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Berlin souhaite une zone euro plus intégrée
PAR LUDOVIC LAMANT
ARTICLE PUBLIÉ LE SAMEDI 4 JANVIER 2014
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À leurs yeux, la crise de la zone euro est loin
d'être réglée: des économistes et juristes allemands
montent au créneau, partisans d'une nouvelle étape
dans l'intégration européenne. Angela Merkel elle-
même veut de nouveaux traités. Quitte à passer sous
silence un autre débat : les déséquilibres de la première
économie de l'UE, et leurs dégâts sur le continent.
De notre envoyé spécial à Bruxelles
On s'attendait à ce que la chancelière allemande mène
le bal, lors du conseil européen de décembre, forte
de son indiscutable réélection quelques semaines plus
tôt. À ce que l'on n'entende qu'elle autour de la table,
comme d'habitude. Mais l'« impératrice » de l'Europe,
comme la surnomment certains, s'est trouvée bien
isolée, le 19 décembre au soir, au moment d'aborder
le sulfureux dossier des « contrats », hypothétiques
piliers d'une zone euro plus intégrée.
Berlin réfléchit, depuis bientôt deux ans, à des
« arrangements contractuels » qui lieraient les
capitales entre elles, afin de renforcer la coordination
des politiques (lire notre article). Ce soir-là, ce
sont des alliés traditionnels d'Angela Merkel qui
ont bruyamment exprimé leur désaccord, inquiets
de voir les marges de manœuvre des exécutifs
nationaux un peu plus rognées. À commencer par
le conservateur néerlandais Mark Rutte, mais aussi
l'Espagnol Mariano Rajoy. Toute décision a été
reportée, non pas à juin, comme on s'y attendait en
ouverture du sommet, mais à octobre 2014, preuve que
l'affaire est très loin de faire consensus au sein des 28
(lire la page 1 des conclusions).
L'insistance de Berlin sur ce dossier délicat s'inscrit
dans un paysage nouveau côté allemand. Pour son
troisième mandat de chancelière, Angela Merkel n'est
plus en coalition avec les libéraux du FDP, devenus
eurosceptiques au fil de la crise, mais avec des
sociaux-démocrates du SPD, a priori plus allants
sur les questions européennes. Elle doit aussi faire
avec la puissante CSU bavaroise, qui vient de
se lancer dans une campagne critique contre les
immigrés « profiteurs » d'Europe de l'Est.
Si personne ne s'attend à de grands bouleversements,
la chancelière pourrait tout de même avoir les coudées
plus franches, sur la scène intérieure, pour défendre
ses convictions européennes. Devant les élus du
Bundestag le 18 décembre, elle a ainsi déclaré que
« si les bases juridiques ne suffisent pas, il faut faire
évoluer les traités ». Cette position n'est pas nouvelle,
et Berlin réclame depuis plusieurs années une « union
politique » qui viendrait compléter l'union monétaire
de la zone euro. Mais cela faisait longtemps que Berlin
ne l'avait pas exprimée aussi clairement, en partie pour
ne pas gêner son partenaire français, allergique à toute
renégociation des traités européens à court terme.
Angela Merkel le 19 décembre à Bruxelles, en conversation
avec l'Italien Enrico Letta. © Conseil européen.
Quelques semaines plus tôt, alors que les négociations
s'ouvraient à Berlin pour la formation d'une « grande
coalition », un collectif d'économistes, juristes et
politologues, certains proches du SPD ou de la CDU,
a lancé une initiative pour relancer l'intégration de
la zone euro. À l'origine de leur démarche, une
conviction : la crise de la zone euro est loin d'être
réglée, et les mesures prises jusqu'à présent ne
suffisent pas. Eux aussi plaident pour de nouveaux
traités, à l'échelle de la zone euro.
« L'impression qui domine en Allemagne, c'est que
la crise est sous contrôle. Pour la majorité des
gens, il suffit que certains États en Europe fassent
des réformes structurelles importantes, et les choses
finiront par s'améliorer. La crise n'est pas vécue
comme problématique pour l'Allemagne », explique
Guntram Wolff, un économiste à la tête du groupe
de réflexion bruxellois Bruegel. Il est l'un des onze
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experts qui forment le « groupe de Glienicke »,
en référence à une ville allemande située dans le
Brandebourg, où ils se sont retrouvés à la fin de l'été.
Dans une tribune publiée par le quotidien Die Zeit,
les universitaires dressent un tableau inquiétant : «
Aucune des crises qui sous-tendent celle de l'euro n'est
résolue, ni de près ni de loin (…). Le problème de la
dette souveraine ne fait que s'aggraver. Les banques
minées par les actifs toxiques handicapent le secteur
privé. Dans les pays en crise, toute une génération
a été privée de ses chances de réussite. Le spectre
politique de ces États se radicalise. La volonté de
trouver des solutions communes à la zone euro chute
rapidement » (lire la traduction en français du «
manifeste » sur le site de la fondation Notre Europe).
Et de résumer leur position : « Nous avons affaire
à des problèmes structurels, qui exigent une réponse
structurelle. Même si cette analyse n'est pas en vogue,
nous sommes convaincus que l'union économique et
monétaire a besoin d'une intégration plus poussée. »
Le temps presse et les élections européennes de mai
2014, assurent-ils, « ne doivent pas être une excuse
pour retarder la réponse aux problèmes structurels de
la zone euro ».
Que proposent-ils ? Une union bancaire « robuste »
pour mieux superviser les établissements financiers,
assortie de stress tests crédibles (lire notre article sur
l'union bancaire), une assurance chômage au sein de
la zone euro, qui assurerait des transferts sociaux entre
pays riches et pays pauvres, ou encore davantage de
mobilité des travailleurs. Ils plaident aussi pour un
nouveau traité entre les membres de l'eurozone, qui
créerait un budget spécifique pour cette région, et un
parlement de l'euro qui lui serait adossé.
