L`intussusception joussienne est-elle une dialectique

BONGO-PASI MOKE SANGOL, pp. 257-273 (16)
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Par
BONGO-PASI MOKE SANGOL Willy
INTRODUCTION
L’Anthropologie du Geste de Marcel Jousse a une lecture plurielle.
Plusieurs auteurs ont proposé d’elle une lecture philosophique et
épistémologique. (1) En tant qu’épistémologie, elle tire sa source d’un
concept nouveau mis en évidence et en lumière par Marcel Jousse :
l’intussusception. Dans cette étude, ce terme sera analysé
philosophiquement cadrant avec la théorie de la connaissance. Que faire
pour confirmer cette assertion ? Il nous faut recourir à la dialectique.
L’intussusception est-elle une dialectique ? L’examen de ce concept en tant
qu’objet d’une dialectique est suscité par deux études, celles de Maurice
Houis et de Claude Pairault.
Maurice Houis, dans un article intitulé « Une lecture introductive à
l’Anthropologie du Geste de Marcel Jousse » (1978) et Claude Pairault dans une
étude intitulée « Le prophète Marcel Jousse » (1983) élucident de manière fort
simple et satisfaisante l’enchaînement et la portée des lois anthropologiques
fondamentales sous la forme d’une dialectique. Cette étude reprend avec
plus de détails sur la dialectique, notre article, « Dialectique de
l’intussusception chez Marcel Jousse et élaboration d’une anthropologie
épistémique », (in Marcel Jousse : un’estetica fisiologica, a cura di Antonello
Colimberti, Napoli, Edizioni Scientifische Italiane, 2005, pp. 69-120).
Le schéma de Maurice Houis se base uniquement sur l’Anthropologie
du Geste. Celui de Claude Pairault améliore sa moitié droite en décrivant les
lois anthropologiques à partir de toute l’œuvre de l’auteur. Nous proposons
Professeur à lUniversité de Kinshasa, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Département de
Philosophie.
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dans notre thèse (1996) et dans cette étude, une nouvelle version de ce
schéma en complétant les deux premiers, en le plaçant dans une perspective
philosophique afin de résoudre le problème de la connaissance. On peut
donc parler d’une dialectique de l’intussusception.
Avant d’aborder cette dialectique de l’intussusception, il nous semble
utile de présenter brièvement l’auteur de l’Anthropologie du Geste et ce
que nous entendons par dialectique.
I. LIMINAIRES
I.1. MARCEL JOUSSE
Marcel Jousse, savant polyglotte, philosophe, anthropologue et
théologien, est le 21 septembre 1886 dans la région rurale et orale de la
Sarthe au Sud-Ouest de Paris. Il y retournera pour mourir le 14 août 1961.
(2)
Sa thèse sur le style oral, publiée en 1924, suscita un intérêt énorme et
eut un grand retentissement en Europe continentale. Cette première
publication avait un titre provocateur : Le style oral rythmique et
mnémotechnique chez les Verbo-moteurs. (3) Elle incluait toute la
recherche sur l’homme et avait pour objectif de reconstituer et de
réhabiliter l’homme. D’où le titre de toute la collection qu’il créa sur
l’anthropologie du geste. Immédiatement après la publication de cet
ouvrage, Marcel Jousse fut chaleureusement reçu à Rome et à Louvain. Il
fut invité à enseigner le cours d'Anthropologie du langage à l'Institut
Pontifical Biblique et à l’Université de Louvain. (4) Il anima de nombreux
enseignements et conférences – débats dans différentes universités, mettant
en exergue des idées d’une grande originalité. (5) Quarante ans après son
temps, toutes ces idées ont répandu une grande lumière auprès des auteurs
contemporains de toutes les disciplines. (6)
Marcel Jousse était un chercheur, un enseignant de talent. C’est un
homme concret, se disant être paysan et sachant allier la théorie à la
pratique. (7). Grâce au paysanisme, Marcel Jousse retourne à l'Anthropos,
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c’est-à-dire à l’homme primitif et non contaminé par l’abstraction
algébrosée. (8) Le concept d’un tel homme original et originel est une
prémisse anthropologique constitutive de l'axe principale de sa pensée.
Pour atteindre cet homme principiel, Marcel Jousse s’astreint à une quête
permanente des lois psychophysiologiques permanentes et universelles.
En élaborant en 1924 son Anthropologie du Geste, Marcel Jousse n’avait
jamais imaginé à quel point cette pensée serait percutante pour notre
époque. Cette étude a pour objectif d'ouvrir les différentes pistes de
recherche sur l'anthropologie joussienne. Il s’agit de prouver l’universalité
de l’homme et d’éviter son particularisme. Nous soutenons que
l’anthropologie de Marcel Jousse est une méthodologie et une
épistémologie qui expliquent d’une façon récurrente le passage de
l’ethnique vers l’anthropologique et du multiple diversifié vers l’un unifié.
Marcel Jousse doit être présenté comme le défenseur de l’humain dans
l’homme et comme le champion de l’homme universel et non ethnique. Il
scrute dans l’anthropos ce qui unifie l’homme et non ce qui le divise et le
particularise.
