~ Ce texte a étéprésentélors du çotloque international>Recherchequalitative et gestion,qui s'est tenu à l'École desHautesEtudesCommerciales,à Montréal, le 26 octobre 1996. Recherchesqualitatives et longitudinales: les relations entre sociologieet histoire par Françoise Chevalier Cahier de recherche n° 96-11-09 Novembre 1996 ISSN : 0840-853X Ar FraJlÇQise Chevalierestprofesseureet membre du GroupeHEC. France. Copyright <C1996. École des Hautes Études Commerciales (HEC), Montréal. Tous droits réservés pour tous pays. Toute traduction ou toute reproduction sous quelque forme que ce soit est interdite. Les textes publiés dans la série des Cahiers de recherche HEC n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs. La publication di! ce Cahier de recherche a été rendue possible gr✠à des subventions d'aide à la publication et à la difjüsion de la recherche provenant desfonds de l'École des HEC. Direction de la recherche, École des HEC, 3000, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal (Québec) Canada H3T 2A7. ~ INTRODUCI'ION 1. n. UNE PROBLEMATIOUE DE RECHERCHESPECIFIOUE - Exposéde la problématique - Objectifsde recherche - Les étudesdéveloppées UNE DEMARCHE DE RECHERCHE UJ Recherchequalitative Recherchecomparative Recherchelongitudinale UNE DOUBLE .m- !.!J PERSPECTIVE Histoire et sociologie: deux clisciplinesdifférentes Les points de convergence Le "sociologue-historien" CONCLUSION . 2 INTRODUCTION Sociologieet histoire: vaste sujet! Question fondamentaleaussi, car"derrière il y a tout le problème de l'explication en sociologie. Si le débat théorique sur les rapports entre histoire et sociologiea une grande importance,il est égalementfort intéressantde nous interroger en tant que practicien de la sociologiesur les raisonset les façonsd'articulerles deux démarchesdansnos recherches. Témoignagedonc et réflexion sur une pratique: tel seranotre propos.L'inconvénientde ce choix est qu'il nous conduira à être très "pointu" : nous évoqueronsune problématiquespécifique de rechercheet nous n'en soruronsguère.Nous nous efforceronstoutefois d'utiliser cette expériencecomme illustration généraled'une interrogationet d'un cheminementde sociologuepar rapport à l'histoire. 3 UNE PROBLEMATIOUEDE RECHERCHESPECIFIQUE - Exooséde la l)roblématiaue La problématique qui nous intéresse ici est celle des modes managériales et du changement organisationnel.En effet, depuisl'instauration du taylorismeet son développementavec sesréussites mais aussi ses excèsde rationalité et ses dysfonctionnements,les entreprises ont été amenéesà repenserleur modede management.Elles sont passées,dansce domaine.de la direction participative par objectifs(DPPO),aux groupesautonomesde travail, aux cerclesde qualité, aux projetsd'entreprise et aujourd'huiqualité totale, réengeeneringet certification tiennent le devant de la scène.Chacunede - ces modes s'est appuyéesur des référencesà des modèles le modèle américain, le modèle de la démocratieindustrielle à la suédoiseou à l'allemande.le modèlede gestionà la japonaise.... Ainsi, régulièrement,de nouvellessolutionsaux problèmesd'organisationapparaissent.Chacune,fait naître de grands espoirs.Experts et conseillersd'entreprisesles mettent en valeur et suscitent les premières expériences.Quelques entreprisesen font l'essai, en général avec succès.Les revues professionnel1es et la pressediffusent alors rapidement leurs réalisations. Mais, finalement, après qut:lquesannées,le modèle est délaissé,dirigeants et membresdu personnel assurent,parfois avec regret, que la solution apportait peu, et l'idée tombe dans l'oubli Pour être, quelquetemps après, relayéepar un autre modèle, avec de nouveaux experts,une nouvelle formation appropriéeet un nouveau"drapeau"autour duquel se rassemblentde nouveauxinitiés. Bref, un modèle qui, au départ, susciteautant d'espoirset d'attentesque le précédent,avantd'être,à sontour, quelquestempsplus tard, , abandonné.Tout sembleparfois sepassercommesi les organisationsétaientatteintesd'amnésie. Ce qui frappe, en effet, c'est souvent le peu de réflexion critique sur ces modèles et ces expérimentations.Sans doute les