L`Église doit-elle faire toute sa place à la Chine

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Publié le 7 octobre 2016
L’Église doit-elle faire toute sa place à la Chine ?
• Après les persécutions sanglantes de Mao, la situation des catholiques chinois tend à
s’améliorer
• La question de la nomination des évêques reste le point le plus épineux
• Les catholiques de l’Église clandestine voient d’un œil méfiant le rapprochement entre
Rome et Pékin
• La tradition confucéenne invite à un jugement nuancé sur l’Association patriotique
catholique
Les échos les plus optimistes d’accords éventuels Chine-Vatican proviennent surtout du Cardinal
Parolin, secrétaire d’État du Saint Siège. Jusqu’ici le gouvernement chinois n’a pas demandé
l’établissement de relations diplomatiques avec Rome. Bien au contraire, ces relations qui existaient
depuis 1942 ont été brutalement rompues en 1951 alors que le nonce apostolique de la République
de Chine était demeuré à Nankin en République populaire et ne s’était pas exilé à Taïwan avec le
gouvernement nationaliste de Tchiang Kaishek. Cette rupture est liée à la proclamation
d’indépendance de la Chine populaire, le représentant du Vatican étant considéré comme l’agent
indésirable d’un pouvoir impérialiste étranger. La rupture n’a fait qu’empirer lorsque le représentant
du Saint Siège s’est établi à Taïwan auprès du gouvernement «séparatiste» de Taipei. Taïwan
bénéficie ainsi d’une ambassade au Vatican, la seule qui lui reste en Europe après l’entrée de la
République populaire de Chine aux Nations unies en octobre 1971.
L’Église sous Mao Zedong : sinisation et persécution effrénée
Dans les premières années du régime, tous les missionnaires étrangers, évêques, prêtres et
religieuses, c’est-à-dire plus des deux tiers du personnel d’Église, ont été expulsés du pays.
Beaucoup sont passés par l’épreuve de jugements populaires visant à les rendre haïssables par leurs
fidèles. Un centaine de diocèses sur environ 130 se sont trouvés sans évêques. Les prêtres chinois
sont restés faibles et sans ressources dans des locaux trop vastes pour eux. Ils en ont d’ailleurs été
rapidement dépouillés.
Une violente campagne de réforme de l’Église a été menée au nom des trois autonomies de
gouvernement, de financement et de propagation. De nombreux fidèles ont été martyrs de leur
fidélité à l’Église. D’autres ont tenté de survivre en se soumettant à ces «Trois autonomies»
imposées par le Parti. La nouvelle direction de l’Église a été ainsi officialisée en juillet 1957 avec la
création de l’Association patriotique des Catholiques de Chine. Une première scission s’est alors
creusée entre catholiques clandestins demeurés strictement fidèles à Rome et catholiques officiels
acceptant le patronage de l’Association patriotique tout en demeurant en communion spirituelle
avec le Pape. Le partage s’est souvent produit au cours de sessions d’étude où les plus menacés ne
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pouvaient s’en tirer qu’en dénonçant d’autres fidèles. Il en a résulté des haines irréconciliables entre
clandestins et «collaborateurs» qualifiés de renégats et de traîtres.
La pression sur les chrétiens s’est envenimée au nom d’un activisme révolutionnaire inspiré par un
Mao Zedong en perte de pouvoir. De 1966 à 1976, la «grande Révolution culturelle prolétarienne»
s’est acharnée à anéantir tout ce qui pouvait rester de chrétien : livres, locaux, églises… Tout le
personnel religieux officiel et clandestin s’est trouvé exilé dans des camps de travail forcé ou en
prison.
Sous Den Xiaoping, les religions retrouvent une place, mais contrôlée
Après la mort de Mao Zedong en septembre 1976, les dirigeants plus réalistes prennent le pas sur
les forcenés de la fameuse «Bande des Quatre» menée par Jiang Qing, l’épouse de Mao. En 1978,
Deng Xiaoping ouvre une nouvelle voie pragmatique de Front Uni pour la modernisation du pays.
