progressent de façon à peu près harmonieuse. Il
devient instable dès lors qu'une grande inégalité
s'introduit entre les hauteurs de pieds. C'est ce
qui se passe aujourd'hui: les marchés sont deve-
nus fragiles parce que les Liquidités sont deve-
nues très dominantes. Elles n'ont pas réussi à
entraîner suffisamment l'Economie dans leur
croissance. Elles sont parvenues en revanche à
soutenir, au moins jusqu'au milieu de l'année
2015, la Confiance des marchés, c'est-à-dire la
confiance que, au final, l'économie finirait par
repartir grâce au soutien des banques centrales,
et cela sans pressions inflationnistes majeures.
Cette confiance a commencé de s'émousser, mais
tient encore. Le tabouret se renversera si le point
d'équilibre est rompu entre les trois pieds. La
question de l'économie (nominale, c'est-à-dire
«réelle» plus inflation) devient par conséquent de
plus en plus décisive.
Le vote britannique en faveur du Brexit a parado-
xalement encouragé une poursuite de la hausse
des marchés actions. C'est dire que la confiance
des marchés dans les Banques Centrales pour
leur salut demeure considérable:, le Brexit ne
constitue qu'un risque, alors que le soutien des
banques centrales en cas de besoin est proche
de la certitude. L'efficacité de ces liquidités sur
l'économie est de plus en plus contestée, mais pas
leur profusion, et donc leur impact sur le prix
des actifs financiers. Le tabouret s'incline encore
davantage.
De plus, la fragilité de l'économie globale est
généralement reconnue, mais le risque n'est pas
encore perçu comme alarmant. L'activité écono-
mique chinoise semble s'être stabilisée et l'Eu-
rope croit lentement. C'est probablement aux
Etats-Unis et au Japon que les perspectives éco-
nomiques sont les plus débattues. Et il n'est pas
anodin qu'il s'agisse de ces deux pays, car dans
les deux cas le soutien résiduel que les marchés
peuvent encore attendre des banques centrales
semble avoir atteint ses limites (la Fed tente de
normaliser sa politique monétaire, et la Banque
du Japon est proche de l'épuisement de ses muni-
tions conventionnelles et non-conventionnelles).
Aux Etats-Unis, c'est le fort ralentissement des
dépenses d'investissement qui constitue le princi-
pal frein à l'économie, dont la croissance ne tient
désormais plus guère que grâce à la consomma-
tion. Au Japon, aucun des cylindres du moteur
économique ne fonctionne convenablement.
Dans les deux cas, on ne constate certes pas en-
core d'aggravation marquée, et aux Etats-Unis,
quelques signes de stabilisation de l'activité ma-
nufacturière se sont même fait jour récemment.
Mais faute d'amélioration économique palpable
dans les prochains mois, l'inclinaison du tabouret
deviendra périlleuse.
Dans cette optique, la Confiance s'est récemment
trouvée un substitut potentiel à l'action de plus
en plus étiolée des banques centrales: l'espoir
de relances budgétaires. Au Japon, le Premier
Ministre Shinzo Abe a annoncé début août un
plan considérable de stimulus budgétaire de 30
milliards de yen (250 milliards d'euros). Aux
Etats-Unis, la candidate démocrate Hillary Clin-
ton promet un plan de dépenses d'infrastructures
de 275 milliards de dollars si elle est élue, et son
concurrent républicain Donald Trump a suren-
chéri en évoquant quant à lui un soutien budgé-
taire par réduction d'impôts de 500 milliards de
dollars s'il parvient au pouvoir.
Ces annonces sont aujourd'hui largement hy-
pothétiques, même au Japon où la réalité des
investissements supplémentaires ne dépassera
vraisemblablement pas 20% du chiffre annoncé.
Mais elles inaugurent pour les marchés une nou-
velle raison d'espérer un rétablissement du pied
Croissance. Elles nourrissent de plus la vision
(certains diront le fantasme) de banques cen-
trales qui pourraient se coordonner à différents
degrés avec les Gouvernements dans l'accompa-
gnement de ces plans de relance, brouillant ainsi
un peu plus les contours de l'orthodoxie moné-
taire. Le cocktail d'une confiance maintenue dans
les Banques centrales et d'une audace nouvelle
attendue d'elles constitue un antidépresseur puis-
sant pour le moral des marchés.
Ainsi, l'incertitude politique, que nourrissent les
échéances électorales en Europe et aux Etats-
Unis sur les douze prochains mois, et l'incerti-
tude économique, nourrie par l'aléa du Brexit,
infligé à une croissance globale fragile, consti-
tuent un très paradoxal coup de fouet à l'envie
de croire des marchés. Les circonstances obscur-
cissent tellement l'horizon à six ou douze mois,
que les marchés se concentrent sur le très court
terme: l'opportunité tactique de jouer le choix de
l'optimisme adossé aux «policy makers» prend
largement le pas sur l'analyse stratégique de l'im-
mense asymétrie des risques qui prévaut sur les
taux d'intérêts, et donc sur tous les actifs finan-