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- Question de saison -
- Question de saison -
« J’adorais copier, fabriquer et mettre en ordre
tout et n’importe quoi... C’était ma façon
de créer de l’ordre à partir du chaos. »
Howard Butten - psychologue
VÉRITABLEMENT
01
#
2.0
ÉCOUTER L’AUTISME
INTERVIEW D’ANNE IDOUX-THIVET
PAR CÉLINE VIEL
« Écouter l’autisme », d’Anne Idoux-Thivet
Editions autrement (Février 2009)
C
omment partager l’univers d’une personne souffrant d’autisme ? Le Teatro
delle Briciole présente un spectacle particulièrement prenant intitulé
« John Tammet ». Le héros, atteint du syndrome d’Asperger nous confronte
à sa vision décalée du monde. S’il réagit étrangement à tout ce qui l’entoure,
à sa façon, il est bien dans notre monde, et nous prenant à parti, il nous invite aussi
à rompre avec nos habitudes mentales. Ce spectacle nous a donné envie d’en savoir
un peu plus sur ce trouble. Nous avons rencontré Anne Idoux-Thivet qui témoigne
dans son ouvrage « Écouter l’autisme » de la manière dont l’autisme de son fils a bouleversé sa vie. Muant le jeu en art de communiquer, capable aussi de mettre en question sa propre perception des êtres et de la société, elle partage son cheminement,
lucide, sans complaisance, portée par la conviction qu’il est possible d’agir.
Dans votre livre, vous évoquez avec lucidité et amour votre parcours aux côtés de votre fils Matthieu.
À quel moment avez-vous pris conscience de son trouble ?
Matthieu était mon premier enfant, et dans mon entourage familial, il n’y avait ni neveu ni nièce de son âge. Je ne pouvais
donc pas le comparer à d’autres bébés, mais j’ai pressenti assez
vite que quelque chose n’allait pas, sans parvenir à le définir.
Quand il a atteint l’âge de deux ans, et surtout au moment où
il est entré à l’école maternelle, j’ai pu mesurer le décalage avec
les autres enfants. Alors il a fallu se battre pour comprendre et
le monde médical ne nous a pas aidés. Les médecins sont restés
dans le vague, prétextant que Matthieu était jeune, qu’il fallait attendre… Face à l’autisme, un certain nombre de pédopsychiatres optent encore pour une politique scandaleuse : celle du
flou et du silence. Ils ne révèlent pas aux parents le diagnostic
de ce qu’ils considèrent à tort comme une maladie. Il y a tout
un courant de pensée d’obédience freudienne qui attribue la
responsabilité de l’autisme à la mère… J’ai hélas été confrontée
à ce courant. En France, cette approche a la peau dure. Il a donc
fallu que je me batte avec mon mari tandis qu’une partie de
notre entourage familial tissait son déni. Bref, on se sent vite
très isolé. J’ai agi dans un premier temps de manière intuitive,
en cherchant à stimuler Matthieu, particulièrement à l’aide de
jeux et de tout ce qui pouvait lui permettre de surmonter sa
déficience à communiquer.
Les formes d’autisme sont multiples. Comment apprend-on à se repérer ?
Les troubles du spectre de l’autisme forment effectivement un tion ne se limite en effet pas au langage verbal. Notre gestuelle,
continuum caractérisé par des symptômes très variables quant nos postures corporelles, nos mimiques faciales sont des signes
faisant sens à chaque instant pour les autres.
à leur sévérité. Le syndrome d’Asperger, par
Or, ce qui définit bien l’autisme, c’est un défaut
exemple, ne porte pas atteinte aux facultés
d’intuition sociale. La personne avec autisme
verbales : il n’y a ni retard de langage (le ni« Le syndrome
ne peut pas se mettre à la place de l’autre. Elle
veau de langue est même parfois exceptiond’
A
sperger
ne
porte
ne sent pas ce que l’autre attend d’elle et n’est
nellement soutenu), ni déficience intellecpas capable de décoder ses intentions. Et surtuelle. Certains autistes Asperger présentent
pas atteinte aux
tout, elle n’a pas accès à l’implicite, au second
même des pics d’habiletés extraordinaires
facultés
verbales :
degré... ce qui lui confère une naïveté qui en
mais c’est rare et il ne faudrait surtout pas réfait une proie facile en société. Un des gros
duire l’autisme à ces profils très particuliers.
