Sud).
- Le rôle des ports : Bordeaux et Brest représentent des espaces d’arrivée du
virus en France vraisemblables si le virus vient d’outre-atlantique.
- Les zones de front et de rassemblement des troupes (garnisons…), et leur
lien avec l’arrière (évacuation des infectés).
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