Les corps religieux retrouvent leur place dans la vie du pays grâce à leur représentation dans la
Conférence Consultative Politique du Peuple Chinois. Une église avait été ouverte à Pékin après
l’entrée de la Chine aux Nations Unies. Une trentaine d’étrangers, en particulier le personnel des
ambassades, pouvaient participer à une messe latine le dimanche. A partir du 15 août 1978, les
catholiques chinois de la capitale peuvent enfin remplir cette église du Nantang fondée il y a quatre
siècles par le jésuite italien Matteo Ricci. Rapidement, des églises sont remises en état et ouvertes
dans les grandes villes. L’Église en Chine ressuscite. Prêtres et religieuses rentrent dans leurs
communautés. Le culte catholique reprend sous sa forme traditionnelle latine.
L’article 36 de la constitution chinoise
maintient que les corps religieux ne peuvent
recevoir de directives étrangères
A partir de 1982, des grands séminaires commencent à ouvrir avec les moyens du bord, c'est-à-dire
quelques vieux manuels latins sauvés des destructions. Les vieux prêtres font tout pour que l’Église
revive et pour assurer leur relève. Certains sont restés séminaristes ou diacres pendant 30 ans. Il
sont rapidement ordonnés. Les liens avec Rome demeurent cependant toujours interdits au nom de
l’indépendance chinoise. L’article 36 de la constitution chinoise maintient que les corps religieux ne
peuvent recevoir de directives étrangères. Les prêtres récemment libérés doivent à nouveau faire le
choix patriotique ou clandestin. Certains retournent dans les camps de travail où ils ont pu exercer
un apostolat fructueux.
Depuis les années 70, les contacts avec l’étranger se multiplient
Pendant les 20 premières années du nouveau régime communiste en Chine, les prêtres et religieuses
expulsés ont surtout fait connaître au monde leurs souffrances, leur lavage de cerveau et les
tactiques machiavéliques du Parti pour soumettre les catholiques. Le père François Dufay des
Missions étrangères publie alors son ouvrage L’étoile contre la croix. Après l’entrée de la Chine aux
Nations Unies en 1971, un mouvement plus positif se dessine chez les catholiques et les protestants
connaisseurs de la Chine. N’y a-t-il pas quelques éléments d’inspiration chrétienne dans le Petit
Livre rouge de Mao Zedong ? Des échanges vont-ils pouvoir se développer à nouveau ? Ne doit-on
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pas examiner les causes du rejet radical des chrétiens et en tirer les leçons ?
Le Colloque œcuménique de Louvain, en septembre 1974, marque le départ d’une immense
entreprise des chrétiens du monde entier pour témoigner de leur solidarité avec les chrétiens de
Chine. Les chrétiens évangéliques organisent à Manille un congrès de 400 chrétiens sous le titre
Love China 1975. Rome est partie prenante. En octobre 1976, les artisans d’un déblocage des
relations sont invités à Rome pour célébrer le cinquantième anniversaire de la consécration des six
premiers évêques chinois en octobre 1926. La reprise effective de relations avec les chrétiens de
Chine devient possible dans le cadre de la nouvelle politique de Front Uni pour la modernisation.
Singapour et Taïwan distribuent
la nouvelle littérature catholique chinoise
issue du 2ème Concile du Vatican
A partir de 1985, les catholiques chinois autrefois stigmatisés pour leurs relations coupables avec
l’étranger sont maintenant encouragés à faire appel à des soutiens financiers permettant l’afflux en
Chine d’investissements en devises étrangères. Missionnaires, prêtres et religieuses, chinois et
étrangers, multiplient les visites en Chine depuis Hongkong, Singapour et Taïwan distribuant la
nouvelle littérature catholique chinoise issue du 2ème Concile du Vatican : missel chinois, rituel
chinois, droit canonique en chinois, Bible chinoise, documents du Concile en chinois. Les jeunes
catholiques de Singapour publient un Guide bilingue anglais-chinois de l’Église Catholique en
Chine, permettant à tout visiteur étranger d’entrer en relation avec les catholiques chinois dans tout
le pays. A partir de 1992, un nouveau pas est franchi grâce à une initiative de Mgr Jin Luxian,
évêque de Shanghai. Des professeurs de Séminaire parlant chinois sont invités de Taïwan et
Hongkong à venir enseigner dans les grands séminaires de Chine pour former les futurs prêtres au
renouveau biblique et liturgique. Bien plus, des séminaristes, prêtres et religieuses de Chine sont
autorisés à suivre une formation complémentaire dans les instituts catholique d’Europe, d’Amérique
et des Philippines. Aujourd’hui, les directeurs de grands séminaires sont presque tous pourvus de
diplômes de maîtrise, voire de doctorats obtenus à l’étranger.
