1-Le décollage : un acte poétique, imaginaire, créatif

Jacques Mahé DE LA VILLEGLE
Dossier rédigé par Virginie Duval-Wingel, service éducatif du musée départemental d'art ancien et contemporain à Épinal.
PROBLEMATIQUES
1-Le décollage : un acte poétique, imaginaire, créatif :
VILLEGLE : « Dans l’esprit du collectionneur d’affiches lacérées, l’art du décollage est l’invitation à
quitter le domaine des réalités étatiques et bourgeoises, des conditionnements de la propagande et de la
publicité pour celui poétique, du rêve et de l’imaginaire ».
( VILLEGLE pour exposition VILLEGLE affiches lacérées juin-juillet 1991, Musée VASARELY et Galerie Pascal Laine).
« Il est certain que devant certaines affiches, j’estimais que, quoiqu’elles soient l’expression de la réalité,
elles pouvaient mener à la méditation »
( Petit vocabulaire VILLEGLE).
-Monde imaginaire : déchirer, découper, coller, associer librement des morceaux d’affiche, de
documents publicitaires, d’images pour montrer un monde imaginaire…
-Reconstitution : reconstituer une affiche lacérée : que contenait les parties manquantes ? Affiche
publicitaire, politique, de cinéma… A vous de choisir et d’imaginer les partie manquantes.
2- Une approche sociologique de l’art :
-Les affiches :
Au début des années 50 VILLEGLE se dénomme « affichiste » et révèle « la guérilla des signes » . Il
tient « le journal du monde de la rue » . Il collecte, classe et montre ses décollages d’affiches, « reflet
de la culture dominante ». Il veut faire une œuvre populaire et apporter le témoignage de la vie
d’une époque : son contexte politique, social, culturel…
Il s’approprie ainsi des déchirures monochromes, abstraites ou lyriques, des papiers politiques
protestataires (Giscard / Mitterrand 1974 ou 1981), des publicités détournées ou des placards de
journaux surchargés de graffitis (L’humanité c’est la vie, 1957). Il entreprend aussi des prélèvements sur
ses contemporains de l’art avec la série des MATHIEU, DUBUFFET et les affiches de peintres
(L’anonyme du dripping, 1967)
.
VILLEGLE : « Le DECOLLAGE est l’action de décoller ou d’arracher un objet collé ou fixé. Les
ravisseurs ont plus particulièrement collectionné des affiches lacérées ; étymologiquement, l’affiche,
avant d’être le « média » des avis officiels ou commerciaux, représenta une chose attachée, fixée, fichée,
puis devint par glissement lexical le piquet qui attache, fixe et fiche.
« Je voyais que la peinture de genre dite historique, qui était absolument rejetée par l’avant-garde,
pourrait renaître par le choix des affiches politiques ».
-L’ alphabet socio-politique :
L’analyse socio-politique guide le regard posé par VILLEGLE sur son environnement urbain et
oriente ses recherches plastiques dés 1969 sur un nouveau système d’écriture qui se développe
progressivement dans l’espace public : à la faveur de la visite de Richard NIXON à De GAULLE, les
graffitis investissent les murs du métro parisien en utilisant un code de lecture spécifique, dans lequel
interviennent le politique, le social, le religieux, l’économique. Depuis, Jacques VILLEGLE récole,
juxtapose et recompose les graphismes sur les toiles, les affiches, les objets, les vêtements questionnant
cette expression anonyme qui témoignent que tout système d’écriture reflète un état du pouvoir.
« En 1969, quand j’ai réalisé que je pouvais créer un nouvel alphabet qui serait appelé socio-politique,
j’ai saisi que je pouvais amener un élément nouveau dans la façon de raconter l’histoire actuelle. De
créer un alphabet après les alphabets zoomorphiques, anthropomorphiques, cela me faisait comprendre
que la fin de la calligraphie n’était pas prête et qu’il pouvait y avoir un renouvellement ».
-Créer votre alphabet : alphabet animalier , alphabet des plantes, alphabet de la cuisine, alphabet de
la salle de bain, alphabet du code de la route…
En vous servant des formes et des signes relatifs à chaque domaine, imaginez un nouvelle
alphabet.
