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LE HANDICAP MENTAL
I - INTRODUCTION ET PRECISIONS TERMINOLOGIQUES
1 - Pour tenter d'appréhender le handicap mental et la personne en situation de handicap mental (pshm),
plusieurs approches seront utilisées, l'une, étymologique, sur les différents mots qui ont caractérisé
cette personne, l’autre se référant à la démarche médicale avec ses trois temps de la clinique, de l’étiologie
et de l’évolution après soins, une troisième considérant l'homme sain, comme l'homme malade ou
handicapé, comme un être bio-psycho-social, possédant à la fois un corps et un esprit et devant nouer des
relations avec d’autres êtres humains, ces trois aspects de l’homme se situant en perpétuelle interaction.
« J'ai l'idée de trois personnes en une entre les choses du corps, ma pensée et mes relations » dit un patient.
2 - Précisions terminologiques et étymologiques
A. Termes usuels désignant l'affection dont souffrent les personnes considérées
-Succession dans le temps des termes de:
*Infirmité, du latin infirmus, *faible d'esprit et pas ferme (firmus)de corps et d'esprit.
*Invalidité, invalide du latin in et validus (fort, bien portant et efficace), dérivé de valere (valoir) est à
comparer au terme espagnol de « minusvalidos » bien plus valorisant pour les personnes considérées.
Ce terme d'invalide est actuellement plutôt réservé au vocabulaire de la Sécurité Sociale et désigne une
personne qui, après avoir accompli normalement son travail professionnel, n'est plus, du fait d'une
pathologie mentale ou physique, en mesure totale ou partielle de le poursuivre. Mais, souvent, les
patients, et parfois avec eux leurs accompagnants, ne savent pas trop à quels registre, celui de
l'invalidité, du handicap ou du RSA, ils appartiennent, lequel doit être privilégié et si ces différentes
aides peuvent être associées
*Handicap: Le"hand in cap", la main dans le chapeau, était en Angleterre, au XVIIe siècle, un jeu
entre trois parties, deux troqueurs et un arbitre handicapeur. Il s'agissait d'un troc au cours duquel les
deux troqueurs mettait en jeu des objets personnels qu'ils souhaitaient échanger. Une fois les mises
initiales équivalentes des trois parties posées dans le chapeau, les deux troqueurs plaçaient leurs mains
dans le chapeau et l'arbitre annonçait son estimation de la différence de prix entre les deux objets à
échanger. Les deux parieurs ressortaient alors ensemble leurs mains du chapeau, pleines s'ils
acceptaient l'estimation de l'arbitre, vides s'ils ne l'acceptaient pas. Si les mains des deux troqueurs
étaient pleines, l'échange avait lieu et l'arbitre empochait les mises. Si les deux ressortaient la main
vide, l'échange n'avait pas lieu mais l'arbitre empochait également les mises. Enfin, si l'un des deux
seulement ressortait la main pleine, l'échange n'avait pas lieu mais c'est lui qui empochait les mises.
Par la suite ce jugement comparatif s'est appliqué à des chevaux en imposant aux meilleurs de porter
un poids plus lourd, de partir un peu plus tard ou de parcourir une distance plus grande dans un souci
d'égalisation des chances. Ce handicap appliqué aux meilleurs, dans les courses de chevaux ou le golf,
a persisté de nos jours, pouvant susciter un regard différent et positif sur cette notion de handicap. Puis
le handicap, par un glissement de sens, a désigné le désavantage social (cf la classification de Wood
abandonnée maintenant en déficiences, incapacités et désavantages) avant que de désigner
actuellement tout ce qui peut faire problème dans le champ social pour une personne atteinte d'une
affection chronique physique, sensorielle ou mentale. Dans cette acception, la loi du 11- 02- 05 pour
l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées semble
avoir reconnu la notion de « handicap psychique » ou « handicap par la maladie mentale », mais cette
notion reste très critiquée par bon nombre de psychiatres comme étant discriminatoire, introduisant un
clivage entre la déficience qui justifie un soutien social et la maladie qui nécessite un traitement
spécialisé, et comme étant aussi imprécise et donc peu appréhendable pour les collectivités locales qui
devraient éventuellement en supporter le coût en lieu et place de l'assurance maladie. Néanmoins, cette
loi, qui reconnaît pour chaque personne handicapée, à la suite de la loi de modernisation sociale du
17- 01- 02, le droit à la compensation de son handicap, propose aussi pour la première fois une
définition de ce handicap comme constitué par « toute limitation d'activité ou restriction de
participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une
altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles,
mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant ». . .
