1 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr avec la puissante CSU bavaroise, qui vient de se lancer dans une campagne critique contre les immigrés « profiteurs » d'Europe de l'Est. Si personne ne s'attend à de grands bouleversements, la chancelière pourrait tout de même avoir les coudées plus franches, sur la scène intérieure, pour défendre ses convictions européennes. Devant les élus du Bundestag le 18 décembre, elle a ainsi déclaré que « si les bases juridiques ne suffisent pas, il faut faire évoluer les traités ». Cette position n'est pas nouvelle, et Berlin réclame depuis plusieurs années une « union politique » qui viendrait compléter l'union monétaire de la zone euro. Mais cela faisait longtemps que Berlin ne l'avait pas exprimée aussi clairement, en partie pour ne pas gêner son partenaire français, allergique à toute renégociation des traités européens à court terme. Berlin souhaite une zone euro plus intégrée PAR LUDOVIC LAMANT ARTICLE PUBLIÉ LE SAMEDI 4 JANVIER 2014 Sur mediapart.fr, un objet graphique est disponible à cet endroit. À leurs yeux, la crise de la zone euro est loin d'être réglée: des économistes et juristes allemands montent au créneau, partisans d'une nouvelle étape dans l'intégration européenne. Angela Merkel ellemême veut de nouveaux traités. Quitte à passer sous silence un autre débat : les déséquilibres de la première économie de l'UE, et leurs dégâts sur le continent. De notre envoyé spécial à Bruxelles On s'attendait à ce que la chancelière allemande mène le bal, lors du conseil européen de décembre, forte de son indiscutable réélection quelques semaines plus tôt. À ce que l'on n'entende qu'elle autour de la table, comme d'habitude. Mais l'« impératrice » de l'Europe, comme la surnomment certains, s'est trouvée bien isolée, le 19 décembre au soir, au moment d'aborder le sulfureux dossier des « contrats », hypothétiques piliers d'une zone euro plus intégrée. Berlin réfléchit, depuis bientôt deux ans, à des « arrangements contractuels » qui lieraient les capitales entre elles, afin de renforcer la coordination des politiques (lire notre article). Ce soir-là, ce sont des alliés traditionnels d'Angela Merkel qui ont bruyamment exprimé leur désaccord, inquiets de voir les marges de manœuvre des exécutifs nationaux un peu plus rognées. À commencer par le conservateur néerlandais Mark Rutte, mais aussi l'Espagnol Mariano Rajoy. Toute décision a été reportée, non pas à juin, comme on s'y attendait en ouverture du sommet, mais à octobre 2014, preuve que l'affaire est très loin de faire consensus au sein des 28 (lire la page 1 des conclusions). L'insistance de Berlin sur ce dossier délicat s'inscrit dans un paysage nouveau côté allemand. Pour son troisième mandat de chancelière, Angela Merkel n'est plus en coalition avec les libéraux du FDP, devenus eurosceptiques au fil de la crise, mais avec des sociaux-démocrates du SPD, a priori plus allants sur les questions européennes. Elle doit aussi faire Angela Merkel le 19 décembre à Bruxelles, en conversation avec l'Italien Enrico Letta. © Conseil européen. Quelques semaines plus tôt, alors que les négociations s'ouvraient à Berlin pour la formation d'une « grande coalition », un collectif d'économistes, juristes et politologues, certains proches du SPD ou de la CDU, a lancé une initiative pour relancer l'intégration de la zone euro. À l'origine de leur démarche, une conviction : la crise de la zone euro est loin d'être réglée, et les mesures prises jusqu'à présent ne suffisent pas. Eux aussi plaident pour de nouveaux traités, à l'échelle de la zone euro. « L'impression qui domine en Allemagne, c'est que la crise est sous contrôle. Pour la majorité des gens, il suffit que certains États en Europe fassent des réformes structurelles importantes, et les choses finiront par s'améliorer. La crise n'est pas vécue comme problématique pour l'Allemagne », explique Guntram Wolff, un économiste à la tête du groupe de réflexion bruxellois Bruegel. Il est l'un des onze 1/3 2 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr « Pas de remise en cause du modèle allemand » Le manifeste de Glienicke convainc surtout lorsqu'il essaie de faire le lien entre la crise des dettes souveraines d'un côté, et la crise politique que traverse l'Union de l'autre. Ces universitaires sont persuadés que les mêmes maux sont à l'œuvre, lorsque la commission de José Manuel Barroso peine à trouver la réponse au durcissement du régime hongrois, et lorsque les capitales refusent de répondre par la solidarité aux secousses de la zone euro et à l'effondrement de la Grèce. Une manière bienvenue d'élargir le débat sur « la crise » de l'UE. Ils articulent donc leurs propositions économiques avec une « défense effective de l'État de droit », reprenant au passage l'idée, déjà formulée par des eurodéputés l'an dernier, de mécanismes de sanction véritablement effectifs à l'égard de capitales qui ne respecteraient plus les règles communes. En vrac, ils se prononcent aussi pour un siège commun au sein du FMI ou du conseil de sécurité de l'ONU. Si l'initiative a suscité l'intérêt d'élus français à Strasbourg et d'autres experts français, qui travaillent à une adaptation du texte d'ici la fin janvier pour l'Hexagone, le débat, côté allemand, est jusqu'à présent resté limité. La réponse la plus remarquée est venue de Hans-Werner Sinn, poids lourd du débat économique outre-Rhin, auteur d'une tribune plutôt partagée dans Die Zeit en novembre. Joint par Mediapart, Till Van Treeck, professeur d'économie à l'université de Duisbourg-Essen, et signataire du manifeste des « économistes atterrés » en 2010, se montre quant à lui assez sceptique sur la démarche. « À mes yeux, le texte souffre d'abord d'une absence : il n'y a pas une critique claire des politiques d'austérité engagées en Europe », estimet-il. Les auteurs du manifeste jugent qu'il était « juste de durcir (les) règles d'endettement avec le pacte budgétaire et le semestre européen », se limitant à critiquer la procédure en place : « Encore faut-il que les réglementations ainsi obtenues soient remplacées par une procédure dégraissée et plus démocratique. » experts qui forment le « groupe de Glienicke », en référence à une ville allemande située dans le Brandebourg, où ils se sont retrouvés à la fin de l'été. Dans une tribune publiée par le quotidien Die Zeit, les universitaires dressent un tableau inquiétant : « Aucune des crises qui sous-tendent celle de l'euro n'est résolue, ni de près ni de loin (…). Le problème de la dette souveraine ne fait que s'aggraver. Les banques minées par les actifs toxiques handicapent le secteur privé. Dans les pays en crise, toute une génération a été privée de ses chances de réussite. Le spectre politique de ces États se radicalise. La volonté de trouver des solutions communes à la zone euro chute rapidement » (lire la traduction en français du « manifeste » sur le site de la fondation Notre Europe). Et de résumer leur position : « Nous avons affaire à des problèmes structurels, qui exigent une réponse structurelle. Même si cette analyse n'est pas en vogue, nous sommes convaincus que l'union économique et monétaire a besoin d'une intégration plus poussée. » Le temps presse et les élections européennes de mai 2014, assurent-ils, « ne doivent pas être une excuse pour retarder la réponse aux problèmes structurels de la zone euro ». Que proposent-ils ? Une union bancaire « robuste » pour mieux superviser les établissements financiers, assortie de stress tests crédibles (lire notre article sur l'union bancaire), une assurance chômage au sein de la zone euro, qui assurerait des transferts sociaux entre pays riches et pays pauvres, ou encore davantage de mobilité des travailleurs. Ils plaident aussi pour un nouveau traité entre les membres de l'eurozone, qui créerait un budget spécifique pour cette région, et un parlement de l'euro qui lui serait adossé. Brillante contribution pour une sortie de crise durable, ou énième projet utopique d'experts en apesanteur, insensibles à l'exaspération de nombre de citoyens qui se refusent à un nouveau « saut fédéral » ? La question est plus complexe, et l'on sait que la nécessité d'un véritable fédéralisme européen divise, y