École Polytechnique – Sciences Po Paris Master EPP 2011 LAVISON Cynthia RAPPORT DE STAGE DE RECHERCHE ___ « L’INVESTISSEMENT SOCIALEMENT RESPONSABLE » ___ RAPPORT NON CONFIDENTIEL Option : Département d’Économie (Master Economics & Public Policies) Champ de l’option : Microéconomie Directeur de l’option : Benoît CŒURÉ Directeur de stage : Martine PERBET, rédacteur en chef des Cahiers de l’Évaluation Dates du stage : 25 mai 2010 – 3 septembre 2010 Adresse de l’organisme : « Les Cahiers de l’Évaluation » Ministère de l'économie, de l'industrie et de l’emploi Direction générale du Trésor 139 rue de Bercy (Télédoc 672) 75572 PARIS CEDEX 12 RESUME / ABSTRACT Français Réalisée en vue de l’élaboration du numéro 5 des Cahiers de l’Évaluation, cette étude se centre sur l’investissement socialement responsable (ISR), phénomène à la charnière des marchés financiers et du développement durable, deux problématiques majeures à l’heure actuelle. Marché de niche à forte croissance, l’ISR ne représente que quelques pourcents des investissements mondiaux ce qui en limite les enjeux, mais l’émergence graduelle de la responsabilité sociale comme standard de comportement dans le monde entrepreneurial pose question. Approche volontaire reposant sur des motifs altruistes ou sur la recherche de la rentabilité à long terme, les engagements reposent encore beaucoup sur des convictions et des principes, les « preuves » statistiques des liens entre les moyens (choix de portefeuille d’investissements) et les fins (rentabilité collective ou rentabilité financière selon que l’investisseur est altruiste ou opportuniste) étant encore faibles. Dans ce contexte les agences de notation extra-financière ont un rôle important à jouer pour orienter correctement les comportements. Leur devenir sera la résultante de tensions entre l’atteinte d’une taille critique indispensable pour fiabiliser leur expertise (données, modèles, compétences), le besoin de servir des publics aux préférences hétérogènes, les choix à opérer entre éthique et efficacité, le positionnement par rapport à la notation financière (complémentaire ou extérieur) et les options de gouvernance pour éviter les conflits d’intérêts. ________ English Realized for the 5th volume of “les Cahiers de l’Évaluation”, the present study focuses on Socially Responsible Investment. The SRI phenomenon is making a link between two topical issues: the financial markets and sustainable development. SRI is a fast growing niche market. Although its weight in the global capitalization is still limited to a few percents, the SRI issue is not to be disregarded. Indeed, Social Responsibility is increasingly regarded as a standard in the corporate world, making it a topical question. SRI is the inclusion of non-financial concerns in the investment process, either to meet their personal ethical standards or in the belief it will boost investment returns. Indeed, even for the profit-seeking kind, the selected non-financial considerations are still mostly based on beliefs and principles: there is still very little statistical evidence of the links between the means (the portfolio choices) and the aimed goal (be it investment returns or social welfare maximization). Thus, SRI Research Organizations have a key-role to play in order to guide the investment behavior toward the right direction. The future of these organizations will be mainly determined by their management of four issues: the necessity to reach a critical size in order to guarantee the liability of their expertise (data, models, capacities), the need to meet the preferences of heterogeneous buyers, the obligatory balancing between ethics and efficiency, their articulation with credit rating agencies (complementary or distinct) and the management of conflicts of interests. SOMMAIRE CONTEXTE………………………………………………………………………………………………………………………………………………………...………6 PREAMBULE………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………7 INTRODUCTION……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………8 I – L’INVESTISSEMENT SOCIALEMENT RESPONSABLE – DEFINITION DU CADRE………………………………………………………….………………9 A – LE DEVELOPPEMENT DE L’ISR – BREF HISTORIQUE…………………………………………………………………………………………………...9 B – LE MARCHE DE L’ISR EN CHIFFRES..……………………………………………………………………………………………..………………………14 II – ANALYSE ECONOMIQUE DE LA DEMANDE ISR…………………………………………………………………………………..…………………………16 A – LES INVESTISSEURS ISR VUS PAR LES ECONOMISTES - ARCHETYPES…………………………………………………..……………………..…16 B – TYPOLOGIE DES FAMILLES (INVESTISSEURS, PRODUITS)..………………………………………….……………………….………….………18 III – LES AGENCES DE NOTATION EXTRA-FINANCIERE …………………………………………………………………………………………………………21 A – NAISSANCE ET STRUCTURATION DU MARCHE FRANÇAIS……………………………………………………………………………………………21 B – DES CONCENTRATEURS D’INFORMATION ……………………………………………………………………………………………………………...25 C – LES METHODES DE TRAVAIL…………………………………………………………………………………………………………………………….....26 D – LES DEFIS DES AGENCES………………………………………………………………………………………………………………………………..…..32 IV – L’INVESTISSEMENT SOCIALEMENT RESPONSABLE EST-IL RENTABLE ?.......…………………………………………………………………………34 A – LA DISPUTE THEORIQUE…………………………………………………………………………………………………………………………………...34 B – LES RESULTATS EMPIRIQUES………………………………………………………………………………………………………………………………36 C – CONCLUSION : DERRIERE LE DEBAT SUR LA RENTABILITE LA QUESTION DE L’AVENIR DE L’ISR………………………………………..43 CONCLUSION GENERALE.………………………………………………….………………………………………………………………………….……………..45 BIBLIOGRAPHIE………….……………………………………………….……….…………………………………………………………………….……………..47 4 5 CONTEXTE Cette étude a été effectuée pour le numéro 5 des Cahiers de l’Évaluation portant sur la notation des entreprises (financière et extra-financière). Ce numéro s’insère dans un dossier sur la notation et l’évaluation. Quelques précisions sur la revue avant d’expliciter la thématique du dossier qui renvoie aux imperfections d’information existant sur les marchés évoqués dans le cadre des différents numéros de ce dossier. Adossée à un comité d’orientation composé des grands acteurs publics de l’évaluation (directeurs des services d’études économiques, Inspections, Cour des Comptes, Conseil d’Etat…), cette revue éditée par la Direction Générale du Trésor veut rendre les problématiques d’évaluation accessibles à un large public. En même temps elle vise un niveau d’exigence de qualité du contenu propre à stimuler les échanges entre experts, décideurs publics et chercheurs. Son concept, son public et son contenu, en font une publication originale, complémentaire des autres publications de cette direction (cf. ci-dessous). Tableau 1 : Les publications de la Direction Générale du Trésor (DGT) Cahiers de l’évaluation Trésor Eco Economie et Prévision Vulgarisation économique Reprise de travaux DGT Travaux de recherche Public visé Large public (décideurs publics, fonctionnaires, étudiants…) Economistes de la sphère privée et publique Chercheurs en économie Etudes DGT Articles publiés Extraits d’écrits déjà publiés (études économiques, articles de presses, livres…) avec, éventuellement, un article nouveau donnant une perspective économique au dossier Travaux émanant d’universitaires ou d’économistes de l’administration Concept éditorial « Les Cahiers de l’évaluation sont orientés vers le transfert de connaissance. Il s’agit de rendre accessible à un large public des concepts, des problématiques, souvent débattus dans le cadre restreint de l’expertise. Ce choix justifie la place des Cahiers aux côtés des deux autres publications de la DGT » Source : Martine Perbet A travers cette revue, l’objectif est de créer des références communes sur l’évaluation en s’appuyant sur des cas concrets. Le premier dossier des Cahiers rappelait l’origine du calcul économique, cœur de l’évaluation des politiques publiques, en s’appuyant sur des exemples pris dans le secteur des transports. Ce dossier, dans lequel s’intègre la présente étude, s’interroge sur les relations entre les notations « privées » (notation des hôpitaux, notation des professeurs sur internet…), souvent qualifiées d’évaluation par les médias, et les véritables évaluations de politique publique. Intitulé « Notation = Évaluation ? » ce dossier soulève la question du rôle sociétal de ces notations/évaluation, dont la large diffusion témoigne d’une demande sociale mais dont les méthodes sont souvent critiquées. Un premier volume (numéro 4 des Cahiers de l’évaluation, intitulé « De Michelin à eBay ») revenait sur l’histoire de ces notations, présentées comme des palliatifs à des asymétries d’information, ce deuxième volume (numéro 5) porte sur la notation des entreprises, notation financière mais aussi éthique, l’arrivée sur le devant de la scène des problématiques associées à la notation du risque de défaut des créances donnant une nouvelle dimension à ces interrogations. Réalisée en vue de l’élaboration du numéro 5 des Cahiers de l’Évaluation, cette étude se centre sur la notation extra-financière et sur l’investissement socialement responsable (ISR), deux phénomènes de plus en plus souvent évoqués dans les milieux économiques. Dans le contexte actuel, où le rôle crucial des notations sur les marchés financiers a été mis en lumière par la crise, cette étude vise à documenter les méthodes et les enjeux de la notation extra-financière. Le rapport de stage reprend de ce fait divers éléments (analyses, encadrés, graphiques…) qui ont été coproduits au sein de la rédaction et sont destinés à être intégrés dans ce futur numéro. 6 PREAMBULE Pour l’économiste les notations sont une réponse aux asymétries d’information (cf. encadré ci-dessous). De ce fait elles sont socialement utiles… dès lors qu’elles sont techniquement robustes et utilisées correctement. En effet, certaines notations sont porteuses d’enjeux beaucoup plus importants que les notations des vendeurs sur Price Minister. La mise en cause de la responsabilité des agences de notation financière dans la crise des subprimes ramène ces questions sur le devant de la scène. Encadré 1 : les asymétries d’informations Définition. Les asymétries d’informations caractérisent les situations où l’une des parties prenantes à l’échange est moins bien informée que son (ses) cocontractant(s) sur la qualité du bien échangé. Elles se retrouvent à différents niveaux dans les relations entre les agents d’un marché (entre producteurs, entre consommateurs, producteur-consommateur, entre employeur et employé, etc.). Exemple: situation de contrat incomplet. Le vendeur ne connaît pas les préférences de l’acheteur ni donc le prix qu’il est prêt à payer pour un produit (willingness to pay). L’acheteur dispose d’une information incomplète sur le produit qu’il se prépare à acheter. L’information est produite par le vendeur qui n’a donc pas d’incitation à révéler la qualité exacte du produit. Il y a donc asymétrie d’information en faveur du vendeur. Un exemple des conséquences d’une asymétrie d’information est illustré dans le paradoxe du « market for lemons », le marché pour les voitures d’occasion aux Etats-Unis décrit par George Akerlof : il existe deux types de voitures d’occasion : les « bonnes », et les « mauvaises » voitures qui comportent des défauts cachés. Par définition, il n’est pas possible de distinguer de l’extérieur une bonne voiture d’occasion d’une mauvaise, le produit est donc hétérogène. Par conséquent l’acheteur est disposé à payer un prix inférieur à la valeur d’un bon véhicule puisqu’il prend en compte dans la fixation de son prix psychologique de la probabilité anticipée de tomber sur une voiture défaillante. De l’autre côté, les vendeurs de bonnes voitures en réclament un prix plus élevé (correspondant à la qualité du bien à céder), et les vendeurs de véhicules défaillants sont prêts à les céder pour des sommes moins importantes. Mais le prix n’est pas un bon informateur puisqu’un mauvais vendeur peut toujours se faire passer pour un bon. Ainsi, l’acheteur n’acceptera jamais de payer le prix demandé par le bon vendeur qui lui-même ne voudra pas céder son bien au dessous de sa valeur. Les bons vendeurs vont peu à peu se retirer du marché par effet d’éviction. Conséquences. D’une manière générale, l’asymétrie d’information entre deux agents (le problème du principal-agent ou « l’action d’un acteur économique, le principal dépend d’un autre acteur sur lequel il est imparfaitement informé, l’agent. ») peut avoir trois conséquences : l’anti-sélection (cas du « market for lemons », l’aléa moral, et les problèmes de signal. Les asymétries sont donc sources d’inefficacité. Elles existent sur une grande variété de marchés, et l’évaluation naît d’un besoin : les réduire et les compenser. En fonction de leur nature (évaluation individuelle ou collective, exogène ou endogène, professionnelle ou simple opinion) ces outils sont plus ou moins efficaces et plus ou moins imparfaits. Source : Cynthia Lavison La notation financière vise ainsi à réduire les asymétries d’informations sur les marchés financiers entre investisseurs et emprunteurs. C’est une évaluation de la qualité d’une créance, c'est-à-dire du risque de défaut d’une entité émettrice (puis plus tard d’un produit avec l’essor des produits structurés). Nées avec le statut d’agences de presse, leurs notations sont de simples opinions, des « avis » qui n’engagent pas leurs émetteurs sur les conséquences de l’usage qui en sera fait. Pourtant, les évaluations qu’elles produisent ont un pouvoir important sur les marchés : les agences reconnues par le marché sont peu nombreuses et leurs notes définissent le prix de la créance pour un emprunteur : être mal noté signifie présenter un risque de défaut conséquent, et le taux d’intérêt proposé devra être assez élevé pour compenser l’aversion au risque des investisseurs. L’absence de transparence et de contrôle sur ces agences est justifiée par le fait qu’elles n’émettent qu’un « avis ». Mais cet avis se voit attribuer par le marché et par le régulateur un grand pouvoir sur l’économie financière, et par suite l’économie réelle. Aux côtés de la notation financière des entreprises s’est développée une notation « sociétale », ou « éthique » qui s’attache à évaluer les dimensions extra-financières de l’entreprise, en un mot, leurs actifs intangibles. 7 INTRODUCTION « Certains de nos comportements économiques perdent une partie de leur sens lorsqu’ils sont analysés au travers du prisme de la seule maximisation du profit »1. L’investissement socialement responsable et la Responsabilité Sociale de l’entreprise font, a priori partie de ceux-là. La responsabilité Sociale de l’Entreprise (ou RSE) s’oppose à la vision néoclassique de l’entreprise qui affirme que la seule responsabilité de l’entreprise est de faire du profit (Milton Friedman). Une entreprise implantée dans un environnement influe sur celui-ci par le biais d’externalités positives ou négatives. Elle peut alors être amenée à prendre en compte les conséquences de son activité sur la sphère économique mais aussi sociale et environnementale, ainsi que sur ses relations avec ses partenaires externes et ses employés, soit sur une base coercitive (réglementation) soit sur une base volontaire. Le terme RSE désigne cette démarche effectuée par une organisation (entreprise mais aussi, entité publique, Etat) pour assumer cette responsabilité. Le sigle RSE est parfois utilisé dans le sens de Responsabilité Sociétale et Environnementale. Le sens est similaire. En anglais , la RSE devient CSR, Corporate Social Responsibility (à ne pas confondre avec la Consommation Socialement Responsable, voir cidessous). Un certain nombre d’organismes se proposent d’analyser les performances des entreprises en matière de RSE : ce sont les agences de notation extra-financière. Cette évaluation donne lieu à une notation (ou rating) qui permet à l’entreprise de mieux se connaître, de s’améliorer et de communiquer avec ses parties prenantes et, éventuellement, d’être plus attractive pour les investisseurs. Elle s’appuie sur des critères dits ESG (Environnemental, Social/Sociétal, Gouvernance) qui sont les trois pôles reconnus comme pertinents dans l’analyse extra-financière. Les investisseurs qui intègrent des critères extra-financiers dans leur processus d’investissement, en complément de l’analyse financière classique, sont à l’origine de l’Investissement Socialement Responsable (ISR). Ce marché de niche est en pleine expansion et a, selon certains, vocation à s’implanter durablement dans les décisions de placement de tous les investisseurs. La Consommation Socialement Responsable (CSR) est le pendant « consommateur » de l’ISR. Il s’agit d’un consommateur qui souhaite que le processus de fabrication du produit ne soit pas en contradiction avec ses valeurs. L’amateur de produits « commerce équitable » ou l’agent sensible à un emballage respectueux de l’environnement sont des consommateurs socialement responsables. Plus généralement, différents termes sont employés dans la sphère financière pour évoquer ces notions de responsabilité envers la collectivité souvent axées sur le développement durable. Le développement durable consiste à viser à un équilibre entre sphère économique, sphère sociale et sphère environnementale afin de répondre aux besoins des générations présentes sans mettre en péril la capacité des générations futures à subvenir aux leurs. Finance éthique, finance durable, finance verte, organisme de notation sociétale, agences de notation éthique, etc. Ces termes reflètent des nuances et des orientations particulières du mouvement, qui seront présentées dans la suite du rapport, mais, par souci de commodité, c’est l’expression « extra-financier (e) » qui sera utilisée en général pour caractériser l’ensemble de ces approches. Ceci posé, l’étude suivante s’attache à proposer une description de ce marché ISR étroitement lié et dépendant de celui de la notation ainsi qu’une analyse des dynamiques à l’œuvre au sein du marché de la notation extrafinancière. 1 François-Louis Thoreau, L’investissement Socialement Responsable en Europe – rôle et méthodes de l’analyse sociale de l’entreprise, 2004 p. 77 8 I – L’INVESTISSEMENT SOCIALEMENT RESPONSABLE, DEFINITION DU CADRE « L’investissement socialement responsable désigne un processus de gestion qui concilie rentabilité, gouvernance d’entreprise, politique sociale, respect de l’homme, de l’environnement et des générations à venir. »2 A – LE DEVELOPPEMENT DE L’ISR - BREF HISTORIQUE 1 - Des années 1980 aux années 1990 : premières initiatives centrées sur l’aide au développement et sur l’emploi Les années 80 voient naître les premières démarches de finance éthique. Comme aux États-Unis l’investissement responsable est au départ l’apanage d’une minorité militante d’investisseurs se réclamant de valeurs religieuses (cf. encadré ci-après). Ces investisseurs sont prêts à faire un relatif compromis quant au rendement de leurs placements pour satisfaire leurs préférences « idéologiques ». Le marché est peu structuré, les éléments d’analyse sont simples voire simplistes (basés sur l’exclusion pour la plupart), et c’est un pan relativement minoritaire et « à la marge » de la finance. Le premier fonds de placement éthique français est ainsi issu du milieu catholique : créé en 1983 par Sœur Nicole Reille, le fonds « Nouvelle Stratégie 50 » est symbolique de ce type de démarche selon laquelle « perdre quelques points de rentabilité tout en investissant dans des entreprises « éthiques » devenait préférable au revenu optimal. »3. La même année est également créé le premier fonds commun de placement de partage « Faim et Développement », dont une partie des revenus finance des créations d’entreprises au Tiers-Monde. Initiative jointe du Comité Catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) et du crédit coopératif, cet OPMV répond à une logique similaire. Après l’inspiration religieuse, c’est l’inspiration politique qui se dessine dans les années 90 avec l’intervention des syndicats. Les questions de l’emploi et exclusion sociale émergent comme nouveaux moteurs de l’investissement responsable. Est ainsi lancé en 1994 le fonds de placement éthique et solidaire « insertions-Emploi » à l'initiative de la Caisse des Dépôts et Consignations, des Caisses d'épargne et de la CFDT. Ce fond est investi dans des entreprises françaises cotées en bourse pratiquant une politique de l'emploi « dynamique et courageuse ». 