entreprisesoffrent~ellesdes terrains riches de réalisations dont plusieursapparaissentrelatéessousforme de monographies.Les comptes-rendusd'expériencessont 4 ~ nombreux,de mêmeque les analysescherchantà présenterdesréflexionsplus généralessur la nature desphénomènesétudiéset sur leur ampleurà un momentdonné.Proposantdesrecueilset desanalyses de donnéesempiriques importantes, les recherchess'appuientnéanmoinspour la plupart sur des observationsponctuelleset l'on manqueencorede recul par rapport à l'amplitude des phénomènes étudiés, à leur d}'-namiqueet à leur évolution dans le temps. Seuls quelques rares bilans sont disponibles,telle livre paru en suédois,puis en anglais et traduit ensuiteen français par l'UIMM et présentantdix annéesd'expériencesde réorganisationdu travail dansl'usine Volvo de Kalmar. Cettefaiblessedesbilans rend bien sûr extrêmementdifficile le suivi des expérienceset plus encore leurs comparaisons,qu'elles soient nationales ou internationales. Faute d'un matériel empirique suffisant, faute de synthèse,la réflexion sur le continuum des réalisationset sur leur successionpar vaguesdansles entreprisesresteencorelimitée. Obiectifsde recherche Aussi, estwilpossiblede distinguertrois objectifs très larges qui guident depuisplusieurs annéesnos travaux. Le premier objectif est de contribuer à une meilleure cOIUlaissance du fonctionnementréel desmodes d'organisationdans différentesentreprises.En cela, nos recherchesde style monographiquerelèvent desapprochessociologiquesclassiques. , Un deuxièmeobjectif est de suivre l'évolutiQndans le temps de ces modesd'organisation, donc de dépasserune observationstrictementponctuellepour saisir le phénomènedansla duréeet ainsi être en position d'observateurprivilégié pour mieux comprendre,par exemple,les doubles mouvementssi caractéristiquesd'enthousiasmepuis de désillusion qui accompagnele déferlementdes modèlesde managementdansles organisations.Ici, notre démarchede chercheurtend à se démarquerdestravaux .... 5 ~ menésjusqu'à présent qui. pour la plupart, fournissent des photographiesà un moment donné des phénomènesétudiésalors que nous cherchonsà enregistrer, à suivre pas à pas, révolution dans le tempsd'un mêmemoded'organisation.puis le passaged'un de cesmodesà un autre. C'estici aussique notreréflexion de sociologueva cotoyerl'histoire. A cesobjectifsde connaissance qualitativeet longitudinale. il convientd'ajouterun troisièmeaxe, plus théorique. qui consisteà voulojr mieux comprendre à partir de ces modèlesd'organisation,leur émergence,leur développementet leur successiondansle temps.et ainsi les processusde changement et d'apprentissage organisationnelà l'oeuvredansles entreprisesà cetteoccasion. Les étudesdévelouuées Partant de là, nous avons été amenéà développerdifférentes recherches,certainessont terminées, d'autressonten cours,d'autresviennentde démarrer. Nous avons par exemple suivi durant 7 ans dans 12 entreprisesdifférentes le développementde programmes cercles de qualité; nous suivons actuellement depuis 5 ans le déroulement de programmesqualité totale dans5 entreprisesfrançaiseset venonsde démarrerune nouvellerecherche sur la mise en place et .les résultats de la certification. Ces différentes recherchesfont l'objet de publicationssuccessives destinées,pour les unes.plus particulièrementau mondeacadémique,pour les autres,au mondeprofessionnel. L'objet de cette réflexion n'étant pas de fournr une relation détailléeet approfondie de ces études, , nousnousborneronsà évoquerquelquesuns qe leurs résultatsessentiels(Chevalier,1991,1992). Les recherchesque nous menonsdepuisplusieurs annéesnous ont permis en particulier de mettre à jour de véritablescyclesde vie desmodesd'organisation,caractériséspar desphasesbien distinctesde lancement,de diffusion, d'essoufi1ement puis de disparition, d'intégration ou de survie. Ces études conduisentégalementà mettre en lumière différents paradigmesdu changementorganisationnelet montrentl'importancedesdispositifsde changementsur l'issuefinale desprocessus.Elles s'interrogent aussi sur les apports éventuelset les limites des modes managériales,sous queUesconditions ces 6 