il
n’y
a
ni
retard
problèmes qu’elle rencontre relève de tout ce
À l’inverse, certains autistes n’accèdent pas
de
langage,
qui touche à la fausse croyance. Adhérer à des
au langage verbal ; ils ont des centres d’intéfictions, voire à des erreurs avant de repérer
rêt extrêmement restreints, de nombreuses
ni
déficience
une vérité fait partie de notre cheminement
stéréotypies, un défaut total de flexibilité
intellectuel courant. Une personne autiste ne
mentale… le tout associé à une déficience inintellectuelle. »
parvient pas à intégrer ce fonctionnement.
tellectuelle. Les comportements inappropriés
Matthieu est en classe de quatrième où il
sont alors très prégnants et constituent un
handicap lourd. Il y a donc presque autant de types d’autisme réussit bien. Mais je suis obligée de lire avec lui tous les livres
que de personnes présentant ce trouble. Matthieu, par exemple, qu’il étudie en français. Il faut que je l’aide à comprendre le sens
a commencé à véritablement parler vers cinq ans seulement implicite à l’aide de schémas ou en lui expliquant bien les relamais il ne présente pas de déficience intellectuelle. Ce qui est tions entre les personnages, car au premier non-dit, il est perdu.
commun à toutes les personnes avec autisme, c’est un impor- Et tout ce qu’il parvient à comprendre, il faut lui apprendre à le
tant déficit au niveau des interactions sociales. La communica- transposer dans d’autres contextes.
Vous insistez également sur les troubles liés aux facultés sensorielles…
C’est effectivement un aspect très important de l’autisme qui
reste sous évalué en France. Il arrive fréquemment qu’on interprète mal les réactions très angoissées ou violentes des autistes dont l’un (ou plusieurs) des sens est dérégulé. Ce peut être
l’ouïe, la réaction à la lumière, le sens tactile, l’odorat, le goût…
Les stimuli reçus sont alors ressentis trop fortement ou pas assez. Quand Matthieu était petit, par exemple, il n’était pas gêné
par les sons très aigus, mais quand il percevait des bruits très
sourds et graves, cela pouvait le faire souffrir au point de se
taper la tête contre les murs. Ces défauts de modulation sensorielle sont d’autant plus insupportables pour les autistes qu’ils
ne peuvent pas mettre de mot sur ce qu’ils éprouvent. C’est très
bien montré dans le film « Snow cake » où Linda, la femme qui
souffre d’autisme, est hyposensible sur le plan de la vue et du
toucher. Elle peut passer des heures à contempler des jeux de lumières, elle peut se rouler dans la neige et en manger de grosses
quantités… Ces comportements sont incompréhensibles pour
Alex, le personnage qui est amené à partager son quotidien.
Mais justement, il apprend à comprendre ses réactions. Vivre
avec une personne autiste exige d’être toujours en éveil, et de
décupler ses propres fonctions sensorielles pour être à l’écoute
et anticiper afin d’éviter les crises.
Vous accordez une importance déterminante au jeu dans le parcours qui a permis à Matthieu de progresser…
C’est chez l’orthophoniste où se rendait Matthieu que j’ai réalisé
qu’il était très sensible aux approches ludiques pour pallier son
retard de langage. J’ai alors développé
intuitivement des activités qui le sti« Dès l’âge de mulaient parce qu’il y prenait plaisir,
et par ce biais, nous avons pu établir
six-sept ans, une connivence et l’aider à s’ouvrir et
j’ai commencé à communiquer. Notre devise familiale c’est le Je par le Jeu, et nous avons
à lui expliquer mis au point au fil de son développedes outils qui lui permettaient
ce qu’était ment
de progresser tout en surmontant ses
l’autisme. Il est phobies. C’est grâce au jeu également
j’ai pu l’aider à identifier ses comaujourd’hui que
portements inappropriés. Dès l’âge de
très lucide sur six-sept ans, j’ai commencé à lui exce qu’était l’autisme. Il est auson trouble. » pliquer
jourd’hui très lucide sur son trouble.
Cette conscience est devenue une
arme car il est capable de prendre de la distance, d’identifier
ce qui est normal ou non, d’expliquer les caractéristiques de
l’autisme. Je milite fermement contre toutes les formes de déni
qui entourent les troubles du spectre de l’autisme. Le premier
impératif est d’informer les familles et les enfants qui en sont
atteints. J’ai croisé trop souvent, au titre de formatrice spécia-
lisée pour les enfants porteurs de handicap, des jeunes et des
familles qu’on emmure dans le silence ou le flou de diagnostics jamais clairement dits, alors même qu’ils sont bien posés.
