Progrès technique et croissance depuis la première révolution

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Progrès technique et croissance depuis la première révolution industrielle
Eléments de corrigé
Introduction et remarques préliminaires :
L’ESCP avait posé comme sujet en 2003 « les rythmes de l’innovation expliquent-ils
fondamentalement les rythmes de l’économie ? » au moment où on était juste à la fin de la
vague de la « nouvelle économie » triomphante, alors que le paradoxe de Solow avait trouvé
sa résolution dans la vigoureuse croissance à partir du milieu des années 90. La poursuite de
la croissance s’est de nouveau désolidarisée de la croissance.
Pour ce sujet standard, un plan de type historique, combinant rappel des faits essentiels et
analyse économique semble le plus approprié. L’introduction pourra rappeler les définitions
de la croissance extensive et intensive. Le progrès technique à la base de la croissance
intensive, procède de nouvelles manières de produire , permettant d’obtenir plus d’outputs
avec la même quantité de facteurs. Il s’incarne aussi dans les innovations de produits, qui
alimentent de nouveaux flux de demande et de production. Indispensable à la croissance, le
progrès technique n’en constitue pas toutefois une condition suffisante. Son épanouissement
requiert un certain cadre socio-économique et son rythme peut dépendre aussi,
réciproquement, de celui de la croissance. L’observation des trois révolutions industrielles ,
du début du XIX° à nos jours, semble attester , plus qu’une relation univoque, d’une étroite
interaction enter les deux phénomènes.
Un plan analytique est aussi défendable, du type : I) Les analyses néoclassiques de la
contribution du progrès technique à la croissance : des analyses initiales de Solow puis
Denison, à la théorie de la croissance endogène II) Le progrès technique s’inscrit dans une
dynamique économique : logique capitaliste, cycles d’innovations et de croissance. Marx,
Schumpeter, …III) Les conditions d’efficacité économique du progrès technique : la
croissance comme condition du progrès technique, l’importance du cadre macroéconomique
et socio-économique.
I – La révolution industrielle et la croissance au XIX° : bouleversement des techniques et
entrée dans l’ère de la « croissance moderne »
A – Dynamique des innovations et enclenchement du processus historique de croissance
1- Les grandes innovations de la première révolution industrielle
Les révolutions de l’agriculture ( « fin de l’histoire immobile »), de l’industrie textile,
de la vapeur et de l’énergie mécanique, du factory system, des transports … La
dialectique des innovations (implications réciproques) ; les notions de « grappes
d’innovations » et de « système technique » ( Cf. nombreuses données dans le
« Rioux » )
2- Les effets économiques du progrès technique (PT) .
La démultiplication de la puissance productive grâce aux effets combinés de
l’ensemble des innovations. La division du travail associée au machinisme porte la
productivité à des niveaux sans précédent. La révolution des transports élargit les
marchés et permet la constitution de grandes entreprises efficaces. Les principales
productions industrielles (textile, charbon, métallurgie) connaissent des taux annuels
de croissance à deux chiffres, surtout en GB. Le premier cycle Kondratiev est lancé.
B – L’épanouissement du progrès technique et son rôle de catalyseur de la croissance
requièrent certaines conditions économiques et institutionnelles
1 – Le progrès technique est le produit historique d’un système de croissance qui est le
capitalisme.
- Appropriation privée des moyens de production, libre entreprise, concurrence,
logique de maximisation du profit et de minimisation des coûts, accumulation.
Toutes ces caractéristiques du système capitaliste font de celui-ci un système
dynamique et innovant. Le premier dans l’histoire selon de nombreux
économistes, sociologues ou historiens (Marx, Weber ou Schumpeter ) .
- North souligne de même l’importance, pour le développement économique de la
notion de « droits de propriété » et de « structures d’incitation » propres à stimuler
les comportements innovants et productifs. Les propensions à entreprendre et
innover renvoient aussi globalement à une culture spécifique (Weber, Braudel, …)
2 – Le progrès technique s’inscrit dans une logique économique.
- Beaucoup plus que le fruit d’avancées autonomes des connaissances
technoscientifiques, le PT paraît le plus souvent induit par une demande
économique , présente ou potentielle et finalisé par une logique de profit. Cf.,
article de Patrick Verley. Les innovations selon de nombreux historiens, comme
Braudel sont plus souvent « tirés par la demande » que « poussés par les
découvertes scientifiques » .
- L’innovation est d’ailleurs souvent définie comme une invention
économiquement réussie. L’investissement, détour de production ( BöhmBawerk) est vecteur du progrès technique. L’économie gouverne la technique.