Liens avec Rome : la délicate question des nominations des évêques
Les autorités romaines ne peuvent que rendre grâce à Dieu pour la fidélité et le dynamisme des
catholiques de Chine. Ceux qui ont choisi de collaborer avec les autorités manifestent leur union
spirituelle avec le Pape en diffusant dans leurs journaux ou revues toutes les orientations destinées à
l’Église universelle. Ils mettent en œuvre les grands thèmes proposés chaque année : année saint
Paul, année de la Vie consacrée, etc. Ils mettent en relief les célébrations romaines telles que la
canonisation de Mère Teresa de Calcutta. Ils vivent conjointement indépendance et communion.
D’un autre côté, les sources de préoccupations ne manquent pas pour les dicastères romains.
Jusqu’où la proclamation d’indépendance des catholiques de Chine peut-elle aller ? A partir de
1958, des évêques ont été nommés et consacrés par les autorités chinoises sans l’accord de Rome.
De nombreux diocèses se trouvant sans évêque, la Sacrée Congrégation pour l’Évangélisation des
peuples s’est vue forcée de répondre aux requêtes pressantes des catholiques clandestins. Des
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nominations d’évêques ont été faites sans accord avec le gouvernement chinois. Certains évêques
clandestins ont su bénéficier des règles canoniques les autorisant, en cas de persécution, à nommer
un successeur où même l’évêque d’un diocèse voisin sans pasteur. Certains ne s’en sont pas privés
au point d’augmenter la tension entre Rome et Pékin. Ces évêques clandestins se trouvent
généralement bloqués. C’est encore le cas en septembre 2016 pour l’évêque coadjuteur de
Wenzhou, Pierre Shao Zhumin, issu des milieux clandestins et empêché de succéder à son évêque
Vincent Zhu Weifang décédé au début du mois. Par ailleurs, nombre d’évêques consacrés sans
accord de Rome ont secrètement demandé leur validation. Leur service pastoral étant apprécié, ces
évêques ont été validés d’année en année, mais la discrétion qu’ils ont dû garder n’a pas forcément
satisfait les fidèles et bien des clandestins ne se sont pas ralliés.
Huit évêques non reconnus par Rome
exercent leur tâche pastorale et font
partie de la Conférence épiscopale chinoise
La division entre clandestins et officiels demeure un contre-témoignage dans la mission de l’Église.
Des évêques reconnus par le Saint Siège sont toujours aux arrêts. Huit évêques non reconnus par
Rome, trois d’entre eux étant officiellement excommuniés, exercent leur tâche pastorale et font
partie de la Conférence épiscopale chinoise. Celle-ci n’est pas reconnue par Rome. Mais les
nominations d’évêques sont faites par cette conférence après élections et consultations dans les
diocèses. Cette conférence épiscopale est elle-même jumelée avec l’Association Patriotique et
soumise aux décisions d’une assemblée nationale des catholiques de Chine convoquée tous les cinq
ans. Cette organisation démocratique de l’Église ne convient évidemment pas à la structure
hiérarchique traditionnelle de l’Église. Les évêques ayant peu de pouvoir aux yeux des fidèles, la
vie de l’Église dépend du dynamisme des curés et peut se montrer florissante. Mais l’appétit de
pouvoir et le goût du confort et de l’argent peuvent malheureusement se développer à ce niveau.
Les clandestins y sont d’ailleurs eux-mêmes exposés du fait qu’ils échappent aux contrôles
politiques réguliers. Certains curés tout-puissants outrepassent les règles canoniques en déclarant un
empêchement de mariage entre conjoints officiel et clandestin. D’autres fixent un tarif élevé pour
les intentions de messe au point que seuls les plus riches peuvent en bénéficier.