dernièressont-elles susceptibles d'être factl~ursde progrèsou au contraire sourcesde désillusionset d'échecs. II - UNE DEMARCHE DE RECHERCHE Le dispositif de recherchecomportetrois grandesfacettes:il estqualitatif, comparatif et longitudinal. Recherche Qualitative Pour être à même d'appréhenderle fonctionnementréel des modes d'organisation,les réactionsqu'ils suscitent,les résultatsqu'ils apportent,leur évolution dans le temps, il ne suffit pas d'en COIU1aître les donnéesformelles, ni se contenterd'observerla marchedesorganisationsde l'extérieur. Pour s'engagerà comprendrela dynamiquequi peut sous-entendre et façonnerun nouveaumodèle, il est indispensablede connaîtreet d'analyserau fil du tempsles perceptionset les attitudesdespersonnelset la manièredont le modèle s'insère dans les systèmessociaux des différentes entrepris~s.D'où la nécessitéd'étudier , concrètementle fonctionnementdesmodesd'organisationsur le terrain. Ne pouvant partir de l'abstrait ni d'une quelconquerationalité à priori, nous avons choisi d'utiliser une méthoded'analyseclinique permettantde découvrir la réalité des pratiques: l'analyse sociologiquedes organisations (Crozier et Friedberg, 1977).Cene~cipermeten effet de partir de l'expériencevécuepar les acteurs pour proposer ensuite et vérifier des hypothèsesde plus en plus généralessur les modes de fonctionnement étudiées. Notre démarche de recherche, qualitative, est hypothético-inductive,elle , constitue et cerne son objet d'étudespar étap~ssuccessives,à travers-la formulation de premières hypothèses,l'observation,la comparaisonet l'enrichissementdeshypothèsespuis à nouveaul'observation et l'interprétation desmultiples processusqui composentles systèmesd'action concretsétudiés.Le choix du "qualitatif', c'est le choix du respectde l'humain et de sa complexité. La démarchese sert, en fin de compte,du vécu desacteurspour proposeret vériller ensuitedeshypothèsesde plus en plus généralessur les caractéristiquesdes ensemblesétudiés. Ce type de recherche s'intéressenon pas tant à l'aspect quantifiable des phénomènes,mais chercheavant tout à répondre "au pourquoi" et "au comment" des événementsdansdessituationsconcrètes.EUechercheà "faire sens"plutôt qu'à "donner la preuve". 7 ~ La recherchequalitative se traduit ainsi par un travail de confrontation 0 fastidieux. avec les seules donnéesempiriques. Ce travail n'est pas de toul particulier le renoncementprovisoire à l'élaboration précise de la théorie; Recherchecomuarative Démarche qualitative mais aussi comparative. Comment, en effet, étabJir la validité d'une interprétationcausalereposantsur un cas unique. aussi nourri soit-il? Le recours à une approche comparativeapparaît absolument nécessaireà une véritable explication. La méthode comparative accompagne la recherchequalitative; elle pennetd'étayer la validité d'uneinterprétationcausalc. La démarches'appuiedonc fortement sur le recueil, l'analyseet ta comparaisonde dOMéesnarratives ou de comportementsobservables.Ainsi, par exemplepour nos recherchessur les programmescercles de qualité, les programmesqualité totale ou encoresur la certification, nous avons certesrassemblé une abondantedocumentation écrite mais aussi procédé à la réalisation de plusieurs centaines d'entretienssemiAdirectifs.Entretiens auprès des directions, du managementet de l'ensemble des salariés.Nous avons égalementété amenésà assister,en tant qu'observateur,à de très nombreuses réunions,actionsd'information et de formation. , Recherchelomdtudinale Ces recherchesqualitatives et comparativessont aussi longitudinales. En effet, et compte tenu de notre problématique.il s'avère indispensablede travailler dans Je temps, de suivre pas à pas le développementd'un programme CQ, QT ou certification et à cette occasion de décrypter les mécanismesde changement.Modesde managementet changements'inscriventdans la durée.D'où la fréquentationcontinue,sur plusieursannées,d'un certainnombred'entreprises.Ce qui ne va pas de soi ni d'un point de vue strictementpratique (l'accèsau terrain), ni d'un point de vue plus méthodologique '8 (analysesde contenu, interp.rétations).Le matériel recueilli. les