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-Autres termes :
*Déficit, *déficience (intellectuelle ou mentale) : C'est un constat actuel descriptif d'un manque.
*Arriération a été opposée historiquement à *démence (de/mens: privé d'esprit). Ainsi, l'aliéniste
Esquirol (1772-1840) pouvait-il dire : "l'homme en démence est privé des biens dont il jouissait
autrefois, c'est un riche devenu pauvre. L'idiot a toujours été dans l'infortune et la misère". Le terme
d'arriéré, qui semblait tombé en désuétude, peut-être du fait de son compagnonnage avec le concept
fâcheux de dégénérescence mentale, paraît connaître une nouvelle jeunesse. En témoigne son emploi
dans le titre d'un article paru en 2003 de l'Encyclopédie Médico-Chirurgicale : « Arriération mentale:
Le cap de l'adolescence ».
*Dégénérescence mentale: Être dé/généré, c'est avoir perdu les caractéristiques de ses ascendants,
les privant ainsi de leur « fantasme d'immortalité narcissique », soit l'illusion de pouvoir se continuer
soi-même indéfiniment à travers ses descendants. Ce terme, qui a caractérisé un temps les personnes
atteintes d'anomalies congénitales, a été trop lié à la doctrine eugéniste pour pouvoir être conservé.
*Oligophrénie (= petite pensée) est resté un terme médical peu usité
*Débilité mentale au sens restreint est le degré le plus léger du déficit mental ; au sens large, ce
terme représente toutes les insuffisances mentales.
*Insuffisance ou inadaptation mentale : elle est définie par rapport à un groupe donné de même
âge et de même culture.
*Retard mental : Ce vocable laisse espérer un développement positif et s'oppose aux mots
désespérants d'incurabilité, d'inadaptabilité ou d'inamendabilité qui ont souvent caractérisé la pshm.
B. Mots familiers, issus de divers domaines, et qui ont pu désigner, dans le temps et dans
différents lieux, une personne présentant une déficience mentale
§Mots liés à la profondeur du handicap mental
*Idiot : Du latin et du grec idiotes, désigne un ignorant et un isolé, trop singulier pour être accueilli
par la communauté des notables savants qui partagent, eux, des symboles communs. Dans certaines
civilisations, l'idiot, le *simple, considéré comme sans culture et même « ensauvagé », a même été
déporté dans des îles lointaines, quand il n'était pas purement et simplement éliminé parce que « sans
valeur ». Plus près de nous, l'inhumain programme T4 des Nazis a repris cette appréciation de « sans
valeur » pour éliminer les handicapés. L'idiot, en termes médicaux, a désigné longtemps une personne
atteinte d'une déficience mentale profonde (débile profond actuellement).
*Imbécile : Du latin imbecillus (in baculum, sans bâton), a désigné un faible d'esprit et parfois de
corps et, dans le langage médical, une personne atteinte d'une insuffisance mentale moyenne (débile
moyen actuellement). On pressent que, contrairement à l'idiot, qui a pu apparaître à certaines époques
trop singulier ou trop étranger pour être secouru, l'imbécile sans bâton sera considéré comme pouvant
progresser pour peu qu'on lui fournisse le soutien dont il aurait manqué originellement.
