Article RGDM - ORBi

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Lenouveaurégimebelge
d’indemnisationdesdommages
résultantdesoinsdesanté
Gilles GENICOT
Avocat au barreau de Liège,
maître de conférences à l’université de Liège *
I. – LES LIGNES DE FORCE DU NOUVEAU SYSTÈME D’INDEMNISATION
A. – Champ d’application et dommage indemnisé
B. – Système général élaboré par la loi du 31 mars 2010
C. – Le fonctionnement du nouveau système d’indemnisation
II. – LES CONSÉQUENCES ET LES LIMITES DU NOUVEAU SYSTÈME D’INDEMNISATION
A. – Cohérence du système avec les droits du patient
B. – Indemnisation des dommages et maîtrise corporelle
En Belgique, la problématique des accidents thérapeutiques est depuis longtemps, comme elle l’a été durant plusieurs années en France, aussi irritante pour
les théoriciens et praticiens du droit médical qu’elle est douloureuse et souvent
injuste pour les patients qui en sont victimes. Il s’agit en particulier (mais pas
seulement) des infections nosocomiales 1, qui sont, d’une part, absentes lors de
l’admission à l’hôpital et, d’autre part et surtout, indépendantes des soins prodi-
* Courriel : [email protected].
1. Que l’on s’accorde à définir comme les infections acquises au cours du séjour à l’hôpital, en
tenant compte d’un délai d’incubation généralement admis de quarante-huit heures (tribunal de
première instance de Liège, 7 janvier 2002, Revue générale des assurances et de la responsabilité
[RGAR], 2002, n° 13.573 ; M. VANDERWECKENE, « Les infections nosocomiales : une simple question
d’hygiène hospitalière ? », RGAR, 2002, n° 13.568).
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SOMMAIRE
LE NOUVEAU RÉGIME BELGE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES RÉSULTANT DE SOINS DE SANTÉ
gués et de l’affection pour le traitement de laquelle l’hospitalisation a eu lieu. On
sait que, quelles que soient l’ampleur et la rigueur des mesures d’asepsie et de
désinfection mises en place, le taux d’infections nosocomiales est pour ainsi dire
incompressible, même s’il n’est pas forcément constant. Elles existent de manière
universelle dans toute institution hospitalière et il paraît impossible de les éradiquer, ne fût-ce qu’en raison de leur genèse très certainement multifactorielle et
quasiment toujours impossible à déterminer avec précision. Il est dès lors hardi
de déduire en soi de la survenance d’une telle infection l’existence d’une faute
dans le chef de l’hôpital ou de son personnel ; en conséquence, l’appréhension
de ce type d’infections, et plus généralement de tout accident médical non fautif, au moyen des règles régissant la responsabilité civile médicale, apparaît singulièrement malaisée 2.
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La Cour de cassation belge a au demeurant entrepris, depuis quelques années,
d’affermir, avec une ferme volonté d’orthodoxie, le paysage de la responsabilité
civile, qu’il s’agisse de la charge de la preuve, de l’exigence de certitude causale
ou de la notion de perte d’une chance. Ces rappels à l’ordre ne paraissaient pas
autoriser d’excursions audacieuses en dehors des canevas bien établis et des sentiers battus du raisonnement classique en droit de la responsabilité, dans le but
d’indemniser des dommages exceptionnels dont il n’est pas possible d’identifier
avec précision ni la cause génératrice ni a fortiori son caractère fautif. Dans ce
contexte, la jurisprudence belge est, sur la question des accidents médicaux non
fautifs, sensiblement plus réduite que son homologue française, sans qu’il soit ici
possible de se perdre en conjectures pour tenter d’expliquer cette disparité ; en
conséquence, chacune de ses étapes est soigneusement épinglée par une doctrine attentive 3.
Les auteurs ont du reste pris le relais de juges peu sollicités. Le constat, largement
partagé, qu’il est difficile, sinon impossible, de réparer pareils accidents par le jeu
de la responsabilité civile individuelle a été mis en avant par plusieurs spécialistes
ou groupes de travail belges, depuis une quinzaine d’années 4. Qu’il s’agisse de
2. Sur le droit de la responsabilité médicale en Belgique, v. notre ouvrage de synthèse : G. GENICOT,
Droit médical et biomédical, Bruxelles, Larcier, coll. de la Faculté de droit de l’université de Liège,
2010, p. 263-516 ; sur la prise en compte, dans ce schéma, du risque et sur l’exigence croissante
de sécurité du patient, et sur la problématique spécifique des infections nosocomiales, p. 413-437.
3. Les décisions recensées témoignent du reste de l’irréductible controverse qui parcourt notre
jurisprudence. C’est ainsi que, creusant plus profondément un sillage qu’elles avaient déjà entrepris de dessiner, les juridictions liégeoises font à cet égard œuvre progressiste, tandis que le tribunal
de première instance de Bruxelles s’en tient, pour sa part, à une approche plus classique (v. notre
commentaire : « Infections nosocomiales : la responsabilité médicale au milieu du gué », Jurisprudence de Liège, Mons et Bruxelles [JLMB], 2010, p. 755-761).
4. V. not. Responsabilité et Accidents médicaux, T. VANSWEEVELT (dir.), Anvers, Mys & Breesch, série
Recht en Gezondheidszorg, 1996, spéc. l’article de J.-L. FAGNART, « La réparation des accidents médicaux. Proposition de réforme », p. 53 ; de ce même auteur, v. « La réparation des accidents médicaux. Perspectives d’avenir », in Actualités du droit de la santé, J. CRUYPLANTS et J.-L. FAGNART (dir.),
Bruxelles, Jeune Barreau de Bruxelles, 1999, p. 361 ; v. aussi R.-O. DALCQ, « L’évolution récente de
la responsabilité médicale », in Liber amicorum Yvette Merchiers, Bruges, Die Keure, 2001, p. 734.
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Lorsque le monde politique s’est décidé à prendre le relais de ces doléances – brandies concurremment par des associations de patients ou de consommateurs –,
plusieurs projets et propositions de lois furent déposés en vue d’instaurer une collectivisation des risques thérapeutiques par la mise sur pied d’un système d’indemnisation no fault, voire entièrement détaché des mécanismes de responsabilité 5. Ces initiatives n’ont cependant pas abouti. Les réflexions ont fort logiquement
pris un nouveau tour lorsque la jurisprudence française s’est cristallisée, au plus
haut niveau des deux ordres juridictionnels, dans un sens favorable aux victimes
– dont l’on déplorait qu’il ne paraisse pas possible de l’emprunter en Belgique –,
avant que ces solutions soient intégrées dans les lois françaises n° 2002-303, du
4 mars 2002 (relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé),
et n° 2002-1577, du 30 décembre 2002 (relative à la responsabilité civile médicale
et à l’assurance de la responsabilité médicale), qui ont connu un écho certain en
Belgique 6.
Cet intérêt soutenu, doublé de critiques de plus en plus vives adressées à un
droit de la responsabilité civile (nécessairement) enserré dans une gangue rigoureuse l’empêchant de répondre à de légitimes prétentions indemnitaires impossibles à rattacher à une faute ou à un autre fait générateur de responsabilité clairement identifié, n’a rien d’étonnant. C’est que les infections nosocomiales, et
plus largement les accidents thérapeutiques, constituent bien davantage qu’un
terrain juridique mouvant et instable, aux chausse-trappes diverses : c’est d’un
véritable problème de société, de solidarité, de santé publique qu’il s’agit ici.
5. V. le rapport de H. DIERICKX, Auditions sur les aléas thérapeutiques et la responsabilité médicale. Rapport fait au nom de la Commission de la santé publique, de l’environnement et du renouveau de
la société, « Doc. Parl. », Chambre, session 2003-2004, 27 avril 2004, document n° 51-1052/001,
ainsi que l’étude très complète de C. DELFORGE, « Vers un nouveau régime d’indemnisation des
accidents médicaux ? », Revue de droit de la santé, 2004-2005, p. 86, qui examine ces propositions
de lois à la lumière des solutions retenues en droit comparé.
6. V. notre article « Faute, risque, aléa, sécurité », in Droit médical, Y.-H. LELEU (dir.), Bruxelles, Larcier, coll. « Commission Université-Palais », 2005, vol. 79, spéc. p. 111-160 ; sur le régime mis en
place par les lois françaises des 4 mars et 30 décembre 2002 quant aux infections nosocomiales
et aux risques thérapeutiques au sens large, tel qu’il a été présenté par la doctrine facilement
accessible en Belgique, v. not. Y. LAMBERT-FAIVRE, « La responsabilité médicale et sa garantie d’assurance dans la législation française de 2002 », in Mélanges offerts à Marcel Fontaine, Bruxelles, Larcier, 2003, p. 808 ; dans le même ouvrage, G. VINEY, « L’originalité du régime d’indemnisation
des risques sanitaires en droit français », p. 851 ; D. MARTIN, « Le dispositif français d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux, par la voie du règlement amiable », in Évolution des droits
du patient, indemnisation sans faute des dommages liés aux soins de santé : le droit médical en mouvement, G. SCHAMPS (dir.), Bruxelles-Paris, Bruylant-LGDJ, 2008, p. 473.
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mettre en avant la fonction « réparatrice » de la responsabilité civile, face à une
atteinte grave et non consentie à l’intégrité physique du patient, en insistant sur
l’importance d’indemniser des victimes durement atteintes dans leur chair, ou de
prôner l’avènement d’une législation spécifique relative aux accidents médicaux
procédant d’un risque thérapeutique ou consécutifs à la réalisation d’un aléa,
les propositions novatrices ont toutefois peiné à se faire entendre.
LE NOUVEAU RÉGIME BELGE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES RÉSULTANT DE SOINS DE SANTÉ
L’insistance se fit de plus en plus vive pour que les accidents médicaux sans relation avec l’échec des soins fassent l’objet d’une intervention législative ; celle-ci
apparaissait de plus en plus nécessaire, à tout le moins pour organiser l’indemnisation des préjudices irrémédiablement liés à la réalisation d’un aléa, où il n’est
pas possible de faire appel aux notions de risque ou de sécurité pour étendre le
spectre de la responsabilité civile traditionnelle. Le souci mis en évidence était de
permettre la prise en charge, en dehors de cette responsabilité (trop) strictement entendue, de dommages qui appellent un sursaut tendant à une meilleure
gestion collective de malheurs exceptionnels. Ce n’est pas nouveau : en Belgique
comme en France, des études pénétrantes ont mis en évidence que la responsabilité civile n’a nulle vocation à soulager l’intégralité des souffrances, malheurs,
dommages ou préjudices 7.
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Le législateur belge a tardé à se laisser convaincre et le résultat auquel il est initialement parvenu était à ce point insatisfaisant qu’il est demeuré lettre morte. L’optique de la loi du 15 mai 2007 relative à l’indemnisation des dommages résultant
de soins de santé 8 consistait à exclure complètement ceux-ci du domaine de la
responsabilité pour faute, en vue de les orienter vers un système d’indemnisation
forfaitaire et partiel, intégralement fondé sur la solidarité collective. Ce texte, que
la doctrine fut prompte à critiquer – en raison notamment de l’exclusion inacceptable de tout recours au juge dans ce cadre et de l’opacité, des imperfections
et des incohérences du système ainsi mis en place –, n’est jamais entré en vigueur.