Le difficile équilibre des relations avec un régime qui reste oppressif
Les curés officiels doivent entretenir de relations amicales avec les cadres locaux pour le bien des
fidèles. Beaucoup le font de façon désintéressée, mais quelques-uns en font un peu trop dans la
perspective de devenir évêque avec un statut de fonctionnaire et tous les avantages qui en découlent.
Ces quelques-uns font craindre le développement éventuel d’une Église nationale, une sorte de
gallicanisme ou d’anglicanisme chinois. Face à ces misères, Rome ne peut qu’insister sur la
formation spirituelle des pasteurs chinois. Le Pape Benoît XVI a publié en 2007 une lettre pastorale
destinée à tous les évêques, prêtres, religieuses et catholiques de Chine. Il y reconnaît la fidélité
remarquable de tous et leur recommande avant tout la réconciliation entre officiels et clandestins.
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Les clandestins maintiennent le cap
et les officiels ouvrent à l’Église
le champ de sa mission dans le monde
Cette déchirure n’a d’ailleurs plus de raison d’être là où la liberté religieuse est suffisante.
Clandestins et officiels sont en fait complémentaires dans la vie de l’Église. Les clandestins
maintiennent le cap en tenant fermement le gouvernail, les officiels ouvrent à l’Église le champ de
sa mission dans le monde. Leur marge de liberté d’expression est malgré tout très limitée, comme
c’est le cas pour tout citoyen chinois. Ils ne peuvent dénoncer les injustices flagrantes commises par
des entrepreneurs locaux avec la couverture du Parti. Les juristes et journalistes qui ont l’audace de
le faire finissent tous en prison. Les chrétiens doivent trouver le moyen silencieux de témoigner leur
soutien aux opprimés. Au printemps 2016, le prêtre chinois Wei Heping, formé à Salamanque,
menait avec audace et courage un grand service d’information catholique sur le web. La police a
retrouvé son corps noyé dans la rivière et l’a déclaré suicidé, interdisant toute autopsie. Ce prêtre
n’était pas favorable à un rapprochement de Rome avec le gouvernement chinois. Il est sûr que le
contrôle étroit actuel exclut toute liberté d’expression. La liberté religieuse se limite à la liberté de
culte. La constitution déclare la liberté de croire ou de ne pas croire mais la liberté de croire à
l’Évangile peut souffrir de discriminations en milieu universitaire et compromettre l’avenir des plus
brillants. C’est pourtant là que les conversions abondent. Ces dernières années, le contrôle de toute
activité chrétienne devient de plus en plus étroit. Rome peut-il apporter son soutien à une société
que les démocraties du monde entier jugent oppressive ?
Les avancées du Vatican vers Pékin diversement appréciées des
catholiques chinois
Pourtant, le Pape François se montre particulièrement actif en vue de normaliser la situation des
catholiques en Chine grâce à des accords avec le gouvernement chinois. Son approche amicale,
inspirée peut-être par la tradition jésuite issue de Matteo Ricci, peut sembler trop bonne aux
catholiques chinois qui souffrent de traitements malveillants. Son message de Nouvel an chinois au
président Xi Jinping est uniformément admiratif, ce qui convient à la tradition chinoise. Mais les
dirigeants chinois ne sont évidemment pas dupes. Pour eux, l’excès même des félicitations est lourd
de reproches silencieux. Les réactions catholiques chinoises réticentes du cardinal Zen et du
secrétaire chinois de la S.C. pour l’Évangélisation, Mgr Hon Tai Fai, gênent sans doute les
démarches du Cardinal Parolin. L’éloignement de Mgr Hon nommé à Guam loin de Rome n’est
malheureusement pas une mesure élégante du point de vue chinois. Toute perte de face est
déplorable aussi bien pour le gouvernement chinois que pour l’ensemble des catholiques chinois. La
seule personnalité chinoise à un poste clé de la curie romaine était pourtant un acquis de poids. Il est
en fait plus opportun pour l’Église de faire place à la Chine que de chercher à s’imposer en Chine.
