Grèce : un troisième plan de sauvetage tout aussi irréaliste que

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Grèce : un troisième plan de sauvetage
tout aussi irréaliste que les précédents
PAR MARTINE ORANGE
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 12 AOÛT 2015
Le gouvernement grec et les créanciers ont abouti à
un projet, mardi 11 août. Celui-ci semble présenter
des conditions moins draconiennes. Dans les faits, les
objectifs semblent tout aussi inatteignables que lors
des plans précédents, les créanciers fermant les yeux
sur l’effondrement économique de la Grèce depuis la
fermeture des banques et le contrôle des capitaux.
Un pays comme un business unit. Un pays sans
histoire, sans géographie, sans société, sans loi, sans
politique. Un pays comme une simple unité de
production, hors du temps et de toute contingence.
Telle est la première impression qui se dégage à
la lecture du projet d’accord du troisième plan de
sauvetage de la Grèce, annoncé le 11 août, tant la
liste des exigences, des postulats se conforme à tous
les préceptes gestionnaires convenus, sans tirer la
moindre leçon des échecs passés, des circonstances
actuelles.
Ce projet pourtant est censé sauver la Grèce pour
la troisième fois depuis 2010. Négocié dans la plus
grande discrétion entre le gouvernement grec et les
représentants du quadrige FMI, BCE, Commission
européenne, et désormais Mécanisme européen de
stabilité –, il entend concrétiser l’accord européen
obtenu à l’arraché le 12 juillet et permettre le
versement d’une aide de 86 milliards d’euros sur trois
ans à Athènes. Une première tranche, dont le montant
reste encore en discussion, devant normalement être
versée très rapidement afin de permettre à la Grèce
d’honorer l’échéance de 3,2 milliards d’euros dus à la
BCE le 20 août.
© Reuters
«L’accord est fait. Il reste deux ou trois détails à
négocier», annonçait le ministre grec des finances,
Euclide Tsakalotos, après une nuit de négociations.
«Un accord de principe a été arrêté sur des bases
techniques», a confirmé une porte-parole de la
Commission européenne. Avant d’ajouter : « La
prochaine étape, maintenant, c’est une évaluation
politique. »
Pressé par les échéances, le gouvernement grec entend
présenter le projet au Parlement dès le 13 août. Un
test attendu par les observateurs, avides de savoir
si le premier ministre Alexis Tsipras a encore une
majorité, si Syriza parvient encore à conserver ou non
son unité. Dès cette séance parlementaire, ou peut-être
dans la foulée, une nouvelle liste de réformes devrait
être adoptée par le Parlement. Les créanciers en font
un préalable à tout déblocage des fonds du plan de
sauvetage.
Une première salve de «réformes structurelles », selon
le jargon du moment, a été votée dès juillet. En vrac, le
Parlement a adopté la hausse de la TVA portée à 23%,
la réforme des retraites, les changements de législation
pour les procédures civiles, les nouvelles modalités de
sauvetage des banques, la libéralisation de l’électricité,
la libéralisation du marché du lait et des boulangeries.
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Les responsables européens ont inscrit une liste
de trente-cinq mesures supplémentaires, jugées
prioritaires et à adopter dès cette semaine. Une liste
surréaliste l’essentiel est mêlé à l’accessoire,
le dogmatisme prend souvent le pas sur le
pragmatisme. Au mépris du principe même de la loi,
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les parlementaires grecs sont donc priés de voter dans
le même texte : la création d’un fonds souverain de
50 milliards d’euros, destiné à recevoir les entreprises
à privatiser et dont le produit servirait à recapitaliser
les banques, un dispositif législatif pour les mauvaises
créances bancaires, l’augmentation d’une taxe de
solidarité portée de 6 à 8% pour les revenus au-dessus
de 50000 euros, l’accélération des perceptions fiscales
perçues à l’avance pour les petits commerçants, la
fin des niches fiscales accordées aux agriculteurs,
une révision du système de protection sociale afin
d’économiser 0,5% de PIB par an, la fin progressive
des préretraites, la fin des allègements de TVA pour
les îles, la libéralisation du marché du gaz, la baisse du
prix des médicaments génériques, etc.
En complément de ces mesures supposées redonner
une compétitivité à l’économie grecque, les
créanciers ont fixé de nouveaux objectifs budgétaires
au gouvernement grec. Accusés par nombre
d’économistes de travailler sur des chiffres irréalistes
toutes les prévisions depuis 2010 ont été erronées–, les
négociateurs ont voulu montrer qu’ils avaient retenu
la critique. Au lieu d’inscrire un surplus budgétaire
correspondant à 1% du PIB dès cette année, comme
ils l’exigeaient lors des discussions en juin, ils ont
pris en compte, disent-ils, la dégradation économique
actuelle. Selon leurs estimations, l’économie grecque
devrait être en récession, en accusant une chute de
l’ordre de 2,1% à 2,3% du PIB cette année.
Le plan prévoit donc pour 2015 un déficit budgétaire
primaire (avant remboursement de la dette) de 0,25%
du PIB. Mais dès l’année prochaine, les finances
publiques devraient à nouveau afficher un excédent
primaire de 0,5% du PIB, puis de 1,75% en 2017,
et de 3,5% en 2018, sans qu’aucune indication n’ait
été donnée sur l’évolution de la dette, son éventuelle
restructuration. Les créanciers ont décidé de renvoyer
cette question essentielle à plus tard, le temps de voir
si la Grèce se conforme bien à tous les préceptes
imposés.