La loi du 15 mai 2007 a été abrogée et remplacée par la loi du 31 mars 2010
relative à l’indemnisation des dommages résultant de soins de santé, que
l’on voudrait ici présenter 9. Le nouveau texte met en place un système remodelé,
plus équilibré et satisfaisant, transposant le modèle français « à deux voies » d’in-
7. Même si, par contraste, il n’est guère novateur de considérer – en droit médical comme ailleurs,
mais peut-être surtout en cette matière – « que l’objectif à atteindre est l’indemnisation rapide et
équitable de tous les dommages encourus par les victimes d’accidents » (F. RIGAUX, « Logique,
morale et sciences expérimentales dans le droit de la responsabilité », in Responsabilités et Assurances. Mélanges Roger O. Dalcq, Bruxelles, Larcier, 1994, p. 522). V. sur ce point notre ouvrage
Droit médical et biomédical, préc. supra note 2, p. 269-275 et les références citées.
8. Moniteur belge, 6 juillet 2007. Une autre loi fut adoptée le même jour concernant le règlement
des différends dans ce cadre. Pour un examen complet assorti de l’éclairage des travaux préparatoires, v. E. LANGENAKEN, « La réforme de l’indemnisation du dommage issu des soins de santé : révolution ou régression ? », RGAR, 2007, n° 14.312, et in Droit de la responsabilité, B. KOHL (dir.), Louvain-la-Neuve, Anthemis, coll. « Commission Université-Palais », 2008, vol. 107, p. 281 ;
J.-L. FAGNART, « La réparation des dommages résultant de soins de santé. Belles idées et vilaine
loi », in Évolution des droits du patient..., op. cit., p. 407 ; dans le même ouvrage, les « Points de
vue d’acteurs de terrain » à propos du « nouveau système belge d’indemnisation des dommages
liés aux soins de santé », p. 497-584. V. aussi l’ouvrage Nieuwe wettelijke regelingen voor vergoeding van gezondheidsschade. De Wet van 15 mei 2007 betreffende de vergoeding van schade als
gevolg van gezondheidszorgen, H. BOCKEN (éd.), Malines, Kluwer, 2008.
9. La loi du 31 mars 2010, publiée au Moniteur belge du 2 avril 2010 (p. 19.913), peut être
consultée à l’adresse suivante : http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article.pl?language=fr&caller
=summary&pub_date=2010-04-02&numac=2010024096#top. Travaux parlementaires : projet
de loi déposé à la Chambre le 12 novembre 2009 (« Doc. Parl. », Chambre, session 2009-2010,
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La loi du 31 mars 2010 crée donc un droit de l’avenir, applicable aux dommages
futurs, tout en instaurant déjà des droits subjectifs « virtuels » au bénéfice des
patients victimes. Elle organise l’indemnisation des accidents médicaux d’origine non fautive au moyen d’une procédure amiable de résolution des litiges, par
l’intermédiaire d’un Fonds des accidents médicaux, sans toutefois supprimer le
recours au juge, ce qui constitue l’inflexion majeure et bienvenue par rapport au
texte de 2007. Le droit commun est maintenu en matière de responsabilité, tandis que la solidarité nationale prend le relais en cas d’accident médical sans responsabilité, en vue de permettre l’indemnisation des seuls dommages graves
consécutifs à un accident thérapeutique. Cette réforme bouleverse en profondeur les fondements mêmes du droit belge de la responsabilité médicale : le système mis en place supprime, en effet, l’obligation pour le patient de démontrer
la faute d’un professionnel de la santé, et ouvre un droit à indemnisation de la
victime dès qu’un accident thérapeutique est avéré. Il suffira alors au patient,
pour être indemnisé, de prouver qu’il a subi un dommage et que celui-ci trouve
sa cause dans une prestation de soins ; le Fonds d’indemnisation nouvellement
créé est voué à devenir son interlocuteur privilégié.
Outre son impact pratique majeur, la réforme – dont on peut espérer que la loi
du 31 mars 2010 constitue l’aboutissement – marque un changement radical de
philosophie dans le traitement juridique des accidents médicaux. Dans la mesure
où elle maintient la possibilité d’un recours aux cours et tribunaux, conformément aux règles du droit commun, la loi nouvelle aplanit en partie les écueils que
celles du 15 mai 2007 n’avaient pas manqué d’ériger, notamment quant à leur
articulation avec les droits généraux du patient, inscrits en Belgique dans la loi
du 22 août 2002 10. L’impact du régime initialement envisagé sur la nature de
nos 52-2240/001 et 52-2241/001 : exposé des motifs, avant-projet, avis du Conseil d’État et projets
de loi) ; rapport fait, au nom de la Commission de la santé publique, de l’environnement et du renouveau de la société, par Mme BURGEON le 26 février 2010, « Doc. Parl. », Chambre, n° 52-2240/006.
Le texte n’a pas été discuté par le Sénat et fut publié avec une célérité inhabituelle. Dès la fin de
l’année 2008, il était certain que les lois du 15 mai 2007 resteraient mort-nées et seraient prochainement supplantées par un régime quelque peu différent, plus souple et plus égalitaire, calqué sur
le modèle français (E. LANGENAKEN, « Les lois du 15 mai 2007 et le respect du principe d’égalité, note
sous Cour const., 15 janvier 2009 », JLMB, 2009, p. 1155-1157).
10. Sur ce que cette articulation n’a, à l’époque, pas nourri la réflexion du législateur, alors qu’en
vue d’une approche cohérente et logique du droit médical belge, ces dispositions auraient dû être
rapprochées, v. E. LANGENAKEN, « Droits du patient, droits de la personnalité, indemnisation : quelle
cohérence ? », in Les Droits de la personnalité, J.-L. RENCHON (dir.), Bruxelles, Bruylant, coll. « Famille
& Droit », 2009, p. 93.
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demnisation des dommages médicaux, qui a démontré son efficacité depuis
2002. Cette loi « s’applique aux dommages résultant d’un fait postérieur à sa
publication au Moniteur belge », soit le 2 avril 2010, mais n’entrera toutefois en
vigueur qu’à une date déterminée par un arrêté royal (paradoxe belge...), après
que l’architecture et le financement du nouveau système auront été mis en
œuvre, ce qui est nécessairement reporté compte tenu de la conjoncture politique belge à l’heure où ces lignes sont écrites.
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ces droits – lorsqu’ils sont appréhendés en dehors du cadre d’une responsabilité
pour faute – et sur certaines notions du droit de la responsabilité médicale, au
premier rang desquelles le risque et l’aléa, telles qu’elles sont actuellement comprises, interpellait ; un récent arrêt de la Cour de cassation française, du 3 juin
2010, donne un nouvel éclairage à ces réflexions prospectives sur lesquelles nous
ne voulons pas faire l’impasse.
Nous proposerons ici une présentation synthétique du nouveau système belge 11,
en distinguant ses lignes de force (I) et les questionnements qu’il laisse subsister (II).
I. – LES LIGNES DE FORCE
DU NOUVEAU SYSTÈME D’INDEMNISATION
Après avoir exposé le champ d’application de ce système, et notamment les restrictions qu’il comporte quant au dommage qui pourra être réparé (A), on le
décrira dans ses grandes lignes (B), avant de présenter la procédure désormais
offerte au patient victime d’un accident thérapeutique (C).
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A. – Champ d’application et dommage indemnisé
La loi du 31 mars 2010 (ci-après : la loi ; les références aux articles renvoient à
celle-ci) a pour but de régler l’indemnisation des dommages résultant de soins de
santé, dans les conditions et limites qu’elle prévoit. Son champ d’application est
défini en termes de praticiens et de prestations, et non en termes d’actes ou de
cadre juridique de la relation de soins ; le patient est ainsi défini – de la même
manière que dans la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient (LDP) –
comme « la personne physique à qui des soins de santé sont dispensés, à sa
demande ou non » (art. 2, 5°). La loi s’applique à deux types de prestataires : les
praticiens professionnels 12 et les institutions de soins de santé (établissements dis-
11. Pour une analyse plus approfondie, v. notre ouvrage Droit médical et biomédical, préc. supra
note 2, p. 442-466, auquel ces lignes sont partiellement empruntées. A l’heure où celles-ci sont
écrites, on attend toujours des commentaires substantiels de la loi du 31 mars 2010, au-delà des
présentations synthétiques qui ont déjà pu en être proposées (E. DE KEZEL, « Derde keer goede keer :
nieuwe regeling vergoeding medische schade », Juristenkrant, 26 mai 2010, n° 210, p. 4 ;
T. VANSWEEVELT, « De Wet Medische Ongevallen : eindelijk de goede keer voor de no fault in België ? », Revue de droit de la santé, 2010-2011, p. 2).
12. Définis par référence à l’arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967, relatif à l’exercice des professions des soins de santé, soit actuellement les médecins, dentistes, pharmaciens, sages-femmes,
kinésithérapeutes, praticiens de l’art infirmier et paramédicaux, mais non, par exemple, les sexologues ou les professionnels de la santé mentale, lesquels se trouvent par conséquent en dehors
du champ d’application du nouveau régime, ce que l’on peut déplorer. La définition englobe également les praticiens ayant, dans ces domaines, une « pratique non conventionnelle », telle qu’elle
est visée dans une loi du 29 avril 1999, soit essentiellement l’homéopathie, la chiropraxie, l’ostéopathie et l’acupuncture.
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Les prestations de soins de santé, au cœur du nouveau régime – qui se voit calqué sur les évolutions législatives récentes – sont définies de manière large
comme les « services dispensés par un prestataire de soins en vue de promouvoir, de déterminer, de conserver, de restaurer ou d’améliorer l’état de santé du
patient ou de l’accompagner en fin de vie » (art. 2, 4°, sur le modèle de l’article 2,
2°, LDP). Deux types de dommages sont toutefois exclus du champ d’application
de la loi : ceux qui résultent soit d’une expérimentation, au sens de la loi du 7 mai
2004 relative aux expérimentations sur la personne humaine, soit d’une prestation de soins de santé accomplie dans un but esthétique non remboursable en
vertu de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire
soins de santé et indemnités. La première exclusion se conçoit aisément, dans un
souci de cohérence des textes ; en revanche, la seconde surprend et apparaît
critiquable. On comprend mal – au-delà du seul souci budgétaire – en quoi il se
justifie de faire dépendre le régime juridique d’une intervention chirurgicale de
la motivation poursuivie par le patient et du caractère remboursable ou non, par
la Sécurité sociale, de ladite intervention 14.
Il se confirme ainsi que la condition de « nécessité curative » ne semble plus
répondre aux évolutions récentes en matière de droit (bio)médical. On peut déceler dans cet assouplissement général un lien – partiel – avec l’évolution de la
13. En ce sens que, dans le cadre d’une procédure d’indemnisation, la création d’une catégorie
de bénéficiaires sur la base d’un critère arbitraire peut être contraire au principe d’égalité, v. p. ex.
l’arrêt de la Cour constitutionnelle (alors dénommée Cour d’arbitrage), n° 13/94, du 8 février
1994, Arrêts CA, 1994, p. 233 ; MB, 22 février 1994, p. 4468.
14. Et ce d’autant plus que la loi du 15 mai 2007 visait pour sa part expressément les actes de chirurgie esthétique. Par ailleurs, il semblait bien que les dommages causés par un produit défectueux
pouvaient également résulter d’une prestation de soins de santé, et donc tomber dans le champ
d’application de ce texte ; ce n’est plus le cas de la loi commentée, à en croire une déclaration faite
par le ministre à la Chambre des représentants, ce qui constitue une nouvelle restriction critiquable.