Autre cas inquiétant dans la recherche du dialogue : le volte-face de l’évêque de Shanghai. Lors de
sa consécration le 7 juillet 2012, le nouvel évêque de Shanghai, Ma Daqin, rompait avec le modus
vivendi de son prédécesseur Mgr Jin Luxian en décidant de se dégager de l’Association patriotique
pour mieux assurer son rôle pastoral. Applaudi par les milieux clandestins, il était immédiatement
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empêché de remplir sa fonction pastorale. Sa déclaration récente reconnaissant les mérites de
l’Association patriotique peut-elle aider à améliorer la situation ? Personne ne croit à l’authenticité
de sa démarche. On peut distinguer dans le texte de sa déclaration ce qu’il a pu écrire
personnellement et ce que les cadres locaux ont dû rajouter pour lui donner l’aspect requis d’une
autocritique correcte.
Il est en fait plus opportun pour
l’Église de faire place à la Chine
que de chercher à s’imposer en Chine
La question clé pour Rome est la part essentielle du Saint Siège dans la nomination des évêques. Ce
rôle peut-il être laissé à la Conférence épiscopale chinoise ? Il faudrait pour cela que cette
conférence soit moins soumise au contrôle politique et qu’elle puisse entretenir des liens réguliers
avec le Saint Père, pasteur suprême de l’Église en tant que successeur de saint Pierre. Mais la
grande tradition politique chinoise est d’assurer le contrôle politique de toutes les religions. Sous
l’Empire, il y a avait un Bureau des rites, aujourd’hui il y a l’Administration d’État pour les Affaires
religieuses. Les orientations politiques du gouvernement sont transmises par les associations
patriotiques de croyants à chacune des cinq religions officielles. Seules les associations protestantes
et catholiques sont coiffées du qualificatif «patriotique» car elles sont suspectes d’ingérences
étrangères dans les affaires chinoises, ce qui n’est pas le cas des Taoïstes, des bouddhistes et des
Musulmans.
L’Évangélisation de la Chine : de saint Thomas aux Franciscains
L’annonce en Chine du salut en Jésus-Christ fils de Dieu remonte traditionnellement à l’apôtre
Thomas. Au premier siècle, il y avait en Chine des synagogues juives, en particulier à Kaifeng à
proximité de Luoyang, siège de l’empereur Han. Les recherches historiques du père
assomptionniste chinois Martin Yen et les études archéologiques du savant français Pierre Perrier
sur les rochers sculptés de Kongwangshan font état d’une présence chrétienne en Chine dès le
premier siècle. En attendant confirmation de ces hypothèses, le seul témoignage indubitable de la
venue des chrétiens en Chine est la stèle de Xi’an, gravée en l’an 781. Cette stèle déterrée au début
du XVIIème siècle décrit l’arrivée en l’an 635 à Chang’an, capitale des Tang, d’une délégation
chrétienne venue de Perse sous la direction de l’évêque « Aloben » Abraham. Les Écritures que ces
chrétiens apportent avec eux sont traduites en chinois. L’empereur confie un territoire à ces
chrétiens pour qu’ils y bâtissent un monastère. Ils sont en fait considérés comme une branche
particulière du bouddhisme.
Mais alors que le bouddhisme prospère dans l’ensemble du monde chinois, les chrétiens demeurent
une petite minorité. L’occupation mongole de la Chine au XIIème siècle favorise la création de
nouvelles communautés chrétiennes formées par des franciscains issus de la chrétienté latine. Ils
s’installent près du port de Zitoun (Quanzhou) au Fujian. A Pékin même, nommé alors Khanbalik
ou Dadu, l’évêque franciscain originaire de Naples Jean de Montecorvino, implanté en Chine
depuis une trentaine d’années, est nommé archevêque par le Pape Clément V en 1307. La nouvelle
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dynastie des Ming qui fait suite aux Mongols reprend la tradition impériale confucéenne et les
communautés chrétiennes disparaissent peu à peu, faute de liens avec l’occident, les routes de
l’Asie étant dominées par les Musulmans
Matteo Ricci et le génie de l’inculturation en terre confucéenne
Le catholicisme de la Réforme catholique issue du Concile de Trente prend pied en Chine en 1582
avec les jésuites Matteo Ricci et Michel Ruggieri. Ils sont accueillis dans la province de Canton en
tant que moines bouddhistes mais les bouddhistes ne les reconnaissent pas faisant partie des leurs.