compris chez les économistes critiques (lire notre article). [[lire_aussi]] 2/3 3 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr Till Van Treeck poursuit : « Le manifeste propose de faciliter la mobilité des travailleurs, pour que davantage de travailleurs d'Europe du Sud viennent travailler en Allemagne. Sur le principe, je ne suis pas contre un marché de l'emploi plus intégré, mais je ne crois pas que ce soit la priorité : il faut d'abord freiner les politiques d'austérité dans les pays du Sud, pour faire baisser le taux de chômage en Espagne ou en Italie. » Dernière difficulté, aux yeux de cet économiste critique : « Le texte ne contient pas vraiment de remise en cause du modèle allemand orienté vers les exportations. Or, c'est le débat le plus important, et le plus urgent, qu'il faut mener en Allemagne ces jours-ci », estime-t-il, avant de conclure : « Pour moi, ce texte illustre surtout l'incapacité des sociaux-démocrates du SPD à formuler une critique radicale contre le modèle actuel. » Le groupe de Glienicke, dont la sensibilité politique est proche de la grande coalition au pouvoir, se serait-il trompé de débat ? L'urgence, à très court terme, seraitelle plutôt de débattre des « déséquilibres macroéconomiques » de l'économie allemande ? Depuis la fin octobre, le Trésor américain, puis le FMI et enfin la Commission européenne, ont tour à tour dit leur inquiétude sur l'économie allemande. Obsédée par son volume d'exportations, l'Allemagne néglige sa demande intérieure, et accumule des excédents commerciaux colossaux (plus de 6 % de son PIB depuis 2007), en particulier grâce au dynamisme des pays émergents. Or, si les ménages allemands consommaient davantage – des biens européens en particulier –, cela reviendrait à soutenir, en douceur, l'ensemble des économies de l'Union. L'Allemagne « peut faire plus pour aider à rééquilibrer l'économie européenne », avait déclaré José Manuel Barroso, le patron de la commission, à l'automne. En résumé : suffit-il de relever les salaires allemands, pour sauver l'Europe ? L'entreprise s'annoncerait plus simple qu'une renégociation des traités européens, forcément plus hasardeuse et lointaine. D'autant que la coalition CDU-CSU-SPD s'est déjà engagée sur la mise en place – lointaine – d'un salaire minimum dans le pays. À moins que les deux débats – architecture d'une zone euro plus performante, relance des économies d'Europe du Sud – ne puissent être menés de front. Du côté de Berlin, on fait valoir que l'Allemagne ne commerce pas seulement avec le reste de la zone euro, mais bien avec le monde entier : il serait donc crucial pour la première économie de l'UE de maintenir coûte que coûte ses niveaux de compétitivité. Mais c'est bien là toute la question : Berlin pourrait-elle, comme l'y incitait récemment une économiste du CEPII, commercialiser davantage avec l'Europe, et moins avec la Chine ? La discussion n'était pas à l'ordre du jour du dernier conseil européen de décembre. Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Capital social : 32 137,60€. Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des publications et agences de presse : 1214Y90071. Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Gérard Cicurel, Laurent Mauduit, Edwy Plenel (Président), Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Gérard Desportes, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, Société des Amis de Mediapart. 3/3 Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris Courriel : [email protected] Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08 Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90 Propriétaire, éditeur, imprimeur et prestataire des services proposés : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions simplifiée au capital de 32 137,60€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS, dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris. Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart peut être contacté par courriel à l’adresse : [email protected]. Vous pouvez également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012 Paris.