L’île de la Réunion a été peuplée progressivement par différents peuples, Français, Indiens, Africains
malgaches ou continentaux, Chinois, plus récemment Comoriens. La société réunionnaise s’est
constituée au fil des diverses vagues migratoires, incorporant, assimilant progressivement les valeurs,
les savoirs des différents peuples tout en les recombinant. Elle est caractérisée par une plasticité
inscrite dans son histoire. Les peuples qui ont formé cette société créole se sont mélangés, leurs
cultures se sont brassées, leurs univers entremêlés et ils gardent encore cette faculté à incorporer de
nouveaux apports et à circuler dans des mondes de sens dissemblables.
L’offre de soins dans ce contexte apparait variée, proposant une prise en charge médicale dans des
hôpitaux pour la plupart bien équipés et des formes alternatives de soins. Ces dernières relèvent tant
de la tradition créole que de nouveaux modes de prise en charge de la maladie, formes modernisées
des médecines traditionnelles et formes locales de médecines venues d’ailleurs. Enfin, sont présents
même si leur présence reste encore discrète, des mouvements souvent associés à une forme de
spiritualité, un travail sur l’âme ou le mental en opposition au travail sur le corps que propose la
médecine conventionnelle. Ils offrent des techniques permettant d’accéder au bien-être ou à la
guérison et séduisent parce qu’ils permettent de « réenchanter le monde devenu outrageusement
matériel. » (Benoist, 2004) Ces différents mouvements répondent à certains questionnements
existentiels révélés par la maladie. Ils proposent pour la majeure partie d’entre eux de restituer au
malade une place dans le processus de prise en charge de la maladie dont la médecine l’avait
dépossédé, lui redonnant dans une certaine mesure le contrôle de son destin.
Les parcours de soins témoignent de la fluidité du monde créole. Ils sont le plus souvent structurés
par la Médecine qui exerce une forme de monopole. Cependant, la majorité des personnes atteintes
par la maladie engagent d’autres recours qui viennent compléter les soins médicaux, qu’ils soient
inscrits dans un registre psychique, spirituel ou de gestion des désordres du corps.
Quête de sens et biographie
La maladie est vécue comme essentiellement injuste, elle est un désordre et doit donc trouver une
signification. Elle est alors insérée dans une chaîne d’événements, sa survenue apparaissant
fréquemment, au fil des élaborations, non plus perçue comme une rupture biographique mais
insérée dans un continuum (Bataille, 2003) dans le parcours de vie.
Les désordres biologiques sont reliés à l’environnement social et l’histoire du sujet. Celle-ci est alors
remise en forme, de manière à donner du sens à l’irruption de la maladie. Certains événements sont
perçus comme des déclencheurs. Ils prennent une signification quand ils sont intégrés dans
l’ensemble de l’histoire de vie et revisités à travers l’émergence de la maladie. Ils s’inscrivent à la
Réunion dans une dialectique entre les rapports sociaux, l’environnement naturel et le monde
surnaturel (constitué de dieux, d’esprits, d’ancêtres). Quelques exemples permettront d’observer que
ces événements sont repérés dans l’histoire individuelle dans plusieurs circonstances : quand ils ont
été à l’origine d’émotions intenses, entrant dans ce cas dans les représentations profanes du cancer, à
la Réunion mais également dans d’autres contextes culturels ; quand ils rendent compte d’un vécu où
le sujet n’a pas la maitrise des événements ou ne les a pas anticipés. Il s’agit fréquemment d’une
perte, celle d’un être cher, la dégradation d’un statut social, professionnel.
Les émotions sont fréquemment impliquées dans la perception de la survenue du cancer. Elles sont
parfois exprimées en termes de « stress », catégorie médicale au départ et plus fréquemment
utilisée, mais qui rend compte de phénomènes divers, le plus souvent d’émotions engendrées par des
conflits familiaux ou professionnels, dans le contexte de cette recherche, c’est-à-dire pour des
malades atteints de cancer. Cette conception communément rencontrée fait écho à une place
donnée à l’émotion dans les représentations traditionnelles de la maladie (Andoche, 1988). L’émotion
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