88e année N° 11/2015 Frs. 12.– La Vie économique Plateforme de politique économique ENCOURAGER L’INNOVATION L’ÉTUDE DOSSIER INFRASTRUCTURES Le conseiller fédéral Johann N. Schneider-Ammann s’exprime sur la numérisation La demande extérieure influence la conjoncture suisse La Suisse participe à la banque asiatique d’infrastructures La Confédération, les cantons et les chemins de fer planifient la prochaine étape 36 48 51 61 L’ÉVÉNEMENT La numérisation de l’économie et l’État Wichtiger HINWEIS ! Innerhalb der Schutzzone (hellblauer Rahmen) darf kein anderes Element platziert werden! Ebenso darf der Abstand zu Format- resp. Papierrand die Schutzzone nicht verletzen! Hellblauen Rahmen der Schutzzone nie drucken! Siehe auch Handbuch „Corporate Design der Schweizerischen Bundesverwaltung“ Kapitel „Grundlagen“, 1.5 / Schutzzone www. cdbund.admin.ch ÉDITORIAL Le débat est ouvert La numérisation de l’économie est sur toutes les lèvres. Elle fait désormais partie de notre quotidien, par exemple lorsque nous lisons le journal dans son édition électronique, que nous chargeons de la musique avec notre téléphone portable ou que nous commandons des livres par Internet. De nouveaux progrès comme l’Internet des objets – à savoir le fait que des machines et des objets soient connectés à des réseaux numériques – représentent autant de progrès qui changent le monde du travail. Les mutations qui affectent des structures et des processus de production éprouvés suscitent des peurs. L’économie de partage nous en donne des exemples : l’entreprise de location de véhicules avec chauffeur Uber s’attire les foudres des taxis dans le monde entier et les hôteliers redoutent la plateforme de location de logements Airbnb. L’administration fédérale s’intéresse, elle aussi, aux risques comme aux chances qui accompagnent ces mutations. L’événement de ce mois-ci se concentre sur les liens entre la numérisation de l’économie et l’État. C’est l’occasion pour le Secrétariat d’État à l’économie de se demander si le numérique rend les travailleurs superflus. Son potentiel de croissance fait également l’objet d’un vif intérêt. Un article du Secrétariat d’État aux questions financières internationales montre comment le numérique révolutionne le monde de la finance et quels sont les points de recoupement avec les activités de l’État. Le conseiller fédéral Johann N. Schneider-Ammann, chef du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche, estime que la Suisse a de nombreux atouts à faire valoir au niveau international en matière de numérique. Le débat sur le rôle de l’État est ouvert. L’innovation étant à la base de tout bouleversement, nous avons demandé à Luzius Meisser, fondateur d’une jeune pousse, quelles étaient ses attentes envers l’État. Bonne lecture ! Nicole Tesar et Susanne Blank Rédactrices en chef de La Vie économique SOMMAIRE L’événement 6 Le numérique : facteur de croissance de l’économie 10 La fin du travail ? Ursina Jud Huwiler Secrétariat d’État à l­ ’économie Markus Langenegger Secrétariat d’État à l­ ’économie 14 Révision de la loi fédérale sur la protection des données : mettre l’accent sur la transparence et le contrôle Camille Dubois Office fédéral de la justice 17 Économie numérique : la Suisse doit passer à la vitesse supérieure Christian Weber Secrétariat d’État à l­ ’économie Andreas Spichiger, Alessia C. Neuroni Haute école spécialisée bernoise 20 L’ouverture d’un marché unique numérique dans l’UE pourrait avoir des conséquences pour la Suisse Barbara Montereale Mission de la Suisse auprès de l’Union européenne 30 24 Smartphones et mégadonnées : la banque en effervescence Samuel Schenker Secrétariat d’État aux questions financières internationales PRISES DE POSITION 39 – 44 b Technologies financières : toute résistance est vaine 36 L’État entre rupture numérique et liberté économique Johann N. Schneider-Ammann Conseiller fédéral Entretien avec le fondateur suisse de jeunes pousses : Luzius Meisser Oliver Bussmann UBS Le client est au centre de nos préoccupations Michel Gicot La Mobilière De la téléphonie à la télécommunication Stefan Nünlist Swisscom SA « Les Suisses sont moins prêts à prendre des risques et moins avides de succès que les Américains, par exemple. » La révolution numérique de la production Rolf Baumann Harting AG La pression dans les bureaux augmente Manuel Keller Société des employés de commerce L’État doit se retenir Fredy Greuter Union patronale suisse SOMMAIRE Rubriques b b 46 48 61 UN CERTAIN REGARD AVEC RETO FÖLLMI L’ÉTUDE INFRASTRUCTURES La campagne « L’argent reste ici » aurait un effet contraire Inhabituel, mais présentant des atouts : le PIB dans l’optique des secteurs de production Aménagement de l’infrastructure ferroviaire : en avant pour la prochaine étape Gregor Bäurle, Elizabeth Steiner Banque nationale suisse Toni Eder, Christophe Mayor Office fédéral des transports OFT Université de Saint-Gall DOSSIER 52 Une nouvelle banque de développement à vocation régionale Werner Gruber Secrétariat d’État à l­ ’économie 54 Partenaire ou concurrente de la Banque mondiale ? Stefan Denzler Banque mondiale 58 La Banque asiatique d’investis­sement dans les infrastructures se fera avec la Suisse 64 COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT L’Asie a besoin de billions pour l’électricité et les routes Le Fonds d’investissement suisse au secours des PME Biswa Nath Bhattacharyay Université McGill Monika Gysin Obviam Repères i IMPRESSUM CHIFFRES-CLÈS HUMOUR Tout sur la revue Infographique et indicateurs économiques La numérisation … jusqu’au bout Secrétariat d’État à l­ ’économie Stephan Bornick Secrétariat d’État à l­ ’économie 4 70 72 67 MARCHÉ DU TRAVAIL Les conventions collectives de travail dont le champ d’application est étendu Edi Natale Secrétariat d’État à ­l’économie i IMPRESSUM Publication Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche DEFR, Secrétariat d’État à l’économie SECO Rédaction Cheffes de la rédaction: Susanne Blank, Nicole Tesar Rédaction: Käthi Gfeller, Matthias Hausherr, Christian Maillard, Stefan Sonderegger Comité de rédaction Eric Scheidegger (président), Antje Baertschi, S­ usanne Blank, Eric Jakob, Evelyn Kobelt, Peter Moser, Cesare Ravara, Markus Tanner, Nicole Tesar Chef du secteur Publications: Markus Tanner Holzikofenweg 36, 3003 Berne Téléphone +41 (0)58 462 29 39 Fax +41 (0)58 462 27 40 Courriel: [email protected] Internet: www.lavieeconomique.ch Mise en page Patricia Steiner, Marlen von Weissenfluh Graphisme de couverture Alina Günter, www.alinaguenter.ch Humour Stephan Bornick, www.tgd.ch Abonnements/service aux lecteurs Téléphone +41 (0)58 462 29 39 Fax +41 (0)58 462 27 40 Courriel: [email protected] Prix de l’abonnement Suisse Fr. 100.–, étranger Fr. 120.–, Gratuit pour les étudiants, Vente au numéro Fr. 12.– (TVA comprise) Parution dix fois par an en français et en allemand (sous le titre La Vie économique), 87e année, avec suppléments périodiques. Impression Jordi AG, Aemmenmattstrasse 22, 3123 Belp La teneur des articles reflète l’opinion de leurs ­auteurs et ne correspond pas nécessairement à celle de la rédaction. Reproduction autorisée avec l’accord de la rédaction et indication de la source; remise de justificatifs souhaitée. ISSN 1011-386X L’ÉVÉNEMENT La numérisation de l’économie et l’État La numérisation envahit notre vie. L’économie de partage qui en est issue a généré des entreprises sur Internet, comme Uber, spécialisée dans le transport de personnes, ou Airbnb, la plateforme de réservation de logements. Un simple accès à Internet et une application peuvent désormais produire des chiffres d’affaires importants. Plusieurs questions s’ensuivent : quelle est l’influence de la numérisation sur la croissance économique ? Quelles sont les répercussions sur le marché du travail ? Faut-il réglementer ? NUMÉRISATION Le numérique : facteur de croissance de l’économie Des études consacrées à l’UE et aux États-Unis montrent que la croissance économique de ces dernières années repose dans une large mesure sur le numérique. La Suisse est sur la bonne voie. Markus Langenegger Abrégé L’essor du numérique a entraîné un profond changement dans de nombreuses branches de l’industrie et des services. Comment cela se traduit-il dans la politique économique suisse ? Des études et des relevés statistiques laissent à penser que le virage numérique contribue dans une large mesure à la progression du PIB. L’exploitation de ce potentiel de croissance revêt une importance particulière pour un pays pauvre en ressources naturelles. Il est réjouissant de constater que la Suisse semble être sur la bonne voie. Pour continuer à exploiter le potentiel du numérique de façon optimale, il est essentiel d’élaborer des conditions-cadres favorables à l’économie, notamment dans le domaine de la formation et du perfectionnement, de la recherche et de la protection des données, et de se doter d’infrastructures TIC sûres et performantes. On doit également veiller à ce que les innovations ne soient pas entravées par des réglementations hâtives. L 1 Voir l’article d’Ursina Jud Huwiler (Seco) dans ce numéro. 2 Bitkom/Prognos (2013). 3 Bart van Ark et al. (2013). Les résultats présentés se réfèrent à l’UE15. 4 Pour une croissance du PIB de 2,2 % en moyenne (1995-2007), l’apport des investissements a été de 0,4 point de pourcentage, l’augmentation de la productivité dans la production de TIC de 0,3 point et l’augmentation de la productivité grâce à l’utilisation des TIC de 0,1 point. 5 Daron Acemoglu et al. (2014). 6 Croissance moyenne du PIB en Suisse entre 1995 et 2013 : 2,0 %. Les valeurs de tous les pays de l’OCDE se situent entre 0,2 et 0,6 point de pourcentage. Voir la base de données de l’OCDE sur la productivité. 6 e processus de numérisation permet de sauvegarder et de diffuser par voie électronique toujours plus d’informations : les liseuses remplacent les livres, nous lisons le journal sur notre téléphone intelligent et de nombreuses transactions commerciales sont effectuées sur Internet. Le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC), qui sous-tend la numérisation, est considéré comme une innovation fondamentale. Des inventions comme celle-ci changent profondément la société et l’économie, au même titre que la machine à vapeur et l’électricité. Dans le sillage du numérique, l’industrie de la musique et de la photographie, mais aussi le commerce, le secteur de la communication et, plus récemment, les taxis se sont considérablement transformés. De telles mutations déclenchent souvent un malaise et des réactions de défense, comme en témoignent les protestations des chauffeurs de taxis dans différentes villes du monde contre la société Uber. Comme pour tout changement structurel, la question du temps d’adaptation nécessaire est primordiale, en particulier sur le marché du travail1. La Vie économique 11/2015 Que signifie le processus de transformation amorcé par le numérique pour la politique économique suisse ? Investissements et augmentation de la productivité Tout d’abord, les profondes mutations induites par le numérique influencent la croissance économique. Pour simplifier, on peut dire qu’une économie peut croître de deux manières : soit en augmentant la quantité de travail et de capital physique utilisée, soit en exploitant plus efficacement les ressources disponibles pour améliorer sa productivité. L’innovation, le progrès technique ou une meilleure formation de la main-d’œuvre sont autant de façons d’accroître l’efficacité des ressources disponibles. Par ailleurs, le numérique peut influencer la croissance économique de différentes manières. Il entraîne une hausse des investissements dans le capital physique (logiciels, serveurs, réseaux), un accroissement de la productivité dans le domaine des TIC grâce aux progrès technologiques rapides ainsi qu’une augmentation de la productivité en général en raison de l’utilisation des TIC dans les différentes branches de l’industrie et des services. Une étude réalisée pour l’Allemagne a montré que l’utilisation grandissante de l’informatique entre 1998 et 2012 a contribué à hauteur de plus d’un tiers à la croissance de la valeur ajoutée chez notre voisin du nord2. Une autre étude concernant l’Union européenne et les États-Unis, qui porte sur les années 1995 à 2007, arrive aux mêmes conclusions : pour l’UE, environ un tiers de la croissance du PIB est à mettre en relation avec le numérique ; aux États-Unis, KEYSTONE ce chiffre se monte même à 40 %3. Cette hausse est principalement due aux investissements dans l’informatique et à l’augmentation de la productivité dans le domaine des TIC. Les gains de productivité obtenus grâce à l’utilisation des technologies numériques jouent, quant à eux, un rôle un peu moins important 4. L’automatisation des processus de production et la réorganisation de toute la chaîne de valeur ajoutée permettent de gagner en productivité en recourant aux TIC. De nouveaux modèles d’affaires (notamment les plateformes Internet) et une croissance relativement rapide (grâce à l’utilisation d’Internet comme canal de distribution ou à de nouveaux enseignements tirés de l’analyse des données) y contribuent également. De tels effets sont toutefois difficiles à quantifier et Les TIC ont été d’une importance décisive pour la croissance de ces dernières années. 7 Approche basée sur la valeur ajoutée. La définition du secteur des TIC est relativement large. Ce secteur représentait 4,3 % du PIB en 2012. Selon la définition de l’OFS et de l’OCDE, il comprend l’ensemble des activités économiques qui produisent des biens et services permettant la numérisation de l’économie, soit la transformation des informations utilisées ou fournies en informations numériques. Voir www.infosociety-stat. admin.ch. leur importance reste encore controversée dans la littérature économique5. Le numérique, moteur de la croissance suisse En Suisse, il n’existe pas encore d’étude approfondie quant aux effets du numérique sur l’économie. Toutefois, les calculs de l’OCDE pour les années 1995 à 2013 indiquent que les investissements dans le capital physique TIC ont à eux seuls fait croître le PIB suisse de 0,4 point de pourcentage par an6. L’Office fédéral de la statistique (OFS) estime que, pour les années 1998 à 2012, le secteur des TIC a contribué à la croissance du PIB à hauteur de 0,3 point de pourcentage en moyenne7. Cependant, ce calcul tient seulement compte d’une Encadré 1. Réglementation de l’économie de partage La diffusion des technologies numériques et des modèles d’affaires qui leur sont associés représente un défi pour la politique de la concurrence. Les services proposés par l’économie de partage, comme le service de transport avec chauffeur Uber ou la plateforme de location de logements Airbnb, ont intensifié la concurrence. Les consom- mateurs bénéficient d’une offre élargie et peuvent obtenir les services souhaités à des prix moindres. Parallèlement, les prestataires traditionnels se plaignent de ne pas être à égalité avec les nouveaux acteurs qui, selon eux, exercent une pression inadmissible sur les prix. Ils font valoir que leurs concurrents numériques profitent d’un avantage concurrentiel, car ils ne sont soumis à aucune réglementation, contrairement à eux. Les autorités de la concurrence, en tant qu’« avocates de la concurrence », peuvent profiter de ce débat pour remettre en cause les réglementations en vigueur. Les prescriptions problématiques du point de vue de la concurrence sont celles qui ne sont plus d’actualité et qui font obstacle à l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché. Marc Blatter, chef du centre de compétences Économie au secrétariat de la Commission de la concurrence (Comco) La Vie économique 11/ 2015 7 KEYSTONE NUMÉRISATION partie des effets du numérique sur la croissance, car ses conséquences sur les branches qui ne sont pas liées au secteur des TIC ne sont pas prises en considération. On peut partir du principe que les effets de la révolution numérique sur la croissance sont aussi substantiels en Suisse. Il est donc réjouissant de constater que ce pays figure dans les premières places de divers classements comparant les conditions offertes par les places économiques en matière de numérique8. Comment l’État doitil se positionner par rapport aux nouveaux modèles d’affaires ? Test par La Poste d‘un drone livreur de colis. L’État doit créer des conditions-cadres favorables L’importance du numérique pour la croissance économique pose la question du rôle de l’État dans ce processus de mutation. Au cours des dernières années, divers pays européens ont présenté des programmes à grande échelle liés au virage numérique. En mai dernier, la Commission européenne a publié son rapport sur la création d’un marché unique numérique9. Encadré 2. Plateformes monopolistiques Les plateformes Internet et les moteurs de recherche jouent un rôle déterminant dans la numérisation de l’économie. Faisant office d’intermédiaires, les plateformes, qui rassemblent différents groupes d’utilisateurs, se caractérisent par des effets de réseau indirects : pour un vendeur, plus une plateforme est utilisée par des acheteurs potentiels, plus elle est attrayante. À l’inverse, pour les acheteurs potentiels, l’attrait d’une plateforme augmente en fonction du nombre de vendeurs actifs. 8 La Vie économique 11/2015 Les effets de réseau indirects ont pour conséquence une forte concentration des marchés des plateformes. Par exemple, le moteur de recherche Google ou le service de réservation Booking ont une position très forte. Une telle concentration est-elle problématique sur le plan de la politique de la concurrence? Sur le plan économique, une plateforme monopolistique est efficace, car les effets de réseau y sont maximisés. Sous l’angle de la concurrence, il peut être problématique qu’une entreprise dominant le marché transfère son pouvoir de marché sur d’autres marchés grâce à des offres liées entre elles ou que les utilisateurs soient obligés de passer par un système et par un prestataire donnés. Toutefois, il ne faut pas oublier que l’excellente position d’une plateforme sur le marché est le reflet de son succès. Les entreprises ne seraient plus incitées à investir dans les nouvelles technologies et les nouveaux modèles d’affaires si elles ne pouvaient pas récolter les fruits de leurs investis- sements. En outre, les marchés numériques se caractérisent par un très grand dynamisme. Des prestataires dominants aujourd’hui peuvent rapidement perdre leur place au profit de nouveaux acteurs innovants. Pour les autorités de la concurrence, il s’agit de trouver un équilibre entre la protection de la concurrence à court terme et le maintien des incitations à l’innovation à long terme. Marc Blatter (Comco) L’ÉVÉNEMENT En Suisse aussi, le Conseil fédéral promeut la société de l’information. Pour ce qui est de l’économie, il écrit : « La Confédération crée un cadre général favorable à l’utilisation des TIC dans toutes les régions et dans tous les domaines de l’économie. […] »10. Cette approche se fonde sur la conviction que l’État ne doit pas intervenir directement dans l’activité économique, mais fixer les meilleures règles du jeu possibles pour les acteurs privés. Vu l’importance capitale des TIC et la rapidité avec laquelle l’environnement évolue, il n’est pas indiqué de promouvoir de manière ciblée certaines branches, entreprises ou technologies. Parmi les conditions-cadres que la Suisse offre à l’économie, on compte la grande liberté d’entreprendre, la sécurité juridique, la maind’œuvre qualifiée, la flexibilité du marché du travail, la haute qualité des infrastructures, la politique budgétaire durable, une charge fiscale relativement modérée et une qualité de vie élevée. Le maintien, voire l’amélioration, de ces conditions pour les entreprises est au cœur de la politique économique11. Le numérique ne devrait presque rien y changer. Les domaines suivants sont particulièrement importants pour permettre à la Suisse d’exploiter de façon optimale le potentiel économique de la révolution numérique : 1. Formation et perfectionnement. Les qualifications des travailleurs doivent satisfaire, dans la mesure du possible, aux exigences d’un monde de plus en plus marqué par le numérique. 2. Recherche. La Suisse peut occuper une place de choix dans l’exploration des possibilités technologiques offertes par le numérique et dans l’élaboration des applications qui en découlent (comme l’impression 3D). 3. Protection des données. Étant donné les nouvelles possibilités technologiques et l’augmentation du stockage de données personnelles qu’elles entraînent, la sécurité juridique doit être assurée. 4. Infrastructures TIC sûres et performantes. Ces infrastructures sont pour ainsi dire l’épine dorsale de l’univers numérique. En Suisse, leur exploitation et leur développement s’effectuent surtout sous l’impulsion du marché. Toutefois, l’intervention de l’État pour réglementer les infrastructures de réseau revêt une grande importance en raison de leur rôle essentiel dans la mutation numérique. Ces infrastructures doivent couvrir le plus de territoire possible et être accessibles au plus grand nombre. Enfin, la mutation numérique et les chances qu’elle comporte ne devraient pas être entravées par des réglementations hâtives. L’État ne devrait pas, par ce biais, favoriser les technologies et les modèles d’affaires traditionnels au détriment de l’innovation (voir encadrés). Les mesures que peuvent prendre la Confédération, les cantons et les communes en lien avec le numérique concernent en premier lieu la cyberadministration. Le Conseil fédéral a rédigé une stratégie suisse dans ce domaine ; son objectif est de permettre tant aux acteurs économiques qu’à la population de régler par voie électronique les affaires avec les autorités (du changement d’adresse aux formalités douanières, en passant par les services à la population)12. 8 Network readiness index du Forum économique mondial (6e rang) ; E-friction index du Boston Consulting Group (4e rang) ; National absorptive capacity index d’Accenture/Frontier Economics (2e rang). Voir également Seco/ IWSB, Cyberéconomie en Suisse: monitorage et rapport, 2014. 9 Voir l’article de Barbara Montereale (Mission de la Suisse auprès de l’Union européenne) dans ce numéro. 10 Stratégie du Conseil fédéral pour une société de l’information en Suisse, 2012, p. 10. Voir www. infosociety.admin.ch. 11 Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR), Principes pour une nouvelle politique de croissance, 2015. 12 Voir l’article de Christian Weber (Seco), Alessia C. Neuroni et Andreas Spichiger (tous deux de la Haute école spécialisée bernoise) dans ce numéro. Markus Langenegger Collaborateur scientifique, Croissance et politique de la concurrence, Secrétariat d’État à l’économie (Seco), Berne Bibliographie Daron Acemoglu, David Autor, David Dorn, Gordon H. Hanson et Brendan Price, « Return of the Solow Paradox? IT, Productivity, and Employment in US Manufacturing », American Economic Review, Papers & Proceedings, 104(5), 2014, pp. 394–399. Bart van Ark, Willem Overmeer et Desirée van Welsum, Unlocking the ICT Growth Potential in Europe : Enabling People and Businesses, 2013. Bitkom/Prognos, Digitale Arbeitswelt : Gesamtwirtschaftliche Effekte, 2013. Commission allemande des monopoles, Wettbewerbspolitik : Herausforderung digitale Märkte, Sondergutachten 68, 2015. OCDE, Hearing on disruptive innovation, Issues paper by the Secretariat, 2015. La Vie économique 11/ 2015 9 NUMÉRISATION La fin du travail ? Les ouvriers d’usine sont remplacés par des robots, les employés de bureau par des ordinateurs. Les travailleurs deviendraient-ils superflus à l’ère du numérique ? Ursina Jud Huwiler Abrégé La mutation structurelle qui a accompagné l’arrivée du numérique a des effets sur le marché du travail. Si les économistes ont des avis divergents sur la question, ils sont unanimes à dire qu’elle a permis de remplacer de la main-d’œuvre dans divers domaines et fait apparaître de nouvelles exigences en matière de qualifications. Le présent article examine les différents impacts de cette substitution sur le marché du travail. Il montre qu’en Suisse la structure de l’emploi s’est modifiée ces dernières années, en raison notamment de l’automatisation croissante. Cependant, le recul de certains groupes de professions a été compensé : tandis que le nombre de travailleurs progresse dans les métiers demandant un niveau de formation, il recule dans ceux moins qualifiés. En conclusion, la Suisse semble bien armée pour affronter cette mutation structurelle. A 1 Voir Brynjolfsson et Mc Afee, The Second Machine Age. 2 Voir Autor, Why are there still so many jobs? près la mécanisation, l’électrification et l’automatisation, la numérisation constitue une nouvelle révolution technologique qui se reflète sur le marché du travail1 et qui touche aussi bien les tâches manuelles que cognitives. Si l’automatisation, la dernière des révolutions industrielles, a permis à l’homme de confier à la machine des tâches manuelles ou cognitives essentiellement répétitives, les progrès actuels permettent désormais d’automatiser des opérations plus complexes. Les robots et ordinateurs conçus ces dernières années sont déjà dotés de vastes capacités cognitives et peuvent structurer d’immenses quantités de données grâce à des algorithmes. On assiste donc autant à la poursuite du processus d’automatisation amorcé il y a des décennies qu’à un élargissement du champ des possibles. L’arrivée des voitures autonomes, par exemple, aurait été jugée irréaliste il y a encore quelques années. La technologie d’aujourd’hui atteint toutefois ses limites lorsqu’il s’agit d’effectuer des tâches qui exigent des capacités sensorimotrices, de l’intuition et de la créativité, difficiles KEYSTONE La numérisation transforme le domaine de la santé. C’est le cas du robot thérapeutique « Paro » au Japon. 10 La Vie économique 11/2015 L’ÉVÉNEMENT à programmer sous forme algorithmique2. Il est important d’appréhender les possibilités et les limites de la technologie pour mesurer les conséquences des mutations actuelles sur le marché du travail. Le numérique a un impact sur la manière de mener certaines activités : l’informatisation et la mise en réseau des postes de travail en sont d’évidents exemples. Il peut aussi modifier la façon dont toute un secteur est structuré. Il suffit d’observer les différentes branches pour constater des écarts dans la progression du numérique : les industries de la photographie et de la musique, par exemple, reposent déjà largement sur ce système, avec des conséquences considérables sur l’emploi. Ce tournant technologique pourrait aussi toucher, à moyen ou à long terme, la logistique (haut degré d’automatisation dans la gestion des stocks, véhicules et drones autonomes), l’industrie de transformation (nouvelles techniques de fabrication, comme l’impression 3D, et robotique plus performante), les services financiers (exécution d’hypothèques et d’autres opérations financières complexes, et conseil en la matière) et la santé (diagnostic numérique, chirurgie assistée par robot, soutien logistique dans les soins). L’emploi remodelé Les progrès techniques font souvent craindre la disparition de nombreux postes et pose la question des mutations que subira l’emploi sous la pression du numérique. Deux thèses s’affrontent à ce sujet. La première suppose une rupture : à la différence des innovations fondamentales observées jusqu’ici, l’importante diminution des emplois que le numérique occasionne touche surtout les métiers présentant un niveau d’exigence moyen ; elle n’est pas compensée par une hausse de la demande dans d’autres domaines3. La seconde thèse mise sur des déplacements de la demande de travail à court ou à moyen terme, mais elle postule à plus long terme une croissance économique durable et l’émergence de nouveaux profils professionnels4. L’idée que le plein emploi pourrait disparaître provient du fait que la nette amélioration des outils informatiques, l’intelligence artificielle et la robotique multiplient les possibilités de substitution. Schématiquement, on remplace les travail- leurs par des machines lorsqu’il est plus économique pour l’entreprise d’automatiser certaines tâches. D’un point de vue macroéconomique, on peut se demander ce qu’il adviendra des forces de travail libérées et ce que l’on fera des économies réalisées. En effet, l’automatisation d’une tâche ne provoque pas nécessairement un recul de la demande globale de travail. Si elle coïncide avec une baisse de prix pour le consommateur, les ménages verront leur revenu réel augmenter, ce qui provoquera La technologie atteint une hausse de la demande de produits et de services. De plus, ses limites lorsqu’il l’automatisation conduit les ens’agit d’effectuer des treprises à accroître leurs parts tâches qui exigent de de marché grâce à une meilleure la créativité. productivité, ce qui pourrait augmenter les besoins de main-d’œuvre dans d’autres départements de l’entreprise5 et créer des emplois dans des secteurs économiques nouveaux. En conclusion, l’emploi se déplace avec le temps vers des domaines où l’être humain ne peut être remplacé par la technologie, ou alors à un coût prohibitif. S’il n’est guère possible de prévoir quels produits et services seront demandés à l’avenir, l’expérience montre que de nouveaux besoins apparaissent sans cesse et ouvrent de nouvelles perspectives pour l’emploi. Autre aspect du numérique, guère pris en considération jusqu’à présent dans notre pays : de nouvelles possibilités s’ouvrent aux branches qui souffrent d’un manque structurel de maind’œuvre ou sont menacées par une pénurie. L’automatisation peut contribuer à ce que les prestations soient assurées même si la main-d’œuvre 3 Voir p. ex. Brynjolfsson et Mc Afee. est insuffisante. On en trouve des exemples en 4 Voir à ce sujet Joël-Luc Australie, où des chercheurs ont inventé un robot Cachelin, Jobmotor, et Autor, Why are there still maçon hautement performant, ou au Japon, avec so many jobs? 5 Voir l’exemple du l’apparition de robots spécialisés dans les soins. fabricant de brosse à L’objectif commun ? Garantir que certains serdents Trisa qui, grâce à l’automatisation de vices restent assurés compte tenu de l’évolution différentes tâches, a enregistré une hausse démographique. de productivité considérable ces dix dernières années et fait passer le nombre de ses employés de 780 à 1250 au cours de la même période. Neue Zürcher Zeitung du 19 avril 2015, «Wer überleben will, setzt auf Robotik». De nouvelles exigences en matière