3-Le statut de l’art, le geste de l’artiste :
- La démarche de VILLEGLE s’inscrit dans la lignée de DADA et de Marcel DUCHAMP.
- Appropriation du réel
- Absence de savoir faire pour créer / artiste non technicien.
En 1960, membre fondateur du Nouveau Réalisme, VILLEGLE déclare : « mon concept fut de prouver
qu’une nouvelle race d’artistes non techniciens pouvait exister ».
Pour l’artiste « Ravir, collectionner, signer des affiches lacérées, vivre chez soi avec elles, les exposer
dans les galeries , les salons, les musées, c’est non la mise en question de l’œuvre d’art au sens du ready–
made de DUCHAMP, mais bien une mise en question de l’artiste traditionnel et professionnel »
VILLEGLE pressent (au moment où toutes les manières d’abstraction envahissent la toile ou le scène
occidentale de la peinture) qu’il est possible , d’un geste, de résumer ou de généraliser la tendance
abstraite, de s’en arracher en mécanisant le geste abstrait, le vidant par là de toute intentionnalité : en
niant le peintre qui traditionnellement cherche à « composer » par une série de formes une imagerie qui
lui serait aussi personnelle que le regard qu’il pose sur les choses ou les sociétés où il vit.
Le geste de VILLEGLE en prélevant des affiches elles mêmes déjà recouvertes par d’autres affiches
publicitaires, exposées dans les lieux publics, malmenées par la rue, s’oppose à l’hésitation subjectiviste
du « peintre traditionnel ». En arrachant des affiches elles mêmes lacérées, en les collectionnant, en en
constituant des séries qui sont autant de moments, ce sont des parcelles de société qui sont ainsi
désignées, montrées (puisque exposées) ; disons manifestées avec une violence qui se refuse à tout secret
et à toute intériorité. VILLEGLE ne retient dans le prélèvement d’affiches déchirées que son propre geste
qui est celui d’un « arrachement littéral ». En ce sens son radicalisme est exemplaire. Son attitude va
rejoindre celle des Nouveaux Réalistes où prélèvement et manipulation d’objet de consommation
courante seront données à voir socialement, puis esthétiquement. Ce qui fut d’abord considéré comme de
la provocation est devenu aujourd’hui la mémoire collective d’ « une civilisation de consommation ».
L’ensemble des lacérateurs, ravisseurs, voyeurs et collectionneurs sera distingué par la dénomination
générique « Lacéré Anonyme ».
VILLEGLE : « Que ma main sache continuer le geste ébauché d’un inconnu, d’en tirer gloire serait
niais- spéculation appropriative de l’objet ne doit pas être abaissée au niveau d’un procédé d’atelier. Il
reste regrettable de signer une affiche, mais il demeure vrai que par mon label j’en facilite la
reconnaissance et la préserve de la destruction. Pour avaliser le secret de création de l’œuvre lacérée,
j’ai organisé en juin 1959 dans l’atelier de François DUFRENE une série de soirée intitulées le « Lacéré
Anonyme ». Par ce nom générique chaque œuvre y gagne un caractère spécifique. Elle peut être regardée
suivant la localisation de la trouvaille, ou suivant la prédominance esthétique, documentaire ou affective
que le regardeur y discernera. La sauvagerie gestuelle d’une multitude s’individualisera pour devenir la
plus marquante manifestation »d’art fait par tous et non par un » de notre époque. (Les boulevards de la
création).
- Archéologie : recouvrir, découvrir ou les découvertes d’un archéologue sur une civilisation
oubliée…
4-La collecte :
le ramassage, le glanage, la promenade, la déambulation, le circuit, le repérage, le
lieu, le parcours… le voyage (affiches de diverse villes ou pays).
VILLEGLE devient dés 1949 rapteur urbain, moissonneur d’affiches lacérées, collectant des centaines
d’affiches dans divers lieux. : « Les collections, c’est une façon de voir le monde ».