Qu’en est-il des actes qui consistent en un don de matériel corporel humain, dès lors qu’il est permis
de douter qu’il s’agisse d’un « soin de santé », l’acte médical de prélèvement n’ayant aucune visée
thérapeutique pour le donneur, à l’inverse de la greffe pour le receveur ? E. LANGENAKEN (op. cit.,
RGAR, 2007, n° 14.312, n° 6) relève opportunément que la loi du 13 juin 1986 sur le prélèvement
et la transplantation d’organes ne vise précisément que les gestes dénués du caractère thérapeutique qui, à défaut de ce texte exprès, justifierait l’atteinte corporelle qu’ils impliquent.
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pensant des prestations de soins de santé et réglementés par la loi coordonnée
du 10 juillet 2008 relative aux hôpitaux et à d’autres établissements de soins,
mais aussi centres de transfusion sanguine et laboratoires de biologie clinique).
Les autres institutions de soins de santé sont exclues du champ d’application du
texte, ce en quoi l’on peut voir une source d’ambiguïté et de discrimination
potentielle. A titre d’exemple, contrairement aux personnes qui sont soignées
dans un hôpital, celles qui séjournent en maison de repos ne pourront pas recourir au nouveau système d’indemnisation, dans l’hypothèse d’un dommage étranger à l’intervention d’un prestataire de soins qu’elles subiraient néanmoins dans
cette institution ; ces établissements ne relèvent pas du champ d’application de
la loi, mais sont pourtant également touchés par les maladies nosocomiales 13.
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conception traditionnelle de la santé : la maladie se détermine, aujourd’hui plus
qu’avant, par rapport à la subjectivité d’un individu, dans le contexte social particulier où il s’inscrit 15. Par ailleurs, confondre l’activité médicale avec l’art de guérir et la limiter à son intention thérapeutique apparaît comme une conception
périmée qui ignore l’amplitude du phénomène médical ; une telle limitation ne
répond pas à la volonté du législateur de protéger et promouvoir la santé, dans
le contexte des possibilités scientifiques et sociales actuelles. C’est que – les législations récentes concernant le matériel corporel humain en attestent 16 – le corps
humain possède une valeur intrinsèque, inhérente non pas au corps comme
entité, mais aux différents éléments qui le constituent ; l’atteinte au corps visée par
ces législations peut donc, selon les hypothèses, avoir une portée thérapeutique
ou en être dépourvue, sans que sa légitimité et son régime juridique en dépendent.
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Le dommage indemnisé est l’un des enjeux centraux du nouveau système. On
peut remarquer que le dommage pris en considération n’est pas tout à fait défini
de la même manière dans la loi du 31 mars 2010 et dans celle du 15 mai 2007.
Celle-ci s’appliquait aux dommages résultant d’une prestation de soins de santé,
de l’absence d’une prestation que le patient pouvait légitimement attendre
compte tenu de l’état de la science ou d’une infection contractée à l’occasion
d’une prestation de soins de santé ; les infections nosocomiales étaient ainsi
expressément visées 17. La loi du 31 mars 2010 envisage pour sa part les dommages qui trouvent leur cause dans une prestation de soins de santé ; il n’est plus
en soi question de l’absence d’une telle prestation, sans que ceci paraisse problématique, la prise en charge thérapeutique globale étant naturellement visée.
Le dommage doit découler soit d’un fait engageant la responsabilité d’un prestataire
de soins, soit d’un accident médical sans responsabilité. Par cette notion – il est vrai
difficile à saisir –, le législateur entend « un accident lié à une prestation de soins de
santé, qui n’engage pas la responsabilité d’un prestataire de soins, qui ne résulte
15. V. X. DIJON, Le Sujet de droit en son corps. Une mise à l’épreuve du droit subjectif, Bruxelles, Larcier, 1982, spéc. p. 398. Cette subjectivité personnelle renvoie à une notion de la santé ne pouvant
plus être limitée à l’état dans lequel toute maladie fait défaut, mais évoquant un état de bien-être
physique, psychique et social complet (C. HENNAU-HUBLET, « La responsabilité pénale du médecin »,
in Les Frontières juridiques de l’activité médicale, Liège, Jeune Barreau de Liège, 1993, p. 78).
16. En particulier les lois du 6 juillet 2007 relative à la procréation médicalement assistée et à la
destination des embryons surnuméraires et des gamètes, et du 19 décembre 2008 relative à l’obtention et à l’utilisation de matériel corporel humain destiné à des applications médicales humaines
ou à des fins de recherche scientifique.
17. L’indemnisation couvrait les dommages subis par le patient (notamment économiques) et ceux
de ses ayants droit ; la loi excluait toutefois certains dommages n’atteignant pas un pourcentage
minimal d’invalidité, instaurant ainsi une différence de traitement selon la gravité du dommage
subi, dont la justification était d’autant plus sujette à caution que ses conséquences étaient radicales,
puisque les patients qui subissent un tel dommage « léger » auraient donc été sans aucun recours.
Sur ce point, et plus généralement sur le dommage indemnisé dans le cadre de la loi du 15 mai 2007
et les exclusions qu’elle prévoyait, v. E. LANGENAKEN, op. cit., RGAR, nos 7-9. En ce sens que l’exclusion des risques ou effets secondaires normaux et prévisibles liés à la prestation de soins de santé
laissait penser qu’il resterait une place pour le droit commun, B. DUBUISSON, « La théorie de la perte
d’une chance en question : le droit contre l’aléa ? », Journal des tribunaux (JT), 2007, p. 490.
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n° 38 mars 2011
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Une chose paraît d’emblée certaine : le futur système n’évite pas complètement
l’obstacle que représente la charge de la preuve pesant sur le patient. En toute
logique, c’est, en effet, à ce dernier qu’il appartiendra au premier chef d’établir :
1° La réalité et l’ampleur de son dommage ; 2° Le lien causal entre celui-ci et les
soins de santé qu’il a reçus ; 3° L’absence de lien avec son propre état et son évolution « objectivement prévisible » ; 4° La circonstance qu’il ne s’agit pas d’un
« échec thérapeutique » ; et 5° Le caractère « anormal » du dommage éprouvé. A
cet égard, la loi ne donne aucune indication quant à ce qu’il faut entendre par un
dommage qui « n’aurait pas dû se produire compte tenu de l’état actuel de la
science, de l’état du patient et de son évolution objectivement prévisible », ni par
un « échec thérapeutique », expression trop floue et générale en pareil cadre. Il est
en outre surprenant qu’une erreur non fautive de diagnostic soit censée ne constituer en aucun cas un accident médical sans responsabilité – au rebours d’une erreur
non fautive de traitement –, quand bien même elle entraînerait pour le patient un
dommage anormal au sens qui précède, hypothèse pourtant parfaitement concevable. Bref, le champ d’application de la loi du 31 mars 2010 apparaît imparfaitement circonscrit et potentiellement vecteur de difficultés d’interprétation.
En revanche, on se réjouira que le législateur n’ait pas reproduit ici la précision,
contenue dans le texte de 2007 et s’inspirant de la loi française du 4 mars
2002 18, selon laquelle « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de
sa naissance 19 », réaction à l’enseignement des arrêts Perruche 20. Pareille règle,
18. V. Y. LAMBERT-FAIVRE, « La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. La solidarité envers les personnes handicapées », D. 2002, p. 1217 ; C. RADÉ, « La
réforme de la responsabilité médicale après la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades
et à la qualité du système de santé », Resp. civ. et assur., 2002, p. 5 ; P. JOURDAIN, « La fin de la jurisprudence Perruche », in Le Nouveau Droit des malades, Litec-LexisNexis, « Carré Droit », 2002, p. 21.
19. Il semble qu’il fallait comprendre que la personne née avec un handicap n’aurait pu obtenir
une indemnisation que dans l’hypothèse où une prestation de soins en serait à l’origine ou l’aurait
aggravé, et qu’a contrario l’enfant né handicapé en raison d’un diagnostic erroné, sans qu’une prestation ait concouru à l’apparition de ce handicap tel qu’il se présente, n’aurait pu obtenir réparation du fait que sa mère aurait eu la possibilité d’avorter si elle avait eu connaissance de la situation (projet de loi, n° 51-3012/1, p. 14).
20. Cass. civ. 1re, 26 mars 1996, et Cass., ass. plén., 17 novembre 2000, arrêts dont on a pu
constater l’abondance effrénée de commentaires en sens divers qu’ils ont suscités ; pour une synthèse intégrant les enseignements de la Cour européenne des droits de l’homme, v. Les Grandes
Décisions du droit médical, F. VIALLA (dir.), LGDJ, 2009, p. 463-492, obs. M. GIRER. Pour une étude
critique, v. G. GENICOT, « Le dommage constitué par la naissance d’un enfant handicapé », Revue
générale de droit civil (RGDC), 2002, p. 79.
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pas de l’état du patient et qui entraîne pour le patient un dommage anormal. Le
dommage est anormal lorsqu’il n’aurait pas dû se produire compte tenu de l’état
actuel de la science, de l’état du patient et de son évolution objectivement prévisible. L’échec thérapeutique et l’erreur non fautive de diagnostic ne constituent pas
un accident médical sans responsabilité » (art. 2, 7°). Nul doute que la caractérisation in concreto de ces critères, et en particulier de la notion de dommage anormal,
est potentiellement malaisée et susceptible de faire l’objet d’âpres controverses.
LE NOUVEAU RÉGIME BELGE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES RÉSULTANT DE SOINS DE SANTÉ
maladroitement exprimée au regard des hypothèses qu’elle entend régir et qui
nous paraît empreinte d’un moralisme juridiquement inutile – la notion de préjudice réparable et l’exigence d’un lien causal certain suffisent sur ce plan –,
n’eût pas été à sa place dans ce texte poursuivant un objet distinct.
B. – Système général élaboré par la loi du 31 mars 2010
Contrairement à celle du 15 mai 2007, cette loi règle l’indemnisation des dommages résultant de soins de santé, sans préjudice du droit de la victime ou de ses
ayants droit de réclamer, conformément aux règles du droit commun, l’indemnisation de son dommage devant les cours et tribunaux (art. 3, § 1). Il est naturellement
précisé que « la victime d’un dommage résultant de soins de santé ou ses ayants
droit ne peuvent être indemnisés plusieurs fois pour ce même dommage en
ayant recours cumulativement à la procédure devant le Fonds et à la voie judiciaire, ou en ayant recours à cette procédure après avoir bénéficié d’une indemnisation amiable de ce dommage en dehors de toute procédure » (art. 3, § 3).
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La loi crée donc un Fonds des accidents médicaux, organisme public doté de la
personnalité juridique, dont les règles d’organisation et de fonctionnement doivent encore être déterminées par un arrêté royal (art. 6), dans le cadre fixé par
les articles 9 à 11 de la loi 21, et dont la composition est prévue par l’article 7. Cet
organisme est appelé à devenir le maillon central du processus, ses futurs membres étant dès lors investis d’une importante responsabilité. Le Fonds a pour mission d’organiser l’indemnisation des victimes de dommages résultant de soins de
santé ou de leurs ayants droit, dans les limites des articles 4 et 5 de la loi ; ces
dispositions, essentielles, décrivent les conditions de cette indemnisation.