*Débile : Du latin debilus, faible, infirme, estropié, le mot débile a surtout pris son essor au début du
XXème siècle quand le critère pédagogique est devenu prédominant et que les élèves porteurs de
déficits mentaux moyens et légers sont devenus des débiles inadaptés au système scolaire en vigueur.
§Mots issus du domaine religieux
*Crétin : Il existait en Suisse romande à l'état endémique un syndrome d'hypothyroïdie, le crétinisme,
du fait de la carence en iode de certaines populations, d'où l'appellation de « Crétin des Alpes ». Crétin
est dérivé du latin christianus (chrétien) et fait allusion au caractère sacré des *innocents. L'in/nocens
du village, celui qui ne peut pas faire de mal, a pu parfois être opposé au « fou furieux » qu'il faudrait
enfermer. La formule biblique « Heureux les *pauvres d'esprit car le royaume de Dieu leur
appartient » témoigne aussi de cette sollicitude religieuse pour les *égarés, l'égaré étant, comme la
brebis égarée de la Bible, celui qu 'il faut aller chercher de toute urgence même s'il faut pour cela
délaisser pour un temps le reste du troupeau. Un *benêt (de béni) ou un mon Dieu, mon Dieu »
proviennent aussi de cette veine religieuse.
§Mots référents au manque de dynamisme de certaines phm
* Demeuré : resté en la demeure (des parents? de Dieu? du gène?)
* Bredin ou berdin, c'est à dire resté dans la « berdouille » (la boue). A St-Menoux (Allier) existe
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un sarcophage appelé « Tombeau de St-Menoux » percé sur le côté d'un trou rond où les « bredins »
peuvent introduire leur tête pour obtenir leur guérison. On raconte que ce « débrédinoire » avait été
inauguré par le serviteur un peu *simplet de St Menoux qui, désespéré par la mort de son maître, saint
guérisseur, avait glissé sa tête dans son tombeau et en était ressorti « débrédiné ».
*Niais ou *nigaud signifient « resté au nid »
*Ballot: Le ballot reste planté là comme un ballot de marchandises
*Stupide, du latin stupor = paralysie, réfère à une certaine paralysie intellectuelle
*Sot, sosot, sont à rapprocher de souche pour certains, du latin sopire (endormir) pour d'autres
*Abruti, resté à l'état de brute (du latin brutus: lourd, pesant) est accentué par l'expression souvent
méprisante de * « abruti de naissance »
§Mots signifiant le caractère « animal » et buté qui a pu être attribué à la pshm
*Bête, *bêta, *bêtassou
*Âne fait référence au caractère têtu de l'animal. *« Âne bâté »en renforce l'impression
d'irréductibilité pesante, et le « bonnet d'âne » a longtemps caractérisé sottement bien des élèves en
difficulté. A contrario, l'asinothérapie (la thérapie avec l'âne) paraît prometteuse pour certains
handicapés, mais elle est moins utilisée actuellement que la thérapie avec le cheval ou équithérapie.
*Zozo ou zoziau pourraient évoquer la naïveté de l'oiseau qui prétendrait rester au nid (cf niais)
*Buse ou *triple buse! feraient penser au masque figé de l'oiseau guettant sa proie.
