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mt médecine de la reproduction, vol. 8, n°5, septembre-octobre 2006
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La théorie de la sélection sexuelle
remonte à Darwin [1] en 1871.
Depuis, cette théorie est constamment
reproduite dans tous les manuels et
explique que les mâles qui peuvent pro-
duire beaucoup de descendants avec
un investissement minimum dissémi-
nent leurs gènes en fertilisant autant de
femelles que possible grâce à des sper-
matozoïdes abondants et peu coûteux.
A l’inverse, les femelles qui sont limi-
tées par le coût métabolique de la pro-
duction des œufs et de l’éducation des
petits, sélectionnent les mâles de la
meilleure qualité pour doter leur des-
cendance de capacités les plus évoluées.
De nombreux problèmes compliquent
les conséquences de la sélection
sexuelle dans toutes les espèces : contra-
diction entre reproduction sexuée et
asexuée ; difficulté à conserver une hié-
rarchie stable de caractères génétiques
dans une population par rapport à la
sélection continue unidirectionnelle
pour les génotypes de haut rang ; usage
de définition différente de la notion de
«fitness» (bonne forme) pour les mâles
et les femelles.
Les auteurs, du département des
sciences biologiques de l’Université
Stanford, pensent que baser le choix des
femelles sur la sélection des meilleurs
mâles est illusoire. De nombreuses
études montrent que les femelles exer-
cent leur choix pour augmenter le
nombre, et non pas la qualité, des des-
cendants. Ils suggèrent au contraire que
les animaux coopèrent pour élever le
plus grand nombre possible de descen-
dants, car il s’agit d’un investissement
commun. Ils proposent donc de rem-
placer la sélection sexuelle pour expli-
quer le comportement social de repro-
duction par une approche basée sur la
théorie coopérative des jeux. Le temps
passé dans les différents types de relations
vise à maximaliser le bien être commun.
Différentes théories des jeux ont été
introduites en biologie par Nash en
1950 [2] et par Maynard Smith en 1982
[3]. Dans les jeux coopératifs, les joueurs
font des menaces, des promesses et des
paiements entre eux. Ils forment des
équipes. Ils forment et dissolvent des
coalitions. Le traitement mathématique
de ces relations est devenu extrêmement
complexe et largement au-delà de nos
connaissances habituelles.
Les auteurs décrivent le comportement
de deux espèces qui peut être facilement
traité par la théorie des jeux. Il s’agit des
labres (
Symphodus tinca
), poissons qui
vivent dans les habitats rocheux au large
de la Côte corse. La femelle peut soit
déposer ses œufs dans le nid du mâle
ou les répandre sur le fond. Les mâles
peuvent défendre les œufs contre les
prédateurs au risque de perdre du poids
et de supporter une forte mortalité. La
théorie des jeux explique la formation
d’une association coopérative entre
mâle et femelle.
Cette théorie rend compte aussi du com-
portement de l’oiseau pêcheur d’huître
Haematopus ostralegus
. Cet oiseau
forme le plus souvent des couples
mâle/femelle, mais aussi des ménages
à trois, un mâle et deux femelles, qui
peuvent exister sous deux formes,
coopérative et agressive. Dans le modèle
agressif, chaque femelle défend son
propre nid et le mâle défend le territoire
des deux nids. Les femelles pondent
leurs œufs à deux semaines d’écart et
s’attaquent fréquemment. Le mâle s’oc-
cupe plutôt des œufs pondus les pre-
miers et laisse les autres sans soins. Dans
le modèle coopératif, les deux femelles
partagent le même nid et pondent en
même temps. Les trois oiseaux défen-
dent le nid en même temps. Les femelles
de plus sont très proches et s’accouplent
fréquemment, bien que moins fré-
quemment qu’avec le mâle.
Conclusion
La théorie coopérative des jeux, base
mathématique de la sélection sociale,
est une alternative à la théorie de la
sélection sexuelle. Les éléments en sont
les suivants.
1. Les comportements sociaux et repro-
ductifs sont coopératifs. Dans la sélec-
tion sexuelle, le conflit sexuel est pri-
mitif et la coopération en dérive. C’est
l’inverse avec la théorie des jeux.
2. Les organismes marchandent entre
eux et échangent des bénéfices écolo-
giques pour maximaliser le nombre de
descendants.
3. Les groupes reproductifs sont des coa-
litions qui peuvent inclure des «aides».
Les familles sont des groupes repro-
ductifs basés sur la parenté.
4. Les caractères sexuels secondaires
sont des traits d’inclusion dans le sys-
tème social. Dans la théorie coopéra-
tive des jeux, la coopération et les jeux
d’équipe coexistent avec préjugés et
exclusion.
On peut se demander quelle théorie
s’adapte le mieux à l’espèce humaine.
Jacques Hanoune
Roughgarden J, Oishi M, Akçay E. Repro-
ductive social behavior : cooperative games
to replace sexual selection.
Science
2006 ;
311 : 965-9.
1. Darwin C. The descent of men and selec-
tion in relation to sex, 1871.
2. Nash J.
Econometrica
1950 ; 18 : 155-67.
3. Smith JM. Evolution and the theory of
games. Cambridge, 1982.
Comportement social de reproduction :
la théorie des jeux doit-elle remplacer
la sélection sexuelle ?
MtmR n°5 2006-54 4/09/06 14:25 Page 308
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