entretiensen particulier. couvre plusieursannées.Autrementdit, le chercheurrevient régulièrementsur sesterrains. et mèneplusieurs entretiensà desmomentsdifférents avec les mêmesacteursou de nouveaux. La prise en compte du temps nécessitealors une vigilance accrue. Il s'agit en effet de garder intact la fraîcheur des événementsen.registrés.Bref. de ne pas sous-estimerles premières observationsau regard des dernières.de ne paslaissercesdernières"contaminer"les premières.Par exemple.de ne pasamoindrir les phénomènesd'enthousiasmecaractéristiquesdes phasesd'émergenceet de développementde nouveaux:modèles de management,eu égard au phénomèned'essoufflementque l'on enregistre souventpar la suite. Ici, les préoccupationsdu sociologuerejoignentcelles de l'historien pour qui le tempsest essentiel. Confrontésà ces difficultés, nous avons choisi d'exploiter en continu les donnéesrecueillies. Ainsi aprèschacunede nos campagnesd'entretiens,nous procédonsà un dépouillementet à l'interprétation des données.Ce processusde "stabilisation intennédiaire" du matériel nous parait essentiel caf il permetde garderla mémoiredesdonnéesaux temps "t", Olt+ 1", "t + 2" et ainsi de faire progresserla réflexion. Ce traitementen continu sur despériodesrelativementlonguesse complètepar destravaux finaux, de reprisedansle tempsdesdifférentesanalyseset de leur synthèse.Un tel processuscomporte à coup sûr desmomentsdifficiles. TI serait parfois tellement tentantet surtout sécurisantd'écllafauder des théories sans se soucier des donnéeset de leur évolution dans le temps, sans se préoccuperde savoir si "l'empirique adhère au théorique". La réalité que nous vivons est toute autre, elle va du particulier au général, du ponctuel à l'historique, du synchroniqueau diachronique.Tout l'esprit et toute la tensionde nos démarchessont là. , III. UNE DOUBLE PERSPECTIVE Cetteperspectiveentre sociologieet histoire nous sembleincontournablepour comprendrela succession desmodèlesd'organisationet les processusde changementsorganisationnels. 9 Histoire et sociologie: deuxdisciolinesdifférentes Certes, sociologie et histoire sont des disciplines différentes. Le sociologues'intéressed'abord au présent.l'historien au passé.Pour le sociologue,le tempsa une importancerelative. Contrairementà l'histoire, en sociologieaucunelongueurn'estprivilégiée sur une autreet les découpages s'y font au gré des problèmesà traiter ou des hypothèsesà vérifier. Aucun cadre spatial non plus ne jouit d'une préséancequelconque.L'espaceest à géométrievariable et le sociologuea les mains libres pour le délimiter. En histoire, la plupart des divisions académiquesreposentsur le temps, le lieu, le sujet: histoire intellectuellede la Francemoderne,lùstoire politique de la Chine ancienne En sociologie, les divisions sont différentes.Elles s'opèrentpar fonctions socialesou processus;relations du travail, famille La plupart dessociologuestravaillent implicitement sur la sociétémoderneet mêmesur la sociétédans laquelle ils vivent. Le temps et le lieu ne sont pas des critères fondamentauxde leurs divisionsinterneset sontsouventignorés. Par ailleurs, les historienstravaillent sur des traces: c'est ce que nous ont laissé des gens qui sont morts. Les historienstravaillent sur des arc1ùves.En revanchele sociologuea l'habitude d'interroger desvivants et d'utiliser dessourcescontemporaines;il peut faire parler despersonnes; il peut créer des traces spécialementconçuesà son usagede sociologue.Les sociologues,par les enquêtesqu'ils mènent,créentleurs matériaux.Historienset sociologuesont, par conséquent,desmodalitésde preuve bien différentes. , S'interrogeantsur la complémentaritéou Itex;clusionmutuelle d'un esprit sociologiqueet d'un esprit historique, P. FougeyrollasrappeIle que "L'esprit historique serait générateurdtune saisie de la diachronie et d'une maîtrise de la temporalité coIlective (alors que) l'esprit sociologiqueinspirerait des approchesde la synchronieet une volonté de domination intellectuelle des espacessociaux" (Fougeyrollas,1996). -." îO ~ Les points de convergence Toutefois.au-delàde cettepremièredichotomie.la questiondes rapportsentre