2 - Les années 2000 - Incitations publiques, agences de notation et essor de la RSE Avec le vieillissement de la population la question des retraites devient un enjeu crucial, les fonds de pension4 prennent une importance nouvelle et une partie des investissements recentre son horizon de placement vers le long terme. Les récentes crises économiques d’origine spéculatives (la crise japonaise des années 905, l’éclatement de la bulle internet au début de années 2000, etc.) sont aussi un facteur en faveur de stratégies d’investissements moins centrées sur l’immédiateté. Sur le plan de la RSE et de la finance responsable, les années 2000 sont ainsi marquées par trois évolutions majeures : l’apparition d’institutions communes, le développement d’une réglementation en faveur du CSR qui mène au déploiement d’un marché spécifique pour l’ISR , et le développement d’agences de notation extrafinancière qui viennent répondre aux nouveaux besoins créés par un marché de l’ISR en pleine expansion. Par ailleurs, l’implication des syndicats contribue significativement à la définition de la demande. 2 Erwan le Saout Corinne Buscot, Comment expliquer la performance de l’Investissement Socialement Responsable ?, 2009, p.155 Source : entretien accordé par Nicole Reille à Dirigeants Durables, « Une religieuse dans la finance » Propos recueillis par Caroline Dangléant 4 Aux États-Unis, la retraite se fait par capitalisation, les fonds de retraite ont donc un poids important. En France la retraite par capitalisation n’est encore qu’un projet, mais l’épargne salariale gagne en puissance. 5 Pour en savoir plus voir par exemple : Évelyne Dourille-Feer, Cyrille Lacu, « La crise japonaise ou comment un pays riche s’enfonce dans la déflation » in l’Économie mondiale 2003, p.76-90, Repères 3 9 Qui ? Églises Étudiants Fonds de pension Investisseurs sensibles aux risques environnementaux Encadré 2 : L’ISR aux États-Unis « Les prémisses de l’investissement responsable naissent à partir du 17ème siècle en Amérique du Nord grâce aux Quakers, leur choix d’investissement s’établit sur le refus du financement des secteurs de l’armement et de l’esclavage. Ce mouvement a été fondé par John Wesley qui s’est inspiré des enseignements bibliques concernant le Nouveau Testament, puis cette tendance s’est accentuée avec les investisseurs religieux qui se sont interdit tout financement contribuant au financement des entreprises qui pourrait tirer parti de produits destinés à tuer les êtres humains. Les congrégations religieuses ont mis en application leurs principes fondamentaux à travers leurs choix d’investissement. Au début du 20ème siècle, les anabaptistes refusaient d’investir dans l’alcool, les machines à sous, la pornographie et le tabac par exemple. On considérait qu’il était encore plus grave de tirer profit des péchés, c’est pourquoi on nomma ces actions les « sins stocks ». Cependant le pouvoir et l’influence des Eglises de placements financiers restent limités, c’est dans les années soixante que le phénomène prendra une véritable ampleur et dépassera le cadre religieux auquel il est rattaché. Les mouvements pacifistes au moment de la guerre du Vietnam (années soixante) Le contexte géopolitique et historique a été un levier important, puisque la guerre du Vietnam vient de s’achever, les industries de l’armement ont dégagé des profits considérables grâce notamment à la production du gaz napalm ou encore des herbicides dévastateurs, les armes, l’électronique militaire dont les répercutions sur les populations ont été plus que néfastes. L’essor des mouvements pacifistes dans les universités conduit les autorités financières des universités à s’interroger sur la destination des flux financiers qu’elles octroient, il y a donc une prise de conscience et un rejet de l’immoralité au service du profit destructeur. Des établissements comme le Council on Economic Priorities décide d’établir une liste des firmes impliquées dans la production d’armes de guerres à destination du Vietnam, c’est ce travail de recensement et d’évaluation du seuil d’implication de l’entreprise qui constitue la caractéristique de l’investissement socialement responsable. A partir de l’établissement de cette liste, chacun en son âme et conscience a pu évincer de son portefeuille d’actions et d’obligations les entreprises qui sont en inadéquation avec ses aspirations morales. Par ailleurs les années soixante ont aussi été fortement marquées par les mouvements sociaux et environnementaux pour la défense des droits civiques fondamentaux à l’égard des femmes, des minorités ethniques ou encore les relations au travail, les questions relatives au management. La lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud (années soixante dix) Les investisseurs américains sont de plus en plus nombreux à s’intéresser à l’investissement social qui prend une nouvelle acuité dans les années soixante dix en raison de la prise de conscience politique du régime de l’Apartheid en Afrique du Sud. Des centaines de firmes sont impliquées et confortent le régime de Pretoria telles que General Motors. Les actionnaires de ces firmes qui sont des universités, des Eglises et des fonds de retraites ne veulent en aucun cas contribuer à l’essor de ces firmes, par conséquent des dispositions réglementaires sont appliquées visant à la non-discrimination, la non-ségrégation des races dans les bâtiments, salaire égal, l’établissement d’un programme de formation des Noirs, l’accession aux postes d’encadrement, l’amélioration des conditions de vie. Ces principes dits « Sullivan » seront mis en place dans douze multinationales présentes en Afrique du Sud afin de garantir le maintien de l’actionnariat. Par la suite, un indice des firmes non impliquées dans le commerce avec l’Afrique du Sud sera créé par une banque de Boston : le South Africa Safe Equity basé sur le Standard & Poor 500. De plus une résolution de l’ONU incite l’ensemble des actionnaires à retirer leurs fonds des entreprises ne respectant pas les principes Sullivan ce qui amène les fonds de retraite de l’Etat de Californie à désinvestir plus de 90 milliards de dollars en 1987, ces fonds de retraite exigent que l’entreprise Xerox cesse ses ventes à destination de la police Sud Africaine. Les firmes qui appartenaient à l’indice Safe (South Africa Safe Equity) diminuent de manière drastique passant de 125 à 50 en 1990. Pour ne pas être exclues des portefeuilles de nombreux investisseurs, les entreprises telles que Coca-Cola, IBM, Kodak se retirent du marché d’Afrique du Sud. L’investissement socialement responsable devait s’effacer peu à peu suite à la déclaration de Nelson Mandela sur l’apartheid et à la mise en place d’élections libres et équitables en Afrique du Sud le 24 septembre 1993. Les analystes étaient loin d’imaginer que l’environnement deviendrait un enjeu et une préoccupation majeure des investisseurs. Les préoccupations environnementales…. et l’introduction de critères positifs de sélection à côté des critères d’exclusion (années 1990) Une enquête publiée par le Social Investment Forum démontre que l’investissement social a connu une expansion spectaculaire au cours de la dernière décennie aux Etats-Unis. Le Social Investment Forum est l’un des premiers grands fonds d’investissement éthique en portefeuille d’actifs financiers. Il réunit aussi bien des particuliers que des institutions. L’environnement est devenu un nouveau critère de sélection de l’entreprise, la multiplication des catastrophes écologiques de Bhopal, Tchernobyl et de l’Exxon Valdez, l’approfondissement des connaissances et des recherches concernant les risques de réchauffement planétaire, la répétition des marées noires, l’épuisement des ressources naturelles ont contribué à cette prise de conscience collective. Dés le début des années 1990, à côté des critères d’exclusion traditionnels apparaissent les premiers critères de sélection. Cette apparition résulte de la pression exercée sur les entreprises, amenées à communiquer et à rendre des comptes sur leurs activités à l’égard de la collectivité. Le naufrage de l’Exxon Valdez en 1989 a mobilisé un nombre important d’investisseurs y compris les plus grand fonds de pension des Etats-Unis,TIAA6CREF et adonné lieu à la création du CERES (coalition for environmentally responsible economies) qui pour la première fois a permis l’énoncé de règles de responsabilité environnementale par les investisseurs institutionnels en direction des entreprises. Cette pression est elle-même relayée par les travaux des institutions supranationales : le rapport Bruntland sur le développement durable de 1987 et le sommet de la Terre de Rio en 1992. Ces critères de sélection reposent également sur une vision simple : sélectionner les entreprises affichant des principes de corporate social responsability se traduisant sur le plan social et environnemental. Ce concept n’est alors pas clairement formalisé mais il marque néanmoins une rupture avec l’investissement éthique perçu comme un déni et utilisé comme une forme de boycott systématique, rejetant toute idée de dialogue avec le monde de l’entreprise. Comment? Exclusion Action Sélection Fonds éthiques : conception anglo-saxonne et conception européenne ? Le mouvement de corporate social responsability repose sur les fondements du business ethics à l’Anglo-saxonne. Ces fondements sont très éloignés de notre culture européenne continentale et catholique où le rapport à l’argent reste très ambigu. Pour les Anglo-Saxons, la fonction d’une entreprise est bien de générer du profit, et la question de la moralité ou de l’immoralité est totalement absente de cette évidence. Les règles du business ethics consistent à codifier et à mettre en application un certain nombre de procédures permettant la fluidité et l’efficacité des échanges commerciaux et financiers sans remettre en cause le système libéral. Il s’agit d’un corps de bonne conduite sur différents domaines. L’extension de ces codes à de nouveaux registres sociaux et environnementaux illustre une nouveauté importante et répond à la nécessité pour l’entreprise de rendre des comptes à des partenaires élargis et non exclusivement aux seuls actionnaires. En Europe, le débat qui arrive une bonne dizaine d’années plus tard n’emprunte pas les mêmes accents. La notion de corporate responsability élaborée aux Etats-Unis prend en France un tout autre sens : l’entreprise ne doit pas être une machine à produire des bénéfices mais un lieu d’épanouissement collectif et de cohésion sociale pour ses différents partenaires. » Source : Sonia DEVIN, Fonds éthiques et critères de notation, Communications de la journée (Jeudi 15 mai 2003), Association internationale de management stratégique (les titres en bleu sont ajoutés par la rédaction) 10 Création d’une agence de notation extra-financière En 1997 naît la première agence française de notation extra-financière, Arese. Créée par Geneviève Ferone (qui rapporte ce concept de son expérience des fonds de pensions aux États-Unis), l’agence positionne son produit comme un complément à la notation financière qui permet aux investisseurs de long terme d’avoir une vision globale de l’entreprise en prenant en compte des données plus larges, non disponibles sous forme standardisées jusque là. C’est la matérialisation d’une tendance à l’élargissement de l’analyse risque/performance des entreprises qui caractérise le début des années 2000. Cette mise à disposition de l’information permet de créer un lien entre les démarches RSE des entreprises et les démarches « éthiques » des investisseurs et des gestionnaires. En effet, la croissance du marché français de l’ISR commence à s’affirmer avec l’entrée en scène de la notation déclarative d’Arese : en 1998 deux fonds « ISR » se créent, puis sept en 1999 et vingt en 2000 (alors que le rythme était de un par an en depuis 1983)6. Création d’institutions communes En 2000 est créé l’Observatoire sur la Responsabilité Sociale des Entreprises (ORSE). C’est une association loi 1901, qui réunit des grandes entreprises, des sociétés de gestion de portefeuille, des organisations syndicales, des ONG, des institutions de prévoyance et des mutuelles en vue de mieux faire connaître les questions de développement durable et de responsabilité sociale. La même année naît le Forum pour l’Investissement Responsable (FIR) qui regroupe les investisseurs institutionnels, les gestionnaires d'actifs, les agences de notation extra-financière, les courtiers souhaitant promouvoir l'ISR. Dès novembre 2000, le FIR lance une campagne pour faire prendre en compte les aspects environnementaux, sociaux et éthiques dans la Loi sur la généralisation de l'épargne salariale et dans la Loi portant création d'un Fonds de Réserve pour les Retraites (cf. ci-après). En 2001 sont créés Eurosif et Novethic. Le premier est un réseau européen de forums pour l’investissement responsable qui lancera le projet pilote de principes directeurs de transparence pour les fonds ISR : « Transparency guidelines for the retail SRI funds sector ». Le second, initiative du Groupe de la Caisse des Dépôts et des Consignations est un centre de recherche sur la RSE et l’ISR et devient le premier portail sur ces thèmes. Réglementation L’année 2001 voit la mise en place d’un ensemble de législations favorables à la RSE et contribuant à la définition d’un marché de l’ISR. L’article 21 de la loi sur la généralisation de l'épargne salariale (16 février 2001) souligne que le règlement du fonds commun de placement d'entreprise doit préciser, le cas échéant, les considérations sociales, environnementales ou éthiques que doit respecter la société de gestion dans l'achat ou la vente des titres, ainsi que dans l'exercice des droits qui leur sont attachés. Elle oriente ainsi l’épargne salariale vers des placements responsables. En mai 2001, la loi sur les Nouvelles Régulations Économiques (loi NRE) oblige les entreprises à insérer dans leur rapport annuel (présenté par le conseil d'administration, ou le directoire, à l'assemblée générale des actionnaires) un chapitre sur leurs impacts sociaux et environnementaux. Cette loi concerne environ 700 entreprises cotées en Bourse et de droit français. La loi du 17 juillet 2001 crée le fonds de réserve des retraites qui vise à couvrir, grâce aux ressources que lui confie la collectivité nationale, à compter de 2020, une part significative des besoins de financement des régimes de base des salariés du secteur privé, des artisans et des commerçants. Cette loi prévoit que le directoire, responsable de la 6 Sonia Devin, les fonds éthiques : critères de notation, 2004, p.21 11 gestion du fonds, rende compte régulièrement au conseil de Surveillance et retrace notamment la manière dont les orientations générales de la politique de placement du fonds ont pris en compte des considérations sociales, environnementales et éthiques. En août 2003, la loi Fillon sur la réforme des retraites instaure un mécanisme de retraite par capitalisation en créant trois nouveaux outils d'épargne retraite. L’impulsion du syndicalisme Amorcée dans les années 90, l’implication des syndicats se précise. En janvier 2002, quatre confédérations syndicales représentatives (CFDT, CFE-CGC, CFTC et CGT) s’unissent pour créer le Comité intersyndical de l’épargne salariale (CIES). L’épargne salariale, instituée en 1967 par le Général de Gaulle, n’a vraiment émergé qu’à partir des années 1990. À la CFDT, c’est Nicole Notat qui lance le mouvement en 1998 en organisant un congrès afin d’étudier en profondeur la participation et l’intéressement. Finalement deux objectifs vont unir les syndicats : généraliser l’épargne salariale et rechercher des placements qui favorisent les comportements d’entreprises « socialement responsables ». Jusqu’ici non consultées lors du choix du gérant et du type de placement associés au plan de retraites, les différentes confédérations syndicales françaises regroupées au sein du CIES vont créer un label commun fondé sur des critères d’ISR. D’une manière générale, la tendance historique peut être qualifiée de favorable au développement des problématiques « éthiques ». L'obligation de reporting environnemental, à laquelle étaient soumises depuis 2003 les entreprises françaises cotées en application de la loi NRE (nouvelles régulations économiques), est étendue à un ensemble plus vaste d’entreprises ainsi qu’aux entreprises publiques et aux administrations. Les actifs immatériels (notamment la réputation et les questions de ressources humaines) deviennent un enjeu de plus en plus important pour les entreprises qui ont intérêt à améliorer leur performance pour gérer au mieux ce « risque d’image ». Dans cette optique, l’observation des critères RSE devient pertinente dans l’objectif d’un profit inscrit dans la durée. B- LES PRODUITS DE PLACEMENT ISR On englobe sous le terme d’investissement socialement responsable toutes les démarches d’investissement qui font appel à des critères non-financiers dans la constitution du portefeuille de valeur. Cette définition est très large, elle renvoie à différents types de placements socialement responsables : - Les fonds d’exclusion L’exclusion est la première forme d’ISR recensée, ce qui lui vaut le nom d’ISR « première génération ». Elle consiste à exclure de l’univers d’investissement tout un secteur économique ou des entreprises impliquées dans certaines activités. Ces critères peuvent être d’ordre religieux (l’exclusion de l’alcool, du tabac et de la pornographie sont par exemple des constantes des fonds chrétiens et islamiques) ou basés sur d’autres convictions : exclusion des entreprises impliquées dans le nucléaire ou de celles qui utilisent les tests sur des animaux. Enfin, ils peuvent être fondés sur des régulations et conventions : certains fonds excluent toutes les entreprises ne respectant pas les normes internationales (émises par l’OMC, OIT, ONU, etc.), c’est le filtrage normatif. - Les stratégies positives 12 Elles consistent à sélectionner des entreprises sur la base de la nature de leur activité (ou leur notation par rapport à un thème spécifique. Par opposition au filtrage négatif qu’est l’exclusion on parle de filtrage positif. Plusieurs types de fonds sont possibles : - Les fonds thématiques sont des fonds qui se concentrent sur un secteur donné (l’eau, les énergies renouvelables…) ou sur une problématique (développement durable, lutte contre les émissions de gaz à effet de serre). Cette approche se différencie des approches Best-in-Class et Best-effort classiques (ISR « troisième génération ») qui prennent en compte tous les aspects de la RSE. Les fonds thématiques sont parfois appelés ISR « seconde génération » et on les désigne par couleur (« fonds vert » pour l’environnement, mais aussi parfois « fonds rouge » pour le critère social…) - fonds best in class : la sélection best-in-class consiste à sélectionner dans un univers d’investissement donné les entreprises ayant les meilleures performances ESG pour leur secteur. La sélection se base sur les notes déclaratives d’une agence de notation extra-financière. - fonds best effort: la sélection best-effort consiste à choisir dans un univers d’investissement donné les entreprises ayant le comportement le plus proactif de leur secteur, c'est-à-dire celles qui connaissent les meilleures progrès (en terme d’amélioration de leur note extra-financière) ou de celles qui mettent en œuvre le plus d’initiatives visant à améliorer leur responsabilité sociétale. Ces deux approches (meilleure progression ou meilleures initiatives) sont très différentes en matière de rentabilité. - Les stratégies « molles » (soft core en anglais) Elles intègrent quelques critères ISR à une démarche d’investissement classique basée sur la notation financière (par exemple en ajoutant quelques risques de type ESG au calcul). Certaines nomenclatures (par exemple les études Eurosif) rapprochent ce type de démarche avec les stratégies d’exclusion dans le terme de « stratégies molles » dans le sens qu’elles ne demandent qu’un investissement minimal en terme de recherche ESG (contrairement aux fonds best-in-class qui sollicitent des produits de notation plus élaborés que de simples registres d’exclusion). Ces démarches « soft » sont souvent surreprésentés dans les descriptions du marché dès lors que l’on prend en compte les investisseurs institutionnels (et pas uniquement le marché de particulier dit marché « retail ») car ce sont les stratégies que ces derniers privilégient. (cf. la partie ci-après « Les chiffres ») - Les stratégies « proactives » Ces stratégies accompagnent l’acte d’investissement mais se déroulent « à l’extérieur » du portefeuille. On en distingue deux : - L’activisme actionnarial ou « engagement actionnarial » est un comportement d’investissement « proactif ». Il consiste à utiliser ses droits d’actionnaires pour influer sur la politique de gestion d’une entreprise et faire évoluer ses pratiques (sociales, éthiques, environnementales, etc.). Il s’agit d’une politique de dialogue sur le moyen-long terme, basée sur la proposition de résolutions lors des Assemblées Générales. Ce type de démarche nécessite d’investir massivement dans un groupe (pour obtenir un poids satisfaisant dans le CA), elle est donc le plus souvent appliquée par des gestionnaires de fonds de pension ou par des associations engagées créées spécifiquement pour l’occasion. On peut citer par exemple l’ICCR (Interfaith Center on Corporate Responsibility) aux États-Unis qui regroupe 275 (à vérifier, chiffre 2006) investisseurs institutionnels (communautés religieuses, fonds de pension, établissements hospitaliers). Elle rédige plus d’une centaine de résolutions par an et a pour but d’amener les entreprises à adopter un comportement socialement responsable et de sensibiliser les autres actionnaires aux enjeux du développement durable. Un autre exemple est celui de l’organisation SANE BP (Shareholder Against New oil Exploitation). Ce groupe, créé en 1999 par Greenpeace promeut la protection de l’environnement (gestion des risques) et la lutte contre le réchauffement climatique (développement des énergies renouvelables). En plus de la proposition de résolutions, SANE BP fait du lobbying auprès des autres actionnaires dans le but de faire avorter les projets jugés trop risqués pour l’environnement. 