§Mots se rapportant initialement à l'aspect de certaines phm
*Mongol (gogol) ne concerne pas seulement l'aspect de la personne atteinte de trisomie 21 mais est
souvent utilisé par les gamins des cours de récréation pour stigmatiser la différence ou par les
personnes handicapées elles-mêmes pour désigner toute personne qui peut leur sembler plus déficiente
qu'elles ne le sont elles-mêmes. Mongol fait référence à une population asiatique faussement supposée
primitive mais dotée d'une riche épopée guerrière. Gogol, en russe, signifierait canard sauvage (on
pense au vilain petit canard du conte, à l'enfant sauvage, ou au célèbre « faut pas prendre les enfants du
Bon Dieu pour des canards sauvages ») et c'est même l'écrivain russe Nicolas Gogol soi-même, auteur
aussi du « Journal d'un fou », qui signale cette homophonie avec son nom propre dans son roman
« Tarass Boulba ». Par ailleurs, Gogol d'Algol (Algol est une étoile de la constellation de Persée d'où
viennent les étoiles filantes, les perséides) est le nom choisi par le dessinateur Enki Bilal pour le chat
télépathe particulièrement intelligent (intellegere, choisir entre, comprendre par l'esprit et inter/legere,
savoir lire entre les lignes) de sa bande dessinée : « La foire aux immortels ». Ces digressions
homophoniques du mot gogol pourraient permettre à l'occasion de raconter une histoire sur ce mot ou
de penser autrement une personne dont l'aspect physique particulier pourrait faire évoquer uniquement
une déficience préjudiciable.
§Mots lisières entre pathologie mentale et handicap mental
*Fada : du latin fatuus, insensé puis fat, a désigné, en Provence, autant quelqu'un de singulier que
quelqu'un de sot, et, pour certains, quelqu'un en communication avec les farfadets ou les fées.
*Lou ravi, toujours en Provence, est autant celui dont l'esprit a été ravi par une puissance
surnaturelle que celui qui est resté, volontairement ou non, dans la félicité originelle, dans le « plus à
jouir » diraient même certains lacaniens.
*Nœud-noeud ou *Tête de nœud en appelle à la complexité, paradoxale pour un simple d'esprit,
d'une personne à la fois nouée dans ses expressions émotionnelles et trop compliquée pour pouvoir
être comprise. La tentation peut alors être grande de brandir le glaive d'Alexandre ( littéralement celui
qui ne reconnaît pas la loi de l'homme) pour trancher brutalement ce nœud gordien.
*Passoire est une image pour celui qui a perdu le filtre entre le dedans et le dehors, qui n'a plus de
« Moi-Peau » (Didier Anzieu) et qui, soumis au « conflit esthétique » (Donald Meltzer) entre plusieurs
sens, en est réduit au « démantèlement ou à l'isolement sensoriel » (D. Meltzer), soit n'utiliser qu'une
seule perception sensorielle à la fois pour ne pas éclater.
3 - Pour conclure cette introduction, nous remarquerons qu'il y a une hétérogénéité clinique des états
déficitaires depuis la personne déficiente profonde « en grande dépendance » jusqu'à la personne
adulte avec une déficience légère et presque autonome avec ou sans l'aide d'un Service d'Aide à la Vie
Sociale (SAVS). L'état déficitaire est le plus souvent chronique, ce qui ne veut pas dire non évolutif,
mais le handicap social engendré peut être très variable au fil du temps et des différentes rencontres.
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II - ETUDE CLINIQUE DU HANDICAP MENTAL.
Cette étude clinique va dégager surtout les aspects qualitatifs du handicap mental avec l'évocation des
travaux classiques sur la déficience mentale, puis de quelques mots plus inhabituels pouvant porter à la
réflexion sur la déficience mentale dans son ensemble et sur ses parentés avec des affections
psychopathologiques. Enfin, après un détour par d’autres aspects de l’organisation mentale de la pshm,
nous parlerons de la distinction entre déficience mentale harmonique et déficience mentale
dysharmonique avec troubles de la personnalité et du comportement.
1 - Evolution, au cours de l’histoire, de l'appréhension du déficit intellectuel.
Jusqu’au XIX siècle, on ne connaissait du handicap mental que les déficits très profonds (les idiots)
ou profonds (les imbéciles). Au XXème siècle, avec l'obligation scolaire, le critère pédagogique
devient prédominant, et le Ministère de l'Instruction Publique va demander à Alfred Binet, en 1905, de
mettre au point un test pour détecter les déficits moyens et légers qui deviennent alors des débiles,
inadaptés au système scolaire en vigueur. Pour répondre à la commande, Binet va imaginer alors les
fameuses mesures du Quotient Intellectuel. Puis ses successeurs, plutôt que de s'attacher aux
constatations de manque, vont chercher à définir les mécanismes de pensée des personnes déficientes,
dans une perspective que l'on qualifierait maintenant de cognitiviste.