sociologieet histoire a évolué sensiblement ces dernières années. Ainsi dès 1928, le grand historien Henri Sée publiait chez Alcan un ouvrage qui nia pas reçu l'audience qu'il méritait, "Scienceet philosophie de l'histoire". D'emblée,l'auteur indiquait que les progrèsde la sociologieposede nouvellesquestionsquant aux relationsde cettescienceavecl'histoire. Pour lui, la sociologiequi se proposede décrire et d'interpréter Jesfaits sociaux et l'organisation a intérêt à prendre en comptele temps; et, de son côté,l'histoire ne peut vraiment comprendrele passé qu'en se rendant compte du présent.Bien souvent,c'est l'observationdesfaits présentsqui suggèreà l'historien l'objet de sesétudes.De même,Lucien Febvre,l'un des deux fondateursde la Revue des Annales, publication marquant le renouvellementde l'école historique françaisedans les années3O, esûmaitque "l'homme ne se souvientpas du passé,il reconstruittoujours. Il part du présent,et c'est à travers lui toujours qu'il connait et qu'il interprète le passé". Par ailleurs, l'Ecole des Annales, s'interrogeantsur les rapports des historiens à l'objet de leur recherche,donne la prééminenceà la tâchede "compréhension"du passésur cellede "résurrecûon"du passé. Plusprès de nous,dessociologuesaussidifférentsque PierreBourdieu,NorbertElias, Alain Touraine, ont contribuéà rapprochersociologieet histoire. Ils ont ainsi récuséla partition présent/passé, remis en causele positivisme dans les sciencessocialeset se sont faits eux.mêmes,à l'occasion,historiens. , Aujourd'hui, si l'historien hésite encore à ~e risquer dans la période la plus contemporaine,le sociologuea tendanceà investÎr le passéproche.Et la distinction histoire = passé,sociologie= ici et maintenant,apparaîtun peu brouillée. Et surtout,selon l'objet traité et la problématiquede rechercheinvestie, la sociologiea plus ou moins besoinde faire appelà l'histoire. Actuellement,on peut distinguerquatregrandsobjetsoù sociologieet histoire se conjuguent (Alter, 1996). Ainsi, le thème de la culture d'entreprise recoupe les préoccupationsdes sociologues,mais aussicelle des historiens. conunepar exemplePhilippe Ariès, -... 11 attachésaux "mentalités" et .aux représentations.Il en va de même de la stratégie d'entreprisequi oriente la recherchevers la connaissancedes modalités et des transfonnationsdes politiques, et qui interroge directementla rationalité des structureset des décisions.A ces deu..xpremiers objets, il convient d'ajouter le thème de la création et de la disparition des entrepriseset enfin, celui du changementorganisationnel.Le changementorganisationnelnoussemblevéritablementau coeurde la rencontresociologie et histoire car il introduit la notion de durée au coeur du fonctionnementdes organisationsen les présentantcommedesensemblesen transformationpermanente.En particulier, la partie de la sociologie qui s'intéresseaux analysesdiachroniquesou "études dites longitudinales" s'engagedansles perspectivesouvertespar les conceptset les méthodesde l'histoire. Lesrapprochementsentresociologieet histoire sefont jour au traversde problématiques,mais ausside préoccupationsméthodologiques.Dans la pratique, la sociologieet l'histoire présententdespoints de convergence: toutes deux posent des questions et cherchent des réponses.Toute connaissance commencepar l'étonnement,disaientPlatonet Aristote. Dansles deuxcas,le travail théoriqueprocède à la fois d'une accumulation d'observationset d'une incessantereformulation des hypothèsespour proposerdes enchaînementset des interprétations.L'histoire contemporaineutilise des méthodesde rechercheet de traitement de l'information non spécifiques, elle ne se contente pas non plus uniquement de décrire mais d'analyser et d'expliquer. Dans ce sens, l'histoire se rapproche de la sociologie. De même, les deux: disciplines recourent de manière féconde à des approches monographiqueset comparatives.Les recherchesqualitativesetJongitudinalesépousenten effet deux cadresqui sont familiers aux sociologueset aux historiens: la monographieet l'enquêtede branche. , Enfin l'historien, tout commele sociologue,s,?ntprisonniersde leur époqueet ne peuvent,en