Migros Magazine 22, 31 mai 2010
REPORTAGE
HÔPITAL DE MORGES|23
qu’une fois par année. Il
avoue revivre. «Ah, je ne
songe pas encore au footing, mais
je marche à nouveau, je peux
conduire des heures sans autre
chose qu’un léger mal de dos. La
différence est énorme.»
De petites contraintes pour
de grands bénéfices
Le succès ne s’avère pas toujours
aussi absolu, bien sûr. «Parfois, le
petit fourmillement induit devient
insupportable. D’autres ne par-
viennent pas à s’adapter aux
contraintes que cela représente.»
Par exemple, la nécessité de bais-
ser légèrement l’intensité de la
stimulation lorsque l’on se couche.
Des entraves finalement mineures
par rapport aux effets secondaires
d’anti-inflammatoires, souvent ad-
ministrés à dose importante. Com-
me dirait Eric Buchser, entre cela
et vingt ans d’antidépresseurs, le
choix est vite fait.«Même finan-
cièrement, ajoute Anne Durrer,
plusieurs études ont démontré
que malgré un coût de départ élevé
– 15 000 francs environ – ce sys-
tème devient rentable à 24 mois.
D’autant que, contrairement à une
idée reçue, les douleurs chroni-
ques ne s’attaquent pas qu’aux per-
sonnes âgées.»
Autre thérapie antalgique dite
«interventionnelle», l’administra-
tion de médicaments par voie «in-
trathécale», soit directement dans
la région de la moelle épinière où
s’effectue la transmission des si-
gnaux douloureux. Sous la peau,
une petite pompe est reliée à un
petit tuyau (cathéter) placé dans
le liquide céphalo-rachidien. «Ci-
blée, l’action antalgique sera plus
efficace et, de plus, obtenue avec
des doses beaucoup moins impor-
tantes que par voie orale.»
Une douleur de 7
sur une échelle de 1 à 10
Parmi les visites de l’après-midi, il
y a aussi cette dame âgée fragilisée
par les suites cumulées d’un lourd
traitement oncologique au visage,
il y a six ans. Unefracture du fémur,
plus récente, n’arrange pas les cho-
ses. «Aujourd’hui, ce n’est pas un
bon jour», soupire la septuagénaire.
Sur un papier représentant le degré
de douleur ressenti, elle indique un
score élevé de 7 sur 10. «Je n’arrive
pas à mâcher correctement, mes
prothèses dentaires me font souf-
frir. Ma hanche, aussi. Ça ne va
pas.» Jean-Pierre Mustaki écoute
attentivement. Pour quelque chose
d’aussi subjectif que la douleur, la
première priorité consiste à enten-
dre la plainte du malade. De rassu-
rer, aussi. «Les résultats de la biop-
sie sont bons, c’est une excellente
nouvelle. Et entre votre médecin
de famille et le collègue qui vous a
opérée, vous êtes bien suivie.» Et
ce spécialiste de proposer avec dé-
licatesse d’augmenter progressive-
ment la dose d’anti-inflammatoi-
res, en les couplant avec des anti-
dépresseurs. «Parce que vous
n’avez pas le moral, mais aussi
Salvatore Tomasso se rend une fois par année à l’hôpital pour un contrôle.
«Je marche
à nouveau,
je peux
conduire…»
parce que l’association des deux
médicaments provoque un effet
antalgique reconnu.»
Cinq cents malades
vus par année
A part quelque palpation du crâne
pour confirmer son impression,
Jean-Pierre Mustaki ne pourra faire
grand-chose de plus pour cette fois.
La petite dame reviendra dans deux
mois, non sans que son généraliste
ait été contacté par le Centre. «Sur
dix malades que je vois (et il y en a
500 nouveaux chaque année, ndlr.),
il y en aura peut-être deux ou trois
pour lesquels je ne pourrai rien
faire. Un sur dix fera un bon candi-
dat pour la neuromodulation, les
autres seront aidés grâce à des in-
jections, des infiltrations, ce genre
de choses.»
Bref, le Centre ne réalise pas
de miracle. «Nous n’avons pas de
baguette magique, reconnaît le
patron. Le but consiste à diminuer
la gêne ressentie, et à permettre
un retour à une qualité de vie ac-
ceptable.» Ce qui n’est déjà pas si
mal, non?
Pierre Léderrey
Photos Fred Merz / Rezo