(VILLEGLE dans petit
vocabulaire).
Ces collectes deviennent des promenades, des circuits organisés, engendrant parfois de véritables rituels
lors du repérage ou de décollage :
VILLEGLE : « Le ravisseur d’affiche aime déambuler dans les rues afin de provoquer la rencontre
fortuite. Il connaîtra le plus grand nombre possible de voies où s’implantent les chantiers de construction
et il tiendra compte des maisons expropriées ou condamnées à brève échéance aux coups de pioche.
(dans cette attente elles sont couvertes d’affiches collées à la sauvette , trop souvent, dans des artères
sans recul, elles sont dédaignées des entreprises d’affichage qui laissent le champ libre aux clandestins :
cellules du Parti ou comités d’action, étudiants préparant leur bal corporatif, gérants de cinéma de
quartiers qui annoncent leur programme, agences immobilières, petites entreprises de déménagement…).
Le ravisseur passera au large des demeures et hôtels historiques, tels les hôtels du Marais. Car au nom
de la loi du 12 avril 1943 validée par la 4
ème
république, les lacérateurs officiels en passent les palissades
au chalumeau avant d’y apposer la petite pancarte plastifiée de leur service : « campagne propreté de
Paris », au armes et aux couleurs sur fond blanc, de la capitale.
Le ravisseur évitera certains quartiers de rénovation dépourvus de palissade, de même que les grands
ensemble de banlieue dépourvus de la tôle de la palissade.
Il rend visite aux palissades du RER dans sa traversée des halles… Dans le métro-boulot, le graffito est
plus vivace que la lacération. Les graffiti parisiens en bulle ou non , commentent ou font parler les
affiches. La province reste peu fertile.
(Les boulevards de la création).
Pour l’anecdote :Raymond HAINS, lorsqu’il travaillait, demandait parfois qu’on surveille si la police
passait. Il allait facilement chercher de l’eau dans un café pour mouiller l’affiche et la décoller plus
aisément.
5-Passage du temps / Altération :
strate, couches, superposition / affiches lavées par la pluie,
décolorées par le soleil / Affiches déchirées par le passant, recouvertes de graffitis, agrémentées de
bulles qui les font parler ou les commentent.
Les affiches collectées ont la plupart du temps subis des altérations ou des modifications dues au passage
du temps, à la météo, à l’utilisation des panneaux d’affichage, à l’action des passants. Ces modifications
subies par les images et les textes vont susciter l’intérêt des affichistes et parfois conduire au choix de
l’artiste lors de la collecte.
-Montrer les effets du passage du temps sur une image, un document : décolorations, plis, taches,
déchirures, effacements…
6-Lettres et mots :
-Le brouillage de l’écriture
VILLEGLE réalise avec Raymond HAINS des expériences grâce à des verres cannelés qui permettent des
déformations et des éclatements formels. Ils appliquent cette méthode à la typographie et créent une
nouvelle morphologie : l’ultra-lettre, en faisant éclater un poème de BRYEN intitulé Héperile
(voir HAINS
et VILLEGLE, l’Intrusion du verre cannelé dans la poésie, Paris, Librairie de Lutécia, 1953
) Il s’agit selon RESTANY
d’une « forme supérieure de synthèse de l’illisible dans laquelle l’anti-syntaxe et l’allitération dénaturante
chère à BRYEN sont portés à leur paroxysme par le truchement des ultra-lettres : à l’éclatement du sens
vient s’ajouter l’éclatement de la forme ». La déconstruction du langage laisse place à une déconstruction
des formes, d’incompréhensible le poème se fait illisible.
Après ces expériences, les affiches apparaissent donc comme diffractées sur les murs de la ville, elles
correspondent à un brouillage naturel de l’image que l’on peut comparer au brouillage permis par les
verres cannelés ou hypnagogoscope (réflecteur circulaire qui démultiplie les objets et les formes).
