Repères
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tant sur des questions vraies, rarement
traitées, concernant la vie privée de ces
auteurs qui ont choisi, de façon volon-
tariste et en le théorisant, de ne rompre
ni avec leur « enfance » (un mot-clef
très important pour eux), ni avec leur
foi chrétienne, ni avec la vie de famille
dite « traditionnelle ». Péguy et Ber-
nanos ont dû faire vivre leurs familles
dans de grandes difficultés maté-
rielles : ces écrivains engagés dans
leurs œuvres et dans leurs combats,
reconnus par leurs pairs et ayant un
vrai public, ont vécu, et sont morts,
dans la pauvreté. Mauriac, lui, a cher-
ché à asseoir sa propre carrière litté-
raire avant de s’engager, mettant sa
notoriété au service de causes qui lui
ont valu la haine de son milieu d’ori-
gine ; mais on sait qu’il a vécu doulou-
reusement des affres privées. Si Claire
Daudin trouve dans leurs essais théo-
riques leurs convictions politiques,
morales et religieuses, c’est avec jus-
tesse qu’elle lit leurs poèmes ou leurs
romans pour y décoder les tragédies
intérieures de ces écrivains (les récits
de Bernanos et Mauriac sont souvent
des romans noirs à sous-entendus
cachés) qui n’avaient pas choisi la faci-
lité en restant fidèles à la morale de
leur enfance.
Jean-Paul Louis
Joseph Ratzinger,
Paolo Flores d’Arcais
EST-CE QUE DIEU EXISTE ?
Dialogue sur la vérité, la foi
et l’athéisme
Paris, Payot/Rivages, 2006, 183 p.
Alors que la controverse politico-
religieuse née de l’affaire des carica-
tures du prophète Mahomet vient de
retomber, l’islam ayant montré une fois
de plus qu’il se considère trop souvent
comme vérité absolue et intouchable,
la lecture du débat entre le cardinal
Joseph Ratzinger et le philosophe athée
Paolo Flores d’Arcais est instructive
comme effet miroir de cette crise. Le
débat et les conférences (une par inter-
locuteur) portent essentiellement sur
ce que le cardinal, devenu pape, reven-
dique comme la légitime « prétention
à la vérité » du christianisme. Préten-
tion que Flores d’Arcais dénonce
comme stratagème politique de l’Église
contre la liberté des croyances, signe
de son « impossibilité de renoncer à
son pouvoir mondain ». La tension
entre liberté et vérité n’oppose pas seu-
lement l’Islam à l’Occident, mais, en
celui-ci, une Église catholique qui se
considère religio vera à une philoso-
phie ate qui réfute cette ptention
comme une imposture, déplorant que
l’Église et la culture catholiques éludent
désormais systématiquement les objec-
tions sceptiques ou athées élaborées par
la modernité.
La question débattue ici à travers le
catholicisme est cependant plus large.
C’est le problème du statut de la reli-
gion dans la modernité qui se trouve
posé, puisque celle-ci refuse à la reli-
gion ce qu’elle considère être sa voca-
tion fondamentale : énoncer non seule-
ment un sens possible de l’être, une
herméneutique de l’existence, mais la
vérité objective, fondée sur le Verbe
créateur. Flores d’Arcais reconnaît lui-
même que
toute religion veut être vérité et ne peut
renoncer à cette prétention. Elle doit
être vérité […] Ce que beaucoup de phi-
losophie herméneutique peut permettre
et même théoriser de l’extérieur, la reli-
gion ne peut l’accepter de l’intérieur.
Mais quel type de vérité puisque,
toujours selon Flores d’Arcais, l’athéis-
me moderne ne saurait admettre que la
religion se prétende « vérité démon-
trable », vérité de raison ? Quels dis-
cours de vérité restent possibles pour
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