Enfance et média au Royaume Uni

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Author
Sonia Sodha
Title
Enfance et média au Royaume Uni
Médias et enfance en danger
Mme Sonia Sodha
Journaliste et Chercheur, Directrice de
recherche à l’IPPR (Institute of Public Policy
Research), Royaume-Uni
Je suis enchantée d’être
ici aujourd’hui, mais vous
avez malheureusement
rencontré les limites de
mon français. Je vais vous imposer le port du
casque. Les Français, d’ailleurs, comprennent
infiniment mieux l’anglais que l’inverse. Certains
pourront donc sans doute m’écouter en direct, ou
en tout cas lire mes transparents en version originale.
Enfance et médias
au Royaume-Uni
Avant toute chose, merci aux organisateurs de
m’avoir invitée à m’exprimer devant vous. Je suis
chercheur à l’IPPR britannique. Nous sommes le
think-tank de ce type le plus important en Angleterre. Nous avons une soixantaine de membres,
chercheurs à plein temps qui s’intéressent à la
politique sociale, au développement durable, aux
questions de transport, par exemple. Et si l’on m’a
invitée aujourd’hui, c’est parce que je fais partie
d’une équipe qui s’est penchée sur la transition
chez les jeunes, transition de l’état de jeune à l’état
d’adulte, et à l’évolution de cette transition au
cours des cinquante dernières années.
Avant de parler de l’interaction entre médias et
enfance, je vais planter un peu le décor pour vous
parler du projet de recherche lui-même. Nous
avons constaté que depuis quelques générations,
lorsque l’on essaie de connaître les taux de réussite
scolaire sur le marché de l’emploi, par exemple si
l’on remonte à la génération née dans les années
cinquante, à partir du moment où l’on connaissait les résultats scolaires, on savait à peu près
comment l’enfant allait se débrouiller dans la vie.
Autrement dit, les savoirs cognitifs de base acquis
à l’école constituaient un excellent indice. Or, nous
avons constaté que pour les générations suivantes, et notamment celles des années soixante-dix,
ces compétences cognitives restaient importantes,
mais que d’autres compétences s’y ajoutaient : les
compétences que nous appelons soft. Le terme
n’en restitue peut-être pas l’importance, puisque
nous parlons de choses comme l’estime de soi ou
la maîtrise qu’un jeune pense avoir de sa propre
vie. Nous avons pensé que ces indicateurs-là,
chez le jeune, constituaient des facteurs bien plus
importants dans l’évolution future de l’enfant tout
au long de sa vie ; ainsi que pour les générations
suivantes, d’ailleurs. Pourquoi ? Parce que le
contexte dans lequel l’enfant est socialisé et dans
lequel se déroule cette transition entre l’enfance
et l’âge adulte est aujourd’hui très différent. En
devenant adolescent, puis jeune adulte, le jeune se
trouve face à des choix beaucoup plus nombreux
qu’un enfant du même âge il y a vingt ou trente
ans. Les filières de l’emploi sont infiniment moins
assurées. Il y a donc beaucoup plus d’opportunités, mais aussi beaucoup plus de complexité. Nos
recherches montrent, et c’est préoccupant, que
les possibilités, pour les jeunes, de développer des
compétences comme l’estime de soi, la capacité
d’intégration et le contrôle de soi dépendent étroitement du contexte socioéconomique dans lequel
ils naissent et évoluent. Voilà donc, en grossissant le trait, le thème de ces recherches qui nous
occupent depuis déjà quelques années. Je passe
maintenant à la présentation.
Voici quelques éléments qui décrivent ce qu’est
être enfant au Royaume-Uni. Nous savons que les
choses sont un peu différentes de ce qu’elles sont
en Europe continentale. Pour certains paramètres, ils se débrouillent plutôt mieux ; par exemple,
moins de déscolarisés, beaucoup plus de jeunes
qui arrivent à l’université et obtiennent un diplôme.
Mais il y a, malgré tout, des zones noires. La
première est que si les chiffres de la pauvreté, chez
les enfants, sont en baisse, ils restent très élevés
par rapport à l’Europe continentale. Le deuxième
élément préoccupant, qui nous distingue, dans le
mauvais sens du terme, de l’Europe continentale,
ce sont les comportements en matière de santé.
Nous avons par exemple des niveaux d’obésité
extraordinaires par rapport à l’Europe continentale : quelque 16 % des 13-15 ans présentent
une surcharge pondérale, contre 11 % en France.