La victime ou ses ayants droit seront indemnisés, « conformément au droit commun » (de la réparation des préjudices corporels), non seulement lorsque le
dommage provient d’un accident médical sans responsabilité, au sens énoncé
ci-dessus, mais également lorsque le Fonds est d’avis ou lorsqu’il est établi que
le dommage trouve sa cause dans un fait engageant la responsabilité d’un prestataire de soins, mais que soit cette responsabilité civile n’est pas ou pas suffisamment couverte par un contrat d’assurance, soit le prestataire ou son assureur
conteste la responsabilité, soit l’assureur couvrant la responsabilité du prestataire
de soins qui a causé le dommage formule une offre d’indemnisation que le Fonds
juge manifestement insuffisante (art. 4).
En présence d’un accident médical sans responsabilité, ou dont la responsabilité
apparente est contestée, une limitation importante est prévue : le Fonds n’interviendra que si le dommage est suffisamment grave, ce qui suppose qu’il remplisse l’une des conditions suivantes : 1° Le patient subit une invalidité perma-
21. Les modalités de financement du Fonds, ébauchées par l’article 10, devront naturellement
être précisées et concrétisées afin d’assurer la viabilité et la pérennité du mécanisme. Son coût est
mis à la charge de l’assurance maladie invalidité (INAMI).
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L’article 8 de la loi détaille les importantes compétences dévolues au Fonds dans
le cadre de la mission qui lui est impartie. Il est naturellement chargé d’indemniser le patient ou ses ayants droit lorsqu’il estime que le dommage résulte de
soins de santé subis par le patient et répond aux conditions fixées par les
articles 4 et 5. Ceci suppose, en amont, qu’il détermine si ce dommage engage
ou non la responsabilité d’un prestataire de soins et qu’il en évalue la gravité.
Dans ce but, le Fonds peut, d’une part, solliciter de toute personne physique ou
morale tous les documents et toutes les informations nécessaires pour pouvoir
apprécier les causes, les circonstances et les conséquences du dommage faisant
l’objet de la demande 22 et, d’autre part, faire appel à des praticiens professionnels spécialisés afin d’obtenir des précisions dans un domaine particulier des
soins de santé. A supposer qu’il estime que le dommage trouve sa cause dans un
fait engageant la responsabilité d’un prestataire de soins, le Fonds doit encore
vérifier si cette responsabilité est effectivement et suffisamment couverte par une
assurance, et inviter le prestataire ou son assureur à formuler une offre d’indemnisation du patient ou de ses ayants droit.
Le patient ou ses ayants droit, le prestataire de soins ou son assureur, peuvent
demander au Fonds d’organiser une médiation conformément aux articles 1724
à 1733 du Code judiciaire 23, à laquelle le Fonds peut, le cas échéant, prendre
22. Ceci constitue une nouvelle dérogation légale au principe du secret médical (sur lequel, en
droit belge, v. G. GENICOT, op. cit., supra note 2, p. 220-245). En conséquence, l’article 9, § 2, de
la loi prévoit à bon escient que les membres du conseil d’administration et du personnel du Fonds,
ainsi que tous les collaborateurs permanents ou occasionnels de celui-ci, sont tenus au secret professionnel, l’article 458 du Code pénal – siège de cette obligation en droit belge – leur étant applicable. Ajoutons sur ce plan l’édiction d’une nouvelle obligation légale de divulgation : lorsque les
faits à l’origine du dommage le justifient, le Fonds doit les dénoncer aux autorités administratives,
disciplinaires ou judiciaires compétentes (art. 19).
23. Sur la médiation en droit belge – où ce mode alternatif de règlement des conflits connaît un
essor certain –, v. not. La Médiation. Voie d’avenir aux multiples facettes ou miroir aux alouettes ?
P.-P. RENSON (dir.), Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2008 ; O. CAPRASSE, Arbitrage et Médiation, Bruges,
La Charte, La jurisprudence du Code judiciaire commentée, 2010 ; J. CRUYPLANTS, M. GONDA et
M. WAGEMANS, Droit et pratique de la médiation, Bruxelles, Bruylant, 2008 ; P.-P. RENSON, La Médiation civile et commerciale. Comment éviter les aléas, le coût et la durée d’un procès, Louvain-la-Neuve,
Anthemis, 2010 ; Bemiddeling, R. VAN RANSBEECK (éd.), Bruges, Die Keure, 2008. Dans le secteur spécifique des soins de santé, v. C. LÉVY et C. JACOB, La Médiation et les conflits dans le secteur des soins
de santé, Malines, Kluwer, coll. « Pratique du droit », 2007 ; « La médiation dans le domaine des
soins de santé », in Évolution des droits du patient..., op. cit., supra note 6, p. 249-362.
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nente (déficit fonctionnel) d’un taux égal ou supérieur à 25 % ; 2° Le patient
subit une incapacité temporaire de travail (incidence professionnelle) au moins
durant six mois consécutifs ou six mois non consécutifs sur une période de douze
mois ; 3° Le dommage occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d’ordre économique, dans les conditions d’existence du patient ; 4° Le
patient est décédé (art. 5). En dehors de ces hypothèses, l’indemnisation paraît
bien exclue, puisqu’elle ne pourra guère être obtenue par la voie judiciaire, à
défaut de responsabilité du prestataire.
LE NOUVEAU RÉGIME BELGE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES RÉSULTANT DE SOINS DE SANTÉ
part. Il peut également donner de façon générale, à la demande du patient ou
de ses ayants droit, un avis sur le point de savoir si le montant de l’indemnisation proposée par un prestataire de soins ou son assureur est suffisant. Dans un
registre différent, le Fonds a également pour mission d’émettre, sur demande
ministérielle ou d’initiative, des avis sur toute question concernant la prévention
ou la réparation des dommages résultant de soins de santé et de collecter des
statistiques sur les indemnisations accordées en vertu de la loi. Il doit enfin établir un rapport annuel d’activité, qui reprend l’analyse des données statistiques et
financières, des recommandations pour prévenir lesdits dommages et une présentation commentée des avis que le Fonds estime devoir émettre.
C. – Le fonctionnement
du nouveau système d’indemnisation
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Pour le patient, le nouveau texte contient donc deux innovations majeures : le
droit à l’indemnisation des accidents médicaux d’origine non fautive et l’instauration d’une procédure amiable de résolution des litiges par l’intermédiaire du
Fonds des accidents médicaux. Le droit commun est ainsi maintenu lorsque la
responsabilité peut être mise en cause, tandis que la solidarité nationale intervient
en cas d’accident médical sans responsabilité, en vue de permettre l’indemnisation des dommages graves consécutifs à un accident thérapeutique. L’objectif est
d’éviter le recours au juge, de favoriser les règlements négociés et d’aboutir à un
avis du Fonds et à une indemnisation éventuelle au terme d’un cheminement
« rapide et efficace », soigneusement rythmé (trop peut-être) par le législateur.
Sont envisagés une « stabilisation des primes d’assurance pour les prestataires de
soins » et l’octroi d’une garantie « aux patients victimes d’un accident médical,
qu’il engage ou non la responsabilité » d’un tel prestataire, ainsi qu’« une indemnisation effective », au moyen d’« un système budgétairement équilibré et
finançable » couplé à « un outil d’enregistrement et d’analyse des accidents
médicaux 24 ».
La procédure devant le Fonds, relativement complexe, est inscrite dans les
articles 12 à 32 de la loi, qui constituent son chapitre IV ; elle est gratuite pour
le demandeur (art. 20, al. 1er).
Toute personne qui s’estime victime d’un dommage résultant de soins de santé
ou ses ayants droit peuvent adresser au Fonds, par lettre recommandée, une
demande d’avis sur la responsabilité éventuelle d’un prestataire de soins dans le
dommage subi, ainsi que sur la gravité de celui-ci. Les éléments devant être mentionnés sont précisés (art. 12, § 1 et 2). Un délai de prescription, conforme au
droit commun 25, est prévu : à peine d’irrecevabilité, la demande doit être adres-
24. « Doc. Parl. », nos 52-2240/001 et 52-2241/001, 12 novembre 2009, p. 3-4.
25. Sur la prescription de l’action en responsabilité médicale, v. G. GENICOT, op. cit., supra note 2,
p. 309-315.
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LE NOUVEAU RÉGIME BELGE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES RÉSULTANT DE SOINS DE SANTÉ
L’articulation de la procédure amiable devant le Fonds et d’une action judiciaire est
visée par l’article 12, § 5. Schématiquement, la victime a le choix de la voie qu’elle
entend suivre et peut revenir sur ce choix, mais doit être transparente quant à sa
décision (en vertu de l’article 12, § 6, elle doit informer la juridiction saisie de l’introduction d’une procédure devant le Fonds et avertir ce dernier si elle intente une
action judiciaire conformément au droit commun). En application du principe
non bis in idem et de l’irrévocabilité des décisions de justice, la demande est irrecevable si le demandeur a déjà accepté, pour le même dommage, une offre d’indemnisation définitive du Fonds, de l’assureur du prestataire de soins ou du prestataire de soins lui-même, s’il a déjà été indemnisé de ce dommage en vertu d’une
décision judiciaire coulée en force de chose jugée ou si, au contraire, une telle
décision a déclaré non fondée la demande d’indemnisation du dommage, tant
sur la base de la responsabilité d’un prestataire de soins que d’un accident médical sans responsabilité 26. La victime aura donc – à tout le moins en dehors des cas
de responsabilité « flagrants » – tout intérêt à s’orienter d’abord vers le Fonds,
quitte ensuite à contester sa décision devant les cours et tribunaux.
L’envoi de la demande au Fonds suspend de plein droit l’examen et le jugement
des actions en responsabilité civile intentées devant les juridictions judiciaires
jusqu’au lendemain du jour où soit le demandeur accepte une offre définitive
d’indemnisation du Fonds, du prestataire de soins ou de son assureur, soit il
refuse cette offre, soit le Fonds notifie au demandeur un avis par lequel il estime
que les conditions prévues par les articles 4 et 5 de la loi ne sont pas remplies,
soit le demandeur notifie au Fonds sa volonté de mettre un terme à la procédure
amiable. La prescription des actions civiles relatives à l’accident médical est suspendue aux mêmes conditions, et l’introduction d’une action judiciaire suspend la
prescription de l’action auprès du Fonds ou contre celui-ci (art. 13).
En ce qui concerne l’instruction de la demande, l‘article 15 rappelle que, dans le
cadre du traitement de celle-ci, le Fonds peut réclamer au demandeur ou à ses
ayants droit, à tous les prestataires de soins qui pourraient être impliqués, aux
prestataires de soins qui ont traité le patient ou à toute autre personne, tous les
26. Lorsque la demande est manifestement irrecevable, le Fonds en informe sans délai le demandeur en lui indiquant les motifs et, le cas échéant, l’instance devant laquelle la demande peut être
introduite (art. 14).
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sée au Fonds au plus tard cinq ans à partir du jour qui suit celui où le demandeur
a eu connaissance du dommage dont il poursuit l’indemnisation, ou de son
aggravation, et de l’identité de la personne à l’origine du dommage, ou en toute
hypothèse au plus tard vingt ans à partir du jour qui suit celui où s’est produit le
fait qui a causé celui-ci. Ce délai peut être suspendu ou interrompu conformément au droit commun ; il est interrompu lorsque le demandeur fait connaître
à l’assureur du prestataire de soins ou au prestataire lui-même sa volonté d’être
indemnisé, l’interruption cessant au moment où l’un ou l’autre notifie par écrit
sa décision d’indemnisation ou son refus (art. 12, § 3 et 4).
