La Vie économique - Die Volkswirtschaft

publicité
88e année N° 11/2015 Frs. 12.–
La Vie économique
Plateforme de politique économique
ENCOURAGER L’INNOVATION
L’ÉTUDE
DOSSIER
INFRASTRUCTURES
Le conseiller fédéral Johann
N. Schneider-Ammann
s’exprime sur la numérisation
La demande extérieure
influence la conjoncture
suisse
La Suisse participe
à la banque asiatique
d’infrastructures
La Confédération, les cantons
et les chemins de fer planifient
la prochaine étape
36
48
51
61
L’ÉVÉNEMENT
La numérisation
de l’économie et l’État
Wichtiger HINWEIS !
Innerhalb der Schutzzone (hellblauer Rahmen) darf
kein anderes Element platziert werden!
Ebenso darf der Abstand zu Format- resp. Papierrand
die Schutzzone nicht verletzen!
Hellblauen Rahmen der Schutzzone nie drucken!
Siehe auch Handbuch
„Corporate Design der Schweizerischen Bundesverwaltung“
Kapitel „Grundlagen“, 1.5 / Schutzzone
www. cdbund.admin.ch
ÉDITORIAL
Le débat est ouvert
La numérisation de l’économie est sur toutes les lèvres. Elle fait désormais
partie de notre quotidien, par exemple lorsque nous lisons le journal dans
son édition électronique, que nous chargeons de la musique avec notre
téléphone portable ou que nous commandons des livres par Internet.
De nouveaux progrès comme l’Internet des objets – à savoir le fait que des
machines et des objets soient connectés à des réseaux numériques – représentent autant de progrès qui changent
le monde du travail. Les mutations qui
affectent des structures et des processus de production éprouvés suscitent
des peurs. L’économie de partage nous
en donne des exemples : l’entreprise
de location de véhicules avec chauffeur
Uber s’attire les foudres des taxis dans
le monde entier et les hôteliers redoutent la plateforme de location de logements Airbnb.
L’administration fédérale s’intéresse, elle aussi, aux risques comme aux
chances qui accompagnent ces mutations. L’événement de ce mois-ci
se concentre sur les liens entre la numérisation de l’économie et l’État.
C’est l’occasion pour le Secrétariat d’État à l’économie de se demander si
le numérique rend les travailleurs superflus. Son potentiel de croissance
fait également l’objet d’un vif intérêt. Un article du Secrétariat d’État aux
questions financières internationales montre comment le numérique révolutionne le monde de la finance et quels sont les points de recoupement
avec les activités de l’État. Le conseiller fédéral Johann N. Schneider-Ammann, chef du Département fédéral de l’économie, de la formation et de
la recherche, estime que la Suisse a de nombreux atouts à faire valoir au
niveau international en matière de numérique. Le débat sur le rôle de l’État
est ouvert.
L’innovation étant à la base de tout bouleversement, nous avons demandé
à Luzius Meisser, fondateur d’une jeune pousse, quelles étaient ses attentes envers l’État.
Bonne lecture !
Nicole Tesar et Susanne Blank
Rédactrices en chef de La Vie économique
SOMMAIRE
L’événement
6
Le numérique : facteur
de croissance de l’économie
10
La fin du travail ?
Ursina Jud Huwiler Secrétariat d’État à l­ ’économie
Markus Langenegger
Secrétariat d’État à l­ ’économie
14
Révision de la loi fédérale sur
la protection des données :
mettre l’accent sur la
transparence et le contrôle
Camille Dubois Office fédéral de la justice
17
Économie numérique :
la Suisse doit passer à la
vitesse supérieure
Christian Weber Secrétariat d’État à l­ ’économie
Andreas Spichiger, Alessia C. Neuroni
Haute école spécialisée bernoise
20
L’ouverture d’un marché
unique numérique
dans l’UE pourrait avoir des
conséquences pour la Suisse
Barbara Montereale
Mission de la Suisse auprès
de l’Union européenne
30
24
Smartphones et
mégadonnées : la banque en
effervescence
Samuel Schenker
Secrétariat d’État aux questions financières
internationales
PRISES DE POSITION
39 – 44
b
Technologies financières :
toute résistance est vaine
36
L’État entre rupture
numérique et liberté
économique
Johann N. Schneider-Ammann
Conseiller fédéral
Entretien avec le
fondateur suisse
de jeunes pousses :
Luzius Meisser
Oliver Bussmann UBS
Le client est au centre
de nos préoccupations
Michel Gicot La Mobilière
De la téléphonie à la télécommunication
Stefan Nünlist Swisscom SA
« Les Suisses sont moins
prêts à prendre des risques
et moins avides de
succès que les Américains,
par exemple. »
La révolution numérique
de la production
Rolf Baumann Harting AG
La pression dans les bureaux augmente
Manuel Keller Société des employés de commerce
L’État doit se retenir
Fredy Greuter Union patronale suisse
SOMMAIRE
Rubriques
b
b
46
48
61
UN CERTAIN REGARD AVEC RETO FÖLLMI
L’ÉTUDE
INFRASTRUCTURES
La campagne « L’argent reste
ici » aurait un effet contraire
Inhabituel, mais présentant
des atouts : le PIB dans
l’optique des secteurs de
production
Aménagement de
l’infrastructure ferroviaire :
en avant pour la prochaine
étape
Gregor Bäurle, Elizabeth Steiner
Banque nationale suisse
Toni Eder, Christophe Mayor
Office fédéral des transports OFT
Université de Saint-Gall
DOSSIER
52
Une nouvelle banque de développement
à vocation régionale
Werner Gruber
Secrétariat d’État à l­ ’économie
54
Partenaire ou concurrente
de la Banque mondiale ?
Stefan Denzler Banque mondiale
58
La Banque asiatique
d’investis­sement dans
les infrastructures se
fera avec la Suisse
64
COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT
L’Asie a besoin de billions pour
l’électricité et les routes
Le Fonds d’investissement
suisse au secours des PME
Biswa Nath Bhattacharyay
Université McGill
Monika Gysin Obviam
Repères
i
IMPRESSUM
CHIFFRES-CLÈS
HUMOUR
Tout sur la revue
Infographique et
indicateurs économiques
La numérisation …
jusqu’au bout
Secrétariat d’État à l­ ’économie
Stephan Bornick
Secrétariat d’État à l­ ’économie
4
70
72
67
MARCHÉ DU TRAVAIL
Les conventions collectives
de travail dont le champ
d’application est étendu
Edi Natale Secrétariat d’État à ­l’économie
i
IMPRESSUM
Publication
Département fédéral de l’économie,
de la formation et de la recherche DEFR,
Secrétariat d’État à l’économie SECO
Rédaction
Cheffes de la rédaction: Susanne Blank, Nicole Tesar
Rédaction: Käthi Gfeller, Matthias Hausherr, Christian Maillard,
Stefan Sonderegger
Comité de rédaction
Eric Scheidegger (président), Antje Baertschi, S­ usanne Blank,
Eric Jakob, Evelyn Kobelt, Peter Moser, Cesare Ravara,
Markus Tanner, Nicole Tesar
Chef du secteur Publications: Markus Tanner
Holzikofenweg 36, 3003 Berne
Téléphone +41 (0)58 462 29 39
Fax +41 (0)58 462 27 40
Courriel: [email protected]
Internet: www.lavieeconomique.ch
Mise en page
Patricia Steiner, Marlen von Weissenfluh
Graphisme de couverture
Alina Günter, www.alinaguenter.ch
Humour
Stephan Bornick, www.tgd.ch
Abonnements/service aux lecteurs
Téléphone +41 (0)58 462 29 39
Fax +41 (0)58 462 27 40
Courriel: [email protected]
Prix de l’abonnement
Suisse Fr. 100.–, étranger Fr. 120.–,
Gratuit pour les étudiants,
Vente au numéro Fr. 12.– (TVA comprise)
Parution dix fois par an en français et en allemand (sous le titre
La Vie économique), 87e année, avec suppléments périodiques.
Impression
Jordi AG, Aemmenmattstrasse 22, 3123 Belp
La teneur des articles reflète l’opinion de leurs ­auteurs et ne correspond pas nécessairement à celle de la rédaction.
Reproduction autorisée avec l’accord de la
rédaction et indication de la source; remise
de justificatifs souhaitée.
ISSN 1011-386X
L’ÉVÉNEMENT
La numérisation
de l’économie et l’État
La numérisation envahit notre vie. L’économie de partage qui en
est issue a généré des entreprises sur Internet, comme Uber,
spécialisée dans le transport de personnes, ou Airbnb, la plateforme de réservation de logements. Un simple accès à Internet et
une application peuvent désormais produire des chiffres
d’affaires importants. Plusieurs questions s’ensuivent : quelle est
l’influence de la numérisation sur la croissance économique ?
Quelles sont les répercussions sur le marché du travail ?
Faut-il réglementer ?
NUMÉRISATION
Le numérique : facteur de
croissance de l’économie
Des études consacrées à l’UE et aux États-Unis montrent que la croissance économique de
ces dernières années repose dans une large mesure sur le numérique. La Suisse est sur la
bonne voie. Markus Langenegger
Abrégé L’essor du numérique a entraîné un profond changement dans de nombreuses branches de l’industrie et des services. Comment cela se traduit-il dans
la politique économique suisse ? Des études et des relevés statistiques laissent à
penser que le virage numérique contribue dans une large mesure à la progression
du PIB. L’exploitation de ce potentiel de croissance revêt une importance particulière pour un pays pauvre en ressources naturelles. Il est réjouissant de constater
que la Suisse semble être sur la bonne voie. Pour continuer à exploiter le potentiel
du numérique de façon optimale, il est essentiel d’élaborer des conditions-cadres
favorables à l’économie, notamment dans le domaine de la formation et du perfectionnement, de la recherche et de la protection des données, et de se doter
d’infrastructures TIC sûres et performantes. On doit également veiller à ce que les
innovations ne soient pas entravées par des réglementations hâtives.
L 1 Voir l’article d’Ursina
Jud Huwiler (Seco) dans
ce numéro.
2 Bitkom/Prognos (2013).
3 Bart van Ark et al.
(2013). Les résultats
présentés se réfèrent
à l’UE15.
4 Pour une croissance
du PIB de 2,2 % en
moyenne (1995-2007),
l’apport des investissements a été de 0,4
point de pourcentage,
l’augmentation de la
productivité dans la
production de TIC de
0,3 point et l’augmentation de la productivité
grâce à l’utilisation des
TIC de 0,1 point.
5 Daron Acemoglu et al.
(2014).
6 Croissance moyenne
du PIB en Suisse entre
1995 et 2013 : 2,0 %. Les
valeurs de tous les pays
de l’OCDE se situent
entre 0,2 et 0,6 point
de pourcentage. Voir
la base de données de
l’OCDE sur la productivité.
6 e processus de numérisation permet de
sauvegarder et de diffuser par voie électronique toujours plus d’informations : les liseuses
remplacent les livres, nous lisons le journal sur
notre téléphone intelligent et de nombreuses
transactions commerciales sont effectuées sur
Internet. Le développement des technologies de
l’information et de la communication (TIC), qui
sous-tend la numérisation, est considéré comme
une innovation fondamentale. Des inventions
comme celle-ci changent profondément la société et l’économie, au même titre que la machine à
vapeur et l’électricité.
Dans le sillage du numérique, l’industrie
de la musique et de la photographie, mais aussi
le commerce, le secteur de la communication
et, plus récemment, les taxis se sont considérablement transformés. De telles mutations
déclenchent souvent un malaise et des réactions de défense, comme en témoignent les
protestations des chauffeurs de taxis dans différentes villes du monde contre la société Uber.
Comme pour tout changement structurel, la
question du temps d’adaptation nécessaire est
primordiale, en particulier sur le marché du
travail1.
La Vie économique 11/2015
Que signifie le processus de transformation
amorcé par le numérique pour la politique économique suisse ?
Investissements et augmentation
de la productivité
Tout d’abord, les profondes mutations induites
par le numérique influencent la croissance économique. Pour simplifier, on peut dire qu’une
économie peut croître de deux manières : soit en
augmentant la quantité de travail et de capital
physique utilisée, soit en exploitant plus efficacement les ressources disponibles pour améliorer sa
productivité. L’innovation, le progrès technique
ou une meilleure formation de la main-d’œuvre
sont autant de façons d’accroître l’efficacité des
ressources disponibles.
Par ailleurs, le numérique peut influencer la
croissance économique de différentes manières.
Il entraîne une hausse des investissements dans
le capital physique (logiciels, serveurs, réseaux),
un accroissement de la productivité dans le domaine des TIC grâce aux progrès technologiques
rapides ainsi qu’une augmentation de la productivité en général en raison de l’utilisation des TIC
dans les différentes branches de l’industrie et des
services.
Une étude réalisée pour l’Allemagne a montré que l’utilisation grandissante de l’informatique entre 1998 et 2012 a contribué à hauteur
de plus d’un tiers à la croissance de la valeur
ajoutée chez notre voisin du nord2. Une autre
étude concernant l’Union européenne et les
États-Unis, qui porte sur les années 1995 à 2007,
arrive aux mêmes conclusions : pour l’UE, environ un tiers de la croissance du PIB est à mettre
en relation avec le numérique ; aux États-Unis,
KEYSTONE
ce chiffre se monte même à 40 %3. Cette hausse
est principalement due aux investissements
dans l’informatique et à l’augmentation de la
productivité dans le domaine des TIC. Les gains
de productivité obtenus grâce à l’utilisation des
technologies numériques jouent, quant à eux,
un rôle un peu moins important 4.
L’automatisation des processus de production
et la réorganisation de toute la chaîne de valeur
ajoutée permettent de gagner en productivité en
recourant aux TIC. De nouveaux modèles d’affaires (notamment les plateformes Internet) et
une croissance relativement rapide (grâce à l’utilisation d’Internet comme canal de distribution
ou à de nouveaux enseignements tirés de l’analyse des données) y contribuent également. De
tels effets sont toutefois difficiles à quantifier et
Les TIC ont été d’une
importance décisive
pour la croissance de
ces dernières années.
7 Approche basée sur
la valeur ajoutée. La
définition du secteur
des TIC est relativement large. Ce secteur
représentait 4,3 % du
PIB en 2012. Selon la
définition de l’OFS et
de l’OCDE, il comprend
l’ensemble des activités
économiques qui
produisent des biens
et services permettant
la numérisation de
l’économie, soit la
transformation des
informations utilisées
ou fournies en informations numériques. Voir
www.infosociety-stat.
admin.ch.
leur importance reste encore controversée dans
la littérature économique5.
Le numérique, moteur
de la croissance suisse
En Suisse, il n’existe pas encore d’étude approfondie quant aux effets du numérique sur l’économie.
Toutefois, les calculs de l’OCDE pour les années
1995 à 2013 indiquent que les investissements dans
le capital physique TIC ont à eux seuls fait croître
le PIB suisse de 0,4 point de pourcentage par an6.
L’Office fédéral de la statistique (OFS) estime
que, pour les années 1998 à 2012, le secteur des
TIC a contribué à la croissance du PIB à hauteur
de 0,3 point de pourcentage en moyenne7. Cependant, ce calcul tient seulement compte d’une
Encadré 1. Réglementation de l’économie de partage
La diffusion des technologies numériques et des modèles d’affaires qui
leur sont associés représente un défi
pour la politique de la concurrence. Les
services proposés par l’économie de
partage, comme le service de transport
avec chauffeur Uber ou la plateforme
de location de logements Airbnb, ont
intensifié la concurrence. Les consom-
mateurs bénéficient d’une offre élargie
et peuvent obtenir les services souhaités à des prix moindres. Parallèlement, les prestataires traditionnels se
plaignent de ne pas être à égalité avec
les nouveaux acteurs qui, selon eux,
exercent une pression inadmissible
sur les prix. Ils font valoir que leurs
concurrents numériques profitent
d’un avantage concurrentiel, car ils ne
sont soumis à aucune réglementation,
contrairement à eux.
Les autorités de la concurrence, en
tant qu’« avocates de la concurrence »,
peuvent profiter de ce débat pour
remettre en cause les réglementations en vigueur. Les prescriptions
problématiques du point de vue de la
concurrence sont celles qui ne sont
plus d’actualité et qui font obstacle
à l’arrivée de nouveaux acteurs sur le
marché.
Marc Blatter, chef du centre de compétences Économie au secrétariat de la
Commission de la concurrence (Comco)
La Vie économique 11/ 2015 7
KEYSTONE
NUMÉRISATION
partie des effets du numérique sur la croissance,
car ses conséquences sur les branches qui ne sont
pas liées au secteur des TIC ne sont pas prises en
considération.
On peut partir du principe que les effets de la
révolution numérique sur la croissance sont aussi
substantiels en Suisse. Il est donc réjouissant de
constater que ce pays figure dans les premières
places de divers classements comparant les
conditions offertes par les places économiques
en matière de numérique8.
Comment l’État doitil se positionner par
rapport aux nouveaux
modèles d’affaires ?
Test par La Poste d‘un
drone livreur de colis.
L’État doit créer des
conditions-cadres favorables
L’importance du numérique pour la croissance
économique pose la question du rôle de l’État
dans ce processus de mutation. Au cours des dernières années, divers pays européens ont présenté des programmes à grande échelle liés au virage
numérique. En mai dernier, la Commission européenne a publié son rapport sur la création d’un
marché unique numérique9.
Encadré 2. Plateformes monopolistiques
Les plateformes Internet et les
moteurs de recherche jouent un
rôle déterminant dans la numérisation de l’économie. Faisant office
d’intermédiaires, les plateformes, qui
rassemblent différents groupes d’utilisateurs, se caractérisent par des effets
de réseau indirects : pour un vendeur,
plus une plateforme est utilisée par des
acheteurs potentiels, plus elle est attrayante. À l’inverse, pour les acheteurs
potentiels, l’attrait d’une plateforme
augmente en fonction du nombre de
vendeurs actifs.
8 La Vie économique 11/2015
Les effets de réseau indirects ont
pour conséquence une forte concentration des marchés des plateformes.
Par exemple, le moteur de recherche
Google ou le service de réservation
Booking ont une position très forte.
Une telle concentration est-elle problématique sur le plan de la politique de
la concurrence?
Sur le plan économique, une plateforme monopolistique est efficace, car
les effets de réseau y sont maximisés.
Sous l’angle de la concurrence, il peut
être problématique qu’une entreprise
dominant le marché transfère son pouvoir de marché sur d’autres marchés
grâce à des offres liées entre elles ou
que les utilisateurs soient obligés de
passer par un système et par un prestataire donnés.
Toutefois, il ne faut pas oublier que
l’excellente position d’une plateforme
sur le marché est le reflet de son
succès. Les entreprises ne seraient plus
incitées à investir dans les nouvelles
technologies et les nouveaux modèles
d’affaires si elles ne pouvaient pas
récolter les fruits de leurs investis-
sements. En outre, les marchés numériques se caractérisent par un très
grand dynamisme. Des prestataires
dominants aujourd’hui peuvent rapidement perdre leur place au profit de
nouveaux acteurs innovants. Pour les
autorités de la concurrence, il s’agit de
trouver un équilibre entre la protection
de la concurrence à court terme et le
maintien des incitations à l’innovation
à long terme.
Marc Blatter (Comco)
L’ÉVÉNEMENT
En Suisse aussi, le Conseil fédéral promeut la
société de l’information. Pour ce qui est de l’économie, il écrit : « La Confédération crée un cadre
général favorable à l’utilisation des TIC dans
toutes les régions et dans tous les domaines de
l’économie. […] »10. Cette approche se fonde sur
la conviction que l’État ne doit pas intervenir
directement dans l’activité économique, mais
fixer les meilleures règles du jeu possibles pour
les acteurs privés. Vu l’importance capitale des
TIC et la rapidité avec laquelle l’environnement
évolue, il n’est pas indiqué de promouvoir de
manière ciblée certaines branches, entreprises
ou technologies.
Parmi les conditions-cadres que la Suisse
offre à l’économie, on compte la grande liberté
d’entreprendre, la sécurité juridique, la maind’œuvre qualifiée, la flexibilité du marché du
travail, la haute qualité des infrastructures, la
politique budgétaire durable, une charge fiscale relativement modérée et une qualité de vie
élevée. Le maintien, voire l’amélioration, de ces
conditions pour les entreprises est au cœur de la
politique économique11. Le numérique ne devrait
presque rien y changer.
Les domaines suivants sont particulièrement
importants pour permettre à la Suisse d’exploiter
de façon optimale le potentiel économique de la
révolution numérique :
1. Formation et perfectionnement. Les qualifications des travailleurs doivent satisfaire,
dans la mesure du possible, aux exigences
d’un monde de plus en plus marqué par le
numérique.
2. Recherche. La Suisse peut occuper une place
de choix dans l’exploration des possibilités
technologiques offertes par le numérique et
dans l’élaboration des applications qui en découlent (comme l’impression 3D).
3. Protection des données. Étant donné les nouvelles possibilités technologiques et l’augmentation du stockage de données personnelles
qu’elles entraînent, la sécurité juridique doit
être assurée.
4. Infrastructures TIC sûres et performantes. Ces
infrastructures sont pour ainsi dire l’épine dorsale de l’univers numérique. En Suisse, leur exploitation et leur développement s’effectuent
surtout sous l’impulsion du marché. Toutefois,
l’intervention de l’État pour réglementer les
infrastructures de réseau revêt une grande importance en raison de leur rôle essentiel dans
la mutation numérique. Ces infrastructures
doivent couvrir le plus de territoire possible et
être accessibles au plus grand nombre.
Enfin, la mutation numérique et les chances
qu’elle comporte ne devraient pas être entravées
par des réglementations hâtives. L’État ne devrait
pas, par ce biais, favoriser les technologies et les
modèles d’affaires traditionnels au détriment de
l’innovation (voir encadrés).
Les mesures que peuvent prendre la Confédération, les cantons et les communes en lien avec
le numérique concernent en premier lieu la cyberadministration. Le Conseil fédéral a rédigé une
stratégie suisse dans ce domaine ; son objectif
est de permettre tant aux acteurs économiques
qu’à la population de régler par voie électronique
les affaires avec les autorités (du changement
d’adresse aux formalités douanières, en passant
par les services à la population)12.
8 Network readiness
index du Forum
économique mondial
(6e rang) ; E-friction
index du Boston
Consulting Group (4e
rang) ; National absorptive capacity index
d’Accenture/Frontier
Economics (2e rang).
Voir également Seco/
IWSB, Cyberéconomie
en Suisse: monitorage et
rapport, 2014.
9 Voir l’article de Barbara
Montereale (Mission
de la Suisse auprès de
l’Union européenne)
dans ce numéro.
10 Stratégie du Conseil fédéral pour une société de
l’information en Suisse,
2012, p. 10. Voir www.
infosociety.admin.ch.
11 Département fédéral de
l’économie, de la formation et de la recherche
(DEFR), Principes pour
une nouvelle politique de
croissance, 2015.
12 Voir l’article de
Christian Weber (Seco),
Alessia C. Neuroni et
Andreas Spichiger (tous
deux de la Haute école
spécialisée bernoise)
dans ce numéro.
Markus Langenegger
Collaborateur scientifique, Croissance et politique de
la concurrence, Secrétariat d’État à l’économie (Seco),
Berne
Bibliographie
Daron Acemoglu, David Autor, David Dorn,
Gordon H. Hanson et Brendan Price, « Return
of the Solow Paradox? IT, Productivity, and
Employment in US Manufacturing », American
Economic Review, Papers & Proceedings, 104(5),
2014, pp. 394–399.
Bart van Ark, Willem Overmeer et Desirée van
Welsum, Unlocking the ICT Growth Potential in
Europe : Enabling People and Businesses, 2013.
Bitkom/Prognos, Digitale Arbeitswelt : Gesamtwirtschaftliche Effekte, 2013.
Commission allemande des monopoles,
Wettbewerbspolitik : Herausforderung digitale
Märkte, Sondergutachten 68, 2015.
OCDE, Hearing on disruptive innovation, Issues
paper by the Secretariat, 2015.
La Vie économique 11/ 2015 9
NUMÉRISATION
La fin du travail ?
Les ouvriers d’usine sont remplacés par des robots, les employés de bureau par des ordinateurs. Les travailleurs deviendraient-ils superflus à l’ère du numérique ? Ursina Jud Huwiler
Abrégé La mutation structurelle qui a accompagné l’arrivée du numérique a
des effets sur le marché du travail. Si les économistes ont des avis divergents
sur la question, ils sont unanimes à dire qu’elle a permis de remplacer de la
main-d’œuvre dans divers domaines et fait apparaître de nouvelles exigences
en matière de qualifications. Le présent article examine les différents impacts
de cette substitution sur le marché du travail. Il montre qu’en Suisse la structure de l’emploi s’est modifiée ces dernières années, en raison notamment de
l’automatisation croissante. Cependant, le recul de certains groupes de professions a été compensé : tandis que le nombre de travailleurs progresse dans
les métiers demandant un niveau de formation, il recule dans ceux moins qualifiés. En conclusion, la Suisse semble bien armée pour affronter cette mutation
structurelle.
A 1 Voir Brynjolfsson et
Mc Afee, The Second
Machine Age.
2 Voir Autor, Why are
there still so many jobs?
près la mécanisation, l’électrification et
l’automatisation, la numérisation constitue une nouvelle révolution technologique qui
se reflète sur le marché du travail1 et qui touche
aussi bien les tâches manuelles que cognitives.
Si l’automatisation, la dernière des révolutions
industrielles, a permis à l’homme de confier à
la machine des tâches manuelles ou cognitives
essentiellement répétitives, les progrès actuels
permettent désormais d’automatiser des opérations plus complexes.
Les robots et ordinateurs conçus ces dernières années sont déjà dotés de vastes capacités cognitives et peuvent structurer d’immenses
quantités de données grâce à des algorithmes.
On assiste donc autant à la poursuite du processus d’automatisation amorcé il y a des décennies
qu’à un élargissement du champ des possibles.
L’arrivée des voitures autonomes, par exemple,
aurait été jugée irréaliste il y a encore quelques
années. La technologie d’aujourd’hui atteint
toutefois ses limites lorsqu’il s’agit d’effectuer
des tâches qui exigent des capacités sensorimotrices, de l’intuition et de la créativité, difficiles
KEYSTONE
La numérisation transforme le domaine de la
santé. C’est le cas du
robot thérapeutique
« Paro » au Japon.
10 La Vie économique 11/2015
L’ÉVÉNEMENT
à programmer sous forme algorithmique2. Il
est important d’appréhender les possibilités et
les limites de la technologie pour mesurer les
conséquences des mutations actuelles sur le
marché du travail.
Le numérique a un impact sur la manière de
mener certaines activités : l’informatisation et la
mise en réseau des postes de travail en sont d’évidents exemples. Il peut aussi modifier la façon
dont toute un secteur est structuré. Il suffit d’observer les différentes branches pour constater des
écarts dans la progression du numérique : les industries de la photographie et de la musique, par
exemple, reposent déjà largement sur ce système,
avec des conséquences considérables sur l’emploi. Ce tournant technologique pourrait aussi
toucher, à moyen ou à long terme, la logistique
(haut degré d’automatisation dans la gestion des
stocks, véhicules et drones autonomes), l’industrie de transformation (nouvelles techniques de
fabrication, comme l’impression 3D, et robotique
plus performante), les services financiers (exécution d’hypothèques et d’autres opérations financières complexes, et conseil en la matière) et la
santé (diagnostic numérique, chirurgie assistée
par robot, soutien logistique dans les soins).
L’emploi remodelé
Les progrès techniques font souvent craindre la
disparition de nombreux postes et pose la question des mutations que subira l’emploi sous la
pression du numérique. Deux thèses s’affrontent
à ce sujet. La première suppose une rupture : à la
différence des innovations fondamentales observées jusqu’ici, l’importante diminution des
emplois que le numérique occasionne touche
surtout les métiers présentant un niveau d’exigence moyen ; elle n’est pas compensée par une
hausse de la demande dans d’autres domaines3.
La seconde thèse mise sur des déplacements de
la demande de travail à court ou à moyen terme,
mais elle postule à plus long terme une croissance
économique durable et l’émergence de nouveaux
profils professionnels4.
L’idée que le plein emploi pourrait disparaître
provient du fait que la nette amélioration des outils informatiques, l’intelligence artificielle et la
robotique multiplient les possibilités de substitution. Schématiquement, on remplace les travail-
leurs par des machines lorsqu’il est plus économique pour l’entreprise d’automatiser certaines
tâches.
D’un point de vue macroéconomique, on peut
se demander ce qu’il adviendra des forces de travail libérées et ce que l’on fera des économies
réalisées. En effet, l’automatisation d’une tâche
ne provoque pas nécessairement un recul de la
demande globale de travail. Si elle coïncide avec
une baisse de prix pour le consommateur, les ménages verront leur revenu réel
augmenter, ce qui provoquera
La technologie atteint
une hausse de la demande de
produits et de services. De plus,
ses limites lorsqu’il
l’automatisation conduit les ens’agit d’effectuer des
treprises à accroître leurs parts
tâches qui exigent de
de marché grâce à une meilleure
la créativité.
productivité, ce qui pourrait
augmenter les besoins de main-d’œuvre dans
d’autres départements de l’entreprise5 et créer
des emplois dans des secteurs économiques
nouveaux.
En conclusion, l’emploi se déplace avec le
temps vers des domaines où l’être humain ne
peut être remplacé par la technologie, ou alors à
un coût prohibitif. S’il n’est guère possible de prévoir quels produits et services seront demandés
à l’avenir, l’expérience montre que de nouveaux
besoins apparaissent sans cesse et ouvrent de
nouvelles perspectives pour l’emploi.
Autre aspect du numérique, guère pris en
considération jusqu’à présent dans notre pays :
de nouvelles possibilités s’ouvrent aux branches
qui souffrent d’un manque structurel de maind’œuvre ou sont menacées par une pénurie. L’automatisation peut contribuer à ce que les prestations soient assurées même si la main-d’œuvre
3 Voir p. ex. Brynjolfsson
et Mc Afee.
est insuffisante. On en trouve des exemples en
4 Voir à ce sujet Joël-Luc
Australie, où des chercheurs ont inventé un robot
Cachelin, Jobmotor, et
Autor, Why are there still
maçon hautement performant, ou au Japon, avec
so many jobs?