II – Les mutations techno-économiques de la seconde révolution industrielle
conduisent à une intensification du progrès technique et de la croissance au XX siècle
A – Changement de « régime d’accumulation » et de « mode de régulation » au XX
siècle : le cercle vertueux du progrès technique et de la croissance
1 – La mise en place d’un nouveau mode de production et de gestion du progrès
technique
- La seconde révolution industrielle amène des changements profonds dans
l’organisation des entreprises : concentration croissante en vue d’une production
de masse , Organisation scientifique du travail, fordisme, rationalisation
organisationnelle ( Fayolisme, révolution managériale) . Ces innovations technoorganisationnelles majeures sont à l’origine d’un accroissement des gains de
productivité et d’une intensification de la croissance observés au cours de ce
siècle.
- La recherche – développement et l’innovation sont planifiés par la grande
entreprise. Le capitalisme empirique et entrepreneurial à la Schumpeter cède la
place à un capitalisme « organisé » et managérial. C’est « l’ère des connaissances
contrôlées » selon Kuznets.
2 – L’accélération de la croissance est aussi l’une des sources en retour du progrès
technique.
- La production de masse permet des économies d’échelle , d’apprentissage,
d’expérience. Mais aussi elle permet une baisse des coûts et des prix, des hausses
de salaires et finalement une progression de la demande qui permet une croissance
supplémentaire de l’offre. La croissance permet ainsi l’obtention de rendements
croissants comme l’explique la loi de Kaldor-Verdoon. Cette accélération du
progrès technique par la dynamisation de la demande est rendue possible par
l’adoption d’un « nouveau mode de régulation » dans lequel les revenus sont plus
largement distribués ( compromis fordiste, Etat-providence) .
- Consommation de masse et équipement des ménages soutiennent le progrès
technique. Le raccourcissement du cycle de vie des produits par le jeu de la mode
et de l’obsolescence accélère les flux de production et d’innovation. Le « nouvel
état industriel » (JK Galbraith) impose une filière inversée dans laquelle l’offre
gouverne la demande. Cette nouvelle structure favorise la production du progrès
technique.
B – Les analyses néoclassiques identifient le progrès technique comme la source
majeure de la croissance au XX siècle.
1 – Les études sur les sources de la croissance font l’objet de nombreuses
publications.
- Les sept huitièmes de la croissance américaine de la première moitié du XX siècle
chez Solow, les trois quarts de la croissance française pour Carré-DuboisMalinvaud proviennent du progrès technique. Celui-ci est qualifié « d’autonome »
ou de « résidu », en raison des caractéristiques de la fonction de production utilisée
pour ces études (fonction Cobb-Douglas à rendements constants) . Le cœur de la
croissance est donc présenté comme un résidu dans les approches néoclassiques. (
La « mesure de notre ignorance » )
- Une partie de celui-ci néanmoins pu être identifié et incorporée aux facteurs pour
tenir compte de leur amélioration qualitative au cours du temps. Le progrès
technique est qualifié de neutre au sens de Solow s’il est imputé au facteur capital,
neutre au sens de Harrod s’il est imputé qu’au travail, neutre au sens de Hicks s’il
est imputé aux deux facteurs. Les études économétriques cherchant à quantifier les
sources de la croissance (Travaux de Denison) ont souligné l’importance du
progrès des connaissances et du capital humain .
2 – Les avancées de la science économique dans l’analyse du progrès technique ou
« résidu »
- Le progrès technique peut s’expliquer par d’autres facteurs. Les éléments
organisationnels, et la synergie des facteurs paraissent essentiels dans le
dégagement de la productivité globale. La mesure isolée de la productivité
partielle des facteurs n’est pas satisfaisante. Une partie du progrès technique
provient aussi des économies d’échelle et du rattrapage du gap technologique de
l’Europe vis-à-vis des Etats-Unis.
- Un nouveau courant d’économistes ( P Romer, R Lucas, R Barro ) souligne, à
partir des années 80 la nature endogène, et non pas exogène du progrès technique,
celui-ci étant le fruit des comportements économiques des agents et à la source de
fortes externalités au profit des autres agents et de l’ensemble de l’économie. Les
investissements en R&D, en capital humain ou dans les infrastructures de base
seraient en réalité beaucoup plus productifs qu’il ne semblerait a priori , en raison
de ces externalités. La productivité est un résultat global, qu’il n’est possible de
mesurer réellement au seul niveau microéconomique.
III – Nouvelles mutations techniques, crise et amorce d’un nouveau cycle de
croissance à la fin du XX siècle
A – L’essoufflement du système technico-économique du fordisme
1 – Une crise imputable au ralentissement du progrès technique et des gains de
productivité
- Le capitalisme, selon certaines interprétations, serait en proie à partir des années
1970 à une crise structurelle d’efficacité. La crise touche la sphère productive .