LE NOUVEAU RÉGIME BELGE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES RÉSULTANT DE SOINS DE SANTÉ
documents et renseignements qui lui sont nécessaires pour pouvoir apprécier les
causes, les circonstances et les conséquences du dommage. Dans un souci d’efficacité et afin d’éviter tout blocage par rétention d’informations, des mesures
comminatoires sont prévues 27. Il est expressément précisé que cette procédure
de communication des informations et éléments nécessaires au traitement de la
demande d’indemnisation ne porte pas préjudice au droit du Fonds, du demandeur ou de ses ayants droit de former contre le prestataire de soins concerné une
action en dommages et intérêts, en production de documents (art. 877 à 882 du
Code judiciaire) ou fondée sur la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient,
et de postuler, le cas échéant, le paiement d’une astreinte (art. 1385 bis à
1385 nonies du même code).
En toute logique, si la personne qui a introduit la demande n’est pas le patient
et si celui-ci est vivant, le Fonds n’a accès à son dossier médical et hospitalier que
moyennant l’accord exprès de ce dernier ou de son représentant, donné conformément aux dispositions de la loi relative aux droits du patient ; si le patient est
décédé, cet accès est subordonné à l’accord exprès d’une personne mentionnée
à l’article 9, § 4, de ladite loi (art. 16) 28.
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L’expertise demeure incontournable ; elle fait l’objet de l’article 17 de la loi. Dès
l’abord, en vue d’un traitement optimal de la demande, le Fonds est autorisé à
faire appel à des praticiens professionnels spécialisés pour obtenir des informations précises sur une question médicale particulière. Sauf si la demande est
manifestement irrecevable ou non fondée, ou si l’ensemble des parties y renoncent, le Fonds doit organiser une expertise contradictoire s’il y a des indices sérieux
que le dommage atteint le seuil de gravité visé à l’article 5 ; il désigne à cette fin
un expert indépendant ou, si cela se justifie, un collège d’experts. Dans les autres
cas, le Fonds peut organiser une telle expertise. Il en suit le déroulement et veille
notamment au respect de son caractère contradictoire 29. Il entend les parties
27. Si un prestataire de soins ou toute autre personne que le demandeur et ses ayants droit ne répondent pas à cette demande dans le mois de la notification par le Fonds d’une lettre recommandée de
rappel – sauf cas de force majeure –, ils deviennent débiteurs de plein droit, à l’égard du Fonds, d’une
indemnité forfaitaire de 500 euros par jour à dater du lendemain du dernier jour du délai, jusqu’à la
transmission des renseignements et documents demandés, avec un maximum de trente jours. Le
débiteur peut introduire un recours conformément au Code judiciaire. De son côté, le Fonds se voit
octroyer le droit, sans préjudice d’une action judiciaire, de procéder au recouvrement des sommes
qui lui sont ainsi dues par voie de contrainte ; les conditions et les modalités de cette poursuite, ainsi
que les frais en résultant et les modalités de leur prise en charge, devront être réglés par un arrêté royal.
Si c’est le demandeur ou ses ayants droit qui ne répondent pas à la lettre de rappel du Fonds dans le
mois de sa notification, ils sont censés renoncer à la demande et à l’effet suspensif de prescription qui
s’y attache ; cette renonciation présumée met fin à la procédure, mais n’interdit pas, le cas échéant,
la formulation ultérieure d’une demande nouvelle, dont la recevabilité sera appréciée à cette date.
28. Sur l’accès au dossier médical, v. G. GENICOT, op. cit., supra note 2, p. 246-262.
29. Sur l’expertise en matière de responsabilité médicale, v. G. GENICOT, op. cit., supra note 2,
p. 296-304. Le déport ou la récusation de l’expert, garants de son impartialité, sont minutieusement régis par l’article 17, § 3 et 4. Les frais d’expertise sont à charge du prestataire de soins responsable du dommage et de son assureur, si cette responsabilité a été reconnue par eux ou établie par une décision judiciaire coulée en force de chose jugée (art. 20, al. 2).
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concernées, à leur demande ou s’il le juge opportun (art. 17, § 5). Le demandeur,
son organisme assureur, les prestataires de soins impliqués, leurs assureurs et les
autres parties à la procédure devant le Fonds peuvent évidemment se faire assister par la personne de leur choix au cours de la procédure (art. 18).
Si le Fonds conclut qu’il doit y avoir indemnisation, il invite, s’il y a lieu, l’assureur du prestataire de soins concerné (ou ce prestataire lui-même) à formuler une
offre d’indemnisation en faveur du demandeur ; il en informe les autres parties à
la procédure (art. 22, qui renvoie à l’art. 29). En présence d’un accident médical
sans responsabilité – et pour autant que le dommage présente la gravité requise
–, le Fonds adresse lui-même à la victime, dans les trois mois de la notification de
son avis, une offre d’indemnisation ; il en va de même dans les trois cas où le
Fonds doit se substituer au prestataire de soins ou à son assureur 31. Si le dommage peut être quantifié, l’offre indique un montant définitif ; s’il ne peut l’être
entièrement, le Fonds propose le versement d’une indemnisation provisionnelle,
30. Si le Fonds conclut qu’il n’y a pas lieu à indemnisation en vertu de l’article 4, 1° ou 2°, de la
loi, ou s’il conclut à l’absence de la gravité prévue à l’article 5, le demandeur, sans préjudice de
ses actions de droit commun, peut intenter, conformément au Code judiciaire, une action contre
le Fonds devant le tribunal de première instance afin d’obtenir les indemnités auxquelles il prétend
avoir droit en vertu de la loi (art. 23, al. 2).
31. Soit, pour rappel, lorsque le prestataire de soins ou son assureur contestent la responsabilité du
médecin (art. 30) ; lorsque le demandeur reçoit une proposition amiable d’indemnisation de l’assureur du prestataire de soins et demande l’avis motivé du Fonds sur cette proposition, lequel –
exerçant le contrôle marginal qui lui est octroyé – l’estime manifestement insuffisante (art. 31) ;
lorsque le Fonds conclut à la responsabilité du prestataire de soins, mais le demandeur n’obtient
pas, dans les trois mois de la notification de l’avis et après envoi d’un rappel par le Fonds, une offre
amiable d’indemnisation de l’assureur de ce prestataire, l’assureur qui ne réagit pas étant présumé
contester la responsabilité de son assuré (art. 32). Dans tous ces cas, le Fonds, après avoir indemnisé le demandeur, est naturellement subrogé dans les droits de celui-ci contre le prestataire de
soins et, le cas échéant, contre l’assureur qui couvre sa responsabilité civile ; un débat judiciaire se
nouera alors entre eux, après indemnisation effective de la victime.
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Dans les six mois de la réception de la demande – délai d’ordre qui risque fort
d’être souvent dépassé en pratique –, le Fonds rend un avis motivé. Il peut aboutir à trois conclusions (art. 21) : 1° Il estime que le dommage résultant de soins
de santé trouve l’une de ses causes dans la responsabilité d’un ou de plusieurs
prestataires de soins (et, dans ce cas, il indique si cette responsabilité est couverte
par un contrat d’assurance) ; 2° Il considère qu’il s’agit d’un accident médical
sans responsabilité (et précise alors si le dommage présente la gravité prévue à
l’article 5) 30 ; 3° Il retient que le dommage ne relève d’aucune de ces catégories,
de sorte que la demande n’est pas fondée. Cet avis est notifié, sous pli recommandé, au demandeur et aux prestataires de soins concernés, et, le cas échéant,
à leurs assureurs respectifs. Il est accompagné des seuls documents et pièces qui
le fondent – restriction en soi curieuse, car ceci ne permettra pas forcément un
éclairage complet sur l’avis rendu – et mentionne les possibilités d’actions et les
délais dans lesquels lesdites actions doivent être introduites ; à défaut, les délais
de recours sont majorés de six mois.
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qui tient compte des frais déjà exposés, de la nature des lésions, de la douleur
endurée et du préjudice résultant des périodes d’incapacité et d’invalidité déjà
écoulées, et qui porte également sur le préjudice le plus probable pour l’avenir,
à charge pour le demandeur d’adresser une demande complémentaire au Fonds
lorsque le dommage pourra être entièrement quantifié ou lorsqu’il aura évolué
de manière significative (art. 25) 32. L’indemnisation est intégrale, sans franchise
ni plafond, contrairement à ce que prévoyait la loi du 15 mai 2007.
Le demandeur dispose d’un délai de trois mois pour accepter l’offre d’indemnisation du Fonds 33 ; dans le mois de son acceptation expresse, celui-ci paie l’indemnisation proposée. Avant de prendre position, le demandeur peut formuler
– à une seule reprise – des observations sur l’offre du Fonds, auxquelles celui-ci
est tenu de répondre ; s’il l’estime opportun au vu des observations du demandeur, le Fonds peut adapter le montant de son offre. Il indique la date d’expiration du délai encore disponible – qui ne peut être inférieur à deux mois –, ainsi
que les conséquences d’une absence de réaction de la part du demandeur dans
ce délai (art. 26).
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S’il conteste l’avis ou l’offre d’indemnisation du Fonds, le demandeur a deux possibilités. Soit il souhaite « sortir du système » et intente alors une action judiciaire
classique en responsabilité ; en pareil cas, l’avis du Fonds, rendu au terme d’une
procédure amiable, ne lie ni le demandeur ni les prestataires de soins concernés et
leurs assureurs, ni le juge (art. 24). Soit il conteste l’avis et/ou l’offre du Fonds et
doit alors, à peine de déchéance, porter la contestation devant le tribunal 34 avant
l’expiration du délai qui lui est imparti pour prendre position ; dans le cadre de
cette procédure, le Fonds n’est lié ni par son avis ni par son offre (art. 27).
De même et dans toutes les hypothèses, ni le prestataire de soins ni l’assureur ni
le juge ne sont liés par le montant de l’indemnisation accordée par le Fonds au
demandeur 35, signe éclatant du caractère amiable de la nouvelle procédure. Une
règle vient toutefois opportunément au secours du demandeur : si une procédure judiciaire est introduite et si le juge estime que les sommes qui lui ont été
payées par le Fonds ne sont pas dues, elles ne sont pas récupérées 36.
32. Le Fonds déduit de son offre les indemnités auxquelles le demandeur a droit en vertu d’un
contrat d’assurance à caractère indemnitaire ou de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 relative à
l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités (art. 25, § 4). S’il indemnise le demandeur dans
l’hypothèse d’une absence de couverture d’assurance ou d’une couverture insuffisante, le Fonds
est subrogé dans ses droits contre le prestataire de soins concerné (art. 28, al. 1er).
33. A défaut de réaction du demandeur dans ce délai, le Fonds lui adresse un rappel ; si le demandeur n’y réagit pas dans un délai d’un mois, l’offre est présumée refusée. L’attention du demandeur est attirée, dans la lettre de rappel, sur les conséquences d’une absence de réaction de sa part
(art. 26, § 1, al. 2 et 3).