2 - Travaux classiques.
Kurt Lewin, en 1935, avait déjà constaté que le fonctionnement mental de la personne débile était-trop
rigide, et cette « rigidité idéique » de la pshm devrait actuellement inciter les institutions à introduire
plus de souplesse dans leur cohérence organisationnelle pour lui faire pièce et retrouver si possible la
« plasticité cohérente » qui caractériserait le vivant harmonieux selon les chercheurs biologistes Evo-
Dévo (Evo, pour évolution de l'espèce, Dévo pour développement individuel).
Birgit Inhelder, suivant les travaux de Piaget sur les quatre stades successifs de l’intelligence (cf III.3),
parle, en 1943, de « viscosité génétique » des personnes débiles, pour évoquer les oscillations du
raisonnement de ces personnes dont un mode de raisonnement acquis pourrait être massivement
contaminé par un mode de raisonnement antérieur. Il semble bien cependant que ce soit le libre jeu des
différentes façons de penser repérées par Piaget qui soit caractéristique de l'intelligence habituelle et ce
sera ce libre jeu que les pshm n'arriveront généralement pas à utiliser tandis que certaines d'entre elles
resteront bloquées au stade de la pensée concrète (raisonnement possible seulement en présence des
choses ou des êtres à raisonner), n'arrivant pas ou mal à aborder le stade du raisonnement hypothético-
déductif de la pensée formelle et logique.
René Zazzo, en 1973, parle « d’hétérochronie du développement » pour évoquer des différences
importantes suivant les secteurs du développement considérés chez la me personne : motricité,
cognition, langage, capacités relationnelles, entretien de soi-même, soit les différentes modalités
« d’être au monde ». On peut rencontrer des pshm étonnantes dans leur capacités motrices, même en
motricité fine, qui n'ont pratiquement pas de langage ou dont la capacité relationnelle est des plus
réduites. D'autres, très communicantes au contraire, restent d'une maladresse physique préoccupante.
Alexander Luria, décrit, en 1974, « l’inertie des processus mentaux supérieurs » .Ainsi, des pshm
peuvent avoir des difficultés à apprendre mais il leur est encore plus difficile de désapprendre, quand il
y a des changements de références pratiques ou théoriques. Lâcher un savoir caduc pour un autre
encore à construire pourrait alors entraîner chez elles un « conflit cognitif » dommageable.
D'autres travaux montrent l'atteinte fréquente des activités d'analyse catégorielle et de
conceptualisation verbale (d'une part, ce qui est commun dans la diversité du réel, soit un travail
mental de catégorisation, et, d'autre part, ce qui est essentiel au travers du contingent, soit un travail
mental de découpe et d'analyse de la totalité de l'objet perçu)
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3 - Des mots plus récents s'appliquent à la pathologie comme au handicap mental .
* alexithymie (Sifnéos, 1970) : absence de mots pour communiquer ses émotions, telle qu’on peut la
constater aussi chez des patients non déficients dits psychosomatiques, qui gèlent leurs expressions
émotionnelles dans le corps, et utilisent un mode de pensée essentiellement pratique, dit pensée
opératoire”, coupé des sentiments. « Mon papa, il est mort, ma maman et mon beau-frère aussi, j'ai mal
au dos, qu'est-ce qu'on fait? », me dira un jour une résidente d'une voix égale. Dans un cadre médico-
éducatif, il pourra appartenir à l’éducateur de « sensorialiser les émotions et émotionner la
sensorialité » pour tenter de construire, avec la personne handicapée mentale, un pont entre ses
émotions et ses connaissances et palier ainsi en partie ce que j'appellerai un « déficit associatif » .