13 - Les fonds de partage : l’investisseur s’engage à reverser tout où une partie de ses bénéfices à une organisation caritative au profit d’une cause déterminée. La performance extra-financière des entreprises composant ce type de fonds n’est ni systématiquement évaluée ni prise en compte, bien que la combinaison existe. Les démarches IRS apparaissent variées, tant par leur expression que par leur motivation. Comment les expliquer et les intégrer dans la théorie de l’investisseur rationnel qui maximise son profit ? (cf. partie II). Comment constituer des fonds répondant aux attentes de ces investisseurs ? Le rôle des agences de notation extrafinancières est primordial (cf. partie III). B - LE MARCHE DE L’ISR EN CHIFFRES7 Les encours totaux de l’investissement socialement responsable dans le monde s’élèvent à 5 000 milliards de dollars. L’Europe se place en tête avec 53% du marché mondial suivie des États-Unis avec 39%. Selon le périmètre retenu, les encours ISR européens représentent de 3% à 18% de l’industrie européenne de la gestion d’actifs. Le haut de la fourchette correspond à l’ensemble des stratégies ISR (core strategies et broad strategies, cf. encadré ci-après), soit 2700 milliards d’euros, le bas de la fourchette correspond aux seules core strategies, soit un peu plus de 500 milliards d’euros (chiffres 2007 et 2008 d’Eurosif). L’ISR a quasiment doublé entre 2005 et 2007 en Europe (cf. graphique ci-dessus qui retrace l’évolution des core strategies ISR entre 2005 et 2007). Cette croissance est particulièrement rapide pour les pays qui sont encore de « petits » marchés car n’ayant pas, comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas, adopté ce style de gestion dès les années 60-70. La France est dans ce cas, de même que l’Allemagne et la Suisse. Légende : Bulle : taille du marche du pays en volume monétaire, Abscisse : CAGR (compound annual growth rate = taux de croissance annuel moyen entre 2005 et 2007), Ordonnée : part de marché du Core ISR par rapport à l’industrie nationale de la gestion d’actifs Les encours ISR français représentent de 30 à 100 milliards d’euros selon le périmètre retenu, ce qui correspond à une part de 1% à 3% de la gestion d’actifs (core strategies seulement ou ensemble des stratégies ISR). Cette part est modeste si on la compare aux 6% de l’ISR aux Pays-Bas (core strategies seulement). En ce qui concerne les stratégies, on observe une certaine variété en Europe et plus encore au niveau mondial. Les pratiques d’engagement en Europe sont beaucoup moins développées qu’en Amérique du Nord, et on ne retrouve pas réellement l’activisme actionnarial spécifique aux États-Unis. Il s’agit en Europe (Royaume-Uni, Pays-Bas et certains pays 7 Source : l’étude « European SRI study », 2008, Eurosif. Les chiffres sont donnés pour les années 2007 ou 2008. 14 nordiques) d’une forme plus modérée d’engagement, avec très peu de shareholder resolutions. L’exclusion est plutôt l’apanage des pays scandinaves tandis que l’Allemagne privilégie les fonds thématiques (fonds verts) et la France les fonds best-In-Class . Les stratégies dites larges (« broad SRI ») sont souvent utilisées par de grands investisseurs institutionnels. C’est une des raisons qui expliquent la grande différence de volume entre les stratégies étroites et larges de l’ISR au niveau européen. Les investissements institutionnels représentent en effet 94% du marché européen de l’ISR, les choix des investisseurs institutionnels orientent donc, dans une certaine mesure la direction dans laquelle se développe le marché de l’ISR. Encadré 3 : Deux stratégies ISR selon Eurosif Les stratégies ISR au sens étroit (core strategies) ciblent le seul filtrage positif (positive screening) des entreprises sur la base de critères ESG. Ce filtrage s’exerce au moyen de trois approches :Best Effort, Best-in-Class, Thématique. Les stratégies ISR au sens large (broad strategies) englobent : le filtrage simple (exclusion d’entreprises impliqués dans certaines activités), le filtrage fondé sur des normes (norms-based screening), l’intégration et l’engagement actionnarial. L’étude souligne également le lien entre le développement du marché de l’ISR et les législations favorables apparues dans les années 2000 dans au moins 8 pays d’Europe dont la France. En France, les investisseurs institutionnels représentent 76% du marché ISR devant les investisseurs individuels (15%) et l’épargne salariale (9%). Dans les dynamiques significatives pour le marché français de l’ISR dans le futur, l’étude Eurosif retient le maintien du pouvoir des investisseurs institutionnels et prédit (en 2007) une forte croissance du marché de l’épargne salariale. Cette typologie vise essentiellement à distinguer les ISR robustes, les core strategies (le filtrage positif suppose un niveau d’exigence assez élevé) des ISR fondés sur des critères moins stricts, les broad strategies. L’exclusion d’entreprises, par exemple, fonctionne de telle façon qu’il suffit « qu’un seul filtre soit appliqué (tabac, alcool, pornographie, armes, …) pour que les montants ainsi gérés soient dit socialement responsables. Cette nuance est importante lorsque l’on entreprend de comparer l’ISR américain avec celui pratiqué en Europe, lequel est très souvent caractérisé par des critères et des exigences plus strictes, intégrant par exemple des critères de sélection positive. » (F.L. Thoreau, L’Investissement Socialement Responsable en Europe, mémoire de fin d’études, université de Liège, 2004) Source : Cynthia Lavison et Martine Perbet Au total, le marché de l’ISR apparaît comme un marché de niche, encore modeste mais se développant très rapidement. Les comparaisons internationales sont délicates car L’ISR englobe des comportements très divers ce qui revient parfois à additionner des choux et des carottes. Il faut notamment distinguer l’ISR américain de celui pratiqué en Europe, le premier étant plus porté sur les fonds d’exclusion et l’engagement actionnarial alors que le second intègre souvent des critères de sélection positive. La France privilégie, par exemple, les fonds best-In-Class, dont la « production » s’appuie sur les méthodes développées par des agences de notation extra-financière (cf. partie III). 15 II – ANALYSE ÉCONOMIQUE DE LA DEMANDE ISR A – LES INVESTISSEURS ISR VUS PAR LES ECONOMISTES – ARCHETYPES Les Investisseurs Socialement Responsables s’écartent du comportement standard décrit par la théorie économique dans la mesure où leur objectif ne se réduit pas à la maximisation du profit. Ils acceptent, en général, une moindre rentabilité de leur investissement en échange de la satisfaction de leurs exigences éthiques. Sont-ils irrationnels pour autant ? Il ne le semble pas. « Lorsqu’on parle de microéconomie, on entend par là une démarche prenant pour point de départ les choix d’individus ayant des goûts et des ressources bien définis, qui cherchent à obtenir la plus grande satisfaction possible (hypothèse de rationalité). Les conséquences des décisions prises par l’un dépendant – du moins partiellement – de celles prises par les autres, il revient au théoricien de décrire les modalités de leurs interactions. Il doit ainsi préciser les règles du jeu, ce que chacun peut (ou ne peut pas) faire, les façons dont se font les transactions mais aussi les croyances de chacun concernant les actions et réactions des autres »8. Dans le domaine de l’ISR cette question des croyances est primordiale car ce sont elles qui fondent le marché. La littérature économique, bien qu’encore peu développée sur ce sujet, suggère trois archétypes d’investisseurs socialement responsables : 1 – L’investisseur altruiste Décrit par Christian Gollier [2009], ce profil est celui d’un agent pour lequel la maximisation de l’utilité dans l’investissement ne passe pas par un « calcul traditionnel de maximisation des profits ». L’investisseur altruiste poursuit la maximisation du bien-être collectif. L’activité économique est génératrice d’outputs (sur l’environnement, la sphère sociale, etc.) ayant des effets sur le bien-être de leurs parties prenantes et qui ne sont pas pris en compte par le marché, ce sont les externalités. Les entreprises ne reçoivent pas de compensation (externalités positives) et ne versent pas de dédommagements (externalités négatives). L’économie est dans une situation sousoptimale car il y a divergence entre profit privé et bénéfice social. L’investisseur altruiste est conscient de ces imperfections et souhaite les corriger : il est prêt à renoncer à une partie de la rentabilité qu’il peut attendre d’un placement si celui-ci contribue à réduire les externalités négatives et favoriser les externalités positives. C’est le pendant « épargne » du comportement de CSR (consommation socialement responsable). L’investisseur altruiste se situe dans une démarche économique, il utilise donc prioritairement des critères qui ont été isolés comme pertinents dans l’évaluation du bien être des individus par une démarche « scientifique ». Ces critères sont dits « endogènes » au sens où ils sont issus du bouclage « investissement projet output impacts collectifs études » et sont appelés à évoluer9. Ceci en opposition aux critères de l’investisseur « values-based ». 2 – L’investisseur « values-based » Décrit par Peter Kinder [2005], le terme « values-based investor» désigne un investisseur dont l’objectif est de faire coïncider sa démarche d’investissement avec ses principes. Comme l’investisseur altruiste, il poursuit un accroissement du bien-être collectif (dans une démarche idéaliste) et est prêt à renoncer à de la rentabilité pour satisfaire ses exigences, mais les outils qu’il utilise sont extérieurs à l’analyse économique. Il fonde ses choix sur des « valeurs » indépendantes des consensus techniques et scientifiques (préceptes religieux, principes moraux, convictions éthiques). Ses critères sont dits « exogènes » car ils préexistent à toute démarche d’investissement. Les convictions de l’investisseur engagé sont rigides, non-élastiques : l’agent n’est pas prêt à substituer un meilleur profit à un respect moindre de ses exigences. Pour résumer, à aucun moment l’arbitrage entre respect des valeurs et profit 8 Bernard Guerrien, « La microéconomie est-elle utile ? », Cahiers français, n° 327 - Juillet - Août 2005 http://bernardguerrien.com/La-microeconomie-est-elleutile.pdf 9 Plus précisément la question du bien-fondé d’un investissement pour la collectivité s’apprécie à l’aide d’une analyse économique qui est d’autant plus pertinente que l’on a déjà pu mettre en œuvre des projets similaires et en appréhender les retombées. Etudes théoriques et études empiriques sont complémentaires. 16 n’est pertinent pour cet investisseur, alors qu’on peut imaginer l’investisseur altruiste mettre en balance le risque environnemental d’un projet avec son impact social sur le dynamisme d’une région dans son processus de décision. 3 – L’investisseur « Value-seeking » L’investisseur « value-seeking », défini également par Peter Kinder [2005], s’inscrit dans la démarche classique de l’investissement, la maximisation du rendement ajusté au risque. L’ajout de critères ISR est alors complètement déconnecté de la notion d’éthique : pour cet investisseur, les performances extra-financières ne sont que des indicateurs supplémentaires de la qualité financière d’un placement. Les exigences de l’investisseur ne sont ni rigides ni prédéfinies, il peut être prêt à renoncer à de la rentabilité sur le court-terme mais uniquement au profit d’un risque plus faible ou d’un profit attendu plus élevé sur le long terme. La notation extra-financière vient compléter la vision de l’entreprise limitée que propose la notation financière classique en prenant en compte des critères non financiers qui ont un impact sur la qualité d’un placement, en particulier sur le long terme. La gouvernance d’entreprise, la qualité de sa R&D, ses relations avec ses partenaires et ses parties prenantes et ses performances environnementales sont autant de composantes qui constituent le capital immatériel d’une compagnie (les actifs matériels ne représenteraient que 15% de la valeur réelle d’une entreprise aujourd’hui contre 70% dans les années 30 à 5010). L’investisseur « value-seeking » raisonne en termes de risques (le respect des droits de l’homme se traduit dans cet optique par une bonne gestion du risque d’image) et en termes de rendements à long-terme. Dans cette optique,une gestion innovante des rejets de gaz à effet de serre se traduit par un avantage compétitif futur (durcissement législatif). L’idée implicite est que les données ESG prises en compte ont une traduction financière directe ou indirecte effective sur le long terme. Il fondera ses choix sur des critères « endogènes » au sens où ils sont issus du bouclage « investissement projet output impacts financiers à long terme études » et sont appelés à évoluer. L’exemple de l’implantation d’une distillerie dans une région industrielle en reconversion illustre les différences de comportement entre ces trois types d’investisseurs. Admettons que l’installation d’un producteur d’alcool ait un impact négatif sur la santé publique (augmentation des pathologies liées à l’alcoolisme) mais qu’il génère beaucoup d’emplois et que le groupe ait une attitude responsable face à ce risque (financement de programmes de prévention, etc.). L’investisseur altruiste de Gollier mettra en balance tous ces éléments pour déterminer si l’implantation de l’usine génère un surplus positif ou négatif pour la région en matière de bien-être. Prenons un investisseur « Valuesbased » chrétien qui refuse d’investir dans les sin-stocks : il part du présupposé que l’alcool a un impact négatif sur le surplus collectif et va exclure le producteur d’alcool susmentionné de son univers d’investissement quelles que soient ses autres caractéristiques. Il est possible que les deux investisseurs arrivent à la même conclusion (rejet du placement) mais le premier le fera suite à une analyse coûts-bénéfice (critère endogène) tandis que le second évalue le bien-être collectif sur des présupposés exogènes. L’investisseur « Value-seeking », de son côté, fondera sa décision en ne s’intéressant qu’aux impacts le concernant, notamment ceux qui ont trait aux risques à long terme (risque de réputation par exemple). Ces trois types d’investisseurs ont en commun l’intérêt accordé au long terme. Cet intérêt est explicite dans le cas de l’investisseur altruiste (recours au taux d’actualisation dans le cadre du calcul économique) et de l’investisseur « Value-seeking » (accent mis sur la gestion des risques dans une perspective d’investissement de long terme) et implicite dans le cas de l’investisseur «Values-based » qui souhaite encourager ou décourager le développement d’activités fléchées ex ante et donc, de ce fait, intègre l’avenir dans ses décisions d’investissement. Au-delà il peut exister certaines zones de convergence (par exemple décourager les activités polluantes) mais aucun principe, aucune activité ne fait vraiment consensus pour l’ensemble de l’investissement ISR. L’investisseur ISR opère « à la carte ». Notons que la typologie présentée ci-dessus ne concerne que les démarches ISR portant sur la sélection des valeurs du portefeuille. Elle n’intègre pas les démarches d’activisme actionnarial ni les fonds de partage dont le caractère socialement responsable se marque par des interventions extérieures au choix du portefeuille. 