34. Il s’agit du tribunal de première instance (art. 569, 41°, du Code judiciaire), en vertu d’une loi
du 2 juin 2010 modifiant le Code judiciaire dans le cadre de la loi du 31 mars 2010 ; le tribunal
du domicile du demandeur peut être compétent (art. 633 novies du Code judiciaire).
35. Art. 28, al. 2 ; 30, al. 4 ; 31, al. 4 ; et 32, al. 5.
36. Art. 28, al. 3 ; 30, al. 5 ; 31, al. 5 ; et 32, al. 6.
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LE NOUVEAU RÉGIME BELGE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES RÉSULTANT DE SOINS DE SANTÉ
II. – LES CONSÉQUENCES ET LES LIMITES
DU NOUVEAU SYSTÈME D’INDEMNISATION
La loi du 31 mars 2010 laisse subsister des questions plus théoriques, mais qui
nous paraissent d’une importance brûlante. Elles tiennent à la cohérence du
régime mis en place avec les droits généraux du patient, et notamment à l’avenir des notions de risque et d’aléa (A), et, sur un plan plus général, à sa conciliation avec la maîtrise du corps, droit de la personnalité qui nous paraît charpenter tout l’édifice du droit (bio)médical (B).
A. – Cohérence du système avec les droits du patient
Lorsque sont apparues les lois mort-nées du 15 mai 2007, des interrogations,
portant sur ce qu’il advenait, d’une part, de l’indemnisation de l’aléa thérapeutique – exclue en droit commun de la responsabilité, en Belgique comme en
37. Les membres du Fonds – qui seront nommés par un arrêté royal délibéré en Conseil des
ministres pour un mandat de six ans, renouvelable, dans le respect de la parité linguistique – sont
au nombre de trente : quatre membres représentant l’autorité ; quatre membres provenant d’organisations représentatives des employeurs et des travailleurs indépendants ; quatre membres
issus d’organisations représentatives des travailleurs salariés ; quatre membres représentant les
organismes assureurs ; cinq membres représentant les praticiens professionnels, dont trois médecins au moins ; trois membres représentant les institutions de soins de santé, dont au moins un
médecin hygiéniste ; quatre membres représentant les patients ; deux professeurs ou chargés de
cours de droit, spécialisés en droit médical (art. 7). Il est permis de regretter cette très faible proportion de juristes au sein du Fonds, alors qu’il aura certes pour mission d’apprécier un processus
thérapeutique, mais aussi d’appliquer des règles de droit ; des représentants du barreau et de la
magistrature auraient opportunément pu compléter ce collège.
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Il se déduit ainsi de l’économie générale de la loi du 31 mars 2010 que le Fonds
des accidents médicaux est appelé à devenir le maillon central du processus qu’elle
instaure. C’est lui, à l’avenir, qui appliquera en première ligne les règles du droit
de la responsabilité civile adaptées au secteur complexe des soins de santé. Ceci
traduira une inflexion certaine de la matière, puisque le raisonnement qu’elle met
en œuvre et, partant, l’évolution et l’adaptation nécessaires de celle-ci devraient
devenir l’apanage d’un collège de professionnels plus ou moins spécialisés 37 et ne
seront plus exclusivement confiés aux magistrats, même si – et c’est évidemment
heureux – ces derniers pourront être appelés à statuer en second ordre ou concurremment, selon l’architecture détaillée ci-dessus. Ce constat investit d’emblée les
futurs membres du Fonds d’une mission particulièrement importante, tant leurs
avis et décisions et la « jurisprudence » qu’ils forgeront s’avéreront cruciaux pour
juger de l’efficacité du système et de son caractère satisfaisant. Pour ne pas être
systématiquement contestées par l’une ou l’autre parties, les décisions du Fonds
devront être équilibrées ; il devra dès lors rester très attentif aux évolutions de la
jurisprudence de droit commun, laquelle demeurera un incontournable aiguillon.
LE NOUVEAU RÉGIME BELGE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES RÉSULTANT DE SOINS DE SANTÉ
France – et, d’autre part, des droits du patient en tant que tels, ont vu le jour. Ces
questionnements ne sont pas taris dans le cadre du système plus raisonnable et
équilibré mis en place par la loi du 31 mars 2010. Ce nouveau texte vise à rendre
possible l’indemnisation des préjudices « anormaux » liés à la réalisation d’un aléa
– la notion d’« accident médical sans responsabilité » ne dit pas autre chose –,
sans que l’on doive invoquer les notions de risque ou de sécurité.
Bien que l’interdiction du cumul avec le droit commun de la responsabilité ne
soit désormais plus de mise, n’en résulte-t-il pas une dilution de la notion d’aléa
en droit médical, une perte de spécificité et d’utilité, sous couvert d’une pure
logique indemnitaire ?
En outre, dès lors que la loi n’envisage, au titre des accidents thérapeutiques
non fautifs, que ceux qui ne résultent pas de l’état du patient et qui entraînent
pour lui un « dommage anormal », qui « n’aurait pas dû se produire compte
tenu de l’état actuel de la science, de l’état du patient et de son évolution objectivement prévisible », et qui ne s’assimile pas à un « échec thérapeutique », la
loi nouvelle rendra souvent nécessaire une délicate distinction entre le dommage
iatrogène provoqué par le médecin ou par le traitement médical et le dommage
endogène imputable à l’évolution naturelle de la maladie.
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Paradoxalement, il peut sembler que cette frontière – dont on perçoit immédiatement les difficultés de concrétisation – risque de signer, à tout le moins insidieusement, un retour en force de la notion de faute, et en tout cas une preuve
malaisée à délivrer. Ainsi, dans l’hypothèse d’une pathologie complexe, comment déterminer ce qui relève de l’évolution « objectivement prévisible » de
l’état du patient et ce qui apparaîtra comme une conséquence « anormale » de
la pathologie et du traitement ?
Comment, par conséquent, distinguer ce qui relève de l’aléa, et qui sera logiquement couvert par le Fonds d’indemnisation, de ce qui n’est qu’un risque normal d’échec thérapeutique ? Est-il au demeurant réellement possible, dans la
plupart des cas, de tracer une ligne de démarcation nette entre ces notions 38 ?
La tâche du Fonds ne sera pas simple à cet égard, et les débats judiciaires ont certainement encore de beaux jours devant eux.
L’avènement prochain du régime d’indemnisation ici décrit met en lumière un
autre point, encore plus crucial. Pas davantage que la loi du 15 mai 2007, celle
du 31 mars 2010 ne précise la mesure dans laquelle les dommages résultant de
la méconnaissance de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient – pendant, à certains égards, de la loi française n° 2002-303, du 4 mars 2002, relative
aux droits des malades et à la qualité du système de santé – peuvent relever de
38. En ce sens, E. LANGENAKEN, « La réforme de l’indemnisation du dommage issu des soins de
santé : révolution ou régression ? », préc. supra note 8, nos 21-24. On a ainsi pu écrire que, « si le
scandale est dans l’absence de compensation d’aléas thérapeutiques à l’origine de lésions graves,
il ne disparaîtra point par l’adoption d’un Fonds, mais ne fera que se déplacer » (D. DE CALLATAŸ,
« Halte au Fonds », JT, 2007, p. 248).
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son champ d’application 39. On pouvait, de prime abord, concevoir que ce texte
– notamment en ce qu’il prévoit, à l’égard de chacun des droits qu’il consacre,
une obligation d’information corrélative pour le praticien – risquait, dans le cadre
d’une responsabilité traditionnelle, de promouvoir une « médecine défensive »
et d’altérer le lien de confiance entre le patient et son thérapeute ; l’indemnisation no fault serait alors venue enrayer cette logique défensive en donnant leur
pleine mesure aux droits du patient, sans que le médecin voie sa responsabilité
engagée. Mais c’est, à n’en pas douter, se bercer d’illusions et s’orienter vers un
système d’indemnisation – donc de simple réparation – très insatisfaisant.
Sur ce plan également, un recours au juge demeurera vraisemblablement incontournable ; le risque est toutefois grand que la nouvelle architecture générale
d’indemnisation des accidents médicaux le dissuade de conduire des raisonnements audacieux à cet égard. Or, selon nous, les prérogatives précitées constituent en elles-mêmes des droits, au sens plein du terme ; le patient devrait pouvoir librement en invoquer la lésion, et les atteintes qui y sont portées devraient
à tout le moins pouvoir être réparées, fût-ce symboliquement 40.
Pourtant, au regard de la loi, aucune indemnisation ne sera octroyée si le patient
ne peut établir qu’il a subi un « dommage indemnisable », au sens restreint
énoncé par ses articles 4 et 5. On conçoit mal que, dans pareil régime « objectif », il obtienne un dédommagement quelconque s’il se plaint, par exemple,
que le médecin n’a pas utilisé les techniques les plus récentes et les plus sûres
pour traiter sa pathologie, tout en étant (tant bien que mal) satisfait du résultat
opératoire.
Sans doute cette constatation était-elle certainement déjà de mise par le passé :
il fut plusieurs fois souligné qu’il arrive que le consentement éclairé du patient
fasse défaut, sans que ce constat emporte nécessairement la responsabilité du
médecin. Assez étrangement, en effet, si le principe du consentement du malade
à l’acte médical est pleinement admis, son défaut d’obtention paraît in concreto
39. Les travaux préparatoires du texte de 2007 rappellent – curieusement – que l’adoption de la
loi du 22 août 2002 se base sur le postulat qu’un risque nul serait possible en médecine ; sachant
qu’en pratique, cela n’est jamais le cas, la loi du 15 mai 2007 en serait le complément nécessaire,
permettant la sanction effective des droits du patient, tout en laissant aux praticiens la liberté dont
ils ont besoin (rapport de la Commission, n° 3-2397/3, p. 30).
40. V., sur la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient, G. GENICOT, op. cit., supra note 2,
p. 111-124, et p. 125-185 à propos de l’information et du consentement du malade. Sur les différences et points de rencontre entre droits, libertés et intérêts, v. les pistes défrichées par l’excellente thèse de T. LÉONARD, Conflits entre droits subjectifs, libertés civiles et intérêts légitimes. Un modèle
de résolution basé sur l’opposabilité et la responsabilité civile, Bruxelles, Larcier, 2005.
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Quelle peut être en effet, au sein du mécanisme nouveau, la sanction du nonrespect par le praticien du droit au consentement éclairé du patient ou de l’information honnête et complète qu’il lui doit, sans parler du droit du patient au libre
choix du praticien, voire de celui aux soins les plus adéquats, conformes aux
données acquises de la science ?
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n’appeler aucune sanction spécifique si aucune autre faute n’est imputable au
médecin et si aucun dommage physique n’est présent 41. La loi du 31 mars 2010
accrédite cette tendance, bien qu’elle maintienne – c’était une évidence ! – le
recours au juge.
L’adoption de la loi nouvelle viendrait alors, en définitive, non pas « coordonner »
les droits du patient et le régime d’indemnisation des dommages, mais dissocier
les deux. En effet, si, dans un système de responsabilité basé sur la faute, tout
manquement aux droits du patient est susceptible d’engager la responsabilité du
médecin en cas de dommage, ces manquements ne seront plus en soi pris en
considération dans le cadre de la loi du 31 mars 2010, dès lors qu’il n’y aura
plus de faute à prouver. Par conséquent, c’est en dehors du champ d’application
de cette loi, soit indépendamment de tout dommage lié à la prestation de soins,
que les droits du patient pourraient principalement trouver à s’exprimer. Dès
lors, bien qu’il ne s’agisse pas du propos du législateur, la loi du 31 mars 2010,
à l’instar de celle du 15 mai 2007, conduit à s’interroger à nouveau sur la nature
des droits du patient 42.