de qualifications Les nouvelles technologies font naître d’autres exigences en matière de qualifications, ce qui La Vie économique 11/ 2015 11 NUMÉRISATION Progression de l’emploi par groupe de professions en Suisse de 1992 à 2015 ENQUÊTE SUISSE SUR LA POPULATION ACTIVE (ESPA), OFS, CALCULS PROPRES / LA VIE ÉCONOMIQUE Professions intellectuelles et scientifiques Dirigeants, cadres supérieurs Professions intermédiaires Employés de type administratif et professions apparentées Agriculteurs et sylviculteurs Personnel des services et vendeurs Artisans et ouvriers Conducteurs et assembleurs Les grands groupes de professions sont classés, par ordre décroissant, selon le niveau moyen de formation des actifs occupés. incite, voire oblige, les travailleurs à suivre des formations continues ou à se reconvertir afin de s’adapter à l’évolution de la demande. La politique de formation doit, dès lors, affronter de nouveaux défis. Ces adaptations demandent un certain temps. On peut donc s’attendre, à court ou à moyen terme, à des dysfonctionnements sur le marché du travail. L’évolution actuelle ne devrait, toutefois, pas affecter toutes les branches ni tous les profils professionnels dans les mêmes proportions. Une étude conclut qu’aux ÉtatsUnis le numérique pourrait faire disparaître jusqu’à 47 % des profils actuels6, sans toutefois indiquer d’horizon temporel précis. Les prévisions sont souvent vagues, car les mutations technologiques auxquelles nous assistons – ainsi que leur absorption par la chaîne de valeur ajoutée des entreprises – sont entachées de nombreuses incertitudes. Il est, en outre, difficile d’évaluer dans quelle mesure un tel résultat serait effectivement problématique pour le marché du travail. En effet, on a constaté, ces vingt dernières années en Suisse, d’importants déplacements de la demande d’une branche à l’autre, en même temps qu’une croissance significative de l’emploi global (voir illustration). Le niveau de formation 12 La Vie économique 11/2015 0 00 0 60 50 0 0 0 0 0 0 0 0 40 30 0 0 0 0 0 20 0 0 0 10 0 0 0 0 0 0 –1 00 00 –2 00 00 0 Ouvriers et employés non qualifiés dievowi.ch/?p=40729 a joué un rôle déterminant : tandis que l’emploi a progressé dans les professions intellectuelles et scientifiques, il a baissé dans les autres groupes de métiers. La demande a même augmenté dans les services qui, comme la vente, offrent peu de possibilités de substitution. Les conditions de travail évoluent 6 Voir Frey et Osborne, Future of Employment 7 Par exemple, ces dernières années, l’entreprise américaine Uber a doublé le nombre de ses chauffeurs de taxi tous les six mois. Quelles conséquences les mutations structurelles ont-elles sur les salaires ? D’un côté, ceuxci baissent dans les secteurs d’activité où l’offre de travail dépasse la demande en raison de l’automatisation des tâches. De l’autre côté, les salaires augmentent lorsque les progrès technologiques permettent d’améliorer la productivité. Par ailleurs, les nouvelles possibilités offertes par le numérique rendent perméable la limite entre travail et temps libre. Récemment, l’économie collaborative a aussi engendré de nouveaux modèles d’affaires caractérisés par des rapports de travail à mi-chemin entre le salariat et le statut d’indépendant. De tels modèles sont prometteurs pour ce qui est de concilier vies professionnelle et familiale, puisqu’ils offrent la possibilité de travailler à temps partiel7. Ils soulèvent, cependant, des questions en matière de droit du travail et des assurances so- L’ÉVÉNEMENT ciales8. Le législateur se trouve ainsi face au défi de mettre en place un cadre qui garantisse tant le développement technologique qu’une protection ciblée des travailleurs. Bonne résistance du marché suisse du travail À l’heure actuelle, si nos connaissances scientifiques à propos des effets du numérique sur le marché du travail en Suisse sont limitées, c’est aussi parce que, jusqu’ici, l’évolution a été plutôt discrète et n’a pas causé de rupture. Contrairement à ce que l’on a pu observer dans d’autres pays industrialisés, l’emploi s’est montré très solide ces dix dernières années, cela malgré la crise financière, la nette appréciation du franc et la progression de l’automatisation. Le secteur tertiaire a affiché une hausse inhabituelle, mais le secteur secondaire s’est, lui aussi, bien porté. L’illustration montre la forte croissance de l’emploi observée ces dernières années dans les professions hautement qualifiées et semble indiquer que la demande a reculé notamment dans celles où se manifeste une certaine tendance à l’automatisation ; c’est le cas pour les employés de type administratif et les assembleurs. Le rôle déterminant de l’automatisation est illustré par le fait que, dans l’industrie par exemple, la productivité du travail a affiché une progression supérieure à la moyenne entre 1995 et 2013 (+2,5 % contre +1,7 % pour l’économie globale). Le recul de la demande de main-d’œuvre qui en a résulté a toutefois été plus que compensé dans d’autres domaines. Le chômage reste ainsi exceptionnellement bas en comparaison internationale. Forte notamment d’un partenariat social bien établi, d’un système compétitif de formation professionnelle duale, d’une bonne capacité d’innovation et d’une sécurité sociale stable, la Suisse relève avec succès les défis inhérents aux mutations structurelles. 8 Voir à ce sujet The Economist, « McJobs and UberJobs », 9 juillet 2015. Ursina Jud Huwiler Cheffe du secteur Analyse du marché du travail et politique sociale, Secrétariat d’État à l’économie (Seco), Berne Bibliographie Autor David H., « Why are there still so many jobs? The History and Future of Workplace Automation », Journal of Economic Perspectives, 29(3), 2015, pp. 3–30. Brynjolfsson Erik et Mc Afee Andrew, The Second Machine Age, Work, Progress and Prosperity in a Time of Brilliant Technologies, 2014, W. W. Norton & Co. Cachelin Jean-Luc, Digitalisierung als Jobmotor – Wie die Digitalisierung neue Märkte und Berufsbilder hervorbringt, Dulliken, 2015. Frey Carl Benedikt et Osborne Michael A., The Future of Employment: How Susceptible are Jobs to Computerisation, 2013. Mokyr Joel, Vickers Chris et Ziebarth Nicolas L., « The History of Technological Anxiety and the Future of Economic Growth : Is This Time Different? », Journal of Economic Perspectives, 29(3), 2015, pp. 31–50. Oesch Daniel, Occupational Change in Europe : How Technology and Education Transform the Job Structure, 2013, Oxford University Press. La Vie économique 11/ 2015 13 NUMÉRISATION Révision de la loi fédérale sur la protection des données : mettre l’accent sur la transparence et le contrôle La technologie et la réglementation au plan européen évoluent. La législation suisse doit s’adapter. Camille Dubois Abrégé La loi fédérale sur la protection des données (LPD) date de 1992. La technologie ayant progressé rapidement, l’Office fédéral de la justice (OFJ) a décidé en 2008 de faire évaluer la loi, afin de savoir si elle offrait toujours une protection suffisante. Il ressort de cette évaluation ainsi que des travaux du Département fédéral de justice et police (DJFP) qui ont suivi que ce n’est, dans certaines situations, pas le cas. Le Conseil fédéral a, dès lors, chargé le DJFP d’élaborer un projet de révision. Celui-ci devrait notamment permettre à la Suisse de ratifier la nouvelle convention STE 108 du Conseil de l’Europe et de transposer les prochaines dispositions de l’UE en la matière, dans la mesure où elles relèvent de l’acquis de Schengen/Dublin. Il est, entre autres, envisagé d’améliorer la transparence des traitement de données ainsi que la maîtrise et le contrôle de ces dernières, de renforcer les pouvoirs du Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT) et de promouvoir les bonnes pratiques et l’autorégulation. Le projet destiné à la consultation externe doit être soumis au Conseil fédéral fin août 2016 au plus tard. L a loi fédérale sur la protection des données (LPD ; RS 235.1) a été adoptée par le Parlement le 19 juin 1992. Il s’agissait alors de faire face à l’augmentation des risques d’atteinte à la personnalité que comportaient l’utilisation des technologies modernes de l’information et de la communication ainsi que l’intensification massive des traitements de données. Or, à l’époque, le paysage en matière de protection des données était très différent de celui d’aujourd’hui. On ne parlait pas encore d’Internet pour tous et l’accès à l’informatique ne s’était pas encore démocratisé. Aujourd’hui, tout le monde dispose d’un ordinateur, d’un téléphone portable ou d’une tablette connectés ; il est question d’Internet des objets, de géolocalisation, de mégadonnées (« big data »), de réseaux sociaux ou encore d’informatique en nuage (« cloud computing »). Adapter la loi à l’évolution technologique et au droit européen Compte tenu de ces développements technologiques et du grand nombre de personnes concernées par la protection des données, l’Office fédé- 14 La Vie économique 11/2015 1 Certaines dispositions, soit celles introduites au 1er janvier 2008 (RO 2007 4983) et au 1er décembre 2010 (RO 2010 3387), ont expressément été exclues du champ d’application de l’évaluation, en raison de l’absence de recul quant à leurs effets. 2 Evaluation des Bundesgesetzes über den Datenschutz – Schlussbericht, 10 mars 2011, pp. 172 et 213s.; disponible en ligne sur le site de l’OFJ (Rapport du Conseil fédéral du 9 décembre 2011 sur l’évaluation de la loi fédérale sur la protection des données (FF 2012 255). ral de la justice (OFJ) a décidé en 2008 de faire évaluer la LPD, conformément à l’article 170 de la Constitution fédérale. Le but était de mesurer l’efficacité de la loi1. En raison du champ d’application très vaste de la LPD et des ressources limitées, l’évaluation s’est concentrée sur certains des aspects de la loi, à savoir sa notoriété et les mécanismes de mise en œuvre. Il en résulte que le niveau de protection est bon dans les domaines où les défis étaient déjà connus lorsque le texte est entré en vigueur. Les développements technologiques et sociétaux intervenus depuis lors représentent, toutefois, autant de nouvelles menaces pour la protection des données que la loi ne peut plus palier dans certains contextes2. Sur la base de ce constat, le Conseil fédéral a chargé le Département fédéral de justice et police (DFJP), dont dépend l’OFJ, d’examiner les mesures législatives qui permettraient de combler ces lacunes. Le DFJP, dans son examen, devait notamment tenir compte des réformes en cours au niveau de l’UE, qui planche sur un projet de règlement3 ainsi que de directive4, et du Conseil de l’Europe qui procède à une modernisation de sa Convention STE 1085. Le contenu de ces textes est important pour la Suisse. Le projet de directive fait en effet partie du développement de l’acquis Schengen et devra être transposé par la Suisse pour les traitements s’inscrivant dans le cadre de la coopération policière et judiciaire qui découle des accords conclus. Quant au projet de règlement, l’UE pourrait le considérer comme faisant partie du développement de l’acquis Dublin et donc y lier la Suisse. Même si l’on fait abstraction de ces considérations, la Suisse aurait tout intérêt à s’inspirer de la législation européenne si elle souhaite continuer de bénéficier d’une décision d’adéquation6. Ces réformes devraient aboutir d’ici 2016. KEYSTONE Le projet est sur les rails Au printemps dernier, suite au rapport7 du groupe chargé d’accompagner les travaux, le Conseil fédéral a confié au DJFP le soin d’élaborer un projet de révision d’ici fin août 2016. Celui-ci devrait notamment permettre à la Suisse de ratifier la nouvelle Convention STE 108 du Conseil de l’Europe, ainsi que de transposer la nouvelle directive et le nouveau règlement de l’UE dans la mesure où ils relèvent de l’acquis de Schengen/Dublin. La révision devrait aussi mettre en œuvre la recommandation émise par les experts européens dans le cadre de l’évaluation Schengen 2014 de doter le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT). Le projet pourrait contenir des mesures qui tendront à : 1. Promouvoir les bonnes pratiques et l’autorégulation. Il s’agirait notamment de confier à un organe (par exemple un comité d’experts) le soin d’édicter ou d’approuver des règles de bonnes pratiques. Celles-ci pourraient aussi être élaborées par la branche. Sans être contraignantes, ces règles serviraient de référence pour les responsables du traitement. Elles permettraient, entre autres, de trouver des solutions adaptées aux nouveaux développements technologiques sans réglementer de manière excessive. Les responsables du traitement disposeraient d’une certaine latitude dans le choix des solutions, lesquelles pourraient être modulées selon les risques, le volume ou le type de données traitées. 2. Prendre en compte les exigences de protection des données dès la conception et par défaut (principe de la « privacy by design » et de la « privacy by default »). Il s’agirait, par exemple, d’introduire une obligation pour le responsable du traitement de procéder à une analyse d’impact en cas de risque accru pour la personnalité. Celui-là devrait mettre en place des mesures appropriées notamment en fonction des risques encourus, de l’état de la technique et des coûts. Par ailleurs, il devrait privilégier les réglages par défaut qui sont les plus favorables à la protection des données. Une autre mesure Le mandat de la Confédération en matière de protection des données devrait aboutir à une révision qui élargirait les compétences de la loi. le préposé Hanspeter Thür s’exprime devant des journalistes. 3 P rojet de règlement relatif à la protection des données des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel. Il est destiné à remplacer l’actuelle du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO L 281. p. 31 – 50). La Vie économique 11/ 2015 15 NUMÉRISATION serait de donner la possibilité au responsable de traitement d’avertir le PFPDT, afin de s’assurer qu’il n’existe pas d’obstacle au traitement envisagé et d’éviter d’éventuelles sanctions. 3. Renforcer la transparence des traitements. Les personnes concernées doivent pouvoir utiliser les nouvelles technologies sans renoncer pour autant à leur liberté de décider quels données personnelles elles entendent mettre à disposition. Pour ce faire, la collecte et le traitement des données doivent bénéficier d’une meilleure transparence. Dans la loi actuelle, le devoir d’information dans le secteur privé n’existe que lorsque des données sensibles sont collectées et des profils de la personnalité constitués. Il s’agirait d’étendre cette obligation à toutes les catégories de données, comme c’est déjà le cas dans le secteur public. La personne concernée devrait également être informée du fait qu’une décision l’affectant a été prise de manière purement automatisée, à savoir sans intervention humaine, et pouvoir donner son point de vue. Le projet de révision devrait également introduire l’obligation de notifier les violations de données au PFPDT et d’étendre les informations à fournir lorsque la personne concernée exerce son droit d’accès. 4. Assurer un meilleur contrôle et une meilleure maîtrise sur les données une fois celles-ci divulguées. Le droit à l’oubli, qui peut déjà être déduit implicitement des art.15 et 25 LPD, serait explicité en mentionnant expressément un « droit à l’effacement ». Il est également envisagé d’établir un mécanisme alternatif de règlement des conflits, qui permettrait aux personnes concernées de faire valoir leurs droits sans nécessairement devoir se lancer dans une procédure risquée et coûteuse. 5. Renforcer les pouvoirs du PFPDT. Il est envisagé de conférer au préposé le pouvoir de rendre des décisions, comme le prévoient les 16 La Vie économique 11/2015 réformes au niveau européen et comme la Suisse y a été invitée dans le cadre de l’évaluation Schengen de 2014. Actuellement, le PFPDT ne peut émettre que des recommandations. Il a ensuite la possibilité de les porter devant les autorités judiciaires si elles ne sont pas suivies. Ce sont là des compétences assez faibles, comparées à celles dont disposent les autorités de contrôle des autres pays européens et les autres organes de surveillance de la Confédération, qui ont le plus souvent un pouvoir décisionnel. Le PFPDT pourrait ainsi rendre une décision interdisant ou suspendant le traitement, ou encore enjoignant à son responsable de prendre les mesures qui conviennent. Il serait même habilité, dans certains cas, à prononcer des sanctions. Ses décisions pourraient faire l’objet d’un recours. Les travaux législatifs sont actuellement en cours. Le catalogue de mesures ci-dessus n’est nullement exhaustif ou définitif. Le DFJP reste notamment libre d’examiner d’autres possibilités ou d’en abandonner certaines, en fonction des réformes européennes. Relevons par ailleurs, au vu du nombre d’interventions parlementaires déposées au niveau fédéral (initiatives parlementaires, motions, postulats), que la problématique de la protection des données trouve un relais important dans le monde politique depuis quelques années. Camille Dubois Unité organisationnelle Projets et méthode législatifs, Office fédéral de la justice (OFJ), Berne 4 P rojet de directive relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuite en la matière ou d’exécution de sanctions pénales. Cette directive est destinée à remplacer l’actuelle du Conseil du 27 novembre 2008 relative à la protection des données à caractère personnel traitées dans le cadre de la coopération policière et judiciaire en matière pénale (JO L 350/60, p. 60 – 71). 5 Convention du 28 janvier 1981 pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (RS 0.235.1). 6 Dans les domaines qui ne relèvent pas des accords de Schengen/ Dublin, la Suisse est considérée comme un État tiers. L’échange de données avec l’UE est en principe soumis à la condition que cette dernière reconnaisse à la législation suisse en matière de protection des données un niveau de protection équivalent. 7 Esquisse d’acte normatif relative à la révision de la loi sur la protection des données – Rapport du groupe d’accompagnement Révision LPD du 29 octobre 2014. L’ÉVÉNEMENT Économie numérique : la Suisse doit passer à la vitesse supérieure L’UE veut créer un marché unique numérique. La cyberadministration en est un pilier important. La Suisse ferait bien de s’inspirer de l’évolution en cours. Elle est mal positionnée par rapport à l’Europe en ce qui concerne les échanges numériques entre les institutions étatiques, les entreprises et les citoyens. Christian Weber, Alessia C. Neuroni, Andreas Spichiger Abrégé Internet et les technologies informatiques modifient le visage de la société. Forte de ce constat, la Commission européenne a défini le marché unique numérique comme l’une de ses dix grandes priorités. Elle le considère comme une condition pour exploiter le potentiel de l’économie numérique. La cyberadministration est un instrument phare dans la stratégie de l’UE. Le projet européen devrait inciter la Suisse à passer à la vitesse supérieure pour faire encore mieux. Il convient de définir ce qui doit être coordonné avec l’étranger et ce que nous pouvons faire nous-mêmes. Les solutions à trouver doivent être adaptées à la réalité suisse. L’État doit créer les incitations nécessaires, supprimer les éventuels obstacles, montrer l’exemple et, ainsi, encourager l’économie numérique. L 1 Pour de plus amples informations sur le marché unique numérique, voir www.ec.europa.eu. 2 Commission européenne (2015), fiche d’information sur le marché unique numérique. a réalisation du marché unique numérique est l’une des dix grandes priorités de la Commission européenne. La cyberadministration – soit les échanges numériques entre les institutions étatiques, les entreprises et les citoyens – est un moyen essentiel d’y parvenir. En avril dernier, le commissaire européen à l’économie numérique et à la société, Günther Oettinger, a présenté une stratégie ambitieuse. Selon ses prévisions, le marché unique numérique, qui pourrait générer plus de 400 milliards d’euros par an, contribuera à l’activité économique dans la zone euro, créera des emplois et instaurera une société de la connaissance dynamique1. Les petites et moyennes entreprises (PME) de l’UE, en particulier, n’exploitent pas le potentiel disponible : seules 7 % d’entre elles réalisent des ventes transfrontières2. Le marché unique numérique leur permettrait d’y voir plus clair dans la réglementation applicable. Les frais de livraison devraient se réduire. Les PME et les jeunes pousses auront tout à y gagner. Le potentiel libéré par les simplifications juridiques et techniques stimulera la croissance de toute l’économie et augmentera l’efficacité des services, y compris dans les contacts avec les autorités3. KEYSTONE La cyberadministration a beaucoup d’avenir en Suisse. Une caméra vérifie si un poids lourds a payé la redevance liée aux prestations (RPLP). La Vie économique 11/ 2015 17 KEYSTONE NUMÉRISATION Le projet de marché unique vise à exploiter les possibilités résultant des services numériques. Il s’agit aussi de renforcer les consommateurs, en établissant la confiance et la sécurité nécessaires dans les services numériques et en encourageant une politique des prix équitable. L’objectif est de faire des 28 marchés nationaux de l’UE un marché unique numérique pour les biens et les services, que ceux-ci soient physiques ou numériques. Pour cela, il faut améliorer l’accès aux biens et services en supprimant les obstacles dans les échanges transfrontaliers en ligne. La mise en place d’une infrastructure et de services de contenu performants, sécurisés et fiables créera un environnement favorable pour les réseaux et les services numériques. Il est aussi prévu d’améliorer les possibilités de coopération entre les systèmes (interopérabilité), par exemple dans la santé, l’énergie et les transports, ce qui accélérera la croissance économique4. Dans ce contexte, la cyberadministration fournit l’infrastructure requise et instaure la confiance nécessaire dans les transformations en cours. Les thèmes intéressants pour la Suisse sont en particulier le traitement des données à 18 La Vie économique 11/2015 La Suisse doit surmonter les difficultés de l’ére numérique avec des solutions qui lui sont propres. « Google Trekker » sur le Monte Generoso au Tessin. caractère personnel, l’établissement d’une infrastructure de données ouverte et l’interopérabilité entre des systèmes de domaines et de pays différents. La cyberadministration pour un marché unique numérique 3 Commission européenne, Questions and answers - Digital Single Market Strategy, 6 mai 2015. 4 Commission européenne, Stratégie pour un marché unique numérique en Europe, 6 mai 2015. Voir également l’article de Barbara Montereale (Mission de la Suisse auprès de l’Union européenne) dans le présent numéro. 5 Étude Future-proofing eGovernment for a Digital Single Market, 23 juin 2015, à télécharger sur Capgemini.com. Depuis dix ans, l’UE évalue les progrès accomplis en Europe en matière de cyberadministration. Elle mesure également les créations d’entreprises, les emplois perdus, l’offre d’emplois et la formation dans 33 pays européens, dont la Suisse5. Les critères d’évaluation appliqués dans l’étude de l’UE sont la centricité-utilisateur, la transparence, la mobilité transfrontière et les « incitations-clés ». Dans la cyberadministration, ces incitations-clés sont les suivantes : –– données authentique : registres de référence pour la fourniture de données sur des personnes ou des entreprises ; –– authentification unique : une seule inscription sur un site de l’administration est nécessaire pour pouvoir utiliser d’autres sites ; –– identification électronique de l’utilisateur ; L’ÉVÉNEMENT –– documents électroniques : envoi et réception de documents authentiques ; –– « eSafe » : échange de données et de documents électroniques ; –– principe « une fois seulement » : toutes les informations requises par l’État ne sont transmises qu’une seule fois. Si la Suisse se situe légèrement au-dessous de la moyenne en ce qui concerne la centricitéutilisateur et la mobilité transfrontière, elle est loin derrière dans l’évaluation de la transparence et des incitations-clés6. Elle est très mal notée en particulier sur la transparence en matière de prestations fournies et de données personnelles : dans ces catégories, les pays qui obtiennent les meilleurs résultats sont Malte et l’Estonie, car ils fournissent aux utilisateurs finaux une bonne vue d’ensemble des progrès accomplis et des données détenues sur les citoyens. Les structures fédérales sont à la fois une chance et un défi L’UE considère la création du marché unique numérique dans une perspective globale. La décision d’en faire une priorité stratégique et de financer la mise en place de l’infrastructure de services numériques dans le programme « Connecting Europe Facility » devrait permettre des progrès décisifs jusqu’en 2020. À long terme, toutes les autorités, tous les domaines et tous les pays devraient converger vers des services numériques communs. Pour la Suisse, il est important d’observer l’évolution en cours et de ne pas rater le train. La question qu’elle doit se poser est la suivante : où une coordination internationale est-elle nécessaire pour réaliser l’économie numérique et que pouvons-nous faire nous-mêmes ? Les caractéristiques principales doivent absolument être compatibles avec l’étranger. Les structures fédérales posent en cela des défis particuliers. Elles sont ainsi une chance d’étendre l’interopérabilité à tout le territoire suisse : tous les groupes d’intérêt gagnent en efficacité et en efficience si les services des autorités sont transparents et uniformes à tous les niveaux administratifs. Cela accroît également la transparence pour les citoyens et les entreprises. De surcroît, il est plus facile d’intégrer des services fédéraux dans un contexte international que des services centralisés. Les transformations nécessaires seront traitées dans la stratégie pour une société de l’information7, qui est en cours de remaniement pour la prochaine législature 2016–2019. Ce document tiendra compte de tous les domaines de l’économie et de la société. Il garantira que les atouts du numérique servent durablement la prospérité et la qualité de vie de toute la société. Il faut passer à l’action La numérisation est un mouvement de fond qui ne s’arrêtera pas. La Commission européenne considère la réalisation du marché unique numérique comme une condition pour exploiter le potentiel économique. L’étude citée sur la cyberadministration esquisse des pistes : à chaque phase de développement, les aptitudes des parties intéressées qui veulent faire avancer la numérisation doivent être prises en considération. La collaboration des autorités entre elles, avec les entreprises et avec les citoyens doit se baser sur une infrastructure numérique commune. Les solutions doivent fonctionner dans le contexte culturel de chaque pays. Pour la Suisse, cela signifie qu’attendre des solutions internationales ou européennes en matière d’identification électronique ou de dossier numérique du patient n’est pas une option. On apprend dans l’action, et non dans l’observation. Les développements en cours à l’étranger doivent nous inciter à retrousser nos manches pour continuer de nous améliorer. Si la Suisse sait ce qu’elle doit coordonner avec l’étranger et ce qu’elle peut faire elle-même, elle sera en mesure de définir les justes priorités. Christian Weber Chef de la Cyberadministration PME, secteur Politique PME, Secrétariat d’État à l’économie (Seco), Berne Alessia C. Neuroni Professeure, cheffe du pôle Open & Linked Data, cheffe suppléante de l’Institut de cyberadministration, Haute école spécialisée bernoise 6 Fiche d’information sur la Suisse à télécharger sur Joinup.ec.europa.eu. 7 Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (Detec), Stratégie du Conseil fédéral pour une société de l’information en Suisse, mars 2012, à télécharger sur www.bakom.admin.ch. Andreas Spichiger Professeur, chef de l’Institut de cyberadministration, Haute école spécialisée bernoise La Vie économique 11/ 2015 19 NUMÉRISATION L’ouverture d’un marché unique numérique dans l’UE pourrait avoir des conséquences pour la Suisse L’UE souhaite créer un marché unique numérique en Europe. Pour cela, il faut abolir les obstacles règlementaires entre les États membres. De son côté, la Suisse doit veiller à ce que ses entreprises et ses consommateurs puissent accéder à ce nouveau marché unique. Barbara Montereale Abrégé La création d’un marché numérique unique est l’une des priorités de la Commission européenne. Avec sa nouvelle « Stratégie pour un marché unique numérique en Europe », l’UE est décidée à tirer parti de la révolution en cours dans ce domaine pour stimuler la croissance et rester un leader mondial de l’économie numérique. Un tel marché pourrait avoir aussi des conséquences pour la population de notre pays et son économie. Les entreprises suisses risquent, en effet, d’avoir des difficultés à accéder au marché européen ou de perdre de leur compétitivité. La Suisse doit évaluer avec attention les implications potentielles de la politique numérique de son premier partenaire commercial et agir en conséquence. L’ 1 Voir www.ec.europa.eu. 20 une des dix priorités de la Commission européenne, présidée par Jean-Claude Juncker, est la création d’un marché unique numérique1. L’Union européenne (UE) souhaite supprimer les obstacles règlementaires et réunir les 28 marchés nationaux en un seul. Ainsi, la population et les entreprises bénéficieront d’un accès homogène et équitable aux biens et aux services en ligne, quel que soit leur lieu de résidence. Le marché unique numérique pourrait apporter 415 milliards d’euros par an à l’économie européenne, ce qui stimulera la création d’emplois, la croissance, la concurrence, l’investissement et l’innovation. Il permettra d’offrir un plus large choix et de meilleurs services à des prix plus avantageux, favorisera la création de nouvelles jeunes pousses (« start-ups ») et facilitera le développement des entreprises existantes au sein d’un marché comptant plus de 500 millions de consommateurs. La nouvelle « Stratégie pour un marché unique numérique en Europe » a été présentée au printemps dernier. Cette vaste réforme du cadre numérique de l’UE comprend seize actions, ar- La Vie économique 11/2015 ticulées autour de trois piliers, qui devront être mises en œuvre avant la fin de l’année prochaine (voir tableau). Améliorer l’accès aux biens et services numériques Le premier pilier vise à améliorer l’accès aux biens et services numériques, en supprimant les obstacles aux activités en ligne transfrontières, tels que des règlementations différentes entre États membres ou le manque de confiance des acheteurs et des vendeurs à l’égard des transactions en ligne. L’UE a prévu huit mesures afin d’atteindre cet objectif. Elle souhaite, par exemple, faciliter le commerce électronique transfrontière, en particulier pour les petites et moyennes entreprises (PME), en harmonisant les droits des consommateurs et les règles contractuelles, et en améliorant les services de livraison transfrontalière des colis. Selon la Commission européenne, seuls 15 % des consommateurs achètent via Internet dans un autre pays de l’UE et 62 % des entreprises qui souhaiteraient vendre en ligne y renoncent en raison de frais de livraison jugés trop élevés. Il est aussi prévu de réduire les coûts de mise en conformité en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), en s’entendant sur un taux unique et en mettant en place une même procédure électronique d’enregistrement et de paiement. L’UE veut aussi faciliter l’accès au contenu et aux services en ligne, en élargissant le choix KEYSTONE des consommateurs, en réduisant les prix des contenus numériques et en favorisant la diversité culturelle. À cette fin, il est prévu de moderniser les règles sur le droit d’auteur pour des aspects tels que la portabilité des contenus (visualisation à l’étranger d’un contenu acheté légalement dans un autre État membre), la sécurité juridique pour les utilisations transfrontières ou les exceptions pour les chercheurs lors du traitement des données. Une proposition législative est attendue avant la fin de 2015. Enfin, le blocage géographique injustifié sera interdit. Il s’agit de la pratique discriminatoire qui empêche les consommateurs d’utiliser les services en ligne disponibles dans d’autres pays de l’UE ou qui les renvoie vers un site de leur propre pays avec des prix différents. Des propo- Le marché unique numérique pourrait apporter plus de 400 milliards d’euros par an à l’économie européenne. La chancelière allemande Angela Merkel avec son collègue britannique, David Cameron, au Cebit, la foire des TI de Hanovre. sitions législatives dans ce domaine pourraient être faites dès le début de 2016. Créer un environnement propice au développement des réseaux et des services numériques Le deuxième pilier vise à créer un environnement propice au développement des réseaux et services numériques innovants, ainsi que des conditions de concurrence équitable. La mise en œuvre de cette priorité nécessite des infrastructures à haut débit qui soient rapides, sécurisées et fiables. En 2016, l’UE révisera ainsi la réglementation sur les télécommunications. Elle adoptera une approche plus harmonisée entre les États membres concernant les règles La Vie économique 11/ 2015 21 NUMÉRISATION sur la protection des données personnelles ainsi que la sécurité des réseaux et de l’information (cybersécurité). L’UE analysera aussi le rôle des plateformes en ligne (moteurs de recherche, médias sociaux, plateformes de commerce électronique, etc.). Celles-ci jouent un rôle de plus en plus important dans la vie des utilisateurs. Toutefois, elles suscitent aussi des inquiétudes quant à la transparence des résultats de recherches, à l’utilisation de l’information, à la promotion de leurs propres services et aux contenus illicites. Enfin, en 2016, les règles du secteur audiovisuel seront révisées pour tenir compte de l’évolution des nouvelles technologies, des nouveaux moyens d’accéder au contenu (p. ex. smartphone) et des services à la demande (p. ex. Netflix). Encourager la croissance de l’économie numérique Le troisième pilier vise à maximiser le potentiel de croissance de l’économie numérique. La Com- mission européenne a constaté que 75 % de la valeur ajoutée de l’économie numérique ne provient pas des entreprises actives dans les technologies de l’information et de la communication (TIC), mais des branches traditionnelles. En outre, seules 1,7 % des entreprises conventionnelles tirent pleinement parti des technologies numériques. Le passage de tous les secteurs à l’économie numérique favoriserait la croissance économique et l’inclusion sociale. L’UE veut créer une économie des données compétitive et innovante en favorisant la circulation des données ainsi que l’utilisation de l’informatique en nuage (« cloud »), des mégadonnées (« big data ») et de l’Internet des objets (« Internet of things »). L’adoption de normes homogènes et l’amélioration de l’interopérabilité dans des domaines cruciaux, tels que la santé (télémédecine, santé mobile), les transports (planification d’itinéraires, fret en ligne) ou l’énergie (compteurs intelligents), est aussi une priorité. Afin d’assurer une société numérique inclusive – autrement dit à laquelle tout le monde par- Feuille de route du marché numérique unique 2015 2016 I. Améliorer l’accès aux biens et services numériques Proposition législative relative à un droit commun européen de la vente permettant des contrats transfrontaliers simples et efficaces pour les consommateurs et les entreprises Examen du règlement sur la coopéraÉtude de grande ampleur destinée à préparer des propositions de lois inter- tion en matière de protection des disant tout blocage géographique in- consommateurs justifié Enquête sur la concurrence dans le secteur du commerce électronique, concernant le commerce en ligne de biens et la fourniture en ligne de services Propositions législatives en vue d’une réforme du droit d‘auteur Dispositions dans le domaine de la livraison des colis Examen de la directive sur la radiodif- Propositions législatives pour réduire la fusion par satellite et la retransmission charge administrative pour les entreprises liée aux différents régimes de par câble TVA II. Créer un environnement propice au développement des réseaux et services numériques Propositions législative en vue de réformer les règles en matière de télécommunications Examen de la directive « vie privée et communications électroniques » Examen de la directive sur les services Établissement d’un partenariat pude média audiovisuels blic-privé en matière de cybersécurité III. Maximiser le potentiel de croissance de l’économie numérique Adoption d’un plan intégré de normalisation dans le domaine des TIC et extension du cadre d’interopérabilité européen pour les services publics 22 La Vie économique 11/2015 Initiatives sur la propriété des données et sur leur libre circulation (p. ex. entre fournisseurs de services en nuage), ainsi que sur un nuage européen Nouveau plan d’action pour l’administration en ligne, comprenant une initiative en faveur du principe « une fois pour toutes » et une autre sur l’interconnexion obligatoire des registres de commerce COMMISSION EUROPÉENNE / LA VIE ÉCONOMIQUE Analyse circonstanciée du rôle des plateformes numériques sur le marché (y compris dans le cas des contenus illégaux) L’ÉVÉNEMENT ticipe –, l’UE fera des compétences numériques un élément essentiel de ses futures initiatives en matière de formation. Elle présentera, en outre, l’année prochaine un nouveau plan d’action pour l’administration en ligne. Il est essentiel que la Suisse puisse avoir accès au marché numérique unique La Suisse a reconnu l’importance des TIC et de la révolution numérique pour son économie. Plusieurs stratégies nationales couvrent des domaines qui vont de la société de l’information à l’administration en ligne, en passant par la cybersécurité, le droit d’auteur, l’informatique en nuage et la cybersanté. Cependant, la stratégie européenne pourrait avoir un impact sur la Suisse et sur son accès au marché unique. Ses entreprises, quel que soit le secteur économique, auront peut-être des difficultés à accéder au marché de l’UE, au cas où celui-ci se concrétiserait. Nos entreprises pourraient également perdre de leur compétitivité en raison de la forte concurrence qui règnera au niveau européen. Parallèlement, il est possible que les fournisseurs européens ne soient pas incités à vendre leurs biens et services (numériques ou pas) en Suisse, seul pays du continent à avoir des règles différentes (p. ex. sur les contrats lors des achats en ligne). Ceci constituerait un désavantage non seulement pour les consommateurs, mais aussi pour nos entreprises. Les Suisses risquent aussi d’être les seuls à ne pas avoir accès à tous les contenus et services numériques en Europe ou à ne pas Les entreprises pouvoir visualiser à l’étranger suisses de tous les un contenu acheté légalement secteurs économiques dans leur pays. auront peut-être des Pour éviter de rester isolée dans un domaine crucial pour difficultés à accéder au la croissance économique et qui marché de l’UE. évolue très rapidement, la Suisse doit évaluer attentivement l’impact potentiel des mesures européennes sur son économie et agir en conséquence. Elle pourrait ainsi adapter sa législation à celle de l’UE dans certains domaines ou régler ces questions dans des accords bilatéraux (nouveaux ou existants). Barbara Montereale Détachée de l’Office fédéral de la communication (Ofcom) à la Mission de la Suisse auprès de l’Union européenne, Bruxelles La Vie économique 11/ 2015 23 NUMÉRISATION Smartphones et mégadonnées : la banque en effervescence La numérisation agite le monde de la finance. Elle transforme les structures du secteur bancaire et stimule la concurrence internationale. Samuel Schenker Abrégé Paiements par téléphone portable, utilisation de monnaies virtuelles, financement participatif… Tous ces progrès techniques bouleversent le secteur des services financiers. Ils battent en brèche les modèles d’affaires traditionnels des banques, dont le pré carré est de plus en plus envahi non seulement par des géants de l’Internet, comme Google ou Facebook, mais aussi par de jeunes entreprises. S’il incombe d’abord au secteur privé de s’adapter à ces tendances, la concertation avec le secteur public est néanmoins primordiale pour définir le cadre juridique le plus propice possible et consolider notre place financière. C’est dire si les aspects où convergent intérêts privés et tâches publiques méritent un examen approfondi. D 1 « The Fintech Revolution », The Economist, 9 mai 2015. 2 Nous limiterons ici notre propos à la numérisation dans le secteur bancaire, même si l’essor de la numérisation dans le secteur financier concerne aussi d’autres branches, comme les assurances. 24 epuis quelques années, la numérisation est sur toutes les lèvres. Le secteur bancaire n’est pas épargné. Il ressort transformé du jaillissement des nouvelles techniques financières telles que les systèmes de paiement par téléphone portable, les monnaies virtuelles et l’octroi de prêts en ligne entre particuliers. Prises dans leur ensemble, ces nouveautés sont en mesure de battre en brèche les modèles d’affaires actuels et d’accélérer le changement structurel du secteur financier, du moins à long terme. Les banques traditionnelles sont ainsi mises à rude épreuve par des concurrents issus d’autres secteurs, en particulier des sociétés technologiques, comme Google, Apple ou Facebook, mais aussi par de jeunes pousses. La croissance du marché de la haute technologie financière est imparable : selon la revue britannique The Economist1, 12 milliards d’USD ont été investis dans ce secteur en 2014, contre 4 milliards l’année précédente (voir illustration 1). Cette tendance stimule la concurrence non seulement entre les entreprises, mais aussi entre les sites. Si la Silicon Valley est le numéro 1 incontesté de la numérisation financière, Londres s’affirme comme le pôle européen du secteur, tandis que Singapour se profile comme le chef de file en Asie. En dépit de ses atouts remarquables (situation politique, savoir-faire des banques et des as- La Vie économique 11/2015 surances, universités à la pointe de la recherche, etc.), la Suisse n’a pas encore exploité pleinement son potentiel dans ce domaine. Smartphones et mégadonnées Ce sont les nouvelles techniques qui permettent de numériser les divers domaines composant les services financiers2. Elles comprennent en particulier des applications hébergées sur des dispositifs portables, toujours plus complètes, ainsi que la capacité croissante de stocker et de gérer d’importants volumes de données (mégadonnées ou « big data »). Ces dernières années, la façon dont nous utilisons Internet s’est profondément modifiée. En Suisse, près des deux tiers des accès à la Toile se font aujourd’hui à partir de dispositifs portables, alors que cette proportion était bien inférieure à la moitié en 2010 (voir illustration 2). Le taux de pénétration des smartphones – ou téléphones intelligents – est supérieur à la moyenne européenne (voir illustration 3). Ce succès sans précédent des dispositifs portables – qui comprennent désormais non seulement des téléphones et des tablettes, mais aussi des montres – modifie aussi la donne dans le secteur bancaire. Trafic des paiements, restructuration des portefeuilles, demande de crédits : de plus en plus de clients demandent en effet de réaliser ces opérations sur leur appareil portable, ce qui est aujourd’hui techniquement possible. Dans le secteur bancaire, la principale application du « big data » est l’analyse des données personnelles des clients, qui permet de personnaliser les offres. La clé du succès réside ici dans la capacité à analyser les mouvements effectués par les clients et à établir des liens entre eux, afin d’anticiper leurs souhaits sur la base d’algorithmes perfectionnés et de leur proposer des produits à haute valeur ajoutée. L’ÉVÉNEMENT Il suffit de jeter un coup d’œil au marché des finances pour voir qu’une foule de nouveaux venus se pressent au portillon. Des géants de l’Internet, comme Google ou Facebook, possèdent des licences de banque électronique. PayPal dispose d’une licence bancaire et une profusion de nouvelles entreprises proposent des services bancaires. En exploitant d’immenses quantités de données personnelles qui proviennent de groupes cibles précis, les fleurons de la Toile visent à concurrencer les prestataires traditionnels d’autres secteurs. De nombreuses entreprises disposent déjà de plus d’informations sur les clients potentiels des banques que les banques elles-mêmes. Si les banques avaient auparavant une longueur d’avance sur leurs clients en matière d’information (concernant les possibilités de placement, par ex.), les renseignements sur les clients existants et potentiels constituent désormais un avantage comparatif toujours plus important pour un prestataire financier3. De surcroît, de nombreux clients honorent de leur confiance les sociétés actives sur Internet, dont ils apprécient la convivialité, la facilité d’utilisation et la fiabilité. Les géants de l’Internet sont imités par de nouvelles entreprises à haute technologie financière, dont le nombre croît à un rythme soutenu. La Suisse en compte déjà une centaine. Certaines de ces sociétés concurrencent directement les banques dans des secteurs d’activités concrets, comme la gestion de fortune, le crédit et le trafic 3 F intech – Die digitale (R) evolution im Finanzsektor, Deutsche Bank Research, Francfort, 2014. Le chef de Paypal, Dan Schuman, fait un « selfie » lors de l’entrée en bourse de la société, à New York. Le service de paiement en ligne possède une licence bancaire. KEYSTONE Google, Facebook et les jeunes entreprises à haute technologie financière La Vie économique 11/ 2015 25 NUMÉRISATION des paiements. D’autres jeunes pousses se spécialisent dans les logiciels de chiffrement ou dans les services de consultation et de comparaison. Les nouvelles technologies modifient les modes de pensée et de fonctionnement, ce qui exige de nouvelles compétences, tant des techniciens que des dirigeants. Les banques traditionnelles ont beau recruter des spécialistes en plus grand nombre, leurs nouveaux concurrents gardent une longueur d’avance, de sorte que l’innovation est avant tout le fait de sociétés technologiques étrangères au secteur bancaire. Il n’en reste pas moins que les banques s’efforcent elles aussi de ne pas rater le train de l’innovation en réalisation des acquisitions, en créant des incubateurs d’entreprises4 ou en lançant leurs propres initiatives. Des clients en quête d’offres sur mesure Si les banques étaient auparavant les protagonistes des progrès techniques dans leur domaine, c’est en revanche la demande des clients qui a abouti à la création de la banque numérique5. Désormais, grâce aux nouvelles technologies, ces clients peuvent comparer et utiliser en parallèle un vaste choix de produits et de prestataires, ce qui favorise la transparence et les rend plus exigeants lorsqu’ils interagissent avec leur banque. Nous assistons à l’essor de la personnalisation, entendue tant comme la fourniture de services sur mesure grâce à l’analyse des données personnelles que comme le fait d’associer le client à la conception des produits. Ce dernier attend aussi de sa banque des prestations intégrées, une assistance 24 heures sur 24 et des applications pour dispositifs portables. À l’ère numérique, l’interface avec la clientèle est un espace clé, que les nouveaux venus disputent aux banques traditionnelles. Les entreprises se situant dans cet espace pourraient toutefois bientôt priver ces dernières d’autres segments de la chaîne de valeur ajoutée. La politique en matière de marchés financiers est concernée Dans le secteur bancaire, la numérisation n’est encore guère avancée et il est difficile de prédire 26 La Vie économique 11/2015 quelles technologies s’imposeront et quels modèles d’affaires l’emporteront à terme. Il n’en est pas moins important de réfléchir suffisamment tôt aux aspects qui concernent aussi les missions de l’État, et Les entreprises se situant notamment au régime réglementaire du système financier. dans cet espace pourEn Suisse, le système poliraient toutefois bientôt tique confie à l’État le soin de priver les banques poser le cadre légal et régletraditionnelles d’autres mentaire, mais pas d’intervesegments de la chaîne de nir dans la stratégie des entreprises. Ainsi, la définition valeur ajoutée. des orientations stratégiques est du ressort du propriétaire, qui doit aussi répondre des pertes en cas d’échec. Il n’est ni possible ni souhaitable que l’État assume cette responsabilité6. La politique en matière de marchés financiers comprend notamment la réglementation et la surveillance des marchés financiers, les bases de la fiscalité ou l’intégration de la Suisse dans les échanges internationaux7. Font en outre partie des conditions-cadres des marchés financiers la politique monétaire, la préservation d’un marché de l’emploi souple et ouvert, le haut niveau du système éducatif, des infrastructures performantes ainsi que la préservation de la capacité d’innovation et de la compétitivité du secteur financier. La réglementation a pour but de protéger les clients et les investisseurs, tout en préservant la sécurité et la stabilité du système financier et en garantissant son bon fonctionnement. Il s’agit de sauvegarder ainsi la confiance accordée à la place financière suisse et la réputation dont celle-ci jouit. La numérisation du secteur bancaire et les objectifs de la politique suisse en matière de mar4 Les incubateurs d’entreprises sont des chés financiers présentent plusieurs points de structures d’accomconvergence, notamment en ce qui concerne la pagnement de jeunes entreprises (coaching, protection des clients et des données, la stabilicession de locaux et d’infrastructures, etc.). té du système, la neutralité concurrentielle et la 5 The Digital Revolution promotion économique. in Banking, Group of Thirty, Washington D.C., 2014. 6 Rapport final du groupe d’experts chargé du développement de la stratégie en matière de marchés financiers, SFI, Berne, 2014. 7 Rapport concernant la politique de la Confédération en matière de marchés financiers, SFI, Berne, 2012. Protection de la clientèle La protection de la clientèle est concernée à plus d’un titre par la numérisation. Ainsi, des produits standards ou des informations numériques se substituent aux conseils personnels, comme le montrent les exemples suivants : octroi en ligne de crédits hypothécaires, octroi de prêts entre Ill. 1. Investissements mondiaux dans la haute technologie financière (en milliards d’USD) 14 12,3 12 10 THE ECONOMIST (2015) / LA VIE ÉCONOMIQUE§ 8 6 4 4 2 2,5 2,8 2011 2012 0 2013 2014 Autres pays États-Unis Ill. 2. Accès mobiles à Internet en Suisse, 2010 et 2014, en % 2010 2014 66 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 OFS / LA VIE ÉCONOMIQUE 43 Ill. 3. Accès à Internet à partir de smartphones, de tablettes et d’ordinateurs portables en Europe (2014), en % Espagne Suède Grande-Bretagne Pays-Bas Autriche Suisse France OFS / LA VIE ÉCONOMIQUE UE28 Allemagne Italie 0 10 20 30 40 50 60 70 80 Smartphones Tablettes ou ordinateurs portables L’illustration montre le pourcentage d’habitants qui possèdent un appareil portable pour avoir accès à Internet en dehors de leur domicile et de leur lieu de travail ; en pourcentage de tous les utilisateurs d’Internet, de 16 à 74 ans. KEYSTONE NUMÉRISATION particuliers et placements automatisés. Le client s’informe sur des forums ou en consultant des évaluations en ligne et souhaite parvenir à une décision en quelques clics. L’autorité de surveillance doit ainsi se demander s’il connaît réellement le produit qu’il achète : le fournisseur honore-t-il ses obligations d’information lorsque le client virtuel clique sur le bouton « J’accepte » ? La sécurité cybernétique est l’autre grand chantier de la protection des clients : dans le sillage de la numérisation, un nombre croissant de transactions financières se font en ligne ou sur des périphériques portables ; les données sont de plus en plus stockées dans des nuages publics, ce qui accroît le risque des cyberattaques et exige une protection renforcée des fonds de la clientèle. Puisque ces attaques mettent aussi sérieusement en danger la réputation de la place financière, une collaboration étroite s’impose entre le secteur financier et les autorités de surveillance. Protection des données La discrétion a toujours été au cœur du système bancaire. Par principe, les données personnelles des clients ne sont ni publiées, ni transmises à 28 La Vie économique 11/2015 Les grandes entreprises technologiques étasuniennes défient les banques. Le campus Facebook en Californie. des tiers, sauf si la loi l’exige. L’irruption dans les affaires bancaires de fournisseurs en provenance d’autres secteurs a fait apparaître une nouvelle culture de la gestion des données. En effet, les modèles d’affaires des sociétés technologiques sont souvent axés sur l’exploitation, l’achat et la vente des données personnelles. Puisqu’ils aboutissent à une baisse des prix, cette tendance pourrait finir par s’imposer dans les services financiers. En d’autres termes, les autorités doivent mettre dans la balance d’une part l’accroissement de l’efficience des services financiers et, d’autre part, le besoin de protection des données personnelles. L’important en l’occurrence est de régir de façon uniforme l’analyse et la divulgation des données, afin de veiller à instaurer des règles de concurrence équitables. Stabilité du système Les nouvelles technologies bouleversent non seulement la gestion des risques, mais aussi les risques auxquels sont exposées les banques. Ainsi, la disponibilité des données et l’amélioration des instruments d’analyse pourraient affiner l’évaluation des risques de crédit et L’ÉVÉNEMENT donc les diminuer, alors que la numérisation des processus pourrait réduire les risques d’exploitation. La numérisation peut toutefois aussi nuire à la stabilité du système. Songeons à la vulnérabilité aux cyberattaques, à l’interpénétration toujours plus poussée du système financier et son corollaire, l’effet domino, ainsi qu’à l’existence de nouvelles infrastructures critiques. Par ailleurs, si les transactions réalisées sur des dispositifs portables constituaient une part importante du trafic des paiements, celui-ci souffrirait d’une certaine dépendance envers les opérateurs de téléphonie mobile. Neutralité concurrentielle Les autorités ont l’obligation de prendre en considération les effets de toute norme sur l’environnement concurrentiel, la structure du marché et le comportement des agents économiques, afin de garantir à l’ensemble de ceux-ci des conditions de concurrence comparables. S’agissant de la numérisation, il faudrait s’assurer que la réglementation ne « protège » pas les modèles d’affaires traditionnels contre le progrès technique, freinant ainsi l’innovation. Par ailleurs, il conviendrait de revoir ou d’abroger les lois qui ne se révèleraient plus efficaces ou nécessaires en raison des avancées techniques. À titre d’exemple, le réexamen de l’ordonnance sur le blanchiment d’argent permettrait de savoir s’il est possible, grâce aux nouveaux instruments d’identification numériques, d’ouvrir un compte en banque en ligne. Il faut également s’assurer que les services présentant les mêmes risques seront régis par les mêmes normes, peu importe qu’ils soient fournis par des banques traditionnelles ou par des nouveaux venus. Citons comme exemple la gestion de fortune transfrontalière, un domaine dans lequel les banques sont soumises à des normes strictes : il faudrait veiller à ce que les investisseurs qui procèdent à des placements automatisés ne jouissent pas d’un avantage comparatif injustifié en tirant parti de la réglementation laxiste de certaines places financières. Promotion économique Certains réclament une promotion ciblée de notre place financière, notamment auprès des sociétés à haute technologie financière. Ils évoquent l’exemple des centres financiers de Londres et de Singapour, où les autorités promeuvent les sociétés locales et attirent des fournisseurs étrangers, en leur offrant notamment des allégements fiscaux et des consultations juridiques gratuites et en investissant dans des pôles technologiques et des infrastructures8. Par rapport à Londres et à Singapour, la Confédération n’a guère les coudées franches : en Suisse, il incombe pour l’essentiel au secteur privé de s’adapter à ces tendances et les autorités ne doivent Les modèles d’affaires a priori ni assurer un pilotage, ni des sociétés technointervenir. Comme nous l’avons logiques sont souvent indiqué ci-dessus, la politique féaxés sur l’exploitation, dérale en matière de marchés financiers a pour priorité l’instaul’achat et la vente des ration d’un cadre réglementaire données personnelles. approprié. Signalons, pour conclure, que par sa rapidité et sa complexité, la numérisation impose à toutes les parties concernées de dialoguer en permanence. Autorités et entreprises disposent à cette fin de plusieurs mécanismes d’échange qui leur permettent de s’asseoir à la même table. Assu- 8 Fintech – The UK’s unique environment for growth, rément, la question de l’innovation numérique ne UK Trade & Investment, Londres, 2014. peut que s’inviter aux discussions. Samuel Schenker Secrétariat d’État aux questions financières internationales (SFI), Berne La Vie économique 11/ 2015 29 NUMÉRISATION MARLEN VON WEISSENFLUH, LA VIE ÉCONOMIQUE Luzius Meisser a fondé, durant ses études, une jeune pousse avec le service de stockage Wuala. L’ÉVÉNEMENT « L’État ne doit pas se mettre en travers du chemin » Luzius Meisser, fondateur d’une jeune pousse, a clairement défini ses attentes envers l’État. Sa tâche est de définir les conditions-cadres. On doit pouvoir facilement créer une entreprise et engager du personnel. En ce qui concerne le financement des jeunes pousses, il estime correct que l’État ne leur accorde pas de subventions directes. Nicole Tesar Monsieur Meisser, vous et Dominik Grolimund avez développé le service de stockage Wuala à l’EPFZ. Existe-t-il des structures au sein des hautes écoles suisses qui détectent les bonnes idées et aident à créer une entreprise ? Oui, nous avons fréquenté à l’époque tous les modules « venturelab » de l’Institut für Jungunternehmen (IFJ). La graine était, cependant, déjà en terre. Nous avions dès le début l’intention de créer notre propre entreprise. De telles offres sont toutefois très utiles, dans le sens où elles facilitent les échanges avec des gens qui partagent les mêmes objectifs. Ces contacts m’ont même plus appris que le contenu des cours à proprement parler. En quoi ces échanges sont-ils précieux ? Il est instructif de voir comment les autres sociétés se présentent, quelles sont leurs idées et comment elles sont conçues. On a le sentiment de pouvoir s’évaluer les uns les autres et mieux apprécier la pertinence de sa propre vision. Est-ce vrai aussi pour les plateformes ou « hubs »? Tout à fait. Ce caractère de plateforme est important. Ce sont des points de rendez-vous où les créateurs peuvent travailler et avoir des échanges notamment sur les technologies. Le Colab, à Zurich, en est un exemple. Il offre un espace de travail ouvert, où les nomades numériques peuvent boire un café et brancher leur ordinateur portable. On voit aussi émerger d’autres services, comme les bureaux « pop up » qui permettent de trouver et de réserver des postes de travail sur mesure et même, au besoin, des salles de conférences. À votre avis, y a-t-il suffisamment de programmes d’encouragement dans le domaine des technologies de l’information et de la communication ? Oui ! Il y en a même presque trop. La participation à des concours implique de consacrer chaque fois plusieurs heures au dossier et à la présentation. Dans la plupart des L’invité cas, on n’est d’ailleurs pas retenu. Luzius Meisser, 35 ans, a grandi à Klosters En fin de compte, les candidats (GR) et a étudié l’informatique à l’EPFZ. En perdent ainsi un temps énorme collaboration avec Dominik Grolimund, il a créé en 2007 le service de stockage Wuala. qu’ils auraient mieux fait d’invesDeux ans plus tard, ces jeunes entrepretir dans le produit lui-même. Ces concours sont financés par des capitaux privés. Oui, le financement vient souvent de fondations. Il y a déjà presque une surabondance d’événements dédiés aux jeunes pousses. C’est devenu un thème à la mode. Une « start-up » doit se montrer sélective. neurs ont revendu leur société à la firme française LaCie, qui sera à son tour rachetée par Seagate en 2012. C’est alors que Luzius Meisser a quitté Wuala. Tout en investissant dans le démarrage de jeunes pousses, il