10 Thierry Deheuvels de l’association française de gestion, Revue d’Économie Financière p.19 2006 17 B – TYPOLOGIE DES FAMILLES (INVESTISSEURS, PRODUITS) L’observateur du mouvement ISR (cf. partie historique) n’identifie en réalité que deux catégories extrêmes d’investisseurs, l’investisseur «Values-based » et l’investisseur « Value-seeking ». Le premier, dominant historiquement, est mu par de fortes convictions éthiques alors que le second s’inscrit comme un avatar de l’investisseur classique, privilégiant le long terme car échaudé par les crises financières ; néanmoins, faute d’analyses robustes attestant qu’une bonne gestion des risques est un facteur de rentabilité financière à long terme (cf. partie suivante) l’investisseur « Value-seeking » n’en est, lui aussi, quasiment qu’au stade des croyances. Cette forte incertitude sur la relation entre les fins et les moyens fait qu’une grande partie des investisseurs adoptent en pratique une posture intermédiaire, mi-opportuniste (« Value-seeking »), mi-humaniste («Values-based »), et fondent leurs choix sur les informations disponibles, notamment les notations des agences, ainsi que sur leurs préférences personnelles. Dans ce paysage, l’investisseur altruiste de Christian Gollier constitue un idéal vers lequel doivent tendre tous les investisseurs qui mettent en avant le bien-être collectif dès lors qu’ils sont acquis à l’idée de fonder rationnellement leur choix d’investissement. Figure 1 : cartographie des familles de l’ISR Les démarches d’activisme actionnarial et de fonds de partage ne sont pas représentées ici car le caractère socialement responsable ne se situe pas dans la démarche de sélection des valeurs du portefeuille mais plus dans la gestion de celui-ci. Le référentiel n’est donc pas adapté. Source : Cynthia Lavison, Martine Perbet Des « familles ISR » s’organisent autour de chaque type d’investisseur (cf. graphique ci-dessus). Ces familles composées d’agences de notation extra-financière, de gérants de portefeuille, se conforment aux préférences propres des investisseurs. Pour bien comprendre celles-ci, nous les avons analysées selon deux axes : - les objectifs des investisseurs : les agents maximisent tous leur utilité, mais les sources de satisfaction des différents individus ne sont pas identiques. Le positionnement sur cet axe reflète l’hétérogénéité des préférences entre le bien être collectif (i.e. rentabilité collective) et la rentabilité financière privée. [axe des ordonnées], 18 - la nature des critères extra-financiers utilisés, nature d’ordre éthique (corpus religieux, moral, humanitaire…) ou académique (consensus scientifique, analyse microéconomique et/ou financière). Les premiers sont dits exogènes car préexistant au projet d’investissement, les seconds sont dits endogènes car élaborés en relation avec le projet d’investissement [axe des abcisses]. Ces deux axes divisent le plan en quatre quadrants. Chaque quadrant correspond à un gradient de démarches qui sont des variations nuancées d’un profil d’investisseur-type. 1 – Quadrant II – le « Values-based Investor » Les investisseurs peuvent être des congrégations religieuses, des institutions (hôpitaux, collectivités…), des fonds de pension et de gestion d’épargne salariale (notamment en cas de legislations restrictives). Désireux avant tout que son épargne ne serve pas à financer des projets en contradiction avec ses valeurs, l’investisseur « Values-based » s’oriente préférentiellement vers des mécanismes d’exclusion. La sélection positive peut également être employée en complément pour sélectionner les entreprises les plus en accord avec les convictions d’un client (les valeurs chrétiennes, par exemple, avec le fonds « Nouvelle Stratégie 50 » de Nicole Reille). Ce genre de produits nécessite : - Une analyse poussée de la chaîne de production dans laquelle s’inscrit l’entreprise - Une analyse des pratiques de l’entreprise et de sa politique Placements : fonds d’exclusion (exemple de critères d’exclusion : test sur les animaux, nucléaire, fonds « charia-compatible », etc.) , éventuellement fonds combinant exclusion et selection positive . Produits connexes : o registres d’investissement listant les entreprises non impliquées dans un certain nombre d’activités, ou non-impliquées à plus d’un certain niveau (en % du chiffre d’affaire). Exemple : le registre Ethibel, en plus de critères de performance ESG certifie que les entreprises qui y sont mentionnées ne sont pas impliquées dans l’armement l'armement, le nucléaire, les jeux de hasard et le tabac. o labels de certification « de conformité ». Ce type de label certifie que les fonds labellisés ne comportent pas d’entreprises impliquées dans les activités condamnées par l’investisseur. o Indices boursiers d’exclusion. Exemple : la série des Dow Jones Islamic Markets Indexes, qui proposent des indices variés (thématiques, globaux…) ayant passé le filtre des impératifs de la Sharia. 2– Quadrant IV – famille « Value-seeking Investor » ou « investisseur mainstream » Les investisseurs se plaçant dans ce quadrant sont les fonds de retraite par capitalisation et, plus généralement, les investisseurs s’inscrivant dans une démarche de long terme pour éviter les crises. L’investisseur « value-seeking » va chercher à isoler les éléments extra-financiers ayant un impact sur le profit et à les prendre en compte dans la sélection classique des placements. Il s’oriente vers la sélection positive et l’intégration, stratégie extrême consistant à inclure les critères extra-financiers ayant une traduction « monétaire » quantifiable dans une analyse classique. Placements : fonds best-in-class, fonds bestefforts, fonds thématiquesaxés sur le risque, fonds indiciels basés sur un indice durable non engagé (pas d’exclusion), fonds classiques « améliorés » (inclusion de critères ISR triés aux critèress financiers lors de la conception du portefeuille. Produits connexes : o Indices boursiers ISR (indices suivant les performances boursières de l’ISR, cf. « les produits des agences »). Exemple : le DJSI World (Dow Jones Sustainability Index) suit la performance des 10% les plus performantes en matière de RSE des 2500 plus grosses entreprises du Dow Jones Global Total Stock Market Index. Ce genre de produits nécessite : - Une analyse coûts / bénéfices et risque/opportunité de l’entreprise sur sa gestion - Une évaluation qualitative (positif ou négatif ?) et quantitative de l’impact des criètres ISR sur la rentabilité ajustée au risque 3 – Quadrant I – Famille « altruiste » L’investisseur altruiste est l’homo economicus par excellence. Il cherche à financer en priorité les projets porteurs d’externalités positives, projets que le marché ne financera pas spontanément. Il s’orientera donc préférentiellement vers la sélection positive fondée sur des analyses économiques intégrant toutes les composantes du développement durable dans une perspective de long terme voire Placements : fonds best-in-class, fonds thématiques (social, environnemental), fonds bestefforts, fonds indiciels basés sur un indice « éthique » (durable, RSE…). Produits connexes : o labels de certification « d’efficacité ». Ce type de label certifie qu’un niveau de performance ESG (ou thématique) est atteint. Exemple : le label Novethic (cf. plus loin). o Indices boursiers ISR (indices suivant les performances boursières de l’ISR, cf. « les produits des agences »). 19 intergénérationnelle. Son critère est le bien-être collectif. Il s’oriente vers la sélection positive. Ce genre de produits nécessite : - Une analyse coûts / bénéfices sociaux - Une analyse de risque basée sur l’impact de ceux-ci sur la collectivité 4 – Quadrant III – « l’ensemble vide » ou presque Les investisseurs recherchant une rentabilité privée et utilisant pour cela des principes éthiques apparaissent difficiles à trouver. La combinaison semble paradoxale mais elle pourrait s’appliquer au « fonds du vice » (Vice Fund) qui est coté au Nasdaq et investit exclusivement dans des entreprises dont l’activité principale tourne autour de l’armement, du jeu d’argent, du tabac ou de l’alcool (voir plus loin : partie IV) 4- Conclusion : la réponse des agences de notation à la complexification des démarches Ces trois approches conceptuellement différentes sont loin d’être incompatibles dans la réalité. Sœur Nicole Reille, fondatrice du fonds « Nouvelle Stratégie 50 » constitué sur la base de valeurs chrétiennes, illustre bien le dilemme de l’investisseur qui veut à la fois faire fructifier les fonds dont il est dépositaire et agir sur le monde en harmonie avec ses propres valeurs et celles de son institution, ce qui n’exclut pas de fonder ses choix sur des études scientifiques (analyses environnementales par exemple). Son expérience montre qu’un certain pragmatisme permet d’allier préférences subjectives, éléments objectifs et rentabilité financière mais la voie est étroite (choix des entreprises peuvent être contestés, rentabilité peut être discutée…). Le marché de l’ISR n’est possible que s’il existe un lien entre emprunteurs et investisseurs socialement responsables qui permettent aux seconds d’évaluer les premiers sur les critères qu’ils jugent pertinents et ne peuvent leur être fournis par l’analyse financière « classique ». C’est le rôle des agences de notation extra-financière. Ce travail de récolte et de retraitement de l’information a un coût élevé et demande une expertise que peu d’investisseurs ont les moyens de développer individuellement. En effet cette typologie de la demande nous a permis de voir que les « générations »11 sont en réalité des démarches distinctes qui coexistent, et que par conséquent il n’est pas évident que les produits dits de «première génération» soient amenés à disparaître. Les fonds d’investissement issus des générations les plus « récentes » demandent des produits informatifs de plus en plus sophistiqués : la constitution d’un fonds d’exclusion du tabac demande déjà un important travail de recherche sur les activités d’une entreprise et sa structure capitalistique, mais la constitution d’un fonds « best in class » demande une étude approfondie et standardisée des performances de tout un secteur. Ceci explique les mouvements de concentration à l’œuvre parmi les agences de notation extra-financières. Un recours accru à l’analyse économique, au sein de ces agences, permettrait aux investisseurs souhaitant œuvrer pour le bien-être collectif de le faire en toute connaissance de cause, c’est-à-dire en connaissant le sens (positif ou négatif) de leur action, ainsi que sa hauteur, et en en connaissant le coût financier privé. Libre à eux, ensuite, d’exprimer leur consentement à payer pour investir utile. Dans la mesure où cette démarche implique une analyse approfondie, l’investisseur « Value-seeking » devrait aussi pouvoir en faire son miel, l’analyse lui offrant les informations nécessaires pour évaluer les risques et les opportunités à long terme. Au total l’analyse économique s’avère un outil de travail pour tous les investisseurs, où qu’ils se situent entre «Values-based » et « Valueseeking », car rien ne les empêche de donner libre cours à leurs préférences personnelles, une fois bien connues les performances privées et collectives des projets d’investissements (en termes de probabilités). L’investisseur ISR pourra toujours opérer « à la carte » mais ses choix se feront en toute connaissance de cause. 11 La classification des types de placements « éthiques » par générations est très répandue et assez consensuelle. Elle se réfère à leur ordre d’apparition. Voir partie I- B sur les produits de placement ISR 20 III – LES AGENCES DE NOTATION EXTRA-FINANCIERE A – LA NAISSANCE DU MARCHE FRANCAIS Le marché de la notation financière en France est marqué par trois personnalités, issues de milieux différents, et proposant chacune un business model particulier lié à une vision propre de la fonction de la notation « éthique »et à une expérience spécifique des marchés. Au-delà de cette personnalisation qui met en jeu Geneviève Ferone, Nicole Notat et Pascal Bello, se confirment les familles de pensée mises en évidence dans la partie précédente et le mouvement de concentration à l’œuvre au niveau européen. La structuration du marché éclaire beaucoup sur ces dynamiques. Pourtant elle est très difficile à appréhender car il n’existe pas de référence unique retraçant son évolution. Il nous a donc paru judicieux d’élaborer à partir des sources éparses disponibles un graphique synthétisant les étapes-clé de ce développement ainsi que les mutations structurelles des agences (activité, actionnariat…). La première agence de notation extra-financière française, Arese (pour Agence de Rating Environnementale et social des entreprises) est créée par Geneviève Ferone en 1997. (modèle 1 : L’expérience de la notation financière : Geneviève Ferone).L’idée lui est inspirée par son expérience américaine : après avoir travaillé aux seins d’organisations internationales, elle est recrutée par un cabinet de conseil californien (KHN Consulting). Elle découvre le marché de niche de l’investissement socialement responsable lors d’une veille stratégique sur les fonds de pensions. « Les fonds de pension ne cherchaient pas à aborder cette question (l’IRS) avec une vision éthique militante. Leur point de vue était plutôt de dire : « Nous investissons dans une logique de long terme, nous ne cherchons pas à réaliser des profits en tirant partie de la volatilité des cours. Nous sommes pour longtemps ancrés aux entreprises dans lesquelles nous investissons. Avant d’investir, il nous faut donc les connaître sous toutes leurs facettes, y compris les facettes qualifiées d’extra-financières » ». C’est cette vision de l’ISR qui guide la démarche de Geneviève Ferone. Elle se démarque des bureaux de recherche travaillant sur des critères d’exclusion en basant son approche sur la performance : Il s’agit de « construire un outil qui Légende permette d’analyser la performance de l’entreprise sous toutes ses dimensions, y compris celles qui sont toujours délaissées parce jugées inintéressantes alors que Date de naissance NOM DE LA SOCIETE Agence de notation extra-financière –Dirigeants – précisément dans le long, voire le très long terme, elles française Produits peuvent influer sur la performance. ». Elle lance son projet - Actionnaires : x% avec le soutien financier de la Caisse des Dépôts et - Clients consignations et de la Caisse d’Épargne, deux clients de Agence de conseil, d’audit : KHN Consulting qui deviennent ses actionnaires de Date de naissance NOM DE LA SOCIETE BMJ DD ne fait pas encore –Dirigeants – références. L’agence se concentre sur la notation de notation extra-financière Produits déclarative. Ferone est rejointe à la direction par Pascal à proprement - Actionnaires : x% parler - Clients Bello (issu du conseil) en 2001. En 2002, l’offre de notation extra-financière explose. Cela fait suite aux développements législatifs et au gain de popularité de la RSE du début des années 2000. La loi sur la généralisation de l’épargne salariale tend à orienter celle-ci vers les placements responsables, et la loi NRE « institutionnalise » le reporting RSE. La création du fonds de réserve des retraites (loi du 17 juillet 2001) contribue également à élargir la demande de notation extrafinancière à une gamme d’acteurs plus larges, créant ainsi un marché captif. À cette date, Arese connaît un « succès d’estime » avec une quarantaine de clients (la rentabilité commençant à 100). À côté de l’approche « performance » soutenue par Ferone de nouvelles approchent émergent. Date de naissance NOM DE LA SOCIETE –Dirigeants – Produits - Actionnaires : x% - Clients Date de naissance NOM DE LA SOCIETE –Dirigeants – Date de naissance NOM DE LA Produits SOCIETE - Actionnaires : x% –Dirigeants – Produits - Clients - Actionnaires : x% Agence étrangère Filiale spécialisée ou étrangère - Clients NOM * Maison-mère Itinéraire des dirigeants En 2006 Ferone s’éloigne du milieu de la notation et devient directrice du Développement Durable chez Eiffage puis chez Veolia Environnement SA. dès 2008. 21 Figure 2 : naissance et structuration du paysage de la notation extra-financière en France BMJ 1993 1997 CoreRatings 1993 BMJ DEVELOPPEMENT 1992 FIMALAC (FR) DURABLE – Pascal BELLO – - Société holding Actionnaire majoritaire de l’agence de notation financière Fitch Ratings ≈Notation sollicitée - Cabinet de conseil et de formation - Employés : 100% , ARESE/Vigeo Innovest 1992 ETHIBEL (BE) – organisation à but non lucratif – - Labellisation, notation déclarative - 1995 INNOVEST (USA) - entreprise - Notation déclarative, conseil – 1997 ARESE – Geneviève FERONE et dès 2001Pascal BELLO – Notation déclarative - CDC et Caisses d’Épargne : 100% Gestionnaires de fonds 2001 2001 STOCK AT STAKE SA 2002 2002 2002 BMJ DEVELOPPEMENT DURABLE – Pascal BELLO – Notation sollicitée - Employés : 100% Entreprises 2002 FILIALE BMJ URBI VALOR – Pascal BELLO – Notation déclarative puis sollicitée [BMJ 61%] collectivités locales -investisseurs 2004 2004 BMJ CORERATINGS 2005 Notation exclusivement sollicitée - Cadres dirigeants : 66% - Fimalac 34%] Entreprises CORERATINGS(PARIS) – Geneviève FERONE– Notation sollicitée et déclarative Fimalac 100% - Entreprises - investisseurs FILIALE BMJ URBI VALOR – Pascal BELLO– Notation sollicitée - Pascal Bello 5% déclarative & sollicitée - Altares (BIL + Dun&Bradstreet France) 95% BMJ 61% Entreprises - collectivités locales - investisseurs – Pascal BELLO– FILIALE BMJ URBI VALOR – Pascal BELLO– déclarative & sollicitée BMJ 61% - collectivités locales - investisseurs 2002 INNOVEST (PARIS) – Pierre TRÉVET et Valery LUCAS-LECLIN ex directeur de recherche d’Arese – Notation déclarative et sollicitée( très minoritaire), conseil - Fondateurs et partenaires 52,5% - investisseurs privés et fondations :27,5% - employés 20% Collectivités locales Intervenant en référence au MSCI World, il souhaite évaluer les sociétés françaises du SBF 120 Notation déclarative & sollicitée BMJ 61% = - collectivités locales - investisseurs – Pascal BELLO – Notation sollicitée - Pascal Bello 5% - Ginger 95% Entreprises privées Notation déclarative et sollicitée - Eulia (= CDC&Caisse d’Épargne) 39% - entreprises (Crédit Lyonnais, Accor, Danone, France Télécom, Lafarge , PPR, Rhodia, Suez, Total, etc. dans la limite d’1% par entreprise) - syndicats (CFDT et divers syndicats de pays d’Europe) Entreprises (60% des clients de Vigeo sont aussi actionnaires) (Pascal Bello) 2009 BMJ RATINGS 2009 2002 VIGEO – Nicole NOTAT ex SG CFDT – FILIALE BMJ URBI VALOR – Pascal BELLO et Geneviève FERONE– 2006 BMJ RATINGS 2006 déclarative - Ethibel vsw & membres : 3000 parts réservées - autres : 2000 parts - Ethibel & ONG - investisseurs et gestionnaires - institutions 2005 GROUPE VIGEO – Nicole NOTAT – Notation déclarative + création d’indices * - gestionnaires financiers et fonds de pension : 44,88% dont CNCE 33,34% - organisations syndicales & ONG : 27,96% - entreprises : 27,16%( dans la limite des 1% individuels) 60% des clients de Vigeo sont aussi actionnaires VIGEO BELGIQUE déclarative et sollicitée [Vigeo : 100%] -investisseurs - collectivités locales -entreprises 2006 VIGEO ITALIA déclarative et sollicitée [Vigeo : 100%] - investisseurs - collectivités locales - entreprises 22 Source : Cynthia Lavison, Martine Perbet Tout d’abord le projet Vigéo (modèle 2 : l’approche sociale « l’éthique rationalisée » - Nicole Notat). Porté par Nicole Notat ancienne secrétaire générale de la CFDT, l’ambition de cette agence est de devenir un leader européen (il n’existe en Europe à l’époque que des agences nationales), et de faire de la notation déclarative mais aussi sollicitée. La structure actionnariale est très différente de celle d’Arese : alors que Geneviève Ferone s’attache à avoir un seul actionnaire indépendant, Vigeo n’est pas financée par les seuls investisseurs mais ouvre son capital à des entreprises (un tiers, dans la limite de 1% par firme) et à des syndicats européens. Le projet convainc les investisseurs de référence d’Arese. Selon la caisse des dépôts « les entreprises se lassaient d’avoir des définitions différentes des critères d’investissement socialement responsable », d’où l’intérêt du changement d’échelle proposé par Vigeo. Arese est donc absorbée par le projet Vigeo, en tant qu’apport d’Eulia (holding regroupant les activités concurrentielles de la CDC et des Caisses d’Épargne). L’approche est également plus sociale, axée sur le développement durable. Pour conserver une crédibilité et être aussi neutre et objectif que possible malgré tout, Vigeo base ses critères d’évaluation sur des normes internationales (voir partie II point C). Pour Geneviève Ferone aussi, l’avenir de la notation se situe au niveau européen, mais son approche reste résolument ancrée dans le business model de la notation financière. Elle choisit le rapprochement avec Fimalac (également actionnaire principal de l’agence de notation financière Fitch Ratings) qui devient l’unique actionnaire de sa nouvelle agence, CoreRatings. Pour elle l’implantation dans un pays anglo-saxon est nécessaire, et avoir un actionnaire indépendant est une garantie contre les conflits d’intérêts. « Une agence qui aurait pour premiers clients ses propres actionnaires serait immédiatement disqualifiée pour un Anglo-Saxon, même si un tel schéma peut ne pas choquer dans la tradition française. ». Le modèle économique de CoreRatings repose sur « une intégration progressive de la notation extra-financière à la notation financière » et l’agence travaille en partenariat avec Fitch. La même année, Pascal Bello lance aussi sa propre structure. Le business model de BMJ Développement Durable est issu du Conseil, le marché d’origine de Bello (modèle 3 : l’expérience du conseil- Pascal