Pour les régulationnistes, l’épuisement historique du modèle taylorien et fordiste
explique la chute des gains de productivité.
- Pour les marxistes, le recul général de la productivité du capital depuis la fin des
années 60 semble confirmer la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. Dans
une autre optique, Robert Solow avait aussi évoqué dans son modèle de 1956, la
baisse de la productivité marginale du capital, liée à son accumulation et à la loi
des rendements décroissants.
2 – La faiblesse de la demande à l’origine du ralentissement des gains de productivité.
- Les travaux de P Dubois ont montré, en prolongeant la fresque historique de la
croissance française réalisée par Carré-Dubois-Malinvaud que c’est la récession
liée aux chocs pétroliers et aux politiques de rigueur qui ont provoqué le
ralentissement observé des gains de productivité à partir du milieu des années 70.
Ceux-ci diminuent si la croissance de la production est inférieure à celle du coût
des facteurs.
- Pour l’école de la régulation, le ralentissement de la production est aussi la
conséquence de la crise de la consommation de masse, liée à la saturation des
grands marchés de consommation et à l’épuisement de la « norme fordiste de
consommation ». L’évolution vers une demande personnalisée induit des
mutations productives et limite la possibilité de réaliser des économies d’échelle.
Une nouvelle répartition des revenus moins favorables aux salaires à partir du
tournant de la « rigueur » en France, en affectant l’intensité de la demande, touche
également le rythme de productivité .
B – L’émergence d’un nouveau paradigme technico-économique
1- La troisième révolution industrielle combine dans sa première phase, explosion du
progrès technique et croissance récessive.
- Le paradoxe de Solow résume la configuration des années 1980-1990 : « le
progrès technique est partout, sauf dans les statistiques de la croissance ». Jamais
le progrès technique n’a été aussi intense dans l’histoire et le découplage si fort
avec la croissance. Le système socio-institutionnel serait en retard par rapport au
système technique et économique, empêchant ce dernier de livrer toutes ses
potentialités.
- Les difficultés macroéconomiques es années 1980-1990 ( lutte contre l’inflation,
mondialisation et concurrence, crises financières, …) freinent par ailleurs la
croissance et retardent les investissements et la manifestation des effets
économiques du progrès technique.
2- La « nouvelle économie » et l’amorce étudié d’un nouveau cycle Kondratiev.
- Les Etats-Unis ont connu entre 1994 et 2001 l’un des cycles de croissance les plus
longs de leur histoire ( « new age ») Croissance de plein emploi et sans inflation de
surcroît grâce au progrès technique ( dot-dot) . Les nouvelles technologies de
l’information et de la communication (NTIC) amènent l’émergence d’un
« nouveau paradigme technico-économique » fondé sur la circulation accélérée et
gratuite de l’information, augmentant l’efficacité des décisions et des
organisations, rapprochant l’économie du modèle de la concurrence pure et
parfaite.
- Ces nouvelles technologies auraient été à l’origine des deux cinquièmes de la
croissance américaine entre 1996 et 2001 et du huitième de la croissance
européenne et continuent d’ouvrir la voie à une nouvelle onde de croissance à long
terme, au-delà de l’éclatement de la bulle internet. Seuls les dérèglements
financiers et macroéconomiques en troublent les effets.
Conclusion :
Le survol de deux siècles d’histoire industrielle permet de mieux cerner la nature des relations
qui unissent le progrès technique et la croissance.
Au sens économique, le progrès technique se définit comme l’augmentation de l’efficience
productive et se révèle dans les gains de productivité. Son processus est complexe et fait
intervenir différents facteurs. Il ne se limite pas aux machines nouvelles qu’il suffirait
d’introduire pour accroitre les rendements. Longtemps, cette vision « objectiviste » et
« mécaniste », portée par les ingénieurs, a prévalu. Le progrès technique n’est en réalité pas
seulement incorporé dans la capital physique, mais aussi dans le facteur travail et
l’organisation. La qualification des hommes, leur motivation à produire, l’attitude face aux
innovations, la qualité des organisations déterminent un niveau de performance nécessaire à
toute économie. Un système technique intrinsèquement performant ne fonctionnera pas si les
hommes chargés de le mettre en œuvre ne savent pas ou ne veulent pas le faire fonctionner.
Les innovations techniques et les innovations organisationnelles qui les accompagnent se
traduiront ensuite en gains de productivité que dans le cadre d’un environnement
macroéconomique dynamique. Dans un contexte de crise, comme nous la vivons en ce
moment, la diffusion des innovations sera retardée. Les rythmes technologiques peuvent alors
être découplés des rythmes économiques . Condition nécessaire de la croissance, le progrès
technique n’en constitue pas une condition suffisante et a besoin de celle-ci pour s’épanouir à
son tour.
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