ce sens, que poser des questionsde leur époque.A tous deux:,le sens du relatif doit inspirer une certaine humilité. Echos ultimes du rapprochement, certes encore mesuré, des disciplines: quelques conférences organiséescesdernièresannéessur cesthèmes(BaechIer,1991- Lefebvre, Baillargeon, 1996), mais aussiquelquesincursions de sociologuesdansdesrevuesd1histoire,et celles d1historiensqui diffusent -, " i2 certains de leurs travaux dans des revuesconsacréeshabituellementà la sociologieou à la gestion (FriedensoD.1993). Le "sociolo.e:ue-historien" La problématique des modes managériales et des processusde changementet d'apprentissage organisationneloffre, à coup sûr, des directions de recherchequi peuvent permettre des échanges extrêmementféconds entre sociologie et histoire. Pour les sociologuesdes organisations.cette problématiquese marie avecbonheur avecla toute récentepriorité, donnéepar les gestionnaires,à la compréhensiondes capacités organisationnelles des entreprises. Pour les historiens, une telle problématiqueprésentel'avantagede pouvoir se greffer sur deux de leurs orientations,restituer enfin toute son importanceà la question du temps (la valeur de référencedes historiens) et matérialiser positivementleur refusd'évolutionsunifonnes et définitives. Aussi, nous semble-t-ilinévitable pour le sociologuequi chercheà mieux comprendrele déferlement des modesmanagérialesdans les organisationset les processusde changementainsi déclenchés,de disposerd'un recul historique,de ne pas s'intéresserexclusivementaux mécanismesexplicatifs de "l'ici et maintenant", mais d'être en mesurede prendre en considérationl'épaisseuret le poids du temps. Certes,la duréeà laquelle le sociologues'attacheraalors seraen généralbien moins longue que celle sur laquelle l'historien se penche,de même l'antériorité des événementsne serapas aussiimportante quecelletravailléepar l'historien, mais leur apport explicatif n'en serapasmoinsfort. , Dans ce sens,si le sociologuepeut travaille~ de concert avec 11historien,ne peut-il pas aussi faire oeuvred'historien,soit en ayant recoursaux archives,soit plus encore,croyons~nous, en suivant dans )a duréesesobjetsd'étude,en enregistrantleurs transfonnations.Auquel cas,le "sociologue-historien" crée lui-même, en quelque sorte, ses propres archives. C'est là, à coup sûr, une oeuvre de longue haleine difficile et pleine de risquespour le chercheurqui s'y engage(problèmesde valorisation des résultatset de reconnaissanceinstitutionnelle des travaux menés).C'est,pourtant, nous en sommes intimementpersuadés, une voie essentiellepour la sociologiedesorganisations. 13 ~ CONCLUSION Enfin, et pour clore "provisoirement"ces quelquesréflexions nouéesautour des questionsde sociologieet d'histoire, ne conviendrait-il pas de rappeler ce qui fait la longévité et la résistanceau temps d'un ouvrage d'lùstoire ou d'un ouvrage de sociologie.Dans les deux cas, croyons-nous,ces raisons vont du scrupuleux contrôle dessourcesd'infonnaûoll, en passantpar une granderigueur dansl'analyse,jusqu'à l'indifférence31L,{ modesintellectuelles.Raisonsqui, par ailleurs, valent pour l'ensemblede la production éditoriale dans les sciencessociales. Sociologueset historiens apparaissentainsi animés des mêmespréoccupations: celles de donner de solides assisesdocumentairesà leurs constructionsconceptuelles.Dans ce sens,"}' Enquête" d'Hérodotene peut-elle être tenuepour le chef d'oeuvreinaugural,à la fois de l'histoire et de la sociologie? 14 ~ ELEMENTS DE BIBLIOGRAPHE Alter. N "Sociologiede l'entrepriseet de l'innovation" PressesUniversitairesde France.1996 Allsart, P "Sociologieet Histoire (1960 1990).Quelsparadigmescommuns?" dans ~ ~ "Histoire et Sociologie"> Montréal. Les Editions Logiques, 1996 Ariès>P "Histoire desmentalités"dans1.Le Goff (dir.), "La NouvelleHistoire", Paris: Retz C.E.P.L..1978 Baechler. J "Histoire et Sociologie" L'annéesociologique.1991,vol. 41 Bloch, M "Apologie pour l'lùstoire ou métier d'historien" -CahiersdesAnnales>n° 3, Paris, Annand Colin, 1964 Chevalier, F "CerclesdeQualitéet Changement organisationnel" . 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