Bello). Centrée principalement sur la notation sollicitée, l’agence BMJ possède une importante filiale concentrée sur la notation des collectivités, « BMJ Urbi Valor ». Du point de vue de la structure actionnariale, Pascal Bello choisit une troisième voie pour éviter les conflits d’intérêt. Après l’actionnaire unique de Ferone ou le fractionnement de Notat, l’approche retenue est l’indépendance totale : le capital de BMJ est détenu à 100% par ses employés. (modèle 1 bis : Innovest : « parler le langage des investisseurs »)Enfin, aux côtés de ces trois entreprises française vient s’implanter Innovest (Paris), filiale française de l’agence américaine à l’implantation internationale qui embauche l’ancien directeur du développement durable d’Arese. Son activité principale est la notation déclarative (75% des valeurs du MSCI World en 200212) mais elle pratique également la notation sollicitée. Son business modèle a été développé en partenariat avec Morgan Stanley et Price Waterhouse Coopers. L’approche est très financière, il ne s’agit pas d’une approche « militante » du développement durable à la Vigeo mais bien d’une évaluation de l’intangible d’une société en observant son passé, son présent et ses risques futurs. Le créateur Matthew Kiernan veut « démontrer aux analystes financiers la pertinence des critères de développement durable pour apprécier la qualité de gestion d'une entreprise et sa compétitivité. ». Pour lui il faut que l’analyse extra-financière soit incluse par le marché des capitaux et son modèle économique inclut une traduction financière des enjeux étudiés : « Pour convaincre les investisseurs, il faut adopter leur langage, et donc avoir une méthodologie robuste. ». L’approche d’Innovest tend vers « l’objectivité » de la méthodologie financière. Le recours aux questionnaires par exemple, est refusé. La gestion des conflits d’intérêt est assurée par la tarification de la prestation : Innovest ne fait pas payer les sociétés mais uniquement les clients gestionnaires. À partir de 2004, l’offre de notation extra-financière française va se contracter. Fimalac se désengage partiellement de CoreRatings et celle-ci est rachetée par BMJ pour donner une nouvelle structure, BMJ CoreRatings dirigée conjointement par Pascal Bello et Geneviève Ferone qui se consacre exclusivement sur la notation sollicitée. La « disparition » du modèle CoreRatings basé sur l’intégration financière inquiète les 12 Stéphane Le Page, L’agence de notation environnementale Innovest débarque sur le marché français, Les Echos, 14 février 2002 23 investisseurs de l’époque qui craignent pour la diversité de l’offre qui « contribuait à enrichir leurs sources d’informations sur les entreprises » (Novethic, 2004). C’est également un défi pour BMJ qui était un acteur relativement secondaire de la notation sollicitée par rapport à Vigeo et CoreRatings en matière de visibilité. Vigeo de son côté poursuit ses ambitions de développement européen en fusionnant avec Stock at Stake (une SA belge spécialisée dans la notation déclarative et travaillant en partenariat étroit avec Ethibel, un organisme à but non lucratif belge spécialisé dans la labellisation ISR tenant un important registre d’investissement d’entreprises certifiées). L’année d’après, le groupe Vigeo acquiert l’agence de notation extra-financière Avanzi SRI Research, qui devient Vigeo Italia, étape suivante vers une implantation européenne généralisée. En 2006, BMJ CoreRatings est racheté à 95% par Altares (et devient BMJ Ratings) ce qui constitue un changement important puisque les structures de Pascal Bello s’attachaient jusqu’à présent à ce que la majorité du capital soit détenue par les employés et cadres dirigeants. Altares se place sur le créneau de l’information aux entreprises sous toutes ses formes, et le rachat de BMJ CoreRatings correspond à une volonté de diversifier son offre au niveau de l’évaluation des risques extra-financiers. Geneviève Ferone quitte le marché de la notation financière pour devenir directrice du développement durable chez Eiffage puis Veolia Environnement. Si après le rachat par Altares, la structure de BMJ Ratings reste inchangée, Ginger en rachetant l’agence en 2009 entendait positionner BMJ ratings sur le marché de la notation d’entreprises exclusivement : Le pendant « notation des collectivités » reviendrait à l’autre rachat d cette année là, Arcet Notation. Cependant, en pratique la filiale BMJ Urbi Valor (adressée aux collectivités) conserve sa place sur le marché. Au total le marché de la notation est limité et trop de structures ne peuvent être pérennes sur un même créneau. Le marché de la notation extra-financière en France est ainsi dominé en 2010 par trois structures issues des développements des trois business-models à l’origine du développement du marché : « l’intégration financière » (aujourd’hui incarnée par la notation déclarative d’Innovest), le modèle « social » (groupe Vigeo), et la notation sollicitée issue du conseil (BMJ Ratings). Arese constitue la genèse de la notation extra-financière française, et des équipes de cette agence se retrouvent dans toutes les structures suivantes. Figure 3 : cartographie des acteurs : positionnement des agences Source : Cynthia Lavison, Martine Perbet 24 BMJ (la notation extra-financière issue du conseil) n’est pas représenté sur ce schéma, car il s’agit de notation sollicitée. Les frontières entre les agences sont volontairement floues pour ne pas suggérer un cloisonnement trop important. B - LES AGENCES : DES CONCENTRATEURS D’INFORMATION Comme les agences classiques, les agences de notation extra-financière sont des producteurs d’information, c'està-dire qu’à partir des données collectées elles produisent un nouvel outil de description des entreprises, mais alors que les premières s’appuient sur un corpus technique reconnu (normes comptables et financières), les secondes doivent élaborer leurs propres référentiels. « Les questions, réflexions, suspicions engendrées par le placement éthique viennent principalement à notre sens de ce que chacun possède sur cette adjectif une représentation fort personnelle »13. Cette personnalisation des concepts se retrouve dans la diversité des méthodes, outils, produits élaborés par les agences de notation extra-financière. Le cœur de métier des agences de notation extra-financière est donc le traitement de l'information, en réponse aux asymétries d’information c’est à dire à la myopie des investisseurs, il recouvre trois étapes clefs : o La récolte de l'information concernant l’entité étudiée : informations publiques (informations légales, rapport annuel de gestion, rapport de développement durable, presse généraliste et spécialisée, réseau Internet) ; consultation des parties prenantes (ONG, syndicats, pouvoirs publics, etc.) et consultation directe de l’entité par l’envoi d’un questionnaire ainsi que par des rencontres avec la direction. Cette étape pose la question de la quantité (masse critique ?) et de la qualité (vérification ?) de l’information recueillie. Des solutions émergent avec, par exemple, la constitution de réseaux internationaux d’organismes spécialisés dans l’analyse sociétale qui partagent leurs bases de données. o Le traitement de l'information selon un modèle appartenant à l’organisme. Le modèle comprend généralement: - un référentiel (les principes à respecter, souvent fondés sur les principes issus des organisations internationales telles que l'ONU, l'OIT, l'OCDE) ; - la définition de pondérations associées à chacune des dimensions du référentiel (afin de rendre compte de leur poids respectif au sein de l’indicateur synthétique) ; - un outil de mesure de la performance de l’entité étudiée par rapport à ce référentiel. Ces éléments techniques dépendent fortement de l'objectif affiché par l'organisme, lequel dépend à son tour des préférences exprimées par ses clients. o La restitution des résultats. Les organismes de notation sociétale offrent deux types de rating : - la notation « déclarative » des entreprises : réalisée à l’attention des gérants de capitaux, elle se fonde sur les informations fournies par les entreprises et leurs parties prenantes. Elle consiste le plus souvent en un rating de toutes les valeurs d’un indice classique. - la notation « sollicitée » par les entreprises : elle est menée sur place et sur pièces à la demande des entreprises elles-mêmes. À partir de ces ratings, les agences de notation extra-financière élaborent d’autres produits. Il s’agit d’indices boursiers éthiques (voir partie IV point B) et de labels qui sont autant d’outils informatifs. L’ensemble de ces produits est présenté dans le tableau 1 ci-après). Une description plus précise de leur processus de fabrication est donnée dans la partie suivante à l’aide d’exemples. 13 François-Louis Thoreau, L’investissement Socialement Responsable en Europe – rôle et méthodes de l’analyse sociale de l’entreprise, 2004, p.40 25 Tableau 2 - Les agences de notation extra-financière livrent de l’information sous quatre formes LES DEUX TYPES DE NOTATION LES AUTRES PRODUITS LIES A L’ACTIVITE DE NOTATION Notation déclarative Notation sollicitée Indices boursiers * … et labels L’agence prend l’initiative de la notation d’une entité (publique ou privée). __ L’agence note une entité (publique ou privée), à la demande de celle-ci. __ Création d’indices extra-financiers __ Le label ISR atteste que les fonds auxquels il est attribué est composés de valeurs certifiées au regard d’un référentiel __ SOURCES D’INFORMATION : documents rendus publics par l’entité, complétés éventuellement, par : - d’autres informations fournies par cette entité (réponses à des questionnaires, visites de sites…) - les parties prenantes. SOURCES D’INFORMATION : - documents publics produits par l’entreprise et ses parties prenantes - investigations approfondies auprès de l’entreprise (entretiens, visites de sites). Destinataire : investisseurs Destinataire : structure évaluée Communication : acheteur de la prestation, càd investisseurs. Tarification : droit d’accès à une base de données de notations (base Equitics pour Vigeo). Usage : La notation permet aux investisseurs de sélectionner les entreprises qui constitueront leur portefeuille d'investissement en fonction de leur propre démarche d’investissement. Communication : acheteur de la prestation, càd structure évaluée et éventuellement diffusion publique. Tarification : paiement de la prestation par la structure évaluée. Usage : La note permet à l’entité de : - communiquer avec ses parties prenantes, - d’identifier ses axes d’améliorations, - satisfaire aux obligations de reporting. Modèle semblable à celui de la notation financière première mouture (les agences vendaient leurs informations aux investisseurs sous forme d’abonnement à un bulletin). -La confidentialité de la notation déclarative constitue une particularité du marché de la notation sociétale par rapport à celui de la notation financière. Modèle semblable à celui de la notation financière actuelle où les émetteurs sont à l’origine de la notation…. à ceci près que la confidentialité de la notation sollicitée fait que celle-ci est souvent comparée à l'audit. -Pour retrouver son rôle d’information des marchés l’agence peut toutefois imposer contractuellement au demandeur la publication de la note (cf. interview de Geneviève Ferone, ex-dirigeante d’Arese) Formés en sélectionnant dans un univers de référence (un indice classique) les valeurs ayant la meilleure note extra-financière en fonction du barème d’une agence de notation éthique donnée, ces « indices sectoriels » de la RSE suivent les performances financières de l’ISR. Ils sont produits en association avec les fournisseurs d’indices boursiers classiques. Destinataire : investisseurs Usage : information des marchés - suivre l’évolution des performances de l’ISR - comparer les performances des entreprises les plus vertueuses par rapport au reste du marché - « effet de label » : avantage communicationnel pour les entreprises retenues dans de type d’indice. Les labels se fondent sur les études produites par les agences mais ne sont généralement pas produits par celles-ci. Destinataire : investisseurs (fonds d’investissement) Usage : - clarification et standardisation de l’offre - avantage communicationnel et compétitif pour les fonds sélectionnés (accès au marché) COMMENTAIRES COMPLEMENTAIRES Les travaux réalisés servent à élaborer des produits annexes : - synthèses sur les entités (entreprises, collectivités locales…) ou sectorielles - conseil en investissement - indices boursiers *sur les indices boursiers voir partie IV point B Activité complémentaire de la notation déclarative : en analysant les entreprises composant un indice, une agence recueille les informations utiles pour la production d’un indice extrafinancier. Le label Ethibel par exemple est attribué à des fonds constitués exclusivement d’entreprises et d’émetteurs figurant au registre d’investissement Ethibel (qui en comprend environ 370). La composition de ce registre est fondée sur les valeurs éthiques défendues par « Forum Ethibel » (org. À but non lucratif belge actionnaire de Vigeo) et s’appuie sur les ratings de Vigeo (cf. partie « marché français de l’ISR pour plus de détails). La plupart des fonds de placement belges à caractère éthique sont labellisés Ethibel. Source : Martine Perbet et Cynthia Lavison C – LES METHODES DE TRAVAIL Le marché de la notation extra-financière est vaste et les orientations des différentes agences diffèrent selon le public qu’elles souhaitent toucher. Les modèles sont donc hétérogènes, d’autant plus que l’industrie est encore naissante. Néanmoins, la trame est généralement similaire. Plutôt que de s’en tenir à des généralités il semble donc pertinent de se pencher sur des exemples concrets pour mieux comprendre le processus de notation, de la récolte d’information à la restitution des résultats et éclairer cette fameuse « boîte noire ». 26 1 – la notation déclarative : le modèle Equitics de Vigeo14 Le processus de notation déclarative au sein de Vigeo se déroule sur six mois. Il commence par l’information de l’entreprise notée car, n’étant pas dans un processus de notation sollicitée, l’entreprise n’est pas au courant du lancement du processus de notation. Il se poursuit en une dizaine d’étapes et se termine par la livraison du rating. L’élaboration de la note s’appuie sur le modèle Equitics - certifié Research Quality Standard - dont Vigeo souhaite faire un standard européen. Comme l’ensemble des modèles présentés ci-dessus, il comprend les trois blocs « Référentiel »(a), « Pondérations »(b) et « Mesure de la performance »(c), à l’issue desquels est présenté le « Rating »(d). Produit final de l’analyse Equitics, il s‘agit d’un indicateur normalisé situant la performance de l’entreprise par rapport à l’avancement du reste de son secteur. a - Un référentiel adossé à des normes internationales Vigeo s’appuie sur les normes produites par les institutions Internationales (ONU, Organisation internationale du travail ou encore OCDE), émises sous forme de principes, de recommandations ou de conventions, pour caractériser la Responsabilité Sociale des Entreprises et des États. Cet adossement au droit international rend ces principes invocables par les parties prenantes auprès de juridictions légales, ce qui leur donne une légitimité au regard de l’opinion publique. Six grands domaines sont considérés : 1. Droits humains. Respect des droits humains fondamentaux dans la société. 2. Ressources humaines. Points clefs de la relation d’emploi. 3. Environnement. Préservation du capital et des ressources pour les générations futures. 4. Clients – fournisseurs. Comportement de l’entreprise au sein de la chaine de production (i.e. comportement sur les marchés). 5. Gouvernance d’entreprise. Mécanismes mis en place pour contrôler l’action de l’entreprise et son pilotage. 6. Engagement sociétal. Répercutions de l’activité de l’entreprise sur les acteurs économiques et sociaux. Mesurer le degré de RSE d’une organisation suppose d’aller audelà de l’affichage de grands principes pour se pencher sur la manière dont ceux-ci s’incarnent dans la pratique. Le référentiel normatif est ainsi subdivisé en une quarantaine de critères, euxmêmes déclinés en principes d’action. L’engagement sociétal d’une entreprise (sixième domaine du référentiel) sera, par exemple, jugé à l’aune de son « engagements en faveur du développement économique et social du territoire d’implantation » dont l’une des dimensions est l’action en faveur de l’emploi local. b – Des pondérations définissent des référentiels sectoriels Le référentiel (critères et principes d’action) ainsi défini reste encore trop général pour rendre compte des enjeux propres à chaque secteur. Suivant les branches, certaines dimensions ont plus d’importance que d’autres : les critères environnementaux ont, par exemple, plus de sens dans la chimie que dans l'assurance. 14 Source des schémas : site de Vigeo 27 Encadré 4 : Exemple de calcul de pondération : Critère "Amélioration des conditions de santé-sécurité" dans le secteur des industries chimiques : Facteur F1 - Nature de l’impact : Les salariés peuvent être en présence de substances pouvant induire des maladies professionnelles graves (benzène etc.) et des accidents graves, voire mortels, surviennent. La valeur maximale de 3 est attribuée. Facteur F2 - Exposition des parties prenantes : Les questions de santé-sécurité ne sont pas circonscrites à une catégorie négligeable des salariés, au contraire, les impacts évoqués ci-dessus sont liés au cœur de métier du secteur, où les ouvriers représentent une part importante des effectifs. La valeur maximale de 3 est attribuée. Facteur F3 - Risque de répercussion sur l’entreprise : 1. Les risques légaux sont avérés, en particulier les montants importants versés pour compenser les dommages causés aux salariés atteints de maladies professionnelles. 2. La réputation de l’entreprise peut être atteinte. 3. Ceci induit, entre autres, une difficulté pour l’entreprise dans l’obtention des licences nécessaires pour opérer. 