Cela ne fait qu’ajouter à la souffrance de ces enfants. Les neurosciences nous ont appris que l’autisme n’est pas une maladie psychiatrique, encore moins une maladie dégénérative. Le
cerveau atteint de ce trouble neuro-développemental produit
des schémas de pensée atypiques, mais il n’en reste pas moins
flexible. C’est justement le travail que nous avons mené avec
Matthieu, en essayant en particulier d’assouplir sa tolérance
aux changements. Enfin, le jeu lui convient bien car ce dernier
intègre aussi des règles. Au fur et à mesure du développement
de Matthieu, nous avons imaginé toute une série de règlements
qui l’aidaient à décomposer les tâches et à enchaîner les actions.
Le règlement de la douche, par exemple, lui a permis d’être autonome au moment de sa toilette. Il y avait aussi des règlements
pour dédramatiser ses angoisses… Matthieu a besoin d’un cadrage ferme. Il adore les lois. Cela l’aide beaucoup au collège où
il suit une scolarité normale en classe de quatrième. Le cadre du
collège est sécurisant pour lui car l’espace comme le temps sont
très structurés. Ce sont plutôt les interactions sociales au moment des récréations ou dans le temps
périscolaire qui s’avèrent les plus complexes, d’autant que Matthieu devient « Il a fallu
un adolescent…
que je
réinvente
des manières
de l’apaiser »
L’adolescence se présente comme un nouveau cap à franchir ?
Matthieu est devenu très flexible mais l’adolescence est un
changement énorme alors nous avons dû l’anticiper avec soin.
Nous l’y avons préparé, en évoquant très tôt avec lui, dès la
fin de l’école primaire, les changements hormonaux, physiologiques et psychiques qui l’attendaient. De manière surprenante,
il a cherché à les anticiper à sa façon. Par exemple, il adoptait
artificiellement une voix grave comme s’il était en train de
muer. Pour un enfant de quatorze ans, il est déjà très grand et il
a largement démarré sa puberté. Il a donc fallu que je réinvente
des manières de l’apaiser. Nous avons vu ensemble une comédie romantique, « Love Actually » qui présente l’amour sous de
multiples facettes, et il a vécu ce film comme une révélation.
Lui qui ne supportait plus le moindre
câlin a compris que deux adultes pouvaient s’étreindre sans danger. Chez
Matthieu, tout doit passer par le prisme
de la réflexion. Il ne réagit pas à l’instinct
comme le ferait un adolescent neurotypique (c’est comme cela que les Asperger nous surnomment…).
La chance de Matthieu, qui est aussi la nôtre, tient également
à son caractère, naturellement doux et paisible. Il ne faut pas
oublier que l’autisme ne suffit pas à définir la personne. Chacun
dispose réellement d’un caractère unique.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de partager votre expérience en écrivant l’ouvrage « Ecouter l’autisme » ?
J’ai toujours eu un goût marqué pour l’écriture et la littérature.
Quand j’ai su que Matthieu était autiste, j’ai ressenti le besoin
immédiat de tenir une sorte de journal de bord. C’était une
manière de ne pas oublier tout ce que nous mettions en place
pour l’aider. Un jour, alors que le pédopsychiatre de Matthieu
s’étonnait de ses progrès, j’ai évoqué mon journal, et c’est lui qui
m’a conseillé de témoigner. Quand j’y ai pensé plus sérieusement, j’ai cherché à donner à cet écrit une forme différente du
journal. J’ai choisi l’abécédaire car je trouvais cela plus ludique
et je voulais une forme d’organisation qui ne soit pas linéaire.
De plus, cela plaisait bien à Matthieu qui était fasciné par les
lettres. Il connaissait toutes les lettres avant de parler… Le livre
est paru en 2009, et aujourd’hui mon approche est sans doute
plus scientifique. Il y a de nombreuses questions que je n’aborderais plus de la même façon.
Votre approche est en effet souvent très poétique.
Elle propose des mots parfois inattendus comme porte d’entrée. Eau, par exemple…
L’Eau ? J’évoque des aspects de la vie quotidienne dans le livre,
et l’eau était pour Matthieu un élément tantôt effrayant, tantôt rassurant. Les gouttelettes de pluie pouvaient générer des
crises d’angoisse et une détresse terrible, alors que quand il se
trouvait totalement immergé, il se sentait bien… Je pense aussi
au mot sublimer : nous avons appris à prendre appui sur ce qui
ce qui n’allait pas pour le transformer en chose positive. On ne
guérit pas de l’autisme car on ne peut pas défaire ce que la nature a fait, mais on peut apprivoiser le trouble.