a enseigné l’informatique à la Haute école de la Suisse du Nord-Ouest (FHNW) à Brugg. En 2013, il a entamé des études d’économie à l’université de Zurich, qu’il devrait terminer en novembre prochain. Son travail de master s’intitule « Mastering Agent-Based Economics ». M. Meisser est également président de la Bitcoin Association Switzerland. Il vit avec sa famille dans le canton de Zurich. Qu’est-ce que les fondateurs de jeunes pousses attendent de l’État ? Dans la mesure du possible, l’État ne doit pas se mettre en travers de leur chemin. Sa responsaLa Vie économique 11/ 2015 31 NUMÉRISATION bilité consiste à établir des conditions-cadres. On doit pouvoir facilement créer une entreprise et recruter du personnel. C’est pour cela qu’il est également important de pouvoir parler d’égal à égal avec les autorités. En Suisse, cela fonctionne bien grâce au fédéralisme. Un entrepreneur qui veut engager un ressortissant de l’UE, par exemple, peut sans problème appeler l’office local du travail et obtenir des informations solides. surveiller de près sa société. Imaginons maintenant un système de subventions directes : l’État prive Myke de cet argent pour le placer, après mille détours, dans un fonds d’encouragement ; il en confie l’affectation à un fonctionnaire qui ne risque pas sa peau dans l’aventure. C’est une aberration. Non seulement des fonds vont se perdre en route, mais on verra de l’argent « intelligent » se transformer en argent « stupide ». Est-il facile de créer une entreprise en Suisse? Malheureusement, ce n’est plus aussi facile qu’avant. Récemment, j’ai entendu parler de jeunes pousses qui peinent à trouver une banque pour ouvrir un compte de consignation – c’est le cas par exemple quand des investisseurs américains participent au capital. Or, la loi prévoit que l’on ne peut pas fonder une entreprise sans posséder un tel compte auprès d’une banque suisse. L’un de mes amis gère une jeune pousse, dûment autorisée par la Finma, qui fait des transactions en bitcoins. Cet entrepreneur n’a pas réussi à ouvrir un compte en Suisse, bien qu’il ait rempli les formulaires nécessaires dans plus de cinquante établissements. Finalement, il s’est replié sur une banque du Liechtenstein. Cette situation est problématique, car la place financière suisse a besoin de « start-up » et d’innovation. Qu’appelle-t-on argent « stupide » ou « intelligent » ? Il existe divers types d’investisseurs. D’un côté, il y a ceux qui ont de l’argent, mais qui ne connaissent pas grand-chose aux affaires – c’est le cas des caisses de pension. Au-delà du financement, ils ne peuvent guère contribuer au succès de l’investissement. « Les Suisses sont moins C’est que l’on appelle l’argent stupide. En revanche, prêts à prendre des risques l’argent intelligent vient d’inet moins avides de vestisseurs qui apportent succès que les Américains, également un réseau et une grande expérience, qui sont par exemple. » capables de conseiller et d’aider activement l’entreprise. Pour les jeunes pousses, il est essentiel d’obtenir des capitaux « intelligents ». Cela fait une énorme différence. Sur le fond, il n’y a pas d’obstacles majeurs à la création d’une entreprise. Effectivement. Il existe, toutefois, un nombre grandissant de petits obstacles. La Suisse obtient de bonnes notes en ce qui concerne l’encouragement précoce des jeunes pousses. Néglige-t-elle la phase suivante, à savoir le financement de contributions qui dépassent 1,5 million de francs ? Oui, cette phase est un peu plus difficile en Suisse. Néanmoins, elle reste plus facile que dans le reste de l’Europe. On trouve, en effet, de l’argent dans ce pays, de même que des gens capables d’assumer une importante opération de financement. En revanche, il n’existe pas en Suisse de valorisations excessives, comme celle de la société Uber, dont on prétend qu’elle vaut autant que l’ensemble du Credit Suisse. En Suisse, l’État n’accorde pas de subventions directes aux jeunes pousses. Est-ce un inconvénient ? Les projets d’innovation peuvent être financés par le biais de la Commission pour la technologie et l’innovation (CTI) et du Fonds national suisse. J’estime correct que l’État ne les subventionne pas directement. Pourquoi ? Prenons l’exemple de Myke Näf, l’un des fondateurs de Doodle. Comme tous les créateurs d’entreprises que je connais, cet homme investit l’argent qu’il a gagné avec cette société dans de nouvelles jeunes pousses auxquelles il croit personnellement. Si les choses tournent mal, il perd ses propres capitaux. Il a donc tout intérêt à 32 La Vie économique 11/2015 Une telle valorisation ne serait pas possible en Suisse ? Cela tient à l’auto-amplification de l’argent intelligent. Aux États-Unis, ce processus est déjà ancien. Chaque cycle de jeunes pousses qui réussissent amène plus d’argent et plus de fondateurs. L’ÉVÉNEMENT Le capital-risque s’est donc multiplié dans ce pays. Il y a toujours plus d’argent à disposition, alors que le nombre de « start-up » est limité, car le nombre des gens qui y travaillent l’est aussi. Avec le succès croissant de ces entreprises, les évaluations sont donc toujours plus hasardeuses. Le financement est-il problématique si l’on vise le marché mondial ? C’est souvent le cas dans le commerce sur Internet. D’après mon expérience, toute entreprise compétente peut obtenir de l’argent en présentant un bon plan. Je pense que le problème se situe ailleurs, à savoir dans les conditions géographiques. Depuis la Suisse, on doit surmonter des barrières linguistiques et culturelles si l’on veut atteindre 300 millions de clients. Ce qui fonctionne dans notre pays ne fonctionnera pas nécessairement en Allemagne ou en France. Aux États-Unis, en revanche, on se trouve dès le départ dans un marché beaucoup plus vaste. Cela compte aussi quand il faut surmonter des barrières juridiques. Le service de musique européen Spotify, par exemple, a dû négocier son accès au marché dans chaque pays avec les organisations responsables. Étant donné qu’il n’est pas si facile de modifier la géographie, la Suisse ferait peut-être mieux de ne pas imiter la Silicon Valley, mais de se concentrer sur ses propres forces. Et celles-ci sont traditionnellement « petites, mais subtiles » plutôt que « grandes et encombrantes ». Le fondateur bien connu d’une jeune pousse a déclaré dans la presse qu’il est difficile pour les « start-up » suisses de suivre le rythme imposé par l’économie de l’Internet et la numérisation. La cadence est plus lente ici. En d’autres termes, nos horloges tournent moins vite. Partagez-vous cette opinion ? Oui, je pense que les Suisses sont moins prêts à prendre des risques et moins avides de succès que les Américains, par exemple. Le point de référence est naturellement la Silicon Valley. À mon avis, c’est un problème général en Europe. Quelqu’un qui a étudié l’informatique en Suisse doit prendre une décision cruciale : soit il accepte un emploi intéressant et bien payé – non La Vie économique 11/2015 33 NUMÉRISATION seulement tous les diplômés trouvent du travail, mais ceux qui ont du talent ont même le choix et peuvent gagner 8000 francs par mois –, soit il prend le risque de créer une « start-up », de travailler nuit et jour pendant trois ou quatre ans sans toucher un salaire décent et sans savoir de quoi l’avenir sera fait. Quelle est la proportion de jeunes pousses qui parviennent à percer ? On dit qu’une sur dix réussit. C’est un risque extrême. En le prenant, on renonce à beaucoup de choses. Aux États Unis, les incitations sont un peu plus avantageuses. Même avec des emplois confortables, les gens ont peu de vacances. Si l’on « tire « En voulant éliminer les le gros lot » avec une jeune pousse, on peut gagner plus risques à tout prix, on et plus rapidement. étouffe aussi l’innovation. » d’argent En Suisse, peu de gens sont prêts à courir ce risque. À vrai dire, c’est un problème de riches. Peut-être que nous nous portons un peu trop bien. Cela expliquerait que nous n’ayons même pas besoin de prendre des risques. Le résultat serait un juste milieu ennuyeux. Le problème est qu’il n’y a pas d’innovation sans risque. On peut avoir mille bonnes idées, mais si personne ne se jette à l’eau pour les concrétiser, elles resteront des idées. Il existe des risques liés au marché, à la technologie du produit ou encore aux aspects légaux. En voulant les éliminer à tout prix, on étouffe aussi l’innovation. Quel rôle jouent les risques légaux ? La société Uber, intermédiaire en services de transport, court par exemple un risque par rapport au droit du travail, car un tribunal pourrait décider qu’il existe un rapport contractuel entre elle et les chauffeurs. Dès lors, son modèle d’affaires ne jouerait plus. En outre, les taxis sont souvent soumis à une très forte réglementation, ce qui est difficilement compatible avec le modèle d’Uber. YouTube est une autre entreprise qui n’aurait pas pu voir le jour sous le régime du droit d’auteur suisse, car nous n’avons pas de clause sur la sphère de sécurité (« safe harbor »). Dans ce contexte, il est extrêmement important de veiller à ce que les jeunes pousses suisses aient les mêmes chances 34 La Vie économique 11/2015 que les autres. Ce serait nécessaire en particulier dans le secteur financier, si nous voulons attirer des « start-up » spécialisées dans les technologies financières. Mark Branson, le directeur de la Finma, l’a reconnu. Il recommande maintenant d’assouplir les lois. Les lettres de lecteurs sont un autre exemple. Alors que de jeunes pousses suisses, comme watson.ch, sont contraintes légalement de surveiller tous les commentaires postés par leurs utilisateurs, Facebook peut publier de tels messages instantanément et sans avoir pris connaissance de leur contenu. Plus les lois sont formulées de manière simple et générale, mieux elles sont adaptées aux défis du futur. À cet égard, la Suisse est, par bonheur, relativement forte. Y a-t-il quelque chose que l’État puisse faire pour promouvoir la prise de risques? Ce sont souvent des immigrants qui ont fondé les entreprises très performantes. Sergey Brin, cofondateur de Google, est né de parents russes et le père biologique de Steve Jobs est d’origine syrienne. En Suisse aussi, beaucoup de grandes firmes, comme Swatch ou Nestlé, ont été créées par des immigrants. Je pense que ce n’est pas par hasard. Un étranger est fortement incité à faire ses preuves. Souvent, les gens qui viennent de loin et qui acceptent des privations pour atteindre un objectif sont aussi très endurants. Quelles conclusions en tirez-vous pour le rôle de l’État ? On pourrait bien sûr essayer d’attirer de telles personnes en Suisse de manière ciblée. Parmi les candidats du monde entier qui se présentent chaque année, on choisirait par exemple les mille meilleurs et on les ferait étudier dans une université ou une haute école suisse. Évidemment, c’est délicat politiquement, car il s’agit de migration, mais cela augmenterait très vraisemblablement notre produit national brut. McKinsey parle d’une « guerre des talents » sur le point d’éclater. Les gens compétents sont aujourd’hui une ressource rare. Pour ce qui est du financement et de l’infrastructure, nous sommes bien dotés en Suisse. Wuala cessera ses activités le 15 novembre. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? Pendant sept ans, Wuala a rendu de grands services à des millions d’utilisateurs. De ce point de L’ÉVÉNEMENT vue, c’était une réussite. Entre-temps, la majorité de nos concurrents de l’époque ont aussi mis la clé sous la porte. Je ne connais pas les raisons concrètes qui ont conduit Wuala à prendre cette décision, car je ne suis plus impliqué dans l’entreprise depuis début 2013. Cependant, Wuala est active dans un domaine qui perd progressivement de l’importance. Dropbox connaît le même problème. Les gens sont toujours moins souvent confrontés à des fichiers et à des dossiers. Par exemple, il n’y a plus d’explorateur de fichiers sur les téléphones portables. La situation est d’autant plus compliquée que de grandes entreprises de l’Internet, comme Google et Microsoft, offrent maintenant gratuitement des programmes analogues, souvent préinstallés. Les mégadonnées, la numérisation de l’économie, l’Internet des objets … Ces concepts sont en ce moment sur toutes les lèvres. De jeunes entreprises sont rachetées, parfois pour plusieurs milliards de dollars, par des géants de l’Internet, comme Google. Ne surestime-t-on pas cette évolution ? L’avenir le dira. Nous ne le savons pas. Il s’agit bien sûr d’une spéculation sur une évolution future, laquelle peut se produire ou pas. Des groupes comme La Poste ou les CFF épaulent de jeunes entrepreneurs par le biais de fonds d’investissements ou de prix d’encouragement. Ce procédé est-il correct et durable ? C’est surtout une obligation s’ils veulent s’assurer un avenir. La meilleure manière de le faire est naturellement de participer dès le début aux activités de ces jeunes pousses et de les soutenir. Ce procédé est donc raisonnable. Il ne garantit pas le succès, mais c’est une bonne stratégie. Vous préparez en ce moment un master en économie. Qu’apporteront ces études complémentaires au créateur de jeune pousse que vous êtes ? Je le fais par intérêt personnel. Je ne crois pas que cela soit utile dans l’univers des jeunes pousses. L’économie est, à mes yeux, un thème extrêmement passionnant, parce qu’il s’agit en fin de compte de la manière dont le monde fonctionne. Je me suis inspiré de Hari Seldon, le personnage créé par Isaac Asimov dans le Cycle de Fondation. Je me trouvais dans la situation confortable où je pouvais me consacrer à quelque chose pendant deux ans par pur intérêt, sans me soucier de son utilité. Entretien: Nicole Tesar, rédactrice en chef de La Vie économique. La Vie économique 11/ 2015 35 NUMÉRISATION L’État entre rupture numérique et liberté économique La transformation numérique de l’économie est en marche. À mesure qu’elle embrasse tous les aspects de la vie sociale, de nouveaux défis apparaissent. Johann N. Schneider-Ammann Abrégé Les progrès des technologies de l’information et de la communication (TIC) ont permis l’apparition de jeunes pousses. Les hautes écoles, le Fonds national suisse ainsi que la Commission de la technologie et de l’innovation (CTI) constituent des bases qui leur permettent de prospérer. Il faut, toutefois, porter une attention particulière au problème du capital-risque. Les sociétés établies présentent, de leur côté, un bilan contrasté. Si certaines ont su prendre le virage numérique, d’autres présentent des retards qui les rendent vulnérables. L’innovation dans le monde est un danger permanent pour les modèles d’affaires traditionnels et le franc fort pénalise les PME innovantes à l’exportation. Nombreux sont ceux qui attendent que l’État protège les modèles traditionnels. Ce n’est pas son rôle, même s’il reste le dernier garant de la cohésion sociale. La Suisse est mieux armée que d’autres États pour faire face aux nouveaux défis du numérique. L orsque j’étais étudiant, il y avait ceux qui voulaient révolutionner le monde et ceux qui préparaient une carrière de management, si possible dans une grosse entreprise bien établie. Ceux qui se voyaient en entrepreneurs faisaient plutôt figure d’exception et on les rencontrait assez rarement sur les bancs de nos hautes écoles. L’innovation porte les jeunes entrepreneurs Quarante ans plus tard, la situation a bien changé. Aujourd’hui, les jeunes, même en Suisse, sont nombreux à parler de leur jeune pousse (« startup »). Comme leurs aînés des années soixante et septante, ils veulent aussi révolutionner le monde, mais cette fois grâce à des produits et à des modèles d’affaires innovants. Les extraordinaires progrès des technologies de l’information et de la communication (TIC) ont grandement facilité la création d’entreprises. Lancer une idée et concevoir les premiers prototypes est aujourd’hui beaucoup moins coûteux que par le passé : le savoir est au bout du clic, les marchés potentiels beaucoup plus vastes et le prix d’entrée, en particulier lorsqu’il s’agit d’innovations basées sur des applications numériques, beaucoup plus bas que par le passé. 36 La Vie économique 11/2015 Un cadre de qualité Les jeunes ne pourraient cependant pas saisir les chances qui leur sont offertes sans le formidable développement de notre système de hautes écoles. Je pense en premier lieu à l’EPFZ et à l’EPFL. Elles viennent d’atteindre de nouveaux sommets dans les classements internationaux en avançant chacune de trois rangs dans le QS Top Universities Ranking, pour atteindre respectivement la 9e et la 14e place. Je n’oublie évidemment pas notre réseau très dense d’universités et de hautes écoles spécialisées, ainsi que nos efforts en matière de recherche fondamentale financée par le Fonds national suisse. Sans soutien public, ce terreau fertile en « startup » et en savoir-faire n’aurait pas non plus vu le jour. Si nos jeunes entrepreneurs peuvent croître, c’est aussi grâce à l’encadrement offert par la Commission de la technologie et de l’innovation (CTI) qui dépend du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR). La question du capital-risque Le capital-risque doit permettre à une jeune société de trouver sa stabilité commerciale. Or, nos investisseurs institutionnels ne s’y intéressent que faiblement. Cela fragilise nos jeunes entrepreneurs qui se tournent vers les grands groupes étrangers. Google a racheté l’année dernière la jeune société tessinoise de neurotechnologie DeepMind, Samsung finance le créateur d’applications de santé Dacadoo, tandis qu’Apple est censé s’intéresser sérieusement à Faceshift, une firme zurichoise spécialisée dans la capture du mouvement. Il faut un biotope financier qui permette à ces entreprises de croître en Suisse. Dans ce contexte, la motion du conseiller aux États Konrad Graber (13.4184), qui propose d’investir une fraction de l’immense épargne de prévoyance sociale pour L’ÉVÉNEMENT Les entreprises établies : un bilan contrasté Les entreprises établies ne sont pas toutes au même niveau. Certaines ont amorcé leur virage numérique plus vite que d’autres. Aucune, par contre, n’est à l’abri des innovations issues de la mondialisation du savoir ni des problèmes plus spécifiques que constituent le franc fort. Une nouvelle impulsion pour les vieilles entreprises Beaucoup d’entreprises établies sont à la pointe de la numérisation. La bonne vieille société de serrurerie Kaba vend maintenant de la sécurité d’entrée, tandis que Schindler offre son service de déplacement vertical 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et parfois même pour les produits de ses concurrents. Ces nouveaux modèles d’affaires deviennent, en effet, possibles grâce à l’Internet des objets (« Internet of things ») et aux mégadonnées (« big data »). Ces outils permettent d’évaluer constamment les indications de millions de capteurs imbriqués dans les produits. Nécessaires aux programmes d’entretien, ces derniers permettent de changer les pièces « juste à temps » et d’actualiser les programmes à distance. Ils sont également indispensables pour améliorer la recherche et le développement de nouveaux produits. L’impression 3D, en plein essor, est sur le point de révolutionner la production et la gestion des pièces de rechange, tandis que les nouvelles possibilités de l’automatisation bouleversent le transport et toute la chaîne logistique. La Suisse a, en outre, la chance d’héberger de grandes multinationales à la pointe des TIC. En numérisant leurs contrats ou en demandant des services basés sur les nouvelles possibilités d’Internet, ces entreprises en entraînent des dizaines d’autres dans leur sillage et ouvrent Le niveau de formation est élevé en Suisse. Elle est donc relativement bien préparée à affronter l’ère numérique. Chercheur à l’université de Lucerne devant une imprimante 3D. KEYSTONE financer le développement des nouvelles technologies, mérite une discussion approfondie. La Vie économique 11/ 2015 37 NUMÉRISATION de nouvelles niches dans lesquelles de jeunes pousses intelligentes peuvent s’engouffrer. Le danger peut surgir de n’importe où Les entreprises établies, surtout celles qui n’ont pas su prendre le virage numérique à temps, courent des risques qui sont souvent sous-estimés. Tout d’abord, le monde est devenu moins prévisible. Par le passé, il suffisait de garder un œil sur deux ou trois gros concurrents pour se prémunir des mauvaises surprises. Aujourd’hui, le vrai danger se dissimule à São Paolo ou à Bangalore, où une « start-up » totalement inconnue peut développer une idée qui révolutionnera la nature même du marché. On ne peut plus se contenter de marquer le concurrent à la culotte. La Suisse doit modifier son comportement face au risque. Contrer les effets du franc fort L’État investit pour aider les entreprises à rester à la pointe de l’évolution technologique. La CTI devait disposer de 110 millions de francs cette année. Pour contrer les effets du franc fort, le Conseil fédéral a décidé de lui allouer 20 millions supplémentaires. En échange, les PME exportatrices engagées dans des projets d’innovation seront exemptées de leur contribution en espèces auprès de la CTI. En tant que responsable du DEFR, j’ai demandé à cette même commission d’examiner dans quelle mesure elle peut soutenir des projets de recherche moins centrés sur de nouveaux produits ou méthodes de fabrication, mais visant plutôt une refonte des modèles d’affaires à l’aide des nouvelles technologies. 38 La Vie économique 11/2015 L’État ne doit pas être un frein Comme on le voit, l’État n’est pas inactif devant le défi numérique et son rôle continuera certainement de faire débat. D’abord parce que ceux qui se sont déjà laissés surprendre – je pense aux taxis face à Uber et à l’hôtellerie face à AirBnB – n’ont souvent qu’un seul réflexe : appeler les pouvoirs publics à la rescousse afin qu’ils interdisent ou du moins réglementent les nouvelles pratiques rendues possibles par Internet. L’État doit éviter de faire le jeu de modèles dépassés, sans pour autant tomber dans la facilité et admettre un laissez-faire débridé. La numérisation a des effets qui dépassent les seuls enjeux économiques pour déborder sur toutes les sphères de notre vie sociale. Elle remet partout en cause des pratiques et des habitudes acquises de longue date. L’État restera toujours le dernier garant de la cohésion sociale. Il faut cependant laisser la société civile trouver des solutions. La Suisse, grâce à son marché du travail libéral, à son partenariat social, à l’excellence de sa formation et de sa recherche ainsi qu’à sa démocratie directe, est sans doute bien mieux armée que d’autres pays pour affronter les défis de la numérisation. Johann N. Schneider-Ammann Conseiller fédéral et chef du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR), Berne PRISE DE POSITION de l’extérieur par le bais de portails aux pourtours bien définis. Dans nos laboraOliver Bussmann Group chief information officer, UBS toires d’innovation à Zurich, Londres et Singapour, nous travaillons étroitement avec la communauté technologique. En faisant passer nos collaborateurs d’un cadre bancaire à un contexte de laboratoire, nous donnons libre cours à leur créativité. Chez nous, ils ont droit à l’erreur. Nous pouvons ainsi développer La numérisation va profondément changer le secteur bien plus d’idées intéressantes que nous testons ensuite et mettons en œuvre. À financier. Toute résistance est vaine. Les banques feraient Londres, nous avons installé notre labomieux de saisir les chances qu’elle véhicule. ratoire dans le « Fintech Accelerator », un pôle d’innovation qui abrite quelque 150 L’avancée des technologies numériques plonge le secteur jeunes pousses sous le même toit. Elles y font de la recherche financier dans une phase de mutations radicales. Tran- et du développement sur de nouveaux produits et services sactions, règlements, opérations d’épargne et de crédit, pour le secteur financier. Nos experts se voient ainsi offrir levée de capitaux et gestion des placements : la vague nu- la possibilité de participer à un courant d’idées plus large, de mérique déferle sur pratiquement tous les secteurs. La connaître les tendances les plus récentes et de contribuer à montée des banques virtuelles, le financement participatif forger l’avenir du secteur. (« crowd-funding »), les nouvelles plateformes de paiement, Les jeunes pousses dans le domaine des technologies file conseil virtuel, etc. sont autant de facteurs qui exacerbent nancières (« fintech ») ne sont pas des ennemis et elles la concurrence déjà vive entre les établissements financiers. nous permettent de faire un usage ciblé des changements. Cette évolution a d’ailleurs incité cerCertes, quelques-unes nous font directaines personnes à prévoir la disparition tement concurrence. Un grand nombre des banques traditionnelles. C’est certaid’entre elles souhaitent toutefois aussi Les jeunes pousses nement exagéré. Les technologies de rupcollaborer avec des banques établies. En dans le domaine des ture ne sont nullement une simple mefin de compte, l’activité bancaire ne se technologies finannace, bien au contraire. Elles insufflent réduit pas à la seule dimension informacières ne sont pas des un vent nouveau au secteur et sont bénétique. Les banques recèlent de véritables fiques. Elles incitent aussi les acteurs du trésors d’expertise financière et de saennemis et elles nous marché à renforcer leurs collaborations voir-faire sur les marchés, ce qui fait permettent de faire un et provoquent un changement dans la défaut à la plupart des jeunes pousses. usage ciblé des change- Dans le secteur bancaire, les relations de culture du secteur, ments. Aujourd’hui, les banques sortent des senlongue date avec la clientèle comptent tiers battus, travaillent avec de jeunes toujours autant qu›auparavant et les pousses (« start-up »), adhèrent à des plateformes d’innova- jeunes entreprises ont encore beaucoup à apprendre dans tion et développent de nouvelles idées avec d’autres acteurs. ce domaine. Cette évolution aurait été tout à fait impensable il y a dix Ce sont là quelques-uns des aspects qui nous incitent à penans. La collaboration interne s’est également renforcée, no- ser que les banques ont encore de beaux jours devant elles. tamment par les médias sociaux, propices à une communi- À nos yeux, la rupture numérique n’est pas un danger, mais cation directe et à l’échange d’idées entre les membres du un défi bénéfique à relever. Elle fait souffler un vent frais et personnel. ouvre aussi de nouvelles perspectives. Pour assurer l’avenir de la place financière suisse, il importe UBS apprend des jeunes pousses et inversement également d’établir un solide écosystème de technologie Inspirées par la culture des jeunes pousses, qui autorise financière. Il est donc d’autant plus important de favoriser l›échec, les banques s’ouvrent désormais aux expériences. une collaboration efficace entre banques, jeunes pousses du C’est certainement le cas d’UBS. Notre processus d’innova- domaine des « fintech » et autorités réglementaires pour ne tion très dynamique produit un riche courant d’idées nourri pas demeurer en reste face à une concurrence internatioen interne et des suggestions nous parviennent également nale effrénée. Technologies financières : toute résistance est vaine La Vie économique 11/ 2015 39 PRISE DE POSITION nous attachons une grande importance à l’harmonisation précise de tous les caMembre du comité de direction, responsable du secteur Développement de l’entreprise, La Mobilière, Berne naux. Forger cette chaîne « continue » d’expériences est un travail exigeant. Derrière chaque maillon se cachent d’innombrables technologies différentes, dont l’âge varie parfois de plusieurs décennies. D’un autre côté, il importe de bien coordonner les processus. C’est une évolution constante. La Mobilière se concenInternet fait désormais partie intégrante de la vie sociale trera ces prochaines années sur quatre objectifs : et économique. C’est pourquoi la numérisation avance à 1. Relier les offres et les accès, tout en grands pas au sein de l’assurance La Mobilière : le client est continuant de les développer. La clé du au centre de nos préoccupations. succès réside dans l’établissement d’un lien intelligent entre le numérique et le personnel. Les services en ligne de La numérisation offre une multitude de nouvelles possibiLa Mobilière sont destinés surtout aux terminaux porlités et s’intègre dans notre quotidien. Jamais auparavant, tables. Ce sont par exemple la facture électronique, un nous n’avions pu vivre de manière aussi efficace et bien orcalculateur de primes pour appareils portables ou le ganisée. Toutes les avancées technologiques ont fondamendéveloppement continu de l’application Mobilière. Par talement transformé la société – songeons notamment à ailleurs, nous exploiterons plus activement les médias l’invention du chemin de fer ou du téléphone. Au sein de La sociaux à l’avenir. Mobilière, la numérisation est en cours depuis longtemps : 2. Automatiser et simplifier les processus. Comment la nucela fait déjà sept ans que nous avons décidé de maintenir mérisation peut-elle améliorer l’efficacité ? La nouvelle ouverts 24 heures sur 24 tous les canaux de dialogue avec la plateforme des dommages, l’archivage numérique, le clientèle. Le monde est hybride. Aucune séparation n’existe trafic des paiements via Internet et le dossier électroà La Mobilière entre ce qui est numérique et ce qui est pernique du client sont autant de projets qui doivent aboutir sonnel. La personnalisation du service reste une constante à des solutions concrètes. – même dans un environnement numérique. 3. Décider en se basant sur des données. Nous avons besoin Autrefois, on collait des étiquettes sur les produits et les de davantage de données, et de meilleure qualité, afin de caissières devaient taper chaque prix séparément. Auprendre des décisions toujours plus éclairées. La collajourd’hui, les codes-barres et les scanners sont devenus la boration avec des hautes écoles contribuera à améliorer norme. Nous voyons même de plus en plus de caisses en le savoir-faire de La Mobilière, ce qui lui permettra de libre-service. Il y aura toujours du travail, mais les domaines réagir plus rapidement aux transformations du marché. d’activités se déplacent. 