VILLEGLE : « Lors de la parution de Hepérile éclaté, ce petit livre voué à une faune zébrée d’ultra-
lettres-bayadéres, ondines cannelées de la nouvelle mythologie, nous avions avec HAINS spécifié sur un
écart : nous n’avons pas découvert les ultra-lettres, nous nous découvrons plutôt en elles. L’écriture n’a
pas attendu notre intervention pour éclater, il y a des ultra-lettres à l’état sauvage. Notre mérite ou notre
astuce, c’est d’avoir vu des ultra-lettres, là où nous étions habitués à voir des lettres déformées ».
-Mots mêlés : exploiter les mots, fragments de mots ou de phrase, collecter , récupérés sur les diverses
œuvres exposées et imaginer un texte, reconstituer un texte, un événement, écrire une histoire…
-La typographie
VILLEGLE invente donc une écriture à partir des signes, symboles et pictogrammes recueillis
dans la rue. Il va utiliser différentes techniques appliquées à cette typographie : passage de la
calligraphie ( dessin) à la peinture puis à la bombe. Il réalisera des compositions de caractère
typographique à l’ordinateur puis passera à la sculpture.
« (…) Mais en 1969 , il y avait longtemps que je n’avais plus fait de dessin et la calligraphie est un
dessin, donc il m’a fallu, étant donné toutes mes charges de vie, une dizaine d’année pour adapter la
calligraphie d’une page de format raisin qui pouvait être considérée comme vraiment une œuvre d’art et
non pas une page de simple écriture manuscrite (…).
C’est au début des années 1980 que j’ai fait de véritables grands formats au pinceau, à la bombe. Et des
graphismes socio-politiques picturaux, je suis passé à la composition de caractères typographiques grâce
à l’ordinateur ; c’est ainsi que je suis passé de la typographie à la sculpture (…).
Il fit une première police de caractères en 2002, puis une seconde en 2007. J’ai étudié une deuxième et
troisième police de caractère de style pochoir qui me plaisent car du graphisme j’en viens à la
typographie la plus architecturale ».
-L’écriture
dans tous ses états : lettres dessinées, lettres peintes, lettres bombées, lettres découpées,
lettres en volume… Lettre au feutre, au crayon, au pastel, au petit et au gros pinceau, à la brosse à
dent, au coton tige, à la bombe, aux ciseaux, avec mes mains, en fil de fer, en carton …
Combinez vos réalisations.
7-Lecture de l’image, degré d’iconicité :
La lecture de l’image est brouillée, la vision est parcellaire, fragmentaire, les images et les mots
composant les œuvres sont incomplets : la frontière entre figuration et abstraction, lisible et illisible
devient floue.
-Figuratif ou abstrait ?
-Fragmentation.
-Reconstitution : reconstituer une affiche lacérée : que contenait les parties manquantes ? Affiche
publicitaire, politique, de cinéma… A vous de choisir et d’imaginer les partie manquantes.
8-Quelques éléments plastiques :
-La question du format : le grand format permet de toucher un vaste public. Les formats sont choisis en
fonction de l’humeur du moment et en fonction de la palissade.
- Le matériau papier et les gestes liés à l’utilisation de l’affiche : arracher, lacérer, coller, décoller,
mouiller, rouler, plier, entasser…
« J’ai considéré que l’affiche lacérée était un médium qui me permettrait d’être aussi libre qu’un peintre
devant sa toile blanche ».
« C’est une élément de notre civilisation. Nous sommes une civilisation du papier, de l’écrit, la culture
passe par ce médium. Donc j’ai connu une pénurie de papier pendant l’occupation. Le papier comme la
pellicule de cinéma était devenu quelque chose de rare. A la libération, les grands journaux étaient
publiés seulement sur une double page, il y avait donc un grand respect pour le papier, les affiches, la
publicité disposait de quotas plus importants que l’édition et la presse car ceux qui avaient la charge de
distribuer le papier étaient les mêmes que ceux qui les distribuaient pendant l’occupation (…). Je ne suis
pas un maniaque du papier, je fais mes œuvres avec le papier qui me vient sous la main, c’est la
composition d’un graphisme qui m’intéresse et non son support ».
-Qu’aurait fait VILLEGLE avec du tissu ?
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