Nous savons que nos enfants mangent de manière
beaucoup moins saine que les jeunes Européens.
En matière de grossesse et de santé sexuelle des
adolescents, en 2003, le Royaume-Uni présentait
le plus fort taux d’accouchement chez les adolescentes. De manière générale, sur le plan sexuel,
les jeunes Britanniques prennent davantage de
risques qu’en Europe.
parents, le nombre de repas qu’ils partagent avec
eux, indiquent que l’Angleterre, le Pays de Galles
et l’Écosse ont des résultats assez bas par rapport
aux autres pays d’Europe, en particulier les pays
méditerranéens comme l’Italie et l’Espagne.
La santé mentale est également à l’origine de
nombreux problèmes. On constate une recrudescence des problèmes de comportement et de
santé mentale, qui, depuis les années soixantedix, ont augmenté de 50 %. L’augmentation est
particulièrement dramatique depuis les années
quatre-vingts. Cette tendance traduit un contexte
d’inégalité économique. Il faut cependant se méfier
des statistiques, parce qu’une partie de cette
augmentation résulte du fait qu’aujourd’hui, on
accepte davantage l’idée de problèmes de santé
mentale. Les diagnostics se posent mieux et de
manière plus précoce. Ces situations sont mieux
reconnues qu’auparavant.
Nous éprouvons également des changements
dans nos communautés. « Collective efficacy »
est un terme qui désigne la volonté des adultes,
dans une communauté, d’intervenir dès lors que
les jeunes se comportent de manière asociale ou
incivile ou qu’il y a des problèmes. Cette « collective efficacy » est en baisse. Mais ce qui est
beaucoup plus significatif, ce sont les écarts d’efficacité collective ou sociétale entre les sphères
privilégiées et les sphères défavorisées. Ainsi,
dans des quartiers relativement aisés, 90 % des
adultes se disent disposés à intervenir s’ils voient
des jeunes en train de tagger, alors qu’ils ne sont
que 58 % dans les quartiers défavorisés. Bien sûr,
il y a aussi un déclin du rôle de la religion dans la
socialisation.
De la même façon, les problèmes de drogue et
d’alcool sont plus aigus qu’en Europe continentale.
Certains problèmes caractérisent les relations entre
la population dans son ensemble et les jeunes. La
crainte des jeunes est marquée, au Royaume-Uni.
Les gens pensent
que la criminalité
“ Même si c’est difficile
à prouver, de plus en plus est beaucoup plus
répandue chez les
de jeunes font partie
jeunes qu’elle ne l’est
de clans, de bandes. ”
en réalité. Cette idée
est
principalement
liée à des perceptions fausses et à la manière dont
la question est présentée dans les médias. La couverture médiatique est empreinte de stéréotypes et
tend à présenter les jeunes d’une certaine façon, en
focalisant sur les aspects négatifs, ce qui instaure
des barrières entre les jeunes et la population dans
son ensemble.
Le contexte de la socialisation des jeunes évolue,
ce qui a de grandes incidences sur la manière dont
les jeunes et les médias interagissent au RoyaumeUni. Les modèles traditionnels de socialisation
sont en train de décroître. Il y a une évolution de
la structure des familles, davantage de parents
qui travaillent, et qui travaillent très longtemps : au
Royaume-Uni, on consacre davantage de temps
au travail qu’en Europe continentale. Les petits
Britanniques passent moins de temps avec leurs
parents, et c’est un temps de moindre qualité. Les
enquêtes qui sondent les jeunes sur leurs habitudes, sur le temps passé à discuter avec leurs
Dans ce contexte où les enfants passent un temps
de moindre qualité avec les adultes et moins de
temps dans un environnement extrascolaire structuré, piloté par les adultes, on voit davantage de
socialisation par les pairs. Même si c’est difficile
à prouver, de plus en plus de jeunes font partie de
clans, de bandes. Ils passent davantage de temps
avec leurs amis que dans d’autres pays européens.
En soi, ce n’est pas une mauvaise chose : être ado,
c’est avoir des copains. Mais dans ce contexte où
ils passent moins de temps avec leurs parents, on
sait que ce sont moins des adultes responsables
que les copains qui, finalement, les socialisent. Il
se produit une sorte de phénomène de « Lord of
the Flies ».1
Avant de parler des médias, une mise au point
préalable : je voudrais évoquer le rôle des médias
non pas en tant qu’institution, mais en tant que
vecteur de la société elle-même. Autrement dit,
nous ne nous intéressons pas uniquement à l’interaction entre les médias et les jeunes, mais aussi
à la manière dont d’autres acteurs de la société
utilisent les médias pour agir sur les jeunes.