4. De nouvelles formes de travail. Dans le monde numéGrâce à ses antennes dans tout le pays, La Mobilière est rique, les gens interagissent différemment – par des proche de ses clients. La numérisation doit encore renforcer échanges personnels, mais aussi virtuels. Tous les parle contact personnel. Il faut pour cela que l’on puisse dispoticipants ne sont pas physiquement présents, quelquesser partout et en permanence de la même information acuns se connectent par téléphone ou par une liaison vitualisée sur « l’historique du client ». Cela concerne des quesdéo. Les décisions se prennent plus vite, ce qui implique tions comme celles-ci : « Comment suis-je assuré ? », « Quels de nouvelles formes de collaboration. En bref, l’organidommages ne sont pas couverts ? » ou encore « Qu’est-ce qui sation des bureaux à l’ancienne ne suffit plus à remplir a déjà été entrepris ? ». Les services numériques ne sont pas ces exigences. Ainsi, le département informatique de des jeux informatiques. Ils doivent apporter au client une La Mobilière est installé dans des locaux modernes au véritable plus-value. siège de la direction. De nouveaux projets pilotes sont, par ailleurs, élaborés et testés dans le cadre du projet Harmoniser les canaux work@mobi. Qu’il soit en contact physique ou électronique avec La Mo- Nous ne pouvons pas faire autrement que de vivre chaque bilière, le client veut bénéficier dans tous les cas du meilleur jour à l’heure du numérique et de nous réjouir de cette service. Pour que ses informations soient toujours actuelles, évolution. Michel Gicot Le client est au centre de nos préoccupations 40 La Vie économique 11/2015 PRISE DE POSITION concurrence internationale et l’évolution des besoins des clients représentent autant Responsable Communication d’entreprise, Swisscom SA, Worblaufen de défis pour les entreprises, mais aussi nombre de nouvelles possibilités. C’est ainsi que Swisscom a révolutionné le marché poussiéreux de la télévision ou est devenu le partenaire préféré des banques pour les solutions informatiques. De pair avec la numérisation des différentes branches, Swisscom s’est transformée. L’ancien opéSous l’effet de la numérisation, le modèle d’affaires de rateur de téléphonie fixe et mobile a laissé la place au prestataire de télécommunicaSwisscom a changé. Alors que la téléphonie concentrait tions et informatique couronné de succès autrefois toutes les énergies, l’accent est aujourd’hui mis que l’on connaît aujourd’hui. sur les prestations informatiques et la télécommunicaSwisscom remet, par ailleurs, sans cesse en question ses produits et services. L’exemple tion. Le service et l’infrastructure continueront aussi le plus récent est notre façon d’apprendre d’être déterminants. et de travailler : Swisscom a fait entrer l’apprentissage dans l’ère numérique et les Quand êtes-vous allé pour la dernière fois dans une vidéo- modules de formation rigides ont été remplacés par des cours thèque ou avez-vous acheté un CD ? Il y a vraisemblablement flexibles qui encouragent le travail sous forme de projet et en longtemps. Aujourd’hui, on loue des vidéos à la demande via équipe : les apprenants postulent à des projets et les mettent le réseau et on achète de la musique sur iTunes. Cette évolu- en œuvre sous leur propre responsabilité. tion et bien d’autres encore ont la même origine : Internet. Les Aujourd’hui, Swisscom met son savoir-faire en matière de machines sont connectées à d’autres machines ; les mégadon- passage au monde numérique au service d’autres entreprises ; nées (« big data ») et l’informatique en nuage (« cloud ») per- elle leur ouvre le chemin. Pour s’assurer un avenir, celles-ci mettent de concevoir de nouveaux modèles d’affaires. Nous doivent en effet être intégralement connectées au moyen des sommes toujours atteignables, car connectés tout le temps et TIC et axer leurs processus commerciaux ainsi que leurs stran’importe où. Nos habitudes de consommation s’en trouvent tégies de commercialisation sur l’Internet industriel. modifiées, tout comme nos attentes envers les prestataires et Compte tenu de notre dépendance croissante vis-à-vis des les producteurs. réseaux fixes et mobiles, nous devons nous interroger sur Par ailleurs, la concurrence se mondialise et les frontières des aspects essentiels : comment garantir la grande qualité entre les branches deviennent de plus en plus floues. Ainsi, des réseaux ? Comment protéger ces mêmes réseaux contre la plateforme Airbnb est devenue, en quelques années seule- les cyberattaques, en particulier dans les infrastructures ment, le plus grand prestataire d’hébergement dans le monde critiques ? Comment garantir le respect de la sphère privée sans posséder un seul hôtel. L’application de messagerie et la protection des données ? Whatsapp a, de son côté, fait exploser en quelques mois le La Suisse est bien placée dans ces domaines. Par rapport à chiffre d’affaires SMS des opérateurs mobiles. d’autres pays, elle peut notamment compter sur des réseaux Le progrès technologique gagne petit à petit tout le secteur de performants, une grande proximité avec la clientèle et un l’économie ainsi que la société : nous sommes en plein cœur sens aigu du service. Elle le doit en premier lieu à la concurde la quatrième révolution industrielle. De nouveaux modèles rence qui joue pleinement entre les réseaux et les services, d’affaires révolutionnaires sont lancés en l’espace de quelques à un système de régulation reposant sur des principes clairmois seulement. Ils modifient fondamentalement des indus- voyants et à la disposition des fournisseurs d’infrastructries entières et brisent des chaînes de valeur ajoutée établies. tures, tels que les câblo-opérateurs, les compagnies d’électricité et les opérateurs de télécommunication, à investir Swisscom accompagne les entreprises dans le monde dans les réseaux et les centres de calcul. numérique de demain Si la Suisse veut conserver son avantage, il faut préserver Les activités de Swisscom évoluent depuis toujours au gré des les conditions libérales existantes. Celles-ci garantissent en avancées technologiques. La convergence de l’informatique effet que les actionnaires des exploitants d’infrastructures et des télécommunications, l’énorme dynamique des dévelop- peuvent continuer d’investir, pour le bien de tous, dans des pements technologiques, la soif inextinguible de données, la réseaux performants et qu’ils sont disposés à le faire. Stefan Nünlist De la téléphonie à la télécommunication La Vie économique 11/ 2015 41 PRISE DE POSITION Rolf Baumann Directeur de la société suisse de distribution Harting Technologiegruppe, Volketswil La révolution numérique de la production L’« Internet des objets » confère à toute chose une identité électronique, ce qui a d’intéressantes conséquences pour l’industrie. La technologie de radio-identification RFID, par exemple, rend les procédures plus efficientes, un atout très appréciable en cette période de franc fort. Le système de formation dual, l’entrepreneuriat, des voies de décision rapides, des collaborateurs participatifs, des conditions-cadres simples sont autant d’explications à la réussite du « modèle suisse ». Depuis quelques années, le franc fort met les petites et moyennes entreprises (PME) sous pression. Résultat : nombre d’entre elles se trouvent presque entièrement accaparées par des questions de survie immédiate. Or, franc fort ou pas, un peu d’audace et d’ouverture aux technologies nouvelles s’impose désormais pour assurer l’avenir. L’industrie numérisée – désignée aussi par la formule « industrie 4.0 », qui renvoie à la quatrième révolution industrielle – ouvre des possibilités nouvelles en matière de fabrication, de logistique et de services. Qui se lance a toutes ses chances ! Économiser des coûts de procédure et de maintenance Pour la gestion du suivi, du calibrage et de l’entretien, les exigences posées aux fabricants se durcissent. Une bonne vue d’ensemble améliore l’efficacité et la rapidité des processus logistiques et de production. L’ « Internet des objets » fait communiquer les outils, les instruments de mesure, les dispositifs de montage et les pièces détachées grâce à des puces incorporées. Pour le pilotage des processus de production, la logistique ou la gestion des entrées de marchandises, on utilise par exemple la technologie de radio-identification UHF-RFID1. Jusqu’à une feuille A4 d’informations peut être immédiatement déposée et lue sur les transpondeurs RFID. Dans le domaine de la construction d’installations et de machines, de nouveaux modèles commerciaux voient le jour grâce à la maintenance anticipée (« predictive maintenance »). L’état des machines et des composants est suivi 42 La Vie économique 11/2015 en permanence. Des algorithmes complexes analysent ces énormes masses de données, repèrent les anomalies et proposent aux services compétents des mesures très précises visant l’entretien, le matériel et le personnel. Cela rend superflues les obligations de maintenance et de contrôle préétablies à intervalles rigides, et réduit massivement les frais d’entretien ainsi que les coûteuses interruptions dues aux imprévus. Fabrication modulaire intelligente La coordination fine de cellules de montage modulaires très flexibles débouche sur des usinages extrêmement adaptables et performants. Les modules en jeu sont équipés de minirobots qui effectuent diverses phases de travail. Sur un tel îlot de finition, il est possible de réaliser des miniséries et produits individualisés en économisant tout ou partie des temps de conversion. Des commandes peuvent même être exécutées en parallèle grâce à la possibilité de mobiliser des cellules habituellement inactives. Là encore, le RFID fait partie du système lorsqu’on décide, par exemple, d’équiper les supports de montage de transpondeurs, qui peuvent ainsi être localisés et pilotés en tout temps. L’avenir est résolument à une « e-fabrication » sur mesure ! La condition sine qua non des fabrications intelligentes est une communication sans obstacle entre tous les composants des constructeurs. Il existe pour cela des normes reconnues et éprouvées dans la pratique2. Il faut toutefois éviter les protocoles spécifiques aux divers constructeurs, qui exigent pour la plupart de coûteuses interfaces supplémentaires. Depuis une année environ, les associations industrielles et les médias traitent davantage le thème de la numérisation dans l’industrie. Ils le font avec simplicité, à la manière typiquement suisse, avec le souci d’un fort engagement individuel et sans réclamer d’aide fédérale. C’est bien ainsi. Je souhaiterais tout de même, pour la bonne santé du paysage industriel suisse de demain, un appui minimal de la Berne fédérale. Par exemple sous la forme d’un centre de coordination et d’information. Voici mon appel à toutes les PME : intéressez-vous à ce sujet, explorez les possibilités du numérique pour vos ateliers et vos produits ! Vous serez alors en harmonie avec le paysage industriel suisse et prêtes à affronter l’avenir. 1 U ltra High Frequency (UHF, env. 870 MHz); Radio-Frequency Identification. 2 Norme OPC-UA : communication machine à machine (M2M) entre divers composants et appareils. Norme EPC-GEN2, comme protocole RFID. PRISE DE POSITION Les mutations du monde du travail, les conflits de rôles, l’afflux permanent d’inResponsable Emploi et conseils à la Société des employés de commerce, Zurich formations à prendre en compte ainsi que les temps de réaction de plus en plus courts se traduisent par une accélération continue. Il peut en résulter du stress et de l’épuisement (risques psychosociaux). On parle surtout de mégadonnées (« big data ») en matière de fidélisation de la clientèle. Ce ne sont pas seulement La numérisation a amélioré l’efficacité des processus au les données des consommateurs, mais aussi celles des travailleurs qui sont bureau. En corollaire, la pression sur les travailleurs des aujourd’hui disponibles en masse par professions commerciales s’est fortement accrue. voie électronique, que ce soit sur des plateformes comme Xing, Linkedin et La vague numérique a profondément transformé les profils Facebook, ou dans des dossiers personnels numérisés. Les professionnels et les branches dans l’ensemble de l’écono- employeurs voudront de plus en plus accéder à ces mégamie commerciale. Les processus de tradonnées pour le recrutement du personvail sont automatisés. Les informations nel. Dans l’intérêt des travailleurs, il s’agiUne formation contisont accessibles et mises en valeur plus ra de protéger ces informations comme il rapidement. La communication se fait inconvient. nue régulière est plus dépendamment du temps et du lieu. Il est La qualification par la numérisation et importante que jamais indéniable que la numérisation offre de la spécialisation aura nécessairement pour conserver leur nombreuses possibilités aux employés. des effets sur la structure des salaires employabilité. Reste que ses défis et ses dangers sont, et la répartition des revenus. Le remplaeux aussi, multiples. cement d’activités de routine et d’autres Les professions de bureau traditionnelles sont victimes de plus qualifiées par l’ordinateur devrait peser sur les faibles l’informatisation1. Le marché du travail exige en perma- et moyens revenus. Il faudra analyser et anticiper les consénence des connaissances et des compétences nouvelles ; le quences de cette évolution sur la répartition des salaires. niveau de qualification du personnel doit donc s’élever sans cesse. Dans le secteur commercial, un diplôme du degré se- L’État doit sensibiliser condaire II ne suffit plus à assurer durablement l’employabi- La contribution de l’État est essentielle pour atténuer les effets néfastes de la numérisation. Il doit sensibiliser les salité d’un travailleur. lariés au fait qu’une formation continue régulière est plus Les limites entre vies professionnelle importante que jamais pour conserver leur employabilité. et privée disparaissent Il faut aussi apporter une attention accrue à la question du La numérisation permet de travailler à tout instant et en traitement des données personnelles dans le monde du tratout lieu. Cette nouvelle flexibilité offre la possibilité de vail numérisé. mieux concilier vies de famille et professionnelle. Cela se Au nombre des autres domaines de l’État figurent la préventraduit aussi par un gain d’accessibilité qui débouche sur tion (risques psychosociaux), les conditions-cadres et les des conflits de rôles dans le monde professionnel comme structures (soutien financier à l’« apprentissage tout au long dans la sphère privée. L’indépendance à l’égard du lieu a de la vie », protection sociale des travailleurs peu qualifiés) de pour autre conséquence que les activités administratives même que la réglementation (modernisation du droit du tra(« back office ») sont plus souvent transférées à l’étranger. Si vail, garantie de la protection des données relatives aux collala raison directe réside beaucoup plus dans les avantages en borateurs dans un environnement professionnel numérisé). matière de coûts des pays cibles que dans la numérisation, 1 Voir l’étude de Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne, The future of employment: how susceptible are jobs to computerisation ?, université d’Oxford, 2013. elle en est néanmoins le support technique. Manuel Keller La pression dans les bureaux augmente La Vie économique 11/2015 43 PRISE DE POSITION sures incitatives et des investissements. Ainsi, le monde politique peut orienter Membre de la direction, les rares capitaux disponibles vers cerUnion patronale suisse, Zurich taines branches, renforcer la propension au risque, encourager l’acquisition de technologies étrangères ou soutenir la création de nouvelles entreprises. L’économie privée doit, cependant, devenir le La numérisation est l’un des moteurs fondamentaux de véritable moteur du développement au plus tard quand la phase de l’investissel’actuel développement économique. Elle porte en elle la ment laisse place à celle de l’innovation. puissance d’une troisième révolution industrielle. Dans Comme le montrent de nombreuses enune mutation structurelle aussi dynamique, l’État peut quêtes réalisées sur une longue période, certes émettre de bonnes incitations à court terme, en les même les programmes étatiques de promotion économique les plus réussis ne dosant correctement. On ne doit toutefois pas lui confier donnent au mieux que des résultats mitile rôle principal. Le risque d’une défaillance étatique est gés dans la pratique. Les efforts de l’État trop important. sont inadaptés notamment parce qu’ils agissent tardivement ou que leur imL’économiste et sociologue américain Jeremy Rifkins est pact est trop général. De plus, les programmes d’aide, une un penseur brillant et l’un des analystes les plus influents fois lancés, sont d’autant plus difficiles à annuler que des du changement culturel. Il est convaincu que le monde se groupes d’intérêt influents interviennent dans le système trouve à la veille d’une révolution industrielle. De tels bou- politique. leversements, qui ébranlent les fondements de la société et Voilà donc les politiciens avertis : si une politique d’innode l’économie, sont à vrai dire extrêmement rares. Quand vation est imposée par l’État, le risque d’erreurs liées au ils se produisent, ils résultent en général (non-)savoir de l’autorité est plus grand d’une nouvelle technologie. On l’a déjà que les chances d’un pilotage stabilisaobservé avec l’invention de la machine teur de l’économie – sauf peut-être duDans un cadre claireà vapeur et la mécanisation du travail. rant le premier stade du changement ment délimité, l’État Aujourd’hui, c’est à nouveau le cas avec structurel. peut tout au plus jouer la numérisation de l’information. le rôle de catalyseur. Adapter le système éducatif Alors que nous sommes à l’aube de l’ère La prospérité de demain est fortement numérique, nous voyons déjà se développer de nouvelles formes de communication. L’exploita- liée à un autre domaine de la politique économique, testion de l’énergie se renouvelle également – que l’on songe té et éprouvé. L’une des tâches les plus importantes et en à des concepts comme les réseaux intelligents (« smart même temps les plus traditionnelles de l’État reste, en efgrids ») ou le « flyable ». Des mécanismes de transport et de fet, de préparer le terrain pour les entreprises capables de logistique jusque-là inconnus font leur apparition. Selon résister à la concurrence internationale. une prévision plausible, cette « troisième révolution indus- Dans une économie petite et ouverte comme la Suisse, trielle » verra le Web actuel se transformer en un super-In- il est fondamental que l’État s’investisse pour adapter le ternet des objets : l’Internet de la communication rejoindra système de formation et de recherche aux défis technolocelui de l’énergie et le réseau automatisé de la logistique giques, renforcer la concurrence et éliminer les entraves bureaucratiques. Des finances publiques saines et une pour former un grand système. Il est évident que l’économie devra affronter de profonds faible quote-part de l’État – qui va généralement de pair bouleversements. Quel rôle revient à l’État dans une trans- avec une accélération de la croissance économique – jouent formation aussi radicale ? Est-il en mesure d’intervenir également un rôle déterminant. Dans un cadre clairement non seulement pour accompagner un changement struc- délimité, l’État peut tout au plus jouer le rôle de catalyseur turel dynamique, mais aussi pour le promouvoir durable- – conformément au slogan bien connu : « Autant de marché que possible, autant d’État que nécessaire ». ment ? La réponse est double. Quand l’économie se trouve au premier stade de la numérisation, il est possible de stimuler sa croissance par des me- Fredy Greuter L’État doit se retenir 44 La Vie économique 11/2015 Téléchargez dès maintenant l’application dans l’App Store sans frais ÉOLIENNE DANS LE VALAIS, KEYSTONE UN CERTAIN REGARD La campagne « L’argent reste ici » aurait un effet contraire Dans les débats économiques actuels, différentes idées circulent sur la manière d’empêcher une prétendue dépendance de l’étranger. Certains suggèrent d’augmenter le niveau d’autosuffisance en denrées alimentaires ou de renoncer à des importations d’énergie jugées trop onéreuses. Dans une vaste campagne intitulée « L’argent reste ici » , un comité donne l’impression qu’il vaut mieux promouvoir les énergies domestiques que d’importer à grands frais du pétrole, du gaz ou d’autres énergies. Ces préoccupations semblent a priori raisonnables. Qui pourrait être contre l’énergie indigène et pour l’énergie importée, dont l’achat va peut-être encore enrichir les magnats du pétrole ? Aussi logiques que puissent paraître les arguments des initiants, un examen plus approfondi montre qu’ils sont erronés. Si nous renonçons aux exportations, nous devrons en effet produire nousmêmes plus d’énergie. Si cette substitution aux importations était rentable, nous produirions déjà davantage d’énergie domestique, sans que la politique ne l’impose. Mieux : nous renoncerions aux importations par mesure d’économie. Or, la production en Suisse n’est pas gratuite. Elle est, comme disent les économistes, « liée aux coûts d’opportunités ». Le secteur de l’énergie a besoin de ressources, en particulier de main-d’œuvre. C’est dans d’autres branches ou à l’étranger – par le biais de l’immigration ou des importations –, qu’il doit se les procurer. Or, ces spécialistes seraient aussi rémunérés à un niveau probablement supérieur dans les autres secteurs de l’économie. Vu la situation actuelle sur le marché du travail, il est totalement absurde de croire que ces experts de l’économie énergétique ne sont pas demandés dans d’autres secteurs et qu’ils sont au chômage. Si l’on pousse plus loin la logique du comité, un ménage à deux revenus devrait renoncer aux crèches, à la femme de ménage, aux artisans, etc. sous prétexte que l’on peut assumer ces travaux soi-même et faire ainsi des économies. Il ne faut, toutefois, pas oublier que le coût de tels services est souvent inférieur à ce que le couple en ques- tion peut gagner pendant le temps où ils sont effectués. Une économie qui renonce aux exportations doit tout produire elle-même, peu importe qu’elle le fasse bien ou mal. Cela l’empêche de se concentrer sur ses propres forces (avantages comparatifs), autrement dit sur les branches où elle possède le plus d’avantages concurrentiels et peut gagner le plus en utilisant un minimum de ressources. Il est donc plus logique d’acheter en Allemagne une électricité meilleur marché (y compris, par exemple, du courant écologique subventionné par les contribuables allemands) et d’engager nos spécialistes ici en Suisse dans des secteurs qui sont concurrentiels sans avoir besoin de subsides. La Suisse exploite ses atouts La Suisse affiche un excédent commercial record et figure régulièrement aux premiers rangs dans les classements de l’innovation. Cette réussite inégalée est la preuve que notre économie prend globalement de bonnes décisions lorsqu’elle doit choisir entre faire et faire faire (« make or buy ») : nous produisons et exportons dans les secteurs où nous sommes forts, et nous importons ce qu’il nous coûterait trop cher de fabriquer nous-mêmes. Un jour, un mathématicien a demandé ironiquement au célèbre économiste américain Paul Samuelson s’il existe un résultat des sciences sociales qui soit vrai sans être trivial. Le prix Nobel n’a pas pu lui fournir du tac au tac une réponse adéquate. C’est seulement des années plus tard qu’il l’a trouvée : les avantages comparatifs. « Cette notion est logiquement vraie, car elle n’a pas besoin d’être démontrée à un mathématicien. Elle n’est pas triviale puisque des milliers d’hommes importants et intelligents n’ont jamais pu la comprendre d’eux-mêmes ou y croire une fois qu’elle leur eut été expliquée », expliquait Paul Samuelson. Reto Föllmi Professeur d’économie politique, université de Saint-Gall 1 www.argentresteici.ch. La Vie économique 11 / 2015 47 L’ÉTUDE L’ÉTUDE Schweizerische Gesellschaft für Volkswirtschaft und Statistik Société suisse d’économie et de statistique Società svizzera di economia e di statistica Swiss Society of Economics and Statistics Inhabituel, mais présentant des atouts : le PIB dans l’optique des secteurs de production L’environnement conjoncturel et les mesures prises en matière de politique économique influencent les secteurs productifs inégalement. Une analyse différenciée portant sur l’approche de la production permet une meilleure compréhension des interactions et donc de mieux prévoir l’évolution du PIB. Gregor Bäurle, Elizabeth Steiner Abrégé Pour analyser l’évolution économique, la plupart des modèles empiriques se focalisent sur l’approche dite de l’affectation. La présente étude en adopte une autre. Elle se place dans l’optique des secteurs de production. Cette approche permet de visualiser l’impact des changements conjoncturels et des mesures prises en matière de politique économique sur les différents secteurs. Elle présente, en outre, des atouts lorsqu’il s’agit de prévoir l’évolution du PIB. On s’aperçoit ainsi que le cycle conjoncturel en Suisse est fortement alimenté par la demande étrangère. Le taux de change et la politique monétaire ont également des effets tangibles. L’étude montre, toutefois, que les secteurs de production réagissent très différemment aux modifications du contexte conjoncturel. Tandis qu’une variation du taux de change peut avoir un impact considérable dans le secteur financier, la valeur ajoutée dans l’industrie manufacturière est surtout déterminée par la demande en provenance de l’étranger. O n peut examiner la composition du produit intérieur brut (PIB) réel sous trois aspects différents. L’approche basée sur la demande ou l’affectation divise le PIB selon les dépenses effectuées. L’approche par les revenus se focalise sur le paiement des facteurs de production, à savoir les salaires et les gains. Enfin, l’approche axée sur la production ou la formation calcule les valeurs ajoutées dans les différents secteurs productifs, dont la somme correspond également au PIB. Les secteurs productifs sont par exemple l’industrie manufacturière, le secteur bancaire ou celui de la santé. Pour analyser l’évolution économique, la plupart des modèles empiriques se concentrent sur l’affectation, autrement dit sur l’interaction entre les composantes principales de la demande, comme la consommation, les investissements, les exportations et les importations. La présente étude adopte une autre approche. Dans le cadre d’un modèle factoriel dynamique, nous analysons le PIB suisse secteur par secteur et livrons ainsi une perspective sous l’angle de la production. L’évolution conjoncturelle n’a pas un im- 48 La Vie économique 11 / 2015 pact identique sur toutes les branches et les mesures prises en matière de politique économique ne les influencent pas non plus de la même manière. C’est pourquoi le but de cette étude est de mettre en évidence l’effet de telles variations sur les différents secteurs et de fournir ainsi une base aux décisions politiques. De meilleures prévisions du PIB L’approche choisie présente en outre plusieurs avantages en ce qui concerne les prévisions du PIB. Le premier est que l’on peut augurer de son évolution sans qu’il soit nécessaire de spéculer sur les variations de stocks. Cette composante de la demande inclut des écarts statistiques très volatils, qui sont difficiles à interpréter et à prévoir (voir illustration 1). Ces écarts proviennent du mode de calcul du PIB. Généralement – et c’est aussi le cas en Suisse –, les variations trimestrielles de stocks ne sont pas mesurées directement, mais correspondent à la différence entre le PIB et la somme de la consommation, des investissements et des exportations nettes. Conformément au Système européen des comptes (SEC), le PIB lui-même est défini comme la somme des valeurs ajoutées dans les différents secteurs. L’approche axée sur la production permet ainsi une prévision plus directe du PIB. L’approche axée sur la production présente un deuxième avantage pour la prévision du PIB : la plupart des indicateurs avancés, déterminants pour le cours actuel de l’économie se réfèrent aux évolutions sectorielles. Par exemple, les informations tirées des sondages effectués par la Société suisse des entrepreneurs ou par Swissmem, ou celles contenues dans la statistique des chiffres d’affaires du commerce de détail, peuvent être comparées directement avec l’évolution prévue du secteur correspondant. Une approche des prévisions qui ne se base pas sur les données relatives à la demande offre encore un troisième avantage, à savoir que l’on peut utiliser des effets de diversification dans le cadre d’une analyse complète impliquant différents modèles. La littérature scientifique montre que la combinaison d’approches diversifiées donne fréquemment de meilleures prévisions que si l’on s’appuie seulement sur quelques modèles similaires. C’est la raison pour laquelle l’association de modèles De la recherche à la politique La Vie économique et la Société suisse d’économie et de statistique facilitent le transfert de savoir entre la recherche et la politique. Les études qui ont un rapport étroit avec la politique économique de notre pays sont publiées sous une forme ramassée dans la revue. KEYSTONE L’ÉTUDE axés sur la demande et sur la production peut s’avérer avantageuse pour la qualité des prévisions. Dans ce contexte, il est étonnant que si peu de travaux empiriques tentent d’exploiter de tels avantages. Certes, quelques études ont été consacrées aux différents segments de la production industrielle. Cependant, rares sont les travaux qui analysent et modélisent l’interaction entre les facteurs macroéconomiques et tous les secteurs productifs d’une économie. La présente étude comble cette lacune pour la Suisse. Le modèle qu’elle propose peut toutefois s’appliquer facilement à d’autres pays. en Suisse. Celles-ci se répartissent en seize secteurs de production, auxquels s’ajoutent les impôts et les subventions sur les produits (voir illustration 2). Le modèle que nous proposons permet de déterminer comment ces secteurs réagissent aux 1 Dans cette analyse, nous nous limitons aux secteurs dont la part au PIB est d’au moins 1 % Cela signifie que treize secteurs sont modélisés. Ill. 1. Le produit intérieur brut réel 4 En % 3 2 1 0 –1 –2 SECO / LA VIE ÉCONOMIQUE L’industrie manufacturière est moins affectée par les variations du taux de change que par la demande étrangère. Production de bouteilles dans l’entreprise Sigg, à Frauenfeld. mouvements qui affectent les principales variables économiques, comme la demande étrangère, le taux de change ou les taux d’intérêt1. En agrégeant les résultats