I.2. LA DIALECTIQUE
La dialectique, en philosophie, est avant tout une méthode de
recherche de la vérité par la juxtaposition de thèses opposées.
Placée au centre de nombreuses doctrines, la dialectique n’a ni le même
sens ni la même fonction chez Platon, Hegel ou Marx. Du grec dialektikê,
plus précisément de dia (« rapport » ou « échange »), legein (« parler ») et
tekhnê (« art » ou « technique »), le mot semble renvoyer à l’art ou à la
technique qui permet d’échanger des idées à partir de positions différentes
et de cerner une question, de la traverser de part en part en cherchant à
dépasser les contradictions. Le concept dialectique a une longue histoire qui
peut nous aider à mieux comprendre l’intussusception comme dialectique.
De prime abord, introduisant comme principes explicatifs le conflit,
la contrariété et la contradiction, d’une part, et le devenir, d’autre part,
Héraclite ouvrit la voie au dépassement de ces oppositions qui pouvait dès
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lors déboucher sur un accord. Telle est l’interprétation proposée par Hegel
de la pensée de ce philosophe présocratique, qu’il considérait dans les
Leçons d’histoire de la philosophie (1820) comme le premier promoteur de
l’idée de dialectique, même si le terme n’apparaît pas dans les écrits
d’Héraclite.
Pour sa part, Aristote désigna Zénon d’Élée comme l’inventeur de la
dialectique, dans la mesure l’auteur des célèbres paradoxes s’était
confronté aux contradictions liées au mouvement et à la multiplicité.
Avec Socrate, la dialectique devint l’art du dialogue et de la discussion : le
dialecticien était «celui qui savait interroger et répondre » (Platon, Cratyle).
En conséquence, le dialogue socratique était dialectique, de même que
l’activité de penser, dans la mesure elle était définie comme une
«conversation de l’âme avec elle-même », cette dernière « s’adressant
questions et réponses » (Platon, Théétète).
Platon, qui prolongea la réflexion de son maître sur cette notion,
conçut d’abord la dialectique comme l’art de diviser les choses en genres et
en espèces pour mieux les étudier, en discuter et « ne point juger la même
une nature qui est autre » (Sophiste). La dialectique permettait de passer de
l’apparence et du sensible aux idées et de façon ultime à l’idée du Bien,
principe absolu et transcendant. Elle représentait donc la source de la vraie
connaissance, par opposition à l’opinion et à la connaissance sensible,
considérée comme illusoire. Supposée anhypothétique -allant au-delà des
hypothèses-, elle constituait la voie royale pour accéder à l’intelligible et, par
là même, à la vocation de la philosophie.
Après ces moments de bonheur pour la dialectique, celle-ci fut
fortement critiquée. En effet, ne partageant pas la théorie platonicienne des
Idées, Aristote ne garda de la dialectique que la technique de raisonnement.
Des stoïciens aux philosophes du Moyen Âge, la dialectique resta confinée
à un rôle non pas ontologique mais seulement logique.
C’est la dialectique enseignée par la scolastique que connut Descartes au
cours de ses études et c’est elle qu’il critiqua radicalement comme l’art de
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parler sans « clarté et distinction » en donnant l’illusion que l’on possède un
savoir fondé (Discours de la méthode).
Le mot « dialectique » possède chez Kant un double sens : l’illusion
qu’il faut critiquer et l’étude allant de pair avec la critique de cette illusion.
Cette seconde dialectique est « transcendantale ». Hegel remit la dialectique
au centre de sa philosophie et la considérait comme la marche de la pensée
selon sa propre logique, ce mouvement de la pensée correspondant à celui
de l’Être même. Hegel soutenait que «le réel est rationnel et le rationnel est
réel », car la dialectique est « la vraie nature propre des déterminations de
l’entendement, des choses et d’une manière nérale de l’infini »
(Encyclopédie des sciences philosophiques, 1830).
Dans la Postface à la deuxième édition du Capital, Marx affirma que
sa méthode dialectique était le « contraire direct » de la dialectique
hégélienne. En effet, voulant substituer à l’idéalisme le matérialisme, Marx
dut « renverser » la dialectique de Hegel, c’est-à-dire mettre la matière à la
place de l’idée. La structure du mouvement dialectique restait la même,
mais elle n’était plus « la tête en bas » chez Marx, qui proclamait qu’il fallait
la « renverser pour découvrir dans la gangue mystique le noyau rationnel ».
La dialectique est présente dans l’épistémologie, comme en
témoignent les œuvres de Gaston Bachelard et du mathématicien suisse
Ferdinand Gonseth (1890-1975), qui insistèrent sur la dialectique de la
théorie et de l’expérience, des mathématiques et de la physique, du maître et
du disciple, etc. Des membres de l’école de Francfort à Jean-Paul Sartre, de
nombreux philosophes contemporains s’inscrivirent dans la même lignée de
la pensée dialectique. En théologie, Karl Barth et Jean Daniélou affirment
que la connaissance de Dieu est dialectique, dans la mesure où elle est tissée
de contradictions.
Dans le point suivant, cette étude examinera en quoi
l’intussusception est une dialectique et son apport en tant que moyen de la
connaissance humaine.
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