Je vous livre d’abord quelques éléments de
contexte sur l’accès des jeunes aux médias. Au
Royaume-Uni, on constate aujourd’hui que, de plus
en plus souvent, les enfants ont un téléviseur dans
leur chambre. C’est le cas pour sept enfants sur
dix. Près de la moitié ont un lecteur DVD person-
nel. Et ce qui est significatif est qu’il y a une grande
différence selon le milieu socioéconomique : moins
de 50 % des enfants des quartiers aisés ont un
poste de télévision dans leur chambre, contre 97
%, c’est-à-dire presque la totalité, des enfants des
quartiers défavorisés. La consommation de télé et
de médias est plus élevée chez les enfants habitant
dans un secteur défavorisé. Et les programmes
qu’ils regardent ne sont pas du tout des émissions
éducatives ou des émissions pour enfants, mais
des séries B, des émissions musicales, des films
d’horreur, des films violents, etc. 28 % des 6-8
ans et la moitié des 9 ans affirment regarder la télé
seuls dans leur chambre, passée la limite fatidique
des 21 h 00. Près d’un quart des 8-15 ans disent
regarder la télé seuls. Les adultes contrôlent donc
de moins en moins l’accès de leurs enfants aux
médias, et à la télé en particulier.
Quant aux médias interactifs, les parents ont
encore plus de mal à exercer un contrôle. Les statistiques font état de changements énormes par
rapport à ce que l’on a pu constater il y a quelques
années. Beaucoup de jeunes ont accès à Internet
à la maison. 65 % des enfants britanniques ont
un téléphone portable ; et même, un enfant de 5
à 9 ans sur onze possède son mobile, ainsi que
82 % des 12-15 ans. 64 % des enfants ont accès
à Internet en dehors de la maison ou de l’école, ce
qui est évidemment très difficile à maîtriser. Peu
d’enfants ont accès à Internet dans leur propre
chambre, mais 40 % des 8-11 ans et 71 %, donc
une grande majorité des 12-15 ans disent utiliser
Internet à la maison sans contrôle parental. On
relève depuis quelques années, et surtout depuis
un ou deux ans, une tendance au développement
des social networking sites, les plateformes de
mise en réseau sur Internet comme « My Space »,
« Facebook » et « Bebo », qu’affectionnent particulièrement les jeunes. Il est extrêmement difficile de
mesurer la popularité de ces sites, parce qu’il est
facile pour un jeune de créer plusieurs profils, de
dire n’importe quoi sur son âge. Mais les enquêtes
montrent qu’aux États-Unis, la moitié des 12-17
ans utilisent ces réseaux et que la moitié visitent
ces sites au moins une fois par jour. Le Net exerce
donc une influence énorme sur la vie des jeunes.
Et, de manière inquiétante, s’agissant du contrôle
des parents, alors que la plupart d’entre eux
disent mettre en place des règles pour encadrer
le temps passé par leurs enfants devant la télé ou
sur Internet, on constate que cela ne correspond
pas aux recherches menées directement auprès
des jeunes. C’est pourquoi l’IPPR s’est focalisé
sur l’utilisation des nouvelles formes de médias. La
plupart des jeunes disent n’être soumis à aucune
restriction parentale quant à l’usage d’Internet.
Beaucoup estiment que leurs parents ne savent
rien de leurs activités en ligne.
Pour ce qui concerne la publicité dans les médias
traditionnels, ce qui la caractérise, en particulier à la
télévision, ces deux ou trois dernières années, est
qu’aux États-Unis et au Royaume-Uni, l’industrie
publicitaire devient de plus en plus sophistiquée
et agressive et cible de plus en plus les jeunes ; en
particulier les petits enfants. Alors qu’il y a deux
décennies, pour vendre des produits destinés aux
enfants, on visait le public adulte, aujourd’hui,
les annonceurs cherchent à atteindre directement les enfants en court-circuitant les parents.
Nous appelons ce phénomène « pester power ».