Vous précisez d’ailleurs que vous n’êtes pas entrée en guerre contre l’autisme,
mais plutôt contre les institutions censées aider les personnes atteintes de ce trouble.
L’expérience que je vis avec Matthieu a bouleversé ma vie et avec lesquels nous avons engagé un travail enthousiasmant et
mes centres d’intérêt au point que j’ai décidé de devenir ensei- fructueux, mais très vite, le souhaitable a ouvert la porte à une
gnante spécialisée. À l’origine, je suis professeur d’histoire-géo- hausse des effectifs. J’ai dû m’occuper de treize élèves souffrant
graphie. Je me suis passionnée pour les neurosciences cogni- de troubles très différents dont certains étaient très difficilement compatibles. Impossible, dans ces conditives et leurs applications pédagogiques, et j’ai
tions, de différencier correctement la pédagogie
suivi une formation afin de pouvoir intervenir
et de permettre un suivi pertinent des inclusions
dans les collèges et les lycées de l’académie où
«
je
me
suis
en classe ordinaire. Pour m’assister, je n’avais
j’enseigne. J’ai également coordonné une Unité
qu’une AVS (Auxiliaire de Vie Scolaire) qui n’était
Localisée pour l’Inclusion Scolaire accueillant des
parfois
pas formée à ces différents troubles (dyslexie,
enfants présentant des troubles cognitifs. Je penheurtée à une dyspraxie, dysphasie, TDAH, troubles de l’opposais que mon expérience pourrait être profitable
sition et des conduites, déficience intellectuelle,
à ces jeunes et que ma formation enrichirait en
certaine
forme
troubles du spectre de l’autisme…), lesquels coharetour mes pratiques à la maison. Contrairement
d’hypocrisie
bitaient au mépris du bon sens car l’institution
à de nombreux parents d’enfants en situation de
- dans mon secteur à tout le moins - avait jugé
handicap, j’avais foi dans notre système scolaire
du
système
qu’il était moins discriminant de mélanger tous
en tant qu’enseignante mais aussi en tant que
les handicaps afin d’éviter d’étiqueter les jeunes.
maman. Avec Matthieu, en effet, nous avons eu institutionnel »
Une nouvelle circulaire en date de 2015 ferme
beaucoup de chance : il a toujours été accueilli à
théoriquement la porte à ces dérives en stipulant
l’école avec bienveillance et dans d’excellentes
que
le
nombre
d’élèves bénéficiant du dispositif ULIS ne dépasse
conditions.
pas dix. Espérons qu’elle sera suivie d’effets sur le terrain… Il seMais une fois que j’ai basculé dans l’éducation spécialisée, je
rait vraiment dommage d’arriver à la conclusion que les contrame suis parfois heurtée à une certaine forme d’hypocrisie du
dictions du système français sont telles qu’elles finissent par désystème institutionnel. Prenons l’exemple des ULIS : la circumobiliser ceux qui voudraient agir.
laire de 2010 sur la scolarisation des élèves en situation de
handicap indiquait qu’il était souhaitable que ces dispositifs ne « Écouter l’autisme », d’Anne Idoux-Thivet
dépassent pas dix élèves. J’ai donc démarré avec huit enfants Editions autrement (Février 2009)
Théâtre Dunois
Lieu dédié au jeune public
Direction Nelly Le Grévellec
Accueil du public et réservations
7 rue Louise Weiss, 75013 Paris
Tél. 01 45 84 72 00
[email protected]
Administration
108 rue du Chevaleret, 75013 Paris
Avec le soutien de la Direction régionale
des affaires culturelles
d’Ile de France – Ministère de la culture
et de la communication
Accès
M°6 Chevaleret / M°14 / RER C
Bus 62 / 64 / 89 / 132 / 325
Bibliothèque François Mitterrand
Bus 27 Clisson
Emplacement Velib’
La Maison Ouverte
Association Loi 1901
Siret 324 500 719 00020 / APE 9004Z
Licence ent. 1.1060510 / 2.1060509 / 3.1060511
Direction de publication : Nelly Le Grévellec | Conception rédaction : Céline Viel | Conception graphique : Les Produits de l’épicerie (Lille)
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