Brillante contribution pour une sortie de crise durable,
ou énième projet utopique d'experts en apesanteur,
insensibles à l'exaspération de nombre de citoyens qui
se refusent à un nouveau « saut fédéral » ? La question
est plus complexe, et l'on sait que la nécessité d'un
véritable fédéralisme européen divise, y compris chez
les économistes critiques (lire notre article).
« Pas de remise en cause du modèle
allemand »
Le manifeste de Glienicke convainc surtout lorsqu'il
essaie de faire le lien entre la crise des dettes
souveraines d'un côté, et la crise politique que traverse
l'Union de l'autre. Ces universitaires sont persuadés
que les mêmes maux sont à l'œuvre, lorsque la
commission de José Manuel Barroso peine à trouver
la réponse au durcissement du régime hongrois,
et lorsque les capitales refusent de répondre par
la solidarité aux secousses de la zone euro et à
l'effondrement de la Grèce. Une manière bienvenue
d'élargir le débat sur « la crise » de l'UE.
Ils articulent donc leurs propositions économiques
avec une « défense effective de l'État de droit »,
reprenant au passage l'idée, déjà formulée par des
eurodéputés l'an dernier, de mécanismes de sanction
véritablement effectifs à l'égard de capitales qui ne
respecteraient plus les règles communes. En vrac, ils
se prononcent aussi pour un siège commun au sein du
FMI ou du conseil de sécurité de l'ONU.
Si l'initiative a suscité l'intérêt d'élus français à
Strasbourg et d'autres experts français, qui travaillent
à une adaptation du texte d'ici la fin janvier pour
l'Hexagone, le débat, côté allemand, est jusqu'à présent
resté limité. La réponse la plus remarquée est venue de
Hans-Werner Sinn, poids lourd du débat économique
outre-Rhin, auteur d'une tribune plutôt partagée dans
Die Zeit en novembre.
Joint par Mediapart, Till Van Treeck, professeur
d'économie à l'université de Duisbourg-Essen, et
signataire du manifeste des « économistes atterrés
» en 2010, se montre quant à lui assez sceptique sur
la démarche. « À mes yeux, le texte souffre d'abord
d'une absence : il n'y a pas une critique claire des
politiques d'austérité engagées en Europe », estime-
t-il. Les auteurs du manifeste jugent qu'il était « juste
de durcir (les) règles d'endettement avec le pacte
budgétaire et le semestre européen », se limitant à
critiquer la procédure en place : « Encore faut-il que
les réglementations ainsi obtenues soient remplacées
par une procédure dégraissée et plus démocratique. »
[[lire_aussi]]
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Till Van Treeck poursuit : « Le manifeste propose
de faciliter la mobilité des travailleurs, pour que
davantage de travailleurs d'Europe du Sud viennent
travailler en Allemagne. Sur le principe, je ne suis pas
contre un marché de l'emploi plus intégré, mais je ne
crois pas que ce soit la priorité : il faut d'abord freiner
les politiques d'austérité dans les pays du Sud, pour
faire baisser le taux de chômage en Espagne ou en
Italie. »
Dernière difficulté, aux yeux de cet économiste
critique : « Le texte ne contient pas vraiment de
remise en cause du modèle allemand orienté vers les
exportations. Or, c'est le débat le plus important, et le
plus urgent, qu'il faut mener en Allemagne ces jours-ci
», estime-t-il, avant de conclure : « Pour moi, ce texte
illustre surtout l'incapacité des sociaux-démocrates du
SPD à formuler une critique radicale contre le modèle
actuel. »
Le groupe de Glienicke, dont la sensibilité politique
est proche de la grande coalition au pouvoir, se serait-il
trompé de débat ? L'urgence, à très court terme, serait-
elle plutôt de débattre des « déséquilibres macro-
économiques » de l'économie allemande ? Depuis la
fin octobre, le Trésor américain, puis le FMI et
enfin la Commission européenne, ont tour à tour
dit leur inquiétude sur l'économie allemande. Obsédée
par son volume d'exportations, l'Allemagne néglige
sa demande intérieure, et accumule des excédents
commerciaux colossaux (plus de 6 % de son PIB
depuis 2007), en particulier grâce au dynamisme
des pays émergents. Or, si les ménages allemands
consommaient davantage des biens européens en
particulier –, cela reviendrait à soutenir, en douceur,
l'ensemble des économies de l'Union.
L'Allemagne « peut faire plus pour aider à
rééquilibrer l'économie européenne », avait déclaré
José Manuel Barroso, le patron de la commission,
à l'automne. En résumé : suffit-il de relever les
salaires allemands, pour sauver l'Europe ? L'entreprise
s'annoncerait plus simple qu'une renégociation des
traités européens, forcément plus hasardeuse et
lointaine. D'autant que la coalition CDU-CSU-SPD
s'est déjà engagée sur la mise en place lointaine
d'un salaire minimum dans le pays. À moins que
les deux débats architecture d'une zone euro plus
performante, relance des économies d'Europe du Sud
ne puissent être menés de front.
Du côté de Berlin, on fait valoir que l'Allemagne ne
commerce pas seulement avec le reste de la zone euro,
mais bien avec le monde entier : il serait donc crucial
pour la première économie de l'UE de maintenir coûte
que coûte ses niveaux de compétitivité. Mais c'est
bien là toute la question : Berlin pourrait-elle, comme
l'y incitait récemment une économiste du CEPII,
commercialiser davantage avec l'Europe, et moins
avec la Chine ? La discussion n'était pas à l'ordre du
jour du dernier conseil européen de décembre.
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