4. La cohésion et la motivation des salariés peuvent également être affectées. Quatre classes de risque sont identifiées ci-dessus pour ce facteur, ce qui correspond à une valeur de 2 pour ce facteur. La pondération du critère est fonction du produit des résultats obtenus pour les trois facteurs, lequel s’inscrit dans une fourchette de 1 (1x1x1) à 27 (3x3x3). La pondération attribuée est la suivante : ‘1’ = critère sensible (produit inférieur à 10), ‘2’ = critère essentiel (de 10 à 17), ‘3’ = critère névralgique (supérieur ou égal à 18). Des référentiels sectoriels sont donc établis en associant au cadre d’ensemble des tables de pondération des critères. Cette pondération découle d’une analyse du risque fondée à la fois sur la nature de l’impact (F1), sur l’exposition des parties prenantes (F2) et sur les répercussions possibles en termes juridiques et réputationnels (F3). A l’issue de cette analyse la pondération associée à chaque critère peut prendre trois valeurs : 1 (critère sensible), 2 (critère essentiel) ou 3 (critère névralgique). Le critère de la sécurité est ainsi considéré comme névralgique dans l’industrie chimique (cf. encadré 4 ci-contre). Source : Martine Perbet c – Mesure de la performance Pour estimer la performance de l’organisation étudiée Vigeo ne prend pas en compte seulement les résultats En l’occurrence ce produit est de 18 (=3×3×2) ce qui correspond à une pondération de 3 obtenus mais cherche (critère névralgique) pour ceplutôt critère. à mesurer l’effort accompli, ce qu’il fait en considérant : - l'affirmation d’une politique RSE (P), Source : la rédaction - les mesures adoptées (le déploiement ou D), - les résultats obtenus (R). Chaque item, Politique / Déploiement / Résultats est à son tour abordé sous trois angles d’approche, ce qui donne, au total, neuf angles d’approche par critère, c’est-à-dire neuf indicateurs à renseigner pour aboutir au scoring (cf. figure ci-dessous). Le scoring de chaque domaine résulte d’un processus pyramidal : o Notation des indicateurs désagrégés : La notation consiste à attribuer neuf notes (une par indicateur) à chaque critère (une quarantaine), ce qui fait un total de 300 à 400 notes. L’analyste en charge de cette notation est un spécialiste du marché considéré. Il cherche ses informations auprès de sources publiques (rapports publiés par l’entreprise, banques de données internationales) mais se rapproche aussi des partenaires internes ou externes de l’entreprise. Il sollicite également l’entreprise concernée, soit pour un entretien, soit pour obtenir une réponse à un questionnaire personnalisé. A l’issue de cette collecte d’information, l’analyste opère un travail de standardisation des données destiné à obtenir une notation la plus objective possible. Le but poursuivi par Vigeo est en effet de tendre vers un référentiel capable de s’actualiser automatiquement par mise à jour des données chiffrées issues des différentes sources sans l’intervention de l’analyste (cf. étude J. 28 Igalens15). Ce traitement aboutit à l’attribution d’un score qui peut aller de 1, « engagement non tangible » à 4, « engagement avancé » (colonne « score » de la figure ci-dessus). A chaque score correspond une note équivalente sur 100 (la colonne « points » de la figure ci-dessus), respectivement 0, 30, 65 et 100%. o Consolidation au niveau du domaine. Les notes des indicateurs sont d’abord agrégées par item (Politique ou Déploiement ou Résultat, - P, D, R -, « 62 » pour la Politique dans l’exemple ci-dessus) puis par critère, et ainsi de suite étape par étape, en tenant compte des pondérations définies par le référentiel sectoriel concerné jusqu’à l’obtention de six notes finales, une pour chaque domaine (Droits humains, Ressources humaines, Environnement, Clients – fournisseurs, Gouvernance d’entreprise, Engagement sociétal). Ces six notes ne sont pas consolidées : du fait de l’hétérogénéité des thématiques. La production d’une note finale unique serait peu porteuse de sens. d– le rating Au stade de la publication de la note, se pose avec une particulière acuité la question du sens de celle-ci. Intuitivement, il apparaît délicat de comparer la note environnementale d’une start-up produisant des logiciels (à l’empreinte carbone anecdotique) avec celle d’une entreprise de BTP (très productrice de rejets). D’une façon générale, l’ampleur des sujets abordés (environnement, gouvernance, droit…) au cours de cette démarche, l’hétérogénéité des techniques de production mis en œuvre par les entreprises, la variété des modes d’organisation de celles-ci, incitent à ne comparer que les entreprises opérant au sein d’un même secteur d’activité. Le produit final de la notation Equitics de Vigeo est donc « le rating », c'est-à-dire un indicateur de l’avancement de la démarche RSE de l’entreprise par rapport à son secteur dans chacun des six domaines. Ce rating est issu d’un processus statistique qui classe les scores des entreprises les unes par rapport aux autres selon une courbe de Gauss (voir figure ci-contre), ceci pour chaque domaine. L’entreprise se voit alors attribuer une note par domaine, note qui va de (++) à (- -) selon l’échelle de notation est la suivante : (--) entreprises les moins avancées du secteur (5 %) (-) entreprises en dessous de la moyenne du secteur (25 %) (=) entreprises dans la moyenne du secteur (40 %) (+) entreprises actives (25 %) (++) entreprises les plus engagées du secteur (5 %) Au final, l’ensemble des notations (i.e. rating) effectuées par Vigeo forme la base de données Equitics mise à disposition de ses clients, gérants d’actifs et investisseurs institutionnels. Il est important que le lecteur saisisse bien la distinction qui existe entre cette « note », la seule publiée, et les scores attribués initialement par l’analyste. La note rendue publique n’a pas de signification en soi, elle signale seulement, au sein d’un secteur donné, les entreprises les plus dynamiques en matière de RSE. C’est d’ailleurs ce qui intéresse les gérants de portefeuilles ISR soucieux de distinguer les « meilleures » pratiques afin de constituent des portefeuilles ISR dit best-in-class : dans le monde pharmaceutique l’expression best-in-class désigne un nouveau composé d’une classe de médicaments qui apporte un bénéfice thérapeutique supplémentaire par rapport aux autres 15 Présentation du modèle Vigeo effectuée dans l’article « La notation sociétale – Influence des systèmes économiques et sociaux », Jacques Igalens, Frédérique Déjean, Assaad El-Akremi, http://econtent.essec.fr/mediabanks/ESSEC-PDF/Enseignement%20et%20Recherche/Enseignement/Departement/seminaire/CPT/Frederique_Dejean.pdf 29 médicaments. La logique de la sphère extra-financière est bien la même, ainsi que montre la partie suivante qui présente un exemple de construction de portefeuille à partir des sociétés les mieux notées par les agences extrafinancières. 2 – Construction d’un label : le label ISR de Novethic - un repère pour les épargnants En 2009 Novethic lance son label ISR dans le but de stimuler Figure 4: évolution de la répartition par type de clientèle l’investissement des particuliers en améliorant la transparence des encours ISR sur le marché français. et la lisibilité du marché. En effet, bien que le marché français de l’ISR soit marqué par une croissance très forte (50,7 milliards d’euros en 2009 soit une augmentation de 70% par rapport à 200816), la part de marché des particuliers en revanche a connu un recul certain jusqu’en 2008 où elle est tombée à un quart contre un tiers l’année précédente. C’est en grande partie ce chiffre qui est à l’origine du projet selon les représentants Novethic. L’attribution du label est soumise à 4 critères 17: - 90% des valeurs du portefeuille doivent respecter les Investisseurs particuliers principes de gestion ESG (prise en compte simultanée des trois Investisseurs institutionnels enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance). - Le processus de sélection des titres du fonds doit être Source : Novethic présenté de façon transparente et publique par le promoteur du fonds. - Le gestionnaire doit fournir une information régulière sur les caractéristiques ISR des titres en portefeuille. - L’intégralité de la composition du portefeuille ISR doit être communiquée régulièrement, pratique peu courante jusque là puisque seuls 12 fonds se pliaient à cette règle en 2008 sur les 240 fonds se réclamant de l’ISR présents en France. Le label n’est accordé que pour un an et son utilisation est soumise à un contrôle semestriel. La méthodologie du label est validée par un comité d’experts indépendants qui veillera sur ses évolutions18. 3 – Utilisation des produits : la construction d’un portefeuille : « Allianz Valeurs durables »19 Constituer un portefeuille d’Investissement Socialement Responsable (ISR) ne signifie pas s’abstraire des considérations financières. Tout portefeuille ISR se fonde à la fois sur des critères financiers classiques et sur des critères de nature environnementale, sociale et de gouvernance (analyse ESG). Dans l’exemple ci-après, pour réaliser cette analyse ESG, Allianz s’est appuyé sur plusieurs agences de notation extra-financière dont Vigeo. 16 Selon l’étude : Marché ISR français 2009 - Enquête réalisée par le centre de recherche ISR de Novethic : http://www.novethic.fr/novethic/upload/etudes/Synthese_Marche_ISR_2009.pdf 17 Pour détail cf. règlement du label ISR de Novethic http://www.novethic.fr/novethic/upload/label/Label_ISR_Novethic_Reglement.pdf 18 Le comité est composé de cinq experts : Marion de Marcillac, responsable de la recherche à Eurosif, Olivier Eon, responsable qualité et développement de TestéPourVous.com (observatoire indépendant de produits financiers), Marie-Christine Korniloff, présidente actuelle de l’Association pour la Transparence de l’Étiquetage des Produits Financiers (ATEPF), Michel Laviale, secrétaire général du Forum pour l’Investissement Responsable (FIR) et Guillaume Légaut, directeur générale de Finansol. Le comité peut également être saisi en cas de litige ou de problème à l’application de la méthodologie. Il est uniquement consultatif, le pouvoir de décision final échouant à Novethic. 19 Source : Présentation PowerPoint sur le site http://www.allianzgi.fr/ 30 Figure 5 : Exemple de valeurs éligibles Allianz utilise une approche normative (exclusion sur le critère de non-respect de normes internationales. Cf. I-C). La première étape de construction du portefeuille est donc l’utilisation du filtre « Droits humains » qui sélectionne environ 240 titres sur 300 (étape 1 de la figure 6). Ceux-ci sont ensuite notés sur une échelle de 0 à 4 en pondérant les notes obtenues dans les grands domaines (cf. a) de la façon suivante: 30% pour l’environnement, 30% pour le social, 20% pour le Source : Allianz gouvernement d’entreprise et 20% pour le «Comportement de marché». Pour entrer dans le portefeuille final, les titres doivent obtenir une note ISR supérieure à 2 ce qui entraîne la sélection d’environ 160 titres sur 240. Figure 6 : le processus d’investissement Allianz Source : Allianz Au final le portefeuille est composé d’un peu plus de 60 valeurs choisies selon des critères financiers. Les deux tiers du portefeuille correspond à des titres best-in-class et best effort, ce qui renvoie, selon Allianz à deux types d’investissement SR : - des entreprises leaders sur des marchés ayant des perspectives de croissance à moyen long terme ; - des valeurs de retournement avec un changement de statut issu de dynamiques stratégiques et financières positives (cf. figure 5 ci-dessus). Ce portefeuille a fait partie des 92 fonds qui ont obtenu un certificat de labellisation par Novethic le 29 septembre 2009. Source : Allianz 31 D – LES DEFIS DES AGENCES En pratique, les agences ne produisent pas toutes les mêmes produits et surtout ne couvrent pas toute la gamme des produits « éthiques » possibles. François-Louis Thoreau présente une classification des produits fournis en fonction de leur degré de sophistication. Plus le produit est sophistiqué, plus l’agence est impliquée « profondément » dans le processus d’investissement. Il distingue 5 niveaux : 1 - la recherche de certaines informations : en choisissant les sujets sur lesquels l’information est recherchée, l’agence s’implique déjà en définissant un univers de sujets pertinents. 2 - la notation de l’entreprise en fonction des informations récoltées pour chaque critère de recherche individuel 3 - la pondération et le regroupement de plusieurs évaluations. L’agence établit ainsi une hiérarchie des critères 4 - pondération de l’ensemble des données : « hiérarchisation complète et non partielle ». On a vu plus haut que Vigeo s’opposait à ce type de notation. 5 - sur cette base déterminer un univers d’investissement à partir d’un niveau de note minimal (cela correspond à l’activité d’Ethibel qui définit un univers d’investissement à partir de la notation de Vigeo) Au-delà de la diversité de gamme, les concepts et les méthodes des agences diffèrent. Le choix du référentiel reflète une conception particulière de la responsabilité sociétale et détermine le sens qu’aura la note finale (ce référentiel est très lié au business model adopté, cf. la construction du marché français de la notation). Le choix de la méthode d’évaluation et des pondérations a, lui aussi, un impact conséquent sur le rating final et sa signification. La variété des méthodes et des approches entraîne une faible reproductibilité des résultats. Cela ne discrédite pas forcément la notation extra-financière mais rend les différentes études peu comparables ce qui complique une éventuelle validation externe des processus. Cette hétérogénéité, incontournable dans un domaine aussi vaste et complexe, nourrit de nombreuses critiques. L’aspect opaque de la notation extra-financière est ainsi souvent évoqué. Une étude20 portant sur la disponibilité et la facilité d’accès des informations sur les principales agences de notation extra-financières européennes (concernant la composition de l’organe de décision, du capital, de l’actionnariat, des équipes et la méthodologie) conclut à un manque certain de transparence. Autre question, les agences de notation extra-financière sont de taille très réduite par rapport aux entreprises qu’elles notent ce qui pose un double problème de compétence (comment mobiliser de l’expertise multisectorielle ? ) et de conflits d’intérêt. Les agences dépendent des actionnaires qui leur apportent du capital et des clients qui leur apportent du revenu. Le risque de conflit d’intérêt intervient principalement lors de la notation sollicitée où le client et le noté sont confondu. L’incitation à donner une note clémente pour attirer les entreprises est cependant compensée par l’incitation à donner une note « juste » pour conserver une crédibilité par rapport aux investisseurs et aux parties prenantes, qui sont les entités que l’entreprise demandeuse de notation cherche à convaincre de sa qualité. Plusieurs stratégies sont développées par les agences pour éviter le conflit d’intérêt : se concentrer sur la notation déclarative, ne pas proposer de notation sollicitée aux entreprises bénéficiant d’une note déclarative… Le choix de la structure de l’actionnariat répond également à ce souci (voir partie sur le développement du marché français de la notation). Si les agences de notation financière sont critiquées pour leur manque de transparence, les agences de notation sociétale ne font pas exception : le processus de notation est à première vue une « boîte noire ». Ceci milite pour « S’assurer que celles-ci présentent des garanties suffisantes que les liens qu’elles exercent ou 20 François-Louis Thoreau, L’investissement Socialement Responsable en Europe – rôle et méthodes de l’analyse sociale de l’entreprise, 2004 32 subissent ne sont pas de nature à avoir un impact significatif sur l’objectivité – et donc la qualité – de leurs études dont l’objectif ultime est, rappelons-le, d’objectiver des concepts aussi subjectifs que l’éthique ou le socialement responsable. »21 21 François-Louis Thoreau, L’investissement Socialement Responsable en Europe – rôle et méthodes de l’analyse sociale de l’entreprise, 2004 33 IV – L’INVESTISSEMENT SOCIALEMENT RESPONSABLE EST-IL RENTABLE ? D’un point de vue théorique, la question n’est pas tranchée mais les études empiriques permettent de conclure à une absence de différence significative entre ISR et investissement classique. Les méthodes utilisées sont très diverses et les informations apportées par ces publications sont de nature très variées. La question de la rentabilité de l’ISR et des sources de ceelle-ci a une large portée, notamment en ce qui concerne l’avenir de la notation extra-financière et le rôle de celle-ci sur les marchés. A – LA DISPUTE THEORIQUE La question de la rentabilité de la finance responsable comporte deux niveaux : - « Est-ce que l’ISR est rentable pour l’investisseur ? », ce qui revient à valider ou invalider le raisonnement du Value-Seeking Investor, - « Est-ce que la RSE est rentable pour les entreprises ? », ce qui renvoie à la pertinence économique de la filière socialement responsable dans son ensemble, du consommateur à l’investisseur. Ces deux questions sont distinctes, néanmoins elles sont liées. Si la RSE est rentable pour les entreprises, leur valeur financière ne pourra être que meilleure, elles attireront donc les capitaux ce qui abaissera le coût du capital. Il existe un cercle vertueux d’incitations entre l’ISR et la RSE. 1 – Les pessimistes La thèse d’une sous-performance de l’Investissement Socialement Responsable par rapport à l’investissement « classique » s’appuie sur plusieurs fondements théoriques. Un premier argument consiste en l’application directe de la théorie moderne du (choix de) portefeuille introduite en 1952 par Harry Marcowitz. Selon la théorie moderne du choix de portefeuille, la diversification est à la base de la maximisation de la rentabilité rapportée au risque : posséder un portefeuille d’actifs les plus diversifiés possibles permet de « réduire les risques sans sacrifier au rendement attendu »22. La logique sousjacente étant que moins les actifs sont corrélés entre eux, moins la volatilité du portefeuille sera importante : il y a moins de chance de se retrouver face à une baisse brutale du rendement lorsque l’on possède un portefeuille composé de valeurs variées que lorsque tous les actifs que l’on possède proviennent d’un même secteur. Cette théorie implique donc qu’un portefeuille constitué à partir d’un univers d’investissement de 2000 entreprises sera plus efficient (c'est-à-dire aura une volatilité attendue plus basse, ou un rendement attendu plus élevé) qu’un portefeuille constitué à partir d’un univers d’investissement de 1500 entreprises23. L’ajout de la prise en compte de critères extra-financiers dans le processus d’investissement réduit l’univers d’investissement, et entraîne donc nécessairement une baisse du rendement ajusté au risque. « The application of non-financial considerations, such as environmental, social, and governance (ESG) factors, to the investment process must result in lower investment returns because the number of investment opportunities is reduced». La théorie moderne du portefeuille étant largement acceptée et utilisée aujourd’hui, c’est argument possède un poids théorique non-négligeable. 22 Gunther Capelle‐Blancard, Stéphanie Monjon, L’investissement socialement responsable, Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement, http://www.centre-cired.fr/IMG/pdf/ISR_VF16.pdf 23 Exemple repris de : Phillips, Hager & North Investment Management, Does Socially Responsible Investing Hurt Investment Returns?, octobre 2007 34 La seconde catégorie d’arguments utilisés pour justifier l’idée d’une sous performance de l’ISR est celle du surcoût de la RSE pour l’entreprise et donc d’une rentabilité moindre pour les investisseurs les favorisant. En ajoutant des critères ESG à son mode de gestion, l’entreprise s’impose un surcoût qui l’handicape dans sa mission première qui est celle de maximisation des profits sous contrainte de coûts. C’est l’héritage de Milton Friedman (1970) qui affirmait que la seule responsabilité de l’entrepreneur était de répondre aux attentes de ses actionnaires et donc, de faire du profit. Si l’entreprise socialement responsable est soumise à une contrainte de coûts plus restrictive que ses concurrentes, il semble raisonnable d’en déduire qu’elle est moins rentable. Cependant cette idée intuitivement logique du surcoût de la RSE est loin de faire l’unanimité. 2 – les optimistes : la responsabilité sociale paie doublement, en termes de bien-être et en termes monétaires À l’opposé, on peut considérer que L’ISR permet de prendre en compte tout un ensemble de sources de création de valeur ignorées jusqu’à présent. Dans cette optique, les entreprises performantes en RSE sont donc logiquement plus performantes que les autres. C’est la conclusion à laquelle arrive Herremans (1997) : « L’influence de l’ISR sur l’entreprise l’amènera à prendre en considération des éléments qui auront un impact positif sur ses profits ». Une approche allant dans ce sens est la réinterprétation de l’hypothèse de Carter. L’hypothèse de Carter est basée principalement sur l’idée qu’une législation contraignante, contrairement à l’idée communément admise, a un impact positif sur la productivité d’une entreprise et peut même être source d’avantage compétitif (par exemple, par rapports à des États ayant des législations moins contraignantes). En effet, les entreprises ne satisfont pas forcément à l’hypothèse de rationalité qui voudrait que tout soit mis en œuvre pour maximiser les profits. Les entreprises peuvent manquer d’incitations pour développer de nouveaux processus et de nouvelles technologies permettant d’augmenter la rentabilité. Un certains nombre d’inefficacités peuvent également échapper à l’entreprise et devenir des coûts cachés. Par exemple, une mauvaise gestion des déchets dans une usine à papier peut entraîner un gaspillage d’eau et de matières premières qui passera inaperçu jusqu’à l’apparition d’une législation contraignante quant au volume des rejets : la prise en compte de ce gaspillage entraînera donc une meilleure efficacité et une baisse des dépenses en matières premières. L’introduction de principes ESG à la méthode de gestion d’une entreprise peut être comparée à celle d’une législation contraignante, elle va donc stimuler l’innovation. L’ISR joue est alors l’équivalent du « législateur » de la théorie de départ : en favorisant les entreprises ayant la meilleure performance extra-financière, les investisseurs socialement responsables influent sur le coût du capital qui devient donc moins élevé pour celles-ci. L’ISR introduit une incitation à la RSE pour les entreprises. 