5 Voir l’exemple du
l’apparition de robots spécialisés dans les soins.
fabricant de brosse à
L’objectif commun ? Garantir que certains serdents Trisa qui, grâce
à l’automatisation de
vices restent assurés compte tenu de l’évolution
différentes tâches, a
enregistré une hausse
démographique.
de productivité
considérable ces dix
dernières années et fait
passer le nombre de ses
employés de 780 à 1250
au cours de la même
période. Neue Zürcher
Zeitung du 19 avril 2015,
«Wer überleben will,
setzt auf Robotik».
De nouvelles exigences en
matière de qualifications
Les nouvelles technologies font naître d’autres
exigences en matière de qualifications, ce qui
La Vie économique 11/ 2015 11
NUMÉRISATION
Progression de l’emploi par groupe de professions en Suisse de 1992 à 2015
ENQUÊTE SUISSE SUR LA POPULATION ACTIVE (ESPA), OFS, CALCULS PROPRES / LA VIE ÉCONOMIQUE
Professions intellectuelles et scientifiques
Dirigeants, cadres supérieurs
Professions intermédiaires
Employés de type administratif
et professions apparentées
Agriculteurs et sylviculteurs
Personnel des services et vendeurs
Artisans et ouvriers
Conducteurs et assembleurs
Les grands groupes de professions sont classés, par ordre décroissant, selon le niveau moyen de formation des actifs occupés.
incite, voire oblige, les travailleurs à suivre des
formations continues ou à se reconvertir afin
de s’adapter à l’évolution de la demande. La politique de formation doit, dès lors, affronter de
nouveaux défis.
Ces adaptations demandent un certain
temps. On peut donc s’attendre, à court ou à
moyen terme, à des dysfonctionnements sur le
marché du travail. L’évolution actuelle ne devrait, toutefois, pas affecter toutes les branches
ni tous les profils professionnels dans les mêmes
proportions. Une étude conclut qu’aux ÉtatsUnis le numérique pourrait faire disparaître
jusqu’à 47 % des profils actuels6, sans toutefois
indiquer d’horizon temporel précis. Les prévisions sont souvent vagues, car les mutations
technologiques auxquelles nous assistons – ainsi que leur absorption par la chaîne de valeur
ajoutée des entreprises – sont entachées de
nombreuses incertitudes. Il est, en outre, difficile d’évaluer dans quelle mesure un tel résultat
serait effectivement problématique pour le marché du travail.
En effet, on a constaté, ces vingt dernières
années en Suisse, d’importants déplacements
de la demande d’une branche à l’autre, en même
temps qu’une croissance significative de l’emploi
global (voir illustration). Le niveau de formation
12 La Vie économique 11/2015
0
00
0
60
50
0 0
0
0
0
0 0
0
40
30
0 0
0
0
0
20
0 0
0
10
0 0
0
0
0
0
–1
00
00
–2
00
00
0
Ouvriers et employés non qualifiés
dievowi.ch/?p=40729
a joué un rôle déterminant : tandis que l’emploi a
progressé dans les professions intellectuelles et
scientifiques, il a baissé dans les autres groupes
de métiers. La demande a même augmenté dans
les services qui, comme la vente, offrent peu de
possibilités de substitution.
Les conditions de travail évoluent
6 Voir Frey et Osborne,
Future of Employment
7 Par exemple, ces dernières années, l’entreprise américaine Uber
a doublé le nombre de
ses chauffeurs de taxi
tous les six mois.
Quelles conséquences les mutations structurelles ont-elles sur les salaires ? D’un côté, ceuxci baissent dans les secteurs d’activité où l’offre
de travail dépasse la demande en raison de
l’automatisation des tâches. De l’autre côté, les
salaires augmentent lorsque les progrès technologiques permettent d’améliorer la productivité.
Par ailleurs, les nouvelles possibilités offertes par le numérique rendent perméable la
limite entre travail et temps libre. Récemment,
l’économie collaborative a aussi engendré de
nouveaux modèles d’affaires caractérisés par
des rapports de travail à mi-chemin entre le salariat et le statut d’indépendant. De tels modèles
sont prometteurs pour ce qui est de concilier vies
professionnelle et familiale, puisqu’ils offrent la
possibilité de travailler à temps partiel7.
Ils soulèvent, cependant, des questions en
matière de droit du travail et des assurances so-
L’ÉVÉNEMENT
ciales8. Le législateur se trouve ainsi face au défi
de mettre en place un cadre qui garantisse tant
le développement technologique qu’une protection ciblée des travailleurs.
Bonne résistance du marché
suisse du travail
À l’heure actuelle, si nos connaissances scientifiques à propos des effets du numérique sur le
marché du travail en Suisse sont limitées, c’est
aussi parce que, jusqu’ici, l’évolution a été plutôt
discrète et n’a pas causé de rupture. Contrairement à ce que l’on a pu observer dans d’autres
pays industrialisés, l’emploi s’est montré très
solide ces dix dernières années, cela malgré la
crise financière, la nette appréciation du franc
et la progression de l’automatisation.
Le secteur tertiaire a affiché une hausse inhabituelle, mais le secteur secondaire s’est, lui
aussi, bien porté. L’illustration montre la forte
croissance de l’emploi observée ces dernières années dans les professions hautement qualifiées et
semble indiquer que la demande a reculé notamment dans celles où se manifeste une certaine
tendance à l’automatisation ; c’est le cas pour les
employés de type administratif et les assembleurs.
Le rôle déterminant de l’automatisation est illustré par le fait que, dans l’industrie par exemple, la
productivité du travail a affiché une progression
supérieure à la moyenne entre 1995 et 2013 (+2,5 %
contre +1,7 % pour l’économie globale). Le recul
de la demande de main-d’œuvre qui en a résulté
a toutefois été plus que compensé dans d’autres
domaines. Le chômage reste ainsi exceptionnellement bas en comparaison internationale.
Forte notamment d’un partenariat social
bien établi, d’un système compétitif de formation professionnelle duale, d’une bonne capacité
d’innovation et d’une sécurité sociale stable, la
Suisse relève avec succès les défis inhérents aux
mutations structurelles.
8 Voir à ce sujet The
Economist, « McJobs
and UberJobs », 9 juillet
2015.
Ursina Jud Huwiler
Cheffe du secteur Analyse du marché du travail et
politique sociale, Secrétariat d’État à l’économie (Seco),
Berne
Bibliographie
Autor David H., « Why are there still so many
jobs? The History and Future of Workplace
Automation », Journal of Economic Perspectives,
29(3), 2015, pp. 3–30.
Brynjolfsson Erik et Mc Afee Andrew, The Second
Machine Age, Work, Progress and Prosperity
in a Time of Brilliant Technologies, 2014, W. W.
Norton & Co.
Cachelin Jean-Luc, Digitalisierung als Jobmotor – Wie die Digitalisierung neue Märkte und
Berufsbilder hervorbringt, Dulliken, 2015.
Frey Carl Benedikt et Osborne Michael A., The
Future of Employment: How Susceptible are Jobs
to Computerisation, 2013.
Mokyr Joel, Vickers Chris et Ziebarth Nicolas L.,
« The History of Technological Anxiety and
the Future of Economic Growth : Is This Time
Different? », Journal of Economic Perspectives,
29(3), 2015, pp. 31–50.
Oesch Daniel, Occupational Change in Europe :
How Technology and Education Transform the
Job Structure, 2013, Oxford University Press.
La Vie économique 11/ 2015 13
NUMÉRISATION
Révision de la loi fédérale sur la
protection des données : mettre l’accent
sur la transparence et le contrôle
La technologie et la réglementation au plan européen évoluent. La législation suisse doit
s’adapter. Camille Dubois
Abrégé La loi fédérale sur la protection des données (LPD) date de 1992. La technologie ayant progressé rapidement, l’Office fédéral de la justice (OFJ) a décidé en
2008 de faire évaluer la loi, afin de savoir si elle offrait toujours une protection suffisante. Il ressort de cette évaluation ainsi que des travaux du Département fédéral
de justice et police (DJFP) qui ont suivi que ce n’est, dans certaines situations, pas
le cas. Le Conseil fédéral a, dès lors, chargé le DJFP d’élaborer un projet de révision.
Celui-ci devrait notamment permettre à la Suisse de ratifier la nouvelle convention
STE 108 du Conseil de l’Europe et de transposer les prochaines dispositions de l’UE
en la matière, dans la mesure où elles relèvent de l’acquis de Schengen/Dublin. Il
est, entre autres, envisagé d’améliorer la transparence des traitement de données
ainsi que la maîtrise et le contrôle de ces dernières, de renforcer les pouvoirs du
Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT) et de promouvoir les bonnes pratiques et l’autorégulation. Le projet destiné à la consultation externe doit être soumis au Conseil fédéral fin août 2016 au plus tard.
L a loi fédérale sur la protection des données
(LPD ; RS 235.1) a été adoptée par le Parlement le 19 juin 1992. Il s’agissait alors de faire
face à l’augmentation des risques d’atteinte à la
personnalité que comportaient l’utilisation des
technologies modernes de l’information et de la
communication ainsi que l’intensification massive des traitements de données. Or, à l’époque,
le paysage en matière de protection des données
était très différent de celui d’aujourd’hui. On ne
parlait pas encore d’Internet pour tous et l’accès à
l’informatique ne s’était pas encore démocratisé.
Aujourd’hui, tout le monde dispose d’un ordinateur, d’un téléphone portable ou d’une tablette
connectés ; il est question d’Internet des objets,
de géolocalisation, de mégadonnées (« big data »),
de réseaux sociaux ou encore d’informatique en
nuage (« cloud computing »).
Adapter la loi à l’évolution technologique et au droit européen
Compte tenu de ces développements technologiques et du grand nombre de personnes concernées par la protection des données, l’Office fédé-
14 La Vie économique 11/2015
1 Certaines dispositions,
soit celles introduites
au 1er janvier 2008
(RO 2007 4983) et au
1er décembre 2010 (RO
2010 3387), ont expressément été exclues du
champ d’application de
l’évaluation, en raison
de l’absence de recul
quant à leurs effets.
2 Evaluation des
Bundesgesetzes über
den Datenschutz –
Schlussbericht, 10 mars
2011, pp. 172 et 213s.;
disponible en ligne sur
le site de l’OFJ (Rapport
du Conseil fédéral du 9
décembre 2011 sur l’évaluation de la loi fédérale
sur la protection des
données (FF 2012 255).
ral de la justice (OFJ) a décidé en 2008 de faire
évaluer la LPD, conformément à l’article 170 de
la Constitution fédérale. Le but était de mesurer
l’efficacité de la loi1. En raison du champ d’application très vaste de la LPD et des ressources limitées, l’évaluation s’est concentrée sur certains
des aspects de la loi, à savoir sa notoriété et les
mécanismes de mise en œuvre. Il en résulte que
le niveau de protection est bon dans les domaines
où les défis étaient déjà connus lorsque le texte
est entré en vigueur. Les développements technologiques et sociétaux intervenus depuis lors
représentent, toutefois, autant de nouvelles menaces pour la protection des données que la loi ne
peut plus palier dans certains contextes2.
Sur la base de ce constat, le Conseil fédéral
a chargé le Département fédéral de justice et police (DFJP), dont dépend l’OFJ, d’examiner les mesures législatives qui permettraient de combler
ces lacunes. Le DFJP, dans son examen, devait
notamment tenir compte des réformes en cours
au niveau de l’UE, qui planche sur un projet de
règlement3 ainsi que de directive4, et du Conseil
de l’Europe qui procède à une modernisation de
sa Convention STE 1085. Le contenu de ces textes
est important pour la Suisse. Le projet de directive
fait en effet partie du développement de l’acquis
Schengen et devra être transposé par la Suisse
pour les traitements s’inscrivant dans le cadre de
la coopération policière et judiciaire qui découle
des accords conclus. Quant au projet de règlement,
l’UE pourrait le considérer comme faisant partie
du développement de l’acquis Dublin et donc y
lier la Suisse. Même si l’on fait abstraction de ces
considérations, la Suisse aurait tout intérêt à s’inspirer de la législation européenne si elle souhaite
continuer de bénéficier d’une décision d’adéquation6. Ces réformes devraient aboutir d’ici 2016.
KEYSTONE
Le projet est sur les rails
Au printemps dernier, suite au rapport7 du groupe
chargé d’accompagner les travaux, le Conseil fédéral a confié au DJFP le soin d’élaborer un projet
de révision d’ici fin août 2016. Celui-ci devrait notamment permettre à la Suisse de ratifier la nouvelle Convention STE 108 du Conseil de l’Europe,
ainsi que de transposer la nouvelle directive et
le nouveau règlement de l’UE dans la mesure où
ils relèvent de l’acquis de Schengen/Dublin. La
révision devrait aussi mettre en œuvre la recommandation émise par les experts européens dans
le cadre de l’évaluation Schengen 2014 de doter le
Préposé fédéral à la protection des données et à la
transparence (PFPDT). Le projet pourrait contenir des mesures qui tendront à :
1. Promouvoir les bonnes pratiques et l’autorégulation. Il s’agirait notamment de confier à
un organe (par exemple un comité d’experts)
le soin d’édicter ou d’approuver des règles de
bonnes pratiques. Celles-ci pourraient aussi être élaborées par la branche. Sans être
contraignantes, ces règles serviraient de référence pour les responsables du traitement.
Elles permettraient, entre autres, de trouver
des solutions adaptées aux nouveaux développements technologiques sans réglementer
de manière excessive. Les responsables du
traitement disposeraient d’une certaine latitude dans le choix des solutions, lesquelles
pourraient être modulées selon les risques, le
volume ou le type de données traitées.
2. Prendre en compte les exigences de protection
des données dès la conception et par défaut
(principe de la « privacy by design » et de la
« privacy by default »). Il s’agirait, par exemple,
d’introduire une obligation pour le responsable
du traitement de procéder à une analyse d’impact en cas de risque accru pour la personnalité. Celui-là devrait mettre en place des mesures appropriées notamment en fonction des
risques encourus, de l’état de la technique et
des coûts. Par ailleurs, il devrait privilégier les
réglages par défaut qui sont les plus favorables
à la protection des données. Une autre mesure
Le mandat de la
Confédération en
matière de protection
des données devrait
aboutir à une révision
qui élargirait les
compétences de la loi.
le préposé Hanspeter
Thür s’exprime devant des journalistes.
3 P rojet de règlement relatif à la protection des
données des personnes
physiques à l’égard du
traitement des données
à caractère personnel. Il
est destiné à remplacer
l’actuelle du Parlement
européen et du Conseil
du 24 octobre 1995
relative à la protection
des personnes
physiques à l’égard du
traitement des données
à caractère personnel
et à la libre circulation
de ces données
(JO L 281. p. 31 – 50).
La Vie économique 11/ 2015 15
NUMÉRISATION
serait de donner la possibilité au responsable
de traitement d’avertir le PFPDT, afin de s’assurer qu’il n’existe pas d’obstacle au traitement
envisagé et d’éviter d’éventuelles sanctions.
3. Renforcer la transparence des traitements.
Les personnes concernées doivent pouvoir
utiliser les nouvelles technologies sans renoncer pour autant à leur liberté de décider
quels données personnelles elles entendent
mettre à disposition. Pour ce faire, la collecte
et le traitement des données doivent bénéficier d’une meilleure transparence. Dans la loi
actuelle, le devoir d’information dans le secteur privé n’existe que lorsque des données
sensibles sont collectées et des profils de la
personnalité constitués. Il s’agirait d’étendre
cette obligation à toutes les catégories de données, comme c’est déjà le cas dans le secteur
public. La personne concernée devrait également être informée du fait qu’une décision
l’affectant a été prise de manière purement
automatisée, à savoir sans intervention humaine, et pouvoir donner son point de vue.
Le projet de révision devrait également introduire l’obligation de notifier les violations de
données au PFPDT et d’étendre les informations à fournir lorsque la personne concernée
exerce son droit d’accès.
4. Assurer un meilleur contrôle et une meilleure
maîtrise sur les données une fois celles-ci divulguées. Le droit à l’oubli, qui peut déjà être
déduit implicitement des art.15 et 25 LPD, serait explicité en mentionnant expressément
un « droit à l’effacement ». Il est également
envisagé d’établir un mécanisme alternatif
de règlement des conflits, qui permettrait aux
personnes concernées de faire valoir leurs
droits sans nécessairement devoir se lancer
dans une procédure risquée et coûteuse.
5. Renforcer les pouvoirs du PFPDT. Il est envisagé de conférer au préposé le pouvoir de
rendre des décisions, comme le prévoient les
16 La Vie économique 11/2015
réformes au niveau européen et comme la
Suisse y a été invitée dans le cadre de l’évaluation Schengen de 2014. Actuellement, le
PFPDT ne peut émettre que des recommandations. Il a ensuite la possibilité de les porter
devant les autorités judiciaires si elles ne sont
pas suivies. Ce sont là des compétences assez
faibles, comparées à celles dont disposent
les autorités de contrôle des autres pays européens et les autres organes de surveillance
de la Confédération, qui ont le plus souvent
un pouvoir décisionnel. Le PFPDT pourrait
ainsi rendre une décision interdisant ou suspendant le traitement, ou encore enjoignant
à son responsable de prendre les mesures qui
conviennent. Il serait même habilité, dans
certains cas, à prononcer des sanctions. Ses
décisions pourraient faire l’objet d’un recours.
Les travaux législatifs sont actuellement en
cours. Le catalogue de mesures ci-dessus n’est
nullement exhaustif ou définitif. Le DFJP reste
notamment libre d’examiner d’autres possibilités ou d’en abandonner certaines, en fonction
des réformes européennes. Relevons par ailleurs,
au vu du nombre d’interventions parlementaires
déposées au niveau fédéral (initiatives parlementaires, motions, postulats), que la problématique
de la protection des données trouve un relais important dans le monde politique depuis quelques
années.
Camille Dubois
Unité organisationnelle Projets et méthode législatifs,
Office fédéral de la justice (OFJ), Berne
4 P rojet de directive
relative à la protection
des personnes physiques
à l’égard du traitement
des données à des fins
de prévention et de
détection des infractions
pénales, d’enquêtes et
de poursuite en la matière ou d’exécution de
sanctions pénales. Cette
directive est destinée à
remplacer l’actuelle du
Conseil du 27 novembre
2008 relative à la
protection des données
à caractère personnel
traitées dans le cadre de
la coopération policière
et judiciaire en matière
pénale (JO L 350/60,
p. 60 – 71).
5 Convention du 28 janvier
1981 pour la protection
des personnes à l’égard
du traitement automatisé des données à
caractère personnel (RS
0.235.1).
6 Dans les domaines qui
ne relèvent pas des
accords de Schengen/
Dublin, la Suisse est
considérée comme un
État tiers. L’échange de
données avec l’UE est
en principe soumis à
la condition que cette
dernière reconnaisse à la
législation suisse en matière de protection des
données un niveau de
protection équivalent.
7 Esquisse d’acte normatif
relative à la révision de la
loi sur la protection des
données – Rapport du
groupe d’accompagnement Révision LPD du 29
octobre 2014.
L’ÉVÉNEMENT
Économie numérique : la Suisse doit
passer à la vitesse supérieure
L’UE veut créer un marché unique numérique. La cyberadministration en est un pilier important. La Suisse ferait bien de s’inspirer de l’évolution en cours. Elle est mal positionnée
par rapport à l’Europe en ce qui concerne les échanges numériques entre les institutions
étatiques, les entreprises et les citoyens. Christian Weber, Alessia C. Neuroni, Andreas
Spichiger
Abrégé Internet et les technologies informatiques modifient le visage de la société. Forte de ce constat, la Commission européenne a défini le marché unique
numérique comme l’une de ses dix grandes priorités. Elle le considère comme une
condition pour exploiter le potentiel de l’économie numérique. La cyberadministration est un instrument phare dans la stratégie de l’UE. Le projet européen devrait
inciter la Suisse à passer à la vitesse supérieure pour faire encore mieux. Il convient
de définir ce qui doit être coordonné avec l’étranger et ce que nous pouvons faire
nous-mêmes. Les solutions à trouver doivent être adaptées à la réalité suisse. L’État
doit créer les incitations nécessaires, supprimer les éventuels obstacles, montrer
l’exemple et, ainsi, encourager l’économie numérique.
L 1 Pour de plus amples
informations sur le marché unique numérique,
voir www.ec.europa.eu.
2 Commission européenne (2015), fiche
d’information sur le
marché unique numérique.
a réalisation du marché unique numérique
est l’une des dix grandes priorités de la Commission européenne. La cyberadministration
– soit les échanges numériques entre les institutions étatiques, les entreprises et les citoyens
– est un moyen essentiel d’y parvenir. En avril
dernier, le commissaire européen à l’économie
numérique et à la société, Günther Oettinger, a
présenté une stratégie ambitieuse. Selon ses prévisions, le marché unique numérique, qui pourrait générer plus de 400 milliards d’euros par an,
contribuera à l’activité économique dans la zone
euro, créera des emplois et instaurera une société
de la connaissance dynamique1.
Les petites et moyennes entreprises (PME) de
l’UE, en particulier, n’exploitent pas le potentiel
disponible : seules 7 % d’entre elles réalisent des
ventes transfrontières2. Le marché unique numérique leur permettrait d’y voir plus clair dans
la réglementation applicable. Les frais de livraison devraient se réduire. Les PME et les jeunes
pousses auront tout à y gagner. Le potentiel libéré par les simplifications juridiques et techniques
stimulera la croissance de toute l’économie et
augmentera l’efficacité des services, y compris
dans les contacts avec les autorités3.
KEYSTONE
La cyberadministration a beaucoup
d’avenir en Suisse.
Une caméra vérifie si
un poids lourds a payé
la redevance liée aux
prestations (RPLP).
La Vie économique 11/ 2015 17
KEYSTONE
NUMÉRISATION
Le projet de marché unique vise à exploiter les
possibilités résultant des services numériques. Il
s’agit aussi de renforcer les consommateurs, en
établissant la confiance et la sécurité nécessaires
dans les services numériques et en encourageant
une politique des prix équitable. L’objectif est de
faire des 28 marchés nationaux de l’UE un marché
unique numérique pour les biens et les services,
que ceux-ci soient physiques ou numériques.
Pour cela, il faut améliorer l’accès aux biens
et services en supprimant les obstacles dans
les échanges transfrontaliers en ligne. La mise
en place d’une infrastructure et de services de
contenu performants, sécurisés et fiables créera
un environnement favorable pour les réseaux et
les services numériques. Il est aussi prévu d’améliorer les possibilités de coopération entre les
systèmes (interopérabilité), par exemple dans la
santé, l’énergie et les transports, ce qui accélérera
la croissance économique4.
Dans ce contexte, la cyberadministration
fournit l’infrastructure requise et instaure la
confiance nécessaire dans les transformations
en cours. Les thèmes intéressants pour la Suisse
sont en particulier le traitement des données à
18 La Vie économique 11/2015
La Suisse doit surmonter les difficultés
de l’ére numérique
avec des solutions
qui lui sont propres.
« Google Trekker » sur
le Monte Generoso au
Tessin.
caractère personnel, l’établissement d’une infrastructure de données ouverte et l’interopérabilité entre des systèmes de domaines et de pays
différents.
La cyberadministration pour un
marché unique numérique
3 Commission européenne, Questions and
answers - Digital Single
Market Strategy, 6 mai
2015.
4 Commission européenne, Stratégie pour
un marché unique numérique en Europe, 6 mai
2015. Voir également
l’article de Barbara
Montereale (Mission
de la Suisse auprès de
l’Union européenne)
dans le présent numéro.
5 Étude Future-proofing
eGovernment for a
Digital Single Market,
23 juin 2015, à télécharger sur Capgemini.com.
Depuis dix ans, l’UE évalue les progrès accomplis en Europe en matière de cyberadministration. Elle mesure également les créations d’entreprises, les emplois perdus, l’offre d’emplois
et la formation dans 33 pays européens, dont la
Suisse5. Les critères d’évaluation appliqués dans
l’étude de l’UE sont la centricité-utilisateur, la
transparence, la mobilité transfrontière et les
« incitations-clés ». Dans la cyberadministration,
ces incitations-clés sont les suivantes :
–– données authentique : registres de référence
pour la fourniture de données sur des personnes ou des entreprises ;
–– authentification unique : une seule inscription
sur un site de l’administration est nécessaire
pour pouvoir utiliser d’autres sites ;
–– identification électronique de l’utilisateur ;
L’ÉVÉNEMENT
–– documents électroniques : envoi et réception
de documents authentiques ;
–– « eSafe » : échange de données et de documents
électroniques ;
–– principe « une fois seulement » : toutes les informations requises par l’État ne sont transmises qu’une seule fois.
Si la Suisse se situe légèrement au-dessous
de la moyenne en ce qui concerne la centricitéutilisateur et la mobilité transfrontière, elle est
loin derrière dans l’évaluation de la transparence
et des incitations-clés6. Elle est très mal notée
en particulier sur la transparence en matière de
prestations fournies et de données personnelles :
dans ces catégories, les pays qui obtiennent les
meilleurs résultats sont Malte et l’Estonie, car ils
fournissent aux utilisateurs finaux une bonne
vue d’ensemble des progrès accomplis et des données détenues sur les citoyens.
Les structures fédérales sont
à la fois une chance et un défi
L’UE considère la création du marché unique
numérique dans une perspective globale. La
décision d’en faire une priorité stratégique et
de financer la mise en place de l’infrastructure
de services numériques dans le programme
« Connecting Europe Facility » devrait permettre
des progrès décisifs jusqu’en 2020. À long terme,
toutes les autorités, tous les domaines et tous les
pays devraient converger vers des services numériques communs.
Pour la Suisse, il est important d’observer
l’évolution en cours et de ne pas rater le train. La
question qu’elle doit se poser est la suivante : où
une coordination internationale est-elle nécessaire pour réaliser l’économie numérique et que
pouvons-nous faire nous-mêmes ? Les caractéristiques principales doivent absolument être compatibles avec l’étranger. Les structures fédérales
posent en cela des défis particuliers. Elles sont ainsi une chance d’étendre l’interopérabilité à tout le
territoire suisse : tous les groupes d’intérêt gagnent
en efficacité et en efficience si les services des autorités sont transparents et uniformes à tous les
niveaux administratifs. Cela accroît également la
transparence pour les citoyens et les entreprises.
De surcroît, il est plus facile d’intégrer des services
fédéraux dans un contexte international que des
services centralisés.
Les transformations nécessaires seront traitées dans la stratégie pour une société de l’information7, qui est en cours de remaniement pour la
prochaine législature 2016–2019. Ce document
tiendra compte de tous les domaines de l’économie et de la société. Il garantira que les atouts du
numérique servent durablement la prospérité et
la qualité de vie de toute la société.
Il faut passer à l’action
La numérisation est un mouvement de fond qui ne
s’arrêtera pas. La Commission européenne considère la réalisation du marché unique numérique
comme une condition pour exploiter le potentiel
économique. L’étude citée sur la cyberadministration esquisse des pistes : à chaque phase de développement, les aptitudes des parties intéressées
qui veulent faire avancer la numérisation doivent
être prises en considération. La collaboration des
autorités entre elles, avec les entreprises et avec
les citoyens doit se baser sur une infrastructure
numérique commune. Les solutions doivent fonctionner dans le contexte culturel de chaque pays.
Pour la Suisse, cela signifie qu’attendre des
solutions internationales ou européennes en matière d’identification électronique ou de dossier
numérique du patient n’est pas une option. On
apprend dans l’action, et non dans l’observation.
Les développements en cours à l’étranger doivent
nous inciter à retrousser nos manches pour continuer de nous améliorer. Si la Suisse sait ce qu’elle
doit coordonner avec l’étranger et ce qu’elle peut
faire elle-même, elle sera en mesure de définir les
justes priorités.
Christian Weber
Chef de la Cyberadministration PME, secteur
Politique PME, Secrétariat
d’État à l’économie (Seco),
Berne
Alessia C. Neuroni
Professeure, cheffe du
pôle Open & Linked Data,
cheffe suppléante de
l’Institut de cyberadministration, Haute école
spécialisée bernoise
6 Fiche d’information sur
la Suisse à télécharger
sur Joinup.ec.europa.eu.
7 Département fédéral de
l’environnement, des
transports, de l’énergie
et de la communication
(Detec), Stratégie du
Conseil fédéral pour une
société de l’information
en Suisse, mars 2012, à
télécharger sur
www.bakom.admin.ch.
Andreas Spichiger
Professeur, chef de
l’Institut de cyberadministration, Haute école
spécialisée bernoise
La Vie économique 11/ 2015 19
NUMÉRISATION
L’ouverture d’un marché unique
numérique dans l’UE pourrait avoir des
conséquences pour la Suisse
L’UE souhaite créer un marché unique numérique en Europe. Pour cela, il faut abolir les
obstacles règlementaires entre les États membres. De son côté, la Suisse doit veiller à ce
que ses entreprises et ses consommateurs puissent accéder à ce nouveau marché unique. Barbara Montereale
Abrégé La création d’un marché numérique unique est l’une des priorités de la
Commission européenne. Avec sa nouvelle « Stratégie pour un marché unique numérique en Europe », l’UE est décidée à tirer parti de la révolution en cours dans ce
domaine pour stimuler la croissance et rester un leader mondial de l’économie numérique. Un tel marché pourrait avoir aussi des conséquences pour la population
de notre pays et son économie. Les entreprises suisses risquent, en effet, d’avoir
des difficultés à accéder au marché européen ou de perdre de leur compétitivité.
La Suisse doit évaluer avec attention les implications potentielles de la politique
numérique de son premier partenaire commercial et agir en conséquence.
L’ 1 Voir www.ec.europa.eu.
20 une des dix priorités de la Commission européenne, présidée par Jean-Claude Juncker,
est la création d’un marché unique numérique1.
L’Union européenne (UE) souhaite supprimer les
obstacles règlementaires et réunir les 28 marchés
nationaux en un seul. Ainsi, la population et les
entreprises bénéficieront d’un accès homogène et
équitable aux biens et aux services en ligne, quel
que soit leur lieu de résidence.