L’annonceur vise directement l’enfant, en disant :
« Voilà un produit dont tu as besoin », l’idée étant
que l’enfant fera du forcing auprès des parents
pour qu’ils l’achètent. Ceci soulève de sérieuses
questions d’éthique.
Un autre phénomène est le tweening, qui concerne
les enfants de 6 à 12 ans : des produits qui étaient
destinés aux adolescents, comme les produits de
maquillage, sont de plus en plus présentés aux
plus jeunes. On les encourage à s’occuper de leur
beauté, de leur régime alimentaire, etc. Un certain
nombre d’enquêtes et de reportages de journalistes ont mis en évidence ce genre de technique
chez les annonceurs.
Une autre pratique nous vient des États-Unis et
du Canada : les entreprises britanniques sponsorisent maintenant des équipements dans les écoles.
Ainsi, Cadbury, grand confiseur, sponsorise des
équipements de sport et de gymnastique dans
les établissements scolaires. Mais il n’y a que 4 %
des parents à trouver qu’il y a trop de marketing en
direction des enfants.
S’agissant de la publicité dans les nouvelles formes
de média, c’est une tendance qui est encore plus
inquiétante, parce que plus difficile à contrôler. On
voit maintenant de la publicité qui cible directement les enfants à travers les plateformes de mise
en réseau comme « Facebook » et « Bebo » ou les
sites de jeux. La société Skittles a payé plusieurs
centaines de milliers d’euros à « Bebo », l’un des
principaux sites pour les enfants d’âge scolaire,
pour mettre en ligne un profil afin de recruter des
enfants de 13 ans comme ambassadeurs de la
marque, encourageant les usagers de « Bebo » à
établir des liens sous le logo de Skittles et à utiliser
ce logo pour personnaliser leur propre profil sur
cette plateforme. Un véritable problème est que
dans les nouvelles formes de médias, la frontière
entre la publicité et le contenu éditorial est de plus
en plus floue : les publicitaires et les annonceurs
utilisent de plus en plus leur propre site web pour
cibler directement les enfants. Quelques exemples :
Haribo a un espace de jeux sur son site web qui
s’appelle « Fun Planet », sur lequel il fait la promotion de ses produits ; et l’on encourage les enfants
à aller jouer sur ce site. McDonalds également a
un jeu sur son site web, dont le principe est de tirer
sur ses golden arches. Les recherches indiquent
que les plus jeunes, et c’est compréhensible, ont
du mal à faire la distinction entre ce qui est publicité, accroche et contenu éditorial. Un problème
particulier au Royaume-Uni est que les contenus
éditoriaux ne sont pas soumis à des restrictions
en matière de publicité. Les sociétés qui ont leur
propre site, avec des jeux en ligne, peuvent également y publier de la publicité, sans être assujetties
à la réglementation relative à la publicité payante
sur les espaces en ligne.
Un autre phénomène est en expansion au RoyaumeUni : la publicité à travers les téléphones mobiles.
La recherche marketing montre que les trois quarts
des adolescents sont tout à fait ravis d’accepter de
recevoir des messages publicitaires en échange de
crédits de communication. C’est inquiétant, parce
que la prolifération de ces nouvelles formes de
médias, qui peuvent présenter des avantages pour
certains jeunes, notamment parce qu’ils offrent
d’autres opportunités en matière d’éducation, les
rend également vulnérables en tant que consommateurs.
Sans m’attarder, je vous cite quelques exemples
de marques qui imprègnent toute la jeunesse. Il y
a une statistique que je voudrais mettre en avant :
80 % des enfants d’à peine 3 à 6 ans reconnaissent
le logo de Coca Cola et 60 % les golden arches de
McDonalds. C’est davantage que le nombre d’enfants de 5 ans capables de reconnaître leur propre
nom ou de compter jusqu’à 5. C’est dire combien
les marques pénètrent nos enfants et nos jeunes.
Il y a un lien très net entre le consumérisme et la
consommation de médias. Plus les enfants regardent la télévision, plus ils sont consuméristes dans
leur comportement quotidien et plus ils assimilent
de marques, de logos, etc.
Quelques chiffres pour vous montrer combien la
valeur du marché que représentent les enfants a
augmenté ces dernières années au Royaume-Uni :
nous sommes à près de 30 Mds £ par an. Il ne
faut pas seulement prendre en compte l’argent de
poche dépensé directement par les enfants – ils en
reçoivent bien plus que par le passé –, mais aussi le
« pester power », la pression qu’ils peuvent exercer
sur leurs parents pour qu’ils achètent des produits
vantés par la publicité. De plus, l’intérêt des
enfants a glissé des produits traditionnels comme
les jouets et les bonbons vers d’autres produits :
téléphones mobiles, cosmétiques, vêtements, etc.