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Aux questions ici esquissées, une réponse très engageante a récemment été
apportée par la première chambre civile de la Cour de cassation française. Dans
un arrêt du 3 juin 2010 43, éclairé par le brillant avis de M. l’avocat général
Legoux 44, la Haute Juridiction a délivré un message franc et novateur, considéré
41. V. P. BOXHO, La Responsabilité pénale du médecin. Étude doctrinale et jurisprudentielle de différentes
infractions, thèse de doctorat en sciences médicales, Liège, faculté de médecine, 2000, p. 45 ;
E. HANNOSSET, « Consentement éclairé : fondement, méconnaissance, conséquences », in Droit médical, Y.-H. LELEU (dir.), Bruxelles, Larcier, coll. « Commission Université-Palais », 2005, vol. 79, p. 245 ;
C. HENNAU-HUBLET, L’Activité médicale et le droit pénal. Les délits d’atteinte à la vie, l’intégrité physique
et la santé des personnes, Bruxelles, Bruylant, 1987, p. 36. En jurisprudence, v. not. Cass. civ. 1re,
29 mai 1984, JCP 1984, II, 20259, concl. de l’avocat général GULPHE ; 22 septembre 1981, Bull. civ.,
I, p. 223, n° 268 ; Liège, 23 avril 1980 (deux arrêts), RGAR, 1981, n° 10.294 et n° 10.351, obs.
R.O. DALCQ ; CA Angers, 11 septembre 1998, D. 1999, jur. p. 46, note M. PENNEAU.
42. Sur ce point, v. E. LANGENAKEN, préc. supra note 10, p. 93. En ce sens qu’il n’y a pas lieu de « percevoir dans l’intervention législative [de 2002] un objectif de protection du patient dans le contexte
de l’indemnisation des dommages médicaux par le droit de la responsabilité civile », mais qu’il est
préférable de « situer la nouvelle loi dans le très vaste champ ouvert à l’autodétermination et à la
maîtrise corporelle de l’individu, défriché récemment par la loi relative à l’euthanasie », v. Y.-H. LELEU,
« La loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient », JT, 2003, p. 649.
43. Cass. civ. 1re, arrêt n° 09-13.591, du 3 juin 2010, Gaz. Pal., 16-17 juin 2010, p. 9, avec l’avis
favorable de l’avocat général LEGOUX, D. 2010, p. 1522, note P. SARGOS ; JT, 2011, à paraître, note
G. GENICOT.
44. Gaz. Pal., 16-17 juin 2010, p. 9-12. M. LEGOUX souligne avec une grande justesse qu’« on voit
bien que laisser dans l’ombre la réparation de la faute d’humanisme constitue une difficulté de
logique judiciaire. Elle a déjà été soulignée par la doctrine et n’a pas échappé à la Cour de cassation, comme si celle-ci prenait peu à peu conscience de l’eurythmie qu’il lui convient de faire
désormais émerger ». La question centrale est la suivante : « Le succès thérapeutique ne purge-til pas le geste médical de tout vice, comme si la guérison obtenue devait venir couvrir du voile de
l’oubli l’angoisse prospective ? » Considérant que « les principes juridiques » qu’il rappelle, « qui
sont à l’origine du développement toujours plus puissant du droit contemporain », ne sauraient
« rester sans traduction jurisprudentielle dans la sauvegarde de la dignité de la personne humaine
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LE NOUVEAU RÉGIME BELGE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES RÉSULTANT DE SOINS DE SANTÉ
Pour écarter toute responsabilité dans le chef d’un urologue – laquelle était
recherchée par un patient souffrant d’impuissance après avoir subi une adénomectomie prostatique, notamment au motif que le praticien aurait manqué à son
devoir d’information quant aux risques inhérents à de cette opération –, l’arrêt
attaqué (CA Bordeaux, 9 avril 2008, rôle n° 07/01638), tout en constatant le
manquement du médecin à son devoir d’information, avait retenu qu’il n’existait pas d’alternative à l’adénomectomie pratiquée, eu égard au danger d’infection que faisait courir la sonde vésicale, et « qu’il est peu probable que [le
patient], dûment averti des risques de troubles érectiles qu’il encourait du fait de
l’intervention, aurait renoncé à celle-ci et aurait continué à porter une sonde qui
lui faisait courir des risques d’infection graves ». Ce faisant, selon la cour régulatrice, cet arrêt a violé, par refus d’application, les textes précités.
Le message est sans ambiguïté : la dignité de la personne humaine 47 et le devoir
du praticien de recueillir le consentement du malade font du défaut d’information un préjudice autonome, « préjudice d’impréparation 48 », qui doit être
appliquée à l’obligation, si étroitement liée au geste thérapeutique, mais de respect moral, qu’est
le devoir d’information », l’éminent magistrat conclut que, si « la Cour consacre la sanction de
l’obligation d’information », sa jurisprudence pourra être qualifiée « d’évolution majeure. On aurait
dit, naguère, qu’en faisant respecter la dignité », la Cour de cassation fait « respecter la personne
entière corps et âme, on dira simplement aujourd’hui, et plus juridiquement, [qu’elle] a décidé de
décliner un principe constitutionnel en droit effectif ».
45. D. HOUTCIEFF, Responsabilité médicale : ne pas être informé nuit gravement au patient ! disponible
sur le blog de l’auteur, http://www.dimitri-houtcieff.fr/archive/2010/06/10/ responsabilite-medicale-ne-pas-etre-informe-nuit-gravement-a.html.
46. P. SARGOS, « Deux arrêts “historiques” en matière de responsabilité médicale générale et de responsabilité particulière liée au manquement d’un médecin à son devoir d’information », D. 2010,
p. 1522.
47. Principe constitutionnel dont on sait qu’il constitue, aux yeux de la Cour de cassation, le fondement même du devoir d’information du médecin, qui ne procède pas (ou plus) d’une stricte
logique contractuelle (Cass. civ. 1re, 9 octobre 2001, D. 2001, p. 3470, rapport P. SARGOS, note
D. THOUVENIN ; JCP 2002, II, 10045, note O. CACHARD ; Gaz. Pal., 25-27 novembre 2001, p. 53,
note J. GUIGUE ; RTD civ., 2002, p. 176, obs. R. LIBCHABER ; JT, 2002, p. 687, note F. OST et S. VAN
DROOGHENBROECK).
48. D. HOUTCIEFF, préc. supra note 45 ; M. PENNEAU, note précitée sous CA Angers, 11 septembre
1998, D. 1999, jur. p. 48-50.
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comme un revirement 45 et qualifié d’historique 46. Ce n’est pas ici le lieu de commenter de manière approfondie cette décision capitale, mais il convient d’en
reproduire le message essentiel et marquant. Après avoir rappelé qu’il résulte
des articles 16 et 16-3, alinéa 2, du Code civil, que toute personne a le droit
d’être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de
prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci, et que son consentement
doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une
intervention thérapeutique à laquelle elle n’est pas à même de consentir, la Cour
pose en règle que le non-respect du devoir d’information qui en découle, cause à
celui auquel l’information était légalement due, un préjudice, qu’en vertu [de l’article 1382 du même code], le juge ne peut laisser sans réparation.
LE NOUVEAU RÉGIME BELGE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES RÉSULTANT DE SOINS DE SANTÉ
réparé sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. En rupture avec sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation semble donc considérer que l’absence
d’information du patient lui cause en toute hypothèse un préjudice. L’indemnisation sur la base de la perte d’une chance, évaluée aux termes de critères stricts,
paraît donc délaissée ; cet arrêt ouvre la voie à une réparation systématique du
préjudice – d’ordre à tout le moins moral – du patient 49. On ne peut que former le vœu que la jurisprudence belge osera un jour s’engager sur la même voie
et que la loi du 31 mars 2010 ici commentée n’y fera pas obstacle.
B. – Indemnisation des dommages
et maîtrise corporelle
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Selon nous, le lien qui unit la personne et son corps, exprimé par le concept de
maîtrise, prend la forme juridique d’un droit de la personnalité englobant d’autres
prérogatives consacrées par notre ordre juridique, comme le droit à l’intégrité
physique, le droit à la vie et le respect de la vie privée, sous leur double dimension d’opposition et de disposition 50. Ces droits recouvrent un faisceau d’aptitudes dont chaque sujet est titulaire et qui ont sa personne pour objet. Ils englobent aujourd’hui un champ toujours plus large, tendant à couvrir tout ce qui
participe de la liberté individuelle. Le passage du « droit à la vie privée » au « droit
à l’autodétermination » (droit-liberté), pour en arriver au « droit à l’épanouissement personnel » (droit de créance), n’invalide pas l’approche classique qui définit les droits de la personnalité sous deux angles : un pouvoir exercé par la volonté
du sujet de droit (maîtrise, disposition) et un intérêt protégé au bénéfice de ce
même sujet (protection, opposition) 51.
49. Auparavant, la Haute Juridiction estimait que « le seul préjudice indemnisable à la suite du
non-respect de l’obligation d’information du médecin, laquelle a pour objet d’obtenir le consentement éclairé du patient, est la perte d’une chance d’échapper au risque qui s’est finalement réalisé ; la réparation du préjudice moral est donc prohibée ». Cette solution fut vivement critiquée
(Cass. civ. 1re, 6 décembre 2007, D. 2008, p. 192, note P. SARGOS, et p. 2894, obs. P. BRUN et
P. JOURDAIN ; RTD civ., 2008, p. 303, obs. P. JOURDAIN, et p. 272, obs. J. HAUSER ; JCP 2008, I, 125, n° 3,
obs. P. STOFFEL-MUNCK ; L. NEYRET, « La Cour de cassation neutralise l’obligation d’information de
certains professionnels », D. 2008, p. 804 ; M. BACACHE, « Pour une indemnisation au-delà de la
perte de chance », D. 2008, dossier « Droit de la santé », p. 1908).
50. Pour plus de détails sur cette conception, v. G. GENICOT, op. cit., supra note 2, spéc. p. 102-110
et 127-134 ; Y.-H. LELEU et G. GENICOT, « La maîtrise de son corps par la personne », JT, 1999,
p. 589 ; mêmes auteurs, « Le statut juridique du corps humain. Rapport belge », in Le Droit de la
santé : aspects nouveaux, Journées suisses 2009 de l’Association Henri Capitant, à paraître, disponible sur le site http://www.henricapitant. org ; Y.-H. LELEU, G. GENICOT et E. LANGENAKEN, « La maîtrise de son corps par la personne. Concept et applications », in Les Droits de la personnalité, préc.
supra note 10, p. 23-118.