3 – les pragmatiques : une surperformance de la RSE de l’ISR ne peut être que transitoire, l’investissement classique et son homologue SR sont voués à évoluer au même niveau D’autres enfin, voient dans la surperformance de l’ISR un phénomène transitoire conformément à la théorie de la finance selon laquelle on ne peut pas « battre le marché ». Landier et Nair (2008) argumentent dans ce sens en attribuant les surperformances constatées de l’ISR à un « effet d’aubaine ». « Au fur et à mesure que l’ISR monte en puissance, les entreprises socialement responsables dans lesquelles ces premiers fonds sont investis vont voir leurs coûts baisser, ce qui va faire grimper leurs cours boursier. C’est un effet d’aubaine qui devrait permettre aux 35 fonds ISR de surperformer le marché tant que ces fonds attirent une proportion croissante d’investisseurs. »24 Cependant l’effet s’arrêtera quand la part de nouveaux investisseurs ISR cessera d’augmenter. B – LES RESULTATS EMPIRIQUES On peut imaginer deux manières principales d‘évaluer la rentabilité de l’ISR : o La première consiste à comparer un investissement ISR avec un investissement classique. Cela peut se faire de différentes manières : comparer des indices ISR à des indices classiques, comparer des fonds labellisées ISR et des fonds classiques, comparer les performances de portefeuilles témoins constitués de valeurs très bien et très mal notées, comparer des entreprises très bien notées avec des entreprises très mal notées, etc. La plupart de ces études prennent en considération des « indices éthiques » (voir ci-après). o La seconde approche consiste à déterminer quel est l’impact de chaque critère ESG sur la performance de l’entreprise, en utilisant par exemple des outils économétriques pour quantifier l’impact financier de ceux-ci. 1 – Approche 1 : la comparaison un investissement ISR avec un investissement classique a/ les indices éthiques Un indice boursier est « un outil statistique permettant de mesurer l'évolution du cours des titres qui le composent. Il est calculé à partir d'une moyenne, généralement pondérée : certains titres ont un poids plus important à l'intérieur de l'indice, fonction par exemple de la capitalisation boursière (nombre d'actions émises multiplié par le cours de ces dernières) des firmes correspondantes. La composition d'un indice boursier vise à ce que son suivi soit un bon indicateur de la tendance du marché (ou du segment de marché) considéré. Les titres sélectionnés diffèrent selon le type d'indice qu'il s'agit de construire. »25. Il existe deux types d’indices : o Des indices généralistes, qui mesurent la performance globale d’une bourse nationale, ou à une échelle régionale (l’Europe par exemple). Quand on dit qu’une bourse est en hausse ou en baisse, on se réfère généralement à son indice principal. On peut citer : - Le MSCI mondial (MSCI World Index) : indice boursier mesurant la performance des marchés boursiers de pays économiquement développés. 24 pays considérés comme pays développés, 1500 valeurs. - Le CAC40 : calculé à partir des 40 meilleurs titres de la Bourse de Paris cotés sur le premier marché (cf. infra) - le SBF120 (société des Bourses Françaises) : composé du CAC40 et du SBF80 (les 80 premières valeurs hors CAC40 sur le premier et le second marché). C’est un indice de référence. - Le Dow Jones composé de 30 valeurs « de premier plan » sélectionnées de manière à refléter la tendance générale des cours à la Bourse de Wall Street o Des indices sectoriels qui mesurent la performance d’un sous-ensemble d’entreprises en fonction de leur type d’activité ou de leur taille. On peut citer le Nasdaq (USA), et IT.CAC (France) qui sont des indices technologiques. (En France, ce secteur s’appelle le « nouveau marché » par opposition au Premier marché sur lequel sont cotées les plus grandes entreprises à capitalisation boursière d’au moins un milliard d’euros, et le Second Marché, où sont cotées des PME). Il est possible d’investir dans des placements qui répliquent la performance d’un indice. C’est ce qu’on appelle la gestion indicielle. Pour guider l’IRS ont émergé des indices « développement durable » ou « indices éthiques » qui se proposent de suivre l’évolution du marché des entreprises « responsables ». Comme tous les autres 24 25 Christian Gollier, Finance durable et investissement responsable, Toulouse School of Economics (University of Toulouse, LERNA), Février 2009 Christian de Boissieu, Article « Indice Boursier », Encyclopédie Universalis 2009 36 indices, ils suivent les performances financière d’un groupe de valeurs à travers le temps, mais cette fois le rapprochement se fait sur le critère du développement durable, ou de la RSE. On peut les voir comme des indices sectoriels rapprochant les entreprises sur la base de leur performance en matière de durabilité. Prenant pour univers de référence un indice « classique », ils sélectionnent un nombre plus ou moins élevé d’entreprises en fonction de l’évaluation déclarative d’une agence de notation. Ces indices sont déclinés de manière régionale, sectorielle, et sur d’autres critères. L’indice Safe (South Africa Safe Equity) créé en 1980 constitue une étape clé : Au moment où l’apartheid est « le » thème phare de l’investissement responsable, cet indice est construit à partir du S&P 500 en excluant les entreprises commerçant avec le régime de l’apartheid. Ce sera un succès (cf. Partie I encadré 2sur l’ISR aux Etats-Unis). Le premier indice ISR mondial à proprement parler est le Domini Social Index (DSI 400) lancé en 1990. En Europe, on dénombre aujourd’hui cinq indices majeurs, apparus à partir de la fin des années 90 qui sont les suivants : Tableau 3 : les principaux indices durables en Europe DJSI* World 1999 mondial Indices de référence Agence composition Exclusions ? taille DJ** Global Total Stock Market Index SAM*** Les 10% plus performantes en RSE sur les 2500 plus grosses entreprises du Dow Jones Global Total Stock Market Index NON mais des versions ~300 Les 20% meilleures entreprises du DJ STOxx Europe 600 en termes de développement durable NON mais des versions 120 valeurs à partir de la méthodologie suivante: toutes les sociétés du DJ Euro STOxx se voient attribuer un rating ASPI. Les 100 meilleures sont automatiquement inclues dans l’indice, puis 20 autres sont sélectionnées parmi celles des rangs 100 à 140 en privilégiant celles ayant déjà fait partie de l’indice et en complétant avec les meilleurs valeurs n’y étant jamais entré. Ensuite, la même formule(Laspeyre) que les autres indices DJSTOxx non DD. 200 valeurs ayant les meilleures notations ESG par Vigeo sont sélectionnées dans le registre d’investissement Ethibel. L’indice est ensuite calculé selon la formule de Laspeyre. les pondérations sectorielles ne sont pas toujours les mêmes que celles du DJSTOxx 1800 dans l’optique de sélectionner par secteur « les actions les plus liquides répondant aux critères méthodologiques d’Ethibel » (site de Vigeo). 270 valeurs NON screening positif ≈12.000 titres répartis dans 65 pays représentant plus de 98% de la capitalisation boursière mondial DJSI STOxx Europe 2001 Europe DJ STOxx Europe 600 Index Aspi Eurozone DJ Euro STOxx Advanced Sustainability Performance Index 2001 Sous ensemble du DJ stoxx Europe 600 ne comprenant que des membres de la zone euro (12 pays) 600 sociétés (petites, moyennes et grandes) représentatives implantées dans 18 pays d’Europe. zone euro ESI Ethibel Sustainability Index 2001 SAM Ethibel Investment Register Registre d’investissement basé sur l’analyse de Vigeo et l’expertise d’Ethibel FTSE4Good FTSE International Limited Europe 2001 Europe *Dow Jones Sustainability Index **Dow Jones Arese puis Vigeo (calculé par STOXX Limited) Ethibel (calculé par IEMFinance depuis 2008) Eiris (UK) de l’indice avec diverses exclusions thématiques sont disponibles ~120 de l’indice avec exclusions thématiques sont disponibles 120 uniquement OUI armement, énergie 200 nucléaire, tabac, jeux de hasard. OUI armement, tabac, 270 nucléaire militaire et civil Source: Cynthia Lavison ***SAM Sustainability Investing société Suisse spécialisée dans l’investissement éthiques et le calcul d’index L’évolution des indices éthiques constitue un indicateur parmi d’autres des performances de l’ISR. Leur hétérogénéité doit cependant être prise en compte. Les différents indices ISR sont plus ou moins sélectifs : le DJSI world par exemple est calculé sur le même modèle que les autres indices Dow Jones mais sur les performances des 10% des entreprises les mieux évaluées de leur secteur en matière de RSE (approche best in class). Pour le DJSI EuroSTOxx, le taux est de 20%. Les cinq indices étant basés sur les ratings d’agences différentes, les méthodologies et les approches diffèrent : FTSE4Good aurait une approche plus morale et éthique avec des 37 critères d’exclusion (nucléaire, tabac, armement) tandis que l’Aspi Eurozone serait plus dans une vision « développement durable » puisqu’elle rejette l’exclusion au profit de l’approche best-in-class (la Tribune 2001). Ces disparités de méthode provoquent un certain scepticisme : ainsi, certains groupes se retrouvent inclus dans certains indices mais non dans d’autres pour des raisons qui ne leur paraissent pas légitimes (Schneider Electrics par exemple en 2005 se dit surpris de ne pas être inclus dans le FTSE4Good du fait de la production de contacteurs électriques à usage militaire représentant une part très réduite de son chiffre d’affaire alors que des compagnies fournissant restauration, énergie ou télécommunications aux armées se trouvaient incorporées dans l’indice). Le même problème est soulevé par Veolia la même année « SAM (ndlr : indice DJSI) nous classe dans les « water utilities » et nous compare à des entreprise anglaises, de taille beaucoup plus modeste que la notre. Or, à cause de notre activité de traitement des déchets, nous avons des niveaux d’émissions de CO2 bien plus élevés qu’elles. Cela biaise nos performances. Notre principal concurrent Suez est lui classé dans les « energy utilities !» (Propos de Bérengère Lagraulet repris sur le site de Novethic) D’autres soulèvent la question de la comparabilité de ces indices car les disparités de taille, de couverture et de sens sont très importantes. D’une manière générale, les « faiblesses » des agences de notation (hétérogénéité des méthodes, avantage des grosses entreprises…) se retrouvent par transfert dans les indices qu’elles produisent. Ces indices « développement durable » ne sont pas comparables à des labels : ils sont beaucoup moins sélectifs tout d’abord. Ainsi, en mars 2005, toutes les entreprises du CAC 40 appartenaient au moins à un des trois indices les plus en vue (l'ASPI Eurozone, le FTSE 4 Good et le DJSI STOxx) à l'exception de Publicis et de Lagardère (le Monde). En outre, les méthodes de calcul sont accusées d’introduire certains biais puisqu’elles mènent à exclure certaines valeurs du calcul de l’indice pour des raisons non RSE souligne Novethic (les Échos). Cependant ces indices d’un nouveau genre ont réussi à s’insérer avec succès dans le paysage financier. De plus en plus de gestionnaires les utilisent comme base ou les consultent, et leurs performances sont comparables à celles des indices classiques, voire les surperforment dans certains cas (ESI par exemple surperforme son univers de référence, le S&P Global 1200 selon les calculs rétrospectifs de Standard & Poor). Enfin, les indices ont une grande popularité auprès des entreprises pour lesquelles l’inclusion dans un ou plusieurs indices « développement durable » représente un signal fort en terme de durabilité et d’image. Ces indices ont pris une importance capitale dans la communication des entreprises. b/ les études Les études empiriques, effectuées principalement durant les 20 dernières années, s’accordent pour trouver qu’il n’y a pas de différence significative en termes de performances entre investissement socialement responsable et démarche classique. « La plupart des études parues au cours des dernières années conduisent à penser que l’investissement effectué en intégrant des critères extra-financiers ne conduit pas à une perte ou à un gain statistiquement significatif de rentabilité financière. Malgré le besoin d’un recul historique plus important, le nombre croissant de ces études et surtout leur diversité quant aux régions, aux périodes et aux outils utilisés offrent une certaine robustesse à cette assertion. »26 o Un exemple : l’étude UFG LFP : « best of » et « worst of »ISR de l’indice EuroSTOxx 300 (2009) L’étude a pour objet de déterminer si les critères extra-financiers ont un impact sur la performance financière. Une étude économétrique comparative est effectuée sur deux portefeuilles créés pour l’expérience : - le « best of » qui comportait les 50 capitalisations ayant les meilleures « notes ISR » de l’Eurostoxx 3000 (BOI) - le « worst of » qui comportait les 50 entreprises ayant eu les plus mauvaises notes(WOI) 26 François-Louis Thoreau, L’investissement Socialement Responsable en Europe – rôle et méthodes de l’analyse sociale de l’entreprise, 2004, p.30 38 La sélection ISR est faite sur la base du Sarasin Sustainability Matrix, les pondérations sectorielles sont identiques à celles de l’Eurostoxx 300 (neutralité), et la composition des indices (poids sectoriels et notation) est révisée trimestriellement sur la période de l’étude (2004-2009). Figure 7 : Évolution comparée de la valeur des portefeuilles « Best of » et « Worst of » et de l’Eurostoxx entre 2005 et 2009 190 Vérif Eurostoxx 300 B of ISR W of ISR 2005-2009 -0.87% 16.28% -1.63% 16.28% 2005 23.00% 26.01% 27.90% 126.01% 2006 20.28% 25.57% 28.38% 125.57% 2007 4.91% 4.66% -4.18% 104.66% 2008 -47.80% -47.65% -54.91% 52.35% 2009 22.35% 34.11% 38.67% 134.11% 170 150 130 110 90 Eurostoxx 50 Best of SRI Eurostoxx 50 Worst of SRI 70 Eurostoxx 300 31 /1 2/ 20 04 31 /0 3/ 20 05 30 /0 6/ 20 05 30 /0 9/ 20 05 31 /1 2/ 20 05 31 /0 3/ 20 06 30 /0 6/ 20 06 30 /0 9/ 20 06 31 /1 2/ 20 06 31 /0 3/ 20 07 30 /0 6/ 20 07 30 /0 9/ 20 07 31 /1 2/ 20 07 31 /0 3/ 20 08 30 /0 6/ 20 08 30 /0 9/ 20 08 31 /1 2/ 20 08 31 /0 3/ 20 09 30 /0 6/ 20 09 30 /0 9/ 20 09 50 NAV ( Net asset Value) valeur comparée de l’Eurostoxx et des deux portefeuilles. Source : UFG LFP, Performance de la Selection ISR, présentation AFG, 2009 Les conclusions de l’étude : L’effet négatif de la réduction de l’univers d’investissement, tiré de la théorie de Markovitz, n’est pas observé. Le filtre ISR ne créé pas de sous-performance systématique et fait office de filtre qualitatif positif notamment par rejet des valeurs les moins performantes. o Les études comparatives de performances : quelques exemples significatifs Comparaisons de fonds ISR : L’étude de 15 fonds britanniques en 1992 conclut à une absence de sous ou surperformance significative (Luther, Matotko et Corner, 1992), Hamilton parvient à la même conclusion en 1993 avec des fonds américains, de même que Mallin qui effectue une analyse par paires sur la base des caractéristiques de 29 fonds (1995). Plus récemment, Shröder obtient les mêmes résultats en 2003. Comparaisons d’indices ISR : Sauer (1997) compare le DSI 400 (Domini Social Index, indice éthique – voir plus haut) avec le S&P 500 et le VRSP Value Weighed Market. Il conclue à une absence de sous-performance de l’ISR. Des études postérieures comparant également le S1P 500 et le DSI 400 concluent à une surperformance de l’ISR ( Di Bartolomeo and Kutz 1999, Berthon, 2000) qui s’explique largement par une exposition au risque différente27. D’autres études portant notamment sur les indices sociaux et classiques du Dow Jones vont dans le sens d’une absence de différence significative ou d’une surperformance légère. Lien entre performance extra-financière et financière : Butz (2003) décompose la performance boursière des entreprises européennes en fonction de critères ESG. Il aboutit à la conclusion générale que les « prestations effectives, sociales ou environnementales ont une influence 27 François-Louis Thoreau, L’investissement Socialement Responsable en Europe, Université de Liège, 2004 39 positive tandis que les engagements tendent à pénaliser le parcours boursier »28. Selon les résultats de Gompers, Ishir et Metrick (2003), les bonnes pratiques de gouvernance et l’écoute des actionnaires entraînent la création de valeur. Enfin, Kurtz 2002 identifie un « effet information » de la notation extra-financière. Celle-ci permet aux entreprises de mieux se connaître et donc de mieux maîtriser leurs risques, et de maximiser leurs actifs incorporels. o Le « Fonds du vice » n’est pas plus rentable que l’ISR En réaction au développement de la finance responsable est créé en 2002 le fonds du vice (alcool, tabac, armes, mais aussi jeu et pornographie), basé sur l’idée que l’alcool, le jeu et le tabac en particulier, sont des valeurs « défensives » c'est-à-dire que leurs performances sont peu sensibles à la conjoncture29 (ces industries disposent d’un pool de consommateurs dépendants, dont la demande est peu élastique). Le créateur du fonds du vice table également sur des coûts de gestion inférieurs à ceux des fonds responsables puisqu’il n’est pas besoin d’analyse extra-financière pour identifier les activités prisées. Le Vice Fund (Vicex), créé en 2002 rassemble des entreprises retirant au moins 25% de leurs revenus d’un secteur parmi le jeu, le tabac, l’alcool et l’armement. Le Domini Social est un fonds (en réalité une série de fonds) éthique combinant une sélection positive - sur la base du business model des entreprises et de leur performances extra-financière - et l’exclusion de secteurs considérés comme « fondamentalement en opposition » avec les valeurs du fonds, c'est-à-dire les produits créant des dépendances (jeu, tabac alcool) ou jugés dangereux pour l’équilibre géopolitique (armes nucléaires, vente d’armes internationale, extraction d’uranium…). Source du graphique : La Tribune, 10 avril 2007 Cependant, si le caractère défensif du « vice » en temps de crise est avéré30, les performances du « fonds du vice » sont contestées31. Une étude réalisée en 2009 attribue la surperformance du Vice Fund à son pari sur le tabac (le débat législatif sur la cigarette aux États-Unis conduit les acteurs du secteur à offrir une « prime de risque ») et à une forte exposition aux small caps et mid caps « à une période où celles-ci étaient en vogue »32. Lorsque l’on contrôle pour ces effets, la performance ajustée au vice du fonds du vice est proche de zéro. L’étude souligne également une mauvaise gestion du fonds imputée au gestionnaire. Ce Vice Fund reste donc une démarche isolée et non déclinée. Nessi Aït-Kacimi conclut : « Le « Vice Fund » reste ainsi davantage un concept marketing que la face noire de l'ISR. Sa performance insignifiante ne plaide pas pour lui. » c/ les limites Toutes ces études n’abordent pas le problème de la même manière. Il est donc difficile de comparer et d’agréger les résultats. Il existe des biais associés à chaque méthode : la comparaison de fonds par exemple présente le risque d’attribuer à l’ISR des différences de performances en réalité liées aux qualités des gestionnaires. La 28 Erwan Le Aout, Corinne Buscot, Comment expliquer la performance de l’investissement socialement responsable ?, Revue management et Avenir 2009/3, n°23, p.153-169. 