Le marché unique numérique pourrait apporter 415 milliards d’euros par an à l’économie
européenne, ce qui stimulera la création d’emplois, la croissance, la concurrence, l’investissement et l’innovation. Il permettra d’offrir un plus
large choix et de meilleurs services à des prix plus
avantageux, favorisera la création de nouvelles
jeunes pousses (« start-ups ») et facilitera le développement des entreprises existantes au sein
d’un marché comptant plus de 500 millions de
consommateurs.
La nouvelle « Stratégie pour un marché
unique numérique en Europe » a été présentée au
printemps dernier. Cette vaste réforme du cadre
numérique de l’UE comprend seize actions, ar-
La Vie économique 11/2015
ticulées autour de trois piliers, qui devront être
mises en œuvre avant la fin de l’année prochaine
(voir tableau).
Améliorer l’accès aux biens
et services numériques
Le premier pilier vise à améliorer l’accès aux
biens et services numériques, en supprimant les
obstacles aux activités en ligne transfrontières,
tels que des règlementations différentes entre
États membres ou le manque de confiance des
acheteurs et des vendeurs à l’égard des transactions en ligne.
L’UE a prévu huit mesures afin d’atteindre
cet objectif. Elle souhaite, par exemple, faciliter
le commerce électronique transfrontière, en particulier pour les petites et moyennes entreprises
(PME), en harmonisant les droits des consommateurs et les règles contractuelles, et en améliorant les services de livraison transfrontalière
des colis. Selon la Commission européenne,
seuls 15 % des consommateurs achètent via Internet dans un autre pays de l’UE et 62 % des
entreprises qui souhaiteraient vendre en ligne
y renoncent en raison de frais de livraison jugés trop élevés. Il est aussi prévu de réduire les
coûts de mise en conformité en matière de taxe
sur la valeur ajoutée (TVA), en s’entendant sur
un taux unique et en mettant en place une même
procédure électronique d’enregistrement et de
paiement.
L’UE veut aussi faciliter l’accès au contenu
et aux services en ligne, en élargissant le choix
KEYSTONE
des consommateurs, en réduisant les prix des
contenus numériques et en favorisant la diversité culturelle. À cette fin, il est prévu de moderniser les règles sur le droit d’auteur pour des
aspects tels que la portabilité des contenus (visualisation à l’étranger d’un contenu acheté légalement dans un autre État membre), la sécurité juridique pour les utilisations transfrontières
ou les exceptions pour les chercheurs lors du
traitement des données. Une proposition législative est attendue avant la fin de 2015.
Enfin, le blocage géographique injustifié sera
interdit. Il s’agit de la pratique discriminatoire
qui empêche les consommateurs d’utiliser les
services en ligne disponibles dans d’autres pays
de l’UE ou qui les renvoie vers un site de leur
propre pays avec des prix différents. Des propo-
Le marché unique
numérique pourrait
apporter plus de
400 milliards d’euros
par an à l’économie
européenne. La
chancelière allemande
Angela Merkel avec
son collègue britannique, David Cameron,
au Cebit, la foire des TI
de Hanovre.
sitions législatives dans ce domaine pourraient
être faites dès le début de 2016.
Créer un environnement propice
au développement des réseaux et des
services numériques
Le deuxième pilier vise à créer un environnement
propice au développement des réseaux et services
numériques innovants, ainsi que des conditions
de concurrence équitable.
La mise en œuvre de cette priorité nécessite
des infrastructures à haut débit qui soient rapides, sécurisées et fiables. En 2016, l’UE révisera
ainsi la réglementation sur les télécommunications. Elle adoptera une approche plus harmonisée entre les États membres concernant les règles
La Vie économique 11/ 2015 21
NUMÉRISATION
sur la protection des données personnelles ainsi
que la sécurité des réseaux et de l’information
(cybersécurité).
L’UE analysera aussi le rôle des plateformes
en ligne (moteurs de recherche, médias sociaux,
plateformes de commerce électronique, etc.).
Celles-ci jouent un rôle de plus en plus important
dans la vie des utilisateurs. Toutefois, elles suscitent aussi des inquiétudes quant à la transparence des résultats de recherches, à l’utilisation
de l’information, à la promotion de leurs propres
services et aux contenus illicites.
Enfin, en 2016, les règles du secteur audiovisuel seront révisées pour tenir compte de l’évolution des nouvelles technologies, des nouveaux
moyens d’accéder au contenu (p. ex. smartphone)
et des services à la demande (p. ex. Netflix).
Encourager la croissance
de l’économie numérique
Le troisième pilier vise à maximiser le potentiel
de croissance de l’économie numérique. La Com-
mission européenne a constaté que 75 % de la valeur ajoutée de l’économie numérique ne provient
pas des entreprises actives dans les technologies
de l’information et de la communication (TIC),
mais des branches traditionnelles. En outre,
seules 1,7 % des entreprises conventionnelles
tirent pleinement parti des technologies numériques. Le passage de tous les secteurs à l’économie numérique favoriserait la croissance économique et l’inclusion sociale.
L’UE veut créer une économie des données compétitive et innovante en favorisant la circulation des
données ainsi que l’utilisation de l’informatique en
nuage (« cloud »), des mégadonnées (« big data ») et
de l’Internet des objets (« Internet of things »).
L’adoption de normes homogènes et l’amélioration de l’interopérabilité dans des domaines
cruciaux, tels que la santé (télémédecine, santé mobile), les transports (planification d’itinéraires, fret en ligne) ou l’énergie (compteurs intelligents), est aussi une priorité.
Afin d’assurer une société numérique inclusive – autrement dit à laquelle tout le monde par-
Feuille de route du marché numérique unique
2015
2016
I. Améliorer l’accès aux biens et services numériques
Proposition législative relative à un
droit commun européen de la vente
permettant des contrats transfrontaliers simples et efficaces pour les
consommateurs et les entreprises
Examen du règlement sur la coopéraÉtude de grande ampleur destinée à
préparer des propositions de lois inter- tion en matière de protection des
disant tout blocage géographique in- consommateurs
justifié
Enquête sur la concurrence dans le
secteur du commerce électronique,
concernant le commerce en ligne de
biens et la fourniture en ligne de
services
Propositions législatives en vue d’une
réforme du droit d‘auteur
Dispositions dans le domaine de la livraison des colis
Examen de la directive sur la radiodif- Propositions législatives pour réduire la
fusion par satellite et la retransmission charge administrative pour les entreprises liée aux différents régimes de
par câble
TVA
II. Créer un environnement propice au développement des réseaux et services numériques
Propositions législative en vue de réformer les règles en matière de télécommunications
Examen de la directive « vie privée et
communications électroniques »
Examen de la directive sur les services Établissement d’un partenariat pude média audiovisuels
blic-privé en matière de cybersécurité
III. Maximiser le potentiel de croissance de l’économie numérique
Adoption d’un plan intégré de normalisation dans le domaine des TIC et
extension du cadre d’interopérabilité
européen pour les services publics
22 La Vie économique 11/2015
Initiatives sur la propriété des données
et sur leur libre circulation (p. ex. entre
fournisseurs de services en nuage),
ainsi que sur un nuage européen
Nouveau plan d’action pour l’administration en ligne, comprenant une initiative en faveur du principe « une fois
pour toutes » et une autre sur l’interconnexion obligatoire des registres de
commerce
COMMISSION EUROPÉENNE / LA VIE ÉCONOMIQUE
Analyse circonstanciée du rôle des
plateformes numériques sur le marché
(y compris dans le cas des contenus
illégaux)
L’ÉVÉNEMENT
ticipe –, l’UE fera des compétences numériques
un élément essentiel de ses futures initiatives en
matière de formation. Elle présentera, en outre,
l’année prochaine un nouveau plan d’action pour
l’administration en ligne.
Il est essentiel que la Suisse
puisse avoir accès au
marché numérique unique
La Suisse a reconnu l’importance des TIC et de
la révolution numérique pour son économie.
Plusieurs stratégies nationales couvrent des
domaines qui vont de la société de l’information à l’administration en ligne, en passant par
la cybersécurité, le droit d’auteur, l’informatique en nuage et la cybersanté. Cependant, la
stratégie européenne pourrait avoir un impact
sur la Suisse et sur son accès au marché unique.
Ses entreprises, quel que soit le secteur économique, auront peut-être des difficultés à accéder
au marché de l’UE, au cas où celui-ci se concrétiserait.
Nos entreprises pourraient également perdre
de leur compétitivité en raison de la forte concurrence qui règnera au niveau européen. Parallèlement, il est possible que les fournisseurs européens ne soient pas incités à vendre leurs biens
et services (numériques ou pas) en Suisse, seul
pays du continent à avoir des règles différentes
(p. ex. sur les contrats lors des achats en ligne).
Ceci constituerait un désavantage non seulement
pour les consommateurs, mais aussi pour nos
entreprises. Les Suisses risquent aussi d’être les
seuls à ne pas avoir accès à tous
les contenus et services numériques en Europe ou à ne pas
Les entreprises
pouvoir visualiser à l’étranger
suisses de tous les
un contenu acheté légalement
secteurs économiques
dans leur pays.
auront peut-être des
Pour éviter de rester isolée
dans un domaine crucial pour
difficultés à accéder au
la croissance économique et qui
marché de l’UE.
évolue très rapidement, la Suisse
doit évaluer attentivement l’impact potentiel des mesures européennes sur son
économie et agir en conséquence. Elle pourrait
ainsi adapter sa législation à celle de l’UE dans
certains domaines ou régler ces questions dans
des accords bilatéraux (nouveaux ou existants).
Barbara Montereale
Détachée de l’Office fédéral de la communication
(Ofcom) à la Mission de la Suisse auprès de l’Union
européenne, Bruxelles
La Vie économique 11/ 2015 23
NUMÉRISATION
Smartphones et mégadonnées :
la banque en effervescence
La numérisation agite le monde de la finance. Elle transforme les structures du secteur
bancaire et stimule la concurrence internationale. Samuel Schenker
Abrégé Paiements par téléphone portable, utilisation de monnaies virtuelles,
financement participatif… Tous ces progrès techniques bouleversent le secteur
des services financiers. Ils battent en brèche les modèles d’affaires traditionnels des banques, dont le pré carré est de plus en plus envahi non seulement par
des géants de l’Internet, comme Google ou Facebook, mais aussi par de jeunes
entreprises. S’il incombe d’abord au secteur privé de s’adapter à ces tendances,
la concertation avec le secteur public est néanmoins primordiale pour définir
le cadre juridique le plus propice possible et consolider notre place financière.
C’est dire si les aspects où convergent intérêts privés et tâches publiques méritent un examen approfondi.
D 1 « The Fintech Revolution », The Economist,
9 mai 2015.
2 Nous limiterons ici
notre propos à la
numérisation dans le
secteur bancaire, même
si l’essor de la numérisation dans le secteur
financier concerne
aussi d’autres branches,
comme les assurances.
24 epuis quelques années, la numérisation est
sur toutes les lèvres. Le secteur bancaire
n’est pas épargné. Il ressort transformé du jaillissement des nouvelles techniques financières
telles que les systèmes de paiement par téléphone portable, les monnaies virtuelles et l’octroi de prêts en ligne entre particuliers. Prises
dans leur ensemble, ces nouveautés sont en mesure de battre en brèche les modèles d’affaires
actuels et d’accélérer le changement structurel
du secteur financier, du moins à long terme.
Les banques traditionnelles sont ainsi mises à
rude épreuve par des concurrents issus d’autres
secteurs, en particulier des sociétés technologiques, comme Google, Apple ou Facebook, mais
aussi par de jeunes pousses. La croissance du
marché de la haute technologie financière est
imparable : selon la revue britannique The Economist1, 12 milliards d’USD ont été investis dans ce
secteur en 2014, contre 4 milliards l’année précédente (voir illustration 1).
Cette tendance stimule la concurrence non
seulement entre les entreprises, mais aussi entre
les sites. Si la Silicon Valley est le numéro 1 incontesté de la numérisation financière, Londres s’affirme comme le pôle européen du secteur, tandis
que Singapour se profile comme le chef de file en
Asie. En dépit de ses atouts remarquables (situation politique, savoir-faire des banques et des as-
La Vie économique 11/2015
surances, universités à la pointe de la recherche,
etc.), la Suisse n’a pas encore exploité pleinement
son potentiel dans ce domaine.
Smartphones et mégadonnées
Ce sont les nouvelles techniques qui permettent
de numériser les divers domaines composant les
services financiers2. Elles comprennent en particulier des applications hébergées sur des dispositifs portables, toujours plus complètes, ainsi
que la capacité croissante de stocker et de gérer
d’importants volumes de données (mégadonnées
ou « big data »).
Ces dernières années, la façon dont nous utilisons Internet s’est profondément modifiée. En
Suisse, près des deux tiers des accès à la Toile se
font aujourd’hui à partir de dispositifs portables,
alors que cette proportion était bien inférieure à la
moitié en 2010 (voir illustration 2). Le taux de pénétration des smartphones – ou téléphones intelligents – est supérieur à la moyenne européenne
(voir illustration 3). Ce succès sans précédent des
dispositifs portables – qui comprennent désormais
non seulement des téléphones et des tablettes,
mais aussi des montres – modifie aussi la donne
dans le secteur bancaire. Trafic des paiements, restructuration des portefeuilles, demande de crédits :
de plus en plus de clients demandent en effet de réaliser ces opérations sur leur appareil portable, ce
qui est aujourd’hui techniquement possible.
Dans le secteur bancaire, la principale application du « big data » est l’analyse des données
personnelles des clients, qui permet de personnaliser les offres. La clé du succès réside ici dans
la capacité à analyser les mouvements effectués
par les clients et à établir des liens entre eux,
afin d’anticiper leurs souhaits sur la base d’algorithmes perfectionnés et de leur proposer des
produits à haute valeur ajoutée.
L’ÉVÉNEMENT
Il suffit de jeter un coup d’œil au marché des finances pour voir qu’une foule de nouveaux venus
se pressent au portillon. Des géants de l’Internet,
comme Google ou Facebook, possèdent des licences
de banque électronique. PayPal dispose d’une licence bancaire et une profusion de nouvelles entreprises proposent des services bancaires.
En exploitant d’immenses quantités de données personnelles qui proviennent de groupes
cibles précis, les fleurons de la Toile visent à
concurrencer les prestataires traditionnels
d’autres secteurs. De nombreuses entreprises
disposent déjà de plus d’informations sur les
clients potentiels des banques que les banques
elles-mêmes.
Si les banques avaient auparavant une longueur d’avance sur leurs clients en matière d’information (concernant les possibilités de placement, par ex.), les renseignements sur les clients
existants et potentiels constituent désormais
un avantage comparatif toujours plus important pour un prestataire financier3. De surcroît,
de nombreux clients honorent de leur confiance
les sociétés actives sur Internet, dont ils apprécient la convivialité, la facilité d’utilisation et la
fiabilité.
Les géants de l’Internet sont imités par de
nouvelles entreprises à haute technologie financière, dont le nombre croît à un rythme soutenu.
La Suisse en compte déjà une centaine. Certaines
de ces sociétés concurrencent directement les
banques dans des secteurs d’activités concrets,
comme la gestion de fortune, le crédit et le trafic
3 F intech – Die digitale (R)
evolution im Finanzsektor, Deutsche Bank
Research, Francfort,
2014.
Le chef de Paypal, Dan
Schuman, fait un « selfie » lors de l’entrée en
bourse de la société, à
New York. Le service
de paiement en ligne
possède une licence
bancaire.
KEYSTONE
Google, Facebook et les jeunes entreprises à haute technologie financière
La Vie économique 11/ 2015 25
NUMÉRISATION
des paiements. D’autres jeunes pousses se spécialisent dans les logiciels de chiffrement ou dans
les services de consultation et de comparaison.
Les nouvelles technologies modifient les modes de pensée et de fonctionnement, ce qui exige
de nouvelles compétences, tant des techniciens
que des dirigeants. Les banques traditionnelles
ont beau recruter des spécialistes en plus grand
nombre, leurs nouveaux concurrents gardent
une longueur d’avance, de sorte que l’innovation
est avant tout le fait de sociétés technologiques
étrangères au secteur bancaire. Il n’en reste pas
moins que les banques s’efforcent elles aussi de
ne pas rater le train de l’innovation en réalisation
des acquisitions, en créant des incubateurs d’entreprises4 ou en lançant leurs propres initiatives.
Des clients en quête d’offres
sur mesure
Si les banques étaient auparavant les protagonistes des progrès techniques dans leur domaine, c’est en revanche la demande des clients
qui a abouti à la création de la banque numérique5. Désormais, grâce aux nouvelles technologies, ces clients peuvent comparer et utiliser
en parallèle un vaste choix de produits et de
prestataires, ce qui favorise la transparence et
les rend plus exigeants lorsqu’ils interagissent
avec leur banque.
Nous assistons à l’essor de la personnalisation, entendue tant comme la fourniture de services sur mesure grâce à l’analyse des données
personnelles que comme le fait d’associer le client
à la conception des produits. Ce dernier attend
aussi de sa banque des prestations intégrées, une
assistance 24 heures sur 24 et des applications
pour dispositifs portables.
À l’ère numérique, l’interface avec la clientèle est un espace clé, que les nouveaux venus
disputent aux banques traditionnelles. Les entreprises se situant dans cet espace pourraient
toutefois bientôt priver ces dernières d’autres
segments de la chaîne de valeur ajoutée.
La politique en matière de marchés
financiers est concernée
Dans le secteur bancaire, la numérisation n’est
encore guère avancée et il est difficile de prédire
26 La Vie économique 11/2015
quelles technologies s’imposeront et quels modèles d’affaires l’emporteront à terme. Il n’en est
pas moins important de réfléchir suffisamment
tôt aux aspects qui concernent
aussi les missions de l’État, et
Les entreprises se situant notamment au régime réglementaire du système financier.
dans cet espace pourEn Suisse, le système poliraient toutefois bientôt
tique confie à l’État le soin de
priver les banques
poser le cadre légal et régletraditionnelles d’autres
mentaire, mais pas d’intervesegments de la chaîne de nir dans la stratégie des entreprises. Ainsi, la définition
valeur ajoutée.
des orientations stratégiques
est du ressort du propriétaire, qui doit aussi répondre des pertes en cas d’échec. Il n’est ni
possible ni souhaitable que l’État assume cette
responsabilité6.
La politique en matière de marchés financiers
comprend notamment la réglementation et la
surveillance des marchés financiers, les bases de
la fiscalité ou l’intégration de la Suisse dans les
échanges internationaux7. Font en outre partie
des conditions-cadres des marchés financiers la
politique monétaire, la préservation d’un marché
de l’emploi souple et ouvert, le haut niveau du système éducatif, des infrastructures performantes
ainsi que la préservation de la capacité d’innovation et de la compétitivité du secteur financier.
La réglementation a pour but de protéger les
clients et les investisseurs, tout en préservant la
sécurité et la stabilité du système financier et en
garantissant son bon fonctionnement. Il s’agit de
sauvegarder ainsi la confiance accordée à la place
financière suisse et la réputation dont celle-ci jouit.
La numérisation du secteur bancaire et les
objectifs
de la politique suisse en matière de mar4 Les incubateurs
d’entreprises sont des
chés financiers présentent plusieurs points de
structures d’accomconvergence, notamment en ce qui concerne la
pagnement de jeunes
entreprises (coaching,
protection des clients et des données, la stabilicession de locaux et
d’infrastructures, etc.).
té du système, la neutralité concurrentielle et la
5 The Digital Revolution
promotion économique.
in Banking, Group of
Thirty, Washington
D.C., 2014.
6 Rapport final du groupe
d’experts chargé du
développement de la
stratégie en matière de
marchés financiers, SFI,
Berne, 2014.
7 Rapport concernant
la politique de la
Confédération en matière
de marchés financiers,
SFI, Berne, 2012.
Protection de la clientèle
La protection de la clientèle est concernée à plus
d’un titre par la numérisation. Ainsi, des produits
standards ou des informations numériques se
substituent aux conseils personnels, comme le
montrent les exemples suivants : octroi en ligne
de crédits hypothécaires, octroi de prêts entre
Ill. 1. Investissements mondiaux dans la haute technologie financière (en milliards d’USD)
14
12,3
12
10
THE ECONOMIST (2015) / LA VIE ÉCONOMIQUE§
8
6
4
4
2
2,5
2,8
2011
2012
0
2013
2014
Autres pays États-Unis
Ill. 2. Accès mobiles à Internet en Suisse, 2010 et 2014, en %
2010
2014
66
0
5
10
15
20
25
30
35
40
45
50
55
60
65
OFS / LA VIE ÉCONOMIQUE
43
Ill. 3. Accès à Internet à partir de smartphones, de tablettes et d’ordinateurs portables en Europe (2014), en %
Espagne
Suède
Grande-Bretagne
Pays-Bas
Autriche
Suisse
France
OFS / LA VIE ÉCONOMIQUE
UE28
Allemagne
Italie
0
10
20
30
40
50
60
70
80
Smartphones Tablettes ou ordinateurs portables
L’illustration montre le pourcentage d’habitants qui possèdent un appareil portable pour avoir accès à Internet en dehors de leur
domicile et de leur lieu de travail ; en pourcentage de tous les utilisateurs d’Internet, de 16 à 74 ans.
KEYSTONE
NUMÉRISATION
particuliers et placements automatisés. Le client
s’informe sur des forums ou en consultant des
évaluations en ligne et souhaite parvenir à une
décision en quelques clics. L’autorité de surveillance doit ainsi se demander s’il connaît réellement le produit qu’il achète : le fournisseur honore-t-il ses obligations d’information lorsque le
client virtuel clique sur le bouton « J’accepte » ?
La sécurité cybernétique est l’autre grand
chantier de la protection des clients : dans le sillage de la numérisation, un nombre croissant de
transactions financières se font en ligne ou sur
des périphériques portables ; les données sont de
plus en plus stockées dans des nuages publics, ce
qui accroît le risque des cyberattaques et exige
une protection renforcée des fonds de la clientèle. Puisque ces attaques mettent aussi sérieusement en danger la réputation de la place financière, une collaboration étroite s’impose entre le
secteur financier et les autorités de surveillance.
Protection des données
La discrétion a toujours été au cœur du système
bancaire. Par principe, les données personnelles
des clients ne sont ni publiées, ni transmises à
28 La Vie économique 11/2015
Les grandes entreprises technologiques étasuniennes
défient les banques.
Le campus Facebook
en Californie.
des tiers, sauf si la loi l’exige. L’irruption dans les
affaires bancaires de fournisseurs en provenance
d’autres secteurs a fait apparaître une nouvelle
culture de la gestion des données.
En effet, les modèles d’affaires des sociétés
technologiques sont souvent axés sur l’exploitation, l’achat et la vente des données personnelles.
Puisqu’ils aboutissent à une baisse des prix, cette
tendance pourrait finir par s’imposer dans les
services financiers. En d’autres termes, les autorités doivent mettre dans la balance d’une part l’accroissement de l’efficience des services financiers
et, d’autre part, le besoin de protection des données personnelles. L’important en l’occurrence
est de régir de façon uniforme l’analyse et la divulgation des données, afin de veiller à instaurer
des règles de concurrence équitables.
Stabilité du système
Les nouvelles technologies bouleversent non
seulement la gestion des risques, mais aussi les
risques auxquels sont exposées les banques.
Ainsi, la disponibilité des données et l’amélioration des instruments d’analyse pourraient
affiner l’évaluation des risques de crédit et
L’ÉVÉNEMENT
donc les diminuer, alors que la numérisation
des processus pourrait réduire les risques
d’exploitation.
La numérisation peut toutefois aussi nuire à
la stabilité du système. Songeons à la vulnérabilité aux cyberattaques, à l’interpénétration toujours plus poussée du système financier et son
corollaire, l’effet domino, ainsi qu’à l’existence de
nouvelles infrastructures critiques. Par ailleurs,
si les transactions réalisées sur des dispositifs
portables constituaient une part importante du
trafic des paiements, celui-ci souffrirait d’une
certaine dépendance envers les opérateurs de
téléphonie mobile.
Neutralité concurrentielle
Les autorités ont l’obligation de prendre en considération les effets de toute norme sur l’environnement concurrentiel, la structure du marché et le
comportement des agents économiques, afin de
garantir à l’ensemble de ceux-ci des conditions de
concurrence comparables. S’agissant de la numérisation, il faudrait s’assurer que la réglementation
ne « protège » pas les modèles d’affaires traditionnels contre le progrès technique, freinant ainsi
l’innovation.
Par ailleurs, il conviendrait de revoir ou
d’abroger les lois qui ne se révèleraient plus efficaces ou nécessaires en raison des avancées techniques. À titre d’exemple, le réexamen de l’ordonnance sur le blanchiment d’argent permettrait de
savoir s’il est possible, grâce aux nouveaux instruments d’identification numériques, d’ouvrir
un compte en banque en ligne.
Il faut également s’assurer que les services
présentant les mêmes risques seront régis par les
mêmes normes, peu importe qu’ils soient fournis
par des banques traditionnelles ou par des nouveaux venus. Citons comme exemple la gestion de
fortune transfrontalière, un domaine dans lequel
les banques sont soumises à des normes strictes :
il faudrait veiller à ce que les investisseurs qui
procèdent à des placements automatisés ne
jouissent pas d’un avantage comparatif injustifié
en tirant parti de la réglementation laxiste de certaines places financières.
Promotion économique
Certains réclament une promotion ciblée de notre
place financière, notamment auprès des sociétés à
haute technologie financière. Ils évoquent l’exemple
des centres financiers de Londres et de Singapour,
où les autorités promeuvent les sociétés locales et
attirent des fournisseurs étrangers, en leur offrant
notamment des allégements fiscaux et des consultations juridiques gratuites et en investissant dans
des pôles technologiques et des infrastructures8.
Par rapport à Londres et à Singapour, la Confédération n’a guère les coudées franches : en Suisse,
il incombe pour l’essentiel au secteur privé de s’adapter à ces tendances et les autorités ne doivent
Les modèles d’affaires
a priori ni assurer un pilotage, ni
des sociétés technointervenir. Comme nous l’avons
logiques sont souvent
indiqué ci-dessus, la politique féaxés sur l’exploitation,
dérale en matière de marchés financiers a pour priorité l’instaul’achat et la vente des
ration d’un cadre réglementaire
données personnelles.
approprié.
Signalons, pour conclure, que
par sa rapidité et sa complexité, la numérisation
impose à toutes les parties concernées de dialoguer
en permanence. Autorités et entreprises disposent
à cette fin de plusieurs mécanismes d’échange qui
leur permettent de s’asseoir à la même table. Assu- 8 Fintech – The UK’s unique
environment for growth,
rément, la question de l’innovation numérique ne
UK Trade & Investment,
Londres, 2014.
peut que s’inviter aux discussions.
Samuel Schenker
Secrétariat d’État aux questions financières internationales (SFI), Berne
La Vie économique 11/ 2015 29
NUMÉRISATION
MARLEN VON WEISSENFLUH, LA VIE ÉCONOMIQUE
Luzius Meisser a fondé, durant
ses études, une jeune pousse avec
le service de stockage Wuala.
L’ÉVÉNEMENT
« L’État ne doit pas se mettre
en travers du chemin »
Luzius Meisser, fondateur d’une jeune pousse, a clairement défini ses attentes envers l’État.
Sa tâche est de définir les conditions-cadres. On doit pouvoir facilement créer une entreprise et engager du personnel. En ce qui concerne le financement des jeunes pousses, il estime correct que l’État ne leur accorde pas de subventions directes. Nicole Tesar
Monsieur Meisser, vous et Dominik Grolimund
avez développé le service de stockage Wuala
à l’EPFZ. Existe-t-il des structures au sein des
hautes écoles suisses qui détectent les bonnes
idées et aident à créer une entreprise ?
Oui, nous avons fréquenté à l’époque tous les
modules « venturelab » de l’Institut für Jungunternehmen (IFJ). La graine était, cependant, déjà en
terre. Nous avions dès le début l’intention de créer
notre propre entreprise. De telles offres sont toutefois très utiles, dans le sens où elles facilitent les
échanges avec des gens qui partagent les mêmes
objectifs. Ces contacts m’ont même plus appris que
le contenu des cours à proprement parler.
En quoi ces échanges sont-ils précieux ?
Il est instructif de voir comment les autres sociétés se présentent, quelles sont leurs idées et
comment elles sont conçues. On a le sentiment
de pouvoir s’évaluer les uns les autres et mieux
apprécier la pertinence de sa propre vision.
Est-ce vrai aussi pour les plateformes ou « hubs »?
Tout à fait. Ce caractère de plateforme est important. Ce sont des points de rendez-vous où les
créateurs peuvent travailler et avoir des échanges
notamment sur les technologies. Le Colab, à Zurich, en est un exemple. Il offre un espace de travail ouvert, où les nomades numériques peuvent
boire un café et brancher leur ordinateur portable.
On voit aussi émerger d’autres services, comme les
bureaux « pop up » qui permettent de trouver et de
réserver des postes de travail sur mesure et même,
au besoin, des salles de conférences.
À votre avis, y a-t-il suffisamment de programmes
d’encouragement dans le domaine des technologies de l’information et de la communication ?
Oui ! Il y en a même presque trop. La participation
à des concours implique de consacrer chaque fois
plusieurs heures au dossier et à la
présentation. Dans la plupart des
L’invité
cas, on n’est d’ailleurs pas retenu.
Luzius Meisser, 35 ans, a grandi à Klosters
En fin de compte, les candidats
(GR) et a étudié l’informatique à l’EPFZ. En
perdent ainsi un temps énorme
collaboration avec Dominik Grolimund, il a
créé en 2007 le service de stockage Wuala.
qu’ils auraient mieux fait d’invesDeux ans plus tard, ces jeunes entrepretir dans le produit lui-même.
Ces concours sont financés par
des capitaux privés.
