français ou l'anglais possède les parties du discours de l'ordre neutre (le verbe et l'adjectif) et
celles de l'infra-ordination (le substantif) et de la supra-ordination (l'adverbe) ; une langue
comme le tagalog place tous ses prédicats dans l'ordre neutre (le signe qui correspond au
français docteur signifie « être docteur ») ; le passage à l'infra-ordination et à la supra-
ordination est assuré par des morphèmes spécifiques de translation.
- Universellement, le prédicat comporte un seul, deux ou trois arguments (dans la
terminologie de Lucien Tesnière, il est « monovalent », « bivalent » ou « trivalent »). La
monovalence n'est autre que l'intransitivité (Pierre dort) ou la propriété (Pierre est malade), la
bivalence la transitivité, la trivalence la transitivité double, celle des relations de transfert
(donner qqc. à qqn, attribuer (une chose, une qualité…) à qqn, aller de … à…, etc.).
Intransitivité, transitivité et transitivité double apparaissent ainsi comme des formes
universelles de prédication, même si, dans les langues, toutes sortes de données peuvent en
masquer la différence.
- Quand le prédicat est une relation, cette relation, universellement, est une relation
orientée ; il est impossible de concevoir aucune relation sans que les arguments soient placés
dans un certain ordre ; il faut écrire aRb (ou Rab, c'est la même chose) ; a est le premier
argument, b le second ; impossible d'échapper à cette contrainte linéaire ; on réputera « sujet »
le premier argument et « objet » le second : dans aRb, a est la source de la relation, le sujet
universel ; b est l'aboutissement, c'est-à-dire l'objet ou le lieu de la relation. Le sujet universel
et l'objet universel se reconnaissent dans toutes les langues.
- Une autre propriété universelle de la relation prédicative est celle de généralité
maximale. À titre d'exemple, la relation aRb est indifféremment compatible avec les
arborescences (aR)b et a(Rb) : dans parler à qqn, la préposition appartient au syntagme
prépositionnel (à qqn ; commutable avec lui), et en même temps elle construit le verbe (parler
à par opposition à parler de). Les langues exploitent ad libitum l'ouverture maximale que la
grammaire universelle leur offre.
Une sémantique universelle
L'unique visée de la grammaire, redisons-le, est celle de la validité : la grammaire a
pour fonction, par la combinatoire, d'aboutir à des « expressions bien formées ». Du fait
même, elle se situe en amont des procédures interprétatives. Seule la sémantique conduit au
sens et crée le lien à la réalité et à la vérité. Universellement, la sémantique est elle aussi un
lieu d'opérations communes et un lieu de propriétés communes.
Dans toutes les langues, la sémantique opère par la relation périphrastique. Toute unité
lexicale est un prédicat complexe définissable par une périphrase (la chaise est un siège à
dossier sans bras). La périphrase définitoire spécifie les conditions qui doivent être satisfaites
pour que le prédicat s'applique : x est une chaise est vrai si et seulement si x est un siège avec
dossier sans bras ; x est vieux est vrai si et seulement si, parmi les individus de même sorte, x
est parmi les plus anciens ; x danse est vrai si et seulement si x se meut au rythme d'une
musique … Ce qui prévaut en sémantique, ce n’est pas la vérité de ce qui est dit, mais les
conditions de vérité.
Là où, en grammaire universelle, le schème fondamental est celui de la prédication
( M(Pa) ), en sémantique universelle le schème fondamental est celui de la relation
implicative (pour tout a, Pa→Qa). Si je dis de Pierre qu'il a quitté la salle, alors, à supposer
que je dise vrai, il sera vrai aussi, par le sens même du verbe quitter, que Pierre était dans la
salle, que Pierre n'est plus dans la salle, que Pierre est sorti de la salle... N'importe quel
locuteur du français admettra de telles inférences. Il lui suffit, à propos du verbe quitter,
d'activer une opération de sémantique universelle, celle, fondatrice, de la relation implicative.