Catastrophe économique
Le gouvernement grec affirme que cette révision
des objectifs va se traduire par une diminution de
l’austérité de l’ordre de 11 points de PIB. « Totalement
faux. On fait comme si le nouvel accord abaissait
les objectifs budgétaires. Ce qui se passe est que
les créanciers et le gouvernement grec ont réalisé
que l’économie grecque était en récession et que les
objectifs d’excédents budgétaires précédents étaient
ridicules. Mais en fait, rien n’a changé. Les mesures
et la politique qui a échoué depuis cinq ans sont
les mêmes. L’austérité continue », a dénoncé Costas
Lapavistas, député de Syriza, devenu l'une des figures
de l’opposition du parti depuis l’accord du 12 juillet,
après la publication du projet d’accord.
Les premières analyses, faites par les milieux
bancaires, ne sont pas loin de celles du député grec.
« Le plan de sauvetage grec est construit sur des
prévisions fantaisistes : ces prévisions optimistes
suggèrent que le plan ne peut pas durer longtemps »,
annonce l’économiste allemand Holger Zchaeptiz.
« Irréaliste », dit de son côté l’analyste Jonathan
Loynes, de Capital economics. «Le plan repose sur des
prévisions économiques et pour les finances publiques
qui sont hautement fantaisistes. Des études récentes
montrent que l’impact du contrôle des capitaux sur
l’économie a été catastrophique, avec des niveaux
d’effondrement de l’activité bien supérieurs à ce qui
avait été vu en 2010-2011 quand l’économie s’était
contractée de 9%. Bien sûr, cette extrême faiblesse
peut s’achever quand les contrôles (sur les capitaux)
seront levés. Mais il n’apparaît pas qu’ils vont l’être
prochainement. Et même s’ils le sont, le PIB pourrait
chuter bien plus que les 2,1% à 2,3% prévus. Nous
nous attendons à une contraction de 4 points de PIB
ou pire.»
Même si quelques premiers chiffres, comme l’indice
d'activité, illustrent l’ampleur de la chute, personne n’a
encore pris la mesure du choc sur l’économie grecque,
provoqué délibérément par l’Union européenne et
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la BCE, lorsqu’ils ont imposé en juin la fermeture
des banques et le contrôle des capitaux. La Grèce
est désormais coupée de tout le système monétaire
européen (target 2), de tout système monétaire
international, privée d’une partie du système de
paiement. Elle vit en autarcie monétaire, déconnectée
de tout, même si l’euro reste la monnaie fiduciaire.
Alors que peut-on libéraliser ou privatiser dans ces
conditions, sauf à accepter cyniquement un pillage ?
Les conséquences de cet isolement sont
catastrophiques. Les entreprises ne peuvent ni
importer ni se faire par leurs exportations, sauf à passer
par des systèmes parallèles. À l’exception du tourisme,
l’activité s’est effondrée. De plus en plus de salariés
travaillent à mi-temps, voire au quart de temps et
souvent ne sont plus payés depuis des mois. Les biens
de première nécessité comme les médicaments sont
rationnés.
Les 50 milliards d’euros que les Grecs ont retirés
des banques ces derniers mois permettent sans doute
d’amortir un peu le choc dans un premier temps et de
maintenir une économie tout est payé en liquide.
Mais plus le temps passe, plus la situation empire. Des
reportages parlent de l’apparition d’une économie de
troc. Dans le nord du pays, certains ont adopté le lev,
la monnaie bulgare. Toute une économie parallèle de
survie semble ainsi en train de se mettre en place, qu’il
risque d’être difficile de contenir.
L’effondrement économique alimente la dégradation
du système bancaire. Les mauvaises créances
grossissent à vue d’œil dans les bilans bancaires, au
fur et à mesure que les faillites s’accélèrent. Selon
les estimations des négociateurs, celles-ci s’élèvent
à 92 milliards d’euros. Une remise sur pied au
moins partielle du système bancaire grec, sujet qui
n’existait pas jusqu’en juin, est devenue prioritaire
pour les créanciers. Une recapitalisation d’une dizaine
de milliards d’euros est jugée urgente, avant même que
la BCE n’ait établi un bilan de santé complet, prévu
pour octobre.
Face à cet écroulement économique, toutes les
projections du plan de sauvetage paraissent tenir
du plan sur la comète. Que peuvent faire alors les
responsables européens ? Vont-ils à nouveau faire
semblant, voter l’aide et les programmes, tout en
sachant qu’ils sont irréalistes?
Une nouvelle réunion de l’Eurogroupe doit se tenir
vendredi 13 août pour étudier le projet. Même si le ton
se veut plus diplomatique, l’Allemagne, soutenue par
la Finlande et la Slovaquie, n’a pas changé de ligne.
Elle est toujours sur celle défendue par son ministre
des finances, Wolfgang Schäuble.
«Il importe que ce plan soit une base pour les années
à venir et pas seulement pour les mois à venir. La
croissance et des conditions attractives et sûres pour
attirer les investissements doivent être l’objectif », a
déclaré le président de la commission des finances du
parlement, Jens Spahn, en réaction à la publication du
projet d’accord. Pour lui, mieux vaut prendre le temps
d’examiner le plan à fond, de l’amender si nécessaire
plutôt que de se précipiter, laissant entendre que la
convocation du Bundestag qui doit donner son accord
à toute aide ne sera pas pour le 18 août, comme l’espère
le gouvernement grec. En attendant, le parlementaire
suggère de reprendre le schéma suggéré par Wolfgang
Schaüble : accorder un crédit-relais à Athènes pour lui
permettre de payer la BCE le 20 août. Une façon de
ménager les apparences avant une sortie de la Grèce
de la zone euro, souhaitée par Berlin. À ce stade
d’effondrement économique, alors que la Grèce est
totalement coupée du reste de l’Europe, celle-ci est
peut-être non inévitable mais aussi souhaitable, plutôt
que s’acharner dans une austérité sans sens ni raison.
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