Matteo Ricci choisit de présenter la foi chrétienne dans le cadre de la tradition confucéenne. Jésuite
italien formé dans la tradition humaniste de la Renaissance, il ouvre son chemin dans la tradition
humaniste confucéenne.
Les classiques grecs et latins sont devenus populaires en Europe. Ricci s’initie aux classiques
chinois confucéens, ce qui lui gagne l’amitié de grand lettrés fonctionnaires de l’Empire. Quelquesuns reçoivent le baptême et deviennent les piliers de chrétientés à Shanghai et à Hangzhou. Dans la
province du Fujian au sud-est du pays, l’annonce plus directe de l’Évangile en milieu populaire
entraîne de vives réactions hostiles de la part des fonctionnaires confucéens. Dans son ouvrage
Chine et Christianisme, action et réaction, (Gallimard, 1982) le sinologue M. Jacques Gernet
montre bien les motifs invoqués par les fonctionnaires confucéens contre l’enseignement et la
pratique chrétienne : non-respect du rituel traditionnel, participation égalitaire des femmes, sacrifice
au Ciel alors que c’est le privilège de l’Empereur, autant de crimes contre la norme fondamentale de
piété filiale. Bref, les trois règles confucéennes de base sont l’obéissance des enfants aux parents, de
la femme au mari et des sujets au Souverain. Les chrétiens bouleversent tout en disant qu’il faut
aimer Dieu par-dessus tout et pardonner les pécheurs. Les persécutions se succèdent dans la Chine
impériale.
La civilisation chinoise est-elle étanche au message chrétien ?
Cependant, la foi chrétienne progresse parmi les paysans pauvres des campagnes où les traditions
religieuses sont plutôt bouddhistes ou taoïstes, les normes confucéennes étant l’apanage de la
bureaucratie impériale. Aujourd’hui encore, le pouvoir politique a toujours recours à la tradition
confucéenne pour maintenir discipline et stabilité. Un changement considérable se produit du côté
de la minorité catholique. Les communautés-refuge solidement établies dans les campagnes sont
maintenant démantelées dans le flot d’une urbanisation rapide. Mieux armés que les catholiques
pour un témoignage dans les villes, les protestants font des progrès beaucoup plus rapides. Les
«Évangéliques» en particulier témoignent d’une foi en Jésus Sauveur intérieurement vécue et sentie,
apportant la paix du cœur à la foule des désemparés. Tandis que les catholiques se maintiennent à
une douzaine de millions, les protestants dépassent sans doute les trente millions, ce qui reste
encore une petite minorité parmi les 1 milliard quatre cent millions de citoyens chinois. Cette petite
minorité chrétienne n’en joue pas moins son rôle de ferment dans la pâte et fait sans doute peur aux
exploiteurs nantis qui défendent leur pouvoir et placent leur fortune en Amérique. La lutte du
Président chinois contre la corruption est une bonne entreprise, mais elle prend parfois l’allure de
manœuvres politiques et le recours à la morale confucéenne est inefficace parce que trop facilement
hypocrite comme l’a fort bien montré l’écrivain moderne Lu Xun.
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Le pouvoir politique a toujours recours
à la tradition confucéenne pour
maintenir discipline et stabilité
Dans la mesure où la Chine prend la place qui lui revient dans le phénomène actuel de
mondialisation, elle ne peut qu’observer la force du témoignage spirituel que l’Église catholique
représente et juger s’il convient de lui laisser un petit espace de liberté à l’intérieur même du pays.
Ce petit troupeau de bons citoyens ne peut en rien devenir une force subversive comme l’ont été les
citoyens de Pologne en grande majorité catholiques. Il ne convient pas que le Vatican se montre trop
entreprenant. Les abus du protectorat français des chrétiens de Chine au XIXème siècle ont humilié
la Chine pour longtemps et sont loin d’être oubliés. Le témoignage d’une Église servante
d’humanité est supérieur au témoignage d’une Église conquérante.
Jean Charbonnier, MEP
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