Les jeunes se comportent de plus en plus comme
des consommateurs sans être conseillés par des
adultes.
Quel est l’impact de cette augmentation du consumérisme sur la santé des jeunes et leur bien-être ?
Je pense qu’il est très important de comprendre
les buts des annonceurs. Il s’agit de communiquer le message suivant : si vous n’avez pas tel
ou tel produit, vous êtes un loser. C’est une technique qu’ils emploient vis-à-vis des enfants, dont
on sait qu’ils sont plus vulnérables à ce type de
logique que les adultes, parce qu’ils sont moins
assurés, qu’ils sont en évolution, qu’ils traversent la
puberté, etc. Ainsi,
7 adolescentes sur
“ 80 % des enfants
10 voudraient être
d’à peine 3 à 6 ans
plus minces, ce
reconnaissent le logo
que la publicité, la
de Coca Cola et 60 %
télévision encouragent en leur offrant
les golden arches
des images et des
de McDonalds.”
modèles auxquels
elles devraient aspirer. Au Royaume-Uni et aux
États-Unis, des études ont montré que plus les
enfants s’engouffrent dans le consumérisme, plus
ils sont susceptibles de souffrir de dépression,
d’angoisse, de stress lié à l’inconfort. Au RoyaumeUni, les enfants les plus consommateurs sont aussi
les plus susceptibles d’être insatisfaits, en général,
en particulier chez les filles, étant donné l’image de
la fille idéale qui leur est montrée. On constate que
les enfants sont de plus en plus dépendants des
marques pour trouver leur propre identité. C’est ce
qui leur donne envie de posséder des objets personnels, qui définit leurs valeurs. C’est inquiétant,
surtout pour les enfants qui viennent de milieux
défavorisés, parce qu’ils n’ont pas les moyens de
les acheter et qu’à l’école, notamment, le statut de
l’enfant, dans la cour de recréation, est souvent
associé à la marque de ses vêtements ou accessoi-
res. Le fait de posséder certaines marques facilite
l’intégration dans certains groupes. Les psychologues ont montré que les jeunes qui jouent avec
des jouets de consuméristes comme les poupées
Barbie sont plus susceptibles de développer des
modes de vie consuméristes, égocentriques et
de devenir de meilleurs consommateurs à l’âge
adulte. D’où l’intérêt, pour les publicitaires, d’atteindre les jeunes enfants. Ce qui est extrêmement
préoccupant, ce sont les effets que cela produit
chez les enfants les plus pauvres. Ce sont eux qui
sont les plus touchés par le consumérisme, qui
accordent plus d’importance à la marque, qui ont
le plus tendance à demander davantage d’argent
à leurs parents. Il n’y a pas de distribution égale
du consumérisme ; il y a aussi des enfants issus
de milieux plus aisés qui sont plus protégés que
d’autres, des enfants plus vulnérables parce que
plus pauvres.
Cette partie de mon intervention portait sur l’impact
de la publicité dans le consumérisme. Dans les
cinq minutes qui me restent, je voudrais évoquer
des questions plus générales autour des médias
et des enfants et parler du contenu que l’on trouve
dans les médias.
“ Les recherches indiquent Beaucoup d’études
dans ce domaine
que la violence dans
montrent qu’il y a
les médias augmente
une corrélation entre
les risques d’agressivité
le fait de regarder la
télévision, en particuchez les enfants. ”
lier les programmes
violents, et un moindre développement personnel
et social. Des enfants qui regardent beaucoup de
programmes violents sont moins susceptibles de
développer le sens de l’intégration et du contrôle
de soi une fois adultes. Les recherches indiquent
que la violence dans les médias augmente les
risques d’agressivité chez les enfants. Il y a également un changement dans la manière dont les
enfants consomment les médias traditionnels.
Ils sont de plus en plus nombreux à avoir la télévision dans leur chambre. On a constaté des
performances scolaires moindres et des problèmes psychologiques accrus chez les enfants qui
regardent davantage la télévision.