Oui, le financement vient souvent
de fondations. Il y a déjà presque
une surabondance d’événements
dédiés aux jeunes pousses. C’est
devenu un thème à la mode. Une
« start-up » doit se montrer sélective.
neurs ont revendu leur société à la firme
française LaCie, qui sera à son tour rachetée
par Seagate en 2012. C’est alors que Luzius
Meisser a quitté Wuala. Tout en investissant
dans le démarrage de jeunes pousses, il a
enseigné l’informatique à la Haute école de
la Suisse du Nord-Ouest (FHNW) à Brugg. En
2013, il a entamé des études d’économie à
l’université de Zurich, qu’il devrait terminer
en novembre prochain. Son travail de master
s’intitule « Mastering Agent-Based Economics ». M. Meisser est également président
de la Bitcoin Association Switzerland. Il vit
avec sa famille dans le canton de Zurich.
Qu’est-ce que les fondateurs de
jeunes pousses attendent de l’État ?
Dans la mesure du possible, l’État ne doit pas se
mettre en travers de leur chemin. Sa responsaLa Vie économique 11/ 2015 31
NUMÉRISATION
bilité consiste à établir des conditions-cadres.
On doit pouvoir facilement créer une entreprise
et recruter du personnel. C’est pour cela qu’il est
également important de pouvoir parler d’égal à
égal avec les autorités. En Suisse, cela fonctionne
bien grâce au fédéralisme. Un entrepreneur
qui veut engager un ressortissant de l’UE, par
exemple, peut sans problème appeler l’office local
du travail et obtenir des informations solides.
surveiller de près sa société. Imaginons maintenant un système de subventions directes : l’État
prive Myke de cet argent pour le placer, après
mille détours, dans un fonds d’encouragement
; il en confie l’affectation à un fonctionnaire qui
ne risque pas sa peau dans l’aventure. C’est une
aberration. Non seulement des fonds vont se
perdre en route, mais on verra de l’argent « intelligent » se transformer en argent « stupide ».
Est-il facile de créer une entreprise en Suisse?
Malheureusement, ce n’est plus aussi facile
qu’avant. Récemment, j’ai entendu parler de
jeunes pousses qui peinent à trouver une banque
pour ouvrir un compte de consignation – c’est le
cas par exemple quand des investisseurs américains participent au capital. Or, la loi prévoit que
l’on ne peut pas fonder une entreprise sans posséder un tel compte auprès d’une banque suisse.
L’un de mes amis gère une jeune pousse, dûment
autorisée par la Finma, qui fait des transactions
en bitcoins. Cet entrepreneur n’a pas réussi à ouvrir un compte en Suisse, bien qu’il ait rempli les
formulaires nécessaires dans plus de cinquante
établissements. Finalement, il s’est replié sur une
banque du Liechtenstein. Cette situation est problématique, car la place financière suisse a besoin
de « start-up » et d’innovation.
Qu’appelle-t-on argent « stupide » ou « intelligent » ?
Il existe divers types d’investisseurs. D’un côté, il y
a ceux qui ont de l’argent, mais qui ne connaissent
pas grand-chose aux affaires – c’est le cas des
caisses de pension. Au-delà du financement, ils ne
peuvent guère contribuer au
succès de l’investissement.
« Les Suisses sont moins
C’est que l’on appelle l’argent
stupide. En revanche,
prêts à prendre des risques
l’argent intelligent vient d’inet moins avides de
vestisseurs qui apportent
succès que les Américains,
également un réseau et une
grande expérience, qui sont
par exemple. »
capables de conseiller et
d’aider activement l’entreprise. Pour les jeunes
pousses, il est essentiel d’obtenir des capitaux « intelligents ». Cela fait une énorme différence.
Sur le fond, il n’y a pas d’obstacles majeurs à la
création d’une entreprise.
Effectivement. Il existe, toutefois, un nombre
grandissant de petits obstacles.
La Suisse obtient de bonnes notes en ce qui
concerne l’encouragement précoce des jeunes
pousses. Néglige-t-elle la phase suivante, à savoir le financement de contributions qui dépassent 1,5 million de francs ?
Oui, cette phase est un peu plus difficile en Suisse.
Néanmoins, elle reste plus facile que dans le reste
de l’Europe. On trouve, en effet, de l’argent dans
ce pays, de même que des gens capables d’assumer
une importante opération de financement. En revanche, il n’existe pas en Suisse de valorisations
excessives, comme celle de la société Uber, dont
on prétend qu’elle vaut autant que l’ensemble du
Credit Suisse.
En Suisse, l’État n’accorde pas de subventions directes aux jeunes pousses. Est-ce un inconvénient ?
Les projets d’innovation peuvent être financés
par le biais de la Commission pour la technologie
et l’innovation (CTI) et du Fonds national suisse.
J’estime correct que l’État ne les subventionne
pas directement.
Pourquoi ?
Prenons l’exemple de Myke Näf, l’un des fondateurs de Doodle. Comme tous les créateurs
d’entreprises que je connais, cet homme investit l’argent qu’il a gagné avec cette société dans
de nouvelles jeunes pousses auxquelles il croit
personnellement. Si les choses tournent mal, il
perd ses propres capitaux. Il a donc tout intérêt à
32 La Vie économique 11/2015
Une telle valorisation ne serait pas possible en
Suisse ?
Cela tient à l’auto-amplification de l’argent intelligent. Aux États-Unis, ce processus est déjà
ancien. Chaque cycle de jeunes pousses qui réussissent amène plus d’argent et plus de fondateurs.
L’ÉVÉNEMENT
Le capital-risque s’est donc multiplié dans ce
pays. Il y a toujours plus d’argent à disposition,
alors que le nombre de « start-up » est limité, car
le nombre des gens qui y travaillent l’est aussi.
Avec le succès croissant de ces entreprises, les
évaluations sont donc toujours plus hasardeuses.
Le financement est-il problématique si l’on vise
le marché mondial ? C’est souvent le cas dans le
commerce sur Internet.
D’après mon expérience, toute entreprise compétente peut obtenir de l’argent en présentant un bon
plan. Je pense que le problème se situe ailleurs, à
savoir dans les conditions géographiques. Depuis
la Suisse, on doit surmonter des barrières linguistiques et culturelles si l’on veut atteindre 300 millions de clients. Ce qui fonctionne dans notre pays
ne fonctionnera pas nécessairement en Allemagne
ou en France. Aux États-Unis, en revanche, on se
trouve dès le départ dans un marché beaucoup
plus vaste. Cela compte aussi quand il faut surmonter des barrières juridiques. Le service de musique européen Spotify, par exemple, a dû négocier
son accès au marché dans chaque pays avec les organisations responsables. Étant donné qu’il n’est
pas si facile de modifier la géographie, la Suisse ferait peut-être mieux de ne pas imiter la Silicon Valley, mais de se concentrer sur ses propres forces.
Et celles-ci sont traditionnellement « petites, mais
subtiles » plutôt que « grandes et encombrantes ».
Le fondateur bien connu d’une jeune pousse a
déclaré dans la presse qu’il est difficile pour les
« start-up » suisses de suivre le rythme imposé
par l’économie de l’Internet et la numérisation.
La cadence est plus lente ici. En d’autres termes,
nos horloges tournent moins vite. Partagez-vous
cette opinion ?
Oui, je pense que les Suisses sont moins prêts à
prendre des risques et moins avides de succès
que les Américains, par exemple. Le point de
référence est naturellement la Silicon Valley. À
mon avis, c’est un problème général en Europe.
Quelqu’un qui a étudié l’informatique en Suisse
doit prendre une décision cruciale : soit il accepte un emploi intéressant et bien payé – non
La Vie économique 11/2015 33
NUMÉRISATION
seulement tous les diplômés trouvent du travail,
mais ceux qui ont du talent ont même le choix
et peuvent gagner 8000 francs par mois –, soit il
prend le risque de créer une « start-up », de travailler nuit et jour pendant trois ou quatre ans
sans toucher un salaire décent et sans savoir de
quoi l’avenir sera fait.
Quelle est la proportion de jeunes pousses qui
parviennent à percer ?
On dit qu’une sur dix réussit. C’est un risque extrême. En le prenant, on renonce à beaucoup de
choses. Aux États Unis, les incitations sont un
peu plus avantageuses. Même avec des emplois
confortables, les gens ont
peu de vacances. Si l’on « tire
« En voulant éliminer les
le gros lot » avec une jeune
pousse, on peut gagner plus
risques à tout prix, on
et plus rapidement.
étouffe aussi l’innovation. » d’argent
En Suisse, peu de gens sont
prêts à courir ce risque. À
vrai dire, c’est un problème de riches. Peut-être
que nous nous portons un peu trop bien. Cela expliquerait que nous n’ayons même pas besoin de
prendre des risques.
Le résultat serait un juste milieu ennuyeux.
Le problème est qu’il n’y a pas d’innovation sans
risque. On peut avoir mille bonnes idées, mais si
personne ne se jette à l’eau pour les concrétiser,
elles resteront des idées. Il existe des risques liés
au marché, à la technologie du produit ou encore
aux aspects légaux. En voulant les éliminer à tout
prix, on étouffe aussi l’innovation.
Quel rôle jouent les risques légaux ?
La société Uber, intermédiaire en services de
transport, court par exemple un risque par rapport
au droit du travail, car un tribunal pourrait décider qu’il existe un rapport contractuel entre elle
et les chauffeurs. Dès lors, son modèle d’affaires
ne jouerait plus. En outre, les taxis sont souvent
soumis à une très forte réglementation, ce qui est
difficilement compatible avec le modèle d’Uber.
YouTube est une autre entreprise qui n’aurait pas
pu voir le jour sous le régime du droit d’auteur
suisse, car nous n’avons pas de clause sur la sphère
de sécurité (« safe harbor »). Dans ce contexte, il
est extrêmement important de veiller à ce que les
jeunes pousses suisses aient les mêmes chances
34 La Vie économique 11/2015
que les autres. Ce serait nécessaire en particulier
dans le secteur financier, si nous voulons attirer
des « start-up » spécialisées dans les technologies
financières. Mark Branson, le directeur de la Finma, l’a reconnu. Il recommande maintenant d’assouplir les lois. Les lettres de lecteurs sont un autre
exemple. Alors que de jeunes pousses suisses,
comme watson.ch, sont contraintes légalement de
surveiller tous les commentaires postés par leurs
utilisateurs, Facebook peut publier de tels messages instantanément et sans avoir pris connaissance de leur contenu. Plus les lois sont formulées
de manière simple et générale, mieux elles sont
adaptées aux défis du futur. À cet égard, la Suisse
est, par bonheur, relativement forte.
Y a-t-il quelque chose que l’État puisse faire pour
promouvoir la prise de risques?
Ce sont souvent des immigrants qui ont fondé
les entreprises très performantes. Sergey Brin,
cofondateur de Google, est né de parents russes
et le père biologique de Steve Jobs est d’origine
syrienne. En Suisse aussi, beaucoup de grandes
firmes, comme Swatch ou Nestlé, ont été créées
par des immigrants. Je pense que ce n’est pas par
hasard. Un étranger est fortement incité à faire
ses preuves. Souvent, les gens qui viennent de loin
et qui acceptent des privations pour atteindre un
objectif sont aussi très endurants.
Quelles conclusions en tirez-vous pour le rôle de
l’État ?
On pourrait bien sûr essayer d’attirer de telles personnes en Suisse de manière ciblée. Parmi les candidats du monde entier qui se présentent chaque
année, on choisirait par exemple les mille meilleurs et on les ferait étudier dans une université ou
une haute école suisse. Évidemment, c’est délicat
politiquement, car il s’agit de migration, mais cela
augmenterait très vraisemblablement notre produit national brut. McKinsey parle d’une « guerre
des talents » sur le point d’éclater. Les gens compétents sont aujourd’hui une ressource rare. Pour ce
qui est du financement et de l’infrastructure, nous
sommes bien dotés en Suisse.
Wuala cessera ses activités le 15 novembre.
Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?
Pendant sept ans, Wuala a rendu de grands services à des millions d’utilisateurs. De ce point de
L’ÉVÉNEMENT
vue, c’était une réussite. Entre-temps, la majorité de nos concurrents de l’époque ont aussi mis
la clé sous la porte. Je ne connais pas les raisons
concrètes qui ont conduit Wuala à prendre cette
décision, car je ne suis plus impliqué dans l’entreprise depuis début 2013. Cependant, Wuala
est active dans un domaine qui perd progressivement de l’importance. Dropbox connaît le même
problème. Les gens sont toujours moins souvent
confrontés à des fichiers et à des dossiers. Par
exemple, il n’y a plus d’explorateur de fichiers sur
les téléphones portables. La situation est d’autant
plus compliquée que de grandes entreprises de
l’Internet, comme Google et Microsoft, offrent
maintenant gratuitement des programmes analogues, souvent préinstallés.
Les mégadonnées, la numérisation de l’économie, l’Internet des objets … Ces concepts sont en
ce moment sur toutes les lèvres. De jeunes entreprises sont rachetées, parfois pour plusieurs
milliards de dollars, par des géants de l’Internet,
comme Google. Ne surestime-t-on pas cette évolution ?
L’avenir le dira. Nous ne le savons pas. Il s’agit
bien sûr d’une spéculation sur une évolution future, laquelle peut se produire ou pas.
Des groupes comme La Poste ou les CFF épaulent
de jeunes entrepreneurs par le biais de fonds d’investissements ou de prix d’encouragement. Ce
procédé est-il correct et durable ?
C’est surtout une obligation s’ils veulent s’assurer un avenir. La meilleure manière de le faire est
naturellement de participer dès le début aux activités de ces jeunes pousses et de les soutenir. Ce
procédé est donc raisonnable. Il ne garantit pas le
succès, mais c’est une bonne stratégie.
Vous préparez en ce moment un master en économie. Qu’apporteront ces études complémentaires
au créateur de jeune pousse que vous êtes ?
Je le fais par intérêt personnel. Je ne crois pas que
cela soit utile dans l’univers des jeunes pousses.
L’économie est, à mes yeux, un thème extrêmement passionnant, parce qu’il s’agit en fin de
compte de la manière dont le monde fonctionne. Je
me suis inspiré de Hari Seldon, le personnage créé
par Isaac Asimov dans le Cycle de Fondation. Je me
trouvais dans la situation confortable où je pouvais me consacrer à quelque chose pendant deux
ans par pur intérêt, sans me soucier de son utilité.
Entretien: Nicole Tesar,
rédactrice en chef de La Vie économique.
La Vie économique 11/ 2015 35
NUMÉRISATION
L’État entre rupture numérique
et liberté économique
La transformation numérique de l’économie est en marche. À mesure qu’elle embrasse tous
les aspects de la vie sociale, de nouveaux défis apparaissent. Johann N. Schneider-Ammann
Abrégé Les progrès des technologies de l’information et de la communication
(TIC) ont permis l’apparition de jeunes pousses. Les hautes écoles, le Fonds national suisse ainsi que la Commission de la technologie et de l’innovation (CTI)
constituent des bases qui leur permettent de prospérer. Il faut, toutefois, porter
une attention particulière au problème du capital-risque. Les sociétés établies
présentent, de leur côté, un bilan contrasté. Si certaines ont su prendre le virage
numérique, d’autres présentent des retards qui les rendent vulnérables. L’innovation dans le monde est un danger permanent pour les modèles d’affaires traditionnels et le franc fort pénalise les PME innovantes à l’exportation. Nombreux sont
ceux qui attendent que l’État protège les modèles traditionnels. Ce n’est pas son
rôle, même s’il reste le dernier garant de la cohésion sociale. La Suisse est mieux
armée que d’autres États pour faire face aux nouveaux défis du numérique.
L orsque j’étais étudiant, il y avait ceux qui voulaient révolutionner le monde et ceux qui préparaient une carrière de management, si possible
dans une grosse entreprise bien établie. Ceux qui
se voyaient en entrepreneurs faisaient plutôt figure d’exception et on les rencontrait assez rarement sur les bancs de nos hautes écoles.
L’innovation porte les
jeunes entrepreneurs
Quarante ans plus tard, la situation a bien changé. Aujourd’hui, les jeunes, même en Suisse, sont
nombreux à parler de leur jeune pousse (« startup »). Comme leurs aînés des années soixante
et septante, ils veulent aussi révolutionner le
monde, mais cette fois grâce à des produits et à
des modèles d’affaires innovants.
Les extraordinaires progrès des technologies
de l’information et de la communication (TIC)
ont grandement facilité la création d’entreprises.
Lancer une idée et concevoir les premiers prototypes est aujourd’hui beaucoup moins coûteux
que par le passé : le savoir est au bout du clic, les
marchés potentiels beaucoup plus vastes et le
prix d’entrée, en particulier lorsqu’il s’agit d’innovations basées sur des applications numériques,
beaucoup plus bas que par le passé.
36 La Vie économique 11/2015
Un cadre de qualité
Les jeunes ne pourraient cependant pas saisir
les chances qui leur sont offertes sans le formidable développement de notre système de
hautes écoles. Je pense en premier lieu à l’EPFZ et
à l’EPFL. Elles viennent d’atteindre de nouveaux
sommets dans les classements internationaux
en avançant chacune de trois rangs dans le QS
Top Universities Ranking, pour atteindre respectivement la 9e et la 14e place. Je n’oublie évidemment pas notre réseau très dense d’universités
et de hautes écoles spécialisées, ainsi que nos
efforts en matière de recherche fondamentale
financée par le Fonds national suisse.
Sans soutien public, ce terreau fertile en « startup » et en savoir-faire n’aurait pas non plus vu le
jour. Si nos jeunes entrepreneurs peuvent croître,
c’est aussi grâce à l’encadrement offert par la
Commission de la technologie et de l’innovation
(CTI) qui dépend du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR).
La question du capital-risque
Le capital-risque doit permettre à une jeune société de trouver sa stabilité commerciale. Or, nos
investisseurs institutionnels ne s’y intéressent
que faiblement. Cela fragilise nos jeunes entrepreneurs qui se tournent vers les grands groupes
étrangers. Google a racheté l’année dernière la
jeune société tessinoise de neurotechnologie
DeepMind, Samsung finance le créateur d’applications de santé Dacadoo, tandis qu’Apple est
censé s’intéresser sérieusement à Faceshift, une
firme zurichoise spécialisée dans la capture du
mouvement.
Il faut un biotope financier qui permette à ces
entreprises de croître en Suisse. Dans ce contexte,
la motion du conseiller aux États Konrad Graber
(13.4184), qui propose d’investir une fraction de
l’immense épargne de prévoyance sociale pour
L’ÉVÉNEMENT
Les entreprises établies :
un bilan contrasté
Les entreprises établies ne sont pas toutes au
même niveau. Certaines ont amorcé leur virage
numérique plus vite que d’autres. Aucune, par
contre, n’est à l’abri des innovations issues de la
mondialisation du savoir ni des problèmes plus
spécifiques que constituent le franc fort.
Une nouvelle impulsion
pour les vieilles entreprises
Beaucoup d’entreprises établies sont à la pointe
de la numérisation. La bonne vieille société de
serrurerie Kaba vend maintenant de la sécurité
d’entrée, tandis que Schindler offre son service
de déplacement vertical 24 heures sur 24, sept
jours sur sept, et parfois même pour les produits
de ses concurrents.
Ces nouveaux modèles d’affaires deviennent,
en effet, possibles grâce à l’Internet des objets (« Internet of things ») et aux mégadonnées
(« big data »). Ces outils permettent d’évaluer
constamment les indications de millions de capteurs imbriqués dans les produits. Nécessaires
aux programmes d’entretien, ces derniers permettent de changer les pièces « juste à temps »
et d’actualiser les programmes à distance. Ils
sont également indispensables pour améliorer
la recherche et le développement de nouveaux
produits. L’impression 3D, en plein essor, est
sur le point de révolutionner la production et la
gestion des pièces de rechange, tandis que les
nouvelles possibilités de l’automatisation bouleversent le transport et toute la chaîne logistique.
La Suisse a, en outre, la chance d’héberger
de grandes multinationales à la pointe des TIC.
En numérisant leurs contrats ou en demandant
des services basés sur les nouvelles possibilités
d’Internet, ces entreprises en entraînent des
dizaines d’autres dans leur sillage et ouvrent
Le niveau de formation est élevé en
Suisse. Elle est donc
relativement bien
préparée à affronter
l’ère numérique. Chercheur à l’université de
Lucerne devant une
imprimante 3D.
KEYSTONE
financer le développement des nouvelles technologies, mérite une discussion approfondie.
La Vie économique 11/ 2015 37
NUMÉRISATION
de nouvelles niches dans lesquelles de jeunes
pousses intelligentes peuvent s’engouffrer.
Le danger peut surgir de n’importe où
Les entreprises établies, surtout celles qui n’ont
pas su prendre le virage numérique à temps,
courent des risques qui sont souvent sous-estimés. Tout d’abord, le monde est devenu moins
prévisible. Par le passé, il suffisait de garder un
œil sur deux ou trois gros concurrents pour se
prémunir des mauvaises surprises.
Aujourd’hui, le vrai danger se dissimule à São
Paolo ou à Bangalore, où une « start-up » totalement inconnue peut développer une idée qui révolutionnera la nature même du marché. On ne
peut plus se contenter de marquer le concurrent
à la culotte. La Suisse doit modifier son comportement face au risque.
Contrer les effets du franc fort
L’État investit pour aider les entreprises à rester
à la pointe de l’évolution technologique. La CTI
devait disposer de 110 millions de francs cette
année. Pour contrer les effets du franc fort, le
Conseil fédéral a décidé de lui allouer 20 millions supplémentaires. En échange, les PME
exportatrices engagées dans des projets d’innovation seront exemptées de leur contribution en
espèces auprès de la CTI.
En tant que responsable du DEFR, j’ai demandé à cette même commission d’examiner dans
quelle mesure elle peut soutenir des projets de
recherche moins centrés sur de nouveaux produits ou méthodes de fabrication, mais visant
plutôt une refonte des modèles d’affaires à l’aide
des nouvelles technologies.
38 La Vie économique 11/2015
L’État ne doit pas être un frein
Comme on le voit, l’État n’est pas inactif devant le
défi numérique et son rôle continuera certainement
de faire débat. D’abord parce que ceux qui se sont
déjà laissés surprendre – je pense aux taxis face à
Uber et à l’hôtellerie face à AirBnB – n’ont souvent
qu’un seul réflexe : appeler les pouvoirs publics à la
rescousse afin qu’ils interdisent ou du moins réglementent les nouvelles pratiques rendues possibles
par Internet. L’État doit éviter de faire le jeu de modèles dépassés, sans pour autant tomber dans la facilité et admettre un laissez-faire débridé.
La numérisation a des effets qui dépassent
les seuls enjeux économiques pour déborder sur
toutes les sphères de notre vie sociale. Elle remet
partout en cause des pratiques et des habitudes acquises de longue date. L’État restera toujours le dernier garant de la cohésion sociale. Il faut cependant
laisser la société civile trouver des solutions. La
Suisse, grâce à son marché du travail libéral, à son
partenariat social, à l’excellence de sa formation et
de sa recherche ainsi qu’à sa démocratie directe,
est sans doute bien mieux armée que d’autres pays
pour affronter les défis de la numérisation.
Johann N. Schneider-Ammann
Conseiller fédéral et chef du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR), Berne
PRISE DE POSITION
de l’extérieur par le bais de portails aux
pourtours bien définis. Dans nos laboraOliver Bussmann
Group chief information officer, UBS
toires d’innovation à Zurich, Londres et
Singapour, nous travaillons étroitement
avec la communauté technologique.
En faisant passer nos collaborateurs
d’un cadre bancaire à un contexte de laboratoire, nous donnons libre cours à
leur créativité. Chez nous, ils ont droit à
l’erreur. Nous pouvons ainsi développer
La numérisation va profondément changer le secteur
bien plus d’idées intéressantes que nous
testons ensuite et mettons en œuvre. À
financier. Toute résistance est vaine. Les banques feraient
Londres, nous avons installé notre labomieux de saisir les chances qu’elle véhicule.
ratoire dans le « Fintech Accelerator », un
pôle d’innovation qui abrite quelque 150
L’avancée des technologies numériques plonge le secteur jeunes pousses sous le même toit. Elles y font de la recherche
financier dans une phase de mutations radicales. Tran- et du développement sur de nouveaux produits et services
sactions, règlements, opérations d’épargne et de crédit, pour le secteur financier. Nos experts se voient ainsi offrir
levée de capitaux et gestion des placements : la vague nu- la possibilité de participer à un courant d’idées plus large, de
mérique déferle sur pratiquement tous les secteurs. La connaître les tendances les plus récentes et de contribuer à
montée des banques virtuelles, le financement participatif forger l’avenir du secteur.
(« crowd-funding »), les nouvelles plateformes de paiement, Les jeunes pousses dans le domaine des technologies file conseil virtuel, etc. sont autant de facteurs qui exacerbent nancières (« fintech ») ne sont pas des ennemis et elles
la concurrence déjà vive entre les établissements financiers. nous permettent de faire un usage ciblé des changements.
Cette évolution a d’ailleurs incité cerCertes, quelques-unes nous font directaines personnes à prévoir la disparition
tement concurrence. Un grand nombre
des banques traditionnelles. C’est certaid’entre elles souhaitent toutefois aussi
Les jeunes pousses
nement exagéré. Les technologies de rupcollaborer avec des banques établies. En
dans le domaine des
ture ne sont nullement une simple mefin de compte, l’activité bancaire ne se
technologies finannace, bien au contraire. Elles insufflent
réduit pas à la seule dimension informacières
ne
sont
pas
des
un vent nouveau au secteur et sont bénétique. Les banques recèlent de véritables
fiques. Elles incitent aussi les acteurs du
trésors d’expertise financière et de saennemis et elles nous
marché à renforcer leurs collaborations
voir-faire sur les marchés, ce qui fait
permettent de faire un
et provoquent un changement dans la
défaut à la plupart des jeunes pousses.
usage ciblé des change- Dans le secteur bancaire, les relations de
culture du secteur,
ments.
Aujourd’hui, les banques sortent des senlongue date avec la clientèle comptent
tiers battus, travaillent avec de jeunes
toujours autant qu›auparavant et les
pousses (« start-up »), adhèrent à des plateformes d’innova- jeunes entreprises ont encore beaucoup à apprendre dans
tion et développent de nouvelles idées avec d’autres acteurs. ce domaine.
Cette évolution aurait été tout à fait impensable il y a dix Ce sont là quelques-uns des aspects qui nous incitent à penans. La collaboration interne s’est également renforcée, no- ser que les banques ont encore de beaux jours devant elles.
tamment par les médias sociaux, propices à une communi- À nos yeux, la rupture numérique n’est pas un danger, mais
cation directe et à l’échange d’idées entre les membres du un défi bénéfique à relever. Elle fait souffler un vent frais et
personnel.
ouvre aussi de nouvelles perspectives.
Pour assurer l’avenir de la place financière suisse, il importe
UBS apprend des jeunes pousses et inversement
également d’établir un solide écosystème de technologie
Inspirées par la culture des jeunes pousses, qui autorise financière. Il est donc d’autant plus important de favoriser
l›échec, les banques s’ouvrent désormais aux expériences. une collaboration efficace entre banques, jeunes pousses du
C’est certainement le cas d’UBS. Notre processus d’innova- domaine des « fintech » et autorités réglementaires pour ne
tion très dynamique produit un riche courant d’idées nourri pas demeurer en reste face à une concurrence internatioen interne et des suggestions nous parviennent également nale effrénée.
Technologies financières :
toute résistance est vaine
La Vie économique 11/ 2015 39
PRISE DE POSITION
nous attachons une grande importance
à l’harmonisation précise de tous les caMembre du comité de direction, responsable du secteur
Développement de l’entreprise, La Mobilière, Berne
naux. Forger cette chaîne « continue »
d’expériences est un travail exigeant. Derrière chaque maillon se cachent d’innombrables technologies différentes, dont
l’âge varie parfois de plusieurs décennies.
D’un autre côté, il importe de bien coordonner les processus. C’est une évolution constante. La Mobilière se concenInternet fait désormais partie intégrante de la vie sociale
trera ces prochaines années sur quatre
objectifs :
et économique. C’est pourquoi la numérisation avance à
1. Relier les offres et les accès, tout en
grands pas au sein de l’assurance La Mobilière : le client est
continuant de les développer. La clé du
au centre de nos préoccupations.
succès réside dans l’établissement d’un
lien intelligent entre le numérique et
le personnel. Les services en ligne de
La numérisation offre une multitude de nouvelles possibiLa Mobilière sont destinés surtout aux terminaux porlités et s’intègre dans notre quotidien. Jamais auparavant,
tables. Ce sont par exemple la facture électronique, un
nous n’avions pu vivre de manière aussi efficace et bien orcalculateur de primes pour appareils portables ou le
ganisée. Toutes les avancées technologiques ont fondamendéveloppement continu de l’application Mobilière. Par
talement transformé la société – songeons notamment à
ailleurs, nous exploiterons plus activement les médias
l’invention du chemin de fer ou du téléphone. Au sein de La
sociaux à l’avenir.
Mobilière, la numérisation est en cours depuis longtemps : 2. Automatiser et simplifier les processus. Comment la nucela fait déjà sept ans que nous avons décidé de maintenir
mérisation peut-elle améliorer l’efficacité ? La nouvelle
ouverts 24 heures sur 24 tous les canaux de dialogue avec la
plateforme des dommages, l’archivage numérique, le
clientèle. Le monde est hybride. Aucune séparation n’existe
trafic des paiements via Internet et le dossier électroà La Mobilière entre ce qui est numérique et ce qui est pernique du client sont autant de projets qui doivent aboutir
sonnel. La personnalisation du service reste une constante
à des solutions concrètes.
– même dans un environnement numérique.
3. Décider en se basant sur des données. Nous avons besoin
Autrefois, on collait des étiquettes sur les produits et les
de davantage de données, et de meilleure qualité, afin de
caissières devaient taper chaque prix séparément. Auprendre des décisions toujours plus éclairées. La collajourd’hui, les codes-barres et les scanners sont devenus la
boration avec des hautes écoles contribuera à améliorer
norme. Nous voyons même de plus en plus de caisses en
le savoir-faire de La Mobilière, ce qui lui permettra de
libre-service. Il y aura toujours du travail, mais les domaines
réagir plus rapidement aux transformations du marché.
d’activités se déplacent.