sectoriels, on peut calculer l’influence sur le PIB. La principale difficulté de la modélisation tient au fait que les secteurs, relativement nombreux, réagissent plus ou moins vigoureusement et parfois avec retard aux variations de l’environnement économique. D’une part, le modèle doit être en mesure de prendre en compte toutes sortes de réactions dans les différents secteurs. D’autre part, il ne doit pas être trop complexe, afin qu’une définition empirique solide de ses paramètres reste possible. L’étude montre que la structure d’un modèle factoriel dynamique et son estimation au moyen de méthodes bayésiennes offrent un bon compromis entre flexibilité et robustesse. On part de l’hypothèse que l’évolution dans les différents secteurs est alimentée par une poignée de facteurs communs et par des composantes spécifiques à chacun d’eux. La dynamique des facteurs communs reflète l’évolution macroéconomique en Suisse, tandis que les composantes spécifiques mesurent les facteurs qui ne touchent que certains secteurs. Les facteurs communs peuvent aussi bien refléter les variables observées – par exemple les taux d’intérêt ou de change – que les autres. Les variables non observées –3 Les secteurs évoluent différemment Le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) – en tenant compte des informations publiées chaque année par l’Office fédéral de la statistique (OFS) – calcule des données trimestrielles sur la valeur ajoutée –4 –5 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 Variations des stocks et écarts statistiques PIB Somme des composantes de la demande Taux de variation par rapport au trimestre précédent : données corrigées en fonction des variations saisonnières et du nombre de jours ouvrables, et non annualisées. La Vie économique 11 / 2015 49 L’ÉTUDE Ill. 2. Contribution des secteurs de production au PIB suisse 0,1 % 18,4 % 10,5 % 10,6 % 14 % SECO / LA VIE ÉCONOMIQUE Agriculture (0,7 %) Industries extractives (0,1 %) Industrie manufacturière (18,4 %) Production et distribution d’énergie et d’eau (1,8 %) Construction (5,2%) Commerce (14 %) Transports et communication (7,9 %) Hébergement et restauration(1,7 %) Services financiers (5,4 %) Prestations d’assurance (4,1 %) Services aux entreprises (10,6 %) Administration publique (10,5 %) Éducation et enseignement (0,5 %) Santé humaine et activités sociales (7,4 %) Prestations privées (2 %) Production des ménages (6,7 %) Impôts et subventions sur les produits (3,2 %) Parts nominales, 2014 dievowi.ch/?p=40736 (ou du moins difficiles à mesurer) sont, par exemple, le progrès technologique, qui influence tous les secteurs, ou la perception du risque par les acteurs économiques. La distinction entre facteurs sectoriels et communs permet de limiter le nombre des paramètres à évaluer sans devoir formuler des hypothèses trop restrictives au sujet de l’interaction entre les facteurs macroéconomiques et les évolutions sectorielles. En outre, la méthode bayésienne permet non seulement d’établir une estimation ponctuelle de tous les éléments intéressants – soit tous les paramètres ou 50 La Vie économique 11 / 2015 prévisions –, mais également de définir leur répartition complète et donc de représenter l’insécurité qu’ils recèlent. Au moyen du modèle estimé, nous pouvons déterminer quelle part de fluctuations est influencée par des facteurs spécifiques dans chaque secteur et, par conséquent, dans le PIB. Il s’avère que les facteurs macroéconomiques jouent un rôle secondaire à court terme. Ainsi, ceux spécifiques à un secteur expliquent jusqu’à 80 % des fluctuations du PIB durant le premier trimestre faisant l’objet d’une prévision2. C’est seulement à moyen terme, après un an environ, que les facteurs macroéconomiques prennent le dessus et expliquent plus de la moitié des fluctuations du PIB. La demande étrangère est déterminante Dans notre modèle, nous identifions trois facteurs d’influence : la demande étrangère, le taux de change et le taux d’intérêt. Il apparaît que le premier détermine largement le cycle conjoncturel en Suisse. Si la croissance augmente de 1 % à l’étranger, elle progresse d’environ 0,4 % dans notre pays. L’évolution du taux de change et la politique monétaire ont également des répercussions tangibles. Une appréciation de 1 % du franc se traduit par une perte d’environ 0,15 % au niveau du PIB. Si les taux d’intérêt augmentent d’un point de pourcentage, le PIB accuse une baisse d’environ 0,5 % un an après. Compte tenu des variations propres aux trois facteurs d’influence, ces sensibilités impliquent toutefois que la demande étrangère explique la majeure partie des modifications du PIB. L’évaluation macroéconomique cache le fait que les secteurs réagissent très dif2 Il s’agit ici de la part à la variance de l’erreur de prévision. féremment au contexte conjoncturel. Prenons les incidences estimées du taux de change sur le PIB : elles sont certes relativement modérées, mais toute modification du taux peut avoir un effet considérable dans certains secteurs, alors qu’il n’influencera guère la valeur ajoutée dans d’autres. Les domaines les plus sensibles sont notamment ceux de la finance – banques et assurances – et de l’énergie. Le faible impact du taux de change sur la valeur ajoutée produite par l’industrie manufacturière est quelque peu étonnant. Nos résultats montrent en revanche que ce secteur est fortement marqué par la demande étrangère. Sans surprise, on constate que certaines branches font preuve d’une réelle fermeté par rapport aux fluctuations des facteurs d’influence étudiés. En font partie les prestations des ménages privés, le domaine de la santé, mais aussi l’administration publique. Les résultats de notre étude montrent donc que l’optique de la production fournit des informations détaillées sur les différentes branches. Il est important de mieux comprendre l’interaction entre les facteurs macroéconomiques et les évolutions sectorielles afin de compléter les analyses basées sur la demande. Gregor Bäurle Chef économiste, Conjoncture Suisse, Banque nationale suisse Elizabeth Steiner Cheffe économiste, Conjoncture Suisse, Banque nationale suisse La Banque asiatique d’investis­ sement dans les infrastructures se fera avec la Suisse La Chine a lancé la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB), un établissement qui pourrait concurrencer la Banque mondiale. La Suisse y participera pour plus de 700 millions d’USD. Le Conseil fédéral espère que l’AIIB fera progresser la cause du développement durable en Asie. Les besoins en infrastructures sont, en effet, importants : il faut des routes, des ports, de l’électricité, des réseaux pour téléphones portables et des systèmes d’assainissement. La participation suisse devrait également ouvrir de nouveaux débouchés à nos entreprises. En juin, le conseiller fédéral Johann N. Schneider-Ammann a signé les statuts fondateurs ; c’est maintenant au Parlement de se prononcer. Comme l’a montré la procédure de consultation qui vient de s’achever, l’initiative est plutôt bien accueillie. Le dossier montre qui se cache derrière l’AIIB, ce qu’il faut retenir des promesses de durabilité et de quelle façon la Banque mondiale devrait réagir. KEYSTONE DOSSIER BANQUE ASIATIQUE D’INVESTISSEMENT Une nouvelle banque de développement à vocation régionale Avec la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB), l’Asie se dote d’une institution susceptible de devenir un acteur majeur pour le financement de son développement. Fruit d’une initiative chinoise, la nouvelle banque régionale est majoritairement financée par les pays asiatiques eux-mêmes. Conformément au modèle de développement chinois, elle mise sur l’effet stimulant des infrastructures. Les projets retenus doivent promouvoir une croissance durable et lutter contre la pauvreté. Par sa participation, la Suisse entend renforcer ses relations commerciales avec cette région du monde. Werner Gruber L Accéder à un financement avantageux En tant que nouvelle institution régionale de financement, la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB) entend apporter une substantielle contribution financière à des projets relevant du secteur des transports, de l’énergie, de l’eau et des eaux usées. Elle prévoit également d’investir dans les installations portuaires, les mesures de protection de l’environnement, les technologies de l’information et des télécommunications, le développement économique et la logistique dans les espaces ruraux et urbains. L’AIIB travaille et noue des partenariats 1 Banque asiatique de développement, Infrastructure for Supporting Inclusive Growth and Poverty Reduction in Asia, 2012 ; Banque asiatique de développement, Estimating Demand for Infrastructure in Energy, Transport, Telecommunications, Water and Sanitation in Asia and the Pacific : 2010–2020, Institute Working Paper #248, 2010. 52 La Vie économique 11 / 2015 GETTY es besoins en infrastructures sont énormes en Asie. Aujourd’hui encore, près de 1,8 milliard de personnes n’ont toujours pas accès à des installations sanitaires, 800 millions n’ont pas l’électricité et 600 millions pas d’eau potable1. Une étude de la Banque asiatique de développement (BAD), réalisée en 2012, conclut que l’Asie devrait investir quelque 8000 milliards d’USD dans ses infrastructures entre 2010 et 2020 pour conserver une croissance dynamique et pérenniser les succès remportés dans la lutte contre la pauvreté. La mise à disposition d’infrastructures a plusieurs objectifs : créer des emplois, diminuer les coûts de production, faciliter l’accès à de nouveaux débouchés et marchés de fournisseurs, et contribuer à une croissance inclusive bénéficiant d’une large assise géographique. avec le secteur public et privé. À ce titre, elle octroie des prêts et des crédits, émet des garanties, souscrit des obligations et prend des participations aux fonds propres. Elle entend surtout mobiliser les fonds de tiers. La banque peut en outre octroyer une assistance technique et des subsides d’investissement, ou allouer des fonds spéciaux pour permettre, par exemple, aux pays les plus pauvres d’obtenir des financements à taux préférentiel. Le capital autorisé de l’AIIB s’élève à environ 100 milliards d’USD, dont 20 milliards à libérer. Le reste forme le capital garanti. Le capital social est à 75 % aux mains de pays régionaux, asiatiques principalement. Font partie de la région Asie-Pacifique les nations d’Asie du Sud-Est et du Sud, les États insulaires du Pacifique, l’Asie centrale (Caucase inclus), la Turquie, l’Australie, la Nouvelle-­ Le président chinois, Xi Jinping (au centre, à droite), le 29 juin 2015, avec d’autres membres fondateurs, dont le conseiller fédéral Johann N. Schneider-Ammann (au centre, à gauche), lors de la signature de l’accord. Zélande, plusieurs États arabes et Israël. Afin de financer ses activités, la banque lèvera des fonds sur les marchés internationaux de capitaux, en espérant mobiliser de nouvelles sources de financement. La large distribution géographique des États membres et le pourcentage relativement élevé de capital à libérer ont un effet positif sur la solvabilité de l’AIIB et donc sur sa capacité de se financer à de bonnes conditions et de répercuter les emprunts sur les pays bénéficiaires. Une initiative chinoise La Chine est à la base de l’initiative qui a donné naissance à l’AIIB. L’insatisfaction DOSSIER de cette partie du continent à forte dynamique économique vis-à-vis des timides réformes de gouvernance au sein de la Banque mondiale et d’autres banques multilatérales de développement n’y est sans doute pas étrangère. Bien que la déclaration d’intention relative à sa fondation ait été signée par seulement 21 États régionaux en octobre 2014, l’AIIB compte aujourd’hui 57 membres fondateurs, dont 37 effectivement de la région et 20 autres pour la plupart européens. Le processus de fondation est resté ouvert à de nouveaux membres jusqu’à la fin mars 2015. À l’approche de cette échéance, les adhésions ont afflué. Un grand nombre de pays non régionaux n’ont adhéré qu’au dernier moment, après avoir longtemps craint que la Chine puisse peser trop fortement dans la nouvelle institution et contourner les normes internationales. La large assise dont bénéficie maintenant l’AIIB lui confère le rang de véritable institution financière internationale. Il faut assurément y voir un succès de la Chine. Les principaux membres fondateurs régionaux sont la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Pakistan, les Philippines, Singapour et le Kazakhstan. Il faut leur ajouter l’Arabie saoudite, le Koweït et le Qatar, de même que l’Australie, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande. La Russie a également été admise, car elle appartient à la région. La plupart des pays régionaux ont, au sein du Comité d’aide au développement de l’OCDE, le statut de bénéficiaires de l’aide publique au développement. Ils sont, de surcroît, nombreux à bénéficier de la coopération internationale mise en œuvre par la Direction du développement et de la coopération (DDC) et le Secrétariat d’État à l’économie (Seco)2. Le groupe des pays non régionaux est principalement constitué, outre la Suisse, d’États européens (Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, PaysBas, Espagne, Pologne, Autriche, Finlande et pays scandinaves) et extra-européens (Brésil, Égypte, Afrique du Sud). Les grands absents sont les États-Unis et le Japon, qui étaient, depuis le départ, très sceptiques envers cette banque de développement créée à l’initiative de la Chine. Toute une série d’autres pays régionaux ou non (dont un grand nombre parmi ceux de l’UE) ont manifesté leur intérêt pour une adhésion ultérieure. 2 Azerbaïdjan, Bangladesh, Géorgie, Indonésie, Jordanie, Cambodge, Kirghizstan, Laos, Mongolie, Myanmar, Népal, Pakistan, Sri Lanka, Tadjikistan, Ouzbékistan et Vietnam. Une réglementation fondée sur les normes internationales Contrairement aux craintes de nombreux pays industrialisés occidentaux, la banque a conçu des bases réglementaires (statuts, politiques opérationnelle et financière, normes environnementales et sociales) qui satisfont, dans une large mesure aux normes internationales. Elle s’attache parallèlement, dans l’esprit de sa devise « lean, clean and green » (svelte, propre et verte), à mettre en place des structures efficientes, à définir des responsabilités claires et à être proche de la clientèle. À la différence d’autres banques de développement, elle n’a pas de « resident board », autrement dit de directeurs présents en permanence au siège de la banque à Pékin. Les normes sociales et environnementales doivent être compatibles avec celles des autres banques de développement. Elle entend coopérer étroitement avec elles et s’appuyer sur leurs travaux. L’AIIB ne se positionne pas, de prime abord, comme une concurrente. Elle a, toutefois, l’ambition d’être à la fois plus efficiente et efficace que les institutions financières existantes. Les statuts de l’AIIB correspondent dans une large mesure aux normes qui prévalent dans des institutions comparables et s’appuient sur l’expérience. Sur certains points comme les conditions financières et l’utilisation du capital, elle se se ménage une plus grande marge de manœuvre. Les statuts contiennent d’importantes garanties sur des questions aussi importantes que la gouvernance, le respect des normes internationales et la mise sur pied de mécanismes appropriés de contrôle interne. Les politiques opérationnelles présentées dans le projet, y compris les procédures d’appel d’offres et les normes sociales et environnementales, sont garantes d’une gestion de l’AIIB correcte et conforme aux normes. Ce cadre et le large soutien international apporté à la banque diminuent aussi le risque d’instrumentalisation de la part d’un ou plusieurs pays. L’AIIB est dominée par les pays régionaux. C’est la première fois que les pays industrialisés occidentaux représentent clairement une minorité au sein d’une banque de développement. Une telle situation reflète le déplacement du centre de gravité économique et l’affirmation de cette région. Le fait que ces pays assument davantage de responsabilités et prennent davantage en main leur destinée est globalement positif. L’AIIB offre également la possibilité à la Chine de se rapprocher des normes internationales en ce qui concerne le financement de projets liés au développement. Cela signifie également que les pays d’Europe de l’Ouest doivent être convaincants pour faire entendre leur voix. Bien qu’une volonté manifeste de collaborer et de créer une nouvelle banque de développement exemplaire se soit exprimée, on ne saurait exclure des divergences d’opinion, obligeant les pays extérieurs à la région à faire d’importants compromis. En ce sens, cette configuration particulière recèle aussi de nouveaux risques. La Suisse participe Le Conseil fédéral soutient l’adhésion de la Suisse à la nouvelle banque. Le 29 juin dernier, le conseiller fédéral Johannes N. Schneider-Amann a signé l’accord à Péking avec 49 autres membres fondateurs. Cette adhésion s’inscrit dans le cadre de sa politique générale et économique extérieures ainsi que de sa politique de développement. L’AIIB remplit les condi- Banques de développement auxquelles la Suisse participe La Suisse participe à plusieurs banques multilatérales de développement, la principale étant la Banque mondiale. Elle est en outre membre de toute une série de banques régionales de développement, dont les plus significatives sont : –– le Groupe de la Banque mondiale, qui comprend la Banque internationale de reconstruction et de développement (Bird), l’Association internationale de développement (IDA), la Société financière internationale (SFI) et l’Agence multilatérale de garantie des investissements (Amgi) ; –– la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) ; –– la Banque asiatique de développement (BAD) ; –– la Banque africaine de développement (BAfD) ; –– la Banque interaméricaine de développement (BID). Les défis mondiaux requièrent une concertation internationale. Les institutions mentionnées disposent d’importantes ressources financières et d’instruments efficaces pour trouver des solutions à des problèmes mondiaux. Cofinancer ces banques confère à la Suisse un droit de regard. Le fait de participer à une banque de développement financée sur le marché des capitaux permet, en outre, de générer un puissant effet de levier pour la mobilisation de ressources destinées à la coopération au développement. Enfin, ces banques sont souvent à l’avant-garde, disposent d’un grand savoir-faire et sont par conséquent d’importants partenaires de la coopération internationale de la Suisse. En tant que nouvel acteur régional en Asie, l’AIIB complète judicieusement ces participations. La Vie économique 11 / 2015 53 BANQUE ASIATIQUE D’INVESTISSEMENT tions requises pour devenir un pilier significatif de l’architecture internationale des banques de développement. Elle peut fortement contribuer à répondre aux importants besoins d’infrastructures, à promouvoir un développement économique durable et à lutter contre la pauvreté en Asie. Notre participation renforcerait également les relations avec la Chine– qui bénéficient d’un accord de libre-échange depuis l’année dernière – comme avec l’ensemble du continent. Elle offrirait aux entreprises suisses la possibilité d’y développer leurs relations commerciales. Selon la quote-part établie, la Suisse participerait à l’AIIB à hauteur de 706,4 millions d’USD. Ce montant serait à libérer en cinq tranches annuelles de 141,5 millions. Les trois premières tranches seraient intégralement financées par le budget du Seco et de la DDC consacré à la coopération internationale. La question du financement des quatrième et cinquième tranches reste ouverte. Ces tranches seront compensées dans la mesure où elles pourront être imputées à l’aide publique au développement ; cette question devra faire l’objet d’un accord international. Dans sa décision, le Conseil fédéral tient compte des orientations de la nouvelle banque en matière de développement et des incertitudes qui demeurent à cet égard. Contribuer à l’expansion de la banque La Suisse, qui est l’un des premiers pays d’Europe occidentale à avoir rejoint le projet, entend continuer à s’impliquer activement dans le processus de fondation. Elle s’attache donc, précisément durant la phase initiale cruciale, à jouer un rôle particulièrement actif via le conseil d’administration de la banque. Elle entend notamment veiller au respect des normes internationales, éviter la sous-enchère et une concurrence déloyale vis-à-vis des autres institutions financières, et accorder une attention toute particulière aux besoins de pays moins avancés. Elle estime également essentiel de collaborer étroitement avec d’autres institutions financières, d’opérer une coordination au niveau régional, d’avoir l’esprit ouvert aux mécanismes de financement novateurs et d’aider les pays concernés à concevoir des projets aptes à décrocher un financement. Après une brève procédure de consultation, le projet est maintenant devant le Parlement, qui en débattra durant la session d’hiver 2015. La procédure de consultation a montré que l’adhésion de la Suisse à l’AIIB bénéficie d’un large soutien. Le rôle de la banque dans le financement du développement et des infrastructures, de même que les perspectives économiques qui s’offrent à la Suisse ont été particulièrement salués. Par contre, un certain nombre de participants ont émis des réserves quant à l’orientation et à l’importance encore floues de la nouvelle banque en matière de développement. Ils sont également préoccupés par les incertitudes qui subsistent concernant le respect des normes sociales et environnementales. La compensation, dans le cadre de la coopération internationale, de la participation au capital a également été critiquée. L’AIIB devrait être formellement instaurée fin 2015 ou au plus tard début 2016. La Suisse pourrait ainsi déposer les documents de ratification durant le premier semestre de 2016 et donc finaliser son adhésion à la banque. Une ratification rapide est dans son intérêt si elle veut participer rapidement, en qualité de membre à part entière, au processus de mise en place de l’AIIB, qui se profile comme un nouvel acteur majeur du financement dans la région. Werner Gruber Délégué extraordinaire à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB), secteur Coopération multilatérale, Secrétariat d’État à l’économie (Seco), Berne Partenaire ou concurrente de la Banque mondiale ? Le positionnement de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB) vis-à-vis des autres banques de développement n’est pas encore clair. À l’heure actuelle, tout indique que l’établissement pékinois se comportera en professionnel. Pour cette raison, la Banque mondiale devrait considérer le nouvel acteur comme un allié en matière de développement. Stefan Denzler D u point de vue chinois, la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB) dans les infrastructures représente un outil indispensable pour améliorer la présence d’une puissance économique émergente dans l’architecture multilatérale du développement. L’AIIB enrichira indubitablement le paysage des banques multilatérales de développement. Ce sera d’abord une nouvelle concurrente – 54 La Vie économique 11 / 2015 principalement de la Banque asiatique de développement1 – en ce qui concerne la solidité des projets d’investissement préparés, la qualification du personnel ou la mobilisation de fonds étrangers. L’AIIB pourra aussi renforcer le respect, par les banques de développement exis- tantes, de normes de qualité élevées et harmonisées, soit par le financement commun de grands projets d’infrastructure, soit par le partage de conseils en matière de stratégie. La création de l’AIIB devrait encourager la Banque mondiale2 (voir tableau) à accélérer les réformes en cours. 1 La Banque asiatique de développement (BAD) compte 67 membres, dont la Chine, les États-Unis et la Suisse. 2 Par Banque mondiale, on désigne ici l’ensemble du Groupe de la Banque mondiale (GBM). Toutes les institutions du GBM sont énumérées dans le tableau final. DOSSIER La Chine est le pays qui enregistre les balances courantes excédentaires les plus importantes et constitue de la sorte le plus grand épargnant du monde. Elle absorbe à peu près 50 % de la production mondiale de matières premières. Elle investit à l’étranger des sommes colossales, tant sur le plan bilatéral que multilatéral, dans des projets tels que la construction d’une nouvelle voie maritime à travers le Nicaragua pour concurrencer le canal de Panama. Elle assume en outre un rôle de leader des pays en développement dans la plupart des négociations internationales de premier plan. En d’autres termes, ce pays est devenu l’un des acteurs incontournables du développement. Aucun des Objectifs de développement durable, convenus cette année par l’ONU, ne sera atteint sans le soutien de la Chine, de ses finances et de ses entreprises. La Chine a compris que, pour renforcer sa légitimité en tant qu’acteur du développement en Asie, en Afrique et en Amérique latine, il lui faut engager une partie de ses excédents dans des canaux multilatéraux. Elle a également compris qu’elle doit s’orienter vers le respect des normes et des politiques d’investissement internationales. L’AIIB lui permettra de mieux réaliser cet objectif que la banque moins équilibrée des Brics3. C’est dans ce contexte qu’il faut situer l’invitation très large faite aux membres fondateurs de constituer et de capitaliser l’AIIB, de même que le dialogue en cours avec des organisations multilatérales comme la Banque mondiale pour concevoir les statuts et règlements de l’AIIB. Le succès du système des banques multilatérales de développement dépend de son effort collectif pour intégrer à part entière la plus grande économie nationale du monde. Pour des raisons politiques, la Banque asiatique de développement n’a pas été en mesure de s’adapter à la nouvelle réalité chinoise. Du point de vue de la Banque mondiale, il est crucial d’avoir de bons rapports avec le nouvel acteur, car cette institution est étroitement liée à la Chine, soit par les achats publics de biens d’infrastructure – dont ce pays est de loin le fournisseur le plus important –, soit par le financement 3 La Nouvelle banque de développement (New Development Bank, NDB) a été fondée le 15 juillet 2014 par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Sa capitalisation et Sa structure de gouvernance sont axées unilatéralement sur ces cinq pays émergents. KEYSTONE Dépendance des banques de développement vis-à-vis de la Chine commun de programmes de la Société financière internationale (SFI). La Banque mondiale n’a donc aucun intérêt à rechercher la confrontation et devra tenter d’intégrer l’initiative chinoise dans le système multilatéral. Il est d’ailleurs normal que l’arrivée d’un nouvel acteur suscite des tensions. Il en résultera un nouvel équilibre et des formes efficaces de coopération entre les banques de développement. La mondialisation exige une nouvelle définition du rôle de la Banque mondiale Au cours des sept décennies écoulées depuis sa fondation à Bretton Woods en 1944, la Banque mondiale a consolidé sa réputation de banque multilatérale visionnaire. Elle a fait preuve d’agilité et a abandonné son mandat initial, à savoir la reconstruction des pays victimes de la guerre, pour se consacrer à la réduction de la pauvreté. Le Groupe de la Banque mondiale (GBM) n’a cessé d’adapter sa palette d’instruments et son organisation aux nouvelles exigences. Ainsi, en 1988, a été fondée l’Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI), qui assure les investissements privés contre les risques politiques. Depuis les années nonante, la Banque mondiale soutient en outre la transition en Europe de l’Est. Elle n’a cependant jamais abandonné son cœur de métier, soit le financement à long terme des infrastructures publiques de base. Cellesci représentent toujours 70 % du portefeuille, les trois secteurs principaux étant les transports, l’énergie et l’eau. La Chine propose le précédent vice-ministre des Finances, Jin Liqun, comme futur président de l’AIIB. Grâce à ses compétences spécialisées ainsi qu’à sa portée et à sa présence universelles, la Banque mondiale assume un rôle de leader dans les questions urgentes de développement de ses pays partenaires. Ces quinze dernières années, elle a lancé et gère de plus en plus de fonds de développement soit thématiques, soit géographiques, fréquemment financés par des fonds étrangers issus de donneurs bilatéraux. De nos jours, plus d’un tiers des 15 000 collaborateurs de la Banque mondiale travaillent dans de tels fonds fiduciaires. La valeur totale des quelque 800 fonds inscrits à son portefeuille s’élève à 45 milliards de dollars. La Banque mondiale a fait ses preuves en tant qu’instrument multilatéral capable de mettre sur pied des biens publics mondiaux dans des domaines comme la protection du climat, la sécurité alimentaire, le désendettement des pays les plus pauvres ou, tout récemment, la maîtrise de l’épidémie d’Ebola en Afrique occidentale. À travers la SFI, elle finance en outre le secteur privé dans les pays en développement d’une manière à la fois novatrice et profitable. La Banque mondiale fait cependant face à un défi. Si elle entend rester en phase avec le dynamisme inhabituel de la mondialisation, elle doit adapter la façon dont elle conçoit son rôle. Ainsi, son actionnariat est toujours dominé par les pays donateurs traditionnels, principalement les États-Unis, le Japon et les Européens. Or, Washington, dont la part de capital dé- La Vie économique 11 / 2015 55 BANQUE ASIATIQUE D’INVESTISSEMENT passe 15 %, n’est pas près de renoncer à sa minorité de blocage. Les pays émergents à forte croissance, comme la Chine, l’Inde ou l’Indonésie, restent donc nettement sous-représentés. À cela s’ajoute que la présidence de la Banque mondiale est traditionnellement attribuée aux États-Unis et celle du Fonds monétaire international (FMI) à l’Europe. Il n’est pas surprenant que, des 25 directeurs exécutifs de la Banque mondiale, presque un tiers proviennent actuellement du Vieux Continent4. La recherche d’une formule moderne et équilibrée d’attribution des parts de capital est en cours. De la banque à l’établissement de conseil Contrairement à la situation qui prévalait pendant les décennies qui ont immédiatement suivi la Deuxième Guerre mondiale, la Banque mondiale n’est plus l’unique, ni même la première source de financement des pays