51. V. La Libre Disposition de son corps, J.-M. LARRALDE (dir.), Bruxelles, Bruylant-Nemesis, coll. « Droit
& Justice », 2009. On constate au demeurant une évolution dans la présentation de ces questions,
dont on peut citer trois exemples révélateurs. Décrivant « les libertés de la personne humaine dans
le droit français contemporain », J. ROBERT et J. DUFFAR, sous le titre « La liberté physique », commencent par examiner « le droit de disposer de son corps », et ce au moyen d’une section princiRevue générale de droit médical
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Ne jouant qu’au stade de l’indemnisation d’un dommage qui s’est réalisé, la loi
du 31 mars 2010 n’a guère d’impact positif sur le volet « protection » des droits
du patient. Sous l’angle de la maîtrise, en revanche, elle pourrait avoir pour effet
indirect de recentrer l’expression de ces droits sur le pan de la relation de soins
antérieur à l’acte thérapeutique en tant que tel ; en effet, le dommage, au sens
de ce texte, découle de l’acte de soins, de sorte que le champ non couvert par
la loi se situera en amont du geste thérapeutique. Dans un tel système, ce n’est
que là, en dehors donc de toute considération relative à un dommage, que la
maîtrise de son corps par le patient pourra pleinement s’exprimer. Est-ce réellement souhaitable ? Ce n’est en tout cas guère surprenant : sortir de la perspective « paternaliste » du droit médical et faire du patient un acteur responsable
au sein de la relation de soins ne saurait éluder le fait que le médecin détient un
pouvoir, de par son savoir même, qui est inaccessible au patient 52. Là réside une
bonne part de l’ambivalence de la régulation juridique en ce domaine 53.
pale intitulée « La maîtrise de son corps » (Droits de l’homme et libertés fondamentales, Domat-Montchrestien, 8e éd., 2009, p. 215-262). Dans le dernier état de ses écrits, le doyen Cornu distinguait
judicieusement, d’une part, « le respect du corps humain » et « la protection des autres droits primordiaux de la personnalité », et, d’autre part, sous le premier de ces titres, « les atteintes portées
au corps humain sans le consentement de celui qui les subit » et « la mesure du pouvoir de l’individu sur son propre corps », plan doublement révélateur de l’avancée décrite (G. CORNU, Droit civil.
Les Personnes, Domat-Montchrestien, 13e éd., 2007, p. 29-81). La présentation de F. Zenati-Castaing
et T. Revet, progressiste et pertinente, est structurée autour d’une distinction entre « les personnes
juridiques » et « la personne humaine », titre sous lequel sont successivement envisagés une « théorie générale des droits de la personnalité », « le corps humain » et « les utilités du corps humain »,
sur lequel le sujet détient un « pouvoir exclusif » (F. ZENATI-CASTAING et T. REVET, Manuel de droit des
personnes, PUF, « Droit fondamental », 2006, p. 205-282). Add. l’avis fouillé du Comité consultatif
de bioéthique belge, n° 43, du 10 décembre 2007, relatif à la problématique de la commercialisation de parties du corps humain, disponible sur le site http://www.health.fgov.be/bioeth.
52. En ce sens que le rapport médical est l’un des plus marqués par la compétence, le savoir du
médecin ne se réduisant pas à la simple détention d’informations et le patient étant généralement
dépourvu de la compétence nécessaire pour véritablement comprendre le diagnostic par lequel
s’exprime ce savoir, v. P. LOKIEC, Contrat et pouvoir. Essai sur les transformations du droit privé des rapports contractuels, LGDJ, « Bibliothèque de droit privé », 2004, p. 32 (thèse consacrée à l’élaboration d’un régime juridique du pouvoir se distinguant du schéma contractuel) ; du même auteur,
« La décision médicale », RTD civ., 2004, p. 641. Add., déjà, R. SAVATIER, « Impérialisme médical sur
le terrain du droit », D. 1952, chr. p. 157 ; I. CORBISIER, « Pouvoirs et transparence dans la relation
thérapeutique », RGAR, 1990, n° 11.682.
53. Ces considérations rejoignent pleinement les réflexions de E. LANGENAKEN (op. cit., RGAR, 2007,
n° 14.312), selon laquelle (n° 29) « accepter le geste médical, sur lequel le patient n’a, in fine,
guère de contrôle, ne revient-il pas à abandonner ponctuellement à autrui cette maîtrise sur son
corps ? Le plus grand pouvoir que confère la maîtrise de son corps à ce dernier, au sein de la relation médicale, ne réside-t-il pas alors précisément dans ce pouvoir de dire “non”, aujourd’hui pleinement reconnu au patient, et qui lui permet de mettre un terme à tout moment à la relation
médicale, de refuser un traitement ou de changer de médecin ? » V. aussi et surtout, du même
auteur, « Droits du patient, droits de la personnalité, indemnisation : quelle cohérence ? », in Les
Droits de la personnalité, préc. supra note 10, p. 93.
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La principale critique qui pouvait être dirigée contre le régime instauré par la loi
du 15 mai 2007 avait trait à la suppression du recours au droit commun, dont
le socle a pourtant été considérablement élargi depuis plus d’un siècle et que la
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jurisprudence essaie de moduler, certes imparfaitement, aux contours sinueux du
droit médical. Sous couvert d’améliorer de manière « collective » la prise en
charge des accidents médicaux 54, le législateur privilégiait par ce texte une
optique contestable consistant à canaliser l’ensemble de ceux-ci vers un système
de type administratif, passablement opaque et manquant de subtilité. Outre que
l’exclusion de tout recours en droit commun pourrait être de nature à « déresponsabiliser » les praticiens et les institutions – qui se sentiraient suffisamment
« à l’abri » grâce aux primes d’assurance qu’ils versent –, on déplorait que les
arbitrages se fassent globalement à l’insu de la personne concernée et, surtout,
que de nombreuses restrictions et limitations lui soient opposées d’autorité, sans
que la moindre échappatoire lui soit offerte.
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Un tel système n’est conforme ni à la prééminence de l’autonomie et du respect
dû à l’intégrité physique, pierres d’angle qui devraient être indérogeables, ni à
la possibilité qui doit être octroyée à chacun d’accéder à un juge 55, dans un cadre
normatif complet et suffisamment souple pour pouvoir s’adapter aux circonstances particulières concrètes. La pleine réalisation des droits subjectifs 56 – lesquels sont, en matière médicale, nettement plus complexes et touffus que ceux
que la loi du 15 mai 2007, et celle du 31 mars 2010 qui la remplace, envisagent
– est à ce prix. Telles sont, à notre estime, les principales et profondes objections
de fond qui pouvaient être élevées à l’encontre de la première.
On peut donc évidemment se féliciter que la seconde y remédie, au moins en
partie, en affermissant la place du demandeur dans le processus, en maintenant
un recours juridictionnel et en instaurant un système d’indemnisation dual, au
moyen d’une transposition du modèle français « à deux voies » de réparation des
dommages médicaux, en vigueur depuis 2002 et qui a démontré son efficacité
depuis lors 57.
54. On a pu à cet égard se demander si le législateur n’aurait pas dû explorer une autre voie et
s’interroger sur l’opportunité d’améliorer la prise en charge par la Sécurité sociale des pathologies
lourdes ou concevoir des formules d’assurance qui permettraient d’indemniser – au moins forfaitairement – l’aléa thérapeutique ; à tout prendre, le problème concret semblait être moins l’absence de prise en charge de l’aléa thérapeutique par le jeu de la responsabilité civile classique que
l’incapacité de la Sécurité sociale à couvrir les séquelles majeures d’une atteinte à la santé, quelles
que soient les circonstances qui en sont à l’origine. V. sur ce point D. DE CALLATAŸ, op. cit., supra
note 38, p. 250 ; E. LANGENAKEN, op. cit., RGAR, 2007, n° 14.312, n° 31 ; add. J. TINANT et N. SIMAR,
« Évolution... Révolution... », in Liber amicorum Jean-Luc Fagnart, Louvain-la-Neuve-Bruxelles, Anthemis-Bruylant, 2008, p. 662.
55. Sur ce droit, v. not. L’Accès à la justice, E. PUTMAN (dir.), PU Aix-Marseille, Laboratoire de théorie du droit, 2007 ; L’Accès au juge, Dalloz, « Justice et Cassation », 2008 ; P. LAMBERT, « Le droit
d’accès à un tribunal dans la Convention européenne des droits de l’homme », in Le Procès équitable et la protection juridictionnelle du citoyen, Bruxelles, Bruylant, Union des avocats européens,
2001, p. 57 ; J. RIDEAU, « Article II-107. Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial », in Traité établissant une Constitution pour l’Europe, partie II, La Charte des droits fondamentaux
de l’Union. Commentaire article par article, L. BURGORGUE-LARSEN, A. LEVADE et F. PICOD (éd.), Bruxelles,
Bruylant, 2005, p. 589.
56. Pour une étude approfondie de cette notion, v. la thèse de T. LÉONARD, op. cit., supra note 40.
57. Sur ce modèle, v. les réf. citées supra note 6.
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Il reste à défricher un enjeu à notre sens essentiel : nous nous situons dans un
contexte assez paradoxal où le droit biomédical, dans son ensemble, ne cesse de
mettre l’accent sur la prééminence de l’autonomie personnelle et de la maîtrise
corporelle, avec pour corollaire l’exigence permanente d’un consentement effectif, pleinement éclairé par une information complète, mais où, par contraste,
l’atteinte portée à ces valeurs humanistes essentielles peut rester dépourvue de
sanction. En Belgique, ni la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient, ni
celle du 31 mars 2010 ici commentée, ni les textes plus spécifiques régulant un
certain nombre d’interventions (bio)médicales 58, n’apportent de réponse à cette
question capitale 59. Si la maîtrise du corps doit bien, comme nous en avons la
conviction, être analysée comme un droit de la personnalité, encore faut-il mettre
cette catégorisation à l’épreuve de la sanction des atteintes qui y sont portées,
quelle que soit la manière dont elles se manifestent dans la chair – et l’âme – du
sujet ; le droit au respect de la vie privée pourrait faire office de modèle et de
source d’inspiration à cet égard. L’arrêt de la Cour de cassation française, du
3 juin 2010, atteste de manière éclatante que cette piste peut être empruntée ;
il reste à la faire parvenir à destination.
58. Sur lesquels nous renvoyons à la troisième partie de notre ouvrage Droit médical et biomédical,
préc. supra note 2, p. 517-800.
59. La dissociation des droits du patient et de l’indemnisation du dommage généré par les soins
n’est au demeurant pas sans incidence sur l’analyse traditionnelle de la relation médecin-patient
en termes contractuels : si un manquement aux droits du patient n’est plus sanctionné comme tel,
peut-on encore parler d’obligation contractuelle en ce qui concerne l’information que le médecin
doit fournir à son patient ? Toute obligation n’implique-t-elle pas une sanction – qu’il s’agisse
d’une exécution par équivalent ou d’une véritable responsabilité – lorsqu’elle n’est pas exécutée ?
A cet égard, Xavier Dijon signalait déjà que l’absence de sanction systématique de l’atteinte à un
droit du patient illustrait l’inadéquation de la figure contractuelle à la relation médicale : « Si l’absence de consentement (éclairé) n’est pas sanctionnée, on ne voit plus ce que vient faire en notre
matière la catégorie du contrat, que l’on définit comme un échange de volontés » (Xavier DIJON,
op. cit., supra note 15, p. 488). Sur les insuffisances et les limites de l’analyse contractuelle, v. aussi,
avec une optique quelque peu différente de celle soutenue par P. Lokiec et nous-même, M. GIRER,
Contribution à une analyse rénovée de la relation de soins. Essai de remise en cause du contrat médical, Les Études Hospitalières, coll. « Thèses », 2008.
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