Migros Magazine N° 22 / 31 MAI 2010 (française)

20 |Migros Magazine 22, 31 mai 2010
Un centre
d’excellence contre
la douleur
A Morges, l’équipe du professeur Eric Buchser fait référence en matière
de prise en charge et de traitement des douleurs chroniques. Reportage
parmi ces experts chez qui l’écoute du patient n’est pas un vain mot.
A
voir mal. Tout le
temps. De jour com-
me de nuit. Au point
de ne plus pouvoir mar-
cher ou dormir. La dou-
leur chronique affecte
environ dix pour cent de
la population mondiale,
souvent esseulé entre une
qualité de vie en berne et
le courage quotidien des
gestes les plus simples. A
l’hôpital de Morges, le
Centre d’antalgie aide de-
puis vingt ans médecins
et patients à surmonter ce
mal sournois. «Oui, sans
doute m’y suis-je intéressé
précocement, ici en Suis-
se romande. Soit il y a une
vingtaine d’années. Mais
la reconnaissance dont
nous bénéficions reste le
fruit de circonstances fa-
vorables et du travail
d’une équipe. Je ne suis
pas tout seul.»
decin, chef de service et
anesthésiste puté, Eric Buchser
ne court pas après les sirènes de la
renommée. «L’avenir appartient à
mes plus jeunes collaborateurs
A Michèle Bovy, par exemple, der-
nière arrivée dans ce petit groupe
de sept médecins formés en anes-
thésie mais aussi en médecine in-
terne et en soins intensifs, secon-
dés d’une dizaine d’infirmières.
fessoral, habitué aux am-
phithéâtres d’étudiants.
Celle qui fonctionne com-
me un signal d’alerte d’un
corps qui se défend. Et puis
celle qui est inutile, qui
persiste longtemps après le
temps normal de cicatrisa-
tion d’une plaie ou de la
guérison d’une maladie
Elle est alors considérée
comme chronique. Du
symbole d’une affection,
elle devient «une maladie à
part entière.»
Des douleurs qui
surviennent comme ça
Le Centre d’antalgie mor-
gien soigne donc ces dou-
leurs persistantes. Celles
qui surviennent après une
opération ou un accident.
Mais aussi, parfois, du jour
au lendemain, sans raison
apparente. Ces angines de
poitrine qui compressent la cage
thoracique, ces élancements dans
le dos qui clouent au lit, ces arti-
culations en feu qui sistent à une
intervention chirurgicale et aux
médications classiques. Avec un
domaine d’excellence: la «neuro-
modulation.»
En gros, la stimulation électri-
que d’une partie bien précise de la
moelle épinière grâce à l’implan-
tation sous la peau d’un dispositif
Jean-Pierre Mustaki est l’un des médecins-
chefs du Centre d’antalgie.
«Il faut d’abord comprendre qu’il
existe deux types de douleur, re-
prend Eric Buchser d’un ton pro-
de stimulation médullaire, petit
boîtier de la taille d’une boîte de
bonbons. «L’opération se déroule
en ambulatoire, le patient rentre
donc chez lui le soir même», sou-
ligne Anne Durrer. Infirmière
anesthésiste à l’efficacité sourian-
te, la coordinatrice du Centre a
rejoint l’établissement morgien «il
y a vingt-deux ans maintenant,
après un début de carrière au
CHUV.» Elle prend part à l’aven-
ture de l’unité d’antalgie depuis
ses origines, gérant notamment
les nombreux contacts avec l’étran-
«L’intensité des
stimulations
peut être
modulée»
REPORTAGE
HÔPITAL DE MORGES|21
ger, dans le cadre de programmes
de recherche ou de coopération.
«Nous soutenons notamment
deux actions d’amélioration de la
prise en charge clinique en anes-
thésie et en antalgie au Vietnam et
en Tanzanie.»
Et soudain,
une vie bascule
Salvatore Tomasso vient de passer
le cap de la soixantaine. Il y a trois
ans, il en paraissait vingt de plus.
«J’étais en vacances en Italie. C’est
venu tout d’un coup. De terribles
douleurs au bas du dos qui se pro-
pageaient dans les jambes. Je ne
pouvais plus marcherInstalla-
teur sanitaire vivant à Begnins
(VD) depuis belle lurette, Salva-
tore a soudain l’impression qu’il ne
vit plus. «Mon médecin m’a
conseillé de venir ici.» C’est Jean-
Pierre Mustaki, l’un des autres
médecins-chefs du Centre, qui
s’occupe de lui. «Le cas de mon-
sieur renfermait tous les critères
pour essayer la neuromodulation:
des douleurs particulières, c’est-à-
dire neurogènes ou vasculaires,
mais pas mécaniques, à caractère
chronique, chez un patient ne pré-
sentant pas de contre-indica-
tion.»
De plus, Salvatore Tomasso est
d’accord de tenter le coup, et il se
montre suffisamment à l’aise avec
la technique pour manier la petite
télécommande qui communique
avec le boîtier par télémétrie.