en développement. Même les pays pauvres disposent d’un vaste choix avec les banques régionales et nationales de développement, les œuvres d’entraide privées, les investissements étrangers directs ou les partenariats public-privé. Les recettes fiscales ont, par ailleurs, augmenté dans la plupart des pays en développement. Enfin ces États ont plus de facilité à emprunter sur les marchés de capitaux privés qu’autrefois. Le programme de la Banque mondiale ne finance donc plus qu’un petit pourcentage des budgets publics des pays en développement. Comment la Banque mondiale pourrait-elle améliorer sa raison d’être ? L’alternative est la suivante : soit elle augmente substantiellement son capital, soit elle change de modèle d’affaires et passe de la banque de développement à un éta4 Grande-Bretagne, France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Belgique, Finlande et Suisse. blissement fournissant des conseils stratégiques, application comprise, tout en mobilisant, administrant et regroupant de façon optimale les ressources d’autres acteurs. En fait, la Banque mondiale s’est déjà réorientée fortement dans ce sens et est aujourd’hui un hybride des deux modèles. Elle agit avec succès comme catalyseur de capitaux indigènes et internationaux, selon la devise « des milliards aux billions ». En ce nouveau millénaire, la distinction entre pays en développement et pays industrialisés est dépassée, mais, à la Banque mondiale, elle constitue toujours le critère des questions de gouvernance et d’accès aux crédits. Or, ce sont justement les pays émergents, Chine en tête, qui mettent à l’épreuve la crédibilité et l’efficacité du système multilatéral : eux-mêmes revendiquent toujours des fonds (modestes) pour se développer, mais ne participent qu’avec réticence à l’octroi de fonds concessionnels. Le système actuel des deux catégories menace non seulement de provoquer des blocages au sein de la Banque mondiale, mais s’est encore avéré extrêmement handicapant et tenace dans d’autres processus multilatéraux, à commencer par les négociations de l’ONU sur le climat. Réexaminer ces questions améliorerait encore l’acceptation et la force de frappe du financement multilatéral du développement, notamment celles de l’Association internationale de développement (IDA), qui fait partie du GBM. La fondation de l’AIIB permettra à la Chine de renforcer son rôle multilatéral et ses responsabilités. Parallèlement, cela devrait encourager la Banque mondiale à avancer rigoureusement dans les questions de stratégie évoquées plus haut. L’AIIB respecte les normes ­environnementales et sociales En matière d’octroi de crédits, l’AIIB connaîtra un problème familier à toutes les banques de développement : si les in- vestissements requis dans les pays en développement pour les infrastructures sont pratiquement illimités – en Asie, on les estime par exemple à plus de 700 milliards de francs par an –, les projets satisfaisant à tous les critères des banques de développement sont extrêmement rares. À l’origine, on craignait qu’en se soustrayant aux normes environnementales et sociales, l’AIIB ne « débauche » des projets de la Banque mondiale et n’en mine les efforts en faveur de la durabilité. Or, toutes les démarches entreprises jusqu’ici par ce nouvel acteur démontrent heureusement qu’il entend mettre sur pied un système moderne de normes environnementales et sociales, qui s’inspire étroitement de celui de la Banque mondiale. Il en va de même de la politique de l’AIIB en matière d’achats publics ou d’accès aux informations. Cette harmonisation des normes facilite donc l’examen et le financement communs de grands projets d’infrastructure en liaison avec d’autres banques de développement, ce qui est un but avoué de l’AIIB. Contrairement à la Banque mondiale, l’AIIB cultive à dessein une structure de gouvernance extrêmement svelte, ne prévoyant par exemple pas de conseil d’administration permanent. Si cela a l’avantage de réduire les coûts, l’inconvénient est un ancrage plus faible dans les pays membres. Quant aux ressources humaines, il faudra continuer d’observer si l’AIIB débauche de façon ciblée des cadres supérieurs de la Banque mondiale pour se garantir un envol rapide et professionnel. En principe, vu les barrières linguistiques et autres (image et qualité de la vie à Pékin, etc.), l’AIIB devrait avoir plus de peine à attirer des spécialistes étrangers que les institutions de Bretton Woods. En revanche, si l’AIIB pratique une stratégie agressive en matière de mobilisation de fonds étrangers, la Banque mondiale en sera affectée. Les banques privées, caisses de retraite ou fonds publics qui investissent parallèlement à la SFI orientent leurs déci- Association internationale Banque internationale pour la reconstruction et le dévelop- de développement (IDA) pement (Bird) Société financière internationale (SFI) Agence multilatérale de garan- Centre international pour le rètie des investissements (Amgi) glement des différends relatifs aux investissements (Cirdi) Octroie aux conditions du mar- Octroie des crédits et des subché des crédits aux pays en dé- ventions à long terme et sans veloppement à revenu moyen intérêts aux pays en développement les plus pauvres Soutient aux conditions du marché le secteur privé dans les pays en développement et émergents par des prêts, des participations au capital et d’autres produits financiers, ainsi qu’en offrant des conseils Encourage les investissements étrangers directs dans les pays en développement par des garanties couvrant les risques non commerciaux et offre des conseils en matière d’investissement 56 La Vie économique 11 / 2015 Arbitre les différends relatifs aux investissements entre gouvernements et investisseurs étrangers, et offre des conseils MINISTÈRE ALLEMAND DE LA COOPÉRATION ÉCONOMIQUE ET DU DÉVELOPPEMENT / LA VIE ÉCONOMIQUE Les cinq institutions du Groupe de la Banque mondiale DOSSIER Grâce à ses compétences spécialisées, l’AIIB s’imposera sans doute comme acteur qualifié. Elle cherchera à avoir la primauté dans les questions régionales urgentes et les initiatives spécifiques. Ce faisant, elle concurrencera davantage la Banque asiatique de développement que la Banque mondiale. En effet, cette dernière ne bénéficie pas seulement de l’avantage d’occuper déjà avec succès plusieurs terrains thématiques, mais est encore prédestinée, en tant qu’institution mondiale, à mettre en œuvre un programme universel, comme le sont les Objectifs de développement durable de l’ONU. KEYSTONE La concurrence stimule les affaires Il serait judicieux que la Banque mondiale et l’AIIB adoptent une stratégie commune pour les grands projets d’infrastructure. sions davantage en fonction du gain que des priorités politiques de Washington ou de Pékin. Ces bailleurs de fonds se tourneront donc de préférence vers l’AIIB si leurs investissements leur promettent des rendements supérieurs. Pour sponsoriser le développement, l’AIIB parviendra-t-elle en outre à s’ouvrir d’autres sources externes d’approvisionnement en Chine même, par exemple des entreprises publiques disposant de capitaux importants ou des millionnaires chinois, devenus entre-temps nombreux ? Cela aussi serait concevable. Les villes et les provinces, des clientes potentielles Les cibles potentielles de l’AIIB sont en particulier les villes, les provinces et leurs entreprises de distribution, car le GBM ne couvre que partiellement cette clientèle, qui ne dis- pose souvent pas de garantie d’État. En effet, alors que la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (Bird) se focalise sur les gouvernements nationaux, la SFI se concentre sur le secteur privé. Si l’AIIB parvenait donc à combler cette lacune stratégique, le paysage multilatéral en serait complété de façon parfaite. À ce propos, il faut noter que, dans le monde entier, une grande partie des infrastructures sont financées et construites à l’échelon infranational et que le nombre de clients potentiels est considérable dans des pays comme la Chine, l’Inde ou l’Indonésie. Enfin, la Banque mondiale et l’AIIB devront aussi coopérer pour accorder leurs programmes nationaux à moyen terme ou mener le dialogue politique avec les gouvernements partenaires. Une stratégie concertée pourrait considérablement améliorer leur crédibilité et leur efficacité, alors que les recommandations contradictoires des partenaires au développement se neutralisent ou sèment la confusion. Il n’en reste pas moins que l’AIIB concurrencera avec la Banque mondiale. L’essentiel est que cette compétition soit loyale et que l’AIIB s’engage à respecter les normes internationales, ce qui semble actuellement son ambition. Dans ces conditions, les banques de développement subissent la même règle que le secteur privé : la concurrence stimule les affaires. Chose intéressante, la devise de l’AIIB, « lean, clean and green » (économique, propre et vert), correspond à maints égards aux réformes en cours au sein de la Banque mondiale. La Suisse devrait s’engager activement dans les deux institutions – Banque mondiale et AIIB – en faveur du respect des normes harmonisées et d’une collaboration fructueuse. Elle devra veiller à ce qu’avec presque 30 % du capital, l’État dominant (où la banque a aussi son siège), soit la Chine, n’instrumentalise pas l’AIIB à son profit. Il faut que les décisions d’investir servent en premier lieu à la réduction de la pauvreté et non à des fins géopolitiques. Enfin, en matière d’infrastructures, l’AIIB devrait mobiliser les connaissances et les fonds du secteur privé plutôt que de suivre les modèles purement étatiques d’inspiration chinoise. Tout cela devrait lui permettre de renforcer le système des banques multilatérales de développement. Stefan Denzler Senior Advisor, Banque mondiale, Washington D.C. La Vie économique 11 / 2015 57 BANQUE ASIATIQUE D’INVESTISSEMENT L’Asie a besoin de billions pour l’électricité et les routes Les projets d’infrastructures en Asie mobilisent des sommes gigantesques. Une étude montre que l’entretien et le développement des voies de communication, l’approvisionnement énergétique et les télécommunications nécessiteront 8 billions d’USD durant la présente décennie. La Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB) peut jouer un rôle important dans ce domaine. Biswa Nath Bhattacharyay À économies asiatiques, recèlent un grand potentiel et peuvent devenir de nouveaux moteurs de croissance. Ils sont, par nature, vecteurs d’emplois et d’investissements. Une meilleure connectivité des infrastructures en Asie et au-delà pourrait renforcer la compétitivité nationale et régionale ainsi que la productivité, accélérer la reprise économique et contribuer à générer une croissance équilibrée et inclusive à moyen et à long termes. L’un des grands défis posés à la connectivité des infrastructures en Asie est l’énorme besoin de financement. Celui-ci se chiffre à 8,22 billions d’USD pour les années 2010 à 2020, soit 750 milliards par an, dans les secteurs des transports (aéroports, ports, chemins de fer et routes), des télécommunications (réseaux fixe et mobile), de l’énergie (électricité), de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement. Ce montant se répartit entre les nouveaux investissements (68 %) et l’entretien ou le remplacement d’infrastructures existantes (32 %), comme le montre une étude menée par l’auteur du présent article pour la Banque asiatique de développement (BAD) en 20101. Pour mobiliser autant de moyens en faveur des infrastructures en Asie, il faut écarter l’idée d’une solution unique. Les besoins sont trop importants, trop vastes et 1 Bhattachryay Biswa Nath, Estimating Demand for Infrastructure in Energy, Transport, Telecommunications, Water and Sanitation in Asia and the Pacific : 2010–2020, 2010. KEYSTONE la suite de la crise financière mondiale de 2008 et des turbulences provoquées par la dette en Europe, les économies avancées, telles que celles des États-Unis ou de notre continent, sont confrontées à un ralentissement de la croissance, voire à une récession, et à un recul de la consommation. Par ailleurs, de grandes économies asiatiques ont vu leur croissance se contracter ces dernières années. L’Asie doit réorienter sa production – laquelle dépend des exportations – de même que sa croissance vers les marchés du continent. Cela passe par une plus grande connectivité intrarégionale des infrastructures et une intégration économique régionale plus poussée. De vastes projets d’infrastructures de portée nationale ou régionale, qui impliquent plusieurs Les sommes nécessaires à la construction de routes en Asie sont colossales. Chantier en Inde. 58 La Vie économique 11 / 2015 DOSSIER Secteur/sous-secteur Asie de l’Est et du Sud-Est Asie du Sud Asie centrale Pacifique Total Électricité 3182,46 653,67 167,16 – 4003,29 Transports 1593,87 1196,12 104,48 4,41 2898,87 Aéroports 57,73 5,07 1,41 0,10 64,31 215,20 36,08 5,38 – 256,65 16,14 12,78 6,03 0,00 34,95 Routes 1304,80 1142,20 91,65 4,31 2542,97 Télécommunications 524,75 435,62 78,62 1,11 1040,10 Réseau fixe 142,91 6,46 4,45 0,05 153,87 Téléphonie mobile 339,05 415,87 71,97 0,95 827,84 Réseau à large bande 42,78 13,29 2,21 0,11 58,39 Eau et assainissement 171,25 85,09 23,40 0,51 280,24 Eau 58,37 46,12 8,60 0,14 113,22 Assainissement 112,88 38,97 14,80 0,36 167,02 5472,33 2370,50 373,66 6,02 8222,50 Ports Chemins de fer Total En milliards d’USD ; par sous-région et sous-secteur. trop protéiformes, ce qui exige des sources et des mécanismes multiples de dotation. Des projets d’infrastructures relevant de secteurs et de configurations sociales, juridiques ou institutionnelles variés appellent différents modes de financement. De nouvelles modalités et institutions de financement des infrastructures sont, dès lors, de mise, étant donné que la capacité des organisations existantes, telles que les banques multilatérales de développement et les agences bilatérales de développement, est limitée par rapport aux énormes besoins d’investissements. Une option serait de créer de nouvelles banques spécialisées dans les infrastructures, à l’image des banques asiatiques de financement qui leur sont consacrées au niveau régional ou sous-régional. Une autre possibilité serait de créer un nouveau fonds asiatique qui serait administré par les banques multilatérales de développement, telles que la Banque asiatique de développement ou le Groupe de la Banque mondiale2. C’est un fait, l’Asie devra investir davantage dans les infrastructures ces prochaines années. En effet, les besoins en matière d’entretien et de remplacement des infrastructures existantes augmentent dans certains petits pays à croissance rapide, tels que le Bangladesh et le Myanmar. Par ailleurs, plusieurs catastrophes naturelles se sont abattues sur ce continent ces dernières années, qu’il s’agisse des graves inondations au Pakistan et au Myanmar, des ouragans aux Philippines, du cyclone au Vanuatu et du tremblement de terre au Népal. Surmonter les effets de telles catastrophes demande un développement croissant des infrastructures. 2 Bhattachryay Biswa Nath (2012), « Modes of Asian Financial Integration : Financing Infrastructure », dans Infrastructure for Asian Connectivity, pp. 349–401, Edward Elgar Publishing. L’AIIB peut jouer un rôle important Les besoins financiers en Asie étant très importants, il y a de la place pour de nouvelles institutions. Cela dit, il est fondamental que les institutions financières régionales, les banques et les agences bilatérales de développement se différencient clairement, tout en se complétant de façon adéquate, afin que les infrastructures se développent efficacement. En juin dernier, la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB) a été élaboréeet dotée d’un capital social autorisé de 100 milliards d’USD. De nouvelles banques multilatérales de développement, à l’instar de l’AIIB, peuvent jouer un rôle clé si elles ont la capacité d’induire efficacement une utilisation plus large des actifs financiers en vue du développement des infrastructures. Elles doivent, par ailleurs, être prêtes à concéder des prêts à taux faible et au moment opportun, no- La Vie économique 11 / 2015 59 BHATTACHARYAY (2010) / ISTOCK / WWW.FLATICON.COM/AUTHORS/VECTORGRAPHIT / LA VIE ÉCONOMIQUE Besoins d’investissements dans les infrastructures en Asie, 2010–2020 BANQUE ASIATIQUE D’INVESTISSEMENT tamment dans les domaines de l’énergie, de la navigation et des ports. Il est important que les mécanismes soient simples et conviviaux, qu’ils fonctionnent sans accroc. Il serait de surcroît essentiel que de nouvelles banques multilatérales de développement collaborent avec les secteurs bancaire et financier pour cofinancer et garantir le financement privé d’investissements. Elles doivent s’efforcer, en finançant des projets régionaux ou transfrontaliers, d’améliorer la connectivité des territoires concernés et donc d’encourager la coopération économique régionale et l’intégration. Unifier les règles pour faciliter les investissements D’une manière générale, les « infrastructures lourdes » – comme l’approvisionnement énergétique et les routes – dominent les discussions. Elles ne peuvent, toutefois, fonctionner efficacement sans « infrastructures légères ». Ces dernières incluent les politiques, réformes, réglementations, systèmes et procédures, connaissances, capacités techniques et institutions propices à une connectivité efficiente des infrastructures et à la promotion d’une croissance inclusive et durable. La connectivité en Asie requiert que l’on soit particulièrement attentif : –– à une coopération efficace entre les différentes agences et parties prenantes ; –– à l’identification et à la hiérarchisation des projets ; –– au développement et à la standardisation des politiques réglementaires et des cadres juridiques appropriés ; –– au renforcement des capacités des pays en développement, notamment dans la conception et la mise en œuvre des projets de partenariats public-privé (PPP) ; 60 La Vie économique 11 / 2015 –– au traitement des questions touchant à la protection sociale et à l’environnement ; –– à la promotion d’une bonne gouvernance permettant un développement des infrastructures qui soit de qualité et présente un bon rapport coût-efficacité ; –– à l’encouragement de la participation du secteur privé et de mécanismes innovants de financement des infrastructures. Les institutions régionales devraient faciliter le développement des « infrastructures légères » par une coordination et une coopération efficaces entre pays asiatiques. Planifier pour plusieurs générations Un autre grand défi à relever est le manque de projets d’infrastructure susceptibles d’être financés par une banque et qui soient économiquement viables. Les projets d’infrastructures s’étalant généralement sur une longue période, il est difficile d’évaluer le retour sur investissement. Il est urgent, dès lors, de concevoir et de développer des projets d’infrastructures « bancables » qui font appel à des instruments pertinents, tels que divers modèles de PPP, des financements à taux préférentiel pour les pays les moins avancés et d’autres approches innovantes. Identifier, prioriser et préparer des projets viables est une tâche souvent ardue et complexe. Des analyses coûts-bénéfices pertinentes s’avèrent indispensables, non seulement pour la génération actuelle, mais aussi pour celles à venir. Il est donc primordial que les banques multilatérales de développement existantes, les nou- velles banques multilatérales de développement, les agences bilatérales de développement, les banques d’investissement, les institutions régionales de coopération et les institutions nationales spécifiques, renforcent leur capacité à identifier et à façonner des projets pertinents. Pour mettre en place des réseaux d’infrastructures efficaces, inclusifs, durables et sûrs, les pays asiatiques doivent renforcer leur cadre juridique et réglementaire et concevoir de nouvelles lois et réglementations. Ils doivent également instituer des organes de surveillance indépendants et efficaces. Pour que des projets transfrontaliers se concrétisent sans souci, il est nécessaire d’harmoniser le cadre réglementaire et juridique ainsi que les systèmes et les procédures. Actuellement, la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement financent des projets au niveau national. Pour les projets régionaux, il faut disposer d’instruments et de mécanismes appropriés lorsque plusieurs pays sont impliqués. Il est par conséquent indispensable de renforcer la coordination, la collaboration et les partenariats entre les institutions régionales pour assurer une connectivité sans faille en Asie. Biswa Nath Bhattacharyay Ancien conseiller à la Banque asiatique de développement (BAD), Manille ; chargé de cours à l’université McGill, Montréal INFRASTRUCTURES Aménagement de l’infrastructure ferroviaire : en avant pour la prochaine étape L’extension du réseau ferroviaire suisse est réglée pour les dix prochaines années. Il faut maintenant s’occuper de la prochaine étape, qui s’achèvera en 2030. Le processus de planification sera fondamentalement renouvelé pour l’occasion. Toni Eder, Christophe Mayor Abrégé En acceptant le projet Faif, les électeurs ont aussi modifié la planification des futurs aménagements de l’infrastructure ferroviaire. À l’avenir, ceux-ci seront définis au cours d’un processus échelonné impliquant tous les partenaires concernés par le trafic régional, les grandes lignes et les convois de marchandises. Ce processus s’inscrit dans une stratégie à long terme et dans le concept global d’aménagement du territoire suisse. Comme il n’est pas possible de financer tous les projets, il faut définir des priorités. C’est sur cette base que travaille l’Office fédéral des transports (OFT) et que sera défini le contenu de l’étape d’aménagement 2030 à présenter au Parlement. adoption par référendum du projet « Financement et aménagement de l’infrastructure ferroviaire » (Faif) a permis de créer un fonds d’infrastructure ferroviaire (FIF) de durée indéterminée, figurant dans la Constitution fédérale1. Ce dernier permet une planification permanente et met à disposition les moyens nécessaires à un aménagement progressif du réseau, conformément à la demande. Parallèlement, les procédures liées à la planification de l’aménagement ont été définies, tandis que les tâches et le rôle de chacune des parties prenantes ont été répartis ou partiellement réaménagés. Le Programme de développement stratégique (Prodes) prévoit une planification par étapes, aménagée selon un processus participatif incluant un ajustage progressif2. Les planifications nationale et régionale seront ainsi harmonisées et les différents acteurs impliqués dès le début des études. La diversité des modes de transport doit être prise en compte de manière appropriée pendant la durée totale des études de planification3. 1 Le texte entrera en vigueur le 1er janvier 2016, conformément à la décision du Conseil fédéral du 2 juin 2014. 2Itération. 3 L’OFT étudie les prochaines étapes depuis l’année dernière. L’aménagement de l’infrastructure ferroviaire est régi par le nouvel art. 48 de la loi fédérale sur les chemins de fer (LCdF). Celui-ci stipule que les infrastructures évolueront en fonction du Prodes. KEYSTONE L’ L’aménagement s’inscrira dans la stratégie ferroviaire à long terme et se réalisera par étapes. La première – déjà autorisée – correspond à la période qui va jusqu’en 2025 (voir encadré). La suivante (2030) doit faire l’objet d’un message que le Conseil fédéral présentera au Parlement d’ici 2018. Les orientations stratégiques de la planification sont les suivantes : 1. L’aménagement de l’infrastructure table sur la demande prévisible pendant les heures de pointe. La capacité du réseau est augmentée afin d’assurer une exploitation stable ainsi que la maintenance de l’infrastructure et les extensions. L’aménagement des installations d’accueil doit se poursuivre. La Confédération prévoit que le trafic de marchandises croîtra fortement jusqu’en 2030. 2. En trafic grandes lignes (TGL), l’objectif est de gagner en attrait par une densification de l’offre dans des corridors sélectionnés. Les réductions de temps de parcours ne sont pas prioritaires. 3. Dans le transport régional, l’objectif est de gagner en attrait par une densification de l’offre au sein des centres urbains. L’accessibilité des régions touristiques et la desserte de base des zones rurales doivent être assurées. 4. Dans le transport de marchandises, les conditions de production d’une offre attrayante, compétitive et économique seront créées. L’accent doit être mis La Vie économique 11 / 2015 61 INFRASTRUCTURES sur la disponibilité des installations nécessaires, ainsi que sur la capacité et la qualité des sillons en trafic intérieur et en import-export. 2020, le cadre financier de l’étape d’aménagement (EA) 2030 demeure incertain. Il devrait, cependant, évoluer entre 7 et 12 milliards de francs. Pour Faif, le maintien de la qualité de l’infrastructure prime sur l’aménagement de l’infrastructure ferroviaire. Comme les besoins financiers à moyen terme de l’exploitation et du maintien de la qualité ne seront connus qu’après l’élaboration de la convention sur les prestations 2017 à Une planification qui obéit à l’urgence Pour planifier la prochaine étape, il faut d’abord évaluer la demande de trafic à l’horizon 2030. Les besoins sont ensuite analysés en comparant cette estimation Ill. 1. Développement de l’infrastructure ferroviaire à long terme Cologne, Francfort Paris, Dijon Bâle Munich Zurich Saint-Gall Vienne Lucerne Paris, Dijon Berne Lausanne Paris Genève Lugano Milan Milan Milan OFT / LA VIE ÉCONOMIQUE Lyon Cadence 1/4 h trafic longues distances Cadence 1/2 h trafic longues distances Raccordement aux centres économiques européens Axes du trafic marchandises RER avec cadence 1/4 h dans le centre Ill. 2. Les six régions de planification OFT / LA VIE ÉCONOMIQUE S-Bahnen mit Viertelstundentakt im Kernbereich RP Ouest (BE, FR, GE, JU, NE, VD, VS) RP Nord-Ouest (AG, BE, BL, BS, JU, SO) RP Zurich / ZVV RP Centre (LU, NW, OW, SZ, UR, ZG) RP Tessin RP Est (AI, AR, GL, GR, SG, SH, TG) 62 La Vie économique 11 / 2015 aux capacités de transport. Les surcharges sont ainsi identifiées pour chaque tronçon. Les prévisions pour le transport de voyageurs (TV) et de marchandises (TM) se fondent sur des hypothèses régionalisées du développement socioéconomique. Les principaux indicateurs sont la courbe démographique et la croissance économique. La Confédération estime que le trafic de voyageurs et de marchandises augmentera en moyenne de quelque 35 % entre 2012 et 2030. À partir de l’analyse des besoins, les CFF développeront, sur mandat de l’OFT, des projets d’offres pour le TGL et le TM. Les régions de planification feront de même pour le TV. Elles s’engagent, en remettant leurs projets d’offre, à assumer leur part d’indemnité d’exploitation supplémentaire au cas où l’un de leurs projets devrait être retenu par la Confédération. Une fois cette étape franchie, la conception de l’infrastructure peut commencer. Elle repose sur une approche à deux niveaux : le premier consiste à intégrer les projets d’offres TGL, TM et TRV dans le réseau national. Cela permet de déterminer les interactions entre les projets d’offres soumis. Cette réflexion globale débouche sur la formation de modules. Ceux-ci touchent un ou plusieurs corridors ferroviaires et contiennent un ou plusieurs projets d’offres. Suit alors un ajustage entre matériel roulant, infrastructure et offre de prestations afin de trouver la solution optimale. Après les modules, il faut définir les éléments nécessaires à l’évaluation socioéconomique: coûts de l’infrastructure (y. c. amortissement et entretien supplémentaires), coûts et utilité de la nouvelle offre (réduction de la surcharge de trafic ou des temps de parcours, revenus et coûts supplémentaires). Les modules sont ensuite classés par ordre de priorité dont les critères sont : le rapport coût-bénéfice, la possibilité de diminuer la surcharge de trafic, la compatibilité avec les perspectives ferroviaires à long terme et avec celle du Projet de territoire Suisse. Le degré d’urgence 1 contient les projets prioritaires qui sont potentiellement appelés à s’inscrire dans l’EA 2030. La somme des dépenses d’investissement de tous les modules du premier degré d’urgence dépassera vraisemblablement le volume de finances disponible. L’OFT doit donc choisir, sur la base des critères suivants, les modules à inscrire dans le concept global de l’EA 2030 : Paris Lyon INFRASTRUCTURES –– cadre financier ; –– priorité du besoin d’aménagement au sein du premier degré d’urgence ; –– interdépendance fonctionnelle et liée au réseau ; –– rapport avec d’autres programmes d’aménagement ; –– coordination intermodale ; –– principes régissant la politique des transports pour l’EA 2030 ; –– résultats d’études de sensibilité. À l’aune de la croissance économique durable Deux stratégies de la Confédération ont une influence déterminante sur la planification de l’EA 2030 : la stratégie ferroviaire à long terme de l’OFT et le Projet de territoire Suisse de l’Office fédéral du développement territorial (ARE). L’objectif stratégique de l’aménagement ferroviaire est de renforcer l’attrait de la place économique suisse tout en garantissant un caractère durable au développement du territoire, de l’économie et du tourisme. La stratégie ferroviaire à long terme a été élaborée dans cette optique et en coordination avec le Projet de territoire Suisse. L’horizon considéré va au-delà de 2050 et le développement prévu du réseau ferroviaire comprend trois grands objectifs : –– renforcer et compléter le système des nœuds par un horaire cadencé sur tout le territoire ; –– augmenter la fréquence de desserte des gares et étendre les capacités ; –– relever la vitesse de circulation sur certaines lignes4. Les objectifs contenus dans la LCdF en matière de développement de l’infrastructure se basent sur la stratégie ferroviaire à long terme. C’est ainsi que les voyageurs devraient bénéficier de meilleures connections avec des villes européennes comme Paris, Francfort ou Milan (voir illustration 1). 