J'avais utilisé cette formule de « sensorialiser les émotions » pour inciter l'éducateur à sélectionner
avec la pshm une situation dans ce qu'ils perçoivent tous deux qui puisse donner sens à l'émotion
exprimée dans le moment présent par la pshm, et celle « d'émotionner la sensorialité » pour associer,
avec la pshm, une émotion au réel éventuellement traumatisant perçu sur le moment. Je rapprocherai
cette proposition de ce que Michel Lemay avait décrit à Montréal sous le nom de « psychothérapie de
la quotidienneté », en remarquant qu'il s'agit surtout pour l'éducateur, de se donner le droit de raconter
et de faire raconter des histoires sur ce qui est perçu et vécu dans l'environnement commun à la pshm
et à lui-même, chaque fois que cela est possible.
* anhédonie : perte de la sensibilité au plaisir, telle qu'on peut l'observer aussi chez certaines
personnes dépressives non déficientes. Dans le cadre institutionnel, le plaisir obtenu par les loisirs
devra aussi faire l’objet d’une éducation, car il ne va pas de soi et il est arrivé fréquemment que des
pshm, par ailleurs très performantes et manifestement épanouies dans le cadre du travail, se retrouvent
très démunies quand vient pour elles le temps des loisirs.
* athymhormie : Cette absence de variations de l'humeur et ce manque d'élan vital s’observe aussi
chez certains dépressifs mais peut se rencontrer chez la pshm en dehors de toute dépression. « Tout est
plat, tout est plat » me dira un jour une autre résidente manifestement indemne de dépression.
* anhistoricité, achronognosie : le sujet déficient mental éprouve une difficulté toute particulière à se
situer dans son histoire personnelle et rejoint ainsi certaines personnes présentant une psychose de type
schizophrénique souffrant souvent elles aussi de ce « déficit de la mémoire autobiographique ». Une
« mise en histoire » de son parcours de vie, à l'aide ou non d'un support matériel, pourra aider à ce
repérage historique nécessaire à la constitution d’une identité suffisamment stable. Mais, au contraire
du sujet schizophrénique non déficient qui se repère généralement très bien dans le temps, il est
particulièrement difficile à la pshm de pouvoir prendre conscience de la succession du temps et à se
situer dans ce temps. Pour l'apprentissage éventuel de la notion de temps, je citerai Jacques
Montengéro, professeur de psychologie du développement intellectuel à Genève: « S'il existait une
pédagogie du temps, elle devrait favoriser ces incitations à reconstituer [l'histoire] ou à anticiper, et
pas seulement à transmettre des connaissances temporelles sous forme de mesures, séquences
apprises ou formules arithmétiques. ». Ce spécialiste du développement cognitif a ainsi pu observer
que le temps s'apprend par les histoires tandis que les psychothérapeutes d'inspiration psychanalytique
suggèrent, eux, que la connaissance et l'éprouvé émotionnel de l'histoire particulière de chacun
semblent constitutifs du sentiment d' identité personnelle, certains, à la suite de Paul Ricoeur, parlant
même d' « identité narrative ». On voit encore bien là toute l'importance de raconter et de faire raconter
une ou des histoires, dans des établissements médico-éducatifs, tant il semble patent que l'avènement
d' « homo narrans » est susceptible, en sus de l'appréhension du temps, d'alléger les contraintes
isolationnistes qui pèsent fréquemment sur la personne avec un handicap mental.
* analgognosie ou asymbolie à la douleur : Certaines pshm ne perçoivent pas ou mal la douleur
physique et psychique résultant d’une maladie, d’une blessure ou d’une brûlure. Cette absence de
perception de la douleur peut se retrouver chez certaines personnes cérébrolésées, ou lors d’une mise
sous hypnose ou encore lors d’un état de transe au cours de cérémonies traditionnelles. Elle implique
pour les accompagnants de la pshm une vigilance accrue, notamment sur les lieux de travail.
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