Là aussi, la situation évolue, et de façon de plus en
plus inquiétante au fur et à mesure qu’apparaissent
de nouvelles formes de médias interactifs. Nous
savons qu’il est très facile, pour les enfants, d’avoir
accès à des contenus tout à fait nuisibles, surtout
avec la prolifération de sites comme « You Tube ».
Ce que l’on voit aujourd’hui, ce sont des enfants
qui envoient des vidéos de happy slapping. Ils utilisent leur téléphone mobile pour diffuser des images
dans lesquelles des bandes d’enfants s’attaquent
à d’autres enfants et les rouent de coups. Ces
images sont postées à « You Tube » et sont liées à
d’autres contenus de même nature. Il est très facile
pour les enfants d’y accéder. C’est une violence
qui est mise en ligne pour la violence pure. Ce
n’est pas une violence liée à un discours moral sur
ce qui est bien ou ce qui est mal. C’est la violence
pour la violence. Les opérateurs « You Tube »,
« Google » et autres sites affirment que c’est à la
communauté des internautes de faire de l’autorégulation et offrent la possibilité de commenter ces
vidéos. Mais les jeunes qui voient ces vidéos ne se
servent pas de cet espace de commentaire pour
dire : « c’est affreux ! » Ils l’utilisent pour donner
des notes, des avis sur la qualité de la vidéo : si
elle est nulle, si elle est cool, etc. Il y a vraiment une
sorte de prestige, dans ces communautés web, à
mettre en ligne des choses violentes.
Nous avons aussi noté qu’il est très difficile de
réguler l’accès des enfants aux sites à contenu
sexuel. Près de 60 % des enfants disent qu’ils sont
entrés en contact avec du contenu pornographique. La plupart du temps, cela transite par les pop
up ou par le spam dans leur boîte mail.
Pour conclure, ma présentation s’est surtout
concentrée sur la publicité, mais je voudrais vous
parler de quelques autres problèmes qui se profilent à propos des nouvelles formes de médias
interactifs. D’abord, le cyberbullying, c’est-à-dire le
harcèlement par Internet. Une personne sur cinq,
à Londres, a expérimenté le cyberbullying, dont
l’impact psychologique est comparable à celui des
formes traditionnelles de violence par harcèlement,
mais qui peut être pire, parce que les nouvelles technologies comme le téléphone portable,
Internet, les plateformes de mise en réseau permettent d’atteindre les victimes durant les heures
d’école. Seuls 4 % des parents disent que les
enfants sont victimes de bullying, mais d’après
les chiffres donnés par les enfants, le phénomène
pourrait être plus répandu. Autres sources de préoccupation, la sécurité de la vie privée des jeunes,
sur laquelle je ne m’attarde pas, et le plagiat : les
enfants copient les contenus trouvés en ligne pour
leurs devoirs.
Je vous ai présenté beaucoup d’analyses, parce
que nous sommes un institut de recherche en
politique publique, mais je voudrais également
proposer quelques pistes d’action face à ces phénomènes. Au Royaume-Uni, nous avons, pour le
moment, une approche relativement peu répressive
en matière de publicité ciblant les enfants. La seule
forme de publicité qui soit interdite est la junkfood2
dans les programmes destinés aux 4-9 ans. Mais
nous aimerions que cette interdiction soit étendue
à l’ensemble de la population des enfants d’âge
scolaire. Il devrait y avoir une consultation pour
déterminer à quel âge on peut exposer les enfants
à ce type de publicité. Le gouvernement pourrait
également se pencher sur le problème de la publicité commerciale via les plateformes en réseau et
les téléphones mobiles enregistrés au nom des
enfants. C’est difficile, mais si un combiné est enregistré au nom d’un enfant, les parents devraient
avoir une option leur permettant de s’assurer qu’il
ne recevra pas de publicité directe. Nous pensons
également que la publicité commerciale dans les
écoles devrait être surveillée de très près par l’inspection de l’éducation.
Il est clair que les nouveaux médias posent
problème : l’autorégulation ne fonctionne pas.
Mais il n’y a pas de solution évidente. L’IPPR va se
mobiliser sur cette question dans les prochaines
années.
J’ai parlé bien trop longtemps et je m’en tiendrai là.
J’espère que vous aurez des questions à me poser
à l’occasion du débat. Merci
1 - Sa majesté des mouches, roman de William Golding porté à l’écran
par Peter Brook en 1963
2 - La « malbouffe », l’alimentation fastfood…
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