4. De nouvelles formes de travail. Dans le monde numéGrâce à ses antennes dans tout le pays, La Mobilière est
rique, les gens interagissent différemment – par des
proche de ses clients. La numérisation doit encore renforcer
échanges personnels, mais aussi virtuels. Tous les parle contact personnel. Il faut pour cela que l’on puisse dispoticipants ne sont pas physiquement présents, quelquesser partout et en permanence de la même information acuns se connectent par téléphone ou par une liaison vitualisée sur « l’historique du client ». Cela concerne des quesdéo. Les décisions se prennent plus vite, ce qui implique
tions comme celles-ci : « Comment suis-je assuré ? », « Quels
de nouvelles formes de collaboration. En bref, l’organidommages ne sont pas couverts ? » ou encore « Qu’est-ce qui
sation des bureaux à l’ancienne ne suffit plus à remplir
a déjà été entrepris ? ». Les services numériques ne sont pas
ces exigences. Ainsi, le département informatique de
des jeux informatiques. Ils doivent apporter au client une
La Mobilière est installé dans des locaux modernes au
véritable plus-value.
siège de la direction. De nouveaux projets pilotes sont,
par ailleurs, élaborés et testés dans le cadre du projet
Harmoniser les canaux
work@mobi.
Qu’il soit en contact physique ou électronique avec La Mo- Nous ne pouvons pas faire autrement que de vivre chaque
bilière, le client veut bénéficier dans tous les cas du meilleur jour à l’heure du numérique et de nous réjouir de cette
service. Pour que ses informations soient toujours actuelles, évolution.
Michel Gicot
Le client est au centre de
nos préoccupations
40 La Vie économique 11/2015
PRISE DE POSITION
concurrence internationale et l’évolution
des besoins des clients représentent autant
Responsable Communication d’entreprise,
Swisscom SA, Worblaufen
de défis pour les entreprises, mais aussi
nombre de nouvelles possibilités. C’est ainsi que Swisscom a révolutionné le marché
poussiéreux de la télévision ou est devenu
le partenaire préféré des banques pour les
solutions informatiques. De pair avec la
numérisation des différentes branches,
Swisscom s’est transformée. L’ancien opéSous l’effet de la numérisation, le modèle d’affaires de
rateur de téléphonie fixe et mobile a laissé
la place au prestataire de télécommunicaSwisscom a changé. Alors que la téléphonie concentrait
tions et informatique couronné de succès
autrefois toutes les énergies, l’accent est aujourd’hui mis
que l’on connaît aujourd’hui.
sur les prestations informatiques et la télécommunicaSwisscom remet, par ailleurs, sans cesse en
question ses produits et services. L’exemple
tion. Le service et l’infrastructure continueront aussi
le plus récent est notre façon d’apprendre
d’être déterminants.
et de travailler : Swisscom a fait entrer
l’apprentissage dans l’ère numérique et les
Quand êtes-vous allé pour la dernière fois dans une vidéo- modules de formation rigides ont été remplacés par des cours
thèque ou avez-vous acheté un CD ? Il y a vraisemblablement flexibles qui encouragent le travail sous forme de projet et en
longtemps. Aujourd’hui, on loue des vidéos à la demande via équipe : les apprenants postulent à des projets et les mettent
le réseau et on achète de la musique sur iTunes. Cette évolu- en œuvre sous leur propre responsabilité.
tion et bien d’autres encore ont la même origine : Internet. Les Aujourd’hui, Swisscom met son savoir-faire en matière de
machines sont connectées à d’autres machines ; les mégadon- passage au monde numérique au service d’autres entreprises ;
nées (« big data ») et l’informatique en nuage (« cloud ») per- elle leur ouvre le chemin. Pour s’assurer un avenir, celles-ci
mettent de concevoir de nouveaux modèles d’affaires. Nous doivent en effet être intégralement connectées au moyen des
sommes toujours atteignables, car connectés tout le temps et TIC et axer leurs processus commerciaux ainsi que leurs stran’importe où. Nos habitudes de consommation s’en trouvent tégies de commercialisation sur l’Internet industriel.
modifiées, tout comme nos attentes envers les prestataires et Compte tenu de notre dépendance croissante vis-à-vis des
les producteurs.
réseaux fixes et mobiles, nous devons nous interroger sur
Par ailleurs, la concurrence se mondialise et les frontières des aspects essentiels : comment garantir la grande qualité
entre les branches deviennent de plus en plus floues. Ainsi, des réseaux ? Comment protéger ces mêmes réseaux contre
la plateforme Airbnb est devenue, en quelques années seule- les cyberattaques, en particulier dans les infrastructures
ment, le plus grand prestataire d’hébergement dans le monde critiques ? Comment garantir le respect de la sphère privée
sans posséder un seul hôtel. L’application de messagerie et la protection des données ?
Whatsapp a, de son côté, fait exploser en quelques mois le La Suisse est bien placée dans ces domaines. Par rapport à
chiffre d’affaires SMS des opérateurs mobiles.
d’autres pays, elle peut notamment compter sur des réseaux
Le progrès technologique gagne petit à petit tout le secteur de performants, une grande proximité avec la clientèle et un
l’économie ainsi que la société : nous sommes en plein cœur sens aigu du service. Elle le doit en premier lieu à la concurde la quatrième révolution industrielle. De nouveaux modèles rence qui joue pleinement entre les réseaux et les services,
d’affaires révolutionnaires sont lancés en l’espace de quelques à un système de régulation reposant sur des principes clairmois seulement. Ils modifient fondamentalement des indus- voyants et à la disposition des fournisseurs d’infrastructries entières et brisent des chaînes de valeur ajoutée établies. tures, tels que les câblo-opérateurs, les compagnies d’électricité et les opérateurs de télécommunication, à investir
Swisscom accompagne les entreprises dans le monde
dans les réseaux et les centres de calcul.
numérique de demain
Si la Suisse veut conserver son avantage, il faut préserver
Les activités de Swisscom évoluent depuis toujours au gré des les conditions libérales existantes. Celles-ci garantissent en
avancées technologiques. La convergence de l’informatique effet que les actionnaires des exploitants d’infrastructures
et des télécommunications, l’énorme dynamique des dévelop- peuvent continuer d’investir, pour le bien de tous, dans des
pements technologiques, la soif inextinguible de données, la réseaux performants et qu’ils sont disposés à le faire.
Stefan Nünlist
De la téléphonie à la
télécommunication
La Vie économique 11/ 2015 41
PRISE DE POSITION
Rolf Baumann
Directeur de la société suisse de distribution
Harting Technologiegruppe, Volketswil
La révolution numérique
de la production
L’« Internet des objets » confère à toute chose une identité
électronique, ce qui a d’intéressantes conséquences pour
l’industrie. La technologie de radio-identification RFID, par
exemple, rend les procédures plus efficientes, un atout très
appréciable en cette période de franc fort.
Le système de formation dual, l’entrepreneuriat, des voies
de décision rapides, des collaborateurs participatifs, des
conditions-cadres simples sont autant d’explications à la
réussite du « modèle suisse ». Depuis quelques années, le
franc fort met les petites et moyennes entreprises (PME)
sous pression. Résultat : nombre d’entre elles se trouvent
presque entièrement accaparées par des questions de survie
immédiate.
Or, franc fort ou pas, un peu d’audace et d’ouverture aux
technologies nouvelles s’impose désormais pour assurer
l’avenir. L’industrie numérisée – désignée aussi par la formule « industrie 4.0 », qui renvoie à la quatrième révolution
industrielle – ouvre des possibilités nouvelles en matière
de fabrication, de logistique et de services. Qui se lance a
toutes ses chances !
Économiser des coûts de procédure et de maintenance
Pour la gestion du suivi, du calibrage et de l’entretien, les
exigences posées aux fabricants se durcissent. Une bonne
vue d’ensemble améliore l’efficacité et la rapidité des processus logistiques et de production. L’ « Internet des objets » fait communiquer les outils, les instruments de
mesure, les dispositifs de montage et les pièces détachées
grâce à des puces incorporées. Pour le pilotage des processus de production, la logistique ou la gestion des entrées de
marchandises, on utilise par exemple la technologie de radio-identification UHF-RFID1. Jusqu’à une feuille A4 d’informations peut être immédiatement déposée et lue sur les
transpondeurs RFID.
Dans le domaine de la construction d’installations et de
machines, de nouveaux modèles commerciaux voient le
jour grâce à la maintenance anticipée (« predictive maintenance »). L’état des machines et des composants est suivi
42 La Vie économique 11/2015
en permanence. Des algorithmes complexes analysent ces énormes masses
de données, repèrent les anomalies et
proposent aux services compétents des
mesures très précises visant l’entretien,
le matériel et le personnel. Cela rend superflues les obligations de maintenance
et de contrôle préétablies à intervalles
rigides, et réduit massivement les frais
d’entretien ainsi que les coûteuses interruptions dues aux imprévus.
Fabrication modulaire intelligente
La coordination fine de cellules de montage modulaires très flexibles débouche
sur des usinages extrêmement adaptables
et performants. Les modules en jeu sont
équipés de minirobots qui effectuent
diverses phases de travail. Sur un tel îlot de finition, il est
possible de réaliser des miniséries et produits individualisés en économisant tout ou partie des temps de conversion.
Des commandes peuvent même être exécutées en parallèle
grâce à la possibilité de mobiliser des cellules habituellement inactives. Là encore, le RFID fait partie du système
lorsqu’on décide, par exemple, d’équiper les supports de
montage de transpondeurs, qui peuvent ainsi être localisés et pilotés en tout temps. L’avenir est résolument à une
« e-fabrication » sur mesure !
La condition sine qua non des fabrications intelligentes
est une communication sans obstacle entre tous les composants des constructeurs. Il existe pour cela des normes
reconnues et éprouvées dans la pratique2. Il faut toutefois
éviter les protocoles spécifiques aux divers constructeurs,
qui exigent pour la plupart de coûteuses interfaces
supplémentaires.
Depuis une année environ, les associations industrielles et
les médias traitent davantage le thème de la numérisation
dans l’industrie. Ils le font avec simplicité, à la manière typiquement suisse, avec le souci d’un fort engagement individuel et sans réclamer d’aide fédérale. C’est bien ainsi. Je
souhaiterais tout de même, pour la bonne santé du paysage
industriel suisse de demain, un appui minimal de la Berne
fédérale. Par exemple sous la forme d’un centre de coordination et d’information.
Voici mon appel à toutes les PME : intéressez-vous à ce sujet,
explorez les possibilités du numérique pour vos ateliers et
vos produits ! Vous serez alors en harmonie avec le paysage
industriel suisse et prêtes à affronter l’avenir.
1 U
ltra High Frequency (UHF, env. 870 MHz); Radio-Frequency Identification.
2 Norme OPC-UA : communication machine à machine (M2M) entre divers composants et
appareils. Norme EPC-GEN2, comme protocole RFID.
PRISE DE POSITION
Les mutations du monde du travail, les
conflits de rôles, l’afflux permanent d’inResponsable Emploi et conseils à la Société des
employés de commerce, Zurich
formations à prendre en compte ainsi
que les temps de réaction de plus en plus
courts se traduisent par une accélération
continue. Il peut en résulter du stress et
de l’épuisement (risques psychosociaux).
On parle surtout de mégadonnées (« big
data ») en matière de fidélisation de
la clientèle. Ce ne sont pas seulement
La numérisation a amélioré l’efficacité des processus au
les données des consommateurs, mais
aussi celles des travailleurs qui sont
bureau. En corollaire, la pression sur les travailleurs des
aujourd’hui disponibles en masse par
professions commerciales s’est fortement accrue.
voie électronique, que ce soit sur des
plateformes comme Xing, Linkedin et
La vague numérique a profondément transformé les profils Facebook, ou dans des dossiers personnels numérisés. Les
professionnels et les branches dans l’ensemble de l’écono- employeurs voudront de plus en plus accéder à ces mégamie commerciale. Les processus de tradonnées pour le recrutement du personvail sont automatisés. Les informations
nel. Dans l’intérêt des travailleurs, il s’agiUne
formation
contisont accessibles et mises en valeur plus
ra de protéger ces informations comme il
rapidement. La communication se fait inconvient.
nue régulière est plus
dépendamment du temps et du lieu. Il est
La qualification par la numérisation et
importante que jamais
indéniable que la numérisation offre de
la spécialisation aura nécessairement
pour conserver leur
nombreuses possibilités aux employés.
des effets sur la structure des salaires
employabilité.
Reste que ses défis et ses dangers sont,
et la répartition des revenus. Le remplaeux aussi, multiples.
cement d’activités de routine et d’autres
Les professions de bureau traditionnelles sont victimes de plus qualifiées par l’ordinateur devrait peser sur les faibles
l’informatisation1. Le marché du travail exige en perma- et moyens revenus. Il faudra analyser et anticiper les consénence des connaissances et des compétences nouvelles ; le quences de cette évolution sur la répartition des salaires.
niveau de qualification du personnel doit donc s’élever sans
cesse. Dans le secteur commercial, un diplôme du degré se- L’État doit sensibiliser
condaire II ne suffit plus à assurer durablement l’employabi- La contribution de l’État est essentielle pour atténuer les
effets néfastes de la numérisation. Il doit sensibiliser les salité d’un travailleur.
lariés au fait qu’une formation continue régulière est plus
Les limites entre vies professionnelle
importante que jamais pour conserver leur employabilité.
et privée disparaissent
Il faut aussi apporter une attention accrue à la question du
La numérisation permet de travailler à tout instant et en traitement des données personnelles dans le monde du tratout lieu. Cette nouvelle flexibilité offre la possibilité de vail numérisé.
mieux concilier vies de famille et professionnelle. Cela se Au nombre des autres domaines de l’État figurent la préventraduit aussi par un gain d’accessibilité qui débouche sur tion (risques psychosociaux), les conditions-cadres et les
des conflits de rôles dans le monde professionnel comme structures (soutien financier à l’« apprentissage tout au long
dans la sphère privée. L’indépendance à l’égard du lieu a de la vie », protection sociale des travailleurs peu qualifiés) de
pour autre conséquence que les activités administratives même que la réglementation (modernisation du droit du tra(« back office ») sont plus souvent transférées à l’étranger. Si vail, garantie de la protection des données relatives aux collala raison directe réside beaucoup plus dans les avantages en borateurs dans un environnement professionnel numérisé).
matière de coûts des pays cibles que dans la numérisation, 1 Voir l’étude de Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne, The future of employment: how
susceptible are jobs to computerisation ?, université d’Oxford, 2013.
elle en est néanmoins le support technique.
Manuel Keller
La pression dans
les bureaux augmente
La Vie économique 11/2015 43
PRISE DE POSITION
sures incitatives et des investissements.
Ainsi, le monde politique peut orienter
Membre de la direction,
les rares capitaux disponibles vers cerUnion patronale suisse, Zurich
taines branches, renforcer la propension
au risque, encourager l’acquisition de
technologies étrangères ou soutenir la
création de nouvelles entreprises. L’économie privée doit, cependant, devenir le
La numérisation est l’un des moteurs fondamentaux de
véritable moteur du développement au
plus tard quand la phase de l’investissel’actuel développement économique. Elle porte en elle la
ment laisse place à celle de l’innovation.
puissance d’une troisième révolution industrielle. Dans
Comme le montrent de nombreuses enune mutation structurelle aussi dynamique, l’État peut
quêtes réalisées sur une longue période,
certes émettre de bonnes incitations à court terme, en les
même les programmes étatiques de promotion économique les plus réussis ne
dosant correctement. On ne doit toutefois pas lui confier
donnent au mieux que des résultats mitile rôle principal. Le risque d’une défaillance étatique est
gés dans la pratique. Les efforts de l’État
trop important.
sont inadaptés notamment parce qu’ils
agissent tardivement ou que leur imL’économiste et sociologue américain Jeremy Rifkins est pact est trop général. De plus, les programmes d’aide, une
un penseur brillant et l’un des analystes les plus influents fois lancés, sont d’autant plus difficiles à annuler que des
du changement culturel. Il est convaincu que le monde se groupes d’intérêt influents interviennent dans le système
trouve à la veille d’une révolution industrielle. De tels bou- politique.
leversements, qui ébranlent les fondements de la société et Voilà donc les politiciens avertis : si une politique d’innode l’économie, sont à vrai dire extrêmement rares. Quand vation est imposée par l’État, le risque d’erreurs liées au
ils se produisent, ils résultent en général
(non-)savoir de l’autorité est plus grand
d’une nouvelle technologie. On l’a déjà
que les chances d’un pilotage stabilisaobservé avec l’invention de la machine
teur de l’économie – sauf peut-être duDans un cadre claireà vapeur et la mécanisation du travail.
rant le premier stade du changement
ment délimité, l’État
Aujourd’hui, c’est à nouveau le cas avec
structurel.
peut
tout
au
plus
jouer
la numérisation de l’information.
le rôle de catalyseur.
Adapter le système éducatif
Alors que nous sommes à l’aube de l’ère
La prospérité de demain est fortement
numérique, nous voyons déjà se développer de nouvelles formes de communication. L’exploita- liée à un autre domaine de la politique économique, testion de l’énergie se renouvelle également – que l’on songe té et éprouvé. L’une des tâches les plus importantes et en
à des concepts comme les réseaux intelligents (« smart même temps les plus traditionnelles de l’État reste, en efgrids ») ou le « flyable ». Des mécanismes de transport et de fet, de préparer le terrain pour les entreprises capables de
logistique jusque-là inconnus font leur apparition. Selon résister à la concurrence internationale.
une prévision plausible, cette « troisième révolution indus- Dans une économie petite et ouverte comme la Suisse,
trielle » verra le Web actuel se transformer en un super-In- il est fondamental que l’État s’investisse pour adapter le
ternet des objets : l’Internet de la communication rejoindra système de formation et de recherche aux défis technolocelui de l’énergie et le réseau automatisé de la logistique giques, renforcer la concurrence et éliminer les entraves
bureaucratiques. Des finances publiques saines et une
pour former un grand système.
Il est évident que l’économie devra affronter de profonds faible quote-part de l’État – qui va généralement de pair
bouleversements. Quel rôle revient à l’État dans une trans- avec une accélération de la croissance économique – jouent
formation aussi radicale ? Est-il en mesure d’intervenir également un rôle déterminant. Dans un cadre clairement
non seulement pour accompagner un changement struc- délimité, l’État peut tout au plus jouer le rôle de catalyseur
turel dynamique, mais aussi pour le promouvoir durable- – conformément au slogan bien connu : « Autant de marché que possible, autant d’État que nécessaire ».
ment ? La réponse est double.
Quand l’économie se trouve au premier stade de la numérisation, il est possible de stimuler sa croissance par des me-
Fredy Greuter
L’État doit se retenir
44 La Vie économique 11/2015
Téléchargez dès
maintenant l’application dans
l’App Store sans frais
ÉOLIENNE DANS LE VALAIS, KEYSTONE
UN CERTAIN REGARD
La campagne « L’argent reste ici »
aurait un effet contraire
Dans les débats économiques actuels, différentes idées
circulent sur la manière d’empêcher une prétendue dépendance de l’étranger. Certains suggèrent d’augmenter le niveau d’autosuffisance en denrées alimentaires
ou de renoncer à des importations d’énergie jugées trop
onéreuses. Dans une vaste campagne intitulée « L’argent
reste ici » , un comité donne l’impression qu’il vaut mieux
promouvoir les énergies domestiques que d’importer à
grands frais du pétrole, du gaz ou d’autres énergies.
Ces préoccupations semblent a priori raisonnables. Qui
pourrait être contre l’énergie indigène et pour l’énergie
importée, dont l’achat va peut-être encore enrichir les
magnats du pétrole ? Aussi logiques que puissent paraître les arguments des initiants, un examen plus approfondi montre qu’ils sont erronés. Si nous renonçons
aux exportations, nous devrons en effet produire nousmêmes plus d’énergie.
Si cette substitution aux importations était rentable,
nous produirions déjà davantage d’énergie domestique,
sans que la politique ne l’impose. Mieux : nous renoncerions aux importations par mesure d’économie. Or, la
production en Suisse n’est pas gratuite. Elle est, comme
disent les économistes, « liée aux coûts d’opportunités ».
Le secteur de l’énergie a besoin de ressources, en particulier de main-d’œuvre. C’est dans d’autres branches ou
à l’étranger – par le biais de l’immigration ou des importations –, qu’il doit se les procurer. Or, ces spécialistes
seraient aussi rémunérés à un niveau probablement
supérieur dans les autres secteurs de l’économie. Vu la
situation actuelle sur le marché du travail, il est totalement absurde de croire que ces experts de l’économie
énergétique ne sont pas demandés dans d’autres secteurs et qu’ils sont au chômage.
Si l’on pousse plus loin la logique du comité, un ménage
à deux revenus devrait renoncer aux crèches, à la femme
de ménage, aux artisans, etc. sous prétexte que l’on peut
assumer ces travaux soi-même et faire ainsi des économies. Il ne faut, toutefois, pas oublier que le coût de tels
services est souvent inférieur à ce que le couple en ques-
tion peut gagner pendant le temps où ils sont effectués.
Une économie qui renonce aux exportations doit tout
produire elle-même, peu importe qu’elle le fasse bien
ou mal. Cela l’empêche de se concentrer sur ses propres
forces (avantages comparatifs), autrement dit sur les
branches où elle possède le plus d’avantages concurrentiels et peut gagner le plus en utilisant un minimum
de ressources. Il est donc plus logique d’acheter en Allemagne une électricité meilleur marché (y compris, par
exemple, du courant écologique subventionné par les
contribuables allemands) et d’engager nos spécialistes
ici en Suisse dans des secteurs qui sont concurrentiels
sans avoir besoin de subsides.
La Suisse exploite ses atouts
La Suisse affiche un excédent commercial record et
figure régulièrement aux premiers rangs dans les
classements de l’innovation. Cette réussite inégalée
est la preuve que notre économie prend globalement
de bonnes décisions lorsqu’elle doit choisir entre
faire et faire faire (« make or buy ») : nous produisons et exportons dans les secteurs où nous sommes
forts, et nous importons ce qu’il nous coûterait trop
cher de fabriquer nous-mêmes.
Un jour, un mathématicien a demandé ironiquement au célèbre économiste américain Paul Samuelson s’il existe un résultat des sciences sociales qui
soit vrai sans être trivial. Le prix Nobel n’a pas pu
lui fournir du tac au tac une réponse adéquate. C’est
seulement des années plus tard qu’il l’a trouvée : les
avantages comparatifs. « Cette notion est logiquement vraie, car elle n’a pas besoin d’être démontrée à
un mathématicien. Elle n’est pas triviale puisque des
milliers d’hommes importants et intelligents n’ont jamais pu la comprendre d’eux-mêmes ou y croire une
fois qu’elle leur eut été expliquée », expliquait Paul
Samuelson.
Reto Föllmi
Professeur d’économie politique, université de Saint-Gall
1 www.argentresteici.ch.
La Vie économique 11 / 2015 47
L’ÉTUDE
L’ÉTUDE
Schweizerische Gesellschaft für Volkswirtschaft und Statistik
Société suisse d’économie et de statistique
Società svizzera di economia e di statistica
Swiss Society of Economics and Statistics
Inhabituel, mais présentant des atouts : le PIB
dans l’optique des secteurs de production
L’environnement conjoncturel et les mesures prises en matière de politique économique
influencent les secteurs productifs inégalement. Une analyse différenciée portant sur l’approche
de la production permet une meilleure compréhension des interactions et donc de mieux prévoir l’évolution du PIB. Gregor Bäurle, Elizabeth Steiner
Abrégé Pour analyser l’évolution économique, la plupart des modèles empiriques se focalisent
sur l’approche dite de l’affectation. La présente étude en adopte une autre. Elle se place dans
l’optique des secteurs de production. Cette approche permet de visualiser l’impact des changements conjoncturels et des mesures prises en matière de politique économique sur les différents secteurs. Elle présente, en outre, des atouts lorsqu’il s’agit de prévoir l’évolution du PIB.
On s’aperçoit ainsi que le cycle conjoncturel en Suisse est fortement alimenté par la demande
étrangère. Le taux de change et la politique monétaire ont également des effets tangibles.
L’étude montre, toutefois, que les secteurs de production réagissent très différemment aux
modifications du contexte conjoncturel. Tandis qu’une variation du taux de change peut avoir
un impact considérable dans le secteur financier, la valeur ajoutée dans l’industrie manufacturière est surtout déterminée par la demande en provenance de l’étranger.
O n peut examiner la composition du
produit intérieur brut (PIB) réel sous
trois aspects différents. L’approche basée
sur la demande ou l’affectation divise le PIB
selon les dépenses effectuées. L’approche
par les revenus se focalise sur le paiement
des facteurs de production, à savoir les salaires et les gains. Enfin, l’approche axée sur
la production ou la formation calcule les valeurs ajoutées dans les différents secteurs
productifs, dont la somme correspond également au PIB. Les secteurs productifs sont
par exemple l’industrie manufacturière, le
secteur bancaire ou celui de la santé. Pour
analyser l’évolution économique, la plupart
des modèles empiriques se concentrent sur
l’affectation, autrement dit sur l’interaction entre les composantes principales de
la demande, comme la consommation, les
investissements, les exportations et les
importations.
La présente étude adopte une autre approche. Dans le cadre d’un modèle factoriel
dynamique, nous analysons le PIB suisse
secteur par secteur et livrons ainsi une
perspective sous l’angle de la production.
L’évolution conjoncturelle n’a pas un im-
48 La Vie économique 11 / 2015
pact identique sur toutes les branches et
les mesures prises en matière de politique
économique ne les influencent pas non
plus de la même manière. C’est pourquoi
le but de cette étude est de mettre en évidence l’effet de telles variations sur les différents secteurs et de fournir ainsi une base
aux décisions politiques.
De meilleures prévisions du PIB
L’approche choisie présente en outre plusieurs avantages en ce qui concerne les
prévisions du PIB. Le premier est que l’on
peut augurer de son évolution sans qu’il
soit nécessaire de spéculer sur les variations de stocks. Cette composante de la
demande inclut des écarts statistiques très
volatils, qui sont difficiles à interpréter et à
prévoir (voir illustration 1). Ces écarts proviennent du mode de calcul du PIB. Généralement – et c’est aussi le cas en Suisse –,
les variations trimestrielles de stocks ne
sont pas mesurées directement, mais correspondent à la différence entre le PIB et
la somme de la consommation, des investissements et des exportations nettes.
Conformément au Système européen des
comptes (SEC), le PIB lui-même est défini
comme la somme des valeurs ajoutées dans
les différents secteurs. L’approche axée sur
la production permet ainsi une prévision
plus directe du PIB.
L’approche axée sur la production présente un deuxième avantage pour la prévision du PIB : la plupart des indicateurs
avancés, déterminants pour le cours actuel
de l’économie se réfèrent aux évolutions
sectorielles. Par exemple, les informations
tirées des sondages effectués par la Société suisse des entrepreneurs ou par Swissmem, ou celles contenues dans la statistique des chiffres d’affaires du commerce
de détail, peuvent être comparées directement avec l’évolution prévue du secteur
correspondant.
Une approche des prévisions qui ne se
base pas sur les données relatives à la demande offre encore un troisième avantage,
à savoir que l’on peut utiliser des effets de
diversification dans le cadre d’une analyse
complète impliquant différents modèles.
La littérature scientifique montre que la
combinaison d’approches diversifiées
donne fréquemment de meilleures prévisions que si l’on s’appuie seulement sur
quelques modèles similaires. C’est la raison pour laquelle l’association de modèles
De la recherche à la politique
La Vie économique et la Société suisse d’économie et de statistique facilitent le transfert
de savoir entre la recherche et la politique. Les
études qui ont un rapport étroit avec la politique économique de notre pays sont publiées
sous une forme ramassée dans la revue.
KEYSTONE
L’ÉTUDE
axés sur la demande et sur la production
peut s’avérer avantageuse pour la qualité
des prévisions.
Dans ce contexte, il est étonnant que
si peu de travaux empiriques tentent d’exploiter de tels avantages. Certes, quelques
études ont été consacrées aux différents
segments de la production industrielle.
Cependant, rares sont les travaux qui analysent et modélisent l’interaction entre les
facteurs macroéconomiques et tous les
secteurs productifs d’une économie. La
présente étude comble cette lacune pour
la Suisse. Le modèle qu’elle propose peut
toutefois s’appliquer facilement à d’autres
pays.
en Suisse. Celles-ci se répartissent en
seize secteurs de production, auxquels
s’ajoutent les impôts et les subventions sur
les produits (voir illustration 2). Le modèle
que nous proposons permet de déterminer comment ces secteurs réagissent aux
1 Dans cette analyse, nous nous limitons aux secteurs
dont la part au PIB est d’au moins 1 % Cela signifie que
treize secteurs sont modélisés.
Ill. 1. Le produit intérieur brut réel
4 En %
3
2
1
0
–1
–2
SECO / LA VIE ÉCONOMIQUE
L’industrie manufacturière est moins affectée par
les variations du taux de change que par la demande
étrangère. Production de bouteilles dans l’entreprise Sigg, à Frauenfeld.
mouvements qui affectent les principales
variables économiques, comme la demande étrangère, le taux de change ou les
taux d’intérêt1. En agrégeant les résultats
sectoriels, on peut calculer l’influence sur
le PIB.
La principale difficulté de la modélisation tient au fait que les secteurs, relativement nombreux, réagissent plus ou
moins vigoureusement et parfois avec retard aux variations de l’environnement
économique. D’une part, le modèle doit
être en mesure de prendre en compte
toutes sortes de réactions dans les différents secteurs. D’autre part, il ne doit pas
être trop complexe, afin qu’une définition
empirique solide de ses paramètres reste
possible. L’étude montre que la structure
d’un modèle factoriel dynamique et son
estimation au moyen de méthodes bayésiennes offrent un bon compromis entre
flexibilité et robustesse. On part de l’hypothèse que l’évolution dans les différents
secteurs est alimentée par une poignée de
facteurs communs et par des composantes
spécifiques à chacun d’eux. La dynamique
des facteurs communs reflète l’évolution
macroéconomique en Suisse, tandis que
les composantes spécifiques mesurent les
facteurs qui ne touchent que certains secteurs. Les facteurs communs peuvent aussi bien refléter les variables observées – par
exemple les taux d’intérêt ou de change –
que les autres. Les variables non observées
–3
Les secteurs évoluent
différemment
Le Secrétariat d’État à l’économie (Seco)
– en tenant compte des informations publiées chaque année par l’Office fédéral
de la statistique (OFS) – calcule des données trimestrielles sur la valeur ajoutée
–4
–5
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
Variations des stocks et écarts statistiques PIB Somme des composantes de la demande Taux de variation par rapport au trimestre précédent : données corrigées en fonction des variations saisonnières et du nombre de jours ouvrables, et non annualisées.