«Grâce à elle, la personne peut
moduler l’intensité des stimula-
tions électriques; voire arter
momentanément l’appareil», sou-
ligne encore Jean-Pierre Mustaki.
En théorie, placer un électrode
près de telle vertèbre permet de
stimuler telle partie de telle jambe.
«Dans les faits, seul le retour d’in-
formation du malade nous aide à
positionner l’appareil avec préci-
sion, afin de définir une véritable
géographie sensitive.» La petite
intervention chirurgicale achevée,
fréquence, amplitude et longueur
des ondes seront glées à distance
par informatique. De mensuels,
les contrôles s’espacent rapide-
ment, et Salvatore Tomasso
ne vient plus à l’hôpital
La qualité de vie de Salvatore Tomasso a changé du tout au tout depuis qu’on lui a installé un boîtier de stimulation électrique.
Migros Magazine 22, 31 mai 2010
REPORTAGE
HÔPITAL DE MORGES|23
qu’une fois par année. Il
avoue revivre. «Ah, je ne
songe pas encore au footing, mais
je marche à nouveau, je peux
conduire des heures sans autre
chose qu’un léger mal de dos. La
différence est énorme
De petites contraintes pour
de grands bénéfices
Le succès ne s’avère pas toujours
aussi absolu, bien sûr. «Parfois, le
petit fourmillement induit devient
insupportable. D’autres ne par-
viennent pas à s’adapter aux
contraintes que cela représente
Par exemple, la nécessité de bais-
ser légèrement l’intensité de la
stimulation lorsque l’on se couche.
Des entraves finalement mineures
par rapport aux effets secondaires
d’anti-inflammatoires, souvent ad-
ministrés à dose importante. Com-
me dirait Eric Buchser, entre cela
et vingt ans d’antidépresseurs, le
choix est vite fait.«Même finan-
cièrement, ajoute Anne Durrer,
plusieurs études ont démontré
que malgré un coût de départ élevé
– 15 000 francs environ – ce sys-
tème devient rentable à 24 mois.
D’autant que, contrairement à une
idée reçue, les douleurs chroni-
ques ne s’attaquent pas qu’aux per-
sonnes âgées.»
Autre thérapie antalgique dite
«interventionnelle», l’administra-
tion de médicaments par voie «in-
trathécale», soit directement dans
la gion de la moelle épinière où
s’effectue la transmission des si-
gnaux douloureux. Sous la peau,
une petite pompe est reliée à un
petit tuyau (cathéter) placé dans
le liquide céphalo-rachidien. «Ci-
blée, l’action antalgique sera plus
efficace et, de plus, obtenue avec
des doses beaucoup moins impor-
tantes que par voie orale
Une douleur de 7
sur une échelle de 1 à 10
Parmi les visites de l’après-midi, il
y a aussi cette dame âgée fragilisée
par les suites cumulées d’un lourd
traitement oncologique au visage,
il y a six ans. Unefracture du fémur,
plus cente, n’arrange pas les cho-
ses. «Aujourd’hui, ce n’est pas un
bon jour», soupire la septuagénaire.
Sur un papier représentant le degré
de douleur ressenti, elle indique un
score élevé de 7 sur 10. «Je n’arrive
pas à mâcher correctement, mes
prothèses dentaires me font souf-
frir. Ma hanche, aussi. Ça ne va
pas.» Jean-Pierre Mustaki écoute
attentivement. Pour quelque chose
d’aussi subjectif que la douleur, la
première priorité consiste à enten-
dre la plainte du malade. De rassu-
rer, aussi. «Les sultats de la biop-
sie sont bons, c’est une excellente
nouvelle. Et entre votre médecin
de famille et le collègue qui vous a
opérée, vous êtes bien suivie.» Et
ce spécialiste de proposer avec dé-
licatesse d’augmenter progressive-
ment la dose d’anti-inflammatoi-
res, en les couplant avec des anti-
dépresseurs. «Parce que vous
n’avez pas le moral, mais aussi
Salvatore Tomasso se rend une fois par année à l’hôpital pour un contrôle.
«Je marche
à nouveau,
je peux
conduire…»
parce que l’association des deux
médicaments provoque un effet
antalgique reconnu.»
Cinq cents malades
vus par année
A part quelque palpation du crâne
pour confirmer son impression,
Jean-Pierre Mustaki ne pourra faire
grand-chose de plus pour cette fois.
La petite dame reviendra dans deux
mois, non sans que son généraliste
ait été contacté par le Centre. «Sur
dix malades que je vois (et il y en a
500 nouveaux chaque année, ndlr.),
il y en aura peut-être deux ou trois
pour lesquels je ne pourrai rien
faire. Un sur dix fera un bon candi-
dat pour la neuromodulation, les
autres seront aidés grâce à des in-
jections, des infiltrations, ce genre
de choses.»
Bref, le Centre ne alise pas
de miracle. «Nous n’avons pas de
baguette magique, reconnaît le
patron. Le but consiste à diminuer
la gêne ressentie, et à permettre
un retour à une qualité de vie ac-
ceptableCe qui n’est déjà pas si
mal, non?
Pierre Léderrey
Photos Fred Merz / Rezo
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