4 La réduction des temps de parcours constitue un objectif à plus long terme. Les aménagements ferroviaires réalisés d’ici là doivent maintenir cette possibilité. La même logique s’adresse aux liaisons entre les villes suisses, qui doivent bénéficier d’améliorations au niveau du trafic régional et d’agglomération. Les régions de montagne et touristiques doivent, enfin, être mieux raccordées. En ce qui concerne le transport de marchandises, il existe plusieurs projets, dont le transfert du trafic lourd transalpin, et diverses améliorations, dont celle de la disponibilité des sillons. L’Office du développement territorial (ARE) a élaboré avec l’OFT un système permettant d’évaluer dans quelle mesure les projets d’offres pour l’EA 2030 s’alignent sur les objectifs du développement territorial. Ce système se compose d’un catalogue de critères qui s’appuie sur les objectifs et les stratégies du Projet de territoire Suisse : –– contribution au maintien de la compétitivité et de la diversité de la Suisse ; –– contribution à une urbanisation ordonnée ; –– contribution à une utilisation parcimonieuse du sol ; Intégrer les parties prenantes Les cantons se sont organisés en six régions de planification (voir illustration 2). Chacune d’elles comporte trois niveaux organisationnels : comité de pilotage, comité de coordination et espace de planification. La Confédération, les cantons et les chemins de fer sont représentés dans chaque instance. La structure ainsi créée permet l’échange d’informations sur l’état d’avancement de la planification entre les institutions responsables. Les branches « logistique » et « transport des marchandises » doivent participer à la planification du TM. Cela implique la création d’un groupe consultatif de suivi comprenant, outre les chargeurs et les entreprises concernées, la Conférence des directeurs cantonaux des transports publics, l’Association suisse des transports routiers (Astag), Economiesuisse et l’EPF Zurich. Les entreprises de chemins de fer disposent d’un grand savoir spécialisé, nécessaire à la planification de l’offre et de l’infrastructure. La Confédération et les Prodes EA 2025 et ZEB Le Parlement a adopté le Prodes EA 2025 avec le projet Faif en juin 2013. Ce programme doit augmenter les capacités des chemins de fer dans les prochaines années. L’EA 2025 est budgétée à 6,4 milliards de francs et se réalisera parallèlement au projet ZEB (développement de l’infra­ structure ferroviaire). Parmi les grands projets, citons l’extension des capacités des tronçons suivants : Lausanne-Genève, Bienne-Neuchâtel, Berne-Thoune, Zurich-Coire, Saint-Gall-Coire et Bellinzona-­Locarnoa. a Plus d’informations sur www.bav.admin.ch cantons peuvent ainsi leur demander de mener des études en matière d’offre. L’OFT est compétent lorsque les projets sont nationaux. C’est lui qui charge les CFF de les élaborer pour les TGL et le TM sur l’ensemble du territoire. Le trafic régional dépend des régions de planification. Ce sont elles qui entament la planification de l’offre et qui mandatent les entreprises de chemin de fer concernées. Pour les études d’infrastructure, l’OFT charge les entreprises de transport d’intégrer les offres de prestations de tous les types de transport et de développer les projets appropriés. Faire preuve de ténacité La planification de l’EA 2030 a engagé tous les participants sur un chemin qui ressemble fort à une première ascension en montagne. Certains passages difficiles requièrent plusieurs tentatives afin de trouver la solution optimale. La réussite ne peut qu’être le fruit d’un travail de longue haleine avec des partenaires solidaires. L’OFT est conscient que le caractère novateur du processus peut engendrer des inquiétudes momentanées, car il exige de chacune des parties concernées qu’elles sortent des sentiers battus. Il est, toutefois, confiant : la voie empruntée mènera à temps à l’objectif de 2018 fixé par le Parlement. La première étape a d’ailleurs été réussie. En novembre 2014, les projets d’offres ont été remis dans les délais impartis et avec la qualité requise. Les prochains jalons sont l’établissement des études d’infrastructure et la définition du concept global d’EA 2030, afin que le projet de message soit mis en consultation en 2017. La décision finale reviendra au Parlement. Toni Eder Sous-directeur et chef de la division Infrastructure de l’Office fédéral des transports (OFT), Ittigen Christophe Mayor Chef de projet Étape d’aménagement 2030 du Programme de développement stratégique (Prodes), section Planification, Office fédéral des transports (OFT), Ittigen La Vie économique 11 / 2015 63 COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT Le Fonds d’investissement suisse au secours des PME Afrique, Asie ou Amérique latine – autant de continents où le secteur privé manque souvent de capital-risque. C’est pour cette raison que le Fonds d’investissement suisse pour les marchés émergents ( Sifem) vient en aide aux petites et moyennes entreprises (PME) locales. Cela permet également d’y créer des emplois stables. Monika Gysin OBVIAM Abrégé Les petites et moyennes entreprises (PME) sont la colonne vertébrale du système économique, en Suisse comme ailleurs. Au niveau mondial, elles représentent plus de 90 % des entreprises et créent un emploi sur deux. Dans les pays en développement ou émergents, elles forment le terreau indispensable à toute croissance durable. Voici dix ans que le Fonds d’investissement suisse pour les marchés émergents (Swiss Investment Fund for Emerging Markets, Sifem) a été mis sur pied, précisément pour aider les PME du Sud et de l’Est à fournir des emplois et ainsi à réduire la pauvreté. Avec l’appui de divers partenaires, le Sifem a investi à ce titre quelque 645 millions de francs qui ont contribué à consolider et à créer 342 000 emplois au total. Une démarche d’autant plus efficace que le retour sur investissement est réinjecté dans de nouveaux projets. Le Sifem ne soutient que les fonds de placement régionaux qui appliquent des normes internationalement reconnues. Une femme travaille dans une société de riz au Cambodge. 64 La Vie économique 11 / 2015 F ort taux de chômage et assèchement de l’emploi des jeunes figurent parmi les principaux éléments déclencheurs du Printemps arabe – une problématique largement répandue dans les pays en développement et émergents. Or, c’est précisément dans ceux-ci que les PME et les entreprises à croissance rapide manquent cruellement d’accès aux crédits, y compris du capital-risque pour consolider leur expansion. Pour elles, trouver un financement tient très souvent du défi, d’autant que les banques locales limitent l’octroi de crédits et exigent généralement des garanties personnelles. C’est ici qu’intervient le Fonds d’investissement suisse pour les marchés émergents (Swiss Investment Fund for Emerging Markets, Sifem). Géré par la société privée Obviam (voir encadré 1), ce fonds investit depuis une dizaine d’années dans les sociétés locales et régionales de capital-risque ou fournit un financement à long terme à des banques, des sociétés de crédit-bail, des institutions de microfinance et d’autres acteurs financiers locaux. Ces organismes peuvent ainsi, à leur tour, proposer du capital-risque ou des prêts à des PME viables dans les pays en développement et émergents. Une telle démarche favorise la création ldemplois dans les pays concernés. L’année passée, environ 100 millions d’USD ont été mis à disposition de treize acteurs financiers. En général, le Sifem investit entre 5 et 15 millions de francs par opération. Les acteurs locaux ciblent des secteurs comme les énergies renouvelables, la construction et la production, l’agriculture et la sylviculture, la formation ou encore la santé. Le Sifem investit presque exclusivement dans les pays prioritaires de la coopération suisse au développement en Amérique latine, en Afrique, en Asie et en Europe de l’Est. À l’inverse des instruments classiques de l’aide au développement, ces investissements doivent générer des revenus financiers appropriés. Ce modèle écono- COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT mique permet de démultiplier l’efficacité des deniers publics alloués à des fins de développement dans la mesure où le retour sur investissement est réinjecté dans de nouveaux projets. Une sélection rigoureuse des partenaires Le Sifem procède à une sélection rigoureuse des acteurs financiers qu’il entend soutenir. Il investit uniquement dans des sociétés de capital-risque qui s’engagent à respecter les normes internationales en matière de responsabilité sociale, d’écologie et de gouvernance. Toutes les PME qui leur sont affiliées s’engagent aussi à appliquer ces normes. Ces entreprises doivent donc se conformer aux directives en matière de protection de l’environnement et exploiter les ressources dans le respect du développement durable. Par rapport aux critères sociaux, elles doivent, entre autres, respecter les horaires de travail réglementaires, assurer une rémunération convenable aux travailleurs et garantir des conditions de travail décentes en ce qui concerne la protection de la santé et la prévention des accidents (voir encadré 2 pour une étude de cas). Le Sifem a établi une liste d’exclusion qui interdit par exemple toute aide aux entreprises produisant des armes ou du matériel de guerre, ainsi qu’à toutes celles qui recourent au travail forcé ou emploient des enfants. Le Sifem subordonne par ailleurs son aide à la condition que le marché ne propose pas d’autres filières de financement ou que ces dernières appliquent des conditions prohibitives (montants insuffisants ou échéances trop courtes). Dans de nombreux cas, le Sifem complète sa mise de fonds par des capitaux additionnels émanant d’investisseurs privés ou institutionnels. Conseil sur place Le Sifem ne propose pas seulement des financements, mais conseille et soutient également les sociétés d’investissement locales : en effet, les gestionnaires du fonds suisse sont en contact permanent avec ces acteurs et se rendent régulièrement sur place pour apprécier la situation. Ils aident à structurer la stratégie d’investissement, observent les processus suivis en la matière et pointent les éventuelles faiblesses. Ils formulent aussi des recommandations concernant le profil des nouveaux membres de l’équipe. Par ailleurs, le Sifem dispose très souvent d’un siège au comité consultatif de ces sociétés, ce qui lui permet de prendre part aux discussions stratégiques. 342 000 Nombre total d’emplois consolidés ou créés par le Sifem et ses partenaires. 645 Somme des investissements (millions de francs ) opérés dans plus de soixante pays. 417 Nombre de sociétés (fonds d’investissement, institutions de capital-risque) affiliées au portefeuille à fin 2014 Une étude d’impact indépendante a attribué de bonnes notes au Sifem en 20131. Les gestionnaires de fonds interrogés dans les pays en développement ont salué le travail de leurs collègues suisses, mettant en exergue les conseils prodigués qui leur ont permis d’accroître les actifs de leurs fonds. Le Sifem et les responsables des fonds locaux soutiennent les petites entreprises affiliées à leur portefeuille en apportant le capital nécessaire à leur croissance. Ils les conseillent, par ailleurs, dans le développement de nouvelles technologies, l’amé1 Dalberg Global Development Advisors, The Development Effects of SIFEM’s Investment Interventions, 2013. lioration de la production, l’approche marketing, la vente et le service après-vente, ainsi que la mise en œuvre des normes en matière de responsabilité sociale, d’écologie et de gouvernance. Une société d’investissement établie au Cambodge a par exemple élaboré, avec l’aide d’experts externes, un système de gestion de la sécurité, y compris un plan d’évacuation en cas d’incendie pour une école. Parmi les PME bénéficiant du soutien du Sifem, nombreuses sont celles qui assument pleinement leur responsabilité sociale. En Ouganda, par exemple, une société pharmaceutique octroie plusieurs bourses à des étudiants en pharmacie afin de promouvoir la formation de spécialistes. En Côte d’Ivoire, une usine de caoutchouc propose aux agriculteurs des cours de plantation durable. Succès des investissements indirects Comme la plupart des sociétés de financement du développement, le Sifem suit un modèle d’investissement indirect : il s’appuie sur des fonds d’investissement à fort ancrage régional, qui maîtrisent parfaitement l’environnement économique, législatif et culturel. Cette approche permet à la fois d’identifier les possibilités de développement des PME et de suivre les investissements en cours. Une présence locale directe du Sifem engendrerait des surcoûts bien trop importants pour la Confédération. La démarche choisie permet aussi une meilleure diversification du portefeuille. Le Sifem mise sur ses investissements non seulement pour dégager un rendement convenable, mais aussi pour générer un impact durable sur le développement à long terme. Depuis 2006, le fonds applique un système de notation2 pour évaluer l’incidence des projets en termes de développement : il s’agit de calculer no2 Le système de notation Sifem est basé sur le système GPR (Geschäftspolitische Projektrating) développé par la Société allemande d’investissement et de développement (DEG). Encadré 1. Des subsides fédéraux gérés par une société d’investissement privée La Confédération est propriétaire du Fonds d’investissement suisse pour les marchés émergents (Sifem). Les droits d’actionnaire de cette société anonyme de droit privé sont exercés par le Conseil fédéral, qui fixe les objectifs stratégiques du Sifem tous les quatre ans. Composé de sept personnes, le conseil d’administration est responsable de la mise en œuvre des objectifs stratégiques et du rapport aux organes parlementaires de surveillance. Il statue également sur les dossiers d’investissement qui dépendent de réglementations publiques. La direction et la gestion du portefeuille ont été externalisées auprès du consultant bernois Obviam, avec l’accord du Conseil fédéral. Sur mandat de la Confédération, le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) entretient des contacts étroits avec le conseil d’administration du Sifem et Obviam. Il mène régulièrement des audits d’assurance-qualité et des revues de portefeuille. Diverses directives de contrôle et de gestion des risques ainsi qu’une surveillance à plusieurs niveaux permettent de garantir que le Sifem remplisse entièrement sa mission et que la manne fédérale soit affectée à bon escient. La Vie économique 11 / 2015 65 COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT Encadré 2. Développement d’une chaîne de cafés au Laos grâce au capital-risque Au Laos, la chaîne «Joma Café and Bakery» offre des emplois aux personnes marginalisées : réfugiés, mères célibataires, victimes de violences domestiques, etc. Cela leur permet de vivre décemment et de se développer en suivant des cours de formation continue. KEYSTONE La chaîne Joma gère dix cafés au Laos, au Cambodge et au Vietnam. Elle emploie plus de 500 personnes. Cette expansion a été notamment facilitée grâce au Sifem, qui refinance le « Cambodia-Laos Development Fund », un fonds de capital-risque axé sur la croissance. Ces investissements permettent à Joma de poursuivre son développement. Le fonds soutient principalement les projets domiciliés dans les pays prioritaires pour la coopération suisse au développement. Acheteurs de tomates au Guatemala. tamment le nombre d’emplois consolidés ou créés, le montant des impôts versés à l’État par les sociétés d’investissement et les entreprises affiliées à leur portefeuille, les possibilités de formation et de perfectionnement proposées aux travailleurs, l’évolution des entreprises locales affiliées ou encore la mobilisation de ressources supplémentaires pour les sociétés régionales d’investissement. Chaque investissement est précédé d’une analyse d’impact prédictive sur le 66 La Vie économique 11 / 2015 développement. Pendant toute la durée de l’investissement, l’impact réel est mesuré tous les deux ans et comparé aux objectifs préalablement fixés. Les responsables peuvent ainsi vérifier l’impact de l’investissement par rapport aux effets escomptés. Dans tous les cas, la question essentielle est de savoir si et dans quelle mesure l’investissement a eu des répercussions sur l’économie locale et la qualité de vie de la population. Les progrès obtenus le confirment : le Sifem est un instrument de développement dont l’efficacité n’est plus à prouver. La précarité des finances publiques dans de nombreux pays obligera à l’ave- Situé dans le Sud-Est asiatique, le Laos est l’un des pays les moins développés du monde. L’État contrôle fortement l’économie, les infrastructures sont insuffisantes et les travailleurs sont peu qualifiés. L’économie est essentiellement dominée par l’agriculture qui occupe les trois quarts de la population, alors que l’expansion des PME pâtit des entraves réglementaires, de l’assèchement des capitaux ainsi que du manque de savoir-faire en matière de gestion. nir le secteur privé à jouer un rôle décisif dans le développement durable de ces États. Monika Gysin Chargée de communication auprès de la société de conseils en investissements Obviam, Berne MARCHÉ DU TRAVAIL Les conventions collectives de travail dont le champ d’application est étendu En juillet 2015, il y avait 77 conventions collectives de travail dans toute la Suisse. L’année passée, cinq CCT nouvellement négociées ont été étendues. Un an auparavant, elles étaient au nombre de treize. Edi Natale E KEYSTONE ntre le 1er juillet 2014 et le 1er juillet 2015, à la demande des associations contractantes, le Conseil fédéral a étendu le champ d’application de 28 conventions collectives de travail (CCT) au niveau fédéral. Dans la même période, 22 CCT ont été étendues au niveau cantonal, ce qui a été approuvé par le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR). Dans cinq « décisions de base » (trois nationales, deux cantonales), il s’est agi d’étendre le champ d’application de CCT nouvellement négociées. Dans 47 autres décisions (25 nationales, 22 cantonales), il s’est agi de proroger, remettre en vigueur ou de modifier des conventions. Au 1er juillet 2015, quarante CCT nationales étendues et 37 CCT cantonales étendues étaient en vigueur. Les premières touchent au total 70 450 employeurs et 658 120 travailleurs, les secondes 8795 employeurs et 64 658 travailleurs. Les CCT étendues les plus importantes concernent les hôtels, restaurants et cafés ainsi que le secteur principal de la construction. Elles intéressent à elles seules quelque 34 260 employeurs et 291 070 travailleurs. L’année dernière, le champ d’application de 28 conventions collectives de travail a été étendu au niveau fédéral. La CCT dans la branche suisse de l’enveloppe des édifices en fait partie. Décisions fédérales et cantonales (état au 1er juillet 2015)1 Arrêtés du Conseil fédéral Objet de l’arrêté Entré en vigueur Valable jusqu’au CCT romande du second œuvre (menuiserie, plâtrerie et peinture, revêtement de sols) 01.04.2013 31.12.2016 CCRA pour la retraite anticipée dans le second œuvre romand 01.07.2004 31.12.2016 GAV für Branchen des Ausbaugewerbes in den Kantonen Basel-Landschaft, Basel-Stadt und Solothurn 01.10.2010 31.12.2016 GAV für das Basler Ausbaugewerbe 01.01.2014 31.12.2017 GAV für Autogewerbe Ostschweiz 01.11.2013 30.06.2017 CN pour le secteur principal de la construction 01.02.2013 31.12.2015 CCT pour la retraite anticipée dans le secteur principal de la construction 01.07.2003 31.12.2016 CCT pour l’industrie suisse des produits en béton 01.08.2008 31.12.2016 CCT de l’industrie suisse de la carrosserie 01.03.2014 31.12.2017 1 La liste exhaustive est mise à jour chaque mois. Elle se trouve sur le site Internet du Seco. La Vie économique 11 / 2015 67 MARCHÉ DU TRAVAIL CCT des coiffeurs 01.06.2010 31.12.2016 GAV für Decken- und Innenausbausysteme 01.06.2009 31.12.2017 CCT de la branche suisse de l’installation électrique et de l’installation de télécommunication 01.12.2014 30.06.2019 CCT dans la branche suisse de l’enveloppe des édifices 01.10.2014 31.12.2018 CCT Modèle de préretraite dans la branche suisse de l’enveloppe des édifices 01.03.2015 31.12.2018 GAV für das Gärtnergewerbe in den Kantonen Basel-Stadt und Basel-Landschaft 01.03.2015 31.12.2015 CCNT pour les hôtels, restaurants et cafés 01.01.1999 31.12.2017 CCT dans la branche suisse des techniques du bâtiment 01.02.2014 30.06.2018 CCT pour la construction de voies ferrées 01.03.2012 31.12.2015 CCT pour les échafaudeurs suisses 01.08.2013 31.03.2017 CCT pour la retraite anticipée des monteurs d’échafaudages 01.08.2009 31.12.2016 GAV für das Holzbaugewerbe 01.06.2013 31.12.2015 CCT pour le secteur suisse de l’isolation 01.04.2015 30.06.2017 CCT pour l’industrie de la plâtrerie et de la peinture 01.01.2013 31.03.2016 CCT perfectionnement professionnel dans la peinture/plâtrerie 01.01.2002 31.12.2017 CCT dans l’industrie suisse du marbre et du granit 01.01.2013 31.12.2015 CCT pour la retraite anticipée dans l’industrie suisse du marbre et du granit 01.08.2008 30.06.2017 CCNT pour l’artisanat du métal 01.07.2014 30.06.2019 CCT pour la boucherie-charcuterie suisse 01.09.2008 31.12.2017 CCT de l’industrie du meuble 01.10.2013 31.12.2015 CCT de la branche du travail temporaire 01.01.2012 31.12.2015 CCT pour le carrelage des cantons d’Argovie, Berne, Glaris, Lucerne, Nidwald, Obwald, Soleure, Schwytz, Uri, Zoug et Zurich 01.10.2013 31.03.2017 CCT du secteur du nettoyage pour la Suisse romande 01.04.2014 31.12.2018 GAV für das Reinigungsgewerbe in der Deutschschweiz (für Betriebe mit mindestens 6 Arbeitnehmenden) 01.04.2007 31.12.2015 GAV für die Reinigungsbranche in der Deutschschweiz (erleichterte AVE) (für Betriebe mit bis zu 6 Arbeitnehmenden) 01.01.2012 31.12.2015 CCT romande du nettoyage industriel des textiles 01.12.2013 31.12.2016 CCT pour la branche privée de la sécurité 01.07.2014 31.12.2016 CCT pour la menuiserie 01.06.2012 31.12.2016 CCT pour la menuiserie (perfectionnement professionnel et protection de la santé) 01.06.2009 31.12.2016 CCT pour les tuileries-briqueteries suisses 01.10.2013 30.06.2016 CCT pour des laboratoires de prothèse dentaire 01.04.2010 31.12.2015 Entré en vigueur Valable jusqu’au GAV für das Dach- und Wandgewerbe 01.07.2013 31.12.2016 GAV für Gipsergewerbe Baselland 01.07.2013 31.12.2016 GAV für Malergewerbe 01.07.2013 31.12.2016 GAV für das Schlosser-, Metall-, Landmaschinen-, Schmiede- und Stahlbaugewerbe (Metallgewerbe) 01.02.2006 31.12.2016 01.01.2010 31.12.2015 CCT des professionnels de l’automobile 01.07.2013 31.12.2016 CCT pour le personnel de vente des magasins de stations-service 01.03.2013 31.12.2016 Arrêtés cantonaux approuvés par le DEFR Objet de l’arrêté Bâle-Campagne Bâle-Ville GAV für das Gipsergewerbe Basel-Stadt Fribourg 68 La Vie économique 11 / 2015 MARCHÉ DU TRAVAIL Genève CCT cadre dans le commerce de détail (selon procédure facilitée) 01.03.2008 31.01.2018 CCT pour les métiers de la métallurgie du bâtiment 01.02.2011 31.12.2015 RA pour les métiers de la métallurgie du bâtiment 01.09.2013 31.12.2016 CCT du secteur des bureaux d’ingénieurs de la construction et des techniques du bâtiment 01.01.2012 31.12.2015 CCT parcs et jardins, des pepinières et de l’arboriculture (facilité) 01.05.2015 31.12.2015 CCT pour les travailleurs de l’industrie des garages 01.06.2015 31.12.2018 01.04.2014 31.12.2016 01.01.2011 31.12.2015 CCL per i disegnatori 01.12.2009 30.06.2016 CCL Giardinieri 01.01.2008 30.06.2016 CCL Personale delle autorimesse 01.08.2013 30.06.2016 CCL nel ramo delle vetrerie 01.05.2014 30.06.2016 CCL per i dipendenti delle imprese forestali 01.10.2013 30.06.2016 CCT introduisant un régime de préretraite Retaval 01.02.2010 31.12.2017 CCT de la retraite anticipée pour les travailleur du secteur principal de la construction et du carrelage Retabat 01.07.2011 31.12.2016 GAV der Walliser Waldwirtschaft 01.03.2015 30.06.2018 GAV für das Metallbaugewerbe des Kantons Wallis 01.12.2014 31.05.2018 CCT dans le carrelage 01.12.2007 31.12.2015 GAV des entreprises de parc, jardin et paysagisme 01.06.2011 01.04.2016 CCT de la tuyauterie industrielle 01.07.2011 31.12.2015 GAV der Gebäudetechnik und der Gebäudehülle des Kantons Wallis 01.11.2013 31.05.2016 CCT du commerce de détail de la ville de Lausanne 01.02.2014 31.12.2017 CCT des bureaux d’ingénieurs géomètres vaudois 01.01.2015 31.12.2015 CCT des métiers de la pierre 01.01.2015 31.12.2016 CCT des garages 01.03.2007 31.12.2015 CCT dans le commerce de détail de la ville de Nyon 01.06.2012 31.12.2016 CCT ferblanterie, couverture et installation sanitaire chauffage, climatisation et ventilation 01.12.2012 31.12.2015 01.07.2015 31.03.2017 Neuchâtel CCT neuchâteloise du commerce de détail Saint-Gall GAV für Tankstellenshops Tessin Valais Vaud Zurich GAV für das Gipsergewerbe der Stadt Zürich Edi Natale Secteur Conventions collectives et observation du marché du travail, Secrétariat d’État à l’économie (Seco), Berne La Vie économique 11 / 2015 69 CHIFFRES-CLÉS Vers une industrie en col blanc Le franc fort pousse l’industrie suisse à faire front. Si elle y parvient, c’est parce qu’elle délaisse les activités de fabrication pour se spécialiser dans certains services à haute valeur ajoutée. 130 000 Évolution de la valeur ajoutée réelle par actif occupé dans l’industrie, en USD 120 000 Suisse 110 000 100 000 États-Unis 90 000 80 000 Japon Grande-Bretagne OCDE 70 000 Allemagne 60 000 Le franc fort n’empêche pas notre industrie d’être extrêmement compétitive. La Suisse occupe même la première place en termes de valeur ajoutée réelle par actif occupé, depuis dix ans. Elle pourrait, en autre, accroître son avance par rapport aux autres États de l’OCDE. 50 000 5 .– 19 91 19 92 19 93 19 94 19 95 19 96 19 97 19 98 19 99 20 00 20 01 20 02 20 03 20 04 20 05 20 06 20 07 20 08 20 09 20 10 20 11 20 12 20 13 19 90 40 000 –28 % 1.– 73 24 % 54 % Logistique et direction Analyse, programmation et opération 144 % Expertise, conseil et attestation 92 % Recherche et développement Transport de personnes, de marchandises et messagerie 70 99 0 27 6 50 16 150 19 0 60 14 58 0 Fabrication et usinage de produits 34 % Réglage, service et entretien de machines 0 18 13 90 33 4 19 910 0 44 23 4 Nombre d’actifs occupés dans certaines activités de l’industrie suisse en 2010 70 La Vie économique 11 / 2015 40 % Définition des objectifs et des stratégies en entreprise INDICATEURS DU DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE / ENQUÊTE SUISSE SUR LA STRUCTURE DES SALAIRES (ESS) / SHUTTERSTOCK / LA VIE ÉCONOMIQUE 13 % Construction –14 % 64 77 .– 58 28 .– 56 41 .– 57 03 .– 63 .– 89 11. – 93 0 93 0 1.– Évolution de l’emploi dans certaines activités industrielles, 1996–2010 Salaire moyen mensuel en 2010 14 90 Les entreprises industrielles suisses sont très compétitives, parce qu’elles se sont spécialisées dans des tâches à haute valeur ajoutée. C’est ainsi que la recherche et le développement, le conseil et la programmation se sont fortement développés entre 1992 et 2010. D’autres activités classiques ont, par contre, reculé : c’est, par exemple, le cas de la fabrication et de l’usinage de produits. Le secteur industriel présente une forme de « désindustrialisation interne ». Cette transition favorise l’augmentation des salaires. Indicateurs économiques Cette page rassemble le produit intérieur brut, le taux de chômage et l’inflation de huit pays, de l’UE et de l’OCDE. Les séries statistiques concernant ces indicateurs sont disponibles sur le site de la revue: www.lavieeconomique.ch. Produit intérieur brut : variation réelle par rapport à l’année précédente, en % Produit intérieur brut : variation réelle par rapport au trimestre précédent, en %1 2014 3/2014 4/2014 1/2015 Suisse 2,0 Suisse 0,6 0,7 –0,2 2/2015 0,2 Allemagne 1,6 Allemagne 0,2 0,6 0,3 0,4 France 0,2 France 0,2 0,1 0,7 0,0 Italie –0,4 Italie –0,1 0,0 0,4 0,3 Royaume-Uni 3,0 Royaume-Uni 0,7 0,8 0,4 0,7 UE 1,3 UE 0,3 0,4 0,4 0,4 États-Unis 2,4 États-Unis 1,1 0,5 0,2 0,9 Japon –0,1 Japon –0,3 0,3 1,1 –0,4 Chine 7,4 Chine 1,9 1,5 1,3 –1,7 OCDE 1,9 OCDE 0,6 0,5 0,5 0.4 Produit intérieur brut : en USD par habitant, 2014 (PPP2) Taux de chômage3 : en % de la population active, moyenne annuelle 2014 Taux de chômage3 : en % de la population active, valeur trimestrielle 2014 2/2015 Suisse 57 744 Suisse 4,5 Suisse Allemagne 44 788 Allemagne 5,0 Allemagne 4,7 France 38 870 France 10,3 France 10,2 Italie 35 067 Italie 12,7 Italie 12,5 Royaume-Uni 39 225 Royaume-Uni 6.2 Royaume-Uni UE 36 175 UE 10,2 UE 9,6 États-Unis 54 640 États-Unis 6,2 États-Unis 5,4 Japon 36 485 Japon 3,6 Japon 3,3 Chine – Chine – Chine – OCDE 38 902 OCDE 7,4 OCDE 6,9 Inflation : variation par rapport au même mois de l’année précédente, en % 2014 Août 2015 0,0 Suisse –1,4 0,9 Allemagne 0,2 France 0,5 France 0,0 Italie 0,2 Italie 0,2 Royaume-Uni 1,5 Royaume-Uni 0,0 UE 0,6 UE 0,0 1,6 États-Unis 0,2 Japon 2,7 Japon 0,2 Chine 2,0 Chine –1,4 OCDE 1,7 OCDE 0,6 Suisse Allemagne États-Unis – 1 Données corrigées des variations saisonnières et du nombre de jours ouvrables. 2 Parité de pouvoir d’achat. 3 Suivant l’Organisation internationale du travail (OIT). SECO, OFS, OCDE Inflation : variation par rapport à l’année ­précédente, en % 4,2 www.lavieeconomique.ch d Chiffres-clés La Vie économique 11 / 2015 71 HUMOUR 72 La Vie économique 11/2015 DANS LE PROCHAIN NUMÉRO ee année N° 6/2016 5 /2015 sFr. Frs.12.– 12.– 88.88 Jahrgang Nr. 7/2015 La économique DieVie Volkswirtschaft Plattformdefür Wirtschaftspolitik Plateforme politique économique L’ÉVÉNEMENT La Suisse et l’Union européenne : un bilan L’Union européenne, forte de ses 28 membres, est le principal partenaire de la Suisse. Les raisons en sont certes géographiques et culturelles, mais aussi politiques et économiques. Les relations commerciales sont intenses : en 2014, plus de la moitié des exportations suisses se dirigeaient vers l’UE et près des deux tiers des importations en provenaient. Les accords bilatéraux sont au cœur de ces relations. Il leur faut maintenant franchir deux étapes importantes : l’initiative contre l’immigration de masse, qui attend d’être appliquée, et les négociations sur les questions institutionnelles. L’événement du mois prochain fera un bilan de la situation. Bilan des entretiens avec la Commission européenne Marin Good, Direction des affaires européennes, DFAE, Berne L’importance des accords institutionnels avec l’UE Astrid Epiney, université de Fribourg La coopération transfrontière renforce l’intégration économique Martin Eichler et Kai Gramke, BAK Basel Analyse des bilatérales I Larissa Müller et Timothey Nussbaumer, Secrétariat d’État à l‘économie, Berne Dans dix ans, quelle sera la place de la Suisse vis-à-vis de l’UE ? Josef Renggli, Mission de la Suisse auprès de l’Union européenne, Bruxelles Entretien Avec Günter Verheugen, université européenne Viadrina, Francfort