La Vie économique 11 / 2015 49
L’ÉTUDE
Ill. 2. Contribution des secteurs
de production au PIB suisse
0,1 %
18,4 %
10,5 %
10,6 %
14 %
SECO / LA VIE ÉCONOMIQUE
Agriculture (0,7 %) Industries extractives (0,1 %)
Industrie manufacturière (18,4 %)
Production et distribution d’énergie et d’eau (1,8 %) Construction (5,2%) Commerce (14 %) Transports et communication (7,9 %) Hébergement et restauration(1,7 %) Services financiers (5,4 %) Prestations d’assurance (4,1 %) Services aux entreprises (10,6 %)
Administration publique (10,5 %) Éducation et enseignement (0,5 %) Santé humaine et activités sociales (7,4 %) Prestations privées (2 %) Production des ménages (6,7 %) Impôts et subventions sur les produits (3,2 %) Parts nominales, 2014
dievowi.ch/?p=40736
(ou du moins difficiles à mesurer) sont, par
exemple, le progrès technologique, qui influence tous les secteurs, ou la perception
du risque par les acteurs économiques.
La distinction entre facteurs sectoriels
et communs permet de limiter le nombre
des paramètres à évaluer sans devoir formuler des hypothèses trop restrictives au
sujet de l’interaction entre les facteurs
macroéconomiques et les évolutions sectorielles. En outre, la méthode bayésienne
permet non seulement d’établir une estimation ponctuelle de tous les éléments
intéressants – soit tous les paramètres ou
50 La Vie économique 11 / 2015
prévisions –, mais également de définir leur
répartition complète et donc de représenter l’insécurité qu’ils recèlent.
Au moyen du modèle estimé, nous pouvons déterminer quelle part de fluctuations
est influencée par des facteurs spécifiques
dans chaque secteur et, par conséquent,
dans le PIB. Il s’avère que les facteurs
macroéconomiques jouent un rôle secondaire à court terme. Ainsi, ceux spécifiques
à un secteur expliquent jusqu’à 80 % des
fluctuations du PIB durant le premier trimestre faisant l’objet d’une prévision2. C’est
seulement à moyen terme, après un an environ, que les facteurs macroéconomiques
prennent le dessus et expliquent plus de la
moitié des fluctuations du PIB.
La demande étrangère
est déterminante
Dans notre modèle, nous identifions trois
facteurs d’influence : la demande étrangère, le taux de change et le taux d’intérêt.
Il apparaît que le premier détermine largement le cycle conjoncturel en Suisse. Si la
croissance augmente de 1 % à l’étranger,
elle progresse d’environ 0,4 % dans notre
pays. L’évolution du taux de change et la
politique monétaire ont également des répercussions tangibles. Une appréciation de
1 % du franc se traduit par une perte d’environ 0,15 % au niveau du PIB. Si les taux
d’intérêt augmentent d’un point de pourcentage, le PIB accuse une baisse d’environ
0,5 % un an après. Compte tenu des variations propres aux trois facteurs d’influence,
ces sensibilités impliquent toutefois que la
demande étrangère explique la majeure
partie des modifications du PIB.
L’évaluation macroéconomique cache
le fait que les secteurs réagissent très dif2 Il s’agit ici de la part à la variance de l’erreur de prévision.
féremment au contexte conjoncturel. Prenons les incidences estimées du taux de
change sur le PIB : elles sont certes relativement modérées, mais toute modification du taux peut avoir un effet considérable dans certains secteurs, alors
qu’il n’influencera guère la valeur ajoutée
dans d’autres. Les domaines les plus sensibles sont notamment ceux de la finance
– banques et assurances – et de l’énergie. Le faible impact du taux de change
sur la valeur ajoutée produite par l’industrie manufacturière est quelque peu étonnant. Nos résultats montrent en revanche
que ce secteur est fortement marqué par
la demande étrangère. Sans surprise, on
constate que certaines branches font
preuve d’une réelle fermeté par rapport
aux fluctuations des facteurs d’influence
étudiés. En font partie les prestations des
ménages privés, le domaine de la santé,
mais aussi l’administration publique.
Les résultats de notre étude montrent
donc que l’optique de la production fournit des informations détaillées sur les différentes branches. Il est important de
mieux comprendre l’interaction entre les
facteurs macroéconomiques et les évolutions sectorielles afin de compléter les
analyses basées sur la demande.
Gregor Bäurle
Chef économiste,
Conjoncture Suisse,
Banque nationale
suisse
Elizabeth Steiner
Cheffe économiste,
Conjoncture Suisse,
Banque nationale
suisse
La Banque asiatique d’investis­
sement dans les infrastructures se
fera avec la Suisse
La Chine a lancé la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB), un établissement qui pourrait concurrencer la Banque mondiale. La Suisse y participera pour plus de 700 millions d’USD. Le Conseil
fédéral espère que l’AIIB fera progresser la cause du développement
durable en Asie. Les besoins en infrastructures sont, en effet, importants :
il faut des routes, des ports, de l’électricité, des réseaux pour téléphones
portables et des systèmes d’assainissement. La participation suisse
devrait également ouvrir de nouveaux débouchés à nos entreprises. En
juin, le conseiller fédéral Johann N. Schneider-Ammann a signé les statuts
fondateurs ; c’est maintenant au Parlement de se prononcer. Comme l’a
montré la procédure de consultation qui vient de s’achever, l’initiative est
plutôt bien accueillie. Le dossier montre qui se cache derrière l’AIIB, ce
qu’il faut retenir des promesses de durabilité et de quelle façon la Banque
mondiale devrait réagir.
KEYSTONE
DOSSIER
BANQUE ASIATIQUE D’INVESTISSEMENT
Une nouvelle banque de développement
à vocation régionale
Avec la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB), l’Asie se dote d’une
institution susceptible de devenir un acteur majeur pour le financement de son développement. Fruit d’une initiative chinoise, la nouvelle banque régionale est majoritairement financée
par les pays asiatiques eux-mêmes. Conformément au modèle de développement chinois,
elle mise sur l’effet stimulant des infrastructures. Les projets retenus doivent promouvoir une
croissance durable et lutter contre la pauvreté. Par sa participation, la Suisse entend renforcer
ses relations commerciales avec cette région du monde. Werner Gruber
L Accéder à un financement
avantageux
En tant que nouvelle institution régionale de financement, la Banque asiatique
d’investissement dans les infrastructures
(AIIB) entend apporter une substantielle
contribution financière à des projets relevant du secteur des transports, de l’énergie, de l’eau et des eaux usées. Elle prévoit
également d’investir dans les installations
portuaires, les mesures de protection de
l’environnement, les technologies de l’information et des télécommunications, le
développement économique et la logistique dans les espaces ruraux et urbains.
L’AIIB travaille et noue des partenariats
1 Banque asiatique de développement, Infrastructure for
Supporting Inclusive Growth and Poverty Reduction in Asia,
2012 ; Banque asiatique de développement, Estimating
Demand for Infrastructure in Energy, Transport, Telecommunications, Water and Sanitation in Asia and the Pacific :
2010–2020, Institute Working Paper #248, 2010.
52 La Vie économique 11 / 2015
GETTY
es besoins en infrastructures sont
énormes en Asie. Aujourd’hui encore,
près de 1,8 milliard de personnes n’ont toujours pas accès à des installations sanitaires, 800 millions n’ont pas l’électricité et
600 millions pas d’eau potable1. Une étude
de la Banque asiatique de développement
(BAD), réalisée en 2012, conclut que l’Asie
devrait investir quelque 8000 milliards
d’USD dans ses infrastructures entre 2010
et 2020 pour conserver une croissance dynamique et pérenniser les succès remportés dans la lutte contre la pauvreté. La mise
à disposition d’infrastructures a plusieurs
objectifs : créer des emplois, diminuer les
coûts de production, faciliter l’accès à de
nouveaux débouchés et marchés de fournisseurs, et contribuer à une croissance
inclusive bénéficiant d’une large assise
géographique.
avec le secteur public et privé. À ce titre,
elle octroie des prêts et des crédits, émet
des garanties, souscrit des obligations
et prend des participations aux fonds
propres. Elle entend surtout mobiliser les
fonds de tiers. La banque peut en outre
octroyer une assistance technique et des
subsides d’investissement, ou allouer
des fonds spéciaux pour permettre, par
exemple, aux pays les plus pauvres d’obtenir des financements à taux préférentiel.
Le capital autorisé de l’AIIB s’élève à environ 100 milliards d’USD, dont 20 milliards
à libérer. Le reste forme le capital garanti. Le
capital social est à 75 % aux mains de pays
régionaux, asiatiques principalement. Font
partie de la région Asie-Pacifique les nations
d’Asie du Sud-Est et du Sud, les États insulaires du Pacifique, l’Asie centrale (Caucase
inclus), la Turquie, l’Australie, la Nouvelle-­
Le président chinois, Xi Jinping (au centre, à
droite), le 29 juin 2015, avec d’autres membres
fondateurs, dont le conseiller fédéral Johann N.
Schneider-Ammann (au centre, à gauche), lors
de la signature de l’accord.
Zélande, plusieurs États arabes et Israël. Afin
de financer ses activités, la banque lèvera
des fonds sur les marchés internationaux de
capitaux, en espérant mobiliser de nouvelles
sources de financement. La large distribution géographique des États membres et le
pourcentage relativement élevé de capital à
libérer ont un effet positif sur la solvabilité de
l’AIIB et donc sur sa capacité de se financer
à de bonnes conditions et de répercuter les
emprunts sur les pays bénéficiaires.
Une initiative chinoise
La Chine est à la base de l’initiative qui a
donné naissance à l’AIIB. L’insatisfaction
DOSSIER
de cette partie du continent à forte dynamique économique vis-à-vis des timides
réformes de gouvernance au sein de la
Banque mondiale et d’autres banques
multilatérales de développement n’y est
sans doute pas étrangère. Bien que la déclaration d’intention relative à sa fondation ait été signée par seulement 21 États
régionaux en octobre 2014, l’AIIB compte
aujourd’hui 57 membres fondateurs, dont
37 effectivement de la région et 20 autres
pour la plupart européens. Le processus de
fondation est resté ouvert à de nouveaux
membres jusqu’à la fin mars 2015. À l’approche de cette échéance, les adhésions
ont afflué. Un grand nombre de pays non
régionaux n’ont adhéré qu’au dernier moment, après avoir longtemps craint que la
Chine puisse peser trop fortement dans
la nouvelle institution et contourner les
normes internationales. La large assise
dont bénéficie maintenant l’AIIB lui confère
le rang de véritable institution financière
internationale. Il faut assurément y voir un
succès de la Chine.
Les principaux membres fondateurs régionaux sont la Chine, l’Inde, l’Indonésie,
le Pakistan, les Philippines, Singapour et
le Kazakhstan. Il faut leur ajouter l’Arabie
saoudite, le Koweït et le Qatar, de même
que l’Australie, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande. La Russie a également été
admise, car elle appartient à la région. La
plupart des pays régionaux ont, au sein du
Comité d’aide au développement de l’OCDE, le statut de bénéficiaires de l’aide publique au développement. Ils sont, de
surcroît, nombreux à bénéficier de la coopération internationale mise en œuvre par
la Direction du développement et de la
coopération (DDC) et le Secrétariat d’État à
l’économie (Seco)2. Le groupe des pays non
régionaux est principalement constitué,
outre la Suisse, d’États européens (Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, PaysBas, Espagne, Pologne, Autriche, Finlande
et pays scandinaves) et extra-européens
(Brésil, Égypte, Afrique du Sud). Les grands
absents sont les États-Unis et le Japon, qui
étaient, depuis le départ, très sceptiques
envers cette banque de développement
créée à l’initiative de la Chine. Toute une
série d’autres pays régionaux ou non (dont
un grand nombre parmi ceux de l’UE) ont
manifesté leur intérêt pour une adhésion
ultérieure.
2 Azerbaïdjan, Bangladesh, Géorgie, Indonésie, Jordanie,
Cambodge, Kirghizstan, Laos, Mongolie, Myanmar,
Népal, Pakistan, Sri Lanka, Tadjikistan, Ouzbékistan et
Vietnam.
Une réglementation fondée sur
les normes internationales
Contrairement aux craintes de nombreux
pays industrialisés occidentaux, la banque
a conçu des bases réglementaires (statuts,
politiques opérationnelle et financière,
normes environnementales et sociales)
qui satisfont, dans une large mesure aux
normes internationales. Elle s’attache parallèlement, dans l’esprit de sa devise « lean,
clean and green » (svelte, propre et verte), à
mettre en place des structures efficientes,
à définir des responsabilités claires et à
être proche de la clientèle. À la différence
d’autres banques de développement, elle
n’a pas de « resident board », autrement
dit de directeurs présents en permanence
au siège de la banque à Pékin. Les normes
sociales et environnementales doivent être
compatibles avec celles des autres banques
de développement. Elle entend coopérer étroitement avec elles et s’appuyer sur
leurs travaux. L’AIIB ne se positionne pas, de
prime abord, comme une concurrente. Elle
a, toutefois, l’ambition d’être à la fois plus
efficiente et efficace que les institutions
financières existantes.
Les statuts de l’AIIB correspondent
dans une large mesure aux normes qui prévalent dans des institutions comparables
et s’appuient sur l’expérience. Sur certains
points comme les conditions financières
et l’utilisation du capital, elle se se ménage
une plus grande marge de manœuvre. Les
statuts contiennent d’importantes garanties sur des questions aussi importantes
que la gouvernance, le respect des normes
internationales et la mise sur pied de mécanismes appropriés de contrôle interne.
Les politiques opérationnelles présentées
dans le projet, y compris les procédures
d’appel d’offres et les normes sociales et
environnementales, sont garantes d’une
gestion de l’AIIB correcte et conforme aux
normes. Ce cadre et le large soutien international apporté à la banque diminuent
aussi le risque d’instrumentalisation de la
part d’un ou plusieurs pays.
L’AIIB est dominée par les pays régionaux. C’est la première fois que les pays industrialisés occidentaux représentent clairement une minorité au sein d’une banque
de développement. Une telle situation reflète le déplacement du centre de gravité
économique et l’affirmation de cette région. Le fait que ces pays assument davantage de responsabilités et prennent davantage en main leur destinée est globalement
positif. L’AIIB offre également la possibilité
à la Chine de se rapprocher des normes internationales en ce qui concerne le financement de projets liés au développement.
Cela signifie également que les pays d’Europe de l’Ouest doivent être convaincants
pour faire entendre leur voix. Bien qu’une
volonté manifeste de collaborer et de créer
une nouvelle banque de développement
exemplaire se soit exprimée, on ne saurait
exclure des divergences d’opinion, obligeant les pays extérieurs à la région à faire
d’importants compromis. En ce sens, cette
configuration particulière recèle aussi de
nouveaux risques.
La Suisse participe
Le Conseil fédéral soutient l’adhésion de
la Suisse à la nouvelle banque. Le 29 juin
dernier, le conseiller fédéral Johannes N.
Schneider-Amann a signé l’accord à Péking avec 49 autres membres fondateurs.
Cette adhésion s’inscrit dans le cadre
de sa politique générale et économique
extérieures ainsi que de sa politique de
développement. L’AIIB remplit les condi-
Banques de développement auxquelles la Suisse participe
La Suisse participe à plusieurs banques multilatérales de développement, la principale étant la
Banque mondiale. Elle est en outre membre de
toute une série de banques régionales de développement, dont les plus significatives sont :
–– le Groupe de la Banque mondiale, qui comprend
la Banque internationale de reconstruction et de
développement (Bird), l’Association internationale de développement (IDA), la Société financière internationale (SFI) et l’Agence multilatérale de garantie des investissements (Amgi) ;
–– la Banque européenne pour la reconstruction et
le développement (Berd) ;
–– la Banque asiatique de développement (BAD) ;
–– la Banque africaine de développement (BAfD) ;
–– la Banque interaméricaine de développement
(BID).
Les défis mondiaux requièrent une concertation internationale. Les institutions mentionnées
disposent d’importantes ressources financières et
d’instruments efficaces pour trouver des solutions
à des problèmes mondiaux. Cofinancer ces banques
confère à la Suisse un droit de regard. Le fait de participer à une banque de développement financée
sur le marché des capitaux permet, en outre, de
générer un puissant effet de levier pour la mobilisation de ressources destinées à la coopération au
développement. Enfin, ces banques sont souvent à
l’avant-garde, disposent d’un grand savoir-faire et
sont par conséquent d’importants partenaires de la
coopération internationale de la Suisse.
En tant que nouvel acteur régional en Asie, l’AIIB
complète judicieusement ces participations.
La Vie économique 11 / 2015 53
BANQUE ASIATIQUE D’INVESTISSEMENT
tions requises pour devenir un pilier significatif de l’architecture internationale
des banques de développement. Elle
peut fortement contribuer à répondre
aux importants besoins d’infrastructures, à promouvoir un développement
économique durable et à lutter contre
la pauvreté en Asie. Notre participation
renforcerait également les relations avec
la Chine– qui bénéficient d’un accord de
libre-échange depuis l’année dernière
– comme avec l’ensemble du continent.
Elle offrirait aux entreprises suisses la
possibilité d’y développer leurs relations
commerciales.
Selon la quote-part établie, la Suisse
participerait à l’AIIB à hauteur de 706,4
millions d’USD. Ce montant serait à libérer en cinq tranches annuelles de 141,5
millions. Les trois premières tranches
seraient intégralement financées par le
budget du Seco et de la DDC consacré à
la coopération internationale. La question du financement des quatrième et
cinquième tranches reste ouverte. Ces
tranches seront compensées dans la mesure où elles pourront être imputées à
l’aide publique au développement ; cette
question devra faire l’objet d’un accord
international. Dans sa décision, le Conseil
fédéral tient compte des orientations de
la nouvelle banque en matière de développement et des incertitudes qui demeurent à cet égard.
Contribuer à l’expansion
de la banque
La Suisse, qui est l’un des premiers pays
d’Europe occidentale à avoir rejoint le projet, entend continuer à s’impliquer activement dans le processus de fondation. Elle
s’attache donc, précisément durant la phase
initiale cruciale, à jouer un rôle particulièrement actif via le conseil d’administration de
la banque. Elle entend notamment veiller au
respect des normes internationales, éviter la
sous-enchère et une concurrence déloyale
vis-à-vis des autres institutions financières,
et accorder une attention toute particulière
aux besoins de pays moins avancés. Elle
estime également essentiel de collaborer
étroitement avec d’autres institutions financières, d’opérer une coordination au niveau
régional, d’avoir l’esprit ouvert aux mécanismes de financement novateurs et d’aider
les pays concernés à concevoir des projets
aptes à décrocher un financement.
Après une brève procédure de consultation, le projet est maintenant devant le
Parlement, qui en débattra durant la session d’hiver 2015. La procédure de consultation a montré que l’adhésion de la Suisse
à l’AIIB bénéficie d’un large soutien. Le rôle
de la banque dans le financement du développement et des infrastructures, de
même que les perspectives économiques
qui s’offrent à la Suisse ont été particulièrement salués. Par contre, un certain
nombre de participants ont émis des réserves quant à l’orientation et à l’importance encore floues de la nouvelle banque
en matière de développement. Ils sont
également préoccupés par les incertitudes
qui subsistent concernant le respect des
normes sociales et environnementales. La
compensation, dans le cadre de la coopération internationale, de la participation au
capital a également été critiquée.
L’AIIB devrait être formellement instaurée fin 2015 ou au plus tard début 2016.
La Suisse pourrait ainsi déposer les documents de ratification durant le premier semestre de 2016 et donc finaliser son adhésion à la banque. Une ratification rapide
est dans son intérêt si elle veut participer
rapidement, en qualité de membre à part
entière, au processus de mise en place de
l’AIIB, qui se profile comme un nouvel acteur majeur du financement dans la région.
Werner Gruber
Délégué extraordinaire à la Banque asiatique
d’investissement dans les infrastructures
(AIIB), secteur Coopération multilatérale,
Secrétariat d’État à l’économie (Seco), Berne
Partenaire ou concurrente de la Banque mondiale ?
Le positionnement de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB) vis-à-vis
des autres banques de développement n’est pas encore clair. À l’heure actuelle, tout indique que
l’établissement pékinois se comportera en professionnel. Pour cette raison, la Banque mondiale
devrait considérer le nouvel acteur comme un allié en matière de développement. Stefan Denzler
D u point de vue chinois, la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB) dans les infrastructures représente un outil indispensable
pour améliorer la présence d’une puissance
économique émergente dans l’architecture multilatérale du développement. L’AIIB
enrichira indubitablement le paysage des
banques multilatérales de développement.
Ce sera d’abord une nouvelle concurrente –
54 La Vie économique 11 / 2015
principalement de la Banque asiatique de développement1 – en ce qui concerne la solidité des projets d’investissement préparés, la
qualification du personnel ou la mobilisation
de fonds étrangers.
L’AIIB pourra aussi renforcer le respect,
par les banques de développement exis-
tantes, de normes de qualité élevées et
harmonisées, soit par le financement commun de grands projets d’infrastructure,
soit par le partage de conseils en matière
de stratégie. La création de l’AIIB devrait
encourager la Banque mondiale2 (voir tableau) à accélérer les réformes en cours.
1 La Banque asiatique de développement (BAD) compte 67
membres, dont la Chine, les États-Unis et la Suisse.
2 Par Banque mondiale, on désigne ici l’ensemble du Groupe de la Banque mondiale (GBM). Toutes les institutions
du GBM sont énumérées dans le tableau final.
DOSSIER
La Chine est le pays qui enregistre les balances courantes excédentaires les plus
importantes et constitue de la sorte le plus
grand épargnant du monde. Elle absorbe
à peu près 50 % de la production mondiale de matières premières. Elle investit à
l’étranger des sommes colossales, tant sur
le plan bilatéral que multilatéral, dans des
projets tels que la construction d’une nouvelle voie maritime à travers le Nicaragua
pour concurrencer le canal de Panama. Elle
assume en outre un rôle de leader des pays
en développement dans la plupart des négociations internationales de premier plan.
En d’autres termes, ce pays est devenu l’un
des acteurs incontournables du développement. Aucun des Objectifs de développement durable, convenus cette année par
l’ONU, ne sera atteint sans le soutien de la
Chine, de ses finances et de ses entreprises.
La Chine a compris que, pour renforcer sa
légitimité en tant qu’acteur du développement en Asie, en Afrique et en Amérique latine, il lui faut engager une partie de ses excédents dans des canaux multilatéraux. Elle
a également compris qu’elle doit s’orienter
vers le respect des normes et des politiques
d’investissement internationales. L’AIIB lui
permettra de mieux réaliser cet objectif que
la banque moins équilibrée des Brics3. C’est
dans ce contexte qu’il faut situer l’invitation
très large faite aux membres fondateurs de
constituer et de capitaliser l’AIIB, de même
que le dialogue en cours avec des organisations multilatérales comme la Banque mondiale pour concevoir les statuts et règlements de l’AIIB.
Le succès du système des banques
multilatérales de développement dépend
de son effort collectif pour intégrer à part
entière la plus grande économie nationale
du monde. Pour des raisons politiques, la
Banque asiatique de développement n’a
pas été en mesure de s’adapter à la nouvelle réalité chinoise.
Du point de vue de la Banque mondiale, il est crucial d’avoir de bons rapports
avec le nouvel acteur, car cette institution
est étroitement liée à la Chine, soit par les
achats publics de biens d’infrastructure –
dont ce pays est de loin le fournisseur le
plus important –, soit par le financement
3 La Nouvelle banque de développement (New Development Bank, NDB) a été fondée le 15 juillet 2014 par le
Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Sa
capitalisation et Sa structure de gouvernance sont axées
unilatéralement sur ces cinq pays émergents.
KEYSTONE
Dépendance des banques de développement vis-à-vis de la Chine
commun de programmes de la Société financière internationale (SFI). La Banque
mondiale n’a donc aucun intérêt à rechercher la confrontation et devra tenter d’intégrer l’initiative chinoise dans le système
multilatéral. Il est d’ailleurs normal que l’arrivée d’un nouvel acteur suscite des tensions. Il en résultera un nouvel équilibre et
des formes efficaces de coopération entre
les banques de développement.
La mondialisation exige une
nouvelle définition du rôle de
la Banque mondiale
Au cours des sept décennies écoulées depuis sa fondation à Bretton Woods en 1944,
la Banque mondiale a consolidé sa réputation de banque multilatérale visionnaire.
Elle a fait preuve d’agilité et a abandonné
son mandat initial, à savoir la reconstruction des pays victimes de la guerre, pour se
consacrer à la réduction de la pauvreté.
Le Groupe de la Banque mondiale (GBM)
n’a cessé d’adapter sa palette d’instruments et son organisation aux nouvelles
exigences. Ainsi, en 1988, a été fondée
l’Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI), qui assure les investissements privés contre les risques
politiques. Depuis les années nonante, la
Banque mondiale soutient en outre la transition en Europe de l’Est. Elle n’a cependant jamais abandonné son cœur de métier, soit le financement à long terme des
infrastructures publiques de base. Cellesci représentent toujours 70 % du portefeuille, les trois secteurs principaux étant
les transports, l’énergie et l’eau.
La Chine propose le précédent vice-ministre des
Finances, Jin Liqun, comme futur président de
l’AIIB.
Grâce à ses compétences spécialisées
ainsi qu’à sa portée et à sa présence universelles, la Banque mondiale assume un
rôle de leader dans les questions urgentes
de développement de ses pays partenaires.
Ces quinze dernières années, elle a lancé
et gère de plus en plus de fonds de développement soit thématiques, soit géographiques, fréquemment financés par des
fonds étrangers issus de donneurs bilatéraux. De nos jours, plus d’un tiers des
15 000 collaborateurs de la Banque mondiale travaillent dans de tels fonds fiduciaires. La valeur totale des quelque 800
fonds inscrits à son portefeuille s’élève à
45 milliards de dollars.
La Banque mondiale a fait ses preuves
en tant qu’instrument multilatéral capable
de mettre sur pied des biens publics mondiaux dans des domaines comme la protection du climat, la sécurité alimentaire, le désendettement des pays les plus pauvres ou,
tout récemment, la maîtrise de l’épidémie
d’Ebola en Afrique occidentale. À travers
la SFI, elle finance en outre le secteur privé
dans les pays en développement d’une manière à la fois novatrice et profitable.
La Banque mondiale fait cependant face
à un défi. Si elle entend rester en phase
avec le dynamisme inhabituel de la mondialisation, elle doit adapter la façon dont
elle conçoit son rôle. Ainsi, son actionnariat est toujours dominé par les pays donateurs traditionnels, principalement les
États-Unis, le Japon et les Européens. Or,
Washington, dont la part de capital dé-
La Vie économique 11 / 2015 55
BANQUE ASIATIQUE D’INVESTISSEMENT
passe 15 %, n’est pas près de renoncer à sa
minorité de blocage. Les pays émergents
à forte croissance, comme la Chine, l’Inde ou l’Indonésie, restent donc nettement
sous-représentés.
À cela s’ajoute que la présidence de la
Banque mondiale est traditionnellement
attribuée aux États-Unis et celle du Fonds
monétaire international (FMI) à l’Europe. Il
n’est pas surprenant que, des 25 directeurs
exécutifs de la Banque mondiale, presque
un tiers proviennent actuellement du Vieux
Continent4. La recherche d’une formule
moderne et équilibrée d’attribution des
parts de capital est en cours.
De la banque à l’établissement
de conseil
Contrairement à la situation qui prévalait
pendant les décennies qui ont immédiatement suivi la Deuxième Guerre mondiale,
la Banque mondiale n’est plus l’unique, ni
même la première source de financement
des pays en développement. Même les
pays pauvres disposent d’un vaste choix
avec les banques régionales et nationales
de développement, les œuvres d’entraide
privées, les investissements étrangers directs ou les partenariats public-privé. Les
recettes fiscales ont, par ailleurs, augmenté
dans la plupart des pays en développement.
Enfin ces États ont plus de facilité à emprunter sur les marchés de capitaux privés
qu’autrefois. Le programme de la Banque
mondiale ne finance donc plus qu’un petit
pourcentage des budgets publics des pays
en développement.
Comment la Banque mondiale pourrait-elle améliorer sa raison d’être ? L’alternative est la suivante : soit elle augmente substantiellement son capital, soit
elle change de modèle d’affaires et passe
de la banque de développement à un éta4 Grande-Bretagne, France, Allemagne, Italie, Pays-Bas,
Belgique, Finlande et Suisse.
blissement fournissant des conseils stratégiques, application comprise, tout en
mobilisant, administrant et regroupant de
façon optimale les ressources d’autres acteurs. En fait, la Banque mondiale s’est déjà
réorientée fortement dans ce sens et est
aujourd’hui un hybride des deux modèles.
Elle agit avec succès comme catalyseur de
capitaux indigènes et internationaux, selon la devise « des milliards aux billions ».
En ce nouveau millénaire, la distinction
entre pays en développement et pays industrialisés est dépassée, mais, à la Banque
mondiale, elle constitue toujours le critère des questions de gouvernance et d’accès aux crédits. Or, ce sont justement les
pays émergents, Chine en tête, qui mettent
à l’épreuve la crédibilité et l’efficacité du
système multilatéral : eux-mêmes revendiquent toujours des fonds (modestes) pour
se développer, mais ne participent qu’avec
réticence à l’octroi de fonds concessionnels. Le système actuel des deux catégories menace non seulement de provoquer
des blocages au sein de la Banque mondiale, mais s’est encore avéré extrêmement
handicapant et tenace dans d’autres processus multilatéraux, à commencer par les
négociations de l’ONU sur le climat.
Réexaminer ces questions améliorerait
encore l’acceptation et la force de frappe
du financement multilatéral du développement, notamment celles de l’Association
internationale de développement (IDA), qui
fait partie du GBM. La fondation de l’AIIB
permettra à la Chine de renforcer son rôle
multilatéral et ses responsabilités. Parallèlement, cela devrait encourager la Banque
mondiale à avancer rigoureusement dans les
questions de stratégie évoquées plus haut.