29 QED International Associates Inc., 2005 : les actions des secteurs du tabac et de l’alcool ont des bêtas très inférieurs à 1 (respectivement égaux à 0,75 et 0,63) ce qui en fait selon la formule du MEDAF des secteurs défensifs qui atténuent les fluctuations du marché ; contrairement au jeu et à l’armement qui ont un bêta très proche de 1 (respectivement 1,03 et 0,94). La défense, le tabac et l’alcool ont une sensibilité à l’inflation et aux cycles économiques plus faible (voire négative pour le cas de l’armement par rapport au cycle économique) que pour le reste du marché. Les jeux sont par contre très sensibles aux fluctuations économiques. 30 Tom Galvin 2001 : tabac et alcool surperforment le marché lors des récessions de1982 et 1992-93 31 Stefan Zeume, Andreas Hoepner, The Dark Enemy of Responsible Mutual Funds : Does the Vice Fund Offer More Financial Virtue, septembre 2009. 32 Nessi Aït-Kacimi, le « fonds du vice » ne paie pas, les Echos, 15 octobre 2009 40 comparaison indicielle peut comporter un biais sectoriel : ainsi, les indices « éthiques » ont fortement bénéficié de la forte croissance du secteur des technologies et de la bulle internet car le secteur y était surreprésenté. L’échelle temporelle pose également problème pour les comparaisons. La rentabilité est évaluée sur les marchés financiers sur le court terme, les profits sont calculés sur une base trimestrielle, les contrats de responsabilité fiduciaire sont calculés sur cette base. Or l’ISR est une réponse à une démarche d’investissement qui veut se recentrer sur le long terme et la durabilité. Dès lors plusieurs questions se posent : si l’on veut comparer la rentabilité de placements classiques avec celle de placements ISR il faut se placer sur une échelle assez large pour que ce soit cohérent avec la démarche de ces derniers. Mais cette échelle est extrêmement floue. De plus, il peut sembler illogique de comparer deux stratégies d’investissement qui ne calculent pas leurs objectifs de performance sur la même échelle de temps (cette question se pose différemment si on compare des fonds ou des indices). Cependant, le problème majeur est l’objet de l’étude. Le terme « étude de la rentabilité de l’ISR », recouvre des recherches en réalité très différentes. 2 – Approche 2 : RSE et rentabilité Un certain nombre d’études se proposent d’analyser le lien entre RSE, rentabilité économique, rentabilité financière, et ISR. Les caractéristiques RSE sont perçues comme autant d’actifs intangibles susceptibles de constituer des leviers de rentabilité. Tableau 4 : résumé des liens positifs entre performance économique et performance environnementale Source : Ambec et Lanoie, 2008 41 Stefan Ambec et Paul Lanoie dans une étude visant à identifier empiriquement les effets positifs de la performance environnementale sur la rentabilité d’une entreprise propose deux catégories de facteurs33 : ceux qui entraînent un accroissement du revenu de l’entreprise, et ceux qui provoquent une diminution de ses coûts. A partir de cette idée, ils distinguent sept facteurs potentiels susceptibles de provoquer/d’expliquer une amélioration conjointe des performances environnementales et financières d’une entreprise (cf. tableau cidessus). Cette étude concerne uniquement les problématiques « vertes », mais on peut reprendre cette grille d’analyse et l’adapter pour l’étendre à la performance RSE : Figure 8 : schématisation des liens entre performance environnementale et économique Réduire les coûts - Gestion du risque et relation avec les parties prenantes(4) Le risque d’image et les risques environnementaux sont de plus en plus cruciaux. Ils engendrent des coûts à différents niveaux, notamment des coûts juridiques, et des coûts en matière de réputation (boycott). La prise d’importance du risque d’image étant reconnue par les marchés, un risque d’image important s’accompagne également d’un surcoût du capital, les investisseurs demandant une « prime de risque » pour se prémunir d’un éventuel « événement catastrophique » (dans le sens d’imprévu et de lourds de conséquences, que ce soit une catastrophe naturelle ou un scandale social). Source du graphique : Ambec et Lanoie, 2008 Augmenter le revenu : Un meilleur accès à certains marchés(1) et différentiation (2) : Pour les entreprises amenées à vendre à des institutions ou à d’autres groupes, la performance RSE peut avoir un impact. Beaucoup d’institutions vont s’imposer des standards en ce qui concerne la qualité extra-financière des prestataires choisis (restauration, services…). Par exemple, au Royaume-Uni, dans le cadre de l’opération « Greening of Government Operation », le respect de l’environnement et pris en compte dans le choix des prestataires. Selon l’OCDE (1998) les achats effectués par des institutions publiques représentent 20% du PIB des économies de l’OCDE. En ce qui concerne le privé, une majorité des entreprises portent attention à la performance de leurs fournisseurs en matière de RSE, c’est notamment un des impératifs des normes ISO14 000 et suivantes. Du point de vue de la vente au particulier, cet argument est limité: les consommateurs responsables sont sensibles à la communication sur des problématiques environnementales ou au commerce équitable, mais ils n’ont qu’une connaissance limitée des activités d’une entreprise : un consommateur « altruiste » ira naturellement vers le chocolat labellisé « équitable » mais n’aura pas la démarche d’aller vérifier la note extra-financière d’une entreprise avant d’acheter son produit-vaisselle. Vente de technologies de contrôle de la pollution (3) Dans le cas spécifique de la performance environnementale, une politique d’innovation en matière de valorisation des déchets ou réduction des émissions peut permettre à une entreprise d’obtenir une nouvelle source de profit par le dépôt de brevet. Ce type de gain est possible dans les industries compétitives ou la maîtrise d’une technologie de ce type représente un avantage compétitif conséquent et ou il est possible d’exercer ses droits de propriété intellectuelle. Source : Cynthia Lavison à partir de Ambec et Lanoie 33 Coût du matériel et de l’énergie, coût des services Développement de techniques innovantes. Coût du capital Le marché de l’ISR étant en forte croissance, le respect des critères ESG assure un meilleur accès au capital aux entreprises les mieux notées. De nombreuses initiatives promouvant l’investissement socialement responsable ont vu le jour dans les années 2000. On peut citer à ce titre les Principes d’équateur, une démarche initiée par dix banques privées en 2003 qui s’engagent sur la base du volontariat à ne pas accorder de prêts à des projets ne se conformant pas à des critères de base en matière de Responsabilité Sociale et environnementale. 66 établissements financiers ont adopté les Principes d’Équateur (« Equator Principles »). Ces principes s’appliquent au financement de projets. D’après le préambule de ces principes, « Les Etablissements Financiers qui appliquent les Principes de l’Equateur (Equator Principles Financial Institutions - EFPIs) ont (…) adopté ces Principes afin de s’assurer que les projets qu’ils financent sont réalisés d’une manière socialement responsable et respectueuse de l’environnement. Ainsi, les effets négatifs sur les écosystèmes et sur les communautés affectés par le projet doivent être évités dans la mesure du possible, et, s’ils sont inévitables, doivent être limités, atténués et/ou compensés de manière appropriée. ». Coût du travail “No one wants to work for a dodgy company, and the brightest people obviously have a choice” (Reinhardt,1999). Les entreprises cherchant à employer des travailleurs jeunes et/ou hautement qualifies ont un avantage à améliorer leurs performances extra-financières, car ce genre de travailleurs disposent d’un « pouvoir de marché » leur permettant de sélectionner les environnements de travail les plus attractifs. Source : Cynthia Lavison à partir de Ambec et Lanoie Stefan Ambec Paul Lanoie, When and Why does it pay to be green?, 2008 42 C – CONCLUSION : DERRIERE LE DEBAT SUR LA RENTABILITE UN DEBAT SUR CE QUE DOIT ETRE L’OBJET DE LA NOTATION ET L’AVENIR DE L’ISR La question de la rentabilité de l’ISR suscite des questionnements sur le rôle et l’avenir des agences de notation. En effet, si les entreprises aux meilleures notes extra-financières sont effectivement plus performantes que les autres, ou si certains critères ISR ont un impact quantifiable sur la performance, l’ISR devient une stratégie intéressante pour des investisseurs n’ayant pas de convictions éthiques, les investisseurs « mainstream ». Se pose alors la question centrale de l’autonomie de la notation extra-financière par rapport à la notation financière : Les agences de notations extra-financières doivent-elles continuer à produire de la recherche pour des produits ISR indépendants ou doivent-elles évoluer pour adopter des modèles incorporables dans la notation financière ellemême ? En 2004, SustainAbility et Mistra s’associent pour publier une étude sur les « organismes de recherche ISR » (un terme un peu plus englobant que les agences de notation extra-financière) faisant un état des lieux de la situation et indiquant ses recommandations pour que le marché évolue dans la « bonne direction ». L’étude conclut que l’une des principales faiblesses des organismes de recherche ISR actuels est leur absence d’ancrage dans la sphère financière. L’avenir de l’analyse extra-financière de l’entreprise est l’investissement « mainstream ». Les agences doivent donc se concentrer sur les enjeux RSE traduisibles en termes de performances économiques sous peine de rester cantonné à un marché de niche voué, selon les auteurs, à disparaître. Pour ce faire, prouver que la recherche ESG contribue à la création de valeur financière est essentiel. Le rapport Values for Money part du principe que les agences doivent se concentrer sur les aspects extra-financiers « matériels à l’entreprise » définis comme suit « While recognizing that a range of social, environmental and economic issues may be of relevance to different stakeholder groups, these issues are only considered to be material when they have actual or potential impact on a company’s investment value. ». Mistra est une fondation créée par le gouvernement suédois en 1994 et qui a pour but de financer des projets de recherche « d’importance stratégique pour le développement durable », il s’agit de stimuler l’environnement de recherche, l’objectif est la compétitivité. Le « point de vue » de Mistra transparait à travers de la littérature produite sur ce sujet : l’ISR est rentable, et l’analyse RSE doit s’orienter vers une « seconde génération » des produits d’analyse sociétale qui aurait pour objectif de calculer l’impact en matière d’efficacité financière des enjeux RSE pour se concentrer sur ceux qui influent directement sur la performance. Fondée en 1987, SustainAbility se définit comme un hybride entre une agence de conseil en stratégie et un “think tank” indépendant en matière de Responsabilité Sociale de l’entreprise. Créée au Royaume Uni, elle est également implantée en Suisse et aux États-Unis. SustainAbility mène une politique engagée et active et se targue de ne travailler qu’avec des entreprises qu’ils jugent « réellement sérieuses dans leur volonté et leur capacité à contribuer au développement durable à travers un changement dans leurs pratiques et leurs politiques » (résiliation de la collaboration avec Monsento en 1998 par exemple).(source de la citation : www.sustainability.com, traduction personnelle) Fondée en 1988 aux Etats-Unis par Peter Kinder et Amy Domini, KLD Research & Analytics se présente comme un leader sur le marché de la recherche en ISR et de la production d’indices « éthiques » à l’attention des investisseurs institutionnels en particulier (« 31 of the top 50 institutional money managers worldwide use KLD’s research to integrate environmental, social and governance factors into their investment decisions. »). KLD produit des indices, de la recherche, des benchmarks et du conseil. KLD est notamment à l’origine du Domini Social Index et a publié le premier panorama exhaustif de l’ISR mondial en 1992, « the Social Investment Almanac ». Source : Cynthia Lavison Peter Kinder, PDG de KLD s’il appuie cette nécessité de produire une traduction financière à l’analyse ESG s’oppose en revanche sur le dernier point : placer la matérialité des enjeux ESG dans leur traduction financière est une assomption forte à ne pas prendre à la légère. Pour lui, l’investisseur a le droit de choisir ses placements sur des critères autres que la productivité, voire sur des critères ayant un impact négatif sur celle-ci34. Se concentrer sur les enjeux RSE que l’on peut traduire financièrement conduirait les agences de notation extra-financière à fournir du conseil en investissement ce qui n’est pas ce que leurs clients demandent, et elles perdraient leur valeur ajoutée qui est de présenter de manière standardisée des faits qui ne sont pas directement « internalisables » en analyse de performance. La poursuite de la notation extra-financière y compris sur des plans non directement monétarisables n’est pas pour lui un obstacle à l’ouverture vers l’investisseur « classique ». Les deux approches peuvent et doivent coexister, et le point de vue de Mistra nie une partie importante de la demande ISR (l’exclusion a par exemple beaucoup de poids 34 La sanction de l’apartheid par exemple, voir partie I encadré 2 43 sur le marché américain) et mésinterpréte celle d’un ensemble d’acteurs (gestionnaires intégrant les notations extra-financières à leur processus de formation de portefeuille en parallèle avec d’autres outils analytiques). L’opposition des rapports « values for Money » et « Values and Money » illustre bien la tension existant sur le marché de l’ISR entre les différentes démarches. Quels que soient les développements futurs du marché de l’ISR et la croissance du segment mainstream, il semble important de bien comprendre la multiplicité de la demande et d’y répondre en utilisant toutes les ressources scientifiques disponibles. 44 CONCLUSION GENERALE L’investissement socialement responsables (ou ISR) se situe à la charnière des marchés financiers et du développement durable, deux problématiques majeures du monde actuel. Marché de niche à forte croissance, l’ISR ne représente que quelques pourcents des investissements mondiaux, ce qui en limite les enjeux, mais les évènements récents attirent l’attention sur les signaux qui orientent les comportements à une échelle mondiale. Les ratings des agences de notation financières sont emblématiques à cet égard mais ceux des agences de notation extra-financière ont vocation à faire partie de ces signaux dans un avenir proche (cf. exemple du fond souverain de la Norvège). L’ISR est encore immature, ce qui se traduit par une absence de standardisation des méthodes de choix d’investissement. Les investisseurs sont de sensibilités différentes, certains privilégient des principes éthiques (exclusion de certaines activités comme l’armement, les jeux…) alors que d’autres visent une meilleure rentabilité à long terme et espèrent l’obtenir en prenant en compte la façon dont les entreprises gèrent leurs risques sur longue période. En pratique les positions sont d’ailleurs souvent moins tranchées : les investisseurs éthiques ne font pas l’impasse sur la rentabilité de leur portefeuille et les investisseurs opportunistes se référent souvent à des normes d’essence éthique (Global Compact par exemple) faute de corrélations robustes entre gestion des risques et rentabilité. Les agences de notation extra-financière qui émergent de façon plus ou moins artisanale depuis une vingtaine d’années, offrent une gamme diversifiée de produits (rating, indices, audit) afin de satisfaire l’ensemble des publics. Ce pluralisme de l’offre, renforcé par une segmentation éthique, se heurte à un besoin croissant de renforcement des méthodes (fiabilisation des bases de données et des modèles) induit par une professionnalisation de l’activité en rapport avec les enjeux financiers qui lui sont associés. Les investisseurs souhaitent des produits plus lisibles et plus robustes. En réponse à ce besoin, des mouvements de concentration sont à l’œuvre à l’échelle européenne, Vigeo notamment se constitue en groupe afin de faire émerger un standard européen, mais les pratiques des agences demeurent encore opaques (modèles boites noires, conflits d’intérêts…) ce qui pèse sur le développement de l’ISR. Le monde de l’ISR est donc un monde en devenir, où se côtoient des démarches d’inspiration différentes allant de l’altruisme à la recherche de la stricte rentabilité financière à long terme (le mainstream). Un approfondissement des travaux académiques permettrait de dépasser le stade des convictions. Pour servir l’ensemble de la demande en IRS, ces travaux devraient s’attacher à identifier les projets véritablement porteurs de retombées positives pour la collectivité, ils devraient aussi mieux mettre en évidence les gains financiers à long terme résultant d’une véritable gestion des risques au sein de l’entreprise. Les acteurs de l’IRS seraient alors mieux informés des caractéristiques des produits d’investissement qui s’offrent à eux ce qui leur donnerait les moyens de développer des stratégies correspondant à leurs préférences. A ce stade, la question de l’internalisation de critères RSE dans la notation financière, déjà posée par des agences comme Fitch et Innovest par exemple, trouverait toute sa pertinence. 45 BIBLIOGRAPHIE GENERALE Sites internet - L’ORSE (Observatoire sur la Responsabilité Sociale de l’Entreprise) http://www.orse.org/ - Le site des fonds Domini Social http://www.domini.com/GlobInvStd/How-We-App/index.htm - Vigeo http://www.vigeo.com - BMJ Ratings http://www.bmjratings.com/fr_index.html - Novethic http://www.novethic.fr - Allianz http://www. allianzgi.fr - Agefi http://www.agefi.fr/ - forum pour l’investissement responsable (France) Frenchsif.org Ouvrages, Articles et Publications - Christian Arnsperger, Philippe Van Parijs, Éthique économique et sociale, Repères, Éditions La Découverte, Paris, 2003 - Stefan Ambec, Paul Lanoie, « Does it Pay to be green – a systematic overview », forthcoming in Academy of Management Perspectives, 2008 - Gunther Capelle‐Blancard, Stéphanie Monjon, L’investissement socialement responsable, Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement, 2010 http://www.centre-cired.fr/IMG/pdf/ISR_VF16.pdf - Sonia Devin, Les Fonds éthique : critères de notation, Communications de la journée (jeudi 15 mai 2003), Association Internationale de management stratégique, 2003 - Christian Gollier, Finance durable et investissement responsable, Toulouse School of Economics (University of Toulouse, LERNA), Février 2009 - Éric Loiselet, « Investissement socialement responsable : l'âge de la diffusion », L'Économie politique 2/2003 (n° 18), p. 62-74. - Peter Kinder, “Socially Responsible Investing”: An Evolving Concept in a Changing World, KLD Research & Analytics, Inc., 2005 - Peter Kinder, Values and Money - A Research Practitioner’s Perspective on Values for Money, KLD Research & Analytics, 2004 - Jacques Ninet UFG-LFP, étude Performance financière de la sélection ISR, UFG-LFP & TSE, 2009 (via http://www.enseignement.polytechnique.fr/economie/chairefdir/recherche_gt1.php ) - Phillips, Hager & North Investment Management, Does Socially Responsible Investing Hurt Investment Returns?, octobre 2007 - Saout E. 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