L’AIIB respecte les normes
­environnementales et sociales
En matière d’octroi de crédits, l’AIIB
connaîtra un problème familier à toutes
les banques de développement : si les in-
vestissements requis dans les pays en développement pour les infrastructures sont
pratiquement illimités – en Asie, on les
estime par exemple à plus de 700 milliards
de francs par an –, les projets satisfaisant à
tous les critères des banques de développement sont extrêmement rares.
À l’origine, on craignait qu’en se soustrayant aux normes environnementales et
sociales, l’AIIB ne « débauche » des projets
de la Banque mondiale et n’en mine les efforts en faveur de la durabilité. Or, toutes
les démarches entreprises jusqu’ici par ce
nouvel acteur démontrent heureusement
qu’il entend mettre sur pied un système
moderne de normes environnementales et
sociales, qui s’inspire étroitement de celui
de la Banque mondiale. Il en va de même
de la politique de l’AIIB en matière d’achats
publics ou d’accès aux informations. Cette
harmonisation des normes facilite donc
l’examen et le financement communs de
grands projets d’infrastructure en liaison
avec d’autres banques de développement,
ce qui est un but avoué de l’AIIB.
Contrairement à la Banque mondiale,
l’AIIB cultive à dessein une structure de gouvernance extrêmement svelte, ne prévoyant
par exemple pas de conseil d’administration
permanent. Si cela a l’avantage de réduire
les coûts, l’inconvénient est un ancrage plus
faible dans les pays membres. Quant aux
ressources humaines, il faudra continuer
d’observer si l’AIIB débauche de façon ciblée
des cadres supérieurs de la Banque mondiale pour se garantir un envol rapide et professionnel. En principe, vu les barrières linguistiques et autres (image et qualité de la
vie à Pékin, etc.), l’AIIB devrait avoir plus de
peine à attirer des spécialistes étrangers que
les institutions de Bretton Woods.
En revanche, si l’AIIB pratique une stratégie agressive en matière de mobilisation
de fonds étrangers, la Banque mondiale en
sera affectée. Les banques privées, caisses
de retraite ou fonds publics qui investissent
parallèlement à la SFI orientent leurs déci-
Association internationale
Banque internationale pour
la reconstruction et le dévelop- de développement (IDA)
pement (Bird)
Société financière
internationale (SFI)
Agence multilatérale de garan- Centre international pour le rètie des investissements (Amgi) glement des différends relatifs
aux investissements (Cirdi)
Octroie aux conditions du mar- Octroie des crédits et des subché des crédits aux pays en dé- ventions à long terme et sans
veloppement à revenu moyen intérêts aux pays en développement les plus pauvres
Soutient aux conditions du
marché le secteur privé dans
les pays en développement et
émergents par des prêts, des
participations au capital et
d’autres produits financiers,
ainsi qu’en offrant des conseils
Encourage les investissements
étrangers directs dans les pays
en développement par des garanties couvrant les risques
non commerciaux et offre des
conseils en matière d’investissement
56 La Vie économique 11 / 2015
Arbitre les différends relatifs
aux investissements entre
gouvernements et investisseurs étrangers, et offre des
conseils
MINISTÈRE ALLEMAND DE LA COOPÉRATION ÉCONOMIQUE ET DU DÉVELOPPEMENT / LA VIE ÉCONOMIQUE
Les cinq institutions du Groupe de la Banque mondiale
DOSSIER
Grâce à ses compétences spécialisées,
l’AIIB s’imposera sans doute comme acteur
qualifié. Elle cherchera à avoir la primauté
dans les questions régionales urgentes et les
initiatives spécifiques. Ce faisant, elle concurrencera davantage la Banque asiatique de développement que la Banque mondiale. En effet, cette dernière ne bénéficie pas seulement
de l’avantage d’occuper déjà avec succès plusieurs terrains thématiques, mais est encore
prédestinée, en tant qu’institution mondiale,
à mettre en œuvre un programme universel,
comme le sont les Objectifs de développement durable de l’ONU.
KEYSTONE
La concurrence stimule
les affaires
Il serait judicieux que la Banque mondiale et l’AIIB
adoptent une stratégie commune pour les grands
projets d’infrastructure.
sions davantage en fonction du gain que
des priorités politiques de Washington ou
de Pékin. Ces bailleurs de fonds se tourneront donc de préférence vers l’AIIB si leurs
investissements leur promettent des rendements supérieurs.
Pour sponsoriser le développement,
l’AIIB parviendra-t-elle en outre à s’ouvrir
d’autres sources externes d’approvisionnement en Chine même, par exemple des
entreprises publiques disposant de capitaux importants ou des millionnaires
chinois, devenus entre-temps nombreux ?
Cela aussi serait concevable.
Les villes et les provinces,
des clientes potentielles
Les cibles potentielles de l’AIIB sont en particulier les villes, les provinces et leurs entreprises de distribution, car le GBM ne couvre
que partiellement cette clientèle, qui ne dis-
pose souvent pas de garantie d’État. En effet, alors que la Banque internationale pour
la reconstruction et le développement (Bird)
se focalise sur les gouvernements nationaux, la SFI se concentre sur le secteur privé.
Si l’AIIB parvenait donc à combler cette lacune stratégique, le paysage multilatéral en
serait complété de façon parfaite. À ce propos, il faut noter que, dans le monde entier,
une grande partie des infrastructures sont
financées et construites à l’échelon infranational et que le nombre de clients potentiels
est considérable dans des pays comme la
Chine, l’Inde ou l’Indonésie.
Enfin, la Banque mondiale et l’AIIB devront aussi coopérer pour accorder leurs
programmes nationaux à moyen terme
ou mener le dialogue politique avec les
gouvernements partenaires. Une stratégie concertée pourrait considérablement
améliorer leur crédibilité et leur efficacité,
alors que les recommandations contradictoires des partenaires au développement
se neutralisent ou sèment la confusion.
Il n’en reste pas moins que l’AIIB concurrencera avec la Banque mondiale. L’essentiel
est que cette compétition soit loyale et que
l’AIIB s’engage à respecter les normes internationales, ce qui semble actuellement son
ambition. Dans ces conditions, les banques
de développement subissent la même règle
que le secteur privé : la concurrence stimule
les affaires. Chose intéressante, la devise de
l’AIIB, « lean, clean and green » (économique,
propre et vert), correspond à maints égards
aux réformes en cours au sein de la Banque
mondiale.
La Suisse devrait s’engager activement
dans les deux institutions – Banque mondiale
et AIIB – en faveur du respect des normes harmonisées et d’une collaboration fructueuse.
Elle devra veiller à ce qu’avec presque 30 % du
capital, l’État dominant (où la banque a aussi son siège), soit la Chine, n’instrumentalise
pas l’AIIB à son profit. Il faut que les décisions
d’investir servent en premier lieu à la réduction de la pauvreté et non à des fins géopolitiques. Enfin, en matière d’infrastructures,
l’AIIB devrait mobiliser les connaissances
et les fonds du secteur privé plutôt que de
suivre les modèles purement étatiques d’inspiration chinoise. Tout cela devrait lui permettre de renforcer le système des banques
multilatérales de développement.
Stefan Denzler
Senior Advisor, Banque mondiale,
Washington D.C.
La Vie économique 11 / 2015 57
BANQUE ASIATIQUE D’INVESTISSEMENT
L’Asie a besoin de billions pour l’électricité et les routes
Les projets d’infrastructures en Asie mobilisent des sommes gigantesques. Une étude montre
que l’entretien et le développement des voies de communication, l’approvisionnement énergétique et les télécommunications nécessiteront 8 billions d’USD durant la présente décennie. La
Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB) peut jouer un rôle important
dans ce domaine. Biswa Nath Bhattacharyay
À économies asiatiques, recèlent un grand
potentiel et peuvent devenir de nouveaux
moteurs de croissance. Ils sont, par nature,
vecteurs d’emplois et d’investissements.
Une meilleure connectivité des infrastructures en Asie et au-delà pourrait renforcer
la compétitivité nationale et régionale ainsi
que la productivité, accélérer la reprise économique et contribuer à générer une croissance équilibrée et inclusive à moyen et à
long termes.
L’un des grands défis posés à la connectivité des infrastructures en Asie est
l’énorme besoin de financement. Celui-ci
se chiffre à 8,22 billions d’USD pour les années 2010 à 2020, soit 750 milliards par
an, dans les secteurs des transports (aéroports, ports, chemins de fer et routes),
des télécommunications (réseaux fixe et
mobile), de l’énergie (électricité), de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement. Ce montant se répartit entre les
nouveaux investissements (68 %) et l’entretien ou le remplacement d’infrastructures existantes (32 %), comme le montre
une étude menée par l’auteur du présent
article pour la Banque asiatique de développement (BAD) en 20101.
Pour mobiliser autant de moyens en faveur des infrastructures en Asie, il faut
écarter l’idée d’une solution unique. Les besoins sont trop importants, trop vastes et
1 Bhattachryay Biswa Nath, Estimating Demand for
Infrastructure in Energy, Transport, Telecommunications,
Water and Sanitation in Asia and the Pacific : 2010–2020,
2010.
KEYSTONE
la suite de la crise financière mondiale
de 2008 et des turbulences provoquées par la dette en Europe, les économies
avancées, telles que celles des États-Unis
ou de notre continent, sont confrontées à
un ralentissement de la croissance, voire à
une récession, et à un recul de la consommation. Par ailleurs, de grandes économies
asiatiques ont vu leur croissance se contracter ces dernières années. L’Asie doit réorienter sa production – laquelle dépend des exportations – de même que sa croissance vers
les marchés du continent. Cela passe par
une plus grande connectivité intrarégionale
des infrastructures et une intégration économique régionale plus poussée. De vastes
projets d’infrastructures de portée nationale ou régionale, qui impliquent plusieurs
Les sommes nécessaires à la construction de routes en Asie sont colossales. Chantier en Inde.
58 La Vie économique 11 / 2015
DOSSIER
Secteur/sous-secteur
Asie de l’Est et du Sud-Est
Asie du Sud
Asie centrale
Pacifique
Total
Électricité
3182,46
653,67
167,16
–
4003,29
Transports
1593,87
1196,12
104,48
4,41
2898,87
Aéroports
57,73
5,07
1,41
0,10
64,31
215,20
36,08
5,38
–
256,65
16,14
12,78
6,03
0,00
34,95
Routes
1304,80
1142,20
91,65
4,31
2542,97
Télécommunications
524,75
435,62
78,62
1,11
1040,10
Réseau fixe
142,91
6,46
4,45
0,05
153,87
Téléphonie mobile
339,05
415,87
71,97
0,95
827,84
Réseau à large bande
42,78
13,29
2,21
0,11
58,39
Eau et assainissement
171,25
85,09
23,40
0,51
280,24
Eau
58,37
46,12
8,60
0,14
113,22
Assainissement
112,88
38,97
14,80
0,36
167,02
5472,33
2370,50
373,66
6,02
8222,50
Ports
Chemins de fer
Total
En milliards d’USD ; par sous-région et sous-secteur.
trop protéiformes, ce qui exige des sources
et des mécanismes multiples de dotation.
Des projets d’infrastructures relevant de
secteurs et de configurations sociales, juridiques ou institutionnelles variés appellent
différents modes de financement. De nouvelles modalités et institutions de financement des infrastructures sont, dès lors, de
mise, étant donné que la capacité des organisations existantes, telles que les banques
multilatérales de développement et les
agences bilatérales de développement, est
limitée par rapport aux énormes besoins
d’investissements.
Une option serait de créer de nouvelles
banques spécialisées dans les infrastructures, à l’image des banques asiatiques
de financement qui leur sont consacrées
au niveau régional ou sous-régional. Une
autre possibilité serait de créer un nouveau fonds asiatique qui serait administré
par les banques multilatérales de développement, telles que la Banque asiatique de
développement ou le Groupe de la Banque
mondiale2.
C’est un fait, l’Asie devra investir davantage dans les infrastructures ces prochaines années. En effet, les besoins en
matière d’entretien et de remplacement
des infrastructures existantes augmentent
dans certains petits pays à croissance rapide, tels que le Bangladesh et le Myanmar.
Par ailleurs, plusieurs catastrophes naturelles se sont abattues sur ce continent ces
dernières années, qu’il s’agisse des graves
inondations au Pakistan et au Myanmar,
des ouragans aux Philippines, du cyclone
au Vanuatu et du tremblement de terre au
Népal. Surmonter les effets de telles catastrophes demande un développement croissant des infrastructures.
2 Bhattachryay Biswa Nath (2012), « Modes of Asian
Financial Integration : Financing Infrastructure », dans Infrastructure for Asian Connectivity, pp. 349–401, Edward
Elgar Publishing.
L’AIIB peut jouer un rôle important
Les besoins financiers en Asie étant très
importants, il y a de la place pour de nouvelles institutions. Cela dit, il est fondamental que les institutions financières
régionales, les banques et les agences bilatérales de développement se différencient
clairement, tout en se complétant de façon
adéquate, afin que les infrastructures se
développent efficacement. En juin dernier, la Banque asiatique d’investissement
dans les infrastructures (AIIB) a été élaboréeet dotée d’un capital social autorisé de
100 milliards d’USD.
De nouvelles banques multilatérales de
développement, à l’instar de l’AIIB, peuvent
jouer un rôle clé si elles ont la capacité d’induire efficacement une utilisation plus large
des actifs financiers en vue du développement des infrastructures. Elles doivent, par
ailleurs, être prêtes à concéder des prêts
à taux faible et au moment opportun, no-
La Vie économique 11 / 2015 59
BHATTACHARYAY (2010) / ISTOCK / WWW.FLATICON.COM/AUTHORS/VECTORGRAPHIT /
LA VIE ÉCONOMIQUE
Besoins d’investissements dans les infrastructures en Asie, 2010–2020
BANQUE ASIATIQUE D’INVESTISSEMENT
tamment dans les domaines de l’énergie,
de la navigation et des ports. Il est important que les mécanismes soient simples et
conviviaux, qu’ils fonctionnent sans accroc.
Il serait de surcroît essentiel que de nouvelles banques multilatérales de développement collaborent avec les secteurs bancaire
et financier pour cofinancer et garantir le financement privé d’investissements. Elles
doivent s’efforcer, en finançant des projets
régionaux ou transfrontaliers, d’améliorer
la connectivité des territoires concernés et
donc d’encourager la coopération économique régionale et l’intégration.
Unifier les règles pour faciliter
les investissements
D’une manière générale, les « infrastructures lourdes » – comme l’approvisionnement énergétique et les routes – dominent
les discussions. Elles ne peuvent, toutefois,
fonctionner efficacement sans « infrastructures légères ». Ces dernières incluent les
politiques, réformes, réglementations, systèmes et procédures, connaissances, capacités techniques et institutions propices à une
connectivité efficiente des infrastructures et
à la promotion d’une croissance inclusive et
durable. La connectivité en Asie requiert que
l’on soit particulièrement attentif :
–– à une coopération efficace entre les différentes agences et parties prenantes ;
–– à l’identification et à la hiérarchisation
des projets ;
–– au développement et à la standardisation des politiques réglementaires et des
cadres juridiques appropriés ;
–– au renforcement des capacités des pays
en développement, notamment dans la
conception et la mise en œuvre des projets de partenariats public-privé (PPP) ;
60 La Vie économique 11 / 2015
–– au traitement des questions touchant à la
protection sociale et à l’environnement ;
–– à la promotion d’une bonne gouvernance
permettant un développement des infrastructures qui soit de qualité et présente un bon rapport coût-efficacité ;
–– à l’encouragement de la participation
du secteur privé et de mécanismes innovants de financement des infrastructures.
Les institutions régionales devraient faciliter le développement des « infrastructures légères » par une coordination et
une coopération efficaces entre pays asiatiques.
Planifier pour plusieurs
générations
Un autre grand défi à relever est le
manque de projets d’infrastructure susceptibles d’être financés par une banque
et qui soient économiquement viables.
Les projets d’infrastructures s’étalant généralement sur une longue période, il est
difficile d’évaluer le retour sur investissement. Il est urgent, dès lors, de concevoir
et de développer des projets d’infrastructures « bancables » qui font appel à des
instruments pertinents, tels que divers
modèles de PPP, des financements à taux
préférentiel pour les pays les moins avancés et d’autres approches innovantes.
Identifier, prioriser et préparer des projets viables est une tâche souvent ardue et
complexe. Des analyses coûts-bénéfices
pertinentes s’avèrent indispensables, non
seulement pour la génération actuelle,
mais aussi pour celles à venir. Il est donc
primordial que les banques multilatérales
de développement existantes, les nou-
velles banques multilatérales de développement, les agences bilatérales de développement, les banques d’investissement,
les institutions régionales de coopération
et les institutions nationales spécifiques,
renforcent leur capacité à identifier et à
façonner des projets pertinents.
Pour mettre en place des réseaux d’infrastructures efficaces, inclusifs, durables
et sûrs, les pays asiatiques doivent renforcer leur cadre juridique et réglementaire et
concevoir de nouvelles lois et réglementations. Ils doivent également instituer des
organes de surveillance indépendants et
efficaces. Pour que des projets transfrontaliers se concrétisent sans souci, il est nécessaire d’harmoniser le cadre réglementaire et juridique ainsi que les systèmes et
les procédures. Actuellement, la Banque
mondiale et la Banque asiatique de développement financent des projets au niveau national. Pour les projets régionaux,
il faut disposer d’instruments et de mécanismes appropriés lorsque plusieurs pays
sont impliqués. Il est par conséquent indispensable de renforcer la coordination,
la collaboration et les partenariats entre
les institutions régionales pour assurer
une connectivité sans faille en Asie.
Biswa Nath Bhattacharyay
Ancien conseiller à la Banque asiatique de
développement (BAD), Manille ; chargé de
cours à l’université McGill, Montréal
INFRASTRUCTURES
Aménagement de l’infrastructure ferroviaire : en avant pour la prochaine étape
L’extension du réseau ferroviaire suisse est réglée pour les dix prochaines années. Il faut maintenant s’occuper de la prochaine étape, qui s’achèvera en 2030. Le processus de planification
sera fondamentalement renouvelé pour l’occasion. Toni Eder, Christophe Mayor
Abrégé En acceptant le projet Faif, les électeurs
ont aussi modifié la planification des futurs
aménagements de l’infrastructure ferroviaire.
À l’avenir, ceux-ci seront définis au cours d’un
processus échelonné impliquant tous les partenaires concernés par le trafic régional, les
grandes lignes et les convois de marchandises.
Ce processus s’inscrit dans une stratégie à long
terme et dans le concept global d’aménagement
du territoire suisse. Comme il n’est pas possible
de financer tous les projets, il faut définir des
priorités. C’est sur cette base que travaille l’Office fédéral des transports (OFT) et que sera défini le contenu de l’étape d’aménagement 2030 à
présenter au Parlement.
adoption par référendum du projet « Financement et aménagement de l’infrastructure ferroviaire » (Faif) a permis de
créer un fonds d’infrastructure ferroviaire
(FIF) de durée indéterminée, figurant dans la
Constitution fédérale1. Ce dernier permet une
planification permanente et met à disposition
les moyens nécessaires à un aménagement
progressif du réseau, conformément à la demande. Parallèlement, les procédures liées à
la planification de l’aménagement ont été définies, tandis que les tâches et le rôle de chacune des parties prenantes ont été répartis
ou partiellement réaménagés.
Le Programme de développement stratégique (Prodes) prévoit une planification
par étapes, aménagée selon un processus
participatif incluant un ajustage progressif2. Les planifications nationale et régionale seront ainsi harmonisées et les différents acteurs impliqués dès le début des
études. La diversité des modes de transport doit être prise en compte de manière
appropriée pendant la durée totale des
études de planification3.
1 Le texte entrera en vigueur le 1er janvier 2016, conformément à la décision du Conseil fédéral du 2 juin 2014.
2Itération.
3 L’OFT étudie les prochaines étapes depuis l’année dernière. L’aménagement de l’infrastructure ferroviaire est
régi par le nouvel art. 48 de la loi fédérale sur les chemins
de fer (LCdF). Celui-ci stipule que les infrastructures
évolueront en fonction du Prodes.
KEYSTONE
L’ L’aménagement s’inscrira dans la stratégie ferroviaire à long terme et se réalisera par étapes. La première – déjà autorisée
– correspond à la période qui va jusqu’en
2025 (voir encadré). La suivante (2030) doit
faire l’objet d’un message que le Conseil
fédéral présentera au Parlement d’ici 2018.
Les orientations stratégiques de la planification sont les suivantes :
1. L’aménagement de l’infrastructure
table sur la demande prévisible pendant les heures de pointe. La capacité
du réseau est augmentée afin d’assurer une exploitation stable ainsi que la
maintenance de l’infrastructure et les
extensions. L’aménagement des installations d’accueil doit se poursuivre.
La Confédération prévoit que le trafic de marchandises croîtra fortement jusqu’en 2030.
2. En trafic grandes lignes (TGL), l’objectif
est de gagner en attrait par une densification de l’offre dans des corridors sélectionnés. Les réductions de temps de
parcours ne sont pas prioritaires.
3. Dans le transport régional, l’objectif est
de gagner en attrait par une densification de l’offre au sein des centres urbains. L’accessibilité des régions touristiques et la desserte de base des zones
rurales doivent être assurées.
4. Dans le transport de marchandises, les
conditions de production d’une offre
attrayante, compétitive et économique
seront créées. L’accent doit être mis
La Vie économique 11 / 2015 61
INFRASTRUCTURES
sur la disponibilité des installations nécessaires, ainsi que sur la capacité et la
qualité des sillons en trafic intérieur et
en import-export.
2020, le cadre financier de l’étape d’aménagement (EA) 2030 demeure incertain. Il
devrait, cependant, évoluer entre 7 et 12
milliards de francs.
Pour Faif, le maintien de la qualité de
l’infrastructure prime sur l’aménagement
de l’infrastructure ferroviaire. Comme les
besoins financiers à moyen terme de l’exploitation et du maintien de la qualité ne
seront connus qu’après l’élaboration de
la convention sur les prestations 2017 à
Une planification qui
obéit à l’urgence
Pour planifier la prochaine étape, il faut
d’abord évaluer la demande de trafic à
l’horizon 2030. Les besoins sont ensuite
analysés en comparant cette estimation
Ill. 1. Développement de l’infrastructure ferroviaire à long terme
Cologne, Francfort
Paris, Dijon
Bâle
Munich
Zurich
Saint-Gall
Vienne
Lucerne
Paris, Dijon
Berne
Lausanne
Paris
Genève
Lugano
Milan
Milan
Milan
OFT / LA VIE ÉCONOMIQUE
Lyon
Cadence 1/4 h trafic longues distances Cadence 1/2 h trafic longues distances Raccordement aux centres économiques européens Axes du trafic marchandises RER avec cadence 1/4 h dans le centre Ill. 2. Les six régions de planification
OFT / LA VIE ÉCONOMIQUE
S-Bahnen mit Viertelstundentakt im Kernbereich
RP Ouest (BE, FR, GE, JU, NE, VD, VS) RP Nord-Ouest (AG, BE, BL, BS, JU, SO) RP Zurich / ZVV RP Centre (LU, NW, OW, SZ, UR, ZG) RP Tessin RP Est (AI, AR, GL, GR, SG, SH, TG)
62 La Vie économique 11 / 2015
aux capacités de transport. Les surcharges
sont ainsi identifiées pour chaque tronçon.
Les prévisions pour le transport de voyageurs (TV) et de marchandises (TM) se
fondent sur des hypothèses régionalisées
du développement socioéconomique. Les
principaux indicateurs sont la courbe démographique et la croissance économique.
La Confédération estime que le trafic de
voyageurs et de marchandises augmentera
en moyenne de quelque 35 % entre 2012 et
2030.
À partir de l’analyse des besoins, les CFF
développeront, sur mandat de l’OFT, des
projets d’offres pour le TGL et le TM. Les
régions de planification feront de même
pour le TV. Elles s’engagent, en remettant
leurs projets d’offre, à assumer leur part
d’indemnité d’exploitation supplémentaire
au cas où l’un de leurs projets devrait être
retenu par la Confédération.
Une fois cette étape franchie, la conception de l’infrastructure peut commencer.
Elle repose sur une approche à deux niveaux : le premier consiste à intégrer les projets d’offres TGL, TM et TRV dans le réseau
national. Cela permet de déterminer les interactions entre les projets d’offres soumis.
Cette réflexion globale débouche sur la
formation de modules. Ceux-ci touchent
un ou plusieurs corridors ferroviaires
et contiennent un ou plusieurs projets
d’offres. Suit alors un ajustage entre matériel roulant, infrastructure et offre de
prestations afin de trouver la solution
optimale.
Après les modules, il faut définir les éléments nécessaires à l’évaluation socioéconomique: coûts de l’infrastructure (y. c.
amortissement et entretien supplémentaires), coûts et utilité de la nouvelle offre
(réduction de la surcharge de trafic ou des
temps de parcours, revenus et coûts supplémentaires). Les modules sont ensuite
classés par ordre de priorité dont les critères sont : le rapport coût-bénéfice, la
possibilité de diminuer la surcharge de trafic, la compatibilité avec les perspectives
ferroviaires à long terme et avec celle du
Projet de territoire Suisse. Le degré d’urgence 1 contient les projets prioritaires qui
sont potentiellement appelés à s’inscrire
dans l’EA 2030.
La somme des dépenses d’investissement de tous les modules du premier degré d’urgence dépassera vraisemblablement le volume de finances disponible.
L’OFT doit donc choisir, sur la base des critères suivants, les modules à inscrire dans
le concept global de l’EA 2030 :
Paris
Lyon
INFRASTRUCTURES
–– cadre financier ;
–– priorité du besoin d’aménagement au
sein du premier degré d’urgence ;
–– interdépendance fonctionnelle et liée au
réseau ;
–– rapport avec d’autres programmes
d’aménagement ;
–– coordination intermodale ;
–– principes régissant la politique des transports pour l’EA 2030 ;
–– résultats d’études de sensibilité.
À l’aune de la croissance
économique durable
Deux stratégies de la Confédération ont
une influence déterminante sur la planification de l’EA 2030 : la stratégie ferroviaire
à long terme de l’OFT et le Projet de territoire Suisse de l’Office fédéral du développement territorial (ARE).
L’objectif stratégique de l’aménagement ferroviaire est de renforcer l’attrait
de la place économique suisse tout en garantissant un caractère durable au développement du territoire, de l’économie et
du tourisme. La stratégie ferroviaire à long
terme a été élaborée dans cette optique et
en coordination avec le Projet de territoire Suisse. L’horizon considéré va au-delà de 2050 et le développement prévu du
réseau ferroviaire comprend trois grands
objectifs :
–– renforcer et compléter le système des
nœuds par un horaire cadencé sur tout
le territoire ;
–– augmenter la fréquence de desserte des
gares et étendre les capacités ;
–– relever la vitesse de circulation sur certaines lignes4.
Les objectifs contenus dans la LCdF en
matière de développement de l’infrastructure se basent sur la stratégie ferroviaire à
long terme. C’est ainsi que les voyageurs
devraient bénéficier de meilleures connections avec des villes européennes comme
Paris, Francfort ou Milan (voir illustration 1).
4 La réduction des temps de parcours constitue un objectif à plus long terme. Les aménagements ferroviaires
réalisés d’ici là doivent maintenir cette possibilité.
La même logique s’adresse aux liaisons
entre les villes suisses, qui doivent bénéficier d’améliorations au niveau du trafic régional et d’agglomération. Les régions de
montagne et touristiques doivent, enfin,
être mieux raccordées. En ce qui concerne
le transport de marchandises, il existe plusieurs projets, dont le transfert du trafic
lourd transalpin, et diverses améliorations,
dont celle de la disponibilité des sillons.
L’Office du développement territorial
(ARE) a élaboré avec l’OFT un système permettant d’évaluer dans quelle mesure les
projets d’offres pour l’EA 2030 s’alignent
sur les objectifs du développement territorial. Ce système se compose d’un catalogue
de critères qui s’appuie sur les objectifs et
les stratégies du Projet de territoire Suisse :
–– contribution au maintien de la compétitivité et de la diversité de la Suisse ;
–– contribution à une urbanisation ordonnée ;
–– contribution à une utilisation parcimonieuse du sol ;
Intégrer les parties prenantes
Les cantons se sont organisés en six régions de planification (voir illustration 2).
Chacune d’elles comporte trois niveaux organisationnels : comité de pilotage, comité
de coordination et espace de planification.
La Confédération, les cantons et les chemins de fer sont représentés dans chaque
instance. La structure ainsi créée permet
l’échange d’informations sur l’état d’avancement de la planification entre les institutions responsables.
Les branches « logistique » et « transport des marchandises » doivent participer à la planification du TM. Cela implique
la création d’un groupe consultatif de suivi
comprenant, outre les chargeurs et les entreprises concernées, la Conférence des directeurs cantonaux des transports publics,
l’Association suisse des transports routiers
(Astag), Economiesuisse et l’EPF Zurich.
Les entreprises de chemins de fer disposent d’un grand savoir spécialisé, nécessaire à la planification de l’offre et de
l’infrastructure. La Confédération et les
Prodes EA 2025 et ZEB
Le Parlement a adopté le Prodes EA 2025 avec
le projet Faif en juin 2013. Ce programme doit
augmenter les capacités des chemins de fer dans
les prochaines années. L’EA 2025 est budgétée
à 6,4 milliards de francs et se réalisera parallèlement au projet ZEB (développement de l’infra­
structure ferroviaire). Parmi les grands projets,
citons l’extension des capacités des tronçons
suivants : Lausanne-Genève, Bienne-Neuchâtel,
Berne-Thoune, Zurich-Coire, Saint-Gall-Coire et
Bellinzona-­Locarnoa.
a Plus d’informations sur www.bav.admin.ch
cantons peuvent ainsi leur demander de
mener des études en matière d’offre. L’OFT
est compétent lorsque les projets sont nationaux. C’est lui qui charge les CFF de les
élaborer pour les TGL et le TM sur l’ensemble du territoire. Le trafic régional dépend des régions de planification. Ce sont
elles qui entament la planification de l’offre
et qui mandatent les entreprises de chemin
de fer concernées. Pour les études d’infrastructure, l’OFT charge les entreprises
de transport d’intégrer les offres de prestations de tous les types de transport et de
développer les projets appropriés.
Faire preuve de ténacité
La planification de l’EA 2030 a engagé tous
les participants sur un chemin qui ressemble fort à une première ascension en
montagne. Certains passages difficiles requièrent plusieurs tentatives afin de trouver la solution optimale. La réussite ne peut
qu’être le fruit d’un travail de longue haleine avec des partenaires solidaires. L’OFT
est conscient que le caractère novateur du
processus peut engendrer des inquiétudes
momentanées, car il exige de chacune des
parties concernées qu’elles sortent des
sentiers battus. Il est, toutefois, confiant :
la voie empruntée mènera à temps à l’objectif de 2018 fixé par le Parlement.
La première étape a d’ailleurs été
réussie. En novembre 2014, les projets
d’offres ont été remis dans les délais impartis et avec la qualité requise. Les prochains jalons sont l’établissement des
études d’infrastructure et la définition
du concept global d’EA 2030, afin que le
projet de message soit mis en consultation en 2017. La décision finale reviendra
au Parlement.
Toni Eder
Sous-directeur et
chef de la division
Infrastructure de
l’Office fédéral des
transports (OFT),
Ittigen
Christophe Mayor
Chef de projet Étape
d’aménagement
2030 du Programme
de développement stratégique
(Prodes), section
Planification, Office
fédéral des transports (OFT), Ittigen
La Vie économique 11 / 2015 63
COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT
Le Fonds d’investissement
suisse au secours des PME
Afrique, Asie ou Amérique latine – autant de continents où le secteur privé manque souvent de
capital-risque. C’est pour cette raison que le Fonds d’investissement suisse pour les marchés
émergents ( Sifem) vient en aide aux petites et moyennes entreprises (PME) locales. Cela permet également d’y créer des emplois stables. Monika Gysin
OBVIAM
Abrégé Les petites et moyennes entreprises (PME) sont la colonne vertébrale du système économique, en Suisse comme ailleurs. Au niveau mondial, elles représentent plus de 90 % des
entreprises et créent un emploi sur deux. Dans les pays en développement ou émergents, elles
forment le terreau indispensable à toute croissance durable. Voici dix ans que le Fonds d’investissement suisse pour les marchés émergents (Swiss Investment Fund for Emerging Markets,
Sifem) a été mis sur pied, précisément pour aider les PME du Sud et de l’Est à fournir des emplois et ainsi à réduire la pauvreté. Avec l’appui de divers partenaires, le Sifem a investi à ce titre
quelque 645 millions de francs qui ont contribué à consolider et à créer 342 000 emplois au
total. Une démarche d’autant plus efficace que le retour sur investissement est réinjecté dans
de nouveaux projets.
Le Sifem ne soutient que les fonds de placement régionaux qui appliquent des normes internationalement
reconnues. Une femme travaille dans une société de riz au Cambodge.
64 La Vie économique 11 / 2015
F ort taux de chômage et assèchement
de l’emploi des jeunes figurent parmi les
principaux éléments déclencheurs du Printemps arabe – une problématique largement
répandue dans les pays en développement
et émergents. Or, c’est précisément dans
ceux-ci que les PME et les entreprises à croissance rapide manquent cruellement d’accès
aux crédits, y compris du capital-risque pour
consolider leur expansion. Pour elles, trouver un financement tient très souvent du défi,
d’autant que les banques locales limitent l’octroi de crédits et exigent généralement des
garanties personnelles.
C’est ici qu’intervient le Fonds d’investissement suisse pour les marchés émergents (Swiss Investment Fund for Emerging
Markets, Sifem). Géré par la société privée
Obviam (voir encadré 1), ce fonds investit
depuis une dizaine d’années dans les sociétés locales et régionales de capital-risque
ou fournit un financement à long terme à
des banques, des sociétés de crédit-bail,
des institutions de microfinance et d’autres
acteurs financiers locaux. Ces organismes
peuvent ainsi, à leur tour, proposer du capital-risque ou des prêts à des PME viables
dans les pays en développement et émergents. Une telle démarche favorise la création ldemplois dans les pays concernés.
L’année passée, environ 100 millions
d’USD ont été mis à disposition de treize
acteurs financiers. En général, le Sifem investit entre 5 et 15 millions de francs par
opération. Les acteurs locaux ciblent des
secteurs comme les énergies renouvelables, la construction et la production,
l’agriculture et la sylviculture, la formation ou encore la santé. Le Sifem investit
presque exclusivement dans les pays prioritaires de la coopération suisse au développement en Amérique latine, en Afrique,
en Asie et en Europe de l’Est.
À l’inverse des instruments classiques
de l’aide au développement, ces investissements doivent générer des revenus financiers appropriés. Ce modèle écono-
COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT
mique permet de démultiplier l’efficacité
des deniers publics alloués à des fins de
développement dans la mesure où le retour sur investissement est réinjecté dans
de nouveaux projets.
Une sélection rigoureuse
des partenaires
Le Sifem procède à une sélection rigoureuse des acteurs financiers qu’il entend
soutenir. Il investit uniquement dans des
sociétés de capital-risque qui s’engagent
à respecter les normes internationales en
matière de responsabilité sociale, d’écologie et de gouvernance. Toutes les PME qui
leur sont affiliées s’engagent aussi à appliquer ces normes.
Ces entreprises doivent donc se conformer aux directives en matière de protection de l’environnement et exploiter les ressources dans le respect du développement
durable. Par rapport aux critères sociaux,
elles doivent, entre autres, respecter les
horaires de travail réglementaires, assurer
une rémunération convenable aux travailleurs et garantir des conditions de travail
décentes en ce qui concerne la protection
de la santé et la prévention des accidents
(voir encadré 2 pour une étude de cas).
Le Sifem a établi une liste d’exclusion
qui interdit par exemple toute aide aux entreprises produisant des armes ou du matériel de guerre, ainsi qu’à toutes celles qui
recourent au travail forcé ou emploient
des enfants. Le Sifem subordonne par ailleurs son aide à la condition que le marché
ne propose pas d’autres filières de financement ou que ces dernières appliquent des
conditions prohibitives (montants insuffisants ou échéances trop courtes). Dans
de nombreux cas, le Sifem complète sa
mise de fonds par des capitaux additionnels émanant d’investisseurs privés ou
institutionnels.
Conseil sur place
Le Sifem ne propose pas seulement des
financements, mais conseille et soutient
également les sociétés d’investissement
locales : en effet, les gestionnaires du fonds
suisse sont en contact permanent avec
ces acteurs et se rendent régulièrement
sur place pour apprécier la situation. Ils
aident à structurer la stratégie d’investissement, observent les processus suivis en
la matière et pointent les éventuelles faiblesses. Ils formulent aussi des recommandations concernant le profil des nouveaux
membres de l’équipe. Par ailleurs, le Sifem
dispose très souvent d’un siège au comité consultatif de ces sociétés, ce qui lui
permet de prendre part aux discussions
stratégiques.
342 000
Nombre total d’emplois consolidés ou créés
par le Sifem et ses partenaires.
645
Somme des investissements (millions de
francs ) opérés dans plus de soixante pays.
417
Nombre de sociétés (fonds d’investissement, institutions de capital-risque) affiliées
au portefeuille à fin 2014
Une étude d’impact indépendante a attribué de bonnes notes au Sifem en 20131. Les
gestionnaires de fonds interrogés dans les
pays en développement ont salué le travail de leurs collègues suisses, mettant en
exergue les conseils prodigués qui leur ont
permis d’accroître les actifs de leurs fonds.
Le Sifem et les responsables des fonds
locaux soutiennent les petites entreprises
affiliées à leur portefeuille en apportant le
capital nécessaire à leur croissance. Ils les
conseillent, par ailleurs, dans le développement de nouvelles technologies, l’amé1 Dalberg Global Development Advisors, The Development
Effects of SIFEM’s Investment Interventions, 2013.
lioration de la production, l’approche marketing, la vente et le service après-vente,
ainsi que la mise en œuvre des normes en
matière de responsabilité sociale, d’écologie et de gouvernance. Une société d’investissement établie au Cambodge a par
exemple élaboré, avec l’aide d’experts externes, un système de gestion de la sécurité, y compris un plan d’évacuation en cas
d’incendie pour une école.
Parmi les PME bénéficiant du soutien
du Sifem, nombreuses sont celles qui assument pleinement leur responsabilité sociale. En Ouganda, par exemple, une société pharmaceutique octroie plusieurs
bourses à des étudiants en pharmacie afin
de promouvoir la formation de spécialistes. En Côte d’Ivoire, une usine de caoutchouc propose aux agriculteurs des cours
de plantation durable.
Succès des investissements
indirects
Comme la plupart des sociétés de financement du développement, le Sifem suit un
modèle d’investissement indirect : il s’appuie sur des fonds d’investissement à fort
ancrage régional, qui maîtrisent parfaitement l’environnement économique, législatif et culturel. Cette approche permet à
la fois d’identifier les possibilités de développement des PME et de suivre les investissements en cours. Une présence locale
directe du Sifem engendrerait des surcoûts
bien trop importants pour la Confédération. La démarche choisie permet aussi une
meilleure diversification du portefeuille.
Le Sifem mise sur ses investissements
non seulement pour dégager un rendement convenable, mais aussi pour générer
un impact durable sur le développement
à long terme. Depuis 2006, le fonds applique un système de notation2 pour évaluer l’incidence des projets en termes de
développement : il s’agit de calculer no2 Le système de notation Sifem est basé sur le système
GPR (Geschäftspolitische Projektrating) développé par
la Société allemande d’investissement et de développement (DEG).
Encadré 1. Des subsides fédéraux gérés par une société d’investissement privée
La Confédération est propriétaire du Fonds d’investissement suisse pour les marchés émergents (Sifem).
Les droits d’actionnaire de cette société anonyme
de droit privé sont exercés par le Conseil fédéral,
qui fixe les objectifs stratégiques du Sifem tous les
quatre ans. Composé de sept personnes, le conseil
d’administration est responsable de la mise en œuvre
des objectifs stratégiques et du rapport aux organes
parlementaires de surveillance. Il statue également
sur les dossiers d’investissement qui dépendent de
réglementations publiques.
La direction et la gestion du portefeuille ont été
externalisées auprès du consultant bernois Obviam,
avec l’accord du Conseil fédéral. Sur mandat de
la Confédération, le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) entretient des contacts étroits avec le
conseil d’administration du Sifem et Obviam. Il mène
régulièrement des audits d’assurance-qualité et des
revues de portefeuille. Diverses directives de contrôle
et de gestion des risques ainsi qu’une surveillance à
plusieurs niveaux permettent de garantir que le Sifem
remplisse entièrement sa mission et que la manne
fédérale soit affectée à bon escient.
La Vie économique 11 / 2015 65
COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT
Encadré 2. Développement d’une
chaîne de cafés au Laos grâce au
capital-risque
Au Laos, la chaîne «Joma Café and Bakery» offre
des emplois aux personnes marginalisées : réfugiés, mères célibataires, victimes de violences
domestiques, etc. Cela leur permet de vivre
décemment et de se développer en suivant des
cours de formation continue.
KEYSTONE
La chaîne Joma gère dix cafés au Laos, au
Cambodge et au Vietnam. Elle emploie plus de
500 personnes. Cette expansion a été notamment facilitée grâce au Sifem, qui refinance le
« Cambodia-Laos Development Fund », un fonds
de capital-risque axé sur la croissance. Ces investissements permettent à Joma de poursuivre
son développement.
Le fonds soutient principalement les projets
domiciliés dans les pays prioritaires pour
la coopération suisse au développement.
Acheteurs de tomates au Guatemala.
tamment le nombre d’emplois consolidés
ou créés, le montant des impôts versés à
l’État par les sociétés d’investissement et
les entreprises affiliées à leur portefeuille,
les possibilités de formation et de perfectionnement proposées aux travailleurs,
l’évolution des entreprises locales affiliées
ou encore la mobilisation de ressources
supplémentaires pour les sociétés régionales d’investissement.
Chaque investissement est précédé
d’une analyse d’impact prédictive sur le
66 La Vie économique 11 / 2015
développement. Pendant toute la durée
de l’investissement, l’impact réel est mesuré tous les deux ans et comparé aux objectifs préalablement fixés. Les responsables peuvent ainsi vérifier l’impact de
l’investissement par rapport aux effets
escomptés. Dans tous les cas, la question
essentielle est de savoir si et dans quelle
mesure l’investissement a eu des répercussions sur l’économie locale et la qualité
de vie de la population.
Les progrès obtenus le confirment : le
Sifem est un instrument de développement dont l’efficacité n’est plus à prouver. La précarité des finances publiques
dans de nombreux pays obligera à l’ave-
Situé dans le Sud-Est asiatique, le Laos
est l’un des pays les moins développés du
monde. L’État contrôle fortement l’économie,
les infrastructures sont insuffisantes et les
travailleurs sont peu qualifiés. L’économie est
essentiellement dominée par l’agriculture qui
occupe les trois quarts de la population, alors
que l’expansion des PME pâtit des entraves
réglementaires, de l’assèchement des capitaux
ainsi que du manque de savoir-faire en matière
de gestion.
nir le secteur privé à jouer un rôle décisif dans le développement durable de ces
États.
Monika Gysin
Chargée de communication auprès de la
société de conseils en investissements
Obviam, Berne
MARCHÉ DU TRAVAIL
Les conventions collectives de travail dont
le champ d’application est étendu
En juillet 2015, il y avait 77 conventions collectives de travail dans toute la Suisse. L’année passée, cinq CCT nouvellement négociées ont été étendues. Un an auparavant, elles étaient au
nombre de treize. Edi Natale
E KEYSTONE
ntre le 1er juillet 2014 et le 1er juillet 2015,
à la demande des associations contractantes, le Conseil fédéral a étendu le champ
d’application de 28 conventions collectives de
travail (CCT) au niveau fédéral. Dans la même
période, 22 CCT ont été étendues au niveau
cantonal, ce qui a été approuvé par le Département fédéral de l’économie, de la formation
et de la recherche (DEFR). Dans cinq « décisions de base » (trois nationales, deux cantonales), il s’est agi d’étendre le champ d’application de CCT nouvellement négociées. Dans
47 autres décisions (25 nationales, 22 cantonales), il s’est agi de proroger, remettre en vigueur ou de modifier des conventions.
Au 1er juillet 2015, quarante CCT nationales étendues et 37 CCT cantonales étendues étaient en vigueur. Les premières
touchent au total 70 450 employeurs et
658 120 travailleurs, les secondes 8795
employeurs et 64 658 travailleurs. Les CCT
étendues les plus importantes concernent
les hôtels, restaurants et cafés ainsi que
le secteur principal de la construction.
Elles intéressent à elles seules quelque
34 260 employeurs et 291 070 travailleurs.
L’année dernière, le champ d’application de 28 conventions collectives de travail a été étendu au niveau fédéral.
La CCT dans la branche suisse de l’enveloppe des édifices en fait partie.
Décisions fédérales et cantonales (état au 1er juillet 2015)1
Arrêtés du Conseil fédéral
Objet de l’arrêté
Entré en vigueur
Valable jusqu’au
CCT romande du second œuvre (menuiserie, plâtrerie et peinture, revêtement de sols)
01.04.2013
31.12.2016
CCRA pour la retraite anticipée dans le second œuvre romand
01.07.2004
31.12.2016
GAV für Branchen des Ausbaugewerbes in den Kantonen Basel-Landschaft, Basel-Stadt und Solothurn
01.10.2010
31.12.2016
GAV für das Basler Ausbaugewerbe
01.01.2014
31.12.2017
GAV für Autogewerbe Ostschweiz
01.11.2013
30.06.2017
CN pour le secteur principal de la construction
01.02.2013
31.12.2015
CCT pour la retraite anticipée dans le secteur principal de la construction
01.07.2003
31.12.2016
CCT pour l’industrie suisse des produits en béton
01.08.2008
31.12.2016
CCT de l’industrie suisse de la carrosserie
01.03.2014
31.12.2017
1 La liste exhaustive est mise à jour chaque mois. Elle se trouve sur le site Internet du Seco.
La Vie économique 11 / 2015 67
MARCHÉ DU TRAVAIL
CCT des coiffeurs
01.06.2010
31.12.2016
GAV für Decken- und Innenausbausysteme
01.06.2009
31.12.2017
CCT de la branche suisse de l’installation électrique et de l’installation de télécommunication
01.12.2014
30.06.2019
CCT dans la branche suisse de l’enveloppe des édifices
01.10.2014
31.12.2018
CCT Modèle de préretraite dans la branche suisse de l’enveloppe des édifices
01.03.2015
31.12.2018
GAV für das Gärtnergewerbe in den Kantonen Basel-Stadt und Basel-Landschaft
01.03.2015
31.12.2015
CCNT pour les hôtels, restaurants et cafés
01.01.1999
31.12.2017
CCT dans la branche suisse des techniques du bâtiment
01.02.2014
30.06.2018
CCT pour la construction de voies ferrées
01.03.2012
31.12.2015
CCT pour les échafaudeurs suisses
01.08.2013
31.03.2017
CCT pour la retraite anticipée des monteurs d’échafaudages
01.08.2009
31.12.2016
GAV für das Holzbaugewerbe
01.06.2013
31.12.2015
CCT pour le secteur suisse de l’isolation
01.04.2015
30.06.2017
CCT pour l’industrie de la plâtrerie et de la peinture
01.01.2013
31.03.2016
CCT perfectionnement professionnel dans la peinture/plâtrerie
01.01.2002
31.12.2017
CCT dans l’industrie suisse du marbre et du granit
01.01.2013
31.12.2015
CCT pour la retraite anticipée dans l’industrie suisse du marbre et du granit
01.08.2008
30.06.2017
CCNT pour l’artisanat du métal
01.07.2014
30.06.2019
CCT pour la boucherie-charcuterie suisse
01.09.2008
31.12.2017
CCT de l’industrie du meuble
01.10.2013
31.12.2015
CCT de la branche du travail temporaire
01.01.2012
31.12.2015
CCT pour le carrelage des cantons d’Argovie, Berne, Glaris, Lucerne, Nidwald, Obwald,
Soleure, Schwytz, Uri, Zoug et Zurich
01.10.2013
31.03.2017
CCT du secteur du nettoyage pour la Suisse romande
01.04.2014
31.12.2018
GAV für das Reinigungsgewerbe in der Deutschschweiz (für Betriebe mit mindestens 6 Arbeitnehmenden)
01.04.2007
31.12.2015
GAV für die Reinigungsbranche in der Deutschschweiz (erleichterte AVE) (für Betriebe mit bis zu 6 Arbeitnehmenden)
01.01.2012
31.12.2015
CCT romande du nettoyage industriel des textiles
01.12.2013
31.12.2016
CCT pour la branche privée de la sécurité
01.07.2014
31.12.2016
CCT pour la menuiserie
01.06.2012
31.12.2016
CCT pour la menuiserie (perfectionnement professionnel et protection de la santé)
01.06.2009
31.12.2016
CCT pour les tuileries-briqueteries suisses
01.10.2013
30.06.2016
CCT pour des laboratoires de prothèse dentaire
01.04.2010
31.12.2015
Entré en vigueur
Valable jusqu’au
GAV für das Dach- und Wandgewerbe
01.07.2013
31.12.2016
GAV für Gipsergewerbe Baselland
01.07.2013
31.12.2016
GAV für Malergewerbe
01.07.2013
31.12.2016
GAV für das Schlosser-, Metall-, Landmaschinen-, Schmiede- und Stahlbaugewerbe (Metallgewerbe)
01.02.2006
31.12.2016
01.01.2010
31.12.2015
CCT des professionnels de l’automobile
01.07.2013
31.12.2016
CCT pour le personnel de vente des magasins de stations-service
01.03.2013
31.12.2016
Arrêtés cantonaux approuvés par le DEFR
Objet de l’arrêté
Bâle-Campagne
Bâle-Ville
GAV für das Gipsergewerbe Basel-Stadt
Fribourg
68 La Vie économique 11 / 2015
MARCHÉ DU TRAVAIL
Genève
CCT cadre dans le commerce de détail (selon procédure facilitée)
01.03.2008
31.01.2018
CCT pour les métiers de la métallurgie du bâtiment
01.02.2011
31.12.2015
RA pour les métiers de la métallurgie du bâtiment
01.09.2013
31.12.2016
CCT du secteur des bureaux d’ingénieurs de la construction et des techniques du bâtiment
01.01.2012
31.12.2015
CCT parcs et jardins, des pepinières et de l’arboriculture (facilité)
01.05.2015
31.12.2015
CCT pour les travailleurs de l’industrie des garages
01.06.2015
31.12.2018
01.04.2014
31.12.2016
01.01.2011
31.12.2015
CCL per i disegnatori
01.12.2009
30.06.2016
CCL Giardinieri
01.01.2008
30.06.2016
CCL Personale delle autorimesse
01.08.2013
30.06.2016
CCL nel ramo delle vetrerie
01.05.2014
30.06.2016
CCL per i dipendenti delle imprese forestali
01.10.2013
30.06.2016
CCT introduisant un régime de préretraite Retaval
01.02.2010
31.12.2017
CCT de la retraite anticipée pour les travailleur du secteur principal de la construction et du carrelage Retabat
01.07.2011
31.12.2016
GAV der Walliser Waldwirtschaft
01.03.2015
30.06.2018
GAV für das Metallbaugewerbe des Kantons Wallis
01.12.2014
31.05.2018
CCT dans le carrelage
01.12.2007
31.12.2015
GAV des entreprises de parc, jardin et paysagisme
01.06.2011
01.04.2016
CCT de la tuyauterie industrielle
01.07.2011
31.12.2015
GAV der Gebäudetechnik und der Gebäudehülle des Kantons Wallis
01.11.2013
31.05.2016
CCT du commerce de détail de la ville de Lausanne
01.02.2014
31.12.2017
CCT des bureaux d’ingénieurs géomètres vaudois
01.01.2015
31.12.2015
CCT des métiers de la pierre
01.01.2015
31.12.2016
CCT des garages
01.03.2007
31.12.2015
CCT dans le commerce de détail de la ville de Nyon
01.06.2012
31.12.2016
CCT ferblanterie, couverture et installation sanitaire chauffage, climatisation et ventilation
01.12.2012
31.12.2015
01.07.2015
31.03.2017
Neuchâtel
CCT neuchâteloise du commerce de détail
Saint-Gall
GAV für Tankstellenshops
Tessin
Valais
Vaud
Zurich
GAV für das Gipsergewerbe der Stadt Zürich
Edi Natale
Secteur Conventions collectives et observation du marché du travail, Secrétariat
d’État à l’économie (Seco), Berne
La Vie économique 11 / 2015 69
CHIFFRES-CLÉS
Vers une industrie en col blanc
Le franc fort pousse l’industrie suisse à faire front. Si elle y parvient, c’est parce qu’elle délaisse les activités de fabrication
pour se spécialiser dans certains services à haute valeur ajoutée.
130 000
Évolution de la valeur ajoutée réelle par actif occupé dans l’industrie, en USD
120 000
Suisse
110 000
100 000
États-Unis
90 000
80 000
Japon
Grande-Bretagne
OCDE
70 000
Allemagne
60 000
Le franc fort n’empêche pas notre
industrie d’être extrêmement compétitive. La Suisse
occupe même la première
place en termes de valeur
ajoutée réelle par actif occupé,
depuis dix ans. Elle pourrait, en autre,
accroître son avance par rapport aux
autres États de l’OCDE.
50 000
5 .–
19
91
19
92
19
93
19
94
19
95
19
96
19
97
19
98
19
99
20
00
20
01
20
02
20
03
20
04
20
05
20
06
20
07
20
08
20
09
20
10
20
11
20
12
20
13
19
90
40 000
–28 %
1.–
73
24 %
54 %
Logistique et
direction
Analyse, programmation et
opération
144 %
Expertise,
conseil et
attestation
92 %
Recherche et
développement
Transport de
personnes, de
marchandises
et messagerie
70
99 0
27 6
50
16 150
19 0
60
14
58
0
Fabrication
et usinage de
produits
34 %
Réglage, service
et entretien de
machines
0
18
13
90
33 4
19 910
0
44
23 4
Nombre d’actifs occupés dans certaines activités
de l’industrie suisse en 2010
70 La Vie économique 11 / 2015
40 %
Définition des
objectifs et des
stratégies en
entreprise
INDICATEURS DU DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE / ENQUÊTE SUISSE SUR LA
STRUCTURE DES SALAIRES (ESS) / SHUTTERSTOCK / LA VIE ÉCONOMIQUE
13 %
Construction
–14 %
64
77
.–
58
28
.–
56
41
.–
57
03
.–
63
.–
89
11.
–
93
0
93
0
1.–
Évolution de l’emploi dans certaines activités industrielles, 1996–2010
Salaire moyen mensuel en 2010
14
90
Les entreprises industrielles suisses sont très compétitives, parce qu’elles se sont spécialisées dans des
tâches à haute valeur ajoutée. C’est ainsi que la recherche et le développement, le conseil et la programmation se sont fortement développés entre 1992 et 2010. D’autres activités classiques ont, par contre, reculé :
c’est, par exemple, le cas de la fabrication et de l’usinage de produits. Le secteur industriel présente une
forme de « désindustrialisation interne ». Cette transition favorise l’augmentation des salaires.
Indicateurs économiques
Cette page rassemble le produit intérieur brut, le taux de chômage et l’inflation de huit pays, de l’UE et de l’OCDE. Les séries statistiques concernant ces indicateurs sont disponibles sur le site de la revue: www.lavieeconomique.ch.
Produit intérieur brut : variation réelle
par rapport à l’année précédente, en %
Produit intérieur brut : variation réelle par rapport au trimestre précédent, en %1
2014
3/2014
4/2014
1/2015
Suisse
2,0
Suisse
0,6
0,7
–0,2
2/2015
0,2
Allemagne
1,6
Allemagne
0,2
0,6
0,3
0,4
France
0,2
France
0,2
0,1
0,7
0,0
Italie
–0,4
Italie
–0,1
0,0
0,4
0,3
Royaume-Uni
3,0
Royaume-Uni
0,7
0,8
0,4
0,7
UE
1,3
UE
0,3
0,4
0,4
0,4
États-Unis
2,4
États-Unis
1,1
0,5
0,2
0,9
Japon
–0,1
Japon
–0,3
0,3
1,1
–0,4
Chine
7,4
Chine
1,9
1,5
1,3
–1,7
OCDE
1,9
OCDE
0,6
0,5
0,5
0.4
Produit intérieur brut :
en USD par habitant, 2014 (PPP2)
Taux de chômage3 :
en % de la population active,
moyenne annuelle
2014
Taux de chômage3 :
en % de la population active,
valeur trimestrielle
2014
2/2015
Suisse
57 744
Suisse
4,5
Suisse
Allemagne
44 788
Allemagne
5,0
Allemagne
4,7
France
38 870
France
10,3
France
10,2
Italie
35 067
Italie
12,7
Italie
12,5
Royaume-Uni
39 225
Royaume-Uni
6.2
Royaume-Uni
UE
36 175
UE
10,2
UE
9,6
États-Unis
54 640
États-Unis
6,2
États-Unis
5,4
Japon
36 485
Japon
3,6
Japon
3,3
Chine
–
Chine
–
Chine
–
OCDE
38 902
OCDE
7,4
OCDE
6,9
Inflation :
variation par rapport au même mois
de l’année précédente, en %
2014
Août 2015
0,0
Suisse
–1,4
0,9
Allemagne
0,2
France
0,5
France
0,0
Italie
0,2
Italie
0,2
Royaume-Uni
1,5
Royaume-Uni
0,0
UE
0,6
UE
0,0
1,6
États-Unis
0,2
Japon
2,7
Japon
0,2
Chine
2,0
Chine
–1,4
OCDE
1,7
OCDE
0,6
Suisse
Allemagne
États-Unis
–
1 Données corrigées des variations saisonnières et du nombre de jours ouvrables.
2 Parité de pouvoir d’achat.
3 Suivant l’Organisation internationale du travail (OIT).
SECO, OFS, OCDE
Inflation :
variation par rapport à l’année
­précédente, en %
4,2
www.lavieeconomique.ch d Chiffres-clés
La Vie économique 11 / 2015 71
HUMOUR
72 La Vie économique 11/2015
DANS LE PROCHAIN NUMÉRO
ee
année N° 6/2016
5 /2015 sFr.
Frs.12.–
12.–
88.88
Jahrgang Nr.
7/2015
La
économique
DieVie
Volkswirtschaft
Plattformdefür
Wirtschaftspolitik
Plateforme
politique
économique
L’ÉVÉNEMENT
La Suisse et l’Union
européenne : un bilan
L’Union européenne, forte de ses 28 membres, est le principal partenaire de la Suisse. Les raisons
en sont certes géographiques et culturelles, mais aussi politiques et économiques. Les relations
commerciales sont intenses : en 2014, plus de la moitié des exportations suisses se dirigeaient
vers l’UE et près des deux tiers des importations en provenaient. Les accords bilatéraux sont
au cœur de ces relations. Il leur faut maintenant franchir deux étapes importantes : l’initiative
contre l’immigration de masse, qui attend d’être appliquée, et les négociations sur les questions
institutionnelles. L’événement du mois prochain fera un bilan de la situation.
Bilan des entretiens avec la Commission européenne
Marin Good, Direction des affaires européennes, DFAE, Berne
L’importance des accords institutionnels avec l’UE
Astrid Epiney, université de Fribourg
La coopération transfrontière renforce l’intégration économique
Martin Eichler et Kai Gramke, BAK Basel
Analyse des bilatérales I
Larissa Müller et Timothey Nussbaumer, Secrétariat d’État à l‘économie, Berne
Dans dix ans, quelle sera la place de la Suisse vis-à-vis de l’UE ?
Josef Renggli, Mission de la Suisse auprès de l’Union européenne, Bruxelles
Entretien
